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NOVEMBRE 2012

Les
supercalculateurs
relèvent le défi

EN PARTENARIAT AVEC
N° ??? - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs
ditorial
Les supercalculateurs 3

changent la donne

éditorial
L
e calcul haute performance est un élément
stratégique d’une politique de recherche
ambitieuse. Aujourd’hui, il est structurant dans
bruno moyen

de nombreux domaines scientifiques où il permet


de modéliser et de simuler des phénomènes complexes,
souvent inaccessibles à l’échelle humaine. Il intervient en
par
geneviève complément des approches théoriques et expérimentales.
fioraso Les supercalculateurs se sont imposés en changeant
ministre de la donne : les grandes puissances rivalisent à présent
l’Enseignement entre elles pour se doter des machines les plus puissantes.
supérieur et
de la Recherche La recherche académique les utilise pour de nombreux
travaux, à l’instar des grandes infrastructures
de recherche comme les télescopes ou les accélérateurs
de particules. Les applications sont nombreuses dans
les sciences de l’environnement pour simuler le climat,
dans les sciences de la vie ou encore en astrophysique.
Le calcul haute performance est également
stratégique pour nos industriels, en soutien de leur
capacité d’innovation. C’est une clé de notre compétitivité.
La simulation est en effet partie prenante des cycles de
conception et de production dans de nombreuses filières
industrielles, comme les transports terrestres,
l’aéronautique et le spatial, ou encore l’énergie.
Les enjeux relèvent enfin de la politique de
souveraineté et de sécurité individuelle et collective des
États. La politique énergétique, la politique de prévention
des risques naturels et la politique de défense s’appuient sur
les apports de la simulation et du calcul haute performance.
Ce cahier spécial de La Recherche est une magnifique
illustration du dynamisme des acteurs français du calcul
intensif, qu’ils soient scientifiques ou industriels. Notre pays
dispose d’atouts formidables dans ce domaine, que cette
publication contribuera à encore mieux faire connaître.

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


Chercher et innover avec le HPC

Laboratoire PME
commun

HPC
À l’interface des sciences informatiques et des mathématiques, les chercheurs d’Inria
établissent depuis 40 ans les bases scientifiques d’un nouveau champ de connaissances :
les sciences du numérique. En interaction avec les autres disciplines scientifiques, les sciences du
numérique proposent de nouveaux concepts, langages, méthodes et objets d’enseignement qui ouvrent
des perspectives inédites dans l’appréhension des phénomènes complexes.

Le calcul intensif (« HPC » pour High Ce laboratoire concentre ses travaux sur Objectif ? Faciliter et encourager l’accès
Performance Computing) est un thème le développement d’algorithmes et de des PME au calcul haute performance. Parce
stratégique pour Inria, qui concerne logiciels pour des ordinateurs à échelle qu’il permet de simuler des phénomènes
près d’une trentaine de ses équipes de pétaflopique et au-delà. Les chercheurs plus globaux, de limiter ou remplacer des
recherche. du laboratoire ont intégré leurs travaux expériences, de raccourcir la phase de test
dans le cadre du projet Blue Waters. ou de traiter des données pléthoriques et
L’institut est engagé dans des hétérogènes, le recours au calcul intensif
partenariats stratégiques sur ces Par ailleurs, plusieurs sociétés issues sert la compétitivité des PME.
sujets avec Bull pour la conception des d’Inria proposent des technologies
futures architectures et avec EDF R&D dans ce domaine, comme par exemple Les PME qui souhaitent faire appel à la
pour la simulation haute performance Kerlabs, Caps Entreprise, Activeeon ou simulation ou au calcul haute performance
dans le domaine de l’énergie. encore Sysfera. pour élaborer leurs produits et services
(conception, modélisation, système, test,
Au niveau international, Inria et l’uni- Dans le cadre de sa mission de transfert traitement et visualisation des données)
versité d’Urbana Champaign (Etats- de technologies, Inria a lancé, avec le peuvent postuler sur le site web dédié
Unis), ont créé en 2009 un laboratoire GENCI, OSEO et cinq pôles de compé- à cette Initiative HPC-PME. L’Initiative
commun de recherche en calcul intensif, titivité (Aérospace valley, Axelara, Cap les accompagne dans la construction
le Joint Laboratory Digital, Minalogic, System@tic) technique et financière de leur projet
for Pestascale Computing (JLPC). l’Initiative « HPC-PME ». grâce à l’expertise et aux ressources des
partenaires du programme.

Contact Inria :
brigitte.dueme@inria.fr
thomas.lebrat@inria.fr Rencontre Inria Industrie
Modélisation, Simulation,
www.inria.fr
Calcul intensif
www.initiative-hpc-pme.org
Mars 2013
Inria est l’institut de recherche en sciences du numérique.
Inria accueille chaque année plus de 1000 jeunes chercheurs.
Le cahier 2 de « La Recherche » ne peut être
vendu séparément du cahier 1 (LR N° 469).
« La Recherche » est publiée par Sophia
Publications, filiale d’Artémis.
OMMAIRE
Sophia Publications NOUVEAUX dans le processus des maladies,
comme celle d’Alzheimer.
HORIZONS
74, avenue du Maine 75014 Paris
Tél. : 01 44 10 10 10
e-mail rédaction : courrier@larecherche.fr 26 Limiter les polluants
06 Les cinq années qui ont des réacteurs
Président-directeur général
et directeur de la publication changé le calcul intensif Comprendre les phénomènes
Philippe Clerget physiques de la combustion
Genci rattrape le retard de la
Conseiller de la direction France parmi les Européens en au sein des réacteurs d’avion
Jean-Michel Ghidaglia permettra de réduire les polluants.
ouvrant la simulation numérique
Pour joindre directement par téléphone aux scientifiques français. 5
un membre de la rédaction, composez 28 Simuler l’Univers pour
le 01 44 10, suivi des quatre chiffres 10 Catherine RIVIère : « Le cerner l’énergie noire
placés après son nom.
HPC, outil de la recherche » Les astrophysiciens projettent
de simuler l’organisation des

Sommaire
Directrice de la rédaction Catherine Rivière, PDG de Genci
Aline Richard
depuis 2007, et à la tête de Prace, galaxies pour appréhender la
dévoile les chantiers à venir du fameuse énergie noire.
Rédacteur en chef adjoint
du cahier 2 côté du calcul haute performance.
Pierre Mira 30 les supercalculateurs
secrétaire de rédaction 12 L’Europe fait du HPC donnent l’alerte Tsunami
du cahier 2 une priorité La simulation permet au Cenalt
Jean-Marc Denis
En voulant doubler d’ici à 2020 de prévenir et d’indiquer les
Direction artistique zones à risque de la Méditerranée
et réalisation ses investissements dans la
A noir, 01 48 06 22 22 simulation numérique, l’Europe occidentale en temps réel.
Responsable de fabrication vise une place de leadership.
Christophe Perrusson (1378)
32 La fusion nucléaire
15 le supercalculateur bientôt sous contrôle
Directrice commerciale Publicité
et développement Curie joue la polyvalence La fusion nucléaire pourrait être
Caroline Nourry (1396)
Le supercalculateur Curie, conçu une source d’énergie majeure.
Directeur de clientèle pour couvrir une large gamme de La simulation cherche à maîtriser
Eddie Barazzuol (1212)
domaines, se place parmi les plus la quantité de chaleur dégagée.
directeur administratif puissants du monde.
et financier

VERS
Dounia Ammor
18 Le calcul intensif
Directrice des ventes s’ouvre aux PME
et promotion
Évelyne Miont (1380) À l’instar d’HydrOcean, les PME L’EXAflops
peuvent commencer à accéder
Les titres, les intertitres, les textes 34 Dans les coulisses
de présentation et les légendes aux supercalculateurs.
sont établis par la rédaction du cahier 2. des logiciels de demain
La loi du 11 mars 1957 interdit les 20 Le futur de la simulation La course à l’exaflops passe
copies ou reproductions destinées
à une utilisation collective. Toute se joue dès aujourd’hui par le Laboratoire Exascale
représentation ou reproduction intégrale Le projet C2S@Exa d’Inria Computing Research du campus
ou partielle faite sans le consentement
de l’auteur, ou de ses ayants droit ou s’attache à repenser les logiciels de Versailles.
ayants cause, est illicite (article L.122-4 de simulation numérique des
du Code de propriété intellectuelle). Toute 36 Comment l’exaflops
copie doit avoir l’accord du Centre français supercalculateurs de demain.
du droit de copie (CFC, 20, rue des va changer notre vie
Grands-Augustins, 75006 Paris.
Tél. : 01 44 07 47 70. Fax : 01 46 34 67 Attendues vers 2020, les machines
19). L’éditeur s’autorise à refuser toute
insertion qui semblerait contraire aux GRANDS exaflopiques devraient permettre
de résoudre des problèmes ayant
défis
intérêts moraux ou matériels de la
publication. un fort impact sur la société.
Cahier 2 de « La Recherche »
22 Les modèles climatiques 38 les défis futurs
Commission paritaire : 0914 K 85863.
ISSN 0029-5671 gagnent en précision des supercalculateurs
Avec une simulation du Le changement complet de
imprimerie
G. Canale & C., Via Liguria 24, 10071 climat à 10 km près, les petits l’architecture interne des
Borgaro (TO), Italie. phénomènes, qui jouent un rôle supercalculateurs est la clé pour
Dépôt légal à parution.
important, sont pris en compte. atteindre l’exaflops d’ici à 2020.
© 2012 SOPHIA PUBLICATIONS.
IMPRIMÉ EN ITALIE. PRINTED IN
24 Le HPC décrypte 41 Alan Gara : « la clé
ITALY
la chimie du vivant est dans l’innovation »
Les scientifiques modélisent les Le chercheur d’Intel nous éclaire
molécules du vivant impliquées sur les défis lancés par l’exaflops.

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


Nouveaux
horizons

6
NOUVEAUX HORIZONS

Les cinq années qui ont changé


le visage du calcul intensif
Il y a cinq ans encore, la France accusait un retard sur ses voisins européens en matière de
calcul intensif, un outil pourtant stratégique pour notre développement scientifique et
économique. Créée en 2007, la structure publique Genci l’a aujourd’hui comblé en grande
partie. Son ambition de démocratiser l’utilisation de la simulation numérique en la rendant
accessible à tous les scientifiques français est en passe de devenir une réalité.

J
eudi 12 juillet 2012. une tâche qu’un ordinateur therine Rivière, PDG de Genci.
Bruyères-le-Châtel (Es- de bureau mettrait 150 ans à En cinq ans, nous avons en effet
sonne), à une vingtaine accomplir – d’où l’expression multiplié par 50 la puissance
de kilomètres de Paris. de « calcul intensif ». Elles per- de calcul mise à disposition des
Geneviève Fioraso, ministre de mettent de reproduire, par la scientifiques, qui dépasse actuel-
l’Enseignement supérieur et de modélisation et la simulation, lement le petaflops. »
la Recherche, inaugure officiel- des expériences qui ne peuvent L’aventure de Genci com-
lement le supercalculateur Curie pas être réalisées en laboratoire mence en 2004… Le ministre
au Très grand centre de calcul du quand elles sont dangereuses, de la Recherche d’alors confie
CEA (TGCC). coûteuses, de longue durée ou à l’Inspection générale de l’ad-
Pour Genci (Grand équi- très complexes. ministration de l’Éducation
pement national de calcul La simulation numérique nationale et de la Recherche
intensif ), qui a commandé et est devenue aujourd’hui une et au Conseil général des tech-
financé la machine, on ne pou- démarche essentielle de la re- nologies de l’information le
vait pas rêver mieux comme cherche scientifique en complé- soin de créer et d’animer un
cadeau d’anniversaire. En cinq ment de la théorie et de l’expéri- groupe de travail dont les ré-
années d’existence, la structure mentation. Et Genci, chargé de flexions devront permettre
publique a installé dans l’Hexa- porter la politique française en « de définir et de préfigurer les
gone toute une série de superor- matière de calcul intensif pour structures de concertation et de
dinateurs dont Curie, machine la recherche académique, a for- pEtaflopique décision nécessaires à la mise en
dite petaflopique*, est la figure tement contribué à ce succès. Se dit d’une machine œuvre d’une politique forte en
de proue. Ces machines sont « Le chemin parcouru par Genci capable d’effectuer matière de calcul scientifique
un million de milliards
si puissantes qu’elles peuvent depuis sa création en 2007 est d’opérations par en France ». Animé par Michel
effectuer en une seule journée impressionnant, se félicite Ca- seconde. Héon, inspecteur général de

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


CNRS photothèque / Cyril Frésillon
Catherine
rivière

20 % 10 % 1%

genci 2012
composer une légende
de 300/400 signes (+
préciser crédit) merci. .

Répartition actuelle 49 %
20 %
des parts des
associés de Genci. 7

NOUVEAUX HORIZONS
Avec sa puissance
de calcul de 2 petaflops,
la machine Curie est le
l’administration de l’Éducation fer de lance de Genci. tout ou partie de [ces] acteurs de Genci sont clairs : animer la
nationale et de la Recherche, et dans une structure juridique politique nationale en matière
Emmanuel Sartorius, ingénieur souple, telle qu’une société civile de calcul intensif, au bénéfice
général des télécommunica- du calcul intensif, dont seraient de la communauté scientifique
tions, ce groupe de travail réunit actionnaires les établissements française, en coordonnant
les directeurs des grands centres de recherche – organismes et l’équi­pement des trois centres
de calcul, des représentants universités – et les ministères nationaux de calcul intensif, par-
des grands utilisateurs scienti- concernés ». ticiper à l’organisation et la réali-
fiques et industriels (le CNRS, En 2007, leur recommanda- sation d’un espace européen du
le CEA et EDF) ainsi que ceux tion se concrétise, et Genci voit calcul intensif pour la recherche
d’organismes liés étroitement le jour sous la forme d’une socié- et enfin promouvoir l’utilisation
au développement du calcul té civile, qui associe les princi- du calcul intensif, auprès du
scientifique (Inria et Renater). paux acteurs du calcul intensif : monde de la recherche et des
Différentes personnalités, du le ministère de l’Enseignement industriels.
monde de la recherche comme supérieur et de la Recherche, le Fin 2010, Genci a déjà rem-
de la sphère industrielle, sont CEA, le CNRS et les universités pli une grande partie de sa
également auditionnées. représentées par la Conférence feuille de route. Après avoir
des présidents d’université réalisé une première série d’in-
Coordonner les trois (CPU), un cinquième, Inria, les vestissements, en 2008 et 2009,
Localisation des trois
centres nationaux centres nationaux rejoignant en 2009. Les objectifs pour renouveler les moyens du
Le rapport qui suit souligne de calcul. Le CCRT Centre informatique national
qu’un « consensus [s’est dégagé] du CEA, le Cines Bruyères-le-Châtel de l’enseignement supérieur
sur la nécessité d’un pilotage pour l’enseignement (Cines) en installant le super-
stratégique du domaine, d’une supérieur, et l’Idris Orsay CCRT/TGCC calculateur Jade et renforcer
meilleure coordination entre du CNRS. IDRIS ceux du CEA avec les machines
centres de calcul et d’un finan- Platine et Titane, Genci met en
cement à un niveau convenable, œuvre, courant 2010, l’extension
et surtout régulier, du parc de la capacité de calcul de Jade,
français de grands ordinateurs portant la puissance du super-
scientifiques ». Michel Héon et calculateur à 267 teraflops, puis
Emmanuel Sartorius arrivent lance, en fin d’année, l’installa-
à la conclusion que le retard tion de la première tranche du
français en calcul intensif doit supercalculateur Curie au CEA.
être comblé : « La qualité de la Sans oublier le renouvellement
recherche française exige une des moyens de calcul de l’Insti-
puissance de calcul intensif tut du développement et des res-
comparable à celle de ses homo- sources en informatique scienti-
logues européennes. » Ils recom- fique (Idris) prévu d’ici à la fin de
mandent également de « struc- cette année.
genci 2012

turer les acteurs du calcul inten- Montpellier En cinq ans, avec un budget
sif » et proposent « de regrouper CINES annuel de 30 millions d’euros,

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


8
NOUVEAUX HORIZONS

Genci fait ainsi passer la puis- de l’appel à projets « Équipe- de Genci. Au niveau national,
sance de calcul disponible de ments d’excellence » mené sous les moyens d’une puissance de
20 teraflops à un peu plus de l’égide du Commissariat général plusieurs centaines de téraflops
1 petaflops. Le retard, constaté à l’investissement, Equip@meso coordonnée par Genci. Et enfin,
en 2005 par Michel Héon et Em- bénéficie d’un financement de au niveau européen, les moyens
manuel Sartorius, est bel et bien 10,5 millions d’euros pour ren- de capacité petaflopique. »
comblé ! forcer les moyens de calcul à Au sommet de la pyramide,
l’échelle régionale en complé- l’Europe du calcul intensif est
Développer ment des moyens nationaux. désormais une réalité. Convain-
les échanges européens « Grâce à Equip@meso, neuf cus qu’aucun pays ne pouvait,
Avec les trois centres natio- centres de calcul en région parti- à lui seul, financer et faire évo-
naux de calcul, la stratégie de cipent désormais à la dynamique luer de manière durable une
Genci est simple : mettre à dis- nationale créée par Genci », se infrastructure de calcul de visi-
position des chercheurs fran- réjouit Catherine Le Louarn, bilité mondiale, vingt représen-
çais des moyens complémen- responsable des opérations de tants de pays européens, dont
taires afin de répondre au mieux Genci. Genci, ont en effet créé en 2010
aux priorités scientifiques et à Se met ainsi en place une vé- l’infrastructure de recherche
la variété des thématiques. Et ritable pyramide du calcul inten- Prace (Partnership for Advanced
pour gagner en efficacité, une sif autour de ses trois strates géo- Computing in Europe). Objec-
procédure unifiée d’attribution graphiques. « Au niveau régional, tif ? Mettre en place et animer
des heures de calcul est mise en on trouve les moyens d’une puis- en Europe une infrastructure
place. Elle vient simplifier l’accès sance inférieure à 50 teraflops distribuée et pérenne de calcul,
aux moyens nationaux et assu- exploités dans les centres uni- composée de plusieurs centres
rer une meilleure transparence versitaires, explique Stéphane équipés de machines dotés
dans l’évaluation des projets Carte des 24 membres Requena, responsable technique d’une puissance au moins égale
proposés par la communauté de l’infrastucture au petaflops.
scientifique. Depuis 2008, plus européenne de calcul Parmi les acteurs principaux
de 600 projets scientifiques, aca- intensif, Prace. de Prace, la France, représentée
démiques ou industriels, bénéfi- par Genci, s’est engagée comme
cient ainsi chaque année d’une l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie
allocation d’heures de calcul à installer un des supercalcu-
sur les moyens nationaux. Ces lateurs de l’infrastructure. Cet
allocations, qui peuvent aller de engagement, qui représente
quelques centaines de milliers un investissement de 100 mil-
d’heures à plusieurs millions, lions d’euros sur cinq ans, s’est
couvrent tout le spectre des dis- concrétisé par l’acquisition puis
ciplines scientifiques. l’installation de Curie, accessible
Pour amplifier la dynamique dans sa configuration complète
nationale développée depuis depuis le 8 mars 2012.
2007, Genci met sur pied en Genci s’implique également
2010 le projet Equip@meso ou dans différents projets financés
Equipement d’excellence de par la Commission européenne,
calcul intensif de mésocentres comme HPC-Europa 2, mis en
coordonnés, qui associe dix par- place entre 2009 et 2011. Le but :
tenaires académiques et univer- encourager les échanges et les
sitaires de différentes régions coopérations entre les équipes
prace

françaises. Retenu dans le cadre de recherche européennes en

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


cines
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NOUVEAUX HORIZONS
Le supercalculateur
leur donnant accès aux res- d’un point de vue économique. Jade du Cines, draient en passant au calcul in-
sources de sept centres de calcul Parce qu’ils permettent de ré- qui a fourni plus tensif. Depuis, une vingtaine de
répartis dans toute l’Europe, duire les cycles de développe- de 150 millions PME issues de différents secteurs
dont le Cines en France. Ou ment et les coûts, ils sont en effet d’heures de calcul (automobile, aéronautique, mé-
à la communauté
encore l’European Exascale un élément essentiel de compé- scientifique en 2011.
dia numérique, industrie navale,
Software Initiative (EESI), qui titivité industrielle. Les grands microélectronique, traitement
a fourni fin 2011 une feuille de groupes industriels ou finan- du signal, etc.) ont été convain-
route pour atteindre la barre de ciers – comme Airbus, Total, BNP cues par cette approche et de
l’exaflops ; les premières ma- Paribas ou la Société Générale – nombreuses autres sont en
chines dotées d’une telle puis- l’ont bien compris, eux qui ont passe de les rejoindre.
sance sont attendues à l’horizon communément intégré le calcul Un résultat extrêmement
2020. Parmi ses recommanda- intensif dans leurs schémas de encourageant – un de plus – qui
tions, celle de mettre en place un développement. « Mais c’est un De g. à d., en présence
démontre combien la simula-
projet multi-thématique dédié peu l’arbre qui cache la forêt, note de Cédric Villani, tion numérique est devenue
à l’exaflops avec un agenda de Stéphane Requena. L’utilisation mathématicien aujourd’hui un outil essentiel
recherche sur vingt ans, en col- du calcul intensif est beaucoup et médaille Fields pour soutenir le développement
laboration avec les autres unités moins répandue dans les PME et 2010, qui parraine la scientifique et économique de
de recherche européennes et en les PMI qui constituent pourtant manifestation, et de notre pays. En cinq ans d’exis-
Catherine Le Louarn,
lien avec les agences nationale de un vivier important pour l’inno- responsable des tence, Genci, qui n’a eu de cesse
financement. vation et l’emploi en France. » opérations de Genci, d’interpeler les différents acteurs
Mais le champ du calcul D’où l’initiative « HPC-PME », Julien Bohbot, ingénieur du monde académique et indus-
intensif et de la simulation nu- lancée en 2010 par Genci, Inria de recherche à l'IFP triel sur ce constat, est en passe
mérique ne se résume pas à la et Oseo, pour aider les PME à énergies nouvelles, de réaliser son pari de démocra-
recherche académique. Ce sont évaluer et démontrer les gains reçoit le prix Bull-Fourier tiser le calcul intensif.  z
des mains de Matthew
également des outils stratégiques de compétitivité qu’elles obtien- Foxton, vive-président Pierre Mira
Stratégie et marketing
de Bull.

f Les chercheurs à l’honneur


Promouvoir la simulation numérique et le calcul intensif, c’est le leitmotiv
de Genci. Et pour amener de nouveaux utilisateurs à ces outils aujourd’hui
essentiels, il faut montrer tous les bénéfices que la science, et plus largement
la société, peuvent en tirer. C’est pourquoi Genci a créé avec le constructeur
Bull le prix Bull-Joseph-Fourier, qui récompense chaque année les travaux
d’un chercheur français qui utilise la simulation numérique tant dans
le domaine académique que dans ses applications industrielles. Depuis sa
création en 2009, le prix a permis ainsi de mettre en valeur des résultats
dans tous les domaines : astrophysique, nouveaux matériaux, moteurs
automobiles ou encore prévention des séismes. Autre initiative, cette fois
en partenariat avec la Conférence des présidents d’université : le label C3I
(pour Certificat de compétences en calcul intensif). Lancé en 2009, il a déjà
permis de distinguer une cinquantaine de jeunes docteurs ayant développé
bull

et utilisé des compétences en calcul intensif durant leur thèse.

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


« Les supercalculateurs, outils
essentiels de la recherche »
Catherine Rivière, PDG de Genci (Grand équipement national de calcul intensif) depuis 2007,
est à la tête de Prace (Partnership for Advanced Computing in Europe) depuis juin dernier.
Elle revient sur les grandes réalisations accomplies en cinq ans et nous dévoile les chantiers
à venir en matière de calcul haute performance (HPC).

puisque deux équipes fran-


çaises viennent d’obtenir grâce
10 à cette machine des résultats
remarquables. Dans le domaine
NOUVEAUX HORIZONS

des sciences de la vie, la struc-


ture d’une protéine impliquée
dans le processus de la maladie
d’Alzheimer a été entièrement
modélisée avec une précision
inégalée. Et en astrophysique,
une première mondiale vient
d’être réalisée : le calcul de la
structuration de tout l’Univers

CEA-CADAM
observable, du Big Bang jusqu’à
aujourd’hui. Avec une puissance
de 2 petaflops et une architec-
La mission de Genci, c’est PME de s’équiper des moyens Inauguration du ture unique en Europe, combi-
de donner accès à des moyens de simulation numérique les supercalculateur Curie nant une très grande puissance
le 12 juillet à Bruyères-
de calcul de haute performance mieux adaptés à ses besoins, le-Châtel (Essonne). de calcul et une capacité élevée
à un maximum de chercheurs donc d’accroître sa compétiti- De gauche à droite : de traitement des données
français. En cinq ans, cet vité, mais également de créer au Bernard Bigot, générées, Curie va permettre
engagement a-t-il été tenu ? moins quatre emplois. Globa- administrateur général d’autres avancées dans de nom-
Catherine Rivière : Oui et je lement, une vingtaine de PME du CEA, Geneviève breux domaines, notamment
Fioraso, ministre
pense que l’année 2011 a été bénéficient actuellement de de l’Enseignement
l’énergie et la climatologie.
particulièrement décisive. cet accompagnement qui vise supérieur et de la
Trois résultats notamment à faire, avec elles, la démonstra- Recherche, Philippe Quels sont les grands chantiers
concrétisent les efforts que nous tion du gain de compétitivité et Vannier, PDG de à venir pour Genci ?
avons déployés à Genci, depuis d’innovation qu’elles obtien- Bull et Catherine Rivière, C. R. : D’abord le renouvellement
2007, pour asseoir la politique draient en passant au calcul PDG de Genci qui gère des moyens de l’Idris, le centre
l’utilisation scientifique
nationale en matière de calcul intensif. Les grandes entreprises de la nouvelle machine de calcul intensif du CNRS :
intensif. Début janvier 2011, le utilisent déjà la simulation pour petaflopique. avec ce nouvel investissement,
projet Equip@meso, porté par réduire leurs coûts et leurs cycles concrétisé au cours du premier
Genci avec dix partenaires aca- de développement ; nous aidons semestre 2012, Genci a achevé
démiques et universitaires en les PME qui le souhaitent à inté- de renforcer les moyens de calcul
région, a été retenu au terme du grer ces enjeux. Enfin, le mois de nationaux, après ceux du Cines
premier appel à projets « Équi- décembre 2011 a vu la réception avec Jade et ceux du CEA avec
pements d’excellence », dans le définitive du supercalculateur Titane et Curie. Un cycle
cadre des Investissements d’ave- Curie. Conçu par Bull pour Gen- s’achève mais Genci poursuit
nir décidés par les pouvoirs pu- ci, exploité par les équipes opé- son objectif de faire du calcul
blics. Avec Equip@meso, Genci rationnelles du Très grand centre intensif un outil à la pointe de la
dispose désormais des moyens de calcul du CEA à Bruyères-le- production de connaissances et
de développer, au niveau régio- Châtel, Curie constitue le fer de de l’innovation. Il faudra pour
nal, et en lien avec les centres lance de la politique portée par cela relever plusieurs défis :
universitaires de calcul, la dyna- Genci et vient renforcer l’offre amplifier les actions d’accom-
mique initiée en 2007 au niveau en ressources pétaflopiques pagnement à l’utilisation du
national. Début juillet 2011, une disponibles en Europe via Prace HPC, susciter la mise en place
première PME française, le mo- (Partnership for Advanced de formations dans ce domaine,
toriste Danielson Engineering, Computing in Europe). renforcer les liens entre les
obtenait d’Oseo le financement scientifiques qui utilisent le HPC
de sa nouvelle plate-forme de Le supercalculateur Curie (High Performance Computing),
calcul dans le cadre de l’initiative a été ouvert à la communauté et enfin valoriser les investis-
HPC-PME mise en œuvre par scientifique au mois de mars sements qui ont déjà été faits
Genci, Inria et Oseo. L’expertise dernier, quel premier bilan en termes d’équipements, en
technique dont il a bénéficié en tirez-vous ? veillant bien au succès de Prace
avec HPC-PME a permis à cette C. R. : Un bilan très positif au niveau européen.

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


CNRS Photothèque / Cyril Frésillon

GENCI - L. Godart
11

NOUVEAUX HORIZONS
Catherine
rivière
Pouvez-vous nous en dire preuve, au dernier classement vient d’être nommée l’émergence d’une Europe
plus sur Prace dont vous des meilleurs supercalculateurs pour deux ans à la tête du calcul intensif ?
êtes, depuis juin dernier, mondiaux, le Top 500, sur les de Prace, qui anime C. R. : Le calcul intensif est
la présidente du conseil ? dix premières machines, quatre un réseau de centres devenu stratégique pour la
C. R. : L’infrastructure euro- sont européennes. Et la Com- de calcul de très haut recherche académique comme
niveau, rassemblant
péenne de calcul intensif Prace mission européenne a annoncé pas moins de 24 États industrielle. C’est même un
est une structure indépendante, le 15 février dernier son inten- européens. vrai enjeu de souveraineté
financée par vingt-quatre tion de doubler d’ici à 2020 ses À gauche, une vue du à l’échelle de la nation et de
États dont la France, qui y est investissements dans le HPC, supercalculateur Curie. l’Europe, comme l’a souligné
représentée par Genci. Prace rappelant que la croissance Geneviève Fioraso, ministre de
a pour mission de coordonner de l’Europe dépend de sa capa- l’Enseignement supérieur et
un réseau européen de centres cité à innover et que le HPC en de la Recherche, lors de l’inau-
de calcul de très haut niveau. est un des outils. guration de Curie, le 12 juillet
Avec Curie, dont les ressources dernier. Grâce à la dynamique
ont été intégrées aux appels à Comment développer cette instaurée avec la création de
projets de Prace dès 2011, la capacité à innover ? Genci en 2007, la puissance de
France a tenu son engagement C. R. : Par la démonstration calcul disponible pour tous les
d’accueillir un des supercal- de tous les bénéfices que la scientifiques français a été mul-
culateurs de l’infrastructure science, et plus largement la tipliée par 50 en cinq ans. Cette
européenne de calcul intensif société, peuvent tirer du HPC ! vitalité permet à la France au-
mais aussi permis à Prace de À cet égard, les résultats présen- jourd’hui d’être en très bonne
poursuivre son déploiement, tés plus loin dans ce magazine place dans l’impulsion engagée
conformément à la feuille de en sont une illustration parfaite. en Europe par Prace. Avec les
route décidée dès 2008. Cette Cette démonstration est une scientifiques et les industriels,
dimension est capitale car des conditions du développe- avec les instances nationales
aucun État européen ne peut ment du HPC dans l’industrie et internationales, se met rapi-
à lui seul être compétitif avec comme dans la recherche, pour dement en place en Europe
les États-Unis, la Chine ou le répondre notamment aux défis tout un écosystème autour
Japon, les grandes puissances sociétaux que constituent par du HPC, qui permettra à nos
actuelles du HPC. La seule solu- exemple le vieillissement, les laboratoires et à nos entreprises
tion était donc de s’associer, changements climatiques et d’accroître leur compétitivité.
c’est ce que nous avons fait ! Il y l’efficacité énergétique. Curie, avec Prace, est, à ce titre,
a quelques années encore, l’Eu- un investissement capital pour
rope accusait un sérieux retard Avec l’infrastructure Prace l’avenir.  z
sur ses concurrents mais elle et des supercalculateurs Propos recueillis
l’a aujourd’hui comblé. Pour comme Curie, assiste-t-on à par Pierre Mira

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


L’Europe fait du calcul
haute performance
une priorité
Reconnaissant enfin l’importance stratégique du calcul intensif pour
l’industrie et la recherche, l’Europe a décidé de doubler d’ici à 2020
ses investissements consacrés à la simulation numérique. Objectif
affiché du Vieux Continent : être un leader mondial à la fois pour la
12 conception des supercalculateurs et également pour leur utilisation.
NOUVEAUX HORIZONS

15
février 2012  : la n’abandonne pas à d’autres pays
Commission euro- un outil aussi stratégique pour
péenne, par la voix son avenir.
de Neelie Kroes, Il faut dire que le calcul in-
commissaire chargée de la tensif est devenu aujourd’hui
société numérique, annonce un enjeu vital. Pour les indus-
cea

officiellement son intention tries tout d’abord, où, en rédui-


d’inclure dans le futur pro- sant considérablement le temps par Jean
gramme européen de recherche entre la conception et la mise sur Gonnord
et développement, pour les le marché d’un produit, il est un chef du projet
années 2014 à 2020, un chapitre élément essentiel de leur pro- Simulation numérique
conséquent sur le calcul haute ductivité et donc de leur survie et informatique
à la Direction des
performance (HPC, pour High dans la compétition internatio- applications militaires
Performance Computing). Pour nale. Pour la recherche ensuite, du Commissariat à
cela, elle entend doubler d’ici à où il permet à la connaissance de l’énergie atomique
2020 ses investissements consa- progresser dans des domaines et aux énergies
crés au HPC en les faisant passer inaccessibles à l’expérience. Et alternatives (CEA).
annuellement de 630 millions pour la société toute entière, en-
d’euros à 1,2 milliard d’euros. fin, où il offre des perspectives
Cette décision marque un véri- nouvelles d’amélioration de la
table tournant dans la politique vie au quotidien – communica-
européenne en matière de calcul tions, santé, risques naturels…
cea/cadam

intensif et redonne espoir à ceux En France, ça l’est depuis tou-


qui, depuis longtemps, militent jours pour notre défense et notre
pour que le Vieux Continent sécurité où il contribue de ma-

nière déterminante à la préven-


tion des menaces de tous ordres.
f des moyens de calcul Paradoxalement, il existe
 de très haut niveau un écart inacceptable entre ce
besoin stratégique de l’Europe
Avec ses six supercalculateurs aux architectures complémentaires, installés en Allemagne, et sa capacité à y répondre par
pour trois d’entre eux, en Espagne, en France et en Italie, accessibles indépendamment du lieu ses propres ressources. En effet,
où ils sont situés, Prace (Partnership for Advanced Computing in Europe) est l’infrastructure si notre continent accueille plus
européenne de calcul intensif. Depuis sa création en avril 2010, elle a déjà attribué un total de 30 % des meilleurs supercal-
de 3 milliards d’heures de calculs aux 102 projets sélectionnés pour leur excellence scientifique. culateurs mondiaux, moins de
Une réussite due à l’engagement pris et tenu par ces quatre pays de mettre à la disposition 4 % d’entre eux sont fournis par
des chercheurs académiques et industriels européens des machines de très grande puissance –  des industriels européens. Il y a
du niveau du petaflops. L’engagement de la France, représentée par Genci dans Prace, là un double problème de dé-
s’est concrétisé par l’acquisition et l’installation au Très grand centre de calcul du CEA (TGCC) pendance stratégique et de défi-
du supercalculateur Curie en 2011. Prace regroupe 24 pays membres et d’ici à la fin 2012, cit commercial. Si une partie de
la puissance totale de calcul déployée par le réseau européen pour ses scientifiques devrait cet écart peut être imputée aux
atteindre 15 petaflops. De quoi permettre à notre continent de faire progressivement jeu égal politiques protectionnistes des
avec les autres grandes puissances du calcul intensif que sont les États-Unis, la Chine et le Japon. grands pays, comme les États-
Unis et la Chine, l’absence de
politique européenne ces vingt

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


EC - Audiovisual Service, Ansotte
Etienne Shimera
f Neelie Kroes
La vice-présidente de la Commission
européenne, commissaire à la société
numérique, valorise l’avenir du HPC.

« L’Europe 13

veut rester

NOUVEAUX HORIZONS
compétitive »
La commissaire Neelie Kroes entend doubler
les investissements dédiés au calcul
haute performance dans le programme
de développement 2014-2020. Ci-dessous,
quelques extraits de sa déclaration à la
Commission européenne le 15 février 2012 :

« … 97 % des entreprises industrielles qui recourent


au HPC considèrent qu’il est indispensable à leur
compétitivité et leur survie… »

« … les supercalculateurs fabriqués aux États-Unis


accaparent 95 % du marché de l’Union… »

« … garantir à l’Union européenne un accès


indépendant aux technologies, systèmes
et service du HPC… »

« … asseoir la position de l’Union européenne


en tant qu’acteur mondial… »

Jean Gonnord
et Pierre Leca, chef
dernières années en est bien la du Département bouleversements susceptibles de énergie développées pour l’élec-
cause principale. Ainsi, en 2009, des sciences de changer complètement la donne. tronique portative, où l’Europe
sur les 650 millions d’euros dé- la simulation et de Tout d’abord, le développement a une position de leader, vont
pensés dans ce domaine par les l’information du CEA/ de supercalculateurs dotés d’une rapidement devenir des techno-
organismes publics européens, DAM, devant le Bull Tera puissance de calcul exaflopique*, logies de référence pour le HPC.
100, qui est la première
plus de 95 % l’ont été auprès machine petaflopique prévus à l’horizon 2020, ne pourra La maîtrise de la consommation
d’industriels situés hors d’Eu- conçue et réalisée pas se faire sans rupture techno- électrique sera en effet la clé pour
rope ! C’est bien ce déséquilibre en Europe, d’ores et logique profon­ de. Le « Cloud mettre au point les prochaines
que la Commission européenne déjà considéré comme computing » ensuite, tout juste générations de supercalculateurs.
entend aujourd’hui faire dispa- un important succès émergent, qui va révolutionner
raître. Comment ? Notamment en industriel. et démocratiser l’accès au calcul Gouvernance paneuropéenne
aidant les entreprises et les cher- intensif, fera appel à des technolo- Dans ce contexte, la Com-
cheurs dans le secteur du HPC à gies dérivées directement du HPC. mission européenne affiche un
maintenir une chaîne d'approvi- L’explosion des données objectif ambitieux : tendre vers
sionnement maîtrisée en Europe produites par les industries et un leadership européen à la fois
et à la pointe du progrès. EXAFLOPIQUE les scientifiques également, à la- dans le domaine de la fourni-
Pour l’Europe, c’est le moment Se dit d’une machine quelle on assiste aujourd’hui ira ture des technologies que dans
où jamais de rattraper son retard. capable d’effectuer de pair avec des moyens impor- leur utilisation. Pour cela, elle
1 milliard de milliards
Le calcul intensif est en effet sur d’opérations par tants de stockage issus du HPC. souhaite installer une gouver-
le point de connaître de grands seconde. Enfin, les technologies de basse nance paneuropéenne basée sur

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


deux piliers. D’un côté, la plate- Les experts
forme technologique baptisée d’ETP4HPC préparent
ETP4HPC (European Technology un programme
Platform for HPC), pilotée par des de recherche sur
les technologies
industriels européens du secteur, du calcul haute
associés à six grands laboratoires performance (matériel
européens – notamment le CEA –, et logiciel) à l’horizon
sera chargée de garantir « un accès 2014-2020. Élaborée
indépendant aux grands systèmes par des industriels
et organismes de
informatiques et à leurs services ». recherche du domaine,
De l’autre, l’infrastructure Prace cette feuille de
(Partnership for Advanced Com- route sera soumise
puting in Europe), sous prési- à la Commission
dence française pour deux ans, et Européenne à la
qui a pour mission de donner à la fin 2012, dans le
but de lancer des
recherche européenne l’accès à programmes renforçant
des ressources informatiques de la compétitivité et la
niveau mondial. position des industriels
14 européens dans
La France en fer de lance ce domaine.
NOUVEAUX HORIZONS

Ces idées, que le CEA a ini-


tiées et portées depuis plus de
quinze ans, montrent que le
jeu est ouvert et que l’Europe
conserve une réelle chance de
rétablir sa position. Pour cela, le
Vieux Continent pourra compter
sur la France, seul pays européen
à maîtriser l’ensemble des com-
posantes du HPC : la recherche
et le développement avec le CEA
dr

grâce à son programme de dé-


fense – le CEA garantit la fiabilité
et la sûreté des armes nucléaires
par la seule simulation – et à son
expertise en micro-électronique ;
Un leadership
la conception et la réalisation
de supercalculateurs de niveau européen
mondial, comme le Tera 100 ou
Curie, avec l’industriel Bull ; l’uti-
lisation avec des initiatives qui f Jean-François Lavignon
amplifient cette dynamique (le président de l’ETP4HPC (European Technology Platform
pôle de compétitivité SYSTEMA- for High Performance Computing)
TIC, Ter@tec, l’IRT SystemX).
dr

Bref, un écosystème de calcul


intensif unique en Europe, qui
rassemble de grands laboratoires, La plate-forme technologique indispensable pour que le Vieux Continent devienne
des fournisseurs de technologie, ETP4HPC est l’un des piliers un leader en matière d’utilisation du calcul intensif
des centres de formation et de de la politique européenne et améliore avec ce formidable outil sa compétitivité
recherche. Et qui lui donne une en matière de calcul intensif. industrielle et son leadership scientifique. L’Europe
capacité d’attraction reconnue : En quoi consiste-t-elle ? possède l’ensemble des expertises et compétences
c’est en France qu’Intel a installé J.-F. L. : Née en juin 2012, l’European Technology nécessaires pour concevoir et développer des
son premier laboratoire euro- Platform for High Performance Computing est une supercalculateurs, ainsi que des logiciels au meilleur
péen de recherche pour le calcul structure qui vise à rassembler les grands acteurs niveau mondial. Il est donc possible de mettre en place
intensif. Sans oublier qu’avec industriels et académiques menant des recherches sur notre continent tout un écosystème autour des
le passage à l’exaflops, il faudra et des développements (R & D) sur les technologies technologies HPC extrêmement compétitif et pérenne.
nécessairement revoir en profon- du calcul haute performance, ou HPC, pour High
deur les logiciels permettant aux Performance Computing, en Europe. Elle a été créée Comment y parvenir ?
machines de fonctionner. L’école par sept grands industriels du secteur informatique, J.-F. L. : Pour atteindre cet objectif, nous préparons
française, reconnue comme l’une dont Bull, des PME et six centres de recherche, dont une feuille de route qui définira les priorités en
des meilleures du monde dans le le CEA. Et d’autres les rejoignent actuellement. matière de R & D sur l’ensemble des technologies
domaine des mathématiques du calcul haute performance. Ce document est
appliquées et de l’algorithmique, Quel est l’objectif de la plate-forme conçu à partir de l’expertise des membres de l’ETP
devrait ainsi tirer son épingle du ETP4HPC ? et tiendra compte des besoins exprimés par les
jeu. La France peut donc appor- J.-F. L. : Son but principal est de développer en communautés d’utilisateurs du HPC, scientifiques
ter beaucoup à la nouvelle poli- Europe les technologies nécessaires au HPC, des comme industriels. Il servira de base pour établir
tique européenne. Pour les prési- composants matériels aux logiciels, en passant les objectifs du futur programme de R & D qui sera
dences de Prace et de ETP4HPC, par les services, dont l’accès à des ressources de lancé en Europe, dont l’ambition est de disposer de
voilà une belle feuille de route en calcul, l’optimisation des codes de calcul, etc. C’est machines exaflopiques à l’horizon 2020. z
perspective ! z

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


Curie mise
énergies alternatives (CEA) dans
son Très grand centre de calcul de
Bruyères-Le-Châtel (91), est l’une

sur la polyvalence
des machines les plus polyva-
lentes en son genre. Mis à la dis-
position des chercheurs français
et européens en mars dernier,
Curie a été conçu pour couvrir
Mis à la disposition des chercheurs français et européens depuis une très grande palette de thé-
matiques scientifiques. Sa perfor-
mars 2012, le supercalculateur Curie a été conçu pour couvrir une mance mesurée à 2 petaflops l’a
très grande gamme de domaines scientifiques. Une polyvalence placé au mois de juin au 9e rang
unique qui le distingue des autres machines mais qui ne l’empêche des cinq cents ordinateurs les
plus puissants du monde, mais il
pas pour autant de figurer parmi les ordinateurs les plus puissants se classerait probablement dans
de la Planète. les cinq premiers si l’on ramenait
sa performance au regard de sa
polyvalence.
Pour faciliter l’utilisation 15
de Curie par un maximum de

NOUVEAUX HORIZONS
omprendre l’évolution supercalculateur Curie tentera scientifiques, la machine a été
du climat ou de l’Uni- de relever dans les années qui bâtie avec des logiciels libres et
vers, prévenir les risques viennent. Il faut dire que le der- des composants de grande dif-
naturels, diagnostiquer la nier supercalculateur de Genci fusion. C’est l’architecture très
maladie d’Alzheimer ou certains (Grand équipement national de répandue des microprocesseurs
cancers, développer des énergies calcul intensif), développé par le X86 d’Intel qui a été retenue. Le
propres, concevoir de nouveaux constructeur français Bull et pi- supercalculateur s’intègre ainsi
matériaux… La liste est longue loté par les équipes du Commis- Vue du supercalculateur parfaitement à l’environnement
des défis scientifiques que le sariat à l’énergie atomique et aux Curie installé au sein du de stations de travail fonction-
TGCC.

cea/cadam

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


nant sous le système d’exploi- de 144 lames de calcul Bull B505, (1,74 petaflops), est adaptée à
tation Linux et les chercheurs chacun des nœuds étant équipé l’utilisation de codes de calcul
n’ont pas de mal à utiliser sur de deux processeurs à quatre complexes, capables de mobiliser
Curie une méthode numérique cœurs Intel Xeon E5640 qui par- conjointement jusqu’à plusieurs
ou un algorithme préalablement tagent une mémoire de 24 gigaoc- dizaines de milliers de cœurs de
développé sur un simple PC. tets. Ces lames sont dites hybrides calcul.

dr
Les choix ont tenu compte car elles contiennent en plus des Touche finale : les 92 000
de l’évolution technologique des par processeurs graphiques Nvidia cœurs de calcul de Curie sont
microprocesseurs : leur fréquence Stéphane (GPU*) qui sont utilisés pour couplés à un système permet-
– ou vitesse de travail – n’aug- Requena, augmenter la vitesse de calcul. tant de stocker l’équivalent de
mente guère, ce sont leurs cœurs, responsable technique Au total, cet ensemble permet de 50 fois le contenu de la Library of
les unités de calcul élémentaires, de Genci (Grand disposer d’une puissance de plus Congress, la plus grande biblio-
équipement national de
qui se multiplient dans chaque calcul intensif), de 200 téraflops. thèque du monde (15 petaoc-
microprocesseur. Ceux retenus Enfin, la dernière partition, tets) à une vitesse de 250 gigaoc-
pour construire Curie comportent dite à nœuds fins, constitue la tets par seconde, soit 100 000
de quatre à huit cœurs. Plusieurs composante essentielle de Curie, fois supérieure à celle d’une
de ces microprocesseurs sont as- celle qui la distingue des autres connexion ADSL très haut débit.
semblés pour former un système supercalculateurs. Elle rassemble Cette architecture équilibrée, qui
16 multiprocesseur, véritable brique 5 040 lames de calcul Bull B510, combine une puissance de calcul
de base du supercalculateur, ap- chacune étant équipée de deux élevée, une capacité très grande
NOUVEAUX HORIZONS

dr

pelé nœud de calcul dans le jar- processeurs à huit cœurs de de traitement des données et
gon des informaticiens. Au sein de et hervé dernière génération Intel Xeon une grande capacité mémoire
Curie, un nœud peut être rangé à lozach, E5-2680 – baptisé SandyBridge – – plus de 360 téraoctets de mé-
l’horizontale – on parle de ser- qui partagent une mémoire de moire distribuée entre tous les
chargé de mission
veur – ou à la verticale (une lame). « Complexe de calcul » 64 gigaoctets. À la différence des nœuds – est extrêmement rare
Au cours d’une simulation, il s’agit du CEA (Commissariat nœuds larges ou hybrides, cette dans les supercalculateurs. Elle
de répartir au mieux – on dit que à l’énergie atomique partition, dotée d’un très grand est indispensable pour accéder
l’on parallélise – les tâches à réa- et aux énergies nombre de cœurs (80 640) et ainsi très rapidement aux données
liser et les données de calcul sur alternatives). d’une grande puissance de calcul sans ralentir les calculs tout en
un grand nombre de nœuds. Pour
atteindre sa puissance de calcul,
Curie interconnecte ainsi chaque
nœud à plusieurs milliers d’autres
via un réseau très haut débit. f La France en 9e position mondiale
Comme chaque année, en juin et en novembre, le palmarès des cinq cents supercalculateurs
100 000 fois plus vite que l’ADSL les plus puissants du monde – surnommé le Top 500 – est établi sur la base de l'exécution d'un
Grande spécificité de Curie : calcul étalon baptisé Linpack. Le dernier classement de juin 2012 marque le retour en force
son architecture, pensée afin de des pays européens : l'Allemagne avec deux machines, dont Supermuc, la plus puissante
pouvoir répondre aux besoins d'Europe, l'Italie, qui fait ainsi ses débuts parmi les dix premiers du palmarès mondial et la
d’un très grand nombre d’appli- France avec Curie. Le supercalculateur français se classe à la 9e place. La Chine continue sa
Un processeur
cations scientifiques, se décline progression fulgurante avec deux supercalculateurs
graphique, ou Graphics dans le Top 10. Le Japon, à la tête du
en trois différentes tranches classement dans les deux dernièresProcessing
éditions, Unitse fait voler la vedette par les États-Unis et leur
dotées de ressources matérielles supercalculateur Sequoia, loin devant avecest
en anglais, sesun 16,32 petaflops. Les États-Unis restent qui
et logicielles complémentaires. plus est le pays leader incontesté côtéprocesseur dédié au
supercalculateurs installés.
Selon le type de simulation, les calcul de l’affichage. Il
est capable d’effectuer
chercheurs peuvent ainsi utiliser
une des trois parties du supercal- f Le top 10 des supercalculateurs plusieurs tâches en
parallèle.
culateur.
Une première tranche, dite à
PUISSANCE MESURÉE
rang

nœuds larges, est composée de SITE – pays NOM CONSTRUCTEUR (en petaflops)
90 serveurs Bull S6010, chacun
étant équipé de 16 processeurs DOE/Lawrence Livermore National
1 Laboratory - Californie, États-Unis Sequoia IBM 16,32
à huit cœurs Intel Xeon X7560
qui partagent une mémoire de RIKEN Advanced Institute for
2 Computational Science - Japon Super K Fujitsu 10,51
512 gigaoctets. Ces nœuds, dotés
d’une forte densité de calcul et de DOE/Argonne National Laboratory -
3 Illinois, États-Unis Mira IBM 8,16
mémoire, sont destinés aux ap-
plications ayant un parallélisme 4 Leibniz Rechenzentrum - Allemagne Supermuc IBM 2,9
limité mais nécessitant des capa-
cités mémoire très importantes. 5 National Supercomputing Center - Tianjin, Chine Tianhe-1A NUDT 2,57
Ils peuvent aussi être utilisés pour
6 DOE/Oak Ridge National Laboratory - Tennessee, États-Unis Jaguar Cray 1,94
générer des maillages et analyser
les résultats de calculs exécutés 7 Cineca - Italie Fermi IBM 1,72
sur les autres partitions de Curie.
Au total, cette tranche représente 8 Forschungszentrum Juelich - Allemagne Juqueen IBM 1,38
un ensemble de 11 520 cœurs de
9 CEA/TGCC-GENCI France Curie Bull 1,36
calcul pour une puissance de
105 téraflops. National Supercomputing Centre -
10 Shenzhen, Chine Nebulae Dawning 1,27
Une seconde partie, dite à
nœuds hybrides, est constituée

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


CNRS Photothèque / Cyril Frésillon

17

NOUVEAUX HORIZONS
étant capable de stocker les résul- allant du portage de l’applica- Vue du système Associant 24 pays au total, Prace
d’archivage des
tats des simulations qui peuvent tion sur le calculateur jusqu’au données produites par anime aujourd’hui un réseau de
générer jusqu’à plusieurs cen- transfert des résultats des calculs Curie sur des bandes plusieurs centres de calcul équi-
taines de téraoctets chacune. (stockage, archivage des don- magnétiques. pés de supercalculateurs d’une
Pouvoir maîtriser la consomma- nées, traitement et visualisation puissance au moins égale à 1 pe-
tion d’énergie, problème majeur des résultats), en passant par taflops, dont Curie.
de ces installations d’envergure, a toutes les étapes intermédiaires : Mis en place en deux phases,
été l’une des grandes préoccupa- recherche de la meilleure répar- entre la fin 2010 et la fin 2011,
tions des concepteurs de Curie. tition des tâches sur les cœurs, Curie est aujourd’hui entière-
suggestion de pistes pour amé- ment installé et sa configura-
Déjà des avancées majeures liorer la performance du code tion a été testée avant que son
Parmi les principales innova- de calcul… Au total, ce sont plus accès soit totalement ouvert aux
tions, un dispositif de refroidisse- de 40 personnes qui contribuent scientifiques européens, pré-
ment à eau glacée installé dans les quotidiennement à l’exploita- cisément le 8 mars 2012. Dans
portes des armoires comportant tion et au maintien en condition cette ultime phase de test, le bon
plusieurs centaines de cœurs de opérationnelle du calculateur fonctionnement du supercalcu-
calcul chacune. À cela s’ajoute le et de son environnement, à lateur a été vérifié en exécutant
fait que Curie se compose essen- cette échelle inédite de plus de des simulations de très grande
tiellement de lames de calcul 5 500 nœuds de calcul. taille sur la quasi-totalité de ses
– verticales –, a permis de rendre Avec Curie, dont l’investis- composants. Cette période dite
l’installation compacte. Le calcu- sement représente 100 millions de « Grands challenges » a d’ores
lateur n’occupe que 200 m² au sol, d’euros sur cinq ans, la France GPU et déjà permis aux chercheurs
De l’anglais Graphics
soit trois fois moins que les su- tient ainsi ses engagements Processing Unit. Un de réaliser des avancées scienti-
percalculateurs de la génération auprès de l’infrastructure euro- processeur graphique fiques majeures. Avec plusieurs
précédente. Ce refroidissement péenne de recherche Prace est un circuit intégré dizaines d’autres projets scienti-
au plus proche du dégagement (Partnership for Advanced Com- présent sur une carte fiques actuellement en cours, de
graphique assurant
de chaleur améliore l’efficacité puting in Europe), dont elle est les fonctions de calcul nombreuses autres découvertes
énergétique du centre de calcul. un des membres fondateurs. d’affichage. ne sauraient tarder. z
Par ailleurs, l’utilisation des
processeurs Intel E5-2680, qui,
à consommation équivalente,
peuvent effectuer deux fois plus
d’opérations à la seconde, a aussi f Une machine ouverte
permis de réduire la facture élec- L’accès à la machine Curie est simple : elle est utilisable pour 80 % de ses ressources
trique. Au total, Curie consomme par les chercheurs de toute l’Europe, français y compris, académiques comme
3,2 mégawatts, soit, à puissance industriels, pour des travaux de recherche ouverte – civile uniquement –, dans le
de calcul égale, deux fois moins cadre d’appels à projets lancés deux fois par an par Prace, la structure européenne
que les supercalculateurs de la du calcul intensif. Les projets soumis sont évalués techniquement par les centres
génération précédente. de calcul et scientifiquement par un collège d’experts indépendants. Le critère
Pour répondre aux attentes unique de sélection est l’excellence scientifique et l’accès aux ressources, une fois
des scientifiques, le CEA a mis en le projet sélectionné, est gratuit. Les 20 % restants sont réservées aux besoins
place une équipe d’une dizaine français, notamment via les appels à projets organisés deux fois par an par Genci,
d’experts spécialisés, sollicités sur des critères similaires à ceux de Prace.
pour résoudre des problèmes

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


Les PME aussi se tournent
vers le calcul intensif
Les grandes entreprises misent depuis longtemps sur les supercalculateurs pour se passer
des processus classiques d’expérimentation et ainsi réduire le temps de développement
et le coût de leurs produits. Jusqu’ici peu familières du calcul intensif, les PME commencent
enfin à l’adopter. Avec de beaux succès. Illustration avec la société nantaise HydrOcean,
spécialisée dans la simulation numérique des écoulements fluides.
18

L
NOUVEAUX HORIZONS

a modélisation numé- lors que les maillages dépassent Depuis plus de dix ans,
rique prend une place plusieurs dizaines ou plusieurs l’École centrale de Nantes, sou-
de plus en plus impor- centaines de millions de cellules. tenue par sa start-up HydrOcean
tante dans le monde Depuis plusieurs années, des créée en 2007 et spécialisée dans
industriel. C’est le cas notam- équipes de recherche travaillent la simulation numérique des
ment en mécanique des fluides, donc au développement de écoulements de fluide, déve-
dr

discipline qui permet entre nouvelles méthodes numé- loppe le logiciel SPH-flow. Il
autres d’améliorer l’aérodyna- par Erwan riques capables de supprimer est aujourd’hui l’un des codes
mique des avions et l’hydrody- Jacquin, ces inconvénients. Parmi elles, SPH les plus avancés en termes
namique des bateaux. Dans ce président de la PME l’une des plus prometteuses est de fonctionnalités. Cependant,
domaine, les logiciels de calcul HydrOcean à Nantes. la méthode baptisée Smoothed à précision équivalente, cette
complètent, voire pour certaines Particle Hydrodynamics (SPH). méthode peut parfois avoir un
applications remplacent les es- Pour résoudre les équations de coût de calcul supérieur aux
sais réels. Grâce à la simulation, la mécanique des fluides, elle méthodes classiques – comme
on peut ainsi étudier, optimiser fait appel à des particules qui se celle des volumes fi­nis –, ce qui
ou encore limiter les risques de déplacent au sein de l’écoule- a longtemps limité son utilisa-
conception, tout en augmentant ment. Ainsi, les particules sont tion. Mais la parallélisation du
les capacités d’innovation. libres d’évoluer dans le fluide, ce code sur les supercalculateurs
Ces vingt dernières années, qui rend possible la simulation ouvre désormais de nouvelles
les principaux travaux de re- d’objets en mouvement à la géo- perspectives.
cherche et développement réa- métrie complexe et déformable Ainsi, dans le cadre du pro-
lisés en mécanique des fluides ou de mélanges de fluides. jet européen NextMuse, une
ont porté sur des méthodes
numériques visant à résoudre
les équations de Navier-Stokes
qui décrivent la dynamiques
des écoulements. Parmi ces mé- f Le calcul intensif à la portée
thodes, celle dite des « volumes  de toutes les entreprises
finis » s’est imposée comme une
référence. Elle permet de réali- Démocratiser les technologies du calcul intensif et contribuer à ce que les entreprises
ser sur des maillages – on divise et les PME créent grâce à elles de nouveaux usages et offrent de nouveaux services,
l’espace en un grand nombre c’est l’objectif du projet NumInnov. Porté par Bull, ce projet bénéficie du soutien de l’État
d’éléments géométriques élé- dans le cadre des « Investissements d’avenir ». Il vise à créer un opérateur indépendant
mentaires – des simulations fia­ de services de calcul intensif en mode Cloud Computing : les entreprises pourront
bles et précises et d’étudier des disposer via Internet de puissance de calcul, de logiciels et de services selon leurs
objets à la géométrie complexe besoins  précis, au moment où elles le souhaitent. Le calcul intensif se met ainsi à l’ère
rencontrés dans l’industrie. de « l’informatique en nuage ». Et plutôt que d’investir dans l’acquisition et la mise
C’est pourquoi cette méthode en oeuvre de centres de calcul, très coûteux, les entreprises pourront bénéficier de
est utilisée par la plupart des ou- puissance de calcul payée à l’utilisation. Avec le Cloud Computing, tout le monde aura
tils de simulation généralistes du droit à la puissance. De nouveaux usages vont apparaître. Pour accélérer leur
marché. Elle comporte cepen- développement, l’ambition de NumInnov est de réunir des éditeurs de logiciels et des
dant plusieurs limitations : l’uti- spécialistes des multiples domaines concernés : la santé par exemple, avec la médecine
lisation d’un maillage fait qu’on à distance et le traitement d’image, ou la protection civile avec la gestion de crise.
ne peut pas réaliser simplement NumInnov associe déjà vingt cinq PME autour de Bull. Avec d’un côté NumInnov qui
de simulation de corps au mou- donne accès à des ressources de calcul à la demande et de l’autre l’initiative HPC-PME
vement complexe ou de corps qui fournit conseils et services aux PME pour qu’elles puissent évaluer ce que le calcul
déformables, ou encore de mé- intensif peut apporter à leur croissance, l’innovation va véritablement être à la portée
langes complexes de fluides. Qui de toutes les entreprises.
plus est, ces simulations sont très
coûteuses en temps de calcul dès

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


f accompagnement sur mesure
Portée par Genci, Inria et Oseo, l’initiative HPC-PME a pour objectif
d’aider les PME à évaluer et démontrer les gains de productivité
et de compétitivité qu’elles obtiendraient en utilisant le calcul
intensif. Lancée en 2010, cette action est menée en partenariat

hydrocean
avec cinq pôles de compétitivité : Aerospace Valley (aéronautique,
espace), Axelera (chimie et environnement), Minalogic (solutions
miniaturisées intelligentes pour l’industrie) et Systematic
(systèmes complexes) et Cap Digital (contenus et services
numériques). Pour accompagner les PME dans leur approche
du calcul intensif, les compétences de chaque partenaire
sont mobilisées en fonction des besoins exprimés : expertise
technologique, formation, accès aux ressources de calcul,
enjeux économiques et financiers. Plus d’une vingtaine de PME
bénéficient actuellement de ce programme d’accompagnement. 19
Couvrant l’ensemble du territoire national, elles sont issues de

NOUVEAUX HORIZONS
domaines aussi divers que l’automobile, l’industrie maritime, les
biotechnologies, la microélectronique ou encore l’aéronautique.

1 Pour en savoir plus : www.initiative-hpc-pme.org

Grâce au logiciel
SPH-flow, des
simulations mettant
en jeu des écoulements
de fluide complexes
sont réalisées sur
un supercalculateur
efficacité de 95 % a été obte- dans des temps
nue pour un calcul mettant en de calculs compatibles 2
jeu 3 milliards de particules sur avec les contraintes
les 32 000 cœurs de la machine industrielles.
suisse Monte Rosa du CSCS Comme la simulation
(Swiss National Supercompu- d’un pneumatique
en aquaplaning (1),
ting Centre). Une performance l’amerrissage
exceptionnelle qui rend au- d’un hélicoptère (2),
jourd’hui possible des simu- ou la simulation de
lations très compliquées, et ce l’impact d’un radeau
dans des temps de calcul com- de survie sur l’océan (3).
patibles avec les contraintes
industrielles.

hydrocean
Le logiciel SPH-flow, déve-
loppé par HydrOcean et l’École
centrale de Nantes, permet au-
jourd’hui, grâce à l’utilisation du
calcul parallèle, de réaliser cer- 3
taines simulations hors de por-
tée d’outils généralistes, que ce
soit en termes de complexité des
phénomènes physiques mis en
jeu et de précision dans la des-
cription de l’écoulement. Pour
aller plus loin encore, HydrO-
cean est soutenu aujourd’hui
par Genci, Inria et Oseo dans le
cadre du dispositif HPC-PME
pour utiliser SPH-flow sur des
supercalculateurs dotés de pro-
cesseurs graphiques (GPU*).
À la clé : réduire les temps de
GPU
calcul d’un facteur 10, voire 20, De l’anglais Graphics
et ouvrir de nouvelles perspec- Processing Unit. Un
tives d’applications industrielles processeur graphique
dans les domaines de l’aéronau- est un circuit intégré
présent sur une carte
hydrocean

tique, des transports, des pro- graphique assurant


cédés industriels ou encore de les fonctions de calcul
l’ingénierie biomédicale. z d’affichage.

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


Le futur de la simulation
numérique se joue
dès aujourd’hui
En 2020, les supercalculateurs seront mille fois plus puissants que les machines actuelles.
Pour les exploiter au maximum de leurs capacités, les logiciels de simulation numérique
devront être repensés. Dans ce but, Inria, l’Institut de recherche français en sciences
du numérique, vient de lancer le projet C2S@Exa qui réunit une trentaine de spécialistes
20 du calcul haute performance.
NOUVEAUX HORIZONS

L
es supercalculateurs peta- voir. Car les informations devront tiques appliquées qui développent
flopiques commencent être traitées en parallèle, c’est-à- des outils de calcul numériques,
à peine à entrer en ser- dire simultanément sur tous les et des informaticiens spécialistes
vice que les acteurs du cœurs. Cela pose des questions du calcul haute performance qui
calcul intensif pensent déjà à en termes de programmation. conçoivent des logiciels permettant
leurs successeurs : les machines Les logiciels de simulation actuels d’exploiter au mieux les caractéris-
exaflopiques, mille fois plus puis- devront être adaptés. tiques matérielles de ces nouvelles
santes, capables d’effectuer un architectures massivement paral-
milliard de milliards d’opérations  athématiciens
M lèles. Une démarche encore trop
par seconde. C’est en 2020 que les et informaticiens peu répandue mais essentielle
premières d’entre elles devraient main dans la main pour relever le défi de l’exaflops »,
faire leur apparition. Ce sera une C’est pour répondre à ces souligne Stéphane Lanteri, res-
véritable révolution pour les scien- enjeux qu’Inria, l’institut de re- ponsable du projet.
tifiques qui vont pouvoir s’attaquer cherche français en sciences du De cette collaboration de-
à des problèmes bien plus com- numérique, vient de lancer le pro- vraient naître des logiciels de
plexes et réaliser des simulations jet C2S@Exa – acronyme anglais simulation repensés pour les
beaucoup plus réalistes. de Calcul très haute performance calculateurs exaflopiques. « Dans
Revers de la médaille : parce pour les sciences computation- la plupart des cas, les logiciels
que leur architecture interne sera nelles. Objectif : réunir des cher- existent déjà mais s’ils étaient
plus compliquée, ces monstres cheurs aux spécialités multiples utilisés bruts, ils ne fourniraient
du calcul seront plus difficiles à pour mettre en œuvre des simu- pas un rendement suffisant par
utiliser. En effet, si les machines lations numériques complexes de rapport à la puissance théorique
actuelles sont constituées d’envi- très grande taille qui exploiteront de ces machines, explique le cher-
ron 100 000 cœurs de calcul – ces le plus efficacement possible les cheur d’Inria. Notre objectif sera Modélisation des deux
ventricules du cœur
unités de traitement situées au très grandes capacités de traite- de rendre ces outils beaucoup et de l’architecture
sein des processeurs –, les calcu- ment et de stockage des données plus performants. Tout en gar- des fibres cardiaques
lateurs de demain en possèderont des futurs supercalculateurs. « Il dant une simplicité d’usage, afin à partir d’images
un million. La façon d’effectuer s’agira de faire travailler ensemble qu’ils restent utilisables par tous médicales dans le cadre
les calculs n’aura alors plus rien à des spécialistes des mathéma- les scientifiques. » Déjà, les prin- du projet d’Inria baptisé
Cardiosense3D.

f Réunir des chercheurs


 d’horizons différents
Le projet C2S@Exa fait partie des Actions d’envergure d’Inria. Lancées en petit nombre
– neuf en cours actuellement – pour une durée de quatre ans, ces initiatives s’organisent
autour de sujets de recherche majeurs sur lesquels Inria a décidé de consacrer davantage
de moyens. Multidisciplinaires, elles rassemblent des chercheurs aux compétences variées
au sein même d’Inria mais font aussi appel à des partenaires extérieurs, académiques ou
industriels. Les problématiques abordées par ces actions sont extrêmement variées, depuis
la simulation du fonctionnement du coeur pour mieux comprendre certaines pathologies
cardiaques jusqu’au développement de technologies d’assistance aux personnes âgées
Inria/ ASCLEPIOS

ou dépendantes en passant par l’étude par des outils informatiques de la croissance des
bactéries dans l’espoir de mettre au point de nouveaux médicaments.

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


INTER Organization, CEA et Huijsmans Guido
21

NOUVEAUX HORIZONS
Pour mettre au
cipaux verrous à faire sauter ont point des réacteurs scientifiques étudient la possibi- longs – jusqu’à plusieurs cen-
été identifiés par la trentaine de à fusion (image de lité de les enfouir en profondeur taines de milliers d’années.
chercheurs du projet C2S@Exa. droite, Iter vu en dans le sous-sol et tentent de dire Pour atteindre cet objectif, les
Les logiciels devront être capables coupe), il faudra pendant combien de temps ils mathématiciens et informaticiens
de distribuer au mieux les tâches simuler très finement pourront y être stockés, dans des de C2S@Exa travailleront main
à effectuer entre tous les cœurs de le comportement de containers spécifiques, sans dan- dans la main avec le CEA – pour
la matière (image de
calcul des machines en réduisant gauche en couleur) ger. « Ces deux problèmes pour- la fusion – et avec l’Agence natio-
au maximum le mouvement des chauffée à plus de ront être résolus uniquement en nale pour la gestion des déchets
données – le principal frein à la 100 millions de degrés. mettant au point des simulations radioactifs (Andra). Il s’agira alors
performance du calculateur. Ils numériques de très grande taille », d’améliorer les logiciels de simu-
devront également sauvegarder explique Stéphane Lanteri. En lation déjà utilisés par ces deux
les données au cours de l’exécu- effet, dans le cas de la fusion, les organismes mais pas encore
tion des calculs pour que celles-ci phénomènes sont extrêmement adaptés à l’exaflops. Et ce n’est
ne soient pas perdues si un com- complexes et font appel à un jeu pas tout. « Les outils que nous
posant de la machine tombe en d’équations mathématiques très mettrons au point pour ces deux
panne – on estime que les calcu- compliqué qui génèrent un fan- premiers défis scientifiques pour-
lateurs exaflopiques connaîtront tastique volume de données à trai- ront être adaptés à de nombreuses
une panne toutes les heures. Il leur ter. Et pour les déchets radioactifs, autres problématiques majeures,
faudra enfin prendre en compte la difficulté vient du fait qu’il faut depuis le risque sismique jusqu’à
l’aspect « hybride » des machines prendre en compte toutes les la conception aérodynamique des
de demain qui seront composées interactions à toutes les échelles avions en passant par la modélisa-
de plusieurs types de processeurs de taille, depuis celle du kilomètre tion du cerveau », s’enthousiasme
aux caractéristiques radicalement pour les roches jusqu’à celle du Stéphane Lanteri. Avec les bons
différentes. centimètre pour le container ren- outils, la simulation n’aura pas de
fermant les éléments radioactifs, limite. z
 es problèmes
D et ce sur des temps extrêmement Pierre Mira
qui touchent la société
Dans un premier temps, les
chercheurs d’Inria se penche-
ront sur deux problématiques
scientifiques touchant de près la
société : la fusion nucléaire, source
d’énergie extrêmement promet-
teuse dans le futur, et le stockage
des déchets radioactifs générés
par les centrales nucléaires. Pour
la fusion, l’un des grands enjeux Pour
sera de confiner la matière chauf- évaluer le risque
fée à plus de cent millions de posé par le stockage
degrés bien au centre du réac- des déchets radioactifs
teur pour éviter qu’elle endom- en profondeur, la
simulation numérique
mage les parois. Pour les déchets à toutes les échelles
nucléaires de haute activité et de de taille sera
moyenne activité à vie longue, les incontournable. Andra

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


grands
défis

22
Les modèles par
Sébastien
Masson,

climatiques
Christophe
grands défis

Hourdin
et Rachid
Benshila

gagnent du Laboratoire
d’océanographie et du
climat : expérimentations
et approches numériques

en précision
(Paris),

Éric
Maisonnave, 
ingénieur de recherche
Les supercalculateurs permettent aujourd’hui au Centre européen de
variations. Il est donc impératif
de simuler le climat sur l’ensemble de notre planète recherche et de formation de mieux les prendre en compte
avancé en calcul
à une échelle de 10 kilomètres contre 100 kilomètres scientifique (Cerfacs) de pour améliorer la précision des
il y a peu. Mal reproduits, voire absents jusqu’ici Toulouse, modèles.
dans les modèles climatiques, les phénomènes à Avec l’arrivée des supercal-
et Yann culateurs petaflopiques, dont
petite échelle, qui jouent pourtant un rôle important, meurdesoif, la puissance de calcul permet
ingénieur au Laboratoire
peuvent ainsi être pris en compte. des sciences du climat d’atteindre une résolution de
et de l’environnement 10 km, il est désormais possible
(Gif-sur-Yvette - Essonne). de s’attaquer à ce problème.
Notre équipe vient de réaliser

L
a compréhension du cli- mosphère et des océans (tem- des simulations du climat global
mat et de ses variations pératures, précipitations, vents, sur la machine Curie de Genci,
passées, actuelles et à courants…) sur un maillage de installée au Très grand centre
venir est l’un des enjeux points répartis sur l’ensemble de de calcul du CEA, à Bruyères-
scientifiques majeurs de notre ce globe reconstitué. le-Châtel (Essonne). Objectif :
siècle. Dans cette quête, la si- Actuellement, la puissance identifier les phénomènes clés
mulation est devenue un outil de calcul des superordinateurs qui sont mal représentés voire
indispensable. Cette démarche limite la densité de ce maillage absents dans les modèles de
permet, en effet, de mieux à environ 100 km pour des simu­
comprendre les mécanismes lations du climat global de la
qui régulent le climat et ainsi Planète sur plusieurs centaines
de faire des prévisions sur des d’années – celles utilisées pour
échelles de temps allant de la les scénarios de changement cli- Étape 1: configuration à 27km
saison (rigueur des hivers, antici- matique. Tous les phénomènes
pation de période de sécheresse à plus petite échelle (tourbil­
ou d’inondation...) à quelques lons océaniques, nuages...) ne
siècles, dans le cas des scénarios peuvent pas être reproduits
de changement climatique. fidèlement. C’est là la source
Les modèles climatiques, majeure d’incertitude des mo-
qui font appel aux équations de dèles climatiques. En effet, les
la mécanique des fluides et de la scientifiques savent que cer-
thermodynamique, consistent tains processus à petite échelle
à recréer en quelque sorte une (inférieurs à 10 km) peuvent se
planète virtuelle. Ils permettent répercuter sur le climat de notre
alors de calculer l’état de l’at- planète et donc participer à ses
Étape 2: zoom à 9km dans l’ocean et l’atmosphère
N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs
vents, la couverture nuageuse et question à ce niveau de détail.
les précipitations sur la totalité de Pour d’autres, seules les zones
la ceinture tropicale qui recouvre côtières clés à l’intérieur de ces
environ la moitié de la Planète. régions (le Pacifique sud-est par
Des études récentes ont suggéré exemple) ont été reproduites
qu’il serait possible d’améliorer avec cette très grande résolution.
significativement nos modèles si Les données issues de notre

S. Masson (LOCEAN-IPSL)
l’on parvenait à mieux reproduire modèle (température, vents,
ce phénomène. courants, précipitations…) se-
Pour atteindre cet objectif, ront par la suite comparées aux
deux modèles différents déve- mesures faites sur le terrain ou
loppés depuis plus de vingt ans obtenues par satellite. On pour-
et déjà utilisés par des milliers de ra alors quantifier précisément
Détail sur un chercheurs à travers le monde dans quelle mesure l’augmen-
cyclone au large de la
S. Masson (LOCEAN-IPSL)

– et qui sont parmi les plus per- tation de la résolution spatiale
Réunion. Les couleurs
représentent la formants existants – ont été du modèle a permis d’accroître
couverture nuageuse. combinés en un seul et même sa précision. Il s’agira notam- 23
Simulation réalisée modèle : un modèle atmosphé- ment de savoir s’il faut mener
sur le supercalculateur rique de prévision météorolo- des simulations jusqu’à 9 km de
Curie avec une gique et climatique, baptisé WRF résolution pour l’ensemble des

grands défis
configuration à très
haute résolution (9 km)
et adapté à un large éventail d’ap- régions étudiées ou si l’on peut
sur l’ensemble du Globe plications à des échelles allant de se contenter de cette très grande
entre 45° S. – 45° N. quelques mètres à des milliers de précision uniquement pour les
kilomè­tres, et un modèle océa- zones côtières sans trop altérer
nique bap­tisé Nemo, utilisé pour la précision du modèle. Si c’est
la recherche océanographique le cas, cette approche novatrice
ainsi que les études climatiques, permettra alors de gagner un
référence pour la modélisation précieux temps de calcul.
de l’océan en Europe. Les deux
Étape 1: configuration à 27km
modèles ont été couplés grâce Mieux décrire
au logiciel OASIS3-MCT utilisé la variabilité du climat
pour assembler tous les modèles La finesse des phénomènes
climat et quantifier dans quelle de climat développés en Europe. que nous avons réussi à repro-
mesure leur prise en compte duire grâce à ces premières
permet d’améliorer ces modèles. Une finesse d’analyse simulations (voir sur ci-dessus
jamais atteinte à gauche les cyclones ou encore
Suivre de près Une fois ce travail accom- les structures au sein des amas
les remontées d’eau froide pli, une série de simulations a de nuages au-dessus de l’Indoné-
Plus particulièrement, les pu être effectuée sur près de sie par exemple) dépasse de loin
efforts ont été concentrés dans 10 000 cœurs de calcul de la ma- tout ce qui a été fait dans le do-
des régions bien précises : cer- chine Curie, pour des régions maine jusqu’à présent. Les simu-
taines zones côtières des océans du Globe situées entre 45° de lations sur Curie constituent une
PacifiqueÉtape 1: configuration
et Atlantique le long à 27km latitude sud Étape 2: de
et 45° zoom à 9km dans
latitude l’ocean
étape et pour
cruciale l’atmosphère
notre projet,
desquelles sont piégées des re- nord, dans lesquelles la résolu- ne serait-ce que pour démontrer
montées d’eaux froides vers la Simulations du climat tion spatiale a progressivement la faisabilité et la pertinence de
surface. Le phénomène qui se avec une résolution été augmentée jusqu’à ce qu’elle ce type d’approche. Plus qu’un
produit dans ces régions, repré- de 27 km à 9 km, atteigne 9 km (voir ci-dessous). aboutissement, elles marquent
sentant pourtant moins de 1 % soit sur l’ensemble Une première mondiale ! Pour le début d’un long travail d’ana-
de la surface de la Terre, a des du domaine, soit
dans des régions clés
certaines simulations, notre lyse. Avec à la clé une meilleure
conséquences sur l’ensemble du (comme le Pacifique équipe a choisi de représen- description du climat et de sa
Globe : il a une influence sur les sud-est) pour le climat ter la totalité des régions en variabilité.  z
à grande échelle.

Étape 2: zoom à 9km dans l’ocean et l’atmosphère Étape 3: configuration à 9km


S. Masson (LOCEAN-IPSL)

Étape 3: configuration à 9km


supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469
Les supercalculateurs
décryptent
la chimie du vivant
Pour mieux comprendre comment les pathologies telle que
la maladie d’Alzheimer se déclenchent, les scientifiques
modélisent les molécules du vivant impliquées dans
le processus. La simulation numérique est devenue un
24 passage obligé pour orienter la recherche vers les bons
traitements thérapeutiques.
grands défis

A
u cœur des êtres vivants,
les interactions entre les
molécules – protéines,
acides nucléiques, lipides,
sucres… – assurent les fonctions
vitales de l’organisme. Pour mieux
comprendre les relations entre ces
briques élémentaires du vivant, la
simulation numérique est deve-
nue un outil incontournable. Il
s’agit pour les scientifiques de mo- Représentation
déliser des systèmes comportant des trajectoires des
plusieurs milliers d’atomes, de électrons (points blancs
prédire les forces qui s’établissent et gris) obtenues par cule sont importantes et plus les mique. Au cœur de ces modèles,
entre ces atomes – les interac- simulation QMC dans chances de réparer la fonction dé- la partie délicate à décrire est la
le peptide ß-amyloïde
tions – et d’estimer avec précision (traits en couleurs) fectueuse de cette biomolécule et partie quantique. Les échanges
leur comportement collectif. Au- impliqué dans la donc d’aboutir à un médicament d’électrons à l’origine des liaisons
delà de la compréhension fonda- maladie d’Alzheimer. efficace sont grandes. chimiques et des interactions se
mentale des phénomènes en jeu, L’analyse de la nature Pour simuler le comporte- doivent d’être reproduits exac-
la démarche est essentielle pour et de la fréquence des ment des biomolécules, les cher- tement en résolvant la célèbre
déterminer l’efficacité d’une mo- échanges électroniques cheurs utilisent des modèles basés équation de Schrödinger. Or, il
entre atomes le long de
lécule à visée thérapeutique. En ces trajectoires permet sur les lois microscopiques de la s’agit d’une équation extrême-
effet, plus les interactions entre de déterminer les mécanique quantique et les lois ment difficile à résoudre car des
cette molécule et une biomolé- propriétés quantiques. statistiques de la thermodyna- milliers d’atomes, donc des mil-

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


grand que l’on souhaite, chaque
processeur travaillant indépen-
damment des autres. Pourquoi ?
Parce que la simulation peut être
découpée à loisir en un ensemble
de trajectoires électroniques indé-

dr
pendantes. Une propriété unique
pour exploiter harmonieuse-
ment l’ensemble des processeurs
et qui fait toute la force de cette

schémas : CNRS- Caffarel , Scemama


méthode.

Au cœur de la chimie 

dr
du vivant par Michel
En décembre 2011, cette ap- Caffarel et
proche a fait ses preuves sur la Anthony
machine Curie de Genci, installée Scemama,
au Très grand centre de calcul du du Laboratoire de
CEA, à Bruyères-le-Châtel (91). Au chimie et physique
25
cours des simulations réalisées sur quantiques de Toulouse
80 000 cœurs de calcul du super-
calculateur, une première étude

grands défis
concernant la chimie de la mala-
die d’Alzheimer a pu être réalisée.
On sait que cette maladie est asso-
Cuivre en interaction avec le peptide
ß-amyloïde (partie active uniquement).
ciée à une dégénérescence du cer-
Les interactions chimiques délicates à décrire veau liée à l’apparition de plaques
sont mises en valeur : liaison-hydrogène composées d’amas de molécules :
(pointillés); force de van der Waals entre les peptides amyloïdes bêta. Com-
les cycles de chaque histidine (tirets) ; prendre pourquoi et comment ces
au centre l’atome de cuivre (en brun). molécules s’agrègent, c’est ouvrir
la voie à des traitements théra­
peutiques pour atténuer voire
liers d’électrons, sont à prendre en (Quantum Monte-Carlo, ou stopper la maladie. Au cœur du
compte. Disposer de méthodes de QMC). Celle-ci propose de simu- phénomène, pensent bon nom­
calcul quantique performantes est ler le monde réel quantique où les bre de scien­tifiques : les liaisons
donc essentiel. électrons possèdent un caractère chi­mi­ques entre ces peptides et
délocalisé*, par un monde fictif des atomes métalliques comme le
Trajectoires électroniques où les électrons suivent des tra- cuivre, le zinc ou le fer. De l’ana-
indépendantes jectoires déterministes similaires lyse des trajectoires des électrons
La méthode de référence en à celles de la mécanique classique produites par les simulations, il va
la matière a pris son essor dans de Newton. Afin de rendre compte être possible de déduire la nature
les années 90 : la DFT (Density de la délocalisation quantique*, de ces liaisons et ainsi mieux com-
Functional Theory), ou théorie de une composante aléatoire est prendre comment la maladie se
la fonctionnelle de la densité, est ajoutée au mouvement des élec- déclenche. Un vrai défi ! Et surtout
une méthode qui exprime les pro- trons. C’est ce caractère aléatoire l’espoir de développer la re-
priétés chimiques des molécules qui donne son nom à la méthode cherche sur cette pathologie pour
en fonction de la densité des élec- Quantum Monte-Carlo : car pour laquelle les essais cliniques sont
trons. Bien que cette approche ne chaque déplacement d’électron, très difficiles à réaliser.
permette de résoudre l’équation on tire au sort un nombre au Grâce aux supercalculateurs
de Schrödinger que de manière hasard comme à la roulette du pétaflopiques comme Curie, il
approchée, elle s’avère être un célèbre casino monégasque. Une est désormais possible d’explorer
bon compromis entre rapidité de méthode relativement simple avec la précision nécessaire les
calcul et précision. Malheureu- mais qui requiert un volume de processus électroniques au cœur Délocalisation
sement, ce caractère approxima- calcul considérable pour faire de la chimie du vivant. Même si quantique
Un atome est formé
tif est délicat à contrôler et peut avancer des milliards de fois les beaucoup reste à faire, c’est un d’électrons gravitant
conduire parfois à des prédictions milliers d’électrons du système ! premier pas important. Les calculs autour du noyau.
qualitativement fausses. Cette tâche colossale nécessite requis sont encore très volumi- La mécanique
C’est pourquoi le Laboratoire des superordinateurs dotés d’une neux et donc difficiles d’accès. quantique indique
de chimie et physique quantiques grande capacité de calcul. Actuel- Mais avec l’arrivée des machines qu’il n’est pas possible
de Toulouse participe depuis lement, la puissance de ces ma- exaflopiques mille fois plus puis- de définir précisément
la position des
plusieurs années au développe- chines repose sur l’utilisation d’un santes d’ici à 2020, on devrait pou- électrons, et la notion
ment d’une méthode de résolu- nombre toujours croissant de pro- voir transformer ces techniques classique d’orbite
tion alternative de l’équation de cesseurs. Or, l’avantage de cette émergentes en un outil d’inves- n’a plus de sens.
Schrödinger, dont l’objectif est dynamique probabiliste basée tigation du vivant accessible à la L’électron est délocalisé
d’être aussi facile à implémen- sur des trajectoires électroniques communauté scientifique la plus dans l’espace et il a
ter pour les systèmes complexes aléatoires est qu’elle est massi- large. Pour que celle-ci trouve ra- simplement une
certaine probabilité
que la DFT mais mieux contrô- vement parallélisable : on peut pidement des traitements théra- de se trouver à
lée et plus précise : une méthode déployer le calcul à effectuer sur peutiques contre les maladies, et un endroit donné à
baptisée Monte-Carlo quantique un nombre de processeurs aussi notamment celle d’Alzheimer. z un instant donné.

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


Limiter les polluants
des réacteurs
en modélisant la combustion
Si l’on veut réduire de façon drastique les polluants émis par les avions, il est indispensable
de comprendre les phénomènes physiques liés à la combustion au sein même des réacteurs.

L
a réduction des émis- avec du carburant pour être brû- turbulent du carburant évaporé
26 sions de polluants est lé dans la chambre de combus- et de l’air, combustion du mé-
devenue une priorité tion, avant la phase de détente à lange en régime partiellement
dans l’aéronautique. En travers les turbines. La chambre prémélangé ou non prémélan-
Europe, les constructeurs de de combustion joue un rôle capi- gé*, échanges thermiques avec
grands défis

moteurs d’avion et d’hélicoptère tal car elle doit brûler de manière les parois, formation de mul-

dr
se sont ainsi engagés à respecter la plus complète et la plus propre tiples polluants tels que les suies,
d’ici à 2020 les normes fixées par possible la totalité du mélange par vincent les oxydes d’azote et les hydro-
le Conseil consultatif pour la re- air-carburant. C’est donc de ses moureau carbures imbrûlés… Sans ou-
cherche aéronautique en Europe performances que dépend la chercheur au blier que la combustion se pro-
(Acare). Dans ce cadre, un avion quantité de polluants émise dans Complexe de recherche duit dans des conditions ex-
interprofessionnel en
construit en 2020 devra par l’atmosphère. aérothermochimie
trêmes, à forte température et à
exemple émettre 80 % d’oxydes (Coria) de Rouen. Prix forte pression pour avoir le meil-
d’azote de moins qu’un appareil Raffiner le maillage Bull - Joseph-Fourier leur rendement thermodyna-
de 2000. Et ses émissions de CO2 Or, concevoir une chambre 2010. mique possible.
devront être réduites de 50 %. de combustion performante est Pour mieux comprendre tous
La clé pour atteindre ces ob- un réel défi technologique et ces phénomènes physiques et
jectifs ambitieux ? Améliorer la scientifique tant les phénomènes ainsi dimensionner de la meil-
chambre de combustion, située qui s’y produisent sont com- Le régime
leure façon les chambres de com-
au cœur même des moteurs. plexes et multiples : injection et partiellement bustion, la modélisation numé-
Dans ces machines tournantes atomisation du carburant liquide prémélangé rique est devenue un passage
de la famille des turbines à gaz, sous forme de fines gouttelettes, correspond à un obligé. Il s’agit là de résoudre par
l’air extérieur est compressé dans évaporation du carburant liquide régime où l’air et le ordinateur les équations de Na-
carburant se mélangent
un premier étage, puis mélangé en carburant gazeux, mélange partiellement avant de
vier-Stokes, qui gouvernent
brûler. En régime non- l’écoulement des fluides turbu-
prémélangé, l’air et le lents et réactifs. On a alors accès
carburant arrivent dans aux champs de température, de
la zone de combustion vitesse et, avec des modèles ap-
de manière séparée. propriés, aux émissions de pol-
luants. Pour réaliser ces simula-
tions, il est nécessaire de diviser la
chambre de combustion en un
grand nombre d’éléments géo-
Visualisation métriques élémentaires, des té-
des zones où l’air traèdres par exemple. L’ensemble
et le méthane de ces éléments est appelé le
prémélangés brûlent
dans une chambre
maillage. Comme en photogra-
de combustion phie, où plus le nombre de pixels
aéronautique. est élevé et meilleure est la réso-
lution de l’image, plus le nombre
d’éléments du maillage est im-
portant et meilleure est la préci-
sion du modèle. En contrepartie,
© Vincent Moureau

Visualisation du plus le maillage est dense et plus


champ de température
dans une chambre
la puissance de calcul nécessaire
de combustion va en augmentant.
aéronautique. Au Coria, pour décrire le plus
La température finement possible la combus-
atteint au maximum tion, des simulations dites mas-
2 032 Kelvin sivement parallèles du phéno-
dans les gaz brûlés,
soit 1 759 ° Celsius. mène ont été menées sur les su-
perordinateurs nationaux exploi-
tés par Genci, dont le supercalcu-

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


27

grands défis
© Vincent Moureau
Visualisation des
plus petits tourbillons
turbulents résolus
dans les simulations.
lateur Curie, installé au Très langée au sein d’une chambre de L’intensité de détail les effets de mélange de
grand centre de calcul du CEA, à combustion modèle, conçue par la turbulence joue l’air et du carburant sur la flam­
Bruyères-le-Châtel (Essonne), et la société Turbomeca du groupe un rôle primordial me, est toujours en cours d’ex-
européens dans le cadre du pro- Safran, le leader mondial des tur- dans la dynamique ploitation et devrait bientôt
de la flamme.
gramme Prace. Chaque simula- bines pour hélicoptères. Ce dis- conduire à la conception de nou-
tion a nécessité de l’ordre de positif semi-industriel a été l’ob- veaux modèles de combustion.
10 000 à 30 000 cœurs de calcul, jet de nombreuses études expé- Ces modèles, ajoutés aux mé-
soit l’équivalent de plusieurs mil- rimentales et numériques dans thodes de calcul et aux outils de
liers d’ordinateurs de bureau, et différents projets européens. Les simulation développés par les
a duré une vingtaine d’heures. données recueillies par les cher- chercheurs, intéressent évidem-
Ces simulations ont ensuite été cheurs au cours des tests sont ment de près les motoristes de
ajoutées les unes aux autres pour primordiales pour la validation l’aéronautique. Ces derniers
atteindre des temps physiques des simulations numériques. comptent rapidement les utiliser
simulés suffisamment longs. Grâce au logiciel Yales 2, le non seulement pour atteindre
Coria est parvenu à reproduire la leurs objectifs de réduction des
Visualisation du
Modéliser les chambres chambre de combustion avec mélange turbulent émissions de polluants. Mais
de combustion une résolution spatiale encore entre l’air et le également pour accélérer les
Pour exploiter au mieux une jamais atteinte dans le domaine : méthane au centre cycles de développement de
telle puissance de calcul, le Coria 60 microns pour une chambre de de la chambre nouveaux moteurs.  z
a développé un outil de simula- combustion qui mesure 11 cm de de combustion.
tion de haute performance : le lo- hauteur. Au total, cette simula-
giciel Yales 2. Cet outil, utilisé ac- tion aura nécessité un impres-
tuellement par une soixantaine de sionnant maillage composé de
chercheurs dans huit laboratoires 12,4 milliards d’éléments géomé-
français, leur a permis de modéli- triques. Ce degré de précision a
ser des chambres de combustion permis de visualiser les plus pe-
de géométrie complexe sur un tits tourbillons qui apparaissent
© Vincent Moureau

grand nombre de processeurs. dans l’écoulement turbulent et la


Concrètement, le Coria a façon dont ils interagissent avec
cherché à simuler avec une très la flamme.
grande précision la combustion Cette base de données in-
turbulente partiellement prémé- croyablement riche, qui décrit en

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


Simuler l’Univers pour percer
la nature de l’énergie noire
Sous l’influence d’une mystérieuse force, baptisée énergie noire, l’Univers voit son expansion
s’accélérer. Pour tenter de comprendre la nature de cette énergie, les astrophysiciens se sont
lancés dans un projet titanesque : simuler la façon dont les galaxies s’organisent dans l’univers
observable tout entier, et ce depuis sa naissance.

28
grands défis

Distribution de
la matière issue de la
première simulation de
structuration au monde
couvrant tout le volume
de l’univers observable.
L’observateur est au
centre (ici, maintenant)
alors que la première
lumière de l’Univers
DEUS Consortium

est sur les bords ­– à


45 milliards d’années-
lumière, juste après
le Big-Bang.

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


D
epuis l’observation de 13,7 milliards d’années-lu- scénarios, au contraire, la quan-
la fuite des galaxies par mière pour arriver jusqu’à tité d’énergie noire varie quand
Edwin Hubble, en 1929, nous, du fait de l’expansion de l’Univers se dilate, le dernier
et son interprétation l’Univers au cours de son trajet. modèle allant même jusqu’à
dans le cadre de la relativité Seule solution pour les mimer une modification des
générale, la théorie actuelle de astrophysiciens : simuler une lois de la gravité aux grandes

dr
la gravité, on sait que l’Univers série d’univers suivant diffé- échelles.
est en expansion : les galaxies rents modèles d’énergie noire et
s’éloignent toutes les unes comparer les paramètres (distri-  e mystère de l’accélération 
L
des autres. En effectuant des bution de matière, nombre de de l’expansion
mesures plus précises encore, galaxies, etc.) qui divergent de Grâce à ces simulations,
grâce aux supernovae*, les l’un à l’autre. C’est précisément on peut rejouer le film de la
astronomes Saul Perlmutter, l’objectif de notre projet bapti- formation de tous les amas de
dr
Brian Schmidt et Adam Riess, par sé Deus (Dark Energy Universe galaxies de l’Univers, les plus
récompensés par le prix Nobel Yann Simulation). Son ambition ? grosses structures liées par la
de physique en 2011, ont dé- Rasera et Simuler l’univers observable gravitation connues actuel-
couvert en 1998 que l’expan- Jean-michel tout entier, soit cette sphère de lement. Pour chacun de ces
sion allait en s’accélérant. Ce Alimi 90 milliards d’années-lumière amas, l’histoire est différente
fut une formidable surprise : astrophysiciens
de diamètre. Pour cela, il faut mais la trame du film reste la 29
la force de gravité qui attire les au Laboratoire univers reproduire la formation des même : de petites fluctuations
différents constituants de l’Uni- et théories à Paris. grandes structures de l’Univers de densité dans la soupe pri-
vers devrait en effet, tel un élas- à partir de ses « particules » de mordiale issue du Big Bang sont

grands défis
tique, ralentir cette expansion. base : les galaxies. Ce qui re- amplifiées par la gravité, pour
Leur découverte semblait vient à calculer l’évolution de former les premières galaxies,
donc remettre en question nos pas moins de 550 milliards de puis ces galaxies fusionnent
connaissances sur la nature ces particules ! Et requiert un pour donner des structures de
profonde des lois physiques superordinateur doté d’une plus en plus grosses jusqu’aux
qui gouvernent l’Univers. Pour mémoire de 300 000 gigaoctets amas de galaxies.
l’expliquer, certains n’ont pas et d’une puissance de calcul Les simulations ont déjà
hésité à faire appel à une com- permettant de réaliser plus de livré leurs premiers résultats.
posante mystérieuse, bapti- 1 million de milliards d’opéra- Ainsi, nous avons pu mesurer
sée énergie noire, qui emplit tions par seconde. le nombre d’amas de galaxies
tout le cosmos et agit comme présents dans l’Univers actuel :
une force répulsive. À l’heure Trois modèles d’énergie noire il s’élève à plus de 100 millions.
actuelle, différents modèles Début 2012, après des dé- Mais seul un amas sur deux
d’énergie noire s’affrontent, veloppements de plusieurs cents est suffisamment proche
sans qu’on puisse trancher années, nous y sommes parve- pour être observable. Pour
entre eux. nus : grâce au supercalculateur les autres, on ne peut obser-
Pour départager ces mo- Curie, l’équipe composée de ver que les temps reculés où
dèles, il faut comprendre très six chercheurs1 a réalisé les pre- ils n’étaient encore qu’à l’état
finement l’influence de telle mières simulations au monde de d’embryon d’amas. Autres en-
ou telle théorie sur les proprié- la structuration de tout l’univers seignements : le premier amas
tés de l’Univers et les confron- observable, du Big Bang jusqu’à de ce type est apparu alors que
ter aux observations. Et pour aujourd’hui. Ces simulations l’Univers n’avait que deux mil-
mieux contraindre l’énergie donnent le tournis : elles ont né- liards d’années ; l’amas le plus
noire, il faut en étudier l’in- cessité l’utilisation pendant plu- massif pèse 10 millions de mil-
fluence à toutes les échelles. sieurs semaines de 80 000 cœurs liards de mas­ses solaires.
Car contrairement à ce qu’on de calcul du supercalculateur Selon le modèle d’éner-
pourrait penser, l’énergie de Genci, installé au Très grand gie noire utilisé, le nombre
noire n’agit pas uniquement à centre de calcul du CEA, à d’amas et leur masse varient.
de très grandes distances cos- Bruyères-le-Châtel (Essonne). En confrontant ainsi les ré-
mologiques mais ses effets se Un tel calcul aurait duré plus de sultats de nos simulations
ressentent également sur les 3 000 ans sur un ordinateur de aux différents paramètres qui
propriétés même d’une galaxie. bureau. Et le volume de données seront mesurés par les futurs
stocké a atteint plus de 1 million grands projets d’observation
Une sphère de 90 milliards de gigaoctets, soit l’équivalent et de cartographie de l’Univers
d’années-lumière supernova de 200 000 DVD. – comme la prochaine mission
Plus facile à dire qu’à faire Une supernova désigne Trois simulations différentes Euclid qui vient d’être sélec-
lorsqu’on sait que l’univers l’explosion d’une étoile qui correspondent à trois mo- tionnée par l’Agence spatiale
observable est une sphère de très massive qui peut, dèles d’énergie noire différents européenne –, on pourra alors
90 milliards d’années-lumière* pendant un temps, ont été réalisées. Le premier mieux comprendre la nature
briller plus qu’une
de diamètre ! En effet, plus on galaxie entière et ses est le scénario standard, dit de de l’énergie noire. Et arbitrer
observe loin dans l’Univers, milliards d’étoiles. « constante cosmologique », ac- entre les différents scénarios.
plus on observe loin dans le cepté par une majorité de phy- Le mystère de l’accélération de
passé, car la lumière met du année-lumière siciens. Il fait l’hypothèse que la l’expansion de l’univers, l’une
temps à nous parvenir. Et dans Une année-lumière quantité d’énergie noire, dans des plus grandes questions de
correspond à la distance
notre univers né au moment du parcourue par la lumière
un volume d’espace donné, la science, pourrait alors être
Big Bang, il y a 13,7 milliards en une année, soit reste constante malgré l’expan- percé. z
d’années, la lumière parcourt environ 9 500 milliards sion de l’Univers – qui tend à (1) Alimi, Rasera, Bouillot, Reverdy, Corasaniti,
une distance plus grande que de kilomètres. tout diluer. Dans les deux autres Balmès (www. deus-consortium.org)

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


Tsunamis :
les supercalculateurs
donnent l’alerte
La France vient de se doter d’un Centre d’alerte aux tsunamis (Cenalt)
pour la Méditerranée occidentale. Sa mission : prévenir les autorités
de l’arrivée imminente de vagues générées par un séisme sous-
marin. La simulation permet d’indiquer en temps réel les zones
30 à risque. Avec les supercalculateurs, les hauteurs d’eau pourraient
même être estimées avec précision dans un proche avenir.
grands défis

L
es tsunamis de Sumatra Lorsqu’un séisme est dé- par Audrey Plus précise, la simulation
en 2004 et du Japon en tecté, les chercheurs analysent Gailler, numérique des tsunamis vient
2011 ont presque fait ou- sa magnitude, sa localisation Sébastien renforcer l’estimation du risque
blier que les pays côtiers géographique et sa profondeur Allgeyer, et fournit une carte nettement
de la Méditerranée – notam- sous le plancher océanique Pierre plus détaillée de l’impact attendu
ment la France – sont eux aussi pour évaluer s’il est susceptible Duperray de la vague sur les côtes. Jusqu’à
exposés à ces vagues dévasta- de conduire à la formation d’un et Hélène récemment, cette approche
trices. Dans cette région en effet, tsunami et de quelle amplitude. Hébert demandait un temps de calcul
même si les tsunamis sont plus Un tableau, obtenu à partir des du département prohibitif pour une utilisation en
modérés que dans le Pacifique, la précédents événements obser- Analyse Surveillance temps réel. La parallélisation du
rencontre entre les deux grandes vés en Méditerranée, réperto- Environnement code sur les calculateurs haute
plaques continentales, africaine rie les combinaisons possibles du CEA/DAM. performance ouvre désormais
et eurasienne, peut générer des de ces trois paramètres et per- de nouvelles perspectives.
séismes qui, à leur tour, peuvent met ainsi de lancer un premier
produire des tsunamis. Ce fut message d’alerte au tsunami en Bathymétrie et topographie
le cas en 1908 lorsqu’un séisme moins de 15 minutes, selon trois Les simulations numériques
de magnitude 7,1 dans le détroit niveaux : jaune pour un risque des tsunamis reposent sur la mo-
de Messine, au large de la Sicile, négligeable, orange pour un délisation de trois phénomènes :
engendra un tsunami qui fit de risque modéré et rouge pour un les déformations du plancher
très nombreuses victimes dans risque élevé. Si la magnitude du océanique causées par le séisme,
la région. Ou plus récemment, séisme dépasse un certain seuil, la propagation en océan profond
en 2003, lorsqu’un tremblement les heures d’arrivée du tsunami et les effets côtiers. La défor-
de terre de magnitude 6,9 à Bou- sont calculées et ajoutées au mation initiale de la surface de
merdès en Algérie provoqua message. l’océan est déduite de modèles
des vagues de deux mètres aux
Baléares ainsi que des remous
et des tourbillons brutaux dans
plusieurs ports de la Côte d’Azur.
Pour faire face à ce risque,
la France vient de se doter du
Centre d’alerte aux tsunamis
(Cenalt). Opérationnel depuis
juillet dernier, le Cenalt, exploité
par le CEA à Bruyères-le-Châtel
(Essonne), surveille une zone
s’étendant de l’Atlantique nord-
est à la Méditerranée occiden-
tale. Sa mission : signaler toute
alerte aux autorités françaises et
aux pays de la région concernée.
Et ce, dans un délai très court car,
vu la taille relativement modeste
du bassin méditerranéen, le
temps séparant la survenue d’un
séisme et l’arrivée du tsunami
sur les côtes est de quelques
dizaines de minutes seulement.

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


31
CEA

grands défis
Modèle du tsunami
de 2003 lors de son
élastiques de déformation de la arrivée dans le port Au Cenalt, le logiciel baptisé 2003 a pu ainsi être reproduit sur
de Sète (en encart),
croûte terrestre. La propagation après 2 h (a), 2 h 10 mn Calypso est utilisé pour modé- 21 grilles différentes, avec une
au large, quant à elle, repose sur (b) et 2 h 20 mn (c) liser la propagation d’un tsu- résolution allant de 900 mètres
la résolution des équations non de propagation depuis nami. Il requiert une puissance pour la grille principale couvrant
linéaires de la mécanique des l’épicentre (étoile de calcul importante pour une la Méditerranée occidentale, à
fluides dans l’hypothèse des rouge), avec le logiciel estimation rapide des risques, des résolutions de trois mètres
« ondes longues ». En effet, les lon- Calypso multigrille. laquelle pourrait être intégrée pour les grilles fines des ports ci-
gueurs d’onde des tsunamis (de dans le futur aux messages blés par l’étude (Palma, Cannes
100 à 300 km) sont largement su- d’alerte. C’est pourquoi ce code et Sète). Les résultats de ces si-
périeures à la profondeur du mi- a été parallélisé sur les cœurs mulations (voir ci-dessus) sont
lieu de propagation (de 4 à 6 km). Simulation du tsunami de calcul d’un ordinateur du en très bon accord avec la réa-
Enfin, la simulation des effets du lié au séisme de CEA, nommé Para, et installé lité : le tsunami atteint le port de
tsunami à l’approche des côtes Boumerdès (2003 – au Cenalt. Sète environ deux heures après
n’est possible que si des données logiciel Calypso) dans le séisme et les hauteurs d’eau
le cadre du Cenalt
bathymétriques (profondeurs (monogrille). À gauche, Une version multigrille associées sont de 20 centimètres
marines) et topographiques de modèle du risque à En cas d’alerte, Calypso est environ, soit celles mesurées par
haute résolution sont disponibles. l’échelle du bassin lancé automatiquement dans les marégraphes.
L’acuité de la représentation des transposé dans un code une version dite monogrille qui
processus physiques tels que couleur sans dimension fait appel à 12 cœurs de calcul Pouvoir avertir à temps
l’inondation, les tourbillons ou rouge/orange/jaune, de Para. Nous accédons alors à Cette finesse de détails a ce-
signifiant risque élevé/
encore l’amplification par réso- modéré/négligeable. une description de la bathymé- pendant un impact sur le temps
nance dans un port dépend de la À droite, propagation trie avec une résolution spatiale de calcul, et ce malgré la paral-
résolution des grilles de calcul. du tsunami 43 mn de 4 kilomètres pour la totalité lélisation du code : pour quatre
après le séisme. du bassin méditerranéen occi- heures de propagation du tsuna-
dental. Les calculs donnent une mi, la simulation est réalisée en
estimation du rayonnement de une heure en utilisant 64 cœurs
l’énergie du tsunami à travers de Para. On comprend alors
l’océan, indiquant ainsi les zones pourquoi cette version multi-
à risque. La simulation d’un tsu- grille est utilisée actuellement
nami qui met trois heures à se uniquement dans un but de
propager dans la réalité est effec- recherche. D’autant plus qu’elle
tuée en cinq minutes seulement nécessite une connaissance très
(voir ci-contre). Contrepartie de précise de la bathymétrie et de la
cette rapidité de calcul : on ne topographie des zones côtières,
peut pas estimer les valeurs des des données qui ne sont pas
hauteurs d’eau attendues sur les toujours disponibles. Mais les
côtes, car la résolution utilisée choses devraient bientôt chan-
n’est pas suffisante. ger : en améliorant la paralléli-
Mais Calypso peut également sation du code pour réduire le
être utilisé dans une seconde temps de calcul et en disposant
version, dite multigrille, qui per- de plus de données sur le ter-
met alors de prévoir en détail rain, la simulation fine pourrait
les inondations dans les ports. alors être intégrée au message
Comment ? En imbriquant des d’alerte. Pour que les popula-
grilles bathymétriques de réso- tions soient averties au plus vite
CEA

lution croissante. Le tsunami de de l’arrivée du tsunami. z

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


?????????????????????????????????????????
32
Les grands défis

Vue de l’intérieur
du tokamak Tore Supra

La fusion bientôt
de l’IRFM. On distingue Avec Iter, les physiciens dispo­
une antenne de seront d’un anneau de plasma de
chauffage (à gauche) 840 mètres cubes, dix fois plus vo­
et le limiteur plancher lumineux que celui obtenu dans

sous contrôle
toroïdal.
les plus grandes machines du
même type, appelées tokamaks*.
Il s’agira alors de porter son cœur
à quelque 150 millions de degrés
pour y déclencher les réactions
La fusion nucléaire pourrait constituer une source de fusion thermonucléaire. L’un
d’énergie majeure dans le futur. Mais pour des enjeux de cette expérience
enclencher la réaction au sein d’un réacteur, l’un sera de montrer qu’il est possible
de réduire les échanges de cha­
des enjeux majeurs sera de confiner la chaleur leur entre le cœur où brûlera le
dégagée par le phénomène bien au centre de la combustible et les bords froids
machine. Des simulations numériques permettent du plasma, et ainsi de limiter les
pertes. Des échanges dus, pour
de faire un pas important dans cette direction. l’essentiel, à de minuscules tour­
par Yanick billons turbulents de taille centi­
Sarazin et métrique qui se forment dans le
Virginie plasma. Parvenir à réguler cette

E
n 2019, la construction fusionner de manière contrôlée Grandgirard turbulence apparaît dès lors capi­
du réacteur expérimen­ des atomes de deutérium et de chercheurs à l’Institut tal si l’on veut confiner la chaleur
tal Iter devrait s’achever tritium, pour obtenir des atomes de recherche sur la au sein du réacteur.
à Cadarache (13) dans le d’hélium. Mais les noyaux, ayant fusion par confinement
sud-est de la France. Objectif de une charge électrique de même magnétique (IRFM) Désordre organisé
du CEA à Cadarache
cet ambitieux projet internatio­ signe se repoussent à grande (CEA/DSM/IRFM) - Expérimentalement, les scien­
nal auquel collaborent sept des distance l’un l’autre. Pour que Saint-Paul-Lès-Durance tifiques ont constaté par le passé
plus grandes puissances mon­ la fusion puisse se produire, il (Bouches-du-Rhône). qu’en chauffant davantage le
diales : démontrer la viabilité faut vaincre cette répulsion. Un plasma dans les tokamaks, la tur­
de la fusion nucléaire comme moyen d’y parvenir consiste et Antoine bulence naturellement présente
source d’énergie du futur. à chauffer les particules à des Strugarek pouvait être brutalement réduite.
La réaction de fusion consiste températures extrêmes, de plus doctorant à l’IRFM Mais ce phénomène reste encore
à fabriquer à partir de deux de cent millions de degrés, pour et chercheur très mal compris et pas du tout
noyaux légers un noyau atomique qu’elles se rapprochent suffisam­ au laboratoire maîtrisé. Il serait dû à la nature
d’Astrophysique,
plus lourd. Cette réaction, qui ment près grâce à l’agitation ther­ instrumentation
même de la turbulence qui, en
dégage une énergie gigantesque, mique. À de telles températures, et modélisation, dépit de son désordre apparent,
permet aux étoiles de briller. la matière est alors sous la forme à Gif-sur-Yvette présente une certaine organisa­
Dans le cas d’Iter, il s’agira de faire d’un plasma*. (Essonne). tion. En interagissant les uns avec

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


Cartes
instantanées des
structures turbulentes
dans un plasma.
Ces tourbillons s’étirent
le long des lignes de
champ magnétique,
visualisées grâce
au potentiel électrique
en couleurs.
Pendant des temps
extrêmement
courts, la turbulence
connaît de brusques
sursauts d’activité.
Les tourbillons
microscopiques,
qui étaient jusque-là
localisés au cœur
du plasma (ci-contre),
se propagent vers
les bords (ci-dessous). 33

Les grands défis


cea

les autres, les petits tourbillons plasma, sur chacun des 34 mil­
seraient en effet capables de gé­ liards de points de maillage. Avec
nérer des écoulements de matière Gysela, il a été possible de modé­
à grande échelle dans l’anneau liser les échanges à l’intérieur d’un
de plasma. En retour, ces écou­ plasma de la taille de Tore Supra, le
lements auraient pour effet de tokamak français de l’Institut de
cisailler les tourbillons qui leur recherche sur la fusion par confi­
ont donné naissance, réduisant nement magnétique du CEA, à
du même coup leur taille et dimi­ Cadarache (13). Il s’agissait de re­
nuant d’autant les pertes de cha­ produire dans un premier temps
A. Strugarek / SDvision

leur du cœur vers la périphérie. le phénomène sur un tokamak


Jusqu’à aujourd’hui, aucune de taille moyenne avant de pou­
modélisation numérique ab-initio voir extrapoler les résultats sur un
– c’est-à-dire sans paramètre ajus­ réacteur aussi grand qu’Iter.
table, s’appuyant uniquement sur
les lois fondamentales de la phy­ Des étoiles sur Terre
sique – n’était parvenue à repro­ Plusieurs millions d’heures
duire le phénomène pour tenter de calcul ont permis de simu­ jusque-là localisés au cœur du
de mieux le comprendre. C’est ce ler quelques millisecondes des Plasma
plasma, se propagent vers les
qui vient d’être accompli. Pour la interactions entre les particules Gaz constitué bords. Un fort flux de chaleur est
première fois, les simulations réa­ dans un plasma. Ces quelques d’électrons et d’ions alors expulsé du cœur vers la péri­
lisées sur Curie décrivent en détail millisecondes, courtes à notre – atomes ayant perdu un phérie.
la dynamique des tourbillons tur­ échelle, sont cependant très lon­ ou plusieurs électrons. La compréhension phy­
bulents et confirment la possibi­ gues devant le temps d’évolution Sa température varie sique apportée par ces simula­
de quelques dizaines
lité de contrôler la turbulence via des fluctuations turbulentes. Cela de degrés à plusieurs tions constitue un premier pas
les écoulements dans le plasma. a permis de mettre en évidence centaines de millions important pour améliorer les
Pour réaliser cette grande pre­ des processus physiques extrê­ de degrés, et sa densité performances d’Iter. Grâce à
mière, le code de calcul Gysela a mement riches. Non seulement peut être 1 million de fois elles, on devrait bientôt mettre
été développé en partenariat avec il a été montré comment la tur­ plus faible à 1 million au point des stratégies efficaces
Inria et dans le cadre de la Fédé­ de fois plus forte
bulence pouvait être régulée par que celle de l’air.
pour contrôler les écoulements
ration de recherche sur la fusion les écoulements à grande échelle, à grande échelle dans le plasma.
par confinement magnétique. mais également de découvrir un tokamak On pourra alors confiner la cha­
Ce code utilise une description autre phénomène inattendu : Enceinte en forme de leur bien au centre du réacteur
dite gyrocinétique de la turbu­ pendant des temps extrêmement tore capable de confiner de fusion et éviter les « débor­
lence dans les plasmas de fusion. courts, de l’ordre de quelques un plasma à l’aide de dements » de plasma vers les
champs magnétiques
À chaque pas de temps – de l’ordre centaines de microsecondes, la intenses et ainsi de
parois, un phénomène qui, à la
du centième de microseconde –, turbulence connaît de brusques créer les conditions longue, endommage les parois
il a fallu calculer la position et la sursauts d’activité. Les tourbillons nécessaires aux du réacteur. Pour que les étoiles
vitesse de toutes les particules du microscopiques, qui étaient réactions de fusion. brillent sur Terre. z

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


vers
l’exaflops

34
vers l’exaflops

Dans les coulisses


des logiciels de demain
Dans la course à l’exaflops, le logiciel occupera une place primordiale. Tel un chef d’orchestre,
sa mission sera de faire travailler de concert les millions de constituants élémentaires
des machines de demain. Visite au laboratoire Exascale Computing Research, à l’université
de Versailles–Saint-Quentin-en-Yvelines, où l’on prépare les logiciels du futur.

D
ans une grande salle Dans cette unité de recherche côté Intel. Pour atteindre l’exa-
aménagée en open née, il y a deux ans seulement, de flops* d’ici à 2020, il faudra faire
spa­ce et percée de lar­ la collaboration entre le CEA, travailler ensemble des millions
ges fenêtres, des cher- Genci, l’université de Versailles- de ces unités situées au sein des
cheurs regardent avec attention Saint-Quentin-en-Yvelines et microprocesseurs. Une telle mon-
des lignes de code défiler sur leur Intel, on réfléchit en effet aux tée en puissance nécessite de revoir
écran d’ordinateur. Au fond de la logiciels du futur qui permet- de fond en comble les algorithmes
pièce, sur un tableau blanc, des tront aux superordinateurs exa- de calcul. »
diagrammes sibyllins dessinés flopiques de fonctionner sans
aux feutres multicolores attirent accroc. Vu la complexité de telles Le codesign comme approche
l’attention. Pour le néophyte, le machines, le logiciel tiendra Pour préparer cette petite
laboratoire Exascale Computing une place primordiale. « Actuel- révolution conceptuelle, les in-
Research (ECR), situé sur le cam- lement, les supercalculateurs formaticiens et autres mathéma-
pus de l’université de Versailles, petaflopiques comportent des ticiens du laboratoire versaillais
a quelque chose d’énigmatique. centaines de milliers de cœurs de travaillent main dans la main avec
Ici se joue pourtant l’avenir du calcul, explique Marie-Christine des scientifiques venus de tous
calcul intensif. Sawley, directrice du laboratoire horizons – chimistes, physiciens,

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


grand centre de calcul du CEA,
à Bruyères-le-Châtel (Essonne),
préfigure ce que seront les
machines exaflopiques. « Avec
ce dispositif “ miniature ”, nous
pouvons ainsi tester à petite
échelle comment la machine se
comporte avec tel ou tel algo-
rithme de calcul, poursuit la cher-
cheuse. C’est un passage obligé si
Les chercheurs l’on veut ensuite faire fonctionner
du laboratoire ces applications sur un superor-
versaillais Exascale dinateur tout entier. » Et pour
Computing Research
(ECR) réfléchissent contrôler que le logiciel utilise
aux logiciels qui bien l’ordinateur au maximum
équiperont les futurs de sa capacité, les chercheurs
supercalculateurs versaillais ont développé des
exaflopiques. outils informatiques qui, tels de
Vu la complexité
de telles machines,
véritables mouchards, traquent 35
les algorithmes de le moindre calcul inutile dans un
calcul tiendront une algorithme. « Les codes de calcul,

Lel’exaflops
place primordiale. qui sont généralement longs et
complexes, sont d’abord décou-

futur
pés en petits morceaux, explique
William Jalby, directeur scienti-

Othman Bouizi, Intel Exascale Lab


fique du laboratoire. Nos outils

vers
permettent de révéler des failles
dans ces codes et de les corriger.
On fait ensuite fonctionner le
logiciel modifié sur l’ordinateur
jusqu’à gagner en performance. »

Des machines tout terrain


Or dans cette course à la puis-
sance, il faut trouver un équilibre
subtil entre les contraintes impo-
climatologues – qui mettent au de calcul et d’améliorer d’un fac- sées par le matériel et celles dic-
point les logiciels de simulation. teur 100 la précision des modèles tées par les logiciels. Un travail de
« Ils viennent avec leurs codes de numériques. Les sociétés phar- longue haleine. « Pour un même
calcul et nous avec notre connais- maceutiques devraient ainsi logiciel, nous testons différentes
sance fine des architectures maté- identifier des molécules actives architectures de processeurs,
rielles dont seront constitués les bien plus vite qu’aujourd’hui et souligne ainsi Bettina Krammer.
futurs superordinateurs, explique donc réduire le temps de déve- Car si la tendance générale est à
Marc Dollfus, responsable de la loppement d’un médicament. exaflops la multiplication des cœurs de
collaboration entre les membres En médecine, en simulant au Le flops (FLoating calcul, l’architecture définitive
du laboratoire. L’enjeu consiste à plus juste le parcours dans l’orga- point Operations Per n’est pas encore arrêtée. » Ainsi la
trouver ensemble les solutions qui nisme des rayons utilisés pour le Second) est l’unité de multidisciplinarité du laboratoire
mesure de la puissance
seront adaptées aux applications traitement du cancer, on devrait des ordinateurs en ECR trouve tout son intérêt. « En
logicielles et aux machines. On être capable de cibler précisé- nombre d’opérations collaborant avec les scientifiques
parle de codesign pour qualifier ment la tumeur avec une grande par seconde : qui développent les codes de calcul
cette approche où tous les acteurs précision. En météorologie enfin, un téraflops en effectue et en utilisant les outils du labo-
travaillent de concert. Concrète- en diminuant la taille des plus mille milliards (1012), ratoire, nous avons pu constituer
ment, il s’agira d’abord de parallé- petites cellules de l’atmosphère un petaflops un million une grande bibliothèque de logi-
de milliards (1015) et
liser à l’extrême les calculs, c’est-à- simulées, on devrait augmenter un exaflops un milliard ciels qui nous a permis d’identi-
dire de les diviser en un très grand la précision des prévisions. Et les de milliards (1018) par fier les facteurs clés de leur perfor-
nombre de sous-calculs exécutés autres exemples sont nombreux. seconde. mance », poursuit Marc Dollfus.
par les cœurs des processeurs. Il Ces indications sont pré-
faudra répartir les tâches équita- La chasse aux calculs inutiles cieuses pour les concepteurs des
blement entre les cœurs pour per- La visite de l’Exascale Com- superordinateurs qui tentent ac-
mettre aux machines d’être perfor- puting Research se poursuit au tuellement de trouver l’architec-
mantes, en limitant au maximum fond d’un couloir étroit. Ici, une ture et l’optimisation idéale pour
le mouvement des données, ce pro- porte fermée à clé intrigue. « Der- les ordinateurs exaflopiques.
cessus consommant énormément rière, dans une pièce climatisée, se « Notre objectif n’est pas de créer
d’énergie électrique. » trouvent des armoires informa- des machines ultraspécialisées
L’ampleur de la tâche est tiques similaires à celles qu’on mais des machines tout terrain,
immense, mais le jeu en vaut la trouve sur le supercalculateur adaptées à une large palette d’ap-
chandelle. Car une fois les logi- Curie », confie Bettina Kram- plications, comme le souhaitent
ciels fin prêts pour le passage à mer, chercheur à l’ECR. Consti- les scientifiques et les industriels
l’exaflops, ils permettront de ré- tué de plus de 92 000 cœurs de qui les utilisent », résume ainsi
duire considérablement le temps calcul, Curie, installé au Très Marc Dollfus.  z Pierre Mira

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


1

36
vers l'exaflops

Comment l’exaflops comme le cycle complet du car-


bone sur la Terre. Rendus ainsi
plus réalistes, les modèles four-

va changer notre vie


niront des scénarios plus fiables
sur le changement climatique à
venir, à l’échelle de toute la Pla-
nète comme à celle d’une région.
Des données extrêmement pré-
D’ici à 2020, les supercalculateurs exaflopiques devraient faire leur cieuses pour l’agriculture ou
apparition. Mille fois plus puissants que les machines actuelles, ils encore la production d’énergie.
permettront alors de résoudre une multitude de problèmes touchant
Simuler notre propre cerveau !
de près la société. De la médecine à la climatologie en passant par Dans le domaine de la santé
les transports, tous les domaines de la vie sont concernés. aussi, la puissance des calcula-
teurs du futur permettra de ga-
gner en réalisme. On pourra par
exemple simuler dans le détail le

S
ans que nous nous en nologies de l’information et de fonctionnement des membranes
rendions compte, le la communication à l’Agence des cellules vivantes pour mieux
calcul intensif fait partie nationale de la recherche. Celui- comprendre comment les médi-
de notre vie quotidienne. ci a coordonné de 2010 à 2012 le caments pénètrent dans la cel-
Il est présent partout : dans nos projet européen EESI (European lule et agissent. Et en modélisant
voitures, qu’il aide à rendre plus Exascale Software Initiative) dont plus finement le fonctionne-
sûres, dans les bulletins météo, un des objectifs était précisé- ment des molécules impliquées
qu’il rend plus fiables, ou encore ment de déterminer les grandes dans certaines maladies pour
dans les hôpitaux, où il permet applications qui tireront parti du lesquelles les essais cliniques
d’obtenir des résultats d’image- passage à l’exaflops. sont très difficiles à réaliser – no-
rie plus rapidement. Et le futur Domaine emblématique tamment le cancer et les mala-
s’annonce plus excitant encore : où les futurs supercalculateurs dies neurodégénératives comme
d’ici à la fin de la décennie, les permettront de faire des pas de Alzheimer ou Parkinson –, il sera
supercalculateurs exaflopiques géant : les simulations du cli- possible de mettre au point de
– c’est-à-dire capables d’effec- mat. Actuellement, les modèles nouveaux médicaments bien
tuer un milliard de milliards disposent d’une résolution spa- plus vite.
d’opérations par seconde – tiale d’environ 100 km. D’ici En réalité, c’est l’ensemble
devraient faire leur apparition. à 2020, grâce aux machines du corps humain avec tous ses
Dotés d’une puissance de calcul exaflopiques, cette précision organes qui pourra être repro-
mille fois supérieure à celle des commencera à se rapprocher duit à un niveau de détail inégalé.
machines actuelles, « Ils per- du kilomètre. Les phénomènes Le cœur, par exemple, avec ses
mettront de résoudre une mul- atmosphériques et océaniques différentes structures (artères,
titude de problèmes touchant même les plus petits, comme la veines, ventricules...) et même
de près la société et aujourd’hui formation de certains nuages le cerveau. « Du fait du nombre
inaccessibles », s’enthousiasme pourront alors être reproduits gigantesque de ses constituants
Jean-Yves Berthou, directeur du fidèlement. Les simulations inté- [on estime que le cerveau hu-
département Sciences et tech- greront des processus complexes main contient cent milliards de

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


3. iter organization  ; 4 et 5. genci
4

onera the french aerospace lab  ;


1. blue brain/hbp ; 2 et 6.
5
37
6

vers l'exaflops
3

neurones, ndlr], la modélisation miques possibles et ima- fusion sont tels qu’il faudra simu-
Dans
complète de notre cerveau est hors quelques années, ginables d’ailes d’avion, les ler en détails leur fonctionnement
de portée des calculateurs actuels, avec l’arrivée de comparer entre elles pour choi- avant même de les construire.
il faudra attendre les machines nouveaux sir la plus efficace et la plus sûre. Les superordinateurs de de-
exaflopiques pour tenter d’y par- supercalculateurs mille Même chose pour les réacteurs main ne brilleront pas seulement
venir », note Jean-Yves Berthou. fois plus puissants, les où il faudra simuler toutes sortes par leur puissance de calcul : ils
C’est d’ailleurs l’objectif affiché simulations numériques de configurations de combus- seront également capables de
deviendront bien plus
par le projet européen Human réalistes dans tous les tion du carburant pour trouver stocker et de traiter de gigan-
Brain, qui pourrait aboutir d’ici domaines. On pourra la moins polluante d’entre elles. tesques quantités de données.
à dix ans. Cette simulation hors modéliser le cerveau Ce sera le cas en météorologie,
du commun permettrait de ré- humain avec son réseau Vers la fusion nucléaire ? où les progrès réalisés en matière
pondre à de nombreuses ques- complexe de En matière d’énergie, les de capteurs des satellites font que
neurones (1), simuler
tions sur le fonctionnement du l’aérodynamique d’un
supercalculateurs du futur se- ces derniers devraient renvoyer
cerveau et notamment sur la hélicoptère dans ses ront également d’une aide pré- d’ici à une dizaine d’années
cause des désordres neurolo- moindres détails (2), cieuse. Pour la découverte de mille fois plus de données qu’au-
giques, ouvrant ainsi de nou- reproduire les nouveaux réservoirs de pétrole jourd’hui. Une fois intégrées dans
velles voies thérapeutiques. phénomènes complexes tout d’abord. La méthode de les modèles météorologiques,
Les moyens de transport bé- qui auront lieu dans les prospection consiste à générer toutes ces mesures devraient per-
futurs réacteurs
néficieront eux aussi du passage de fusion nucléaire tels des ondes sismiques dans le mettre d’obtenir des prévisions à
à l’exaflops. À commencer par Iter (3), simuler le sous-sol au moyen d’explosifs. court terme plus justes. Dans le
les avions. « L’Europe s’est fixée fonctionnement des En étudiant les ondes renvoyées domaine de la santé, le dévelop-
des objectifs ambitieux de faire molécules impliquées par les roches profondes, on pement de la médecine dite per-
baisser de moitié les émissions dans certaines maladies peut déduire la nature de ces sonnalisée devrait aussi conduire
de CO2 des appareils et de réduire pour mettre au point dernières et déterminer si elles à une véritable avalanche de
des médicaments plus
leur bruit d’au moins 10 décibels, rapidement (4), contiennent du pétrole. L’analyse données. Cette démarche révo-
précise Jean-Yves Berthou. Pour y mesurer l’usure des de ces signaux est si lourde à réa- lutionnaire vise à rechercher le
parvenir, les essais physiques réels matériaux très finement liser qu’on a aujourd’hui recours meilleur traitement thérapeu-
ne suffiront pas ; nous n’aurons pour les rendre plus à la simulation numérique. Mais tique d’un patient en fonction de
pas d’autre choix que de faire ap- résistants (5), même avec cette approche, il son patrimoine génétique. Avec
ou explorer toutes
pel aux machines exaflopiques. » les formes
arrive souvent de conclure à tort elle, il serait possible de dévelop-
Contrairement à la modélisation aérodynamiques à la présence d’un puits et le taux per des médicaments adaptés
du climat ou du cerveau humain, possibles d’ailes de succès d’un forage n’est « que » à chaque malade et sans effets
qui nécessiteront de mobiliser la d’avion, les comparer de 60 %. Avec les calculateurs exa- secondaires. « Des essais sont en
totalité de la puissance de calcul et choisir la plus flopiques, il devrait largement cours dans cette direction qui
des machines exaflopiques pour efficace et la plus augmenter. font appel à des machines peta-
sûre (6).
chaque simulation, il s’agira cette Grâce à l’exaflops, de nou- flopiques pour traiter les données
fois de lancer plusieurs milliers velles énergies pourront voir le de quelques centaines d’individus
de simulations en même temps jour. À commencer par la fusion seulement, confie Jean-Yves Ber-
sur la même machine. Et cha- nucléaire, source d’énergie extrê- thou. Avec l’exaflops, on pourrait
cune d’entre elles requerra la mement prometteuse car poten- cette fois s’occuper de millions de
puissance de calcul d’un calcu- tiellement beaucoup plus propre patients. » Bref, les supercalcula-
lateur petaflopique actuel tout et plus sûre que sa cousine la fis- teurs n’ont pas fini de changer
entier ! On pourra ainsi explorer sion. Mais les défis à relever pour notre quotidien. z
toutes les formes aérodyna- mettre au point des réacteurs à Pierre Mira

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


bull

38
LeL'EXAFLOPS
VERS futur

Cinq défis pour 1/ Maîtriser la


consommation d’énergie

les supercalculateurs
La maîtrise de la consommation
d’énergie est le principal chantier
sur lequel il faut travailler. La vo-
racité énergétique des machines

du futur
est devenue le frein majeur au
développement de supercalcula-
teurs plus puissants. Les besoins
en électricité des supercalcu-
lateurs s’élèvent aujourd’hui à
L’accroissement de la puissance des supercalculateurs passe par plus de 10 mégawatts pour les
un changement complet de leur architecture interne. Meilleure plus gourmands, soit la puis-
sance nécessaire pour alimenter
efficacité énergétique, nouveaux processeurs, refroidissement, en électricité (hors chauffage)
interconnexions plus rapides, résistance aux pannes… Toutes environ 30 000 foyers ! Avec un
les pistes sont explorées pour atteindre l’exaflops d’ici à 2020. coût d’environ 1 million d’euros
par an pour chaque mégawatt
consommé, la facture d’élec-
tricité représente ainsi jusqu’à
30 % du coût de fonctionnement

D
epuis vingt ans, la puis- par seconde, c’est-à-dire mille par d’un centre de calcul. Dans le
sance de calcul des fois mieux, d’ici à 2020. Mais Jean- futur, les infrastructures qui
superordinateurs n’a pour atteindre cet objectif am- Pierre accueilleront les supercalcula-
cessé d’augmenter. Ain- bitieux, les supercalculateurs de Panziera,  teurs exaflopiques ne pourront
si, entre les machines apparues demain ne pourront pas être une directeur technique pas payer davantage, d’autant
dans les années 1990 et celles simple évolution des machines du Calcul haute qu’elles seront soumises à cer-
d’aujourd’hui, la performance actuelles ; ils devront incorpo­ performance chez Bull. taines normes environnemen-
a été multipliée par 1 million ! rer de nouvelles approches tales : les machines devront donc
En 2008, au moment où le pre- révolutionnaires. Ce sont tous consommer la même énergie,
mier supercalculateur a atteint la les aspects de leur architecture soit 10 mégawatts. Actuellement,
barre symbolique du petaflops, – consommation d’énergie, mi- l’efficacité énergétique des ordi-
soit 1 million de milliards d’opé- croprocesseurs, refroidissement, nateurs les plus puissants – do-
rations par seconde, les acteurs réseau d’interconnexion entre tés d’une puissance de 10 peta-
du domaine, extrapolant cette les composants et tolérance aux flops – est d’environ un gigaflops
tendance constante à la hausse, pannes – qu’il faut revoir de A par watt (10 petaflops rapportés
se sont fixés comme objectif de à Z. Tour d’horizon des cinq défis à 10 mégawatts). En 2020, la per-
passer à l’exaflops, soit 1 mil- technologiques à relever pour y formance par watt des machines
liard de milliards d’opérations arriver. exaflopiques devra passer à

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


Le supercalculateur
Curie du Genci (Grand
équipement national
de calcul intensif)
affiche une puissance
de 2 petaflops.
Conçu par Bull, il
est installé au TGCC
(Très grand centre
de calcul) de Bruyères-
le-Châtel (Essonne).

39

LeL'EXAFLOPS
futur
GPU
De l’anglais Graphics
Processing Unit. Un
processeur graphique

VERS
est un circuit intégré
présent sur une carte
graphique assurant
les fonctions de calcul
d’affichage.
100 gigaflops par watt. Pourra- lement, la vitesse ne pouvant une architecture simplifiée, l’ar-
t-on multiplier la puissance des plus augmenter, les progrès en chitecture SIMD (pour Single Registres
supercalculateurs actuels par 100 miniaturisation ont été mis au Instruction Multiple Data), où Les registres sont
les blocs de mémoire
tout en améliorant leur efficacité service du parallélisme. Chaque toutes les unités exécutent en directement intégrés
énergétique du même facteur ? microprocesseur contient désor- parallèle une même tâche mais dans le processeur.
Pour relever ce défi, les cher- mais plusieurs cœurs – jusqu’à sur des données différentes. De taille réduite,
cheurs explorent de nombreuses huit – qui sont des unités de trai- D’autres misent plutôt sur le ils contiennent
pistes, à commencer par la mise tement capables de travailler de parallélisme d’un grand nombre des données appelées
à être utilisées
au point de microprocesseurs et manière autonome et en paral- de cœurs généralistes – une cen- immédiatement.
de mémoires plus économes en lèle. La puissance des supercal- taine par processeur – dont les
énergie. culateurs actuels repose ainsi sur performances seront boostées
le travail simultané de plusieurs par l’ajout d’unités dites vec-

2/  ettre au point
M
de nouveaux
microprocesseurs
centaines de milliers de cœurs.
Pour les machines exaflopiques,
ce seront plusieurs millions de
torielles qui opèrent sur des
registres* de 512 bits au lieu de
64 habituellement. On réalise
cœurs. Cette prolifération des ainsi huit fois plus de calculs « Aubrey Isle » est
Pour réaliser des milliards d’opé- cœurs permet d’améliorer l’effi- par cycle. Cette nouvelle archi- le prototype des
rations par seconde, les super- cacité énergétique en diminuant tecture proposée par Intel a été processeurs MIC
calculateurs ont besoin de tou- le voltage des puces. baptisée MIC (Many Integrated (Many Integrated
jours plus de processeurs qui Malheureusement, cela ne Cores). Cores) d’Intel.
Cette puce regroupe
contiennent d’innombrables suffira pas : l’évolution de ces Les GPU ou les MIC jouent plusieurs dizaines
transistors ayant, chacun, besoin processeurs dits généralistes ainsi le rôle d’accélérateur de de cœurs indépendants
de courant électrique pour s’ou- (ou CPU pour Central Processing calcul dans certaines applica- fonctionnant en
vrir ou se fermer à chaque cycle Unit), dont les performances tions et permettent d’améliorer parallèle.
d’opérations. Il leur faut une doublent tous les ans, sera en
quantité d’énergie phénomé- effet trop lente pour aboutir ra-
nale : les processeurs représen- pidement aux 100 gigaflops par
tent ainsi la part la plus impor- watt tant recherchés. Il faudra
tante (70 %) de la consommation donc développer de nouveaux
des supercalculateurs. L’un des processeurs optimisés pour le
challenges pour passer à l’exa- calcul.
flops sera donc de développer Deux grandes tendances s’af-
de nouveaux processeurs plus frontent. Certains privilégient
économes en énergie. Jusqu’au l’utilisation des processeurs
milieu des années 2000, les in- graphiques (GPU*), qui servent
dustriels qui fabriquaient ces normalement au rendu réaliste
composants ont réussi à aug- des jeux vidéo. La puissance de
menter les vitesses de travail des ces processeurs repose sur l’utili-
transistors tout en limitant le sation de plusieurs centaines de
intel

voltage des puces. Mais actuel- cœurs de calcul organisés selon

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


l’efficacité énergétique. Dans les

CNRS Photothèque / Cyril Frésillon


deux cas, on pourrait atteindre
une performance extrêmement
prometteuse de 4 gigaflops par
watt. Revers de la médaille :
ces deux types de processeurs
restent difficiles à bien utiliser
car ils nécessitent de fréquents
échanges avec les CPU pour ac-
céder aux données en mémoire.
Pour qu’ils deviennent les mo-
teurs de l’exaflops, il faudra en
faire des processeurs indépen-
dants, ce qui nécessitera de re-
voir en profondeur les logiciels
de calcul.

40 3/ Améliorer
le refroidissement

L’énergie électrique consommée Logés dans des autant d’énergie que le fonc- venir les cœurs des processeurs
LeL'EXAFLOPS

armoires, les nœuds


par un calculateur est transfor- du supercalculateur tionnement du calculateur pro- qui seront uniquement dédiés
mée en grande partie en chaleur prement dit. Pour faire mieux, aux calculs. On tente ainsi de
futur

Curie, véritables briques


– effet Joule –, ce qui nécessite, de base de la machine on équipe désormais les portes développer de nouvelles archi-
pour le bon fonctionnement de composées de plusieurs des armoires qui contiennent les tectures de réseaux d’intercon-
la machine, l’installation de sys- microprocesseurs, sont grappes de processeurs de circuit nexions intimement intégrés aux
VERS

tèmes de refroidissement égale- interconnectés les uns d’eau froide, mais cela nécessite nœuds de calcul.
aux autres par un réseau
ment gourmands en énergie. Ces de communication toujours 40 % d’électricité en plus Par ailleurs, les liaisons entre
derniers peuvent faire augmen- haut débit. Dans le de celle dédiée au calculateur les composants devront être
ter la facture d’électricité de 50 à futur, il faudra accélérer lui-même. Et pour aller plus loin, plus rapides. Actuellement, le
75 %. Les concepteurs multiplient encore davantage le on fait circuler de l’eau dans des déplacement des données entre
donc les innovations pour conce- transport des données. plaques directement en contact les processeurs atteint environ
voir des systèmes plus efficaces. avec les composants des cartes 15 gigabits par seconde. En 2020,
Il y a peu de temps encore, les électroniques sans même avoir il devra passer à 50 gigabits par
systèmes d’air conditionné de besoin de la refroidir. Cette tech- seconde. Pour atteindre cet ob-
certains centres nécessitaient nique de refroidissement, dite jectif, il faudra abandonner les
Le serveur DLC (Direct passive, est pratiquement « gra- câbles traditionnels en cuivre
Liquid Cooling) de tuite », la seule énergie nécessaire pour des liaisons optiques.
Bull est refroidi par
de l’eau circulant étant celle consommée par les
dans des plaques
directement en
contact avec les
pompes pour faire circuler l’eau.
C’est le cas des nouveaux ser-
veurs de Bull, baptisés bullx DLC
5/ Éviter à tout prix
les pannes
composants des cartes (Direct Liquid Cooling). Qui plus Sur les supercalculateurs
électroniques.
est, comme le refroidissement actuels, on observe en moyenne
liquide direct permet d’absorber une fois par jour une défaillance
bien plus de calories qu’un refroi- d’un de ses composants (proces-
dissement par air, on peut rap- seurs, mémoire, lien réseau, ali-
procher les composants entre eux mentation...) sans toutefois que
sans risque de surchauffe, et ainsi cela n’interrompe les opérations,
réduire le temps de communica- du fait de la forte redondance
tion entre eux et donc améliorer des systèmes. Or, la fréquence
la performance du calculateur. des pannes augmente avec le
nombre de composants d’un sys-

4/ Accélérer le transport
des données
tème. On estime ainsi que les ma-
chines exaflopiques, qui contien-
dront plusieurs millions de cœurs
L’épine dorsale d’un supercal- de calcul, seront sujettes à une
culateur est son réseau de com- panne par heure ! Pour surmon-
munication qui interconnecte ter ce risque, les logiciels devront
des milliers de nœuds, un nœud sauvegarder régulièrement les
étant la brique de base d’un supe- données nécessaires à la reprise
rordinateur, et qui consiste en un et la continuation des calculs.
assemblage de plusieurs micro- L’architecture des futurs calcu-
processeurs. Pour les machines lateurs incorporera un système
exaflopiques, il faudra cette fois hiérarchique de sauvegarde afin
relier entre eux dix fois plus de de pouvoir redémarrer rapide-
nœuds. Pour être efficace à cette ment l’application sur le reste du
échelle-là, les communications système, en utilisant éventuelle-
s’exécuteront de façon complète- ment des composants de rempla-
bull

ment autonome sans faire inter- cement. z

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


« L’innovation   les ans alors que la technologie
du silicium sur laquelle sont
basés les composants électro­

est la clé pour  


niques voit ses performances
doubler tous les deux ans seule­
ment. Comment ? En inventant
sans cesse de nouvelles façons

atteindre l’exaflops » d’organiser les composants – on


parle d’architectures – et en y
incorporant de nouvelles tech­
nologies. Plus que jamais, nous
Alan Gara dirige la recherche d’Intel sur les futurs calculateurs devons continuer sur cette lan­
cée. Mais il va falloir aussi que
exaflopiques. Le scientifique américain a été le concepteur nous travaillions main dans la
des supercalculateurs Blue Gene d’IBM, qui figurent aujourd’hui main avec les utilisateurs qui
parmi les machines les plus puissantes du monde. Il nous éclaire développent les logiciels pour
ces machines, afin d’augmenter
sur les défis qu’il faudra relever pour passer à l’exaflops et dévoile drastiquement la capacité de ces 41
ce à quoi pourraient ressembler les supercalculateurs de demain. outils informatiques à utiliser en
même temps de très nombreux

vers l'exscale
cœurs de calcul au sein des pro­
cesseurs – on estime en effet
Alan Gara est à la tête
intel

que les machines exaflopiques


de la recherche sur
l’exascale chez Intel contiendront environ un mil­
depuis 2012. Il est lion de cœurs contre 100 000
aussi le concepteur aujourd’hui.
des supercalculateurs Cette collaboration per­
Blue Gene d’IBM. mettra de définir l’architecture
idéale des machines de demain.
Conjointement, les concepteurs
de modèles numériques, dispo­
sant de cette première ébauche
de plate-forme matérielle,
pourront mettre au point de
nouveaux algorithmes de calcul
qui viendront renforcer encore
la puissance des machines exas­
cale très rapidement après leur
mise en route.

À quoi ressembleront
les futurs supercalculateurs ?
A. G. : Difficile de dire à quoi
ressemblera la première machi­
ne exaflopique mais, ce qui est
sûr en tout cas, c’est qu’elle
devra être plus compacte qu’au­
jourd’hui. Il faudra pour cela in­
tégrer dans un seul et même de
ses composants électroniques
plusieurs fonctions qui sont
remplies actuellement par des
composants différents. Ce sera
particulièrement le cas pour
les mémoires et les liaisons de
Le prochain objectif affiché et simples d’utilisation. Conce­ communication. Une démarche
par les acteurs du calcul voir une machine qui remplisse importante si on ne veut pas que
intensif, dont Intel, est de une seule de ces conditions est le coût des supercalculateurs
mettre au point d’ici à 2020 relativement simple. Réunir les exaflopiques – qui contiendront
des machines exaflopiques, trois en même temps est beau­ forcément plus de composants
donc cent fois plus puissantes coup plus difficile. Pour y parve­ qu’aujourd’hui – explose. Car
encore que les meilleurs nir, l’architecture des machines dans la course à l’exascale,
calculateurs actuels. De quelle va devoir être particulièrement comme dans tout autre grand
manière va-t-on y parvenir ? innovante. L’innovation est d’ail­ projet, les meilleures solutions
Alan Gara : Le plus grand chal­ leurs ce qui caractérise le mieux seront celles qui seront les plus
lenge qui nous attend sera de le calcul intensif. Depuis trente viables économiquement. Ren­
mettre au point des supercalcu­ ans, nous sommes parvenus dues ainsi plus compactes, les
lateurs à la fois peu gourmands à créer des machines dont les machines pourront faire appel à
en énergie, tolérants aux pannes performances doublent tous des technologies de communi­

supercalculateurs - La Recherche - novembre 2012 - N° 469


ver. En même temps, je m’attends
à ce que les premières machines
exaflopiques soient quelque peu
hybrides, reprenant certaines
caractéristiques des calculateurs
actuels et en possédant d’autres
totalement nouvelles.

La maîtrise de l’énergie semble


le principal chantier sur lequel
il faut travailler pour atteindre
l’exaflops. Pourquoi ?
A. G. : Jusqu’ici, la consommation
des superordinateurs double envi­
ron tous les cinq ans. Désormais,
tout le monde est d’accord sur un
point : nous pourrons doubler
cette consommation une dernière
42 fois encore avant d’atteindre une
limite qu’on ne pourra plus dépas­
ser. Cela va nous obliger à l’avenir
vers l'exascale

à être beaucoup plus attentifs à


l’efficacité énergétique des ma­
chines si l’on veut que leur puis­
sance de calcul continue à dou­
bler chaque année. En admettant
que la consommation électrique
reste constante, cela signifie qu’il
va falloir doubler l’efficacité éner­
gétique tous les ans. C’est comme
si dans l’industrie automobile, on
arrivait à construire des voitures
mille fois moins gourmandes en
carburant tous les dix ans. Impos­
sible ! C’est pourtant ce que nous
tentons de faire avec les supercal­
culateurs.
intel

Plusieurs laboratoires de
recherche en partenariat avec
Wafer de
cation qui utilisent des solutions l’on veut voir arriver de telles ma­ processeurs Intel Xeon.
Intel sont installés en Europe,
techniques éprouvées et com­ chines d’ici à la fin de la décennie. dont un en France. Pourquoi
pétitives à base de cuivre, réser­ Jusqu’à présent, la performance est-il si important pour vous
vant ainsi les liaisons optiques des supercalculateurs a doublé d’être présent sur notre
très onéreuses au déplacement en moyenne tous les ans. Mais il continent ?
des données sur les longues s’agit d’une moyenne car lorsque A. G. : L’Europe est très active en
distances à l’intérieur du cal­ vous regardez de plus près, vous matière de calcul haute perfor­
culateur. Les processeurs aussi vous apercevez qu’en réalité il y a mance, et pour nous il est très
devront être différents. Mais eu des changements radicaux à important de participer à cette
ils permettront, dans le même peu près tous les dix ans qui ont dynamique. Nous savons que le
temps, aux logiciels actuels de permis d’augmenter largement la logiciel sera fondamental pour
continuer à fonctionner correc­ puissance de calcul. À mon avis, gagner la bataille de l’exaflops.
tement. Tout cela va donc orien­ l’histoire va se répéter. Pourquoi ? Les laboratoires, en partenariat
ter nos choix pour l’architecture Aujourd’hui, pour augmenter la avec Intel, travaillent sur la mise
des machines. Cela jusqu’à un puissance des supercalculateurs, au point de nouveaux logiciels,
certain point seulement : il fau­ la tendance est à la multiplica­ qui vont être déterminants pour
dra aussi prendre des risques en tion des cœurs de calcul au sein pouvoir l’atteindre.
explorant de nouvelles pistes des processeurs. Mais cela ne va Dans ce domaine, la France,
technologiques qui pourraient pas suffire pour répondre aux particulièrement, va jouer un rôle
aboutir à des innovations plus contraintes de consommation très important pour indiquer les
performantes encore. d’énergie. Il va donc falloir inno­ principales directions à prendre
en matière de recherche, et cela
Pensez-vous que les machines grâce à la présence conjointe
exaflopiques vont naître Le coprocesseur de notre laboratoire Exascale
d’une simple évolution des Intel Xeon Phi. Computing Research, de centres
calculateurs actuels ? Ou va-t- de recherches académiques et
on devoir tout revoir de A à Z industriels réputés mais aussi de
pour les mettre au point ? centres de calcul parmi les plus
A. G. : Je pense qu’on va devoir puissants d’Europe. z
intel

ouvrir un nouveau paradigme si Propos recueillis par Pierre Mira

N° 469 - novembre 2012 - La Recherche - supercalculateurs


Le cœur du HPC
le Campus
Teratec
&
le Très Grand
Centre de calcul
du CEA
Industriels
Présence sur le site des
industriels du HPC - grands
groupes et PME - et fourniture
aux entreprises de toutes tailles
de services de conception
numérique et de simulation CCRT
associés aux moyens de calcul 300 téraflop/s de puissance
les plus performants. de calcul sécurisés, au
service de grands industriels
Laboratoires mutualisant avec le CEA,
Regroupement sur le site compétences, coûts et risques
de plusieurs laboratoires de au travers de partenariats
recherche industrielle couvrant durables.
toute la chaîne du HPC depuis
les composants et les systèmes
jusqu’aux logiciels et aux
applications.

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