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oarns2022 23:20 \Vers une responsabilié équilable dans une communauté mondialisée [| Cai.nfo MO CAIRN Me SEN cic Vers une responsabilité équitable dans une communauté mondialisée " Mireille Delmas-Marty Dans ErupEs 2011/1 (Tome 414), PAGES 19 A30 ARTICLE ECHELL A MONDIALE, léquité reléve de valeurs qui sont hiérarchisées et 1 pondérées de facon différente selon les normes de référence et 'organe de contréle. Les conflits sont inévitables — et l’équité semble introuvable -, entre droits civils et politiques (égalité, non-discrimination, propriété privée... ; droits économiques (liberté des échanges et égalité entre opérateurs économiques), droits sociaux et culturels (solidarité et égalité entre les diverses cultures) ; droits de Vhumanité (solidarité incluant les générations futures face aux risques globaux) ; droit de fenvironnement (solidarité incluant les devoirs attachés & protection du non humain) ; droit du développement (partage équitable entre Etats). En outre, la jurisprudence de FOrgane de réglement des différends de !OMC, comme celle du CIRDI (Centre international de réglement des différends relatifs & l'investissement), montrent les obstacles que le droit du commerce et celui des investissements POF opposent aux exceptions que Péquité appelle pourtant dans des domaines comme slp Yenvironnement ou la santé™ Le plus difficile & résoudre est le confit opposant en droit international la vision 2 économique des biens publics mondiaux, qui privilégie lefficacité, et la vision éthique de bien commun, qui introduit la notion d’équité «il serait efficace dimposer les mémes normes environnementales 3 tous les pays, mais il est inéquitable de traiter les pays émergents comme les pays déja industrialisés. Le bien commun, dans ‘une communauté mondiale qui émerge a peine, est pris entre un commun uniformisateur, efficace mais inéquitable, et un commun pluraliste, équitable mais beaucoup plus complexe. Il implique la combinaison de plusieurs échelles de pondération autour de principes combinatoires comme « I’égale dignité » pour les droits de thomme (permettant @associer les droits civils et politiques aux droits hitps:lww.caim infolrevue-etudes-2011-1-page-19.ntm ane osiosi2ez2 23:20 Vers une responses équiate ans une communaué montis [| Caio économiques, sociaux et culturels), ou comme « le développement durable » pour les biens publics mondiaux (permettant d'associer droit au développement et droit de Tenvironnement). Juridiquement, la recherche du bien commun suppose des responsabilités 3 communes mais différenciées, technique qui semble marquer le dépassement duu relativisme, sans pour autant imposer un universalisme uniformisant. C’est dans ce dépassement, « par-dela le relatif et luniversel », que se situe la recherche d'une responsabilité équitable, car le droit n’est pas neutre : sil n'est pas créateur de valeurs, son réle est néanmoins de « nommer » les valeurs et de « normer » les comportements humains par rapport & ces valeurs. En guise d’équité, le droit fait surtout apparaitre les incohérences des systémes de 4 valeurs et sa mondialisation révéle le grand désordre juridique du monde. Reflet d'une « anarchie des valeurs », ce désordre risque de conduire & un pessimisme de résignation ou Aun dogmatisme aveugle. C’est pourquoi le moraliste, écrit Paul Valadier, « ne peut pas attendre des lendemains supposés meilleurs pour proposer comme sensée la moralisation de soi et de histoire : il lui faut donc tenter de montrer ou de suggérer, et telle est sa responsabilité intellectuelle, que des issues sont possibles et que les pleureurs sont au fond les complices du relativisme et du désespoir quils dénoncent en en vivant »", Au juriste aussi que des issues sont possibles ». , il revient de montrer « Mais comment concevoir une responsabilité équitable ? Léquité impliquerait 5 dabord de réduire lirresponsabilité souveraine des Etats et des chefs dEtat, non seulement dans le cas de crimes & vocation universelle, mais encore en cas de violation des droits de "homme ou de transgression de valeurs qualifiées de biens publics mondiaux, comme environnement ou la santé. Elle appellerait aussi plus largement & reconnaitre la responsabilité des acteurs non étatiques, dés lors quils détiennent un pouvoir a échelle mondiale. Orles pratiques juridiques sont fragmentaires et hétérogénes : sila responsabilité 6 & PDF est au coeur du droit international pénal, elle ne concerne, dans les pays qui en ont accepté le principe, que les quelques individus accusés de crimes ; dans le domaine ad plus large des droits de Fhomme, la responsabilité se limite aux Etats qui acceptent le recours individuel devant les cours régionales ou le Comité des droits de !homme de FONU ; pour les autres responsables potentiels, individus ou entreprises, elle est refoulée comme « la face cachée des droits de Yhomme »”!, Enfin la responsabilité est longtemps restée quasiment absente du débat sur les biens publics mondiaux, dont la protection était supposée assurée par les logiques du marché Cest pourtant dans ces trois domaines que pourrait se déployer, au confluent de 7 Puniversalisme des valeurs et de la globalisation de certains acteurs, un nouveau type de responsabilité, illustré par le proces engagé & la suite de la pollution provoquée par le naufrage du navire Erika, affrété par le groupe pétrolier multinational Total. hitps:lww.caim infolrevue-etudes-2011-1-page-19.ntm ana os10si2022 23:20 ‘ors responsi dequiable dane une conmamaulé monn [| Cim.nta Le tribunal retient, confirmée par la Cour d’appel de Paris", la responsabilité de la 8 société mare, qui s‘était délestée de la gestion nautique mais avait gardé un droit de contrdle sur 'état du navire. En reconnaissant la notion de préjudice écologique, les juges consacrent environnement comme valeur a protéger et offrent pour Ia premiere fois des montants de réparation trés élevés, que la cour d’appel de Paris augmente encore : 'homme ne pouvant étre appréhendé isolément de son milieu naturel, il ne faut « pas négliger linteraction permanente de Phomme avec la nature et oublier que la nature fait partie de Yhomme, comme il en fait partie ». Et cest pourquoi « toute atteinte & fenvironnement non seulement préjudicie directement au bien-étre que la collectivité territoriale tente d’apporter & Fensemble de ses habitants, mais contrarie également les efforts faits par elle, dans le cadre de ses compétences, pour améliorer leur cadre de vie ». Quant aux associations de protection de la nature, « le dommage écologique portait atteinte & leur animus societatis, cette partie d’elles-mémes qui les fait exister ». Comme dans laffaire Pinochet (lorsque les juges anglais ont admis la demande espagnole d’extradition de Yancien dictateur chilien au nom de la compétence universelle), les juridictions nationales participent 3 la naissance d'une communauté mondiale de valeurs. Si faffaire Erika est exemplaire, cest quelle illustre les deux voies d'une 9 responsabilité Equitable : fextension de la responsabilité et la multiplication des acteurs, qu'il s'agisse de personnes imputables ou, & linverse, des titulaires de Paction en responsabilité. Extension dela responsabilité — Ce n'est pas un hasard si Paffaire Erika prend place ici 10 et maintenant, car on peut la considérer comme laboutissement d'un lent processus de prise de conscience, au confluent de l'universalisme des valeurs et de la globalisation des acteurs et de leurs pratiques. Sila globalisation ne crée pas & proprement parler de nouveaux risques, elle a n néanmoins un effet multiplicateur et transformateur : en accentuant le caractére grave et irréversible des dommages potentiels, elle augmente la marge de Vincertitude, tout en invitant A prendre en charge « ce fardeau de lirréversible et de POF Vimprévisible », dans lequel Hannah Arendt voyait déja une question primordiale™. sip Cest dans cette perspective qu'Hans Jonas, proche ami d’Hannah Arendt, opposera le « principe de responsabilité » au « principe d’espérance » d’Ernst Bloch. Concue comme une « heuristique de la peur », cette vision de la responsabilité ne traduit pas, explique ne dégrade en méme temps les héritiers ». Il s'agit done, selon lui, d'un appel au « -il, une angoisse pour soi-méme, mais la crainte quun « héritage dégradé courage d’assumer la responsabilité » & Pégard des générations futures". Le message n’en est pas moins tragique. Dés louverture, le ton se veut prophétique, annoncant « un Prométhée définitivement déchainé, auquel la science confere des ‘elle forces jamais encore connues et 'économie donne une impulsion effrénée ». quiilla présente, la thése du livre est que la promesse de la technique moderne s'est la. Cette inversée en menace ou que celle-ci s'est indissolublement alliée a celle- hitps:lwwcaim infofeovue-otudes:-2011 page-t9.him ana os1oez022 23:20 Vers une reeponsabiééqutale dans une communaulé medias [| Cam na thése, qui a le mérite de « briserle cercle étroit de la proximité »™, peut sembler toutefois réductrice si fon songe a la complexité des facteurs d’évolution dans la longue durée. Considérer quaprés avoir été maitre et possesseur de la nature, Thomme en deviendrait serviteur et otage, ne nous fait pas sortir d’une logique unilatérale qui ne tient guére compte de la dialectique interactive et évolutive Toeuvre dans les relations entre humains, mais aussi entre humains et non humains. Evitons, en diabolisant Prométhée, de transformer le principe de précaution en principe d’anxiété et les sociétés du risque en sociétés de la peur. Mieux vaut, comme le suggare Paul Ricceur, partir des applications du terme responsabilité pour tenter de comprendre comment extension de obligation de répondre conduit vers un nouveau type de « responsabilité-prévention » qui pourrait contribuer a lémergence d'une communauté mondiale de valeurs. Extension de Vobligation de répondre. - Comme la notion de crime « contre Phumanité », celle de préjudice « écologique » fait entrer dans la sphére juridique Vidée de fonder une obligation de répondre, non pas 4 l'autre homme (autrui) directement ésé par notre faute, civile ou pénale, mais de répondre afin de préserver un état nécessaire & la vie collective. Cette extension de la responsabilité hors de la sphére interindividuelle pourrait marquer lapparition de la notion de devoir dans la sphere des droits de fhomme, alors quelle en avait été éloignée pour éviter le risque de « récupération politique » par des régimes autoritaires ou totalitaires. Mais quand il s'agit de protéger des valeurs concernant soit !humanité & venir (les générations futures), soit le monde non humain (la nature ou animal), c'est bien la notion de devoir qui sous-tend la responsabilité des humains. Plutdt que de rattacher ce devoir aux droits de Thomme, mieux vaudrait le déduire, en Tabsence de toute réciprocité, de la notion de bien public (ou collectif) mondial afin d'y introduire le mécanisme de la responsabilité. Cette logique, qui sous-tend Varrét Erika, inspirait déja, dans le prolongement du « Grenelle de environnement », la Mission Lepage qui définit a santé et l'environnement comme « des biens collectifs appartenant au patrimoine commun de la nation ». Mais les lois du 1** aotit 2008 et du 30 juin 2010 n’ont pas suivi les propositions les plus novatrices du rapport diétape (1s janvier 2008), quil s'agisse de créer un délit général d’atteinte & Yenvironnement, ou d’élargir la responsabilité civile (article 1382-1 « tout fait quelconque de homme, qui cause & environnement un dommage, oblige celui par Ia faute duquel il est arrivé a le réparer ») et d’étendre la responsabilité du fait dautrui aux groupes de sociétés (art. 1382-2 44, et 1384-1) En revanche dans Paffaire Erika, les juges ont déclaré recevable, malgré une action antérieure en indemnisation, la constitution de partie civile de certaines victimes pour obtenir réparation de leur préjudice résiduel. Sila formule était élargie au cas hitps:lwwcaim infofeovue-otudes:-2011 m B 4 15 PDF Help 16 ana oaros2022 23:20 \Vers une responsabilié équilable dans une communauté mondialisée [| Cai nfo indemnisation intégrale, la fonction normative, voire punitive, distinete de la réparation du dommage, transformerait la responsabilité civile en une « responsa- bilité-prévention ». Vers une « responsabilité-prévention ». ~ De méme que les accidents liés & Févolution technique ont suscité 'apparition d'une responsabilité fondée sur le risque, de méme la menace de risques majeurs liés aux nouvelles technologies rendrait nécessaire une nouvelle responsabilité ni punitive, ni curative, mais préventive au sens le plus large englobant des risques seulement potentiels™. Concue comme une responsabilité- anticipation centrée sur la protection des générations futures, et plus largement du vivant non humain", la responsabilité-prévention se surajouterait & la responsabilité-sanction, fondée sur la faute et centrée sur le coupable, et ala responsabilité-indemnisation, fondée sur le risque et centrée sur la victime. Encore faut-il résister au « décrochage vers lirrationalité d’une éthique de la peur » que certains auteurs annoncent déja, craignant que la menace de la catastrophe ait pour effet de « bloquer aussi bien linvestigation scientifique que la délibération politique »"”. Pour résister, la responsabilité-prévention doit inciter & développer les recherches sur la complexité de phénoménes dont les causes et les effets senchevétrent. Car les risques technologiques, en interaction avec les risques dits naturels, deviennent globaux dés lors quills se situent au niveau de la planéte et développent leurs effets dans la longue durée : il ne s’agit plus du temps historique propre & chaque pays, mais d’un temps long que fon nomme le « durable ». Dans sa Généalagie de la morale, Nietzsche avait de fagon prémonitoire évoqué cette nécessité danticiper : « Combien fhomme, pour ainsi disposer de l'avenir, ne doit-il pas avoir appris & séparer le nécessaire de laccidentel, & penser le rapport causal, 3 voir le lointain comme sil était présent et & lanticiper, & établir avec certitude quel este but et quel est le moyen convenable. » Autant de conditions pour que !homme puisse « répondre de lui-méme en tant quavenir », Cest-3-dire étre responsable par anticipation, Asa facon, Nietzsche annonce déja le renouveau de la responsabilité. Mais il ne résout évidemment pas les problémes de la mise en ceuvre d’une responsabilité ainsi dilatée dans lespace et le temps. Dans espace, il reste a situer juridiquement une politique de prévention qui s’étend du risque avéré au risque potentiel et devrait se développer simultanément au niveau national, régional et mondial. Sile principe de précaution, reconnu non seulement en droit interne et en droit communautaire, sous-tend déja le droit international de la santé et de Yenvironnement, il ne permet pas pour autant la mise en ceuvre d'une responsabilité globale, des opérateurs économiques ou méme des Etats, 4 travers le droit de TOMC. hitps:lwwcaim infofeovue-otudes:-2011 Wy 18 19 PDF 20 Hole a1 sna oaros2022 23:20 \Vers une responsabilié équilable dans une communauté mondialisée [| Cai nfo Dans le temps, la question est plus difficile encore sagissant d’une responsabilité dont le fait générateur, au lieu d'étre inscrit dans le passé (punition de la faute) ou circonscrit au présent (réparation du dommage), se place au futur (conservation du vivant) et comme tel s'étend & linfini, Mais comment concevoir un régime applicable aliincertain et a Finfini ? Méme si lon peut trouver des solutions juridiques dans Textension des conditions et du régime de preuve™, il faudra poser des limites et définir un seuil de Facceptabilité sociale. Sila sagesse pratique invite les juristes & Vimagination, elle doit aussi les inciter 4 la modestie. Comme le suggérait Paul Ricceur™, i] est nécessaire de concilier « la vi ‘ion courte d'une responsabilité limitée aux effets prévisibles et la version longue d'une responsabilité illimitée », car il faut bien admettre que si la négligence des effets collatéraux rend I'action humaine malhonnéte, une responsabilité illimitée la rendrait impossible. Et Ricoeur d’ajouter : «c'est bien un signe de la finitude humaine que lécart entre les effets voulus et la totalité indénombrable des conséquences de I'action soit lui-méme incontrélable », pour conclure par cet avertissement que extension de la responsabilité dans espace, et surtout allongement dans le temps de la portée de la responsabilité, pourraient avoir un effet inverse de effet souhaité dans la mesure oit le sujet de la responsabilité pourrait ainsi devenir insaii issable. Un avertissement auquel les juristes devraient étre d’autant plus attentifs que la dilatation de la responsabilité s'accompagne de la multiplication des acteurs. MULTIPLICATION DES ACTEURS Si 'éymologie parait simple - la responsabilité renvoyant a fobligation de répondre ~, la question est de savoir qui répond et & qui. La solution ne se trouve ni en droit interne, ni en droit international car, & la différence des communautés nationales, une communauté mondiale de valeurs rassemble des Etats, mais contrairement a la communauté inter- nationale, une telle communauté interhumaine rassemble aussi des acteurs non étatiques (économiques, civiques et scientifiques). En cas de transgression des valeurs communes, cette multiplication des acteurs transforme aussi laction en responsabilité, qu'il s'agisse de déterminer les personnes imputables ou es titulaires de faction en responsabilité. Les personnes imputables. - Dans les trois domaines out émergent des valeurs & vocation universelle (droit international pénal, droit international des droits de Thomme et biens publics mondiaux), la responsabilité est attribuée, de fagon a la fois fragmentaire et hétérogéne, tantét aux Etats, tantdt aux acteurs non étatiques. S'agissant des Etats, le droit international général conventionnel a peu progressé : il ya des années que la communauté internationale tente de dégager les régles qui permettraient de codifier leur responsabilité. Finalement, la Commission du droit hitps:lwwcaim infofeovue-otudes:-2011 page-t9.him 22 23 25 PDF Help 26 27 ana os10si2022 23:20 ‘ors responsi dequiable dane une conmamaulé monn [| Cim.nta international a adopté en aofit 2001 et « recommandé » aux gouvernements, par le biais d’une résolution de Assemblée générale des Nations Unies, le 12. décembre 2001, un dispositif intitulé « Responsabilité de PEtat pour fait internationalement illicite ». Ce dispositif est modeste car il abandonne la distinction autrefois proposée entre crimes (par référence & la notion pénaliste de punition) et délits (par référence la notion civiliste de réparation), pour remplacer le crime par la notion de « violations graves d’obligations découlant des normes impératives du droit international général » ; modeste aussi parce qu'il laisse en partie irrésolue la question des contre-mesures, autrement dit des sanctions. Du moins consacre-t-il un régime de responsabilité pour atteinte aux intéréts d’un ordre public international qui vise la communauté internationale dans son ensemble et pourrait préfigurer une future communauté mondiale, & condition de transformer la recommandation en convention. Mais les Etats préferent le cadre bilatéral qui limite leur responsabilité aux cas opposant un Etat auteur A un Etat victime. Aussi les principales sources de responsabilité des Etats en cas de violation de 28 -dire les droits de valeurs universelles restent les sources dites sectorielles, c’est-: Thomme, et plus récemment, les biens publics mondiaux. Pour lessentiel, la responsabilité pour violation des droits de homme se limite 29 cependant aux seuls Etats qui ont accepté le recours individuel et peuvent faire Yobjet d’un contrdle international. Encore faut-il distinguer du contréle juridictionnel, mis en place au plan régional, le contréle non juridictionnel du Comité des droits de Fhomme de FONU (Protocole additionnel au PIDCP), seul compétent au niveau mondial. Méme sila procédure se veut coopérative plus que coercitive, car dabord fondée sur 30 les rapports fournis par les Etats, ce contréle prend néanmoins un caractére contentieux, lorsquil est déclenché sur plainte d'une victime ou (beaucoup plus rarement) d’un autre Etat. Dans ce cas, la constatation opérée par le Comité est définitive, revétue de lautorité de la « chose constatée »™’, En outre, le Comité estime que Etat concerné est tenu de prendre les mesures appropriées pour donner POF un effet juridique & ses constatations. sale Ce modéle apparait aussi dans le domaine des biens publics mondiaux, avec le 31 dispositif d’observance du Protocole de Kyoto sur le changement climatique™. Comme en matiére de droits de Phomme, l'accent est mis sur une approche coopérative plus que coercitive, mais la notion de responsabilité n’est pas exclue pour autant. Systématisant le jeu de la carotte et du baton, le dispositif de Kyoto crée en effet un mécanisme de prévention, exercé par le groupe (devenu la chambre) de facilitation, qui fournit des conseils et peut mener une « action de facilitation », et un mécanisme de sanction, exercé par la chambre de lexécution qui constate la situation de non-conformité et indique les mesures & prendre (la réduction des quantités d’émission pouvant étre assortie d'une pénalité). Méme si la question de la hitps:lwwcaim infofeovue-otudes:-2011 ma osiosi2ez2 23:20 Vers une responses équiate ans une communaué montis [| Caio portée juridique des décisions adoptées par les deux chambres du comité de contrdle reste ouverte, la possibilité d'un recours devant un organe politique (la conférence des Etats parties) renforce le caractére contentieux du contréle. Mais une communauté mondiale véritablement « interhumaine » ne se limite pas 32 aux Etats. Outre les individus dont la responsabilité peut étre mise en cause pour des crimes & vocation universelle devant les juridictions pénales internationales ou nationales, on entrevoit une tendance nouvelle, s/agissant de la protection des valeurs qui sous-tendent les droits de Fhomme et les biens publics mondiaux, 4 responsabiliser les entreprises multinationals", En droit interne lidée d'une compétence quasi universelle des tribunaux nationaux 3 pour violation des droits de thomme est venue du droit américain, a partir du trés ancien texte de 1789, Alien Tort Claims Act, redécouvert dans les années 1980, et récemment validé, en méme temps qu’encadré, par la Cour supréme des Etats- Unis", D'abord appliqué a des dirigeants politiques, 'Alien Tort Claims Act (ATCA) permet désormais d’imputer la violation de droits de Fhomme & des entreprises multinationales. Ainsi dans l’affaire Unocal, la responsabilité de Ventreprise fut reconnue, comme complice de la junte birmane, pour avoir imposé des travaux forcés & des travailleurs sur un chantier de gazoduc. Déclenché peu aprés en France par une plainte pour séquestration arbitraire, un autre volet de laffaire de Birmanie, qui concernait le groupe Total, s‘est conclu par une transaction avec les victimes. Utile pour stimuler des réformes, la généralisation de telles procédures, et le cas 34 échéant son extension & une responsabilité préventive pour risques majeurs, ne serait acceptable que sil existait un accord de droit international pour définir le régime juridique d'une telle responsabilité universelle autour de principes assurant un minimum d’harmonisation des conditions et de la mise en ceuvre. En droit international, le mouvement est plus lent. Ila commencé par des 35 instruments non contraignants comme les codes de conduite et principes directeurs, comme ceux adoptés 8 FOCDE en 1976 et réactualisés en 2000 afin por diincorporer les droits sociaux (par référence aux principes adoptés par TOrganisation internationale du travail en 1998) et la protection de l'environnement ad (par référence au dispositif adopté & Rio en 1992). Plus ambitieux, des Principes sur la responsabilité en matiare de droits de Vhomme des sociétés transnationales et autres entreprises" ont été adoptés, en aotit 2003, par la Sous-commission des droits de l'homme, qui note le nombre croissant d’entreprises qu’aucun systéme national n’a la capacité de contréler & lui seul et souligne la nécessité de leur reconnaitre « des obligations et des responsabilités dans le domaine des droits de homme ». Soutenus par le Haut Commissariat aux droits de 'homme, ces Principes ont été relancés par Ia désignation d’un expert indépendant. hitps:lwwcaim infofeovue-otudes:-2011 ana os1oez022 23:20 Vers une reeponsabiééqutale dans une communaulé mondiale | Cam na Le projet prévoit, outre les évaluations par les entreprises elles-mémes, des « 36 contrdles périodiques par des mécanismes nationaux et internationaux ». Mieux encore, il impose une réparation « rapide, efficace et adéquate aux personnes, entités et communautés qui ont été affectées » qui pourrait fonder des actions en justice: « dans la détermination des dommages subis, ou de toute autre question relative, ces normes sur les responsabilités seront appliquées par les tribunaux nationaux. » Un tel mécanisme pourrait ailleurs s'appliquer & des dispositifs de portée plus circonscrite, comme les Human Rights Guidelines for Pharmaceutical Companies in Relation to Access to Medicines, lancées en 2007 par Paul Hunt, le rapporteur spécial du droit ala santé. Les titulaires de Paction en responsabilité. - Le droit international reste loin d'une 37 conception harmonisée quant aux titulaires de action en responsabilité. S'agissant de action contre les Etats, il faut noter la révolution juridique créée par la clause du recours « individuel » en matire de droits de thomme. Sie recours auprés du Comité des droits de homme de !ONU se limite aux victimes individuelles, il est Glargi auprés de la Cour européenne des droits de homme & toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d'une violation, et s'accompagne d'un réle d'information plus largement admis, y compris devant le Comité des droits de fhomme. Cette mission d'information, voire de surveillance, peut aussi contribuer & la mise en ceuvre de la responsabilité en matigre de biens publics mondiaux, comme le montre une étude sur la place du secteur privé dans les mécanismes de contrdle et de réaction au non-respect du dispositif de Kyoto. La technicité du débat ne doit pas occulter le changement de signification qu’il 38 accompagne, dés lors que le titulaire de action en responsabilité n’est autre que celui «a qui » fon répond. Répondre & la victime, du dommage ou de la faute, dont les droits ont été lésés n'a pas le méme sens que de répondre au nom d'un devoir de préservation de valeurs universelles qui concernent humanité présente et & venir, et englobent la protection du non humain. C’est ce changement de signification que traduit la multiplication des titulaires d'une action en responsabilité qui, en POF devenant action en solidarité, pourrait contribuer a !émergence d'une communauté veto de valeurs. En définitive, méme si les obstacles sont nombreux et méme si, depuis les attentats 39 du 11 septembre 2001, les zones d’ombre ont gagné du terrain, propageant, au nom dela sécurité et au détriment des libertés, un repli nationaliste et autoritaire, le réle du droit n’a pas disparu. Bien au contraire, il revient aux juristes de repérer les conditions d'une responsabilité équitable, car les interdépendances sont telles dans nos sociétés mondialisées que la détention d'un pouvoir d’échelle globale - quil soit implique le politique, économique, scientifique, médiatique, religieux ou culturel corollaire d'une responsabilité globale. hitps:lwwcaim infofeovue-otudes:-2011 ona oaros2022 23:20 \Vers une responsabilié équilable dans une communauté mondialisée [| Caim.nfo ty 13] [2] Bl a] [s] [6] (7) [8] [9] Lo} [1] 2] 3] 14] fs) lie] 7] 8] NoTEs ‘Texte inspiré du vol. 4, Les forces imaginantes du droit, Vers une communauté de valeurs, Seuil, 2011. Pour la santé, voir Marie-Edelvacy Pinto Marinho, L'idée dun droit commun pluraliste 4 lépreuve des processus d’internationalisation en droit des brevets, these Université Paris 1, mai 2010. P. Valadier, L'anarchie des valeurs, Albin Michel, 1997, p. 165. F. Ost, 8. van Drooghenbroeck, « La responsabilité, face cachée des droits de Thomme », dans Classer les droits de "homme, dir. E. Bribosia et L. Hennebel, Bruylant, 2004, p. 87 54 ‘Tribunal correctionnel de Paris, arrét, 16 janvier 2008, JCP, 2008, II, 1005: 30 mars 2010, JCP, 2010, I, 432. H, Arendt, Condition de Phomme moderne, Calmann Lévy, 2° éd., 1983, p. 35. H. Jonas, Le principe de responsabilité. Une éthique pour la civilisation tech-nologique (1990), Flam-marion, 3° éd., 1995, p. 16 et 424. Ibidem, p.18. F. Ost, La nature hors la loi, La découverte, 1995, p. 286. C. Thibierge, « Avenir de la responsabilité, responsabilité de Favenir », D., 2004, ‘Chr. 577. M. Boutonnet, Le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, LGDJ, 2005. C. Larrére, « Le contexte philosophique du principe de précaution », dans Le Principe de précaution. Aspects de droit international, dir. Ch. Leben et J. Verhoeven, éd. Université Paris 2, LGDJ, 2002, p. 23. M. Boutonnet, Le principe de précaution en droit de la responsabilité civile, op. cit. P. Ricceut, « Le concept de responsabilité, essai d’analyse sémantique », dans Le POF juste, op. cit, p. 68-69. sp F. Sudre, Droit européen et international des droits de "homme, PUF, 2006, p. 721. A. Peyto-Llopis, « Le mécanisme d’observance du protocole de Kyoto au regard des mécanismes de contrdle du Comité des droits de thomme », dans Changements climatiques : les enjeucx du contréle international, dir. § Maljean-Dubois, La Documentation Frangaise, 2007, p. 294-310. 0. de Schutter (dir.), Transnational Corpora-tions and Human Rights, Hart, 2006, USSG, Sosa v. Alvarez-Machain, 29 juin 2004 ; cf. aussi Les forces imaginantes du droit IIL La refondation des pouvoirs, Seuil, 2007, p. 44. E, Decaux (dir.), La responsabilité des entreprises multinationales en matiére de droits de Thomme, Bruylant, 2010, hitps:lww.caim infolrevue-etudes-2011-1-page-19.ntm roina oaros2022 23:20 \Vers une responsabilié équilable dans une communauté mondialisée [| Cai nfo REsuMé FrangaisEn guise d’équité, le droit fait surtout apparaitre les incohérences des systémes de valeurs. Ce grand désordre juridique du monde risque de conduire & un pessimisme de résignation ow 4 un dogmatisme aveugle. C’est dans le dépassement du relativisme et d'un universel uniformisant que se situe la recherche d’une responsabilité équitable. PLAN Multiplication des acteurs AUTEUR or Mireille Delmas-Marty Professeur au Collége de France. Mis en ligne sur Cairn.info le 1/01/2011 {Coogle Bookmark Facebook Twitter Plus coptons https://doi.org/10.3917/etu.4141.0019 KX Précéoent suvant > hitps:lww.caim infolrevue-etudes-2011-1-page-19.ntm wane oaros2022 23:20 \Vers une responsabilié équilable dans une communauté mondialisée [| Cai nfo Pour citer cet article Distribution électronique Cairn.info pour S.E.R. © S.E.R.. Tous droits réservés pour tous pays. Ilest interdit, sauf accord préalable et écrit de éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque maniére que ce soit. Cairn.info PDF Help hitps:lwwcaim infofeovue-otudes:-2011 vane

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