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Nanoforum CNAM

Nanotechnologies et alimentation :
Etat des lieux et incertitudes

Introduction
Professeur William DAB
Professeur titulaire de la chaire d’Hygiène et sécurité du CNAM,
ancien Directeur général de la santé

Je vous souhaite la bienvenue à cette quatrième session du Nanoforum du CNAM organisé à la


demande de la Direction Générale de la Santé et des autres organisations centrales concernées, en
partenariat avec l’association VivAgora et le Journal de l’environnement. Je voudrais remercier les
responsables de ces deux organismes, Dorothée Benoit-Browaeys et Laurent Pitoun, pour leur
implication importante dans ce projet. Je souhaite également souligner le rôle de soutien que nous a
offert Eric Gaffet tout au long de la préparation de nos séances et en particulier pour l’élaboration
de la conclusion de cette rencontre grâce à son regard encyclopédique sur le sujet.

Je note avec satisfaction la présence de visages familiers, ce qui semble montrer que nous
parvenons à constituer un club de fidèles. L’un de nos objectifs est donc atteint. Notre thème est,
aujourd’hui, l’application des nanotechnologies à la production et la distribution des aliments.

Conformément à nos principes, nous avons sollicité un certain nombre d’acteurs, de sorte que nous
comprenions mieux leur mode de travail et leurs interactions sur ce secteur. A ce titre, je salue
Monsieur Martin venu spécialement de Bruxelles, ainsi que Madame Loulergue qui représente
l’AFSSA, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments. Le niveau européen est très
structurant dans nos débats. Au niveau national, les agences de sécurité sanitaires jouent un rôle
irremplaçable pour l’évaluation des risques et l’aide aux politiques publiques.

Le point de vue des acteurs économiques est nécessaire pour la construction du débat public.
Cependant, nous rencontrons ici un problème. En octobre dernier, nous avions bénéficié de la
présence d’ItalCementi qui nous fut précieuse à la compréhension du sujet. En décembre, la FIP, la
Fédération des Industries de la Parfumerie, a commencé par une fin de non recevoir avant de
changer d’avis in extremis et de venir en force. Nous devons constater ce soir la défection du
groupe Danone.

Après la séance du mois de décembre, le comité d’organisation a estimé qu’il était préférable
d’inviter les industriels impliqués en recherche et développement plutôt que les fédérations
professionnelles dont la compétence est principalement relative au lobbying. Le groupe L’Oréal
m’a fait part de ses regrets face au déroulement des événements et aurait souhaité être invité
directement. Dans ce contexte, compte tenu de ses investissements en recherche, le groupe Danone
a été tout naturellement proposé par la Direction générale des entreprises pour le forum de ce soir.

L’accueil de l’entreprise a été initialement plutôt favorable. Mais toutes nos tentatives récentes
pour connaître la position de ce groupe quant à la participation au débat de ce soir se sont soldées

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par un échec. Une telle attitude ne doit rien au hasard et témoigne du malaise d’une entreprise qui
semble tétanisée par la perspective d’expliquer sa position sur les nanotechnologies et leurs
perspectives. Trop souvent, en France, les acteurs industriels n’acceptent de débattre avec la société
que s’ils y sont contraints.

Dans le même temps, l’Association française des entreprises pour l’environnement, EpE, déplore
explicitement que « l’expertise des entreprises [soit] trop rarement reconnue comme légitime pour
être mobilisée dans des buts d’intérêt général ». Danone n’est pas membre d’EpE, sa position n’est
donc pas réellement ambiguë. Pour autant, en matière de sécurité sanitaire, cet épisode témoigne
d’une difficulté indéniable à instaurer un dialogue loyal avec les acteurs économiques.

En conclusion, je voudrais porter à votre connaissance une analyse intéressante publiée par le
Centre d’analyse stratégique auprès du Premier Ministre qui identifie le manque de confiance
comme un des obstacles structurels expliquant le retard français en matière de croissance
économique. En effet, à la question « en règle générale, pensez-vous qu’il soit possible de faire
confiance aux autres ou que l’on n’est jamais assez méfiant ? », seuls 20 % des Français expriment
un sentiment de confiance contre 70 % des Norvégiens, 40 % des Japonais, des Indiens et des
Canadiens et 35 % des Américains. Seuls la Grèce et le Portugal font preuve d’un niveau de
confiance inférieur au nôtre. Très détaillée, cette étude explique que la confiance est une condition
indispensable à la gestion démocratique des risques. L’attitude d’industriels comme Danone ne
peut qu’alimenter ce sentiment que la vérité est cachée, que les vrais enjeux sont camouflés et que
la population est manipulée.

Toutefois, l’absence de Danone nous donnera la possibilité d’élargir le temps de discussion


usuellement imparti. Vous avez exprimé dans les évaluations des séances précédentes votre
frustration relative à la durée des échanges avec la salle, nous tâcherons d’y remédier aujourd’hui.

Je laisse maintenant la parole à Monsieur Martin qui abordera le regard que porte la Commission
européenne sur les perspectives des nanotechnologies dans le secteur alimentaire.

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Présentation de la problématique du point de vue de la


Commission de l’Union européenne
Philippe MARTIN
Direction Générale de la Santé et Protection des Consommateurs
Commission européenne

Je vais m’attacher à vous donner ici le point de vue de la Commission européenne qui demeurera
toutefois assez personnel. Je m’intéresse à cette question depuis 2003. C’est donc un sujet de
réflexion qui me tient tout particulièrement à cœur.

La Direction Générale de la Santé et Protection des Consommateurs (DG SANCO) est compétente
en matière de législation alimentaire et agroalimentaire. L’analyse des risques est confiée à
l’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire (AESA). La DG SANCO s’occupe d’analyse des
risques non-alimentaires, en particulier les risques émergents, notamment liés aux produits
cosmétiques.

I. Applications des nanotechnologies au domaine alimentaire


Je veux insister sur le fait que de très bons aliments, les meilleurs que l’on puisse trouver sur le
marché, sont « nano ». Il faut distinguer les nano-aliments nouveaux (ou novel food, en anglais) et
les aliments existants, les aliments naturels et les aliments synthétiques. Par exemple, la caséine,
qui se trouve dans la plupart des laits, appartient au domaine des nanomatériaux.

En comprenant, dès les années 1960, que les lois de la physique s’appliquent également à l’échelle
du milliardième de mètre, Feynman a ouvert un nouveau champ d’étude aux ingénieurs.
Aujourd’hui, nous pouvons manipuler les atomes et les molécules pour concevoir de nouveaux
matériaux et les fabriquer de manière contrôlée à partir de ces atomes ou molécules. Celles-ci sont
réduites par broyage, meulage, sublimation, combustion ou construites en les manipulant grâce aux
Microscopes à Force Atomique (AFM).

Il existe deux produits sur le marché européen de l’agroalimentaire qui correspondent à la


définition de nano-produits. Le premier est le Carotène, que le Badische Anilin und Soda-Fabriken
(BASF) appelle le Lycopène. Le Carotène a des propriétés intéressantes. Il permet, notamment, de
limiter les risques de cancer de la prostate. Le second nano-produit est le Novasol, mis au point par
une compagnie allemande. Il permet de solubiliser l’insoluble. Il devient donc possible de rendre
liposoluble des vitamines habituellement hydrosolubles, comme par exemple la vitamine C, et vice-
versa. Une analyse des risques que présente ce genre de produit est nécessaire, d’autant plus si l’on
considère que l’organisme n’est pas habitué à rencontrer la vitamine C dans les graisses.

On distingue deux familles d’applications. La première est la nanoscience, c’est-à-dire une


meilleure compréhension des processus métaboliques d’absorption des nutriments et de la
conception de nouveaux aliments. Il s’agit d’économie de la connaissance où les nanotechnologies
et les nanosciences aident à concevoir de la nouveauté, sans pour autant nécessairement ajouter de
nouveaux ingrédients. La deuxième famille d’application est la création d’aliments à proprement
parler, notamment grâce à de nouvelles méthodes d’extraction de produits actifs. Cela permettrait,
par exemple, d’obtenir des contenants dont les parois seraient recouvertes de produits bactéricides.

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Dans une perspective plus futuriste, on pourrait envisager des nez ou des langues artificiels,
électroniques, qui goûteraient les aliments et donneraient une idée de leur qualité. On pourrait donc
imaginer que, plutôt que de présenter un risque, les nanotechnologies puissent servir à améliorer la
sécurité de la chaîne alimentaire.

Il existe également des nanoparticules entrant dans la fabrication d’aliments, généralement comme
agents de conservation ou comme additifs. Des émulsions peuvent ainsi permettre d’améliorer la
conservation et de changer la texture des aliments. Une compagnie de confiserie a, par exemple,
mis au point des chewing-gums dont le goût est rendu durable grâce aux nanotechnologies alors
qu’il disparaissait initialement en quelques secondes.

Les études de marché montrent que les consommateurs n’ont pas d’appétence particulière pour de
nouveaux ingrédients. Les grands groupes alimentaires s’efforcent donc de renouveler les procédés
plutôt que les ingrédients. Le règlement européen de 1997 « Novel foods » exige qu’un dossier soit
soumis avant la mise sur le marché de tout aliment dont les processus de fabrication ou les
ingrédients sont nouveaux.

II. Enjeux des nanotechnologies


Plusieurs pays dont les Etats-Unis et la Suisse misent considérablement sur les nanotechnologies
pour assurer leur succès économique dans les quinze années à venir. La montée en puissance des
nanotechnologies est beaucoup plus rapide que celle des technologies de l'information et de la
communication (TIC). Le potentiel économique est indéniable : vingt milliards d’euros de revenus
sont attendus d’ici à 2010.

D’un point de vue purement économique, le forum de Davos identifie les nanotechnologies comme
un risque majeur dans la mesure où précisément les risques qui leur sont liés n’ont pas encore été
identifiés. Le risque perceptuel, c’est-à-dire les doutes du consommateur face au produit, est
considérable. Les risques financiers demeurent encore à identifier.

III. Caractérisation
A titre d’illustration, il est possible de comparer les nano-produits au chocolat en poudre qui,
plongé dans le lait, réagit immédiatement, au contraire d’un morceau de chocolat qui mettra
beaucoup plus longtemps à se dissoudre. Ce phénomène s’explique par la surface réactive de la
poudre avec le lait qui est beaucoup plus grande. L’idée essentielle à retenir est qu’à l’échelle
nanométrique, pour une masse donnée, la surface augmente alors que le volume des éléments
diminue (ou, réciproquement, lorsque leur nombre augmente). Cela entraîne donc des réactions qui,
en physique classique comme en physique quantique, restent à identifier.

Développer l’exemple de l’or permet une meilleure compréhension de ce mécanisme. L’or, non
réactif et jaune à échelle classique, devient bleu et plus réactif quand il est réduit à des particules de
l’ordre du nanomètre. Réduit à trois nanomètres, l’or devient rougeâtre et catalytique. Dès que l’on
augmente la taille, cette réactivité disparaît. L’observation immédiate que l’on peut réaliser est que
ces comportements et la relation dose/effet n’étaient pas prévisibles. C’est souvent le cas à l’échelle
nanométrique.

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Dans l’agroalimentaire tous les éléments ne sont pas solubles, biocompatibles et biodégradables.
Récemment a été déposé un brevet pour les sachets qui enveloppent les barres « Mars », dans
lesquels on trouve de la silice, de l’oxyde de magnésium et du dioxyde de titane. On retrouve ce
même dioxyde de titane comme filtre anti-UV. Ailleurs, on trouve de l’oxyde d’argent comme filtre
anti-microbien, du nitrite de titane pour durcir le plastique de bouteilles de bière, etc.

IV. Action
Les actions autour des nanotechnologies sont, bien évidemment, nombreuses. Le 7ème Programme-
Cadre de Recherche et de Développement communautaire européen (PCRD) joue un véritable rôle
de promotion en investissant 3,4 milliards d’euros dans la recherche sur les nanosciences, dont une
partie notable consacrée aux études sur le risque. Un plan d’action européen étudie tous les aspects
politiques des nanotechnologies : recherche et innovation, bien sûr, santé, emploi, environnement,
etc.

J’organise depuis 2004 des conférences annuelles, combinant sécurité et innovation. L’importance
de la prise en compte de l’aspect sécuritaire dans la production et la conception de nouveaux biens
et services est mise en avant lors de ces conférences.

Nos comités scientifiques, dont le Scientific Commitee on Emerging and Newly Identified Health
Risks (SCENIHR), évaluent les risques émergents et ont émis de premières opinions scientifiques
sur la question. Le SCENIHR insiste sur l’obligation d’opérer au cas par cas dans la mesure où il
n’est pas possible de se satisfaire d’une connaissance hypothétique. De plus, si l’on ne remet pas en
cause les paradigmes de l’analyse de risque, une attention particulière doit être accordée aux tests,
notamment ceux concernant les réactions de l’organisme face aux nanotechnologies. Nous avons
confié un mandat à l’Agence Européenne de Sécurité Alimentaire, l’AESA, pour obtenir un avis
sur les risques liés aux nanotechnologies dans la filière agroalimentaire. Le travail du groupe de
travail sur les nanotechnologies et l’agro-alimentaire de l’Agence a commencé le 16 janvier 2008.

Le Groupe européen d’éthique a également donné un avis sur les nano-médecines. Nous adoptons
donc également une perspective éthique sur la question. Les services de la commission européenne
ont proposé une analyse de la législation communautaire qui sera bientôt publiée.

En conclusion, je dirai que le cadre est solide mais que des manques sont à prendre en compte de
plusieurs points de vue. Le Règlement européen d’enregistrement, évaluation et autorisation des
produits chimiques (REACH), oblige les industriels à fournir la preuve que leurs produits ne
présentent pas de risque pour la santé. Il existe cependant dans ce règlement une zone floue
concernant les nanoparticules. En effet, dans ce cas particulier, le rôle de veille revient dans la
pratique aux autorités publiques et sanitaires même si les industriels restent soumis à une obligation
légale de caractérisation des substances et d’évaluation des risques. Le débat n’est certainement pas
encore clos sur ce sujet. Récemment, un code pour la conduite responsable des chercheurs a été
élaboré et sera prochainement publié.

Une intense activité internationale est à noter au sein de forums tels que l’OCDE, l’OMS et
l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Ces institutions
s’éveillent à l’importance de la problématique et n’ont pas encore développé leurs compétences.

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V. Calendrier pour 2008


La semaine prochaine, j’irai discuter de nouveaux mandats sur l’évaluation des nanomatériaux avec
mes experts.

Le 27 février, je rencontrerai à Washington nos partenaires américains de la Food and Drugs


Administration (FDA). Ce dialogue est important pour promouvoir la sécurité et éviter les crises
sanitaires que nous avons connues par le passé.

Le 10 mars sera mis en place un groupe de dialogue formel avec les parties définies par la directive
européenne dans le domaine agroalimentaire. Ce groupe sera ouvert aux associations, à certaines
ONG dont l’Organisation Européenne des Consommateurs (OEC) et aux représentants de certaines
associations industrielles.

Autour du 30 avril, la revue de la législation communautaire européenne concernant les


nanotechnologies devrait être publiée.

Cette année, les 2 et 3 octobre se tient notre conférence annuelle sur la « sécurité pour
l’innovation » (Safety for Success).

VI. Conclusions
Nous devons admettre que les nanotechnologies n’appartiennent plus à l’avenir, mais désormais à
notre présent. Nous devons gérer ces nano-produits dès aujourd’hui et en faire la veille. C’est un
véritable défi auquel les autorités sont confrontées. Par exemple, nous devons faire face aux
nombreux produits qui entrent sur le marché européen par le biais de commandes sur Internet. Un
produit qui violait la législation européenne a été récemment intercepté à la frontière. Cependant,
pour un produit intercepté, il est réaliste d’imaginer que d’autres produits passent entre les mailles
du filet.

Mettre en œuvre la réglementation est la véritable priorité. La réglementation semble ici être bonne,
le défi est donc de la faire respecter. Le seul ajout réglementaire a été opéré dans les
« considérants » de la nouvelle version de la réglementation sur les nouveaux aliments. Les
nanotechnologies y sont citées en exemple pour attirer l’attention des industriels sur les différences
entre l’usage de certains produits en quantités habituelles, c'est-à-dire massives et macroscopiques,
et leur usage en quantités nanométriques. Les nano-produits doivent être testés, la sécurité doit être
vérifiée.

Générer de l’information et des données est, ensuite, essentiel. Cette collaboration peut, toutefois,
s’avérer problématique dans la mesure où il s’agit ici de produits compétitifs. En conséquence,
certaines entreprises hésitent, à juste titre, à transmettre leurs informations car elles entreraient
alors dans le domaine public.

Enfin, impliquer les citoyens est un axe extrêmement important. La politique de protection des
citoyens et des consommateurs ne peut pas se faire sans eux.

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Pr. William DAB

Merci, Monsieur Martin, d’avoir répondu si précisément aux questions que nous nous posions.
C’est la première fois qu’un membre des institutions européennes participe à notre forum.

Nous avons bien compris vos préoccupations, que ce soit à propos du développement économique
ou de la sécurité. De nombreux signaux rendent plausible une toxicité spécifique de ces nano-
composants. Il était essentiel de comprendre que la DG SANCO est à même d’articuler ces
différentes dimensions et d’essayer de les intégrer.

Vous nous avez dit qu’au moins deux aliments sur le marché actuel incorporent des nano-
composants. Je me demande ce qui vous permet de le savoir.

Philippe MARTIN

Je m’en remets ici à mes collègues britanniques. Ma source est une agence gouvernementale qui
joue souvent un rôle équivalent à celui joué par la DG SANCO pour le Royaume-Uni, le
Department for Environment, Food and Rural Affairs (Defra) et son Central Science Laboratory
(CSL). Ce dernier a mené une grande étude montrant que seuls deux produits agroalimentaires
européens incorporent des nanotechnologies. La situation est très différente aux Etats-Unis.

Pr. Didier SICARD, Président du Comité Français d’Ethique pour les Sciences de la vie

Le statut de l’hydro ou liposolubilité est absolument essentiel dans la physiologie humaine et


animale. Or les nanomatériaux peuvent changer l’hydrosolubilité en liposolubilité et vice-versa.
Dans le domaine de la recherche sur les vitamines, la recherche sur l’animal sera donc tout à fait
déterminante. Toutefois, il me semble qu’il serait approprié de travailler de façon plus poussée sur
le changement de l’hydrosolubilité en liposolubilité. Je me demande si les efforts sont à la hauteur
des enjeux car nous touchons ici un concept général de la physiologie.

Philippe MARTIN

Certes, cette question est essentielle. Dans l’immédiat, nos experts produisent des opinions
scientifiques sur le sujet. La règle que j’ai établie est qu’à la fin de toute opinion, des priorités de
recherche soient établies. Celles-ci sont communiquées à la Direction Générale Recherche qui gère
le Programme Cadre de Recherche et de Développement, le PCRD. Dans ce contexte, des appels à
propositions permettent aux scientifiques de répondre à ces questions.

Même si je partage l’idée selon laquelle il faut étudier abondamment le passage de l’hydrosolubilité
en liposolubilité, les instruments financiers à ma disposition ne me permettent pas de faire
davantage qu’ouvrir des appels à propositions dans un champ donné. Je pense toutefois que cet
aspect de solubilisation ne manquera pas d’être repris, clarifié et mis en avant par le comité de
l’AESA.

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M. HERIARD-DUBREUIL

Vous avez conclu en estimant que la protection des citoyens ne peut se faire sans eux. Entendez-
vous par là que cela constitue un corollaire du risque “perceptuel“ que vous avez évoqué ou
pensez-vous qu’une position active des citoyens et des consommateurs soit nécessaire pour que la
sécurité soit assurée dans le champ des nanomatériaux ?

Philippe MARTIN

Votre deuxième proposition répond à la question. C’est toutefois un point de vue personnel. Je ne
pense pas que les autorités publiques puissent se substituer aux citoyens. De même qu’elles ne
peuvent se substituer aux industriels, ou les industriels aux citoyens. C’est pourquoi je considère le
dialogue comme essentiel au sein de forums tel que celui-ci. Les points de vue doivent se
rencontrer.

José CAMBOU, France nature environnement

Nous avons rédigé, début 2007, une plateforme sur les nanotechnologies s’adressant aux pouvoirs
publics, aux industriels et aux chercheurs. Nous avons également participé au groupe 3 « Santé et
environnement » du Grenelle de l’environnement. Nous avons souhaité que les nanotechnologies y
soient abordées. Nous avons également demandé un moratoire partiel sur les produits en contact
avec le corps humain (produits alimentaires et cosmétiques, vêtements, produits de toilette). Or
notre souhait n’a pas été entendu. Les acteurs économiques nous ont répondu, à la séance suivante,
que ce moratoire n’était pas pertinent.

Nous avons également plaidé pour une obligation de rendre publique l’information. Cela nous
paraît nécessaire pour que les citoyens puissent être informés et identifier les produits contenant des
nanomatériaux. Cette proposition, sans pour autant résoudre le problème d’un éventuel risque
sanitaire, donnerait aux citoyens le choix d’acheter ou de ne pas acheter ces produits. Que peut
faire l’Union Européenne dans ce domaine ?

Philippe MARTIN

Ce n’est pas une question facile. Pour répondre par une boutade, il y a déjà un moratoire sur tous
les produits dangereux. Selon la réglementation européenne sur les produits alimentaires, on ne
peut pas mettre sur le marché européen un produit qui ne soit pas sûr. Les industriels doivent
pouvoir démontrer que leurs produits ne présentent aucun risque.

Quant à la question de l’information, elle est l’objet de discussions au sein de la Commission.


D’une part, certaines ONG demandent un label « nano » sur les produits comportant des
nanomatériaux, tandis que d’autres réclament, a contrario, qu’un label « non-nano » soit mis en
place. D’autre part, se pose la question de la distinction entre les anciens et les nouveaux
nanomatériaux, puis au-delà, la définition même des nano-composants. Pour certains, cela doit
recouvrir tous les composants dont la dimension est inférieure à un micron. Cependant, pour les
nano-composants dans l’agroalimentaire, les informations que j’ai pu réunir semblent révèler des
pics en-dessous de 100 nanomètres, entre 300 et 400 nanomètres et entre 600 et 700 nanomètres
alors que pour les ingénieurs de la Maison de la Chimie, le domaine nanométrique ne commence

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en-dessous de 100 nanomètres et que pour les géologues intéressés aux problèmes de filtration les
phénomènes ne deviennent intéressants qu’en dessous de 60 nanomètres. Nous avons donc
clairement un problème de définition. Alternativement, la taille ne peut constituer le seul critère.

Lors de la conférence du mois d’octobre, les ONG ont exprimé une demande d’information sur le
sujet. Le débat était très intéressant, il ne s’agissait pas simplement d’une demande d’étiquetage.
C’était une vraie demande d’information.

Il est tout à fait possible d’imaginer une qualification « nano » dans le système des numéros de la
gamme « E ». Par exemple, « E171 » représente le dioxyde de titane. On peut imaginer que « E171-
M60nn » qualifierait des nano-particules de dioxyde de titane de 60 nanomètres. Ce serait à la fois
l’assurance que les tests ont bien été réalisés et que les industriels sont conscients de leurs
obligations de mener ces tests. Toutefois, cette position n’est pas officielle. Il ne s’agit ici que
d’une réflexion personnelle.

Sonia DESMOULIN, CNRS

Vous nous avez expliqué que vous tenez d’une agence britannique l’information concernant les
deux produits alimentaires qui contiennent des nanomatériaux. Or, selon le règlement européen sur
les nouveaux aliments, ces produits devraient être considérés comme nouveaux et avoir subi une
évaluation préalable par l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Est-ce le cas ?

Par ailleurs, l’AESA a-t-elle les moyens de réaliser des évaluations pertinentes ? Si des évaluations
ont effectivement été réalisées, l’ont-elles été avec des tests adaptés ou classiques ?

Philippe MARTIN

Je pense que les deux produits cités ont subi tous les tests et sont légalement sur le marché. [Note :
Renseignements complémentaires pris après le NanoForum du 7 février 2008, le lycopène de
synthèse est produit dans l’Union européenne mais ne serait pas commercialisé. Sa
commercialisation nécessiterait une autorisation car il n’était pas sur le marché européen avant le
15 mai 1997. Il serait donc un nouvel aliment (novel food) au titre de la Règlementation 258/97/EC.
De plus, il existe des exceptions historiques et légales. De ce fait, le lycopène obtenu à partir de
tomates peut être utilisé comme colorant alimentaire et le lycopène obtenu à partir de Blakeslea
trispora est authorisé pour certains aliments. Apparemment, des discussions seraient en cours pour
le lycopène de synthèse.]

Concernant l’AESA, je suis mal placé pour répondre à la question. Notre comité des risques
émergents a démontré que le cadre conceptuel de l’analyse des risques reste valable. A ce stade, je
ne peux pas juger du bien fondé d’utiliser ou non les nouvelles méthodes choisies par l’agence.

J’ai rédigé pour l’AESA un mandat sur l’analyse des risques de manière générique pour les
nanotechnologies en matière alimentaire. Ce mandat devrait permettre à l’AESA de se forger une
opinion, non seulement sur les cas habituels, mais aussi sur les cas où d’autres tests sont
nécessaires.

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Jessy PICARD, Journaliste

J’aimerais savoir combien de produits identifiés circulent sur le marché mondial. Vous avez parlé
de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires d’ici 2010. Savez-vous combien de produits sont
concernés ?

Philippe MARTIN

C’est une information très difficile à obtenir. Nous avons recours à des cabinets de conseil pour
évaluer les implications économiques, ici le cabinet Helmut Kaiser. Les autres produits disponibles
sur le marché ont été autorisés par d’autres autorités que l’Union Européenne. Il est possible qu’ils
soient autorisés sur le marché européen une fois que les tests auront été réalisés.

Les chiffres que j’ai cités doivent être pris avec précaution. Ce ne sont que des évaluations.
L’important à retenir est que les nanotechnologies représentent un enjeu économique majeur.

Une base de données des nano-produits existants est proposée par le Woodrow Wilson Center. Il
faut cependant se montrer prudent dans la mesure où ce sont des informations réunies sur Internet.
Il existe plusieurs cas de figures : certaines entreprises vendent des produits contenant des
nanoparticules sans en informer le public, tandis que d’autres le revendiquent, sans qu’il soit
possible de savoir si ces allégations sont légitime, pour vendre des balles de tennis, des
compléments alimentaires, des poêles à frire, des pantalons… Il n’est pas toujours aisé de
distinguer la véritable information fiable.

Marie Jeanne HUSSET, directrice 60 millions de Consommateurs

J’ai le sentiment d’une grande confusion, notamment après ce que vous venez de dire. Les
nanotechnologies peuvent à la fois être effrayantes et constituer un argument de marketing majeur.
Selon les cas, on entend que les nano-produits ont toujours existé alors que, que selon les dires de
certains chercheurs, il n’existe encore aucun nano-produit sur le marché alors même que certains
industriels déposent de nombreux brevets.

Pour les consommateurs, dont le droit à l’information et à la sécurité est essentiel, il me semble
indispensable de régler ce problème de terminologie afin de s’accorder sur ce que l’on doit
entendre par « nano ». Par ailleurs, ce droit à l’information ne se limite certes pas à l’étiquetage,
mais c’est une partie de la problématique. Il ne doit pas s’agir de la dernière question à gérer sous
peine d’en faire une source de conflit lorsque les produits seront déjà sur le marché. Le droit à
l’information doit être géré en même temps que se développent les technologies. Il faut déjà
envisager de signaler les nano-produits, soit dans la liste des ingrédients, soit dans le système de
numérotation type « E », même si ce dernier système est d’un abord complexe. La traçabilité doit
être assurée avant qu’il ne soit trop tard.

Comment faire respecter le règlement « nouveaux aliments » ? En quoi s’applique-t-il aux nano-
aliments ? Comment le compléter le cas échéant ?

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Philippe MARTIN

Je vous remercie pour cette question importante. La clarification de la législation est essentielle.
Les nanotechnologies ne sont évoquées que comme exemple dans celle-ci. La législation semble
robuste dans la mesure où elle exige une autorisation pour la mise sur le marché d’un aliment dans
le cas de l’utilisation d’un nouvel ingrédient (exotique ou de synthèse) ou d’un nouveau processus
de fabrication. Dans ces deux cas, il est nécessaire de soumettre un dossier d’autorisation.

J’entends bien votre demande de clarification concernant la terminologie. Je vous fais toutefois
remarquer que la législation européenne, dans sa philosophie, possède deux caractères. Elle est,
tout d’abord, neutre face à la technologie. Elle ne doit donc pas faire mention de nanotechnologies
en soi afin de ne pas influencer les choix des consommateurs. Ensuite, elle prend en compte, de
façon prioritaire, l’aspect du risque pour le citoyen.

Quant à la question de la définition du produit, je peux simplement vous répondre que l’approche
législative européenne, fût-elle entièrement différente, ne règlerait pas les divergences de point de
vue sur les nanotechnologies : certains considèrent certains produits comme appartenant au
domaine nanométrique et d’autres non.

Votre interrogation ne nous laisse pas indifférents. Nous souhaitons y répondre, mais il faut tenir
compte des contraintes qui sont les nôtres.

Stéphane BAUDE

Les produits autorisés sont-ils des aliments que nous trouvons en rayons ou entrent-ils dans la
fabrication d’une diversité d’aliments ?

Philippe MARTIN

Je ne connais pas la réponse à cette question. Le Lycopène se vend en bouteilles. Pour d’autres
informations, je vous invite à chercher sur Internet.

Claire WEILL

Je m’interroge sur la multiplication des nano-particules, qui passent aujourd’hui à travers les
mailles des substances couvertes par le règlement européen REACH. Des programmes de recherche
sur les risques sanitaires et environnementaux des nanomatériaux sont actuellement développés au
niveau européen. Ces programmes reconnaissent et traitent la spécificité des risques liés aux nano-
particules et aux nanomatériaux. Il s’y pose notamment la question de l’élaboration de tests adaptés
à l’évaluation de ces risques. Un temps relativement long sera nécessaire pour atteindre cette étape.
En outre, les toxicologues et les écotoxicologues constituent une communauté de chercheurs
réduite, en dépit du fait qu’on en parle aujourd’hui beaucoup, du fait de la mise en application du
règlement REACH sur les substances chimiques. Par conséquent, il existe un fort décalage
temporel entre le rythme de production (dans les laboratoires puis sur le marché) de nanoparticules,
et celui de caractérisation des risques de celles-ci lorsque cela est pertinent (exposition à des
nanoparticules libres). Enfin, les toxicologues et écotoxicologues doivent pouvoir conserver un
agenda de recherche propre. Nous avons donc de grandes difficultés pour appliquer ici le principe

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de précaution. Prenant acte de l’état des lacunes et des incertitudes en matière de recherche et de la
législation sur les risques liés aux nanoparticules, quelle peut-être la stratégie à adopter ? J’aimerais
avoir votre point de vue sur cette question.

Philippe MARTIN

Je pose la question des tests aux experts dans les comités non-alimentaires et à l’AESA dans la
mesure où ce thème fait partie de son mandat. Nos experts du SCENIHR ont, tout d’abord, émis
une opinion scientifique sur des questions de méthode.

Claire WEILL

Mes collègues toxicologues estiment que de grandes incertitudes subsistent, d’une part sur les
facteurs responsables de la toxicité des nanoparticules (espèces chimiques réactives, libres ou
fixées à la surface, caractéristiques structurales et en particulier surfaciques…), qui peuvent varier
d’une nanoparticule à l’autre, et d’autre part sur les cibles candidates au développement d’une
pathologie. Nous nous situons donc pour partie en amont de questions de méthodes pour
l’évaluation des risques

Philippe MARTIN

Nous nous situons dans une période de transition. Nous n’avons pas la réponse à toutes les
questions que vous posez. Nous essayons d’adopter un regard aussi large que possible et de réaliser
des tests dès lors que nous rencontrons des doutes. Nous espérons ensuite réduire le nombre de ces
tests. C’est notre ligne actuelle en l’absence d’informations supplémentaires.

Paris, le 7 février 2008 12


Nanoforum CNAM

Présentation des travaux de l’Agence française


de sécurité sanitaire des aliments
Marie-Hélène LOULERGUE
AFSSA

De nombreuses questions évoquées par Philippe Martin préoccupent également l’agence que je
représente. Nous en aborderons donc certaines à nouveau.

L’Agence de Sécurité Sanitaire des Aliments (AFSSA) est une agence d’expertise mise en place en
1999. Elle a été créée avec l’objectif de distinguer clairement le rôle de gestionnaire de celui
d’expertise scientifique. Nous n’avons pas de pouvoir de gestionnaire, pas de pouvoir d’inspection,
d’autorisation, d’enregistrement ou de réglementation (hors domaine du médicament vétérinaire).

Notre agence a été saisie pour apporter une contribution sur les nanotechnologies dans le domaine
alimentaire. Les questions étaient très ambitieuses : la liste des produits, les méthodes d’évaluation,
les risques… En pratique, la difficulté est que nous n’avons jamais été consultés sur des dossiers
industriels de nano-ingrédients depuis la création de l’agence. Nous nous trouvons donc quelque
peu démunis pour répondre à ces questions. La seconde difficulté a été le recensement des produits
existants. Cette question a déjà été abordée par Philippe Martin.

J’ai retenu quatre axes d’analyse pour ma réflexion. Je vais tout d’abord envisager les
nanoparticules comme ingrédients alimentaires, dans l’alimentation humaine et l’alimentation
animale. J’aborderai ensuite les nanomatériaux au contact des aliments. Puis je m’attacherai
brièvement à présenter l’application des nanoparticules dans le traitement de l’eau. J’évoquerai
enfin les nanoparticules dans l’environnement et la contamination des aliments. Nous ne disposons
pas d’une définition précise du domaine nanométrique, comme nous l’avons déjà vu. Cette
définition ne peut, pour le champ alimentaire, reposer sur la seule taille des particules. La caséine,
par exemple, une protéine du lait qui mesure entre 50 et 500 nanomètres, appartient à notre
alimentation banale. Elle est cependant l’objet de recherches pour servir de vecteur facilitant le
transport d’autres composants. C’est une nanoparticule banale qui pourrait avoir des applications
beaucoup moins banales. Il est à noter que le produit final est, le plus souvent, un assemblage de
nanoparticules. Enfin, la taille nanométrique induit de nouvelles propriétés des particules en raison
précisément de la surface de réactivité.. Ces propriétés peuvent être recherchées dans des particules
sophistiquées pour des applications technologiques d’industrie de pointe. Plus simplement, de
nouvelles propriétés par exemple en matière d’absorption, liées à une taille nanométrique sortent le
produit du cadre de référence que l’on connaissait auparavant. La forme des nanoparticules va
également influer sur les propriétés.

I. Nanoparticules comme composants alimentaires

1. Un cadre réglementaire à préciser

Les dispositifs réglementaires existants devraient permettre d’identifier a priori un certain nombre
de produits relevant des nanotechnologies. Le premier, le règlement européen « Novel food »,
constitue la voie royale : le recours aux nanotechnologies pour un aliment ou un ingrédient devrait

Paris, le 7 février 2008 13


Nanoforum CNAM

le classer de facto dans la catégorie novel food, c’est à dire soumise à évaluation préalable D’autres
cadres réglementaires, notamment celui des additifs, pourrait être aisément adapté. Un additif qui se
prévaudrait d’être sous une forme nanoparticulaire devrait faire l’objet d’une réévaluation
spécifique par rapport à la forme conventionnelle. Certains ingrédients évoqués par Philippe
Martin, dont le lycopène (à la fois nutriment et additif), sont peut être utilisés dans des aliments en
Europe, mais à ma connaissance ils n’ont pas été évalués en tant qu’additif nanoparticulaire au
niveau communautaire.

Il est certes difficile de réglementer ce domaine alors même que nous ne disposons pas de
définition précise. Un dispositif devrait cependant permettre d’assurer l’examen de produits
nanoparticulaires et d’évaluer le besoin de caractérisation complémentaire.

2 quelle réalité industrielle ?

Nous nous sommes adressés aux organisations professionnelles majeures, notamment l’Association
Nationale des Industries Alimentaires (ANIA) qui nous a indiqué que des réflexions étaient
engagées par les industriels européens sur la question des définitions. Selon les industriels, il y
aurait peu ou pas de composants alimentaires relevant des nanotechnologies en Europe : il n’y
aurait pas aujourd’hui de réalité commerciale en Europe. Les grands groupes se montrent très
conscients de leur responsabilité industrielle face à la question des nanotechnologies et aux
interrogations qu’elles suscitent en terme de sécurité d’emploi. Ils se situent à la fois dans une
phase d’observation attentive des évolutions qui peuvent intervenir et dans une phase de
développement et de recherche.

Internet constitue une source d’information selon laquelle des centaines de produits avec des
nanoparticules sont actuellement sur le marché. Cette information affichée recouvre-t-elle une
réalité ? C’est probablement le cas dans certains pays étrangers. Il ne me semble toutefois pas que
cela soit une réalité européenne. Dans le champ des compléments alimentaires, le « nano » est
souvent revendiqué comme élément d’accroche commerciale. Il peut être noté que lorsque des
agences gouvernementales américaines ont émis des premières réserves, notamment concernant des
exigences environnementales liées aux nanotechnologies, de nombreux affichages ont disparu des
sites internet. Les nanosciences recouvrent des technologies de pointe pour lesquelles les
investissements sont lourds, ce qui me semble difficilement compatible avec les développements
commerciaux actuels des compléments alimentaires. C’est, du moins, mon sentiment personnel. En
l’absence de toute notification/évaluation préalable des produits alléguant sur les « nano », il reste
donc impossible de déterminer la réalité commerciale des nanotechnologies à l’aide d’Internet.

3-Intérêt / risque potentiels

Les nanotechnologies présentent un intérêt potentiel dans des domaines tels que l’aromatisation, la
modification gustative par encapsulation pour masquer un goût désagréable. Hors champ
alimentaire, dans l’industrie du textile par exemple, des vêtements peuvent comporter des
nanocapsules odorantes intégrées dans les tissus. Les recherches dans ces domaines industriels
sophistiqués finiront par trouver des applications dans le champ alimentaire.

En termes de santé publique, les bénéfices des nanotechnologies sont moins évidents. Internet
dresse une impressionnante liste de nano-éléments supposés faciliter l’absorption des compléments
alimentaires. Cette allégation, sans préjudice de la réalité commerciale, met en lumière l’évidence
selon laquelle la cinétique d’absorption peut être modifiée en jouant sur la taille particulaire,
(propriété largement utilisée dans le champ du médicament). Il convient d’évoquer également la

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Nanoforum CNAM

possibilité de rendre solubles des particules qui ne l’étaient pas grâce aux nanotechnologies. De
telles modifications de l’absorption ou de la biodistribution sont susceptibles de remettre en cause
les référentiels nutritionnels actuels et les risques d’interactions avec d’autres nutriments. Ainsi les
apports nutritionnels complémentaires d’une alimentation courante (recommandés ou maximum)
s’expriment quantitativement au regard de formes chimiques conventionnelles. Dès lors que les
cinétiques seraient bouleversées et que, par exemple, un milligramme de nutriment verrait son
absorption décuplée par modification nanotechnologique, ces référentiels traditionnels perdraient
leur fiabilité.

Dans le champ de l’alimentation animale, certains produits commercialisés en dehors de l’Europe,


utilisent des nano-particules d’argile dont la structuration lamellaire permet de capter les
mycotoxines (cette substance, toxique pour l’homme comme pour l’animal, provient de moisissures
de plantes). Cependant, la technique utilisée, a priori bénéfique pour les contaminants considérés,
est susceptible de capter également des nutriments indispensables.

Enfin, la dernière interrogation concerne les propriétés toxicologiques par voie orale de ces
nouveaux nano-ingrédients, qui pourraient se trouver modifiées.

II. Matériaux au contact des aliments : une réalité technologique et


commerciale
La notion de « matériaux intelligents » fait l’objet de nombreuses recherches. Plusieurs textes
communautaires tendent à réglementer ce domaine où l’on assiste à une véritable explosion de
nouvelles technologies. Celles-ci ne sont toutefois pas nécessairement spécifiques aux
nanoparticules. Nous pouvons citer, par exemple, des revêtements intérieurs antibactériens et anti-
odeurs, notamment dans les parois des réfrigérateurs ou sur les planches à découper, des matériaux
nettoyants, des matériaux barrières qui peuvent prolonger la durée de vie du produit et le protéger
de l’oxygène. Sont apparus également des nanocapteurs, des puces dont la fonction est de contrôler
la durée de vie de certains aliments, de signaler les développements microbiens ou encore de capter
l’humidité.

Ce sont des champs comportant un intérêt technologique indéniable. Je ne connais pas le niveau de
contrôle européen relatif à la mise sur le marché de ces matériaux. Une chose est sûre, cependant,
tout matériau au contact des aliments doit être inerte. Il doit donc présenter un risque de migration
nul ou presque nul. Dans le domaine des nanotechnologies, je signale toutefois que nous ne
disposons pas encore de moyens techniques suffisants pour surveiller l’évolution de certains
aspects des matériaux. Des interrogations sur le suivi de leur cycle de vie et de leur détérioration
demeurent aujourd’hui sans réponse.

III. Nanomatériaux et nanoparticules appliqués au traitement de l’eau


La recherche et le développement sur les nanomatériaux appliqués au traitement de l’eau sont une
réalité qui recouvre des domaines variés hors de France. Les nanomatériaux pourraient par exemple
être utilisés en tant que coagulants floculants dans le traitement des eaux usées ou polluées. La
floculation est l’étape durant laquelle sont introduites des substances comme des sels d’aluminium
ou des sels de fer afin de favoriser l'agrégation des matières en suspension. Cette étape du
processus de traitement génère de grandes quantités de boues à éliminer. Les recherches dans le

Paris, le 7 février 2008 15


Nanoforum CNAM

domaine nanotechnologique appliquées à ce champ ont pour but de réduire la quantité de boues
produite.

De nombreux autres développements ont été évoqués lors de discussions avec des professionnels
sur le sujet, par exemple les membranes céramiques d’ultrafiltration nanostructurées, les
membranes catalytiques ou encore les filtrations sur nanotubes de carbone. Les nanotechnologies
pourraient également être utilisées pour la remédiation de sites pollués. Il est à noter que le
Ministère de la Santé n’a encore agréé aucune application en France.

Nous n’en sommes aujourd’hui qu’au stade de l’acquisition de connaissances concernant, d’une
manière générale, les risques liés à ces pratiques. Les lacunes actuelles concernent la mesure des
nanoparticules dans l’eau, l’élimination de celles-ci et leur devenir dans les différents
compartiments de l’environnement. Dans la mesure où ces éléments ne sont pas précisément
connus, les professionnels de l’eau français ne sont pas prêts à se lancer dans les nanotechnologies.

IV Contamination des aliments et de l’eau par des nanoparticules de l’environnement

Il s’agit d’une problématique environnementale liée aux développements industriels, sur laquelle
nous nous heurtons toujours aux mêmes interrogations. En effet, nous ne savons pas comment
chercher et identifier les nanoparticules dans l’eau et l’environnement. Sans cette identification et
cette quantification, il est impossible d’évaluer une quelconque exposition de l’homme aux
nanoparticules. Par ailleurs, la toxicité des nanoparticules par voie orale, au contraire de
l’inhalation, est très peu documentée et donc la connaissance actuellemnt particulièrement
lacunaire.

En conclusion, les nanoparticules dans le champ alimentaire européen demeurent encore


essentiellement au stade de la recherche. Les avancées sont toutefois plus palpables dans le champ
des matériaux au contact de l’eau. La connaissance des réalités commerciales internationales est
encore très floue. Les dispositifs réglementaires existants, enfin, me semblent pouvoir être adaptés
à la problématique des nanotechnologies s’ils évoquaient la nécessité d’évaluation complémentaire
pour tout produit ayant recours à ces technologies. Cette démarche engage particulièrement les
industriels et les gestionnaires. L’AESA a ouvert une réflexion sur l’évaluation des risques. A mon
sens, les industriels eux-mêmes sont conscients des dangers liés aux nanomatériaux et restent
prudents.

Pr. William DAB

Dans une agence publique comme l’AFSSA, le champ des nanotechnologies est-il identifié en
termes de ressources, budget et équipes de recherche ?

Marie-Hélène LOULERGUE

Nous ne sommes pas une structure adaptée à la recherche sur les nanoparticules. En revanche,
d’autres organismes de recherche travaillent sur le sujet. En matière d’évaluation, nous n’avons pas
véritablement d’expertise à apporter à ce jour. Nous avons auditionné un nombre important de
professionnels. Nous avons certes énuméré un certain nombre d’interrogations. Néanmoins

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l’évaluation des risques d’un procédé industriel engage le professionnel lui-même. Il est, en effet,
supposé avoir rassemblé les études justifiant de l’innocuité de son produit. Dès lors, soit nous
sommes dans un dispositif réglementaire prévoyant une évaluation préalable par l’agence, soit nous
sommes en dehors d’un tel dispositif, et les administrations rencontrent un doute et somment
l’industriel de produire des justificatifs pour les faire vérifier. Ce sont donc des expertises sur
dossier adressés par les administrations.

Dorothée BENOIT –BROWAEYS, VivAgora

Je suis impressionnée par l’inertie de la situation présentée par nos deux interlocuteurs. Nous
n’avons pas prise sur le système car nous utilisons des catégories sans pertinence. En fait, nous
échouons à caractériser les nanoproduits en focalisant sur la structure. Comme le disait le
Professeur Sicard, les fonctionnalités sont à considérer car ce sont elles qui déterminent les effets
toxiques. Le vivant se définit par la distinction entre le « dedans » et le « dehors », puis par les
messages transmis de l’un à l’autre. Or nous voyons clairement que la structuration nanométrique
change la place des produits (on fait passer un produit habituellement lipophile, à un comportement
hydrophile par exemple). Il est donc essentiel de considérer la spécificité des produits
nanostructurés (ne pas assimiler par exemple le TiO2 nanométrique à du TiO2 micrométrique, des
nanotubes de carbone à du graphite de synthèse...)

Nos catégories anciennes de caractérisation sont caduques. Et surtout non pertinentes.


Cela nous rappelle étrangement la question des OGM. Nous avons discuté, pendant une dizaine
d’années, sur l’équivalence substantielle. La question était : fallait-il considérer un végétal
génétiquement modifié ou un aliment dérivé de celui-ci comme équivalent au produit traditionnel
correspondant ? Fallait-il le traiter de la même façon que le “classique non génétiquement modifié”
sur le plan de la sécurité sanitaire ?

Ce débat est vain. Maintenir de telles catégories, dont nous savons qu’elles sont caduques, me
semble une aberration. Sommes-nous en mesure de changer de posture et de rendre opérationnelles
au niveau gouvernemental des catégories qui seraient les seules valides ?

Marie-Hélène LOULERGUE

Comme vous le soulignez, dès lors que des ingrédients susceptibles de se comporter différemment
seraient utilisés, nous devrions nous donner les moyens de les vérifier soigneusement.

Pour revenir aux exemples évoqués, le Lycopène et le Novasol ne sont pas des aliments. Le
Novasol est un procédé de d’encapsulation dont les applications sont encore à l’état de recherche.
Quant au Lycopène nanoparticulaire, il aurait été évalué par la FDA. Je ne sais pas s’il est
aujourd’hui utilisé en l’état en Europe. En tant que colorant, il fait l’objet d’une autorisation
communautaire mais cette autorisation couvre-t-elle une forme nanoparticulaire ? Je ne sais pas,
par ailleurs, si le Lycopène en tant que nutriment appartient à la gamme des nano-composants. Je
n’ai pour ma part jamais vu de dossier de Lycopène se revendiquant comme un nanomatériau. Cela
pose donc à nouveau la question de l’affichage.

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Nanoforum CNAM

Yorghos REMVIKOS, VivAgora

Une chose me gêne dans la définition de ces applications alimentaires. Vous avez envisagé la
question d’une analyse bénéfice/risques. Or la notion de bénéfice me dérange. Il semblerait que
nous soyons sur le point de reconnaître à ces aliments des propriétés particulières, alors même que
nous ne sommes pas tout à fait certains qu’elles soient bénéfiques. Les propriétés additionnelles
telle la facilité d’absorption modifient la biodistribution. Je serais tenté d’insister sur cette
problématique plutôt que sur celle de la taille. La même configuration de risque est ici différente de
celle de l’oxyde de titane. De plus, affirmer que les micelles de caséine peuvent appartenir au
champ des nanomatériaux me semble représenter une extension excessive du paradigme.

Marie-Hélène LOULERGUE

Votre question me semble particulièrement pertinente. Concernant des modifications d’absorption,


nous disposons de moyens de vérification de cette allégation puisqu’elle se fonde sur une cinétique
différente de la forme de référence. A cet égard il peut être évoqué la réflexion actuellement
engagée sur l’harmonisation européenne des allégations des aliments, notamment pour les aliments
enrichis ou les compléments alimentaires. Cette réflexion considère directement le niveau de
l’allégation avec éventuellement, pour certaines allégations relatives à la santé, des autorisations et
listes positives d’allégations.

L’approche bénéfice/risque est immédiatement palpable dans le champ du médicament puisque le


bénéfice attendu doit être clairement identifié. Ce domaine est très sécurisé puisque pour chaque
médicament, chaque formulation fait l’objet d’une évaluation, d’un dossier spécifique et se trouve
examiné avant autorisation. C’est loin d’être le cas dans le champ alimentaire où nous sommes
confrontés à davantage de questions que de réponses. Le champ des compléments alimentaires, tout
particulièrement, est encore très libertaire, aussi bien en termes d’allégation que de composition.
C’est la raison pour laquelle il est si difficile d’identifier la présence de nanoparticules dans
l’alimentaire. En l’absence de véritable bénéfice allégué clair, je ne vois pas vraiment l’intérêt de
revendiquer l’utilisation des nanotechnologies. L’intérêt technologique est, cependant, d’une autre
nature

André PICOT, CNRS

Je me dois d’exprimer mon grand étonnement face à ce débat. En effet, lors de la précédente
réunion, j’avais soulevé la question du lien entre nanoparticules et tractus respiratoire, ainsi que
celle de la mesure de ces nanoparticules et des tests toxicologiques qui permettraient de les évaluer
correctement. Je me rends compte que nous sommes aujourd’hui confrontés à un flou plus grand
encore puisque nous ne savons même pas comment ces particules sont absorbées par la voie
digestive.

Concernant les produits sur le marché, et plus particulièrement le Lycopène, si je me réfère à ce que
je sais sur ce produit dans le monde biologique, je sais que les caroténoïdes sont des structures de
défense de l’organisme extrêmement efficaces et dont le rôle est spécifiquement défini. Les
caroténoïdes se trouvent dans les parties lipidiques, tandis que les molécules de type acide
ascorbique (la vitamine C) se trouvent dans la phase aqueuse. Ces deux entités interfèrent et
dialoguent à l’interface des biomembranes. Lorsque l’un agit, l’autre revient à son état initial. Or,

Paris, le 7 février 2008 18


Nanoforum CNAM

on ne sait même pas si ce Lycopène est lipophile ou hydrosoluble. Je suis extrêmement surpris que
l’on puisse mettre sur le marché des produits dont on ne connaît même pas l’activité biologique.
Sans être spécialiste des nanotechnologies, je tiens à manifester mon étonnement complet.

Marie-Hélène LOULERGUE

Une nouvelle fois, je ne peux qu’approuver votre remarque. Il suffit de se référer aux avis de
l’AESA et de l’Afssa sur la question du Lycopène et des caroténoïdes : ce sont des substances à
manier avec précaution, qui présentent certains effets adverses, comme le montrent des publications
scientifiques. Comme tout nutriment, il n’est pas biologiquement inerte.

Pr William DAB

Merci Madame Loulergue pour ces informations précises.

Vous avez exprimé lors des précédentes réunions votre désir de voir les débats synthétisés à la fin
de chaque réunion. Eric Gaffet a aimablement accepté de relever ce défi.

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Nanoforum CNAM

Conclusion et synthèse des grandes questions


Eric GAFFET
CNRS

Mon point de vue est celui d’un chimiste manipulant des nanomatériaux depuis le début des années
80’s. Le sujet des nanotechnologies et des nanomatériaux m’est donc familier. Il convient de
souligner qu’aux USA, le domaine alimentaire (emballages) sert également de support
promotionnel aux nanotechnologies.

Tous les grands acteurs de l’industrie alimentaire sont parties prenantes du développement des
nanotechnologies, tout du moins du point de vue de la recherche sur les nanoparticules. Des
entreprises telles que Kraft Foods et Nestlé ont réalisé un affichage très actif de leur recherche dans
le domaine. Cependant, elles ont finalement revendu leurs centres de recherche hollandais afin de
pouvoir intervenir davantage au second niveau qu’au premier. Cet exemple souligne un recul de
l’affichage relatif aux nanotechnologies.

D’après Helmut Kaiser Consulting, le marché de la nano-alimentation est appelé à s’étendre. Près
de 400 sociétés sont aujourd’hui actives en recherche ou en développement sur la nano-
alimentation. Les leaders sont les Etats-Unis suivis du Japon et de la Chine. Ce cabinet a réalisé la
seule étude mondiale sur le sujet de la nano-alimentation. Je m’étonne donc que l’Union
européenne ne l’ait pas achetée afin d’en connaître tout le contenu, d’autant que de nombreuses
administrations nationales la citent régulièrement.

I. Les additifs dans l’alimentation

1. Différents additifs

La base de mon raisonnement est l’utilisation et la composition des additifs. Il peut s’agir
d’antioxydants, de colorants, d’émulsifiants, d’exhausteurs de goût, de conservateurs, de
stabilisants… Ce propos peut être illustré par l’intérêt d’un additif antiagglomérant comme la silice.
Dans le cas de l’exemple du sel, lorsque chaque grain est recouvert de silice, son écoulement
devient plus fluide. Les applications industrielles des additifs antiagglomérants sont donc
considérables.

Plus précisément, les agents antiagglomérants sont essentiellement le dioxyde de silicium, soit la
silice, référencé E551, et le dioxyde de titane, E171. Ces additifs sont employés dans les enrobages
de produits alimentaires, notamment des produits « Mars », « Twix » ou « M&Ms ». Ces deux
additifs sont aujourd’hui utilisés dans les bonbons et les chewing-gums mais également dans le sel.
L’un deux est également autorisé dans l’agriculture biologique. On retrouve le dioxyde de titane et
la silice dans tous les secteurs de l’alimentation, notamment chez McDonald’s, Burger’s King, ou
dans la production alimentaire coréenne, dans les boissons ou dans les biscuits. A titre

Paris, le 7 février 2008 20


Nanoforum CNAM

d’information, la silice est autorisée comme additif par la Food and drugs administration
américaine dès 1966, pourvu qu’elle ne représente pas plus de 2 % du poids total de l’aliment.

2. Différents types de silice

On distingue deux grandes familles de silice, la silice précipitée et la silice pyrogénée produite à
haute température. Ce dernier procédé permet de produire des particules dites primaires puis des
agrégats puisque les particules ne demeurent pas isolées au cours du processus de formation.

Un agrégat représente entre 2 et 200 particules primaires. Par ailleurs, les silices hydrogénées
pouvant présenter de grandes surfaces spécifiques, des traitements particuliers permettent de les
rendre hydrophiles ou hydrophobes. Ainsi, les labels E551 et E171 ne suffisent pas à caractériser
ces additifs puisqu’ils ne traduisent ni la morphologie ni l’origine des agrégats, ni leur réactivité
face à l’environnement. D’où la difficulté de réaliser un étiquetage réellement pertinent.

3. Fournisseurs et distributeurs

Parmi les producteurs de ce type de matériaux, nous pourrons citer Rhodia, BASF, Degussa,
essentiellement pour des silices précipitées antiagglomérantes, Cabot, produisant des agents
fluidifiants pour des sauces. A titre d’illustration, Aerosil et Sipernat, deux dénominations
commerciales de silice, sont utilisées dans les boissons instantanées. L’additif enrobe l’aliment et
constitue l’interface avec le milieu liquide.

II. Nature des additifs

1. Nano-poudres ou micro-poudres ?

Dès lors, il convient de se demander s’il s’agit de micro-poudres, c’est-à-dire de poudres


classiques, ou de nano-poudres. Or le diamètre des particules d’enrobage considérées est de 4,4
nanomètres, nous sommes donc dans le domaine nanométrique, que ce soit pour la silice ou le
titane. Le diamètre des particules de silice utilisées par Rhodia confirme cette donnée puisque la
dimension affichée se situe entre 5 et 50 nanomètres. Toutefois, quelle que soit la dimension des
particules, le label demeure identique, E551 ou E171.

Cette analyse est ensuite enrichie par un regard sur la formation des particules primaires et des
agrégats de 2 à 200 particules, soit une longueur de 100 nanomètres. Le moindre choc ou la
moindre modification de pH est susceptible de bouleverser ces agrégats, mélanger les particules ou
modifier la structure hydrophile ou hydrophobe. Le résultat de ce type de modification est la
création de chaînes de 50 à 100 nanomètres. En termes de toxicité, Madame Morano avait expliqué,
lors du forum sur l’oxyde de titane en lien avec le bâtiment, que la toxicité était identique pour les
nanoparticules ou les agrégats de nanoparticules.

De plus, il est tout à fait possible d’assister à une dispersion en milieu liquide des agrégats. Ceux-ci
peuvent alors se séparer et constituer de nouveaux agrégats de 50 nanomètres. Ces dispersions de
nanoparticules en milieu liquide sont utilisées comme clarifiants dans le cas de la bière.

Paris, le 7 février 2008 21


Nanoforum CNAM

Nous pouvons donc conclure de ces observations que des éléments nanométriques sont déjà
manipulés sous forme d’additifs depuis longtemps. La silice et l’oxyde de titane ne sont peut-être
pas les seuls exemples.

2. Fonctionnalisation

Le passage d’une dimension micrométrique à une dimension nanométrique correspond à la


multiplication par 100 000 de la surface. Une surface de 500 mètres carrés peut certes être polluée,
mais elle peut également être fonctionnalisée. Cette surface considérable peut être le seuil de
réactions chimiques particulières. Il apparaît donc essentiel de distinguer la monocouche et le cœur
de l’élément composite. En termes de réactivité, ce n’est pas nécessairement la silice qui sera la
plus significative mais peut-être plutôt la couche externe représentant parfois 50 % de la masse.

Le caractère hydrophobe ou hydrophile évolue au cours du cycle de vie. En effet, le pH du corps


humain est différent selon les organes. Cela implique donc des bouleversements de particules dont
le comportement est instable. Ces paramètres d’interactivité des produits avec leur milieu doivent
absolument être pris en compte.

La vitesse de dissolution constitue également un sujet de préoccupation. Le quartz, structure


cristalline de la silice, est a priori, non soluble. Un grain de quartz d’un millimètre cube se dissout
en 34 millions d’années, une particule de dimension nanométrique se dissout au contraire en 1,1
seconde. Les facteurs multiplicatifs de la vitesse de dissolution des nanoparticules sont donc tout à
fait considérables. Il est impératif d’envisager les conséquences de la vitesse de dissolution des
nanoparticules primaires composant les agrégats sur la destruction de ces derniers.

La silice et l’oxyde de titane sont des additifs nanométriques utilisés depuis plusieurs dizaines
d’années dans le génie des procédés. Le caractère hydrophile ou hydrophobe des composés permet
de mélanger ou non plusieurs produits. Suivant la nature du milieu, les particules s’arrangeront
avec les têtes hydrophiles tournées vers le centre et les queues hydrophobes constituant la surface,
in fine, hydrophobe du composé ou inversement. Même si la structure de départ du produit n’est
pas nécessairement nanométrique, on peut retrouver un emballage de type nanométrique. Les
nanoparticules peuvent être finalement identifiées par dissolution. On voit donc clairement que ces
produits sont autorisés depuis longtemps.

3. Etat des connaissances toxicologiques

Les connaissances sur l’aspect nanométrique de la silice et de l’oxyde de titane étaient inexistantes
lorsque leur utilisation a été autorisée. L’état des connaissances sur la toxicité éventuelle des
nanomatériaux n’est pas stabilisé, notamment au sujet de la modification de surface. En effet, les
silices pyrogénées peuvent être rendues hydrophobes ou hydrophiles, plus ou moins solubles en
fonction du pH ou de taille variable. De plus, en fonction de leur origine précipitée ou pyrogénée,
les pollutions résiduelles liées aux processus peuvent différer. Du point de vue réglementaire,
l’oxyde de Titane appartient à la classe 2B depuis février 2006. La législation relative à son
autorisation de mise sur le marché ne me semble toutefois pas avoir évolué en fonction de ces
nouveaux paramètres. Certains industriels commencent à prendre des précautions de langage en
précisant que les tests n’ont été réalisés que sur l’inhalation sans que des révisions sur le contact
cutané et l’ingestion n’aient été opérées.

Paris, le 7 février 2008 22


Nanoforum CNAM

De plus, aucun programme ne s’intéresse à l’éventuel effet de toxicité sur les organes du système
gastro - intestinal. La liste des programmes de recherche financés aux Etats-Unis montrent que
seules l’inhalation et les mécanismes de translocation font l’objet d’études sérieuses. Très peu de
publications sont relatives à l’ingestion des nanoparticules. Nous disposons donc de très peu
d’informations sur la toxicité de ces nanoparticules.

Dans le domaine alimentaire, on trouve actuellement sur le marché de nombreux emballages


contenant des nano-argiles pour limiter la diffusion d’oxygène dans les membranes alimentaires. La
toxicité de ce type de pratiques n’est pas du tout étudiée. Le nombre très limité d’études montre
toutefois que l’oxyde de silicium est plus toxique que l’oxyde de titane. Un changement de statut
pourrait donc être envisagé.

Pour conclure, je préciserai que cette question préoccupe les institutions internationales et la
Commission européenne. Ainsi, des enquêtes d’opinion sont régulièrement menées sur les
nanomatériaux et nano-aliments. L’opinion se montre mitigée concernant le sentiment de sécurité
dans le domaine alimentaire. Le besoin d’information supplémentaire est revendiqué mais l’intérêt
d’acheter des nano-aliments est loin de faire l’unanimité. Le bannissement des nanomatériaux dans
l’alimentation constitue un sujet de préoccupation pour certaines associations, notamment en lien
avec la certification de produits naturels. Face à l’inertie de la prise de décision, l’action des ONG
et des associations se poursuit sur la notion de rejet. Elles demandent de labéliser clairement les
produits sans nano-ingrédient.

Pr. William DAB

La prochaine séance du mois d’avril sera l’occasion pour nous de changer d’angle de vue. Notre
discussion ne sera pas centrée sur une filière ou un produit mais sur un site géographique. Nous
examinerons notamment les enjeux du dialogue social lorsque des développements industriels tels
que l’implication dans les nanotechnologies sont décidés. Nous nous intéresserons aux traductions
du changement technologique au niveau local.

Merci à tous et bonne soirée.

Document rédigé par la société Ubiqus – Tél. 01.44.14.15.16 – http://www.ubiqus.fr – infofrance@ubiqus.com

Paris, le 7 février 2008 23

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