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et traitements
Sébastien Aze
En 1977, l’Iccrom publiait La Conservation des peintures murales 1, ouvrage collectif
issu de la collaboration de deux restaurateurs de l’Istituto centrale del restauro à Rome,
Paolo et Laura Mora, et de Paul Philippot, théoricien bien connu de la conservation
Ces dossiers sont l’occasion de faire état des
avancées de la recherche scientifique et technique
qui ont été favorisées par les développements
technologiques de ces vingt dernières années
Émilie Checroun du patrimoine. Ce traité fondamental est devenu la bible du conservateur et par l’intérêt croissant porté par les scientifiques
Vincent Detalle aux matériaux du patrimoine. L’utilisation
et du restaurateur de peintures murales, abordant à la fois l’histoire technique
Stéphanie Duchêne de grands instruments – tels que les accélérateurs
des peintures murales en Europe et dans le monde, les techniques de conservation de particules, comme Aglae (l’accélérateur
Mauro Matteini
Isabelle Pallot-Frossard et de restauration alors en vigueur, ainsi que les principes déontologiques qui guident grand Louvre d’analyse élémentaire situé
Jean-Marc Vallet leur travail. Bien entendu, en trente-quatre ans, de nombreuses recherches, dans le laboratoire du musée du Louvre)
ou les synchrotrons – est devenue relativement
matérialisées dans d’innombrables publications scientifiques, ont fait avancer courante pour l’analyse des matériaux
la connaissance sur les matériaux et les techniques des peintures murales anciennes, du patrimoine auxquels ils apportent leur très
et les produits de la conservation ont évolué. Cependant, aucun écrit aussi complet grande puissance et précision. Ce sont des analyses
sur synchrotron qui ont permis, en particulier,
n’est venu prendre la suite de cette somme, et le socle de connaissances
de mieux connaître les phénomènes
alors établi ainsi que les principes directeurs de l’action de conservation restent de noircissement du cinabre (cf. l’article
éminemment valables. de Mauro Matteini p.106 ). Hélas, le recours
à ces techniques de pointe ne nous a≠ranchit pas
Sans aucune prétention à prendre le relai de ces du prélèvement de matière, toujours mutilant,
illustres pionniers de la conservation, la revue et dont la représentativité n’est pas assurée à
2
Monumental propose, à compter du présent chaque fois. C’est pourquoi on a également vu,
numéro, deux importants dossiers techniques ces dernières années, se perfectionner les
sur la conservation des peintures murales techniques d’analyse in situ, telles que la
qui visent à faire le point sur l’état des recherches fluorescence X portable, la spectroscopie sur
dans ce vaste domaine, illustrés de quelques plasma induit par laser, la spectrométrie
1. Paolo et Laura Mora,
Paul Philippot et al., cas concrets. Le premier traite à la fois de la infrarouge ou la di≠raction des rayons X 3
La Conservation des peintures méthodologie analytique à mettre en œuvre (cf. l’article de Vincent Detalle et
murales, Centre international dans le cadre d’un chantier de peintures murales Stéphanie Duchêne p.96), qui permettent
d’études pour la conservation – depuis la caractérisation des matériaux de faire une première investigation détaillée
et la restauration sur site et, sinon, de se passer du prélèvement,
en présence jusqu’au diagnostic de l’état
des biens culturels, Bologne,
de conservation, des nouvelles connaissances du moins de le limiter au maximum en le
Editrice Compositori, 1977.
sur les pigments anciens et leurs altérations – choisissant avec plus de pertinence.
2. Pour rappel, se référer aux
et des nouvelles méthodes de nettoyage et de Par ailleurs, les techniques de diagnostic in situ,
dossiers sur les peintures murales
publiés dans : Monumental, nº18, reconversion des pigments altérés. Le second sans contact – comme l’holographie, la vibrométrie
septembre 1997 et Monumental, dossier sera centré sur les méthodes de laser-doppler, la thermographie infrarouge –,
nº20, mars 1998; Monumental consolidation et de protection, de dessalement, se sont beaucoup développées et permettent
2007, semestriel 2, p.6-49: de réintégration des lacunes et de conservation de réaliser, aujourd’hui, une cartographie
«De l’étude à la valorisation», préventive.
«De la connaissance à la à distance des décollements d’enduits et des
restauration» et les études de cas altérations de la couche picturale, et apportent
sur Saint-Savin-sur-Gartempe, une aide précieuse au restaurateur dans son
Sainte-Cécile d’Albi, Sucy-en-Brie diagnostic et dans la sélection des zones à
et l’Aubette de Strasbourg; consolider.
Monumental 2008, semestriel 2,
p.6-47 avec les études de cas sur Paolo et Laura Mora avaient leurs yeux et leurs
Saint-Savin-sur-Gartempe, Oiron, savoirs immenses. S’appuyant sur des techniques
Ancy-le-Franc, le château de
analytiques de laboratoire assez simples,
Fléchères et la chapelle Saint-Joseph
de la Visitation de Moulins.
ils ont ouvert la voie aux scientifiques et aux
restaurateurs d’aujourd’hui qui, certes, ont
3. Ces techniques ont été
de plus beaux outils, plus performants, mais
développées pour certaines
d’entre elles dans le cadre
se doivent de rester dans les lignes directrices
du projet européen Charisma si bien définies par leurs illustres prédécesseurs.
qui met à disposition
Isabelle Pallot-Frossard
des conservateurs et des
restaurateurs un laboratoire Directeur du Laboratoire de recherche
mobile, Molab, pouvant se des monuments historiques
déplacer dans toute l’Europe, Conservateur général du patrimoine
afin de mener sur site
des campagnes d’analyse Page de gauche
sur des œuvres importantes. Figure 1
Il a été mis au point dans le cadre Analyse par Libs d’un détail
du projet européen EuArtech de la peinture – le roi David –,
et est actuellement disponible dans mis au jour sur le mur
le cadre de l’accès transnational sud-est du massif occidental
du projet européen Charisma de la cathédrale de Chartres.
(http://www.charismaproject.eu/). Ph. LRMH.
1.
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Chapitre 1
Les études scientifiques des peintures murales
Du chantier au laboratoire : approche méthodologique et technique
Dans son introduction, Isabelle Pallot-Frossard nous rappelle que Paolo et Laura Mora, Les techniques de laboratoire Sur poudre ou à condition de disposer
de su≤samment de matériaux, la di≠raction
s’appuyant sur des techniques analytiques de laboratoire assez simples, avaient ouvert En laboratoire, un éventail assez large de méthodes
des rayons X autorise l’accès à la maille
la voie aux scientifiques et aux restaurateurs d’aujourd’hui. Cependant, les techniques analytiques, incluant des tests physico-chimiques,
des systèmes cristallins et à la nature même
peut être mis en œuvre après avoir e≠ectué
analytiques et scientifiques ont largement évolué : l’arrivée de l’informatique et de des espèces cristallisées (inorganiques
un prélèvement. Si l’on parle de prélèvement
l’électronique ont permis de développer des outils plus sensibles, assurant une meilleure ou organiques) présentes. Celle-ci peut même être
de peinture murale, on pourra inclure dans une
réalisée sur coupe grâce à une instrumentation
détection et résolution, mais aussi une avancée vers une plus grande miniaturisation résine polymère un échantillon, afin d’accéder
disponible au C2RMF 2 et cofinancée par le LRMH,
rendant possible un travail de terrain hier limité. à sa stratigraphie, mais on pourra aussi
avec une résolution inférieure à 50µm, donc
travailler sur le prélèvement lui-même suivant
de l’ordre de grandeur d’une couche de peinture.
Le diagnostic in situ, l’échantillonnage les techniques analytiques. Quoiqu’il en soit,
Pour la recherche plus fine des éléments
la première méthode pratiquée reste
Les principaux enjeux représentés par l’étude Toute étude de cas est, évidemment, réalisée organiques, la chromatographie liquide
l’observation à l’aide d’une loupe binoculaire,
des peintures murales résident dans la nécessité dans le cadre d’un chantier de restauration. à haute performance (HPLC) fournit
afin de faire le choix de l’inclusion ou des parties
de disposer d’outils de diagnostic in situ, afin Cela signifie que les partenaires – maître d’œuvre, des informations sur les colorants ou les laques,
pertinentes à isoler suivant l’information
de pouvoir apporter des réponses à la fois rapides maître d’ouvrage, historien d’art – seront, alors que la chromatographie en phase gazeuse
recherchée. Une fois l’inclusion réalisée,
et pertinentes. La plupart des laboratoires avec le restaurateur qui a l’œil le plus proche associée à la détection par spectrométrie
la microscopie optique apportera un nombre
de recherche spécialisés dans le domaine du de la matière, associés directement à cette étude. de masse (GC-MS), couplée ou non à une pyrolyse
considérable d’informations sur la structure
patrimoine y travaillent depuis plus de vingt ans. Si des outils de terrain sont disponibles, ils (Py), permettra d’identifier une cire, une huile
de l’échantillon, mais aussi sur la nature des
viendront compléter ou confirmer les observations ou une résine polymère, et, éventuellement,
Cependant, même si les techniques d’analyse composés présents. Associés à la fluorescence
du restaurateur. Les questions de chacun sont si les conditions analytiques sont favorables,
in situ tendent à devenir de plus en plus (obtenue par l’utilisation d’une lampe à U.V.),
alors exprimées, mises en perspective, et, grâce d’en déterminer la nature exacte (cire d’abeille,
présentes, le principe de la prise d’échantillons certains indices fourniront des renseignements
à ce dialogue indispensable, l’étude scientifique huile de lin, d’œillette ou de noix).
reste la norme (au mieux de l’ordre du mmC), sur la présence de composés organiques.
sera orientée, car il ne s’agit en aucun cas
aboutissant à des réponses décalées dans le La microscopie électronique à balayage (MEB) Une analyse globale d’un échantillon après
de tenter une étude sans objectif clair. Il faut
temps et posant la question de la représentativité couplée à une sonde EDS 1 permet d’accéder dissolution par plasma inductif, couplée
répondre à des questions précises: Y a-t-il
par rapport à l’ensemble de l’œuvre. à des couches de taille inférieure au micromètre à la spectrométrie de masse ou optique
plusieurs couches? Est-ce une couche originale?
et d’obtenir des informations élémentaires (ICP-MS ou ICP AES), pourra livrer une
Il convient, néanmoins, de séparer, même si Peut-on les dater? Quelle est la nature 1.
(nature des atomes) conduisant souvent à information complète et élémentaire, souvent
elles peuvent se rejoindre, les techniques de tel ou tel produit de restauration? Etc.
l’identification des pigments et à la plupart quantitative.
qui sont dédiées à l’analyse fine – permettant Une fois l’échange avec les di≠érents partenaires
des composés présents. La microspectroscopie
d’obtenir des réponses à des questions abouti, un échantillonnage complémentaire, Nous évoquerons plus précisément la microscopie
infrarouge à transformée de Fourier (IRTF)
d’archéométrie ou aidant à la compréhension mesuré et raisonné, pourra être e≠ectué, prenant infrarouge à transformée de Fourier afin
peut, aujourd’hui, être mise en œuvre directement
des mécanismes d’altération – de celles, robustes en compte, lors du prélèvement, les besoins d’apporter au lecteur des informations sur
sur coupe comme nous le verrons par la suite,
et e≤caces, plus directement développées quantitatifs en fonction des techniques que l’on le potentiel représenté par cet outil de laboratoire
afin d’accéder aux di≠érentes couches organiques
pour apporter des solutions de conservation. envisage d’utiliser. En e≠et, mieux vaut ne pas aujourd’hui très performant.
sans avoir besoin de les isoler et de les séparer
prélever que prélever une quantité dont on sait,
Dans cet article, nous traiterons, tout d’abord, – procédé qui induisait des pertes d’échantillons.
a priori, qu’elle ne sera pas su≤sante pour
des principales techniques disponibles, Elle évite également des extractions à rendement 1. Sonde à dispersion d’énergie
obtenir une réponse; de même, il est préférable
en rappelant les informations qu’elles peuvent très faible qui limitaient la capacité de détection. qui permet de mesurer l’énergie
d’accepter un prélèvement plus important des transitions électroniques au
apporter, et nous analyserons les techniques La microscopie Raman présente, quant à elle,
si l’on souhaite vraiment résoudre une question cœur des atomes et donc de les
de terrain. Ensuite, nous nous arrêterons plus l’avantage d’identifier certains modes de
délicate. C’est pourquoi le scientifique identifier.
longuement sur celles développées depuis vibration des molécules et donc de déterminer
se doit de rester à l’initiative de cette opération. 2. Partagée avec le LRMH.
quelques années, au sein du LRMH, afin de fournir à coup sûr, par exemple, la lazurite – espèce
des informations utiles aux praticiens de colorante du lapis-lazuli dont la caractérisation
la conservation et de la restauration. Ainsi, sera est souvent gênée par l’émission de fluorescence
présentée la méthodologie analytique à mettre des espèces organiques si elles sont présentes
en œuvre dans le cadre d’un chantier de peintures en mélange. Il est également possible de mettre
murales, depuis la caractérisation des matériaux en œuvre, pour les laboratoires équipés,
jusqu’au diagnostic de l’état de conservation. de la microspectroscopie de plasma induit
par laser permettant une analyse élémentaire
sur coupe ou directement sur échantillon, sans
limitation de taille et de façon séquentielle,
en l’observant au microscope optique,
sans le manipuler.
Vincent Detalle
Ingénieur au LRMH, Figures 1 et 2
responsable du pôle Exemples de chantiers
peinture murale de peintures murales
et polychromie suivis par Libs.
1. La Crucifixion, enfeu
Stéphanie Duchêne
du musée Unterlinden, Colmar.
Assistant ingénieur 2. Détail de la voûte
au LRMH, pôle peinture de la chartreuse
murale et polychromie de Villeneuve-lez-Avignon.
2.
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Figure 3
Microspectromètre IRTF:
ATR diamant à droite,
microscope et ATR germanium
à gauche.
Figure 4
Système Libs du LRMH.
Figure 5
Schéma du principe
de la spectroscopie de plasma
La microspectroscopie infrarouge Néanmoins, pour les œuvres monumentales, permettent aujourd’hui de la positionner induit par laser (Libs).
dans l’analyse de la polychromie et donc intransportables, l’étape de prélèvement comme une instrumentation de routine essentielle
Figure 6
est nécessairement invasive. De plus, ce processus pour aborder l’étude d’œuvres monumentales. Analyse par Libs de la
La microspectroscopie infrarouge à transformée
d’analyses en laboratoire est coûteux en temps La thermographie infrarouge stimulée, qui fait polychromie de la porte Rouge
de Fourier est basée sur l’absorption d’un 3. 4.
et en quantité d’échantillons si l’on veut également l’objet d’un approfondissement au de Notre-Dame de Paris.
rayonnement infrarouge par le matériau analysé.
les effectuer correctement. Il faut donc mettre en LRMH, en association avec le CICRP (à Marseille), Figure 7
L’identification des vibrations caractéristiques
place une stratégie de prélèvement sur le terrain. l’université de Reims et le laboratoire IDK à Dresde, Analyse par thermographie
des liaisons chimiques permet de déterminer
Cette étape est délicate ne sachant, a priori, s’impose peu à peu pour l’établissement d’un infrarouge sur la voûte
les fonctions chimiques (groupements
quelles techniques seront utilisées, et peut diagnostic de conservation cohérent. de l’abbatiale de Saint-Savin-
fonctionnels) présents aussi bien dans sur-Gartempe.
demander, a posteriori, un nouvel échantillonnage
les matériaux organiques qu’inorganiques. Le principe de la spectrométrie
prolongeant ainsi inévitablement la durée Figure 8
Le LRMH s’est récemment équipé d’un nouveau nécessaire pour obtenir la réponse au problème d’émission optique sur plasma Schéma du principe de la
spectromètre infrarouge couplé à un microscope soulevé pour la conservation et la restauration de induit par laser (Libs) thermographie infrarouge.
Y
(fig.3). Il o≠re la possibilité de réaliser les analyses l’œuvre. C’est pourquoi ces dernières années ont L’analyse par Libs (fig.5) repose sur l’interaction Figures 9a, 9b et 9c
Analyse du spectre
par transmission sur des échantillons préparés vu se développer un grand nombre de techniques d’une impulsion laser de quelques nanosecondes 9a. Échantillon étudié,
au préalable en micropastilles selon une méthode dites «portables», c’est-à-dire pouvant être mises avec le matériau à analyser. Le faisceau laser est voûte de l’abbatiale
de Saint-Savin-sur-Gartempe.
couramment utilisée. Il permet également la en œuvres in situ. focalisé à la surface de l’échantillon, induisant
9b. Emplacement
caractérisation selon deux autres modes: en un dépôt d’énergie important en peu de temps des défauts dans l’échantillon.
réflexion et par contact en Réflexion Totale Les techniques in situ sur une surface réduite: l’irradiance (puissance Y
Identification
9c. Visualisation des défauts
des éléments
Atténuée (ATR). En ce qui concerne la réflexion, il En réalité, le diagnostic sur site n’est pas récent; par unité de surface) atteinte en Libs est de l’ordre par thermographie infrarouge.
est nécessaire d’écraser l’échantillon (en général on peut citer, notamment, la photographie U.V. du GW.cm-2. L’échau≠ement brutal du matériau Figures 10a, 10b et 10c
la couche considérée), afin d’obtenir un film (ultraviolette) ou I.R. (infrarouge), mis en œuvre conduit alors à la vaporisation extrêmement 10a. Échantillon étudié,
transparent. Pour les analyses en ATR, depuis longtemps par les laboratoires du localisée de la matière. La vapeur absorbe voûte de l’abbatiale
Longueur d’onde (cm)
on peut travailler aussi bien sur les écailles que patrimoine, qui permettent d’identifier des zones une partie du rayonnement laser, elle s’échau≠e de Saint-Savin-sur-Gartempe.
sur les coupes stratigraphiques, ce qui permet de repeints ou des dessins sous-jacents. et est ionisée. Un plasma contenant des électrons, Grâce à un étalonnage préalable du signal 10b. Relevé effectué
par l’équipe de restauration.
d’obtenir des cartographies et donc de localiser Aujourd’hui, les techniques de terrain ont pris un des atomes et des ions dans un état excité se forme
10c. Image traitée par
les espèces avec une résolution de quelques essor tout particulier, aussi bien en France qu’à alors. L’ensemble de ces mécanismes se produit la méthode du calcul de la valeur
micromètres. Les spectres obtenus pour chaque l’étranger; l’existence, depuis presque dix ans, du pendant et après l’impulsion laser sur une durée du maximum de contraste.
point peuvent être reliés à une zone de la coupe Molab européen (laboratoire mobile) destiné à de quelques microsecondes. Lors de son expansion Focalisation Éjection Création Expansion Quantification © CESCM.
en lumière visible. l’analyse du patrimoine mobilier et monumental dans l’atmosphère, les atomes et les ions émettent d’un laser sur d’atomes du plasma. du plasma. Y des éléments
le matériau et de particules Désexcitation
en témoigne. des photons à des longueurs d’onde caractéristiques
Aujourd’hui, ces techniques d’analyses sont, à analyser. incandescentes. des particules.
des éléments atomiques contenus dans le plasma. Émission
la plupart du temps, présentes dans les laboratoires. Parmi les techniques de diagnostic in situ, sans
Ainsi, en collectant le rayonnement issu 5. de lumière.
Cependant, pour des analyses plus fines contact, certaines ont pour vocation de livrer
de celui-ci et après analyse du spectre d’émission,
incluant notamment l’étude des altérations, un diagnostic structural. Ainsi, on retrouve
il est possible d’identifier, à partir des bases
il peut être nécessaire d’utiliser les grands l’holographie, la vibrométrie laser-doppler
de données de raies d’émission, les éléments
instruments d’analyse. et la thermographie infrarouge stimulée
présents dans l’échantillon analysé.
(qui sera développée par la suite) qui permettent
Les grands instruments aujourd’hui de réaliser une cartographie à La position des raies d’émission optique (spectre
Le développement des grands instruments distance des décollements d’enduits et des dans le visible majoritairement) renseigne
– ceux utilisant le rayonnement synchrotron altérations de la couche picturale, et qui apportent sur les éléments présents dans l’échantillon,
(ESRF de Grenoble, Soleil sur le plateau de Saclay) une aide précieuse au restaurateur dans leurs intensités étant quant à elles reliées à la
ou encore l’accélérateur grand Louvre (Aglae) son diagnostic et dans la sélection des zones à concentration de l’élément dans l’échantillon.
du C2RMF – a largement accru les performances consolider. D’autres vont livrer des informations Afin de déterminer les pigments présents
Flux excitateur
des outils classiques de laboratoire. En e≠et, d’ordre physico-chimique, afin de réaliser dans les peintures murales et les polychromies,
l’important flux d’énergie permet une détection une première investigation détaillée sur site, la position des raies d’émission et leur intensité
augmentée associée à une résolution d’analyse évitant de passer par le prélèvement, relative sont su≤santes pour les identifier, Acquisition
de l’ordre du micromètre. Ainsi, pourront être ou du moins en le limitant au maximum en l’information recherchée restant qualitative. et traitement Échantillon
mises en œuvre des techniques telles que l’EXAFS le choisissant avec plus de pertinence. Il s’agit de De plus, c’est une analyse en temps réel et peu des données
(Extended X-Ray Absorption Fine Structure/ analyse techniques telles que la fluorescence X portable, destructive.
de spectrométrie d’absorption des rayons X), la spectroscopie sur plasma induit par laser,
Depuis 2005, le LRMH dispose d’un système
le Xanes (X-Ray Absorption Near Edge Structure/ la spectrométrie infrarouge, la spectrométrie
de Libs de laboratoire (fig.4) 3 qui a, peu à peu,
spectroscopie de structure près du front d’absorption Raman ou la di≠raction des rayons X.
évolué vers un appareil de terrain. I.R. détecteur
de rayons X), l’EDS (Energie dispersive spectrometry/
Restent les techniques les plus courantes,
spectrométrie à dispersion d’énergie) ou encore Le travail s’est tout d’abord concentré sur 6. 7. 8.
telles que la spectrophotocolorimétrie, incluant
l’infrarouge avec la possibilité de réaliser le développement instrumental, avec pour objectif
des domaines spectraux de plus en plus étendus
de la tomographie. Aglae induit une émission principal d’utiliser des composants robustes et E
afin de caractériser la matière et les couleurs
de rayons X par particules chargées (ou Pixe) aussi peu encombrants et légers que possible. D B
(capacité d’absorption des pigments et des liants).
et admet des objets de taille raisonnable devant Des études visant à contrôler et à minimiser
le faisceau. Cependant, si la mise en œuvre de Depuis 2005, un e≠ort tout particulier a été porté les e≠ets de l’interaction laser-matière étaient
ces techniques est possible pour des études très par le LRMH pour développer la spectrométrie e≠ectuées en même temps. Enfin, un logiciel
spécifiques, elle reste inenvisageable en routine, d’émission optique sur plasma induit par laser a été créé en interne afin de traiter les données. C
A
sauf pour des thématiques particulières, l’accès (Libs/Laser induced breakdown spectroscopy). Depuis 2007, plusieurs chantiers de peintures
et le temps de faisceaux restant di≤ciles à obtenir. De nombreuses étapes de validation in situ nous ont été suivis par Libs 4 (fig.1, 2 et 6).
9 a. 9 b. 9 c. 10 a. 10 b. 10 c.
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Tableau 1
Diagramme méthodologique pour l'analyse des peintures murales au LRMH
Analyse in situ
Observations
Figures 14a, 14b, 14c, 14d et 14e Figures 15a, 15b et 15c
14a. Pierre polychrome 15a. Pierre polychrome
représentant la Pentecôte, représentant l’Ascension,
cathédrale de Nevers. cathédrale de Nevers.
14b. Coupe transversale 15b. Coupe transversale
de l’échantillon prélevé sur de l’échantillon prélevé sur un
le décor au glacis sur feuille d’or. vêtement bleu. Le rectangle
Les analyses portent sur rouge indique la zone analysée
la couche de finition rouge en ATR au microscope, le spectre
(zone en pointillés rouges). moyen d’absorption a été extrait
14c. Couche de finition observée de la zone en pointillés rouges.
en coupe, au microscope optique, 15c. Image en fausses couleurs
sous lumière U.V. Les particules après traitement mathématique
de laque apparaissent dans de la cartographie infrarouge.
la matrice organique. La zone 2 correspond au rectangle
14d. Image en fausses couleurs, en pointillés de l’image en
après traitement mathématique lumière visible au microscope.
de la cartographie infrarouge.
Page de droite
La zone 2 correspond au rectangle
Figure 16
en pointillés de l’image en
Détail de la pierre
lumière visible au microscope.
de La Pentecôte, indication
14e. Spectre d’absorption
de l’emplacement
en infrarouge de la couche
du prélèvement sur le brocart.
de finition rouge (en bleu)
et spectre de référence de résine Photographies et documents
mastic (en rose). LRMH, sauf mention contraire.
14 a. 15 a.
16.
Brocart appliqué
Les brocarts appliqués ou Pressbrocade Ce terme rappelle les décors textiles brodés Bibliographie
est le nom donné à la technique médiévale qui de fils d’or qu’ils cherchent à imiter. Cette technique Myriam Serck-Dewaide,
50 µm 37 µm 70 µm consiste à rehausser les tableaux, les peintures décorative, dont l’usage se généralise depuis «Décors en reliefs: approche
murales ou les sculptures polychromes en pierre le milieu du xve siècle jusqu’au milieu du siècle technologique et historique»,
14 b. 14 c. 15 b. ou en bois, de décors en léger relief. Ils peuvent suivant dans toute l’Europe, est le plus souvent dans Le Retable d’Issenheim
ensuite être enrichis de feuilles d’or, de couleurs utilisée pour décorer les bordures des vêtements, et la sculpture au nord
ou de glacis. des Alpes à la fin du Moyen Âge,
mais aussi pour garnir les fonds des compositions actes du colloque de Colmar
picturales. Le motif textile choisi, de quelques (2-3 novembre 1987), réunis et
centimètres de côté, est gravé dans du bois présentés par Christian Heck,
ou du métal. Une feuille d’étain peut être déposée publié dans le Bulletin de la
et tamponnée afin de faciliter le démoulage, société Schongauer, numéro
puis on applique ou on coule à chaud spécial, 1989, p. 91-97.
une masse semi-liquide, la matière de relief. Ruth Richardson, «The history
La nature de cette masse appliquée ou coulée and techniques of press-brokaat»,
détermine deux grands groupes de brocarts: dans Gilding and surface
decoration, actes de la conférence
> un type «gras», composé essentiellement de restauration de l’institut de
de cire additionnée de miel, de résine, conservation du Royaume-Uni
14 d. d’huile et parfois même chargé de pigments; (UKIC), 16 octobre 1991,
> un type «maigre», à base de colle protéique ed. Sophie Budden, p. 36-39.
(colle animale ou blanc d’œuf) émulsionnée
parfois par un peu d’huile et chargé
de carbonate de calcium éventuellement coloré.
Chapitre 2
L’altération des pigments, bilans et traitements
L’altération chromatique des pigments dans la peinture murale
La plupart du temps, les couleurs employées dans la peinture murale ancienne sont si les conditions sont réunies, la chaux a le temps
des substances stables. Les maîtres anciens savaient que les peintures murales étaient de migrer, progressivement, de l’intérieur de
l’enduit vers la surface picturale. Ceci expliquerait
beaucoup plus exposées aux agressions extérieures – climat incontrôlable, humidité comment une alcalinité su≤sante permettant
des murs, sels, moisissures, etc. – que les peintures réalisées sur bois ou sur toile. l’oxydation des pigments peut se former en
surface, dans des milieux particulièrement
Certaines techniques picturales, comme L’altération du blanc de plomb humides et sur un certain nombre d’années.
la peinture a fresco ou la peinture à la chaux, en brun foncé Si le pH>9,5, en présence de chaux, le plomb+II
incluent un contact direct entre les pigments tend à former le plombite de calcium CaPbOc,
Le blanc de plomb, composé d’un mélange
et la chaux, substance très agressive par son partiellement soluble [9] (réaction nº2).
d’hydrocérusite (2PbCOd.Pb(OH)c) et de cérusite
alcalinité. En e≠et, pour pouvoir utiliser
(PbCOd), est le pigment blanc le plus utilisé dans À partir du plombite, un nouveau processus
des pigments plus délicats et plus sensibles,
l’histoire de la peinture; il était déjà présent dans d’oxydation peut conduire à la formation
il fallait peindre à la détrempe à l’œuf,
les peintures grecques du ive siècle av. J.-C., et cité de dioxyde [9] (réaction nº3).
à la caséine ou aux gommes végétales,
par Vitruve (ier siècle av. J.-C.) et par Pline l’Ancien
sur des enduits secs et bien carbonatés. L’hypothèse semble confirmée par le fait
(ier siècle av. J.-C.). Cependant, on a peu recouru
que dans certaines peintures présentant
Cependant, certains pigments ne s’altèrent à ce pigment dans la peinture murale, car il a
une altération brune, cette dernière n’est pas
qu’après une longue période, ce qui explique tendance à changer de couleur, à la di≠érence
visible dans les craquelures de l’enduit (fig.4b).
que des artistes, peu informés des questions du blanc de chaux, pigment blanc stable
En e≠et, l’infiltration de COc est plus facile près
techniques ou moins attentifs que d’autres, privilégié par les artistes. Sa présence est le plus
des craquelures, le calcium est donc carbonaté
les aient utilisés [1]. souvent détectée non pas par les analyses,
plus en profondeur, et l’évaporation de l’eau
mais par sa transformation en brun foncé qu’il
L’altération par antonomase d’un pigment crée un milieu plus sec. Il reste néanmoins à
subit dans ce contexte (fig.1).
consiste en la perte de sa couleur caractéristique. déterminer quel est le véritable agent oxydant.
Souvent, lorsqu’un pigment s’altère chimiquement Aujourd’hui, il a été largement démontré
Dans les années 2005-2006, l’oxydation était
sans que sa couleur ne vire, c’est-à-dire que rien que le changement de couleur est dû à un
réapparue – seul cas connu jusqu’à maintenant –
n’apparaît, le problème ne se pose pas: processus d’oxydation avec la formation
dans les peintures situées dans une chapelle
c’est le cas, par exemple, de la malachite. de dioxyde de plomb PbOc: le minéral plattnérite 1 a.
très humide du château de Strechau (Autriche)
[9] (réaction nº 1). Malgré une série d’études
Nous évoquerons, ici, les cas les plus courants (fig.2a et 2b); elles avaient déjà été soumises,
approfondies menées par plusieurs chercheurs
d’altération chromatique des pigments employés quinze ans auparavant, à un processus
[2, 3, 4, 5 et 6], les raisons de cette oxydation
dans la peinture murale: le blanc de plomb, de reconversion. Cette découverte constituait
du plomb, passant de l’état +II du pigment
l’azurite et la malachite, le cinabre, l’ocre jaune, une occasion rarissime d’étudier le processus
à l’état +IV du dioxyde brun, restent encore
l’outremer artificiel et le bleu de smalt. d’oxydation en cours et de vérifier l’hypothèse
méconnues. C’est une question intéressante
Lorsqu’un pigment change de couleur, avancée, en 1986, par deux microbiologistes
que nous essaierons d’expliquer.
une question fascine la chimie de la conservation: russes [4] qui avaient, avec succès, expérimenté
est-il possible de rendre au pigment altéré, Étant donné le contexte qui préside au in vitro l’oxydation du blanc de plomb en
et de façon permanente, sa couleur originelle? changement, l’agent responsable de l’oxydation plattnérite, en présence de chaux, grâce à quelques
Nous verrons que la réponse est presque toujours du pigment ne peut être que naturel. bactéries oxydantes.
négative, mais avec quelques exceptions notables. Deux substances sont impliquées: l’oxygène
Lors de cette étude (coordonnée par le regretté
de l’air (Oc) ou les groupes peroxydiques (OcC-)
professeur Heinz Leitner, qui enseignait
développés par quelques rares micro-organismes
la restauration à l’université des beaux-arts
[4]. Dans les deux cas, la réaction se ferait très
de Dresde, avec ma collaboration ainsi que
di≤cilement, sauf dans un milieu très fortement
celle d’autres chercheurs), Karin Petersen,
alcalin. En e≠et, avec un pH>12, le potentiel
microbiologiste de l’université d’Oldenbourg,
électrochimique de la paire Pb+II/Pb+IV diminue
démontra l’absence d’un quelconque agent
sensiblement, et il est ainsi possible que des
biologique aux propriétés oxydantes.
agents modérément oxydants, comme ceux cités
Albrecht Körber explique cette recherche
précédemment, puissent aussi déclencher
dans sa thèse de doctorat (école d’enseignement
la réaction.
supérieur des beaux-arts de Dresde).
Une alcalinité aussi élevée sur une peinture
Dans ce contexte, l’apparition de l’agent oxydant
murale s’explique par l’utilisation des techniques
n’était donc pas attribuable aux micro-organismes.
de la peinture a fresco et à la chaux au moment
La question reste, encore aujourd’hui, entière.
de l’exécution. Toutefois, personne n’appliquait
le blanc de plomb de cette manière, car il y aurait
eu une formation immédiate d’un mélange gris
encore mal identifié. En réalité, il était
uniquement utilisé, mélangé à des détrempes
protéiniques, sur un enduit sec.
Comment est-il possible que les peintures
Page de droite
Mauro Matteini murales brunissent autant? L’une des raisons Entre crochets [ ] Figures 1a et 1b
Ancien directeur peut s’expliquer par la lente carbonatation figurent les références Exemple de reconversion
du Laboratoire de l’Opificio de la chaux, processus qui peut prendre des bibliographiques du blanc de plomb. Détail d’une
delle pietre dure de Florence dizaines d’années. Pendant cette longue période, (cf. page 111). peinture murale en Espagne.
1 b.
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La reconversion du blanc
de plomb oxydé
Au début des années 1970, à la demande de + de l’acide acétique + une source de COc, Dans le passé, on croyait possible de réaliser
Giuseppe Rosi, restaurateur florentin, j’ai e≠ectué du fumier fermenté). Dans les décennies la reconversion de l’azurite qui avait viré au vert.
des analyses par di≠raction des rayons X (DRX) suivantes, la procédure fut bien améliorée Lors de la consolidation de certaines fresques
sur la nature d’une substance brun foncé retrouvée pour être la moins invasive possible. avec de l’hydroxyde de baryum, on avait observé
en plusieurs endroits d’un cycle de fresques On dispersa, notamment, le mélange réactif un passage du vert au bleu, mais le procédé s’est
florentines réalisé par Alessio Baldovinetti, dans des agents gélifiants, tels que la carboxy- révélé, par la suite, très éphémère [9] (réaction nº7).
en 1467, dans l’église de San Miniato à Florence méthylcellulose, la méthylcellulose, etc., qui En e≠et, l’hydroxyde de cuivre de couleur bleu
(fig.3a et 3b). Peintes à la détrempe, elles permettaient de limiter la réaction à la surface, clair se forme et, en quelques mois, en réaction 2 a. 2 b.
présentaient des «noircissements», aussi bien réduisant sensiblement la di≠usion du produit avec le COc atmosphérique, il redevient l’un
dans le blanc que dans le bleu du ciel, un mélange réactif à l’intérieur. Les durées et les concentrations des nombreux hydrocarbonates de cuivre, tous
de blanc de plomb et d’azurite. Le mélange brun durent être augmentées d’environ 30%, et, de couleur vert-bleu, à l’exception de l’azurite.
se révéla être du dioxyde de plomb (plattnérite). à la fin du processus, il était conseillé d’appliquer On ne connaît encore aucun procédé stable
un traitement de consolidation avec de permettant la reconversion de l’azurite
Quelques années plus tôt, le professeur Valerio
l’hydroxyde de baryum ou un autre agent qui a viré au vert.
Malaguzzi Valeri avait identifié ce composé par
consolidant. Depuis ces années-là,
DRX, dans des échantillons prélevés sur les fresques
la reconversion du blanc de plomb a été mise
de Cimabue (1288-1292) dans la basilique d’Assise,
en pratique avec succès sur de nombreuses
connues pour le «noircissement» des blancs.
peintures murales touchées par ce problème
Immédiatement après avoir obtenu les résultats de brunissement, aussi bien en Italie que dans
sur les fresques de Baldovinetti, je commençai d’autres pays européens (Espagne, Angleterre,
l’étude d’une possible méthode de reconversion Portugal, Autriche, etc.) (fig.3, 4 et 5).
de l’altération chromatique observée. À l’exception des peintures de Strechau,
Puisque la formation de plattnérite provient le traitement a montré qu’il était durable
Page de droite
d’une oxydation, cette méthode ne pouvait être dans le temps. Figures 2a et 2b
cherchée que dans le processus inverse, Détail d’une peinture du château
la réduction. Il fallait trouver un agent L’altération chromatique et chimique de Strechau (Styrie) en Autriche.
réducteur capable de mener à bien la réaction de l’azurite et de la malachite Exemple de grave altération 3 a. 3 b. 4 a. 4 b.
– sans agresser les autres matériaux picturaux – Un autre cas bien connu d’altération chromatique chromatique du blanc de plomb
en dioxyde de plomb PbOc de
qui ne produise que des éléments secondaires des pigments utilisés dans les peintures murales
couleur brun sombre. On observe
s’éliminant spontanément (volatiles). est celui de l’azurite et de la malachite. Employés clairement que l’oxydation s’arrête
dès l’Antiquité, ils étaient appliqués uniquement près des craquelures de l’enduit.
La solution – simple, ce qui la rend intéressante –
à la détrempe (avec de l’œuf ou de la caséine),
fut trouvée dans le péroxyde d’oxygène, connu Figures 3a et 3b
car sur la chaux fraîche, ils virent immédiatement
normalement en tant qu’agent oxydant, Deux détails des peintures
au gris (CuO), ce qui démontre leur incompatibilité murales d’Alessio Baldovinetti,
mais utilisé dans ce cas comme réducteur [9]
avec cette technique. Tous deux sont basilique San Miniato à Florence
(réaction nº4).
des hydrocarbonates de cuivre de composition (Italie). On observe l’oxydation
La réaction nécessitait une légère acidité, mais assez proche. Dans le cas de l’azurite, l’altération partielle du blanc de plomb en
dioxyde brun. Le blanc de plomb
cette condition étant mal tolérée par les peintures est tout à fait visible, le pigment virant au vert;
est mélangé avec de l’azurite (3b).
murales, nous avons cherché, dès le début, alors que pour la malachite, elle passe presque
à la réduire au minimum. En e≠et, lors des tests inaperçue, car il n’y a pratiquement pas Figures 4a, 4b et 5a et 5b
Exemples de reconversion
réalisés en laboratoire sur du dioxyde de plomb de variation de couleur. Bien que l’azurite soit
du blanc de plomb.
en poudre, on utilisa un acide faible, l’acide un pigment plutôt stable (beaucoup plus que 4a et 4b. Détail d’une fresque
acétique, avec une concentration minimale la malachite), dans des conditions d’humidité d’Alessio Baldovinetti, abbaye
de 0,1% mais e≤cace. Lors des tests e≠ectués particulièrement élevée, elle peut réagir, tout de Monte Oliveto Maggiore
in situ, la concentration de l’acide dut être comme la malachite, au contact des polluants à Florence (Italie).
augmentée à 1%, une valeur plus élevée, mais atmosphériques en produisant de nouveaux 5a et 5b. Détail d’une fresque
de Luca Signorelli, cloître 5 a. 5 b. 6 a. 6 b.
encore limitée et acceptable. En 1975, la première composés de cuivre. Par exemple, au contact
de l’abbaye de Monte Oliveto
reconversion fut e≠ectuée sur des peintures d’acides plus forts et moins volatiles que l’acide Maggiore à Sienne (Italie).
de Baldovinetti selon les modalités suivantes: carbonique, comme l’acide sulfurique, des sels
Figures 6a et 6b
du péroxyde d’hydrogène à 6% dans de l’eau, peuvent se former, notamment la brochantite,
Exemples d’altération chromatique
de l’acide acétique à 1% dans de l’eau, sulfate basique vert CueSOe(OH)g [9] en vert de la malachite.
du papier absorbant comme support et un temps (réaction nº5) (fig.6a et 6b). Le cuivre a aussi 6a. Détail de la voûte de
de contact de 15 minutes [2]. une grande a≤nité avec le chlore, et, lorsque la basilique supérieure d’Assise
pour des raisons diverses on trouve une grande (Italie).
Le résultat fut surprenant. Le restaurateur réalisa 6b. Détail d’une fresque de la
quantité de chlorures, des hydrochlorures
une reconversion sur une dizaine de détails les cathédrale de Gurk (Autriche).
de cuivre peuvent se former, comme l’atacamite,
plus visibles de la fresque, mais pas sur la totalité,
CucCl(OH)d, de couleur verte elle aussi [9] Figures 7a et 7b
par précaution (nous n’en étions qu’au Altération chromatique
(réaction nº6).
commencement). Le plomb, réduit de l’état +IV de l’outremer artificiel dans les
à l’état +II, forme d’abord de l’acétate, puis, Comme l’azurite et la malachite sont des substances fresques de Piero Della Francesca
par hydrolyse, de l’acétate basique, et, enfin, insolubles dans l’eau, ces transformations ne à Arezzo. Le pigment utilisé pour
par carbonatation, du carbonate, suivant le même surviennent, heureusement, que dans des retoucher le ciel, peint à l’origine
avec de l’azurite, est bien visible
procédé utilisé dans l’Antiquité pour la synthèse conditions d’humidité extrêmes, présentes
en rouge dans l’image en
du blanc de plomb (des copeaux de plomb dans des églises ou dans des palais anciens [1]. infrarouge en fausses couleurs.
7 a. 7 b.
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Tableau 1 Références
L’altération chromatique du cinabre L’altération chromatique du bleu de smalt Tableaux des réactions chimiques bibliographiques
Les pigments à base de plomb – blanc de plomb, minium, litharge et massicot Figures 2a et 2b
Section transversale d’un
principalement – constituent un ensemble de couleurs utilisées dès l’Antiquité, aussi prélèvement de peinture à base
bien en Europe, dans les Amériques qu’en Asie [1]. Leur emploi en peinture murale de minium montrant la présence
de di≠érents minéraux
ou pour certaines préparations de cosmétiques [2] est largement décrit dans les traités plombifères dans le pigment:
anciens (Théophraste [3], Vitruve [4], Pline l’Ancien [5], Théophile [6]…) et attesté (1) hydrocérusite; 50 µm 1 µm
(2) minium PbdOe
par de nombreuses études [7]. Si le minium et la litharge ont initialement été et massicot (PbO); 1 a. 3 a. 3 b.
extraits des mines de plomb, la di≠usion des pigments au plomb est largement (3) minium et litharge (PbO).
1 d. 7 a. 7 b.
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Chapitre 3
Le nettoyage des peintures murales Page de droite
Figure 2
Entre crochets [ ]
figurent les références
bibliographiques
(cf. page 124).
3.
Ci-contre
Figure 1
Triangle de Teas. Report
des zones de solubilité
des matériaux organiques
naturels des peintures
et localisation de trois
solvants à la base des tests
de Cremonesi.
Polysaccharides
Émilie Checroun Cires
Restauratrice de peintures Huiles fraîches
Vincent Detalle Résines
Ingénieur au LRMH, Gonflement des huiles
Huiles vieillies
responsable du pôle
L: Ligroïne
peinture murale A: Acétone
et polychromie E: Éthanol
4. 5.
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8 d.
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Tableau 1
Synthèse des moyens d’intervention
Solvants organiques
Neutres Solubilisation de matière organique Connaissance de la technique picturale. Allègements et / ou nettoyage de vernis.
par ionisation et dissociation faibles. Maîtrise de l’action solvante, des vapeurs
et de la pénétration. Risque d’agressivité.
Les paramètres physiques
Les méthodes d’application sont souvent décrites On voit également apparaître des gels Dipolaires aprotiques Solubilisation de matière organique, Connaissance de la technique picturale. Dégagement de repeints huileux.
car elles conditionnent le succès des traitements. fonctionnalisés, comme l’éponge nanomagnétique métallo-organique et parfois minérale Maîtrise de l’action solvante, des vapeurs
par ionisation et dissociation fortes. et de la pénétration. Risque d’agressivité.
Le panel de procédés disponibles est presque de Bonini [24], manipulable magnétiquement,
infini, mais ceux-ci ont tous en commun lavable et réutilisable. Elle peut être chargée Resin-soaps Détergence. Usage très spécifique. Risque de résidus. Élimination de résines naturelles.
de chercher à minimiser le contact du traitement de solutions micellaires ou de microémulsions, Risques d’agressivité envers les liants huileux
avec la peinture, tout en optimisant jusqu’à 92% en poids et présente alors les et résineux naturels.
son e≤cacité. Pour cela, plusieurs options sont avantages d’un gel sans résidu, d’une solution
envisageables: protéger les matériaux originaux, de nettoyage e≤cace et d’un apport minimal Eau
modifier les propriétés physiques de la solution d’agent actif.
Gel Gonflement, ionisation, dissociation. Risques de résidus dans les porosités de l’œuvre. Décrassage, dégagement d’enduits,
de nettoyage, se servir de substrats ou combiner Risque d’agressivité envers les liants aqueux, de repeints.
Enfin, il faut mettre un terme aux idées reçues
toutes ces mesures. Les développements les plus saponifiés (dans certains cas) ou fortement oxydés.
sur les capacités des matériaux absorbants [25],
poussés concernent la modification des
le papier japonais se montrant ine≤cace dans
propriétés physiques, qui passe par la formulation Bases Ionisation et dissociation. Risques de résidus et de sels.
l’homogénéisation d’un nettoyage et la cellulose Risques d’agressivité envers les liants organiques.
de solvants en gels, d’émulsions ou de
inapte à retenir les liquides.
microémulsions.
Tensioactifs Mouillage, émulsion, dispersion, détergence. Maîtrise de la chimie des surfactants. Décrassage, fabrication d’émulsions et de gels.
Les moyens mis en œuvre dans le nettoyage Risques de résidus, de détergence et de pollution.
Les émulsions grasses et maigres sont
des peintures murales sont de plus en plus Risque d’agressivité envers les liants organiques.
aujourd’hui couramment utilisées dans
sophistiqués et discriminants. Ils font appel à
les interventions de nettoyage, car elles donnent
d’importantes connaissances physico-chimiques Chélatants Chélation, ionisation et dissociation Maîtrise des phénomènes de chélation. Risques Élimination de crasses grasses et/ou fortement
la possibilité d’isoler la solution de nettoyage de certains produits minéraux d’agressivité envers les pigments et certains liants indurées. Élimination de taches de rouilles.
et exigent une compréhension la plus parfaite
dans une matrice qui reste sans e≠et sur l’œuvre. et métallo-organiques. protéiques et / ou polysaccharidiques, et calciques Allègement de vernis altéré par les fumées
possible des matériaux constituants de la
Les plus intéressantes sur les peintures murales pour certains chélatants. de cigarettes. Solubilisation d’ajouts protéiques
peinture. C’est sur ce dernier point qu’il serait ou polysaccharidiques.
sont les émulsions grasses (eau dans l’huile),
intéressant, dorénavant, de concentrer les e≠orts,
car elles permettent d’augmenter la puissance
car l’identification des produits indésirables Enzymes Action enzymatiques. Identification certaine des matériaux organiques à Gonflement et / ou élimination de repeints.
de l’agent nettoyant 9.
et désirables est à l’origine des plus grosses éliminer. Difficulté de mise en œuvre. Risques de résidus.
Afin d’améliorer les performances des émulsions di≤cultés de nettoyage rencontrées sur site.
Résines échangeuses d’ions Fortes ionisation et dissociations. Identification des matériaux à éliminer. Risques Élimination spécifique d’un matériau
et réduire leurs inconvénients, les chercheurs
Émilie Checroun et Vincent Detalle d’agressivité envers les liants et les pigments. organique ou minéral. Badigeons en général.
sont en train de développer des émulsions à Risques de résidus (employées en gel).
l’échelle nanométrique. Plus stables, elles se
comportent comme des dispersions: solubles Support du traitement
dans une large gamme de solvants, très
Pappina Action solvante dépendante Compatibilité entre le solvant voulu et la cire Allègement de vernis, traitement d’une
pénétrantes et performantes dans la réabsorption de l’agent de nettoyage choisi. saponifiée. Risques de résidus et de brillances. œuvre sensible au solvant de nettoyage.
des matériaux solubilisés. Le panel de systèmes
imaginables est très large car la nanotechnologie Solvants en gel Action solvante dépendante de l’agent Risques de résidus, maîtrise de la formulation Nettoyage de matière organique
peut conférer à l’agent nettoyant des propriétés de nettoyage choisi. Action prolongée, du gel. Compatibilité du gélifiant et du solvant (vernis, repeint, consolidant).
s’adaptant à l’action souhaitée. Depuis 1995, pénétration du liquide restreinte, voulu.
plusieurs formulations d’émulsions maigres mouillage favorisé, vapeurs retenues.
– à base de dodécylsulfate de sodium (surfactant),
Gels aqueux Action dépendante de l’agent actif placé Risques de résidus. Dégagement de matériaux minéraux
de pentanol (cosurfactant), de dodécane,
dans le gel. Action prolongée, pénétration ou métallo-organiques peu solubles.
hexadécane ou xylène/diluente nitro (solvant) du liquide restreinte, mouillage favorisé,
et d’eau (phase externe) – vont dans ce sens. vapeurs retenues.
Elles n’usent que d’une très faible quantité
d’agents nettoyants (0,8% en volume) et sont très Émulsions Action dépendante de l’agent actif placé Risques de résidus. Maîtrise de l’action solvante Nettoyage ou décrassage d’une œuvre
e≤caces sur la solubilisation de la cire grâce dans l’émulsion. Action d’un agent choisie et de la formulation de l’émulsion. sensible au produit nécessaire.
potentiellement agressif pour l’œuvre
à la très petite taille des «gouttes» de solvant.
à travers un produit protecteur.
Parfois, la phase externe est remplacée par un
cosolvant (propylène carbonate ou alcool Microémulsion Action dépendante de l’agent actif placé Risques de résidus (moindre). Nettoyage ou décrassage d’une œuvre
benzylique), afin de créer une solution micellaire dans l’émulsion. Action d’un agent Maîtrise de l’action solvante choisie sensible au produit nécessaire.
plutôt qu’une émulsion. Une nouvelle famille potentiellement agressif pour l’œuvre et de la formulation de l’émulsion.
de surfactants a également été introduite, à travers un produit protecteur.
Plus performante que celle des émulsions.
les polyglycols d’alkyles (APG), dont les formes
non-ioniques et ioniques peuvent être associées Compresses Action dépendante de l’agent actif placé Maîtrise de l’action solvante choisie. Traitement de grandes surfaces,
à 80% pour 20% en poids afin d’obtenir dans le gel. Action prolongée, pénétration Risques d’irrégularités, d’auréoles. dégagement de matériaux peu solubles.
un équilibre entre la concentration micellaire du liquide restreinte, mouillage favorisé,
critique (CMC) et la quantité de solvant désirée vapeurs retenues.
(p-xylène). Économique, cette dernière
Action mécanique
formulation – active sur les cires et les résines
synthétiques – est aussi écologique, car les APG Percution, grattage… Déstabilisation de l’adhérence Maîtrise du geste, comportement favorable Dégagement de matériaux non-solubles ou
sont biodégradables, deux grandes qualités dans gommage et / ou de la cohésion de la matière. des matériaux. Risques d’usures, griffures nettoyage de peintures sensibles aux liquides.
un contexte de peintures murales. et perte de matière.
9. Elles ont le gros inconvénient Laser Ablation thermoplastique Maîtrise des fluences, des longueurs d’ondes Élimination de matériaux non-solubles
de laisser parfois un aspect et / ou photochimique. et du geste. Risques d’agressivité envers certains ou présents en grande épaisseur.
luisant. pigments.
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In memoriam