AMADOU
HAMPATE BA |
MémoiresPREFACE
Yai &6 naturclementirés ému dapprendre quiAmkoulel avait souhaite
{ue la prétacea ce volume soitrédigée parle viell ami quil appelait'son
Fleuve silencieux’
Ceest en effet vers 1941-1942 que nous avions fait connaissance et
quitait née entre nous la profonde amitié qui nous unissale, dans ph
sieurs domaines dailleurs: notre participation commune a recherches
concernant le passé de IAfrique de l'Ouest et, plus encore peut-etre la
certitude que nos convictions religieuses, loin de nous séparer, conver.
geaient dans une méme direction de la fagon la plus events et que
‘nous gravissions in et autre, par des sentiers en apparence diflérests
la montagne unique au sommet de laquelle Intend, au-dessus des ages,
la lumiére surnaturelle qui doit éclairer tout homme
enseigncment de Tierno Bokar avait beaucoup contribué a ouvrit
tres largement le cocur et la pensée Amkoullel sur wus les aspects de
1a ie spirtuclle authentique Celle-c, 08 quelle se manifest, etait done
toujours accuellie par hi avec joie et reconnaissance
Nous avions fait un jour un pélerinage la maisonet sur tombede
Tierno Bokat, a Bandiagara. Nous avions souhaité lui et moi, fare
connaltre ses amis un des plus beaux textes de la inéranore religicuse,
cél2bre sous le nom c'Ffymme dla Gharitéetinséré patlapote Pal dans
Tune de ses leties,
‘Nous nous eadimes ensemble la mosquée de Bandiagara 00 mon
compagron traduisit en peulTintenton de sesamis ce passages conne,
et qulse ermine ainsi: “Maintenant donc, ces trois choses demeurent
Ja foi, lespérance et tamour. Mais la plus grande des trois, cest Lamour:
Lesauditcurstrouvérent ce texte rés beau et meen demandren Forigine
Sans entre dans trop de détails, je pris i iberté de me conteater de la
réponse suivante : “Lauteur est un Soufi dentre les Benou Israél.”
On vott ici & travers le récit qui précéde, fétonnante largeur desprit de2 AMADOU HAMPATE BA
Je dois ajouter dailleurs quAmkoullel, dans la vie courante, loin de
‘sé maintenir en permanence sur les plus hauts sommets de la pensée
ov de la foi, savait ire a bien des égards un homme comme les autres,
sachant rire, plein "humour & loccasion, voire de malice, et quil pos-
sédait un talent particulier pour le récit et par conséquent le conte
nombre de ses écriis sont en fait des histoires, quil sagisse de textes
symboliques ou, plus simplement, de récis plaisants, comme par exemple
celui qui a pour titre un peu surprenant “Le coccyx calamiteux”
Lethéme “Souvenirs de jeunesse” appartient 4 un genre litéraire bien
connu, mais périlleux, puisque Ion voit s rencontrer c6te d céte les
plus hautes réussites avec les plus fortes pensées et les plus pauvres ba-
nalités, La bonne volonté du mémorialiste ne remplacera pas le génie,
til ne sera pas donné a nimporte qui davoir 4 évoquer, comme Cha-
teaubriand, son enfance a Combourg.
En nous racontant sa jeunesse, en fait ses vingt premiéres années,
Amadou Hampaté Bi nous introduit dans un monde qui sera singulié~
rement instructif pour le lecteur d'aujourd hui: celui de la savane Ouest
africaine, avec les paisibles immensités dune brousse dévorée par le
soleil ou batnue par les tomades de la saison des pluies, avec ses plateaux:
‘gréseux et lénorme fleuve Niger qui reste la grande artére centrale de
rout le pays.
Le centre du récit restera cependantla petite ville de Bandiagara, mais
lautres lieux seront tout a tour évoqués : Mopti, Sansanding, Ségou,
Bougouni, Koulikoro, Kati, etc. Si, Bandiagara, on assiste, au début du
sigcle, 4 linstallation en pays conquis de occupation militaire francaise,
le pays demeure passionnément attaché aux grands souvenirs de son
histoire et, bien entendu, aux deux principaux épisodes de celle-ci: le
royaume pel de Chetkou Amadou dans le Macina, et la conquéte du
pays par les Toucouleurs d'El Hadj Omar
Les passions restent vives et, ds son enfance, lauteur se trouvera
plongé dans les remous d'un passé dont il se fera ailleurs hi
jour Ihistorien,
Le royaume de Bandiagara est, évidemment, musulman ; cet Islam,
passablement rigoriste, git (out ensemble les choses de la foi et celles
de Ia vie sociale, Les garcons, par exemple, se voient contraints ox
prendre par coeur un Coran dont certains, faute de savoir larabe, ne con-
zaftront pas le sens,
(Onreste confondu de Vextréme précision du récit qui reproduitjusqu
des conversations anciennes, Il est évident que l'auteur fait appel Ia fois
4 des souvenirs personnels et 2 des renseignements recucillis auprés
AMKOULLEL LENFANT PEUL 3
iinformateurs. Il existe ici un matériel historique parlé d'une extréme
richesse, témoignant d'une véritable civilisation de Voralité capable de
conserver des récits souvent anciens et d'une surprenante précision.
Un enfant peul grandira dans une double fidéité: un veritable code
de fhonneur et un total respect de la volonté maternelle. Le jeune Peul
nourri du récit des hauts fats de ses ancétres, devra régler sa conduite
daprés un code moral exigeant ; il y aura donc des choses qu'un Peul
bien né refusera de faire
Apres Thonneur, voici la seconde partie du dyptique : la Mére. Un.
Peul peut désobéir a son pére, jamais a sa mére, La régle est absolue.
Amadou Hampaté Ba en fera lexpérience lorsque Kadigja interdira son.
départ pour FEcole de Gorée, pépiniére des meilleurs auxiliares afti-
cains de fadministration coloniale. Cette mére était ailleurs d'un calibre
cexceptionnel, etcette noble, gracieuse et forte Kadidia reapparaitra dans
cent pages du récit.
‘Quittant sa mére a Koulikoro pour rejoindre son premier poste dans
administration coloniale, Amkoullel voit Kadija sloigner de la berge
du fleuve sans se retourner. “Le vent faisaitflotter autour delle les pans
de son boubou et soulevait son léger voile de tte. On aurait dit une li-
bellule préte a senvoler.”
‘Un troisiéme élément de la société peule, aprés Ihonneur et le respect,
dea mire, réside dans la pratique de la générosité. On trouvera dans les
cits @Amkoullel de trés nombreuses allusions au rdle du don dans
Jes rapports sociaux : on voit en effet nombre de fois un donateur, en état
de le fure, récompenser des services par un cadeau de plus ou moins
importance : animaux, vétements, objets divers et, parfois, numméraire,
Cette dibiquité de la pratique du don fait partie de la coutume peule.
‘Vingt années d'une jeune vie africaine, cela comprend une foule de
récits, d’anecdotes, de descriptions les plus variés. On découvre par
exemple avec intérét le fonctionnement de ces associations denfants,
‘comprenant jusqu une cinquantaine de jeunes garcons, appartenant
ailleurs 4 toutes les classes sociales de Ia ville, des nobles jusqu’aux
rimaibé,
humour dAmadou Hampaté Ba est constamment présent et le pit
toresque ne manque jamais : preuve en est le singulier récit d'une exp
dition enfantine destinge a déterminer si, comme le bruit en avait couru,
les excréments des “Blancs-Blancs” étaient noirs.
horreur se trouve également représentée dans ce volume, par exemple
occasion d'une famine sévére dont auteur a conservé de tragiquesAVANT-PROPOS
La mémotre africaine
“Plusieurs amis lecteurs du manuscrit se sont étonnés que la mémoire
dun homme de plus de quatre-vinats ans puisse restituer tant de choses,
et surtout avec une telle minutie dans le détail. Cest que la mémoire des
gens de ma génération, et plus généralement des peuples de tradition
orale qui ne pouvaient sappuyer sur Vécrt, est d'une fidélité et d'une
précision presque prodigicuses, Dés lenfance, nous étions entr
observer, 4 regarder, 3 écouter, si bien que tout événement sinscrivait
dans notre mémoire comme dans une cite vierge. Tout y état : le décor,
les personages, les paroles, jusqu’a leurs costumes dans les moindres
détails. Quand je décris le costume du premier commandant de cercle
que jai vu de pres dans mon enfance, par exemple, je nai pas besoin
de me souvenir, je le vois sur une sorte décran intétieur, et je nai plus
qui décrire ce que je vois, Pour décrire une scéne, je n'ai qu’ la revive.
Et si un récit ma été rapporté par quelqu'un, ce nvest pas seulement le
contenu du récit que ma mémoire a enregistré, mais toute la scene : Fat-
tirude du narrateur, son costume, ses gestes, ses mimniques, les bruits
ambiants, par exemple les sons de guitare dont jouait le griot Diéli Maadi
tandis que Wangrin me racontait sa vie, et que jenterds encore.
Lorsqu’on restitue un événement, le film enregisiré se déroule du
début jusqu’ la fin en totalité. Cest pourquoi il esttrés difficile 8 un Afri-
cain de ma génération de -tésumer., On raconte en totalité ou on ne ra~
conte pas. Cn ne se lasse jamais c'entendlre et de réentendre la méme
histoire ! La répéttion, pour nous, n'est pas un défaut”
hronologie
“La chronologie n’étant pas le premier souci des narrateursafricains, quils
sient tradtionnels ou familiaux, je nla pas toujours pu dater exactemnent,18 AMADOU HAMPATE BA
un ou deux ans pres, les événements racontés, sauf lorsque des évé-
nements extérieurs connus me permettaient de les situer. Dans les récits|
africains o8 le passé est revécu comme une expérience présente, hors
du temps en quelque sorte, ily a parfois un certain chaos qui géne les
esprits occidentatsx, mais ol nous nous retrouvons parfaitement. Nous
‘y évoluons a I'aise, comme des poissons dans une mer od les molécules
dieau se mélent pour former un tout vivant.”
Zone de référence
“Quand on parle de tradition africaine, il ne faut jamais généraliser. I
nly a pas ane Afrique, il ny a pas un homme afticain, il n'y a pas une
tradition afticaine valable pour toutes les régions et toutes les ethnies,
Cortes, il existe de grandes constantes (présence du sacré en toute chose,
relation entre les mondes visible et invisible, entre les vivants et les mort,
sens de la communauté, respect religieux de la mére, etc), mais aussi de
nombreuses différences : les dieux, les symboles sacrés, les interdits re-
ligieux, les coutumes sociales qui en découlent varient d'une région a
autre, d'une ethnie 4 une autre, parfois de village a village.
Les traditions dont je pale dans ce récit sont, en gros, celles de la sa
vane africaine sétendant dest en ouest au sud du Sahara (ce que Ton.
appelait autrefois le Bafoun, et plus particuli¢rement celles du Mali, dans
les milieux poullotoucouleur et bambara od j'ai vécu,”
Réves et prédictions
“Une autre chose qui géne parfois les Occidentaux dans les récitsafti
cains est lintervention fréquente de réves prémonioires, de prédictions
cet autres phénomenes de ce genre, Mais la vie africaine est tissée de ce
genre dévénements qui, pour nous, font partie de la vie courante ete
‘nous éconnent nullement, Il néiait pas rare, jadis, de voir un homme ar:
river a pied d'un village éloigné uniquement pour faire part 4 quelqu’un
dannonces ou dinstructions qu'il avait regues en réve & son sujet ; puis
il sen retournait tout naturellement, comme un facteur venu apporter
tune lettre a son destinataire, en toute simplicité. Ne pas mentionner ce
genre de phénoménes au cours du récit n’aurait pas &é honnéte de ma
part, puisquils faisaient - et font encore sans doute, dans une certaine
‘mesure ~ partie de nos séalités vécues,
(@Propos dAmadou Hampaté Ba
ecueillis en 1986 par Hélene Heckmann)
‘TRANSCRIPTION
Pour faciliter la lecture des mots africains, plutét que d'appliquer les regles de
transcription établies par les linguists, on a préféré favoriser la phonetique (ow
plutst que 1, éou éphutétque e..). On a également francis et acoordé les noms
ethnies. En ce qui conceme certains noms propres, les differences dortho-
sgraphes selon les personnages sexpliquent par le fait que ces noms, dérivés de
[arabe, ont subi dans usage de nombreuses transformations phonétiques. Par
exemple, lettre honorfique Cheikh (dont le kb correspond 3 Ia ota espagnole)
deviendra, quand il est utilise comme nom propre, Cheik, Cheikou, Chékou
voire Sékou. len va de méme pour le nom du prophéte Mohammad qui devient
Mohammed, voire Mamadou, ¢t pour Ahmed qui devient Ahmadou ou Amadou
selon les cas.n AMADOU HAMPATE BA
Le roi Aguibou, hots de lui, voulut intervenir, mais le commandant,
soucicux diéviter lisréparable, le calma.
Se tournant vers linterpréte Babilen Touré, Tidjani Thiam prononca
alors les paroles qui devaient sceller son destin
‘Interpréte, dis au commandant de ne plus chercher en dehors de moi
le responsable de la répression des Samos. Jai agi de mon plein gré
Javais a venger mon frére et mes hommes massacrés, loccasion mien fut
offerte, jen ai profité, Ceci est ma déclaration, unique et définitive.”
Le commandant de cercle était maintenant fxé sur ce qui sétait réel-
lement passé, mais Tidjani Thiam refusant de se défendre, il ne pouvait
se substituer& lui. Il fut obligé dordonner son arrestation ainsi que celle
de son cadi et conseiller Tierno Kounta Cissé. I fit arréter également
‘Tombo Tougouri, auteur de plusieurs meurtres et blessures et ame de la
révolte, et plusieurs notables samos et toucouleurs.
‘Tous les biens de Tidjani Thiam (environ trois mille bovins, des mou-
tons et des chévres, deux cents chevaux parmi lesquels figuraient les
deux célabres coursiers Nimsaali et Kowe!-Birgui qui avaient jadis gagné
la fameuse course aux dépens du cheval d’Aguibou Tall, sobxante servi
teurs, plusieurs kilos dor et dargent et environ cing millions de cautis)
furent confisqués. Le palcis fut Evacué et confié a la garde d'un briga-
dier-chef et d'un groupe ce gardes de cercle.
Le commandant organisa le convoi qui devait rejoindre Bandiagara,
ot Taffaire serait jugée. Ticjant fut autorisé & monter sur son cheval favori
Kowel-Birgui. Ses deux épouses ainsi que ses serviteurs et courtisans
faisaient partie du convoi.
‘A.un moment du traet, on ne sut quelle idée malencontreuse stempara
tout 2 coup de Tidjani. Alors qu'l cheminait non loin du commandant,
comme pris d'une folie subite il précipita soudainement son cheval contre
Iui, Sous la violence du choc, le commandant sécroula a terre avec sa
‘monture. Heureusement, en bon officier de cavalerie habitué aux chutes
de cheval, il avait pu dégeger 3 temps ses pieds des étriers afin d'éviter
que son cheval ne tombe sur lui. Il fut projeté & terre assez loin mais se
releva indemne. Pour toure réaction il sécria : “Pauvre Tidjani ! Pauvre
Tigjani! Tl veut cofite que cotte que je le tue” Depuis lors, tout au long
de sa vie, Tidjani n’allait cesser de répéter cette expression “Pauvre Ti-
djani !" qui deviendra chez lui une sorte de tic verbal
Non seulement le commandant refusa de lui passer les menottes, mais
il lui permit de monter 4 nouveau Kowel-Birgui et le garda aupres de lui
jusqu’a la fin du voyage
PANT PEUL
leur arrivée a =
_De vée a Bandiag: =
cubis agar, Tian Thiam, son :
= tous les autres prévenus furent incara 3. Sea a
ie ret absolu dans un lieu inconnu. ei
males méhantes langues repent eis attagues
ba ee comme la cause de to ies mall
N(us sur Tidjani et sa famille. “ ri
clamaient les femmes tox io
Pe Poul,
ius belle conte
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Thiamentéte Flessavacn
fitele fle de
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ucouleures, Tall. Thistee
Le “démon”, céta a!
aut ion cit oreere se
gue aggre Parle divorce demesparentes Onn ante pas ex
ook Perdu son pére Peu aprés qu'il eco
our ares ia conclusion du manage sci at de ;
Porera son combleFéchaufemen ee
pe ameCenfututsatene man oat
hoe se laisser abattre. Faite day at ok
‘lalftonternimporte que danger
tale le nlavattpeurderen gece
dod quil vere, et quand ele enneae
svigubou. quoi quilen cote Teepe eee
seat eta BU Cur une bonne partic Coens oe eigcse
ana SuPerstiticuse etne se génait pas pourdéme nt Le
ee ‘etautres jeteurs de sort Sans etre da Zane ss
Beaute cle nevi nila bagame alle pose ee une
S€e de fer, dira-t-elle plus tard, pour dé de mes paren is
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sae le bata pourles dene ot
Les jours passant, et person
Thiam. On nétait méme pz
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Fa dacs tivities
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comme un fave ct deport Tou le merac at Se ms dans
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Ean penne es tapes de Tian Tee ene
enqueleen arses lames eae fig Ba
it naissance niay
cer temple east aot
surmonter nimporte qual she
lene manqua de eleverun cee
rena quelque chose ellealans st
‘valent précpté dans un pun”
accord pour dire quion
# et personne ne pour
les étaient veuw4 AMADOU HAMPATE BA
Badara et Tidjani, les seuls espoirs qui lattachaieat encore 3 a vie, hi
avaient €t€ cruellement arrachés, lun perce par trois fleches & Toni,
autre enlevé par les Blanes et comme perdu entre ciel et tere.
Diaraw Aguibou nfosait plus regarder ses coépouses dans es yeux en
raison de la conduite de son pére le roi et de son demi-fere Tidjani Agu
bou Tall. Pourtant personne dans la famille, ni femmes, ni servantes ct
moins encore les enfants, ne lui faisait sentir que les siens €aient la cause
du malheur épouvantable qui sétait abattu sur eux tous. Chacun seffor-