Vous êtes sur la page 1sur 23

Pierre Rabu

Nanomatériaux
et nanotechnologies :
quel nanomonde
pour le futur ?  

Pierre Rabu est directeur de recherche au CNRS et directeur


de l’Institut de Physique et Chimie des Matériaux de Strasbourg
(IPCMS1).

Ce chapitre traite de nanoma- taille des atomes et des dis-


tériaux et de nanostructures, tances entre atomes. Vers les
essentiellement artificiels, plus grandes dimensions, ce
élaborés et manipulés avec seront les virus, puis les bacté-
des moyens beaucoup plus ries, les cellules cancéreuses,
compliqués et beaucoup plus puis les cheveux à quelques
lourds que ce que fait la nature. dizaines de micromètres, les
insectes, une balle de tennis (à
108 nm = 10 cm), etc.

1 Nanomatériaux
et nanotechnologies
Définition : un « nano-
1.1. Échelle de taille matériau » est constitué
et définitions1 d’objets - des nanoparti-
cules, des nanofibres, des
Afin de préciser ce que l’on nanotubes, des couches
entend par nanomatériaux, minces - dont au moins
nous présentons ici une échelle une dimension est infé-
de dimensions d’objets, non pas rieure à 100 nanomètres
en mètres ou en centimètres, – donc en dessous de la
mais en nanomètres (Figure 1). taille moyenne d’un virus.
Le nanomètre, c’est l’échelle Quant aux « nanotechno-
des petites molécules comme logies », ce sont les tech-
des médicaments (par exemple niques qui permettent de
l’ibuprofène), le dixième de fabriquer, de manipuler et
nanomètre est l’échelle de de caractériser la matière
à l’échelle nanométrique.
1. www.ipcms.unistra.fr
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 1
Échelle de taille en nanomètres comparant les nanostructures à des objets plus communs.

1.2. L’essor Ce domaine des « nanos »


des nanotechnologies (nanomatériaux, nano­
technologies) est par excel-
Dans les années 1960, le physi-
cien Richard FEYNMAN a eu une lence une discipline d’interfaces
belle intuition avec sa célèbre (Figure 3). On y retrouve bien sûr
phrase « There is plenty of room at la chimie, la physique, la bio-
the bottom » (en bas, aux toutes logie, mais aussi beaucoup de
petites dimensions, il y a plein domaines autour des techniques
de place pour écrire et traiter de l’optique (la microscopie), des
de l’information). Cette phrase, mathématiques puisqu’on fait
énoncée lors d’une conférence largement usage de modèles des
à l’American Physical Society « sciences computationnelles »2,
en le 29 Décembre 1959, était ou de la toxicologie.
déjà un appel pour l’étude des Tout cela se traduit aussi en bud-
très petites échelles dans la gets. Dans les années 2000, il
perspective d’une miniaturi- s’agissait d’environ 40 milliards
sation des dispositifs fonction- d’euros, dans les années 2015 on
nels. Mais c’est véritablement pouvait évaluer à 1 000 milliards
dans les années 1980 que l’on
d’euros le poids financier des
a vu un grand essor des nano-
nanotechnologies. Cela traduit
technologies et de la mise en
l’impact économique des appli-
œuvre des nanomatériaux dans
cations des nanotechnologies
de nombreuses applications. La
Figure 2 représente le nombre dans les domaines matériaux,
de publications comportant le électronique, santé, catalyse,
seul mot « nanotechnologies » transports, etc.
par année, depuis le début des
2. Sciences computationnelles :
années 1990 jusqu’à nos jours ;
sciences utilisant la modélisation
il illustre relativement bien la et la simulation informatiques pour
popularité, donc l’intérêt, du résoudre les problèmes insolubles
30 domaine. de façon traditionnelle.
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
14 000

12 000

10 000

8 000

6 000

4 000

2 000

0
2017
2016
2015
2014
2013
2012
2011
2010
2009
2008
2007
2006
2005
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998
1997
1996
1995
1994
1993
Figure 2
L’évolution du nombre annuel de publications scientifiques comprenant le mot « Nanotechnology » depuis 1993
jusqu’à nos jours montre l’essor fulgurant du domaine.
Source : Web of Science.

Figure 3
Distribution des publications sur les nanotechnologies depuis les trente dernières années selon les grands
domaines scientifiques qui sont extrêmement variés.

1.3. Les effets surface sur volume. De fait, les


du changement de taille sur propriétés des nanoparticules
les propriétés du matériau vont dépendre davantage de
ce qui se passe à la surface
Que se passe-t-il quand on
et moins de ce qui se passe
diminue la taille d’un maté-
dans le volume. Par exemple,
riau, par exemple du micron au
dans les agrégats de nickel de
nanomètre (Figure 4) ? Une des
150 atomes, 63 % des atomes
conséquences immédiates est
sont à la surface !
l’augmentation des rapports
31
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 4 Augmentation Nouveaux comportements


du rapport S/V Nouvelles propriétés
La diminution de la taille
du matériau jusqu’à l’échelle
nanométrique entraîne
une augmentation du rapport
surface sur volume, ce qui induit
une modification de ses propriétés.

Poudre micronique Poudre nanométrique


Agrégat de Nickel de 150 atomes (Φ = 1,40 nm)  63 % à la surface

Point de fusion
la taille des agrégats d’or vers
1300
T(°k) du composé massif des tailles de l’ordre du nano-
Au macro
mètre, la température de fusion
1000 Tf = 1064 °C s’abaisse jusqu’à environ 500 °C.
Au nano La Figure 6 représente une
500 Tf 500 °C éprouvette de traction 3 en
Taille (Å)
300 cuivre. Ce morceau de cuivre
0 50 100 150 200
est constitué de petits grains de
Figure 6
métaux « collés » les uns aux
Figure 5 Une éprouvette de traction autres (Figure 7). Selon la taille
en cuivre, instrument de mesure de ces grains, les propriétés
Température de fusion de l’or en des propriétés thermoplastiques
fonction de la taille de l’agrégat. mécaniques vont considérable-
d’un matériau, ici son élasticité.
La diminution de la taille cause ment varier. Avec des grains de
une forte baisse de la température l’ordre de quelques dizaines de
de fusion du matériau. L’Angström Cela a des conséquences
est un dixième de nanomètre. majeures, notamment sur les
Source : d’après Buffat P., propriétés physico-chimiques 3. Éprouvette de traction : objet
J.-P. Borel. (1976). Size effect (Figure 5). Par exemple, l’or utilisé pour connaître les pro-
on the melting temperature of priétés mécaniques du matériau
massif a une température de
gold particles. Physical Reviews, qui le constitue, par exemple en
A13(6) : 2287-2298. fusion dépassant les 1 000 °C le soumettant à une traction, une
(1273 K), mais si on diminue compression ou une torsion.

Figure 7
La microscopie électronique
permet de voir qu’un morceau de
métal est un assemblage de petits
grains de ce métal.

32
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
nanomètres, on a des propriétés un système où des particules 400
de plasticité4 tout à fait remar- d’argile sont dispersées dans le 350
nCu
Cuivre nanocristallin
quables (Figure 8) que n’auront polymère, plus ou moins mélan- 300

Contrainte (MPa)
pas des éprouvettes fabriquées gées, avec des contacts plus ou 250
avec un métal où les grains sont moins intimes entre polymère et 200

un ou deux ordres de grandeur particules, on peut même avoir 150 µCµ


100 Cuivre microcristallin
plus gros. Pour caractériser la une exfoliation7 et une dispersion
50
structure fine des matériaux, de ces particules. La Figure 9
0
au niveau des grains, on parle donne une image de microscopie 0 2 4 6 8 10 12 14
Déformation (%)
de nanostructuration. électronique en transmission8
Les nanocomposites constituent qui montre la présence des par-
ticules d’argile dans la matrice Figure 8
une grande famille de matériaux
utilisant les effets de structu- polymère. Ici il s’agit d’un empi- Une éprouvette de traction
ration des matériaux pour de lement de quelques feuillets qui en cuivre nanocristallin a une
nombreuses applications. Un font en tout 70-75 nm d’épais- élastoplasticité quasi parfaite.
seur. La présence de cette Source : d’après Champion Y.
composite, typiquement, c’est
charge a des conséquences très et coll. (2003). Near-Perfect
un polymère5 avec ses proprié- Elastoplasticity in Pure
tés de tenue en température, importantes sur les propriétés
Nanocrystalline Copper,Science,
de tenue à son environnement, du composite : sur les propriétés 300(5617) : 310-311.
ses propriétés mécaniques, mécaniques, les propriétés de
dans lequel on a dispersé des résistance thermique, la stabilité
charges, organiques ou inor- thermique, la résistance au feu,
ganiques, qui peuvent être de la résistance chimique, la per-
différentes tailles, par exemple méabilité, la réactivité. Avec des
nanométriques (Figure 9). charges métalliques à la place de
Nous prenons ici l’exemple d’un
polymère chargé de particules 7. Exfoliation : détachement d’une
couche mince sur un matériau.
d’argile. Les argiles sont consti- 8. Microscopie électronique en
tuées de feuillets empilés les uns transmission : technique de micros-
sur les autres. De nombreuses copie dans laquelle un faisceau
espèces chimiques peuvent d’électrons est envoyé à travers un
s’insérer entre les feuillets échantillon très mince ; son intérêt
conduisant à un phénomène de provient de son excellente résolution Figure 9
(jusqu’à 0,08 nm) mais aussi de la
gonflement. On peut mélanger
possibilité de la combiner avec la Processus de fabrication
cet argile dans un polymère ou diffraction et l’étude du rayonne- d’un nanocomposite, mélange
des monomères qu’on va faire ment X (pour connaître la compo- d’un polymère et d’une nanocharge
polymériser ; on peut appliquer sition chimique de l’échantillon). (MMT = Montmorillonite).
ensuite différents traitements
de polymérisation, d’extrusion6,
PA6 Injection de H2O Gonflement de MMT
on peut mettre de l’eau, on peut Nanocharge p-MMT Augmentation
sécher, etc., et à la fin obtenir +
+
de la distance
entre les couches
Polymère
extr Désorption
u sion
des molécules d’eau
PA6 + H2O à 240 °C, 100 bar
4. Plasticité : capacité d’un maté- Système miscible
riau à résister à une déformation Diffusion et adsorption de PA6
irréversible.
5. Polymère : molécule constituée par
Élimination de H2O Tonte
la répétition en très grand nombre
d’un motif appelé monomère.
6. Extrusion : procédé de fabrica-
tion d’objets de grande longueur
à partir d’un matériau sous forme
de granulés ou de poudre, par Nanocomposites
PA6/p-MMT exfoliés
exemple des tubes en PVC. 33
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 10 B
A
A) Le graphite est une superposition
de feuillets de carbone dans
lesquels les atomes s’organisent
en hexagones ; B) le diamant est
un cristal d’atomes de carbone.
Sa structure est dite cubique
à faces centrées avec occupation
d’un site tétraédrique sur deux.

l’argile, on a aussi une influence allotropiques9 (variétés struc-


sur les propriétés électriques, turales). On connait bien le gra-
les propriétés magnétiques ou phite (Figure 10A) de la mine de
les propriétés optiques. crayon, le très précieux diamant
Ainsi, avec des charges de (Figure 10B). Plus récemment, de
petite taille, on modifie consi- nouvelles variétés allotropiques
du carbone ont été isolées.
dérablement les propriétés du
En 1985, le fullerène, consti-
polymère. C’est tout l’intérêt
tué d’une « boule » d’atomes
des composites.
de carbone de quelques nano-
mètres, a été mis en évidence.

2 Le nanomonde Plus récemment on a mis en évi-


du carbone dence des nanotubes de carbone
avec des diamètres de l’ordre
du nanomètre ; et encore plus
2.1. Les nanostructures récemment on s’est intéressé
du carbone
Dans le domaine des nanoma-
9. Variété allotropique : forme cris-
tériaux, le carbone occupe une talline ou moléculaire particulière
position toute particulière. Le d’un corps simple, par exemple le
carbone a différentes variétés carbone ou l’eau.

Figure 11
On peut, à partir d’un feuillet
de graphène, recréer toutes
les nanostructures de carbone :
le fullerène est un assemblage
d’atomes de carbone ressemblant
à un ballon de football ;
un nanotube de carbone issu
de l’enroulement d’un feuillet ;
le graphite par empilement
de feuillets.
Source : avec l’autorisation de
Materials Today,vol. 6, n°7/8,
juil/août 2013.

34
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
au « graphène », constitué de photovoltaïques. Les proprié-
feuillets isolés issus du graphite. tés thermiques des nanotubes
Pour s’y retrouver, on peut de carbone, alliées à leur très
imaginer que l’on part d’un forte conductivité thermique,
feuillet unique de carbone permettent de les incorporer
graphène (Figure 11). Si on dans des composites fluides,
en replie un petit morceau on pour faire des fluides calori-
va trouver une boule formant fiques11, liquides de refroidisse-
un fullerène de 60 atomes de ment, échangeurs de chaleur12.
carbone (C60). On peut aussi Le carbone sous forme de gra-
replier le petit morceau de ce phène fait lui aussi l’objet de
ruban pour faire un nanotube beaucoup d’études et de projets.
de carbone, monofeuillet. On On l’introduit de plus en plus
peut aussi avoir des nanotubes souvent comme charge dans
à plusieurs feuillets. Enfin, si les polymères parce qu’il y a à la
on empile tous ces feuillets, on fois des propriétés électriques
obtient le graphite, bien connu. intéressantes et qu’il présente
une transparence, conjonc-
tion intéressante pour certains
2.2. Propriétés physiques matériaux de structure. On va le
et chimiques
retrouver dans les connecteurs
des nanostructures
pour systèmes électroniques,
de carbone
des systèmes électroméca-
Le nanotube de carbone a des niques et systèmes de diodes
propriétés mécaniques remar- électroluminescentes13. Ce sont
quables : il est cent fois plus des nanostructures lamellaires
résistant que l’acier et six fois donc on peut assez facilement,
plus léger ! Quand on fabrique selon leur mode de fabrica-
des nanocomposites avec ces tion, les mettre sous forme de
nanotubes de carbone, on obtient films transparents et créer des
des systèmes aux propriétés écrans performants : écrans
mécaniques très spéciales per- souples, écrans électrolumi-
mettant par exemple des appli- nescents et flexibles.
cations très critiques : dans les Les nanocarbones se retrouvent
structures aérospatiales, les aussi pour fabriquer des encres
vêtements de protection, les conductrices, des électrodes,
raquettes de tennis, etc. des systèmes de transistors de
Les nanotubes ont aussi des taille micrométrique pour faire
propriétés électriques remar- des mémoires, ou des semi-
quables – une très forte conduc- conducteurs spécifiques pour
tivité électrique – qui en font les appareils électroniques
des matériaux très performants grand public.
pour les électrodes dans les
batteries, dans les piles à com- 11. Fluide calorifique : fluide
bustibles10, dans les cellules chargé de transporter la chaleur.
12. Échangeur de chaleur : disposi-
tif transférant l’énergie thermique
10. Pile à combustible : pile dans d’un fluide vers un autre sans les
laquelle le courant est généré par mélanger.
l’oxydation d’un combustible réduc- 13. Diode électroluminescente :
teur (exemple : H2) sur une élec- dispositif qui émet de la lumière
trode et la réduction d’un oxydant lorsqu’il est parcouru par un cou-
(exemple : O2) sur l’autre électrode. rant. 35
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 12
Les domaines d’utilisation du graphène sont très nombreux, les principaux étant l’électronique et les polymères
composites.
Source : reproduit de Mittal  G. et coll. (2015). A review on carbon nanotubes and graphene as fillers in
reinforced polymer nanocomposites. Journal of Industrial and Engineering Chemistry, 21 : 11-25 (fig 5).

On voit que les domaines d’ap- directes de la taille nanomé-


plication des nanoparticules à trique des particules compo-
base de carbone (Figure 12) sont santes et qui se manifestent
particulièrement nombreux. si elles sont placées dans une
matrice transparente.
La Figure 13 rappelle la propriété
3 Propriétés optiques
des nanostructures
fondamentale des vitraux de
présenter des couleurs impres-
Il est intéressant de détailler sionnantes qu’on voit de l’inté-
les propriétés optiques des rieur de la pièce qu’ils meublent
36 nanomatériaux, conséquences (typiquement une cathédrale).
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
L’EFFET PLASMON

Si on éclaire des nano-


particules métalliques

Champ électrique
Onde
avec une lumière dont lumineuse

la longueur d’onde ici


(Figure 14) est un peu Onde
plus grande que le dia- lumineuse

mètre des nanoparticules,


il intervient un effet d’ab- Figure 14
sorption dû à ce qu’on
La longueur d’onde de la lumière
appelle les plasmons.
est légèrement plus grande que
À la surface des nano- les particules métalliques, ce qui
particules métalliques, cause un effet d’absorption.
on a des nuages électro-
niques : les plasmons de surface. Ces plasmons sont pola-
risés par le champ électrique qui compose le rayonnement
Figure 13
électromagnétique de la lumière. S’il y a adéquation entre
la longueur d’onde et la taille de la nanoparticule métal- Des nanoparticules présentes dans
lique, un phénomène de résonance se produit formant une les vitraux d’églises sont à l’origine
onde plasmon et l’ensemble de nanoparticules absorbe de leurs couleurs magnifiques.
la partie du spectre de la lumière visible qui correspond
à cette adéquation : c’est l’absorption plasmon. Pour des
nanoparticules de cuivre de l’ordre de 50 nm, comme celles
qui sont présentes dans les vitraux, ce sont les ondes de
longueur d’onde voisines de 50 nm qui sont absorbées, et
donc supprimées de notre perception. C’est la partie rouge
du spectre visible qui reste non modifiée et que l’on va voir.
C’est ce phénomène physique, l’absorption plasmon,
qui était mis en œuvre sans le savoir par les verriers.
Aujourd’hui, ce phénomène est très bien compris et exploité
d’une manière rationnelle en tant que de besoin.

Figure 15
Les effets optiques
des nanoparticules sont exploités
depuis des siècles, souvent sans
le savoir, comme ici avec cette
coupe de la Rome antique
qui change de couleur quand
on l’éclaire de l’intérieur.
Source : Trustees of the British
Museum.

37
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

La lumière extérieure vient nanoparticules de semi-conduc-


éclairer le verre et on perçoit, teurs nanométriques, on observe
à l’intérieur, des couleurs sou- un phénomène d’émission de
vent magnifiques et brillantes. lumière (cette fois-ci on émet
Ce phénomène vient de la pré- de la lumière, on ne l’absorbe
sence de nanoparticules dans le pas). Des couleurs très franches
verre. Il est dû à l’effet plasmon apparaissent qui dépendent de la
(Encart « L’effet plasmon »). taille des particules (Figure 16).
L’utilisation empirique de ce Les effets optiques des nanoma-
phénomène optique est très tériaux sont ainsi très divers : du
ancienne et se manifeste déjà réglage de la profondeur lumi-
dans la fameuse coupe de neuse des écrans au contrôle
Lycurgue (Figure 15) qui nous spatial de leur fonctionnement
vient de l’époque romaine (IVe par les quantum dots. Ces
siècle après J.-C). Quand on phénomènes, effet plasmon et
regarde cette coupe dans des quantum dots, peuvent certai-
conditions normales de lumière nement paraître abstraits. Ils
en réflexion, elle a une couleur ont cependant des applications
verte, mais si on l’éclaire de l’in- tout à fait pratiques, notamment
térieur, donc en transparence, dans les dispositifs d’affichage :
on révèle de superbes couleurs la Figure 16 montre un écran
dans les rouges et les violets. à cristaux liquides classiques
L’effet plasmon n’est pas le avec une définition de couleur
seul à l’œuvre. L’effet « quan- qui est bonne mais avec une
tum dots »14 ou boîtes quan- sorte de dispersion dans la défi-
tiques, qui apparaît dans le nition, la résolution spectrale15
cas de nanoparticules de ici. Si on étale sur cet écran un
semi-conducteurs, doit aussi film de nanoparticules comme
être cité (Encart : « Électrons des quantum dots, on voit qu’on
dans les semi-conducteurs arrive à obtenir un contraste de
nanométriques. Les quantum couleur bien meilleur avec des
dots »). Quand on éclaire des couleurs beaucoup plus pro-
fondes, donc une application
directe des quantum dots.
14. « Quantum dots », ou boîte
quantique : nanostructure com-
posée de semi-conducteurs per- 15. Résolution spectrale : pouvoir
mettant de confiner des électrons de séparation d’un spectrographe ;
dans des dimensions de l’ordre de plus elle est grande, plus le spectre
leur longueur d’onde. sera détaillé.

Figure 16
Lorsqu’on dispose un film
de nanoparticules sur un écran,
on obtient des couleurs plus
profondes grâce aux propriétés
optiques de ces nanoparticules
qui permettent une meilleure
résolution spectrale.
Reproduit d’après http://
electronicdesign.com/displays/
will-quantum-dots-extend-lcd-s-
38 dominance.
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
16

ÉLECTRONS DANS DES SEMI-CONDUCTEURS NANOMÉTRIQUES


QUANTUM DOTS
Dans les semi-conducteurs, les électrons sont dans des niveaux d’énergie très proches les uns des
autres : ils forment une bande d’énergie (Figure 17). Les électrons occupent toute la bande (dite
« bande de valence »), ils ne peuvent pas bouger, ce qui empêche toute conduction. Au-dessus (aux
énergies plus élevées), se trouve une autre bande d’énergie (dite « bande de conduction »), qui est
vide d’électrons. Les deux bandes sont séparées par un « gap » d’énergie. Si on injecte suffisam-
ment d’énergie (en chauffant ou en éclairant le semi-conducteur), on peut faire passer un électron
dans la bande16 de conduction, laissant un trou dans la bande de valence. On forme ainsi une paire
électrons-trou appelée exciton. Lorsque cet électron redescend dans la bande valence, il perd de
l’énergie, émise sous forme de rayonnement. En général, ces émissions s’étendent sur un spectre
continu de longueurs d’ondes et ne donnent pas lieu à un phénomène particulier.
E Figure 17
c Bande
a de conduction Selon la taille de la
Énergie

b
Bande nanoparticule (et leur forme),
de valence
d
a la couleur émise varie et peut
ab*
Niveaux Taille parcourir tout le spectre du
a Exciton c Énergie vibratoire
(Paire électron-trou) du point zéro
discrets des nanoparticules visible.
de l’électron excité
b Bande interdite d Point zéro de l’énergie Taille des excitions
vibratoire du trou
Bandes de niveaux d’énergie

Quand on diminue la taille du semi-


conducteur, les niveaux d’énergie ne
Lumière bleue
s’organisent plus en bandes continues
5 nm
mais en niveaux séparés, discrets : Quantum Dots 2 nm 2,5 nm 3 nm
6 nm

on a un système qu’on qualifie de Couleur dépendant


de la taille
« quantique ». Les transitions élec-
troniques ici entre bandes discrétisées
ont lieu entre des niveaux bien défi-
nis, les émissions lumineuses asso-
ciées correspondent à des énergies
bien définies et donc à des couleurs
bien définies. Ce phénomène apparaît
en dessous d’une certaine taille (de
l’ordre de celle des excitons formés)
et caractérise les systèmes nanomé-
triques ; c’est un effet de confinement
électronique.
La Figure 18 montre les émissions de
suspensions colloïdales de particules de
semi-conducteurs nanométriques (entre
2 nm et 6 nm). On observe que la taille
des particules permet un contrôle très
précis de la couleur. Figure 18
Selon la taille de la nanoparticule (et sa forme), la couleur
émise varie et peut parcourir tout le spectre du visible.
Reproduit d’après Nature Materials, 2013, 12, 445.

16. Bandes de valence et de conduction : dernière bande d’énergie remplie et première bande d’énergie vide
d’un électron. 39
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

B C

Figure 19
Exemples d’installations
4 Fabrication
des nanomatériaux
de salles blanches (Figure 19A),
c’est-à-dire de salles où il n’y a
pas de poussières qui seraient
de laboratoire pour l’élaboration
4.1. Approche « top-down » : particulièrement nocives pour
de nanodispositifs par approche
top–down. A) La fabrication ces objets à très grandes sur-
présentation et outils utilisés
des nanomatériaux requiert faces relatives. L’élaboration
l’absence de toute poussière et Pour fabriquer les nanomaté- des matériaux en couches
se fait dans des salles blanches ; riaux (par exemple un semi- minces (Figure 19B) – couches
B) enceinte ultravide pour conducteur réduit aux tailles d’atomes, de métaux, d’oxydes
vaporisation de matériaux solides. nanométriques ou dispersé dans sur des épaisseurs de quelques
Une méthode pour fabriquer des
nanomatériaux est la croissance une matrice polymère), on dis- nanomètres ou dizaines de nano-
de couches minces qui consiste pose de deux approches. Dans mètres – se fait en général par
à bombarder un substrat avec l’approche dite « top-down », des voies physiques. Plus préci-
l’élément qu’on veut déposer ; du haut vers le bas, on prend sément, elle se fait par des tech-
C) banc d’expérience un gros morceau et on réduit niques d’ultravide qui consistent à
d’une opération de lithographie. bombarder une cible de l’élément
sa taille, c’est le domaine de la
Pour la création de circuits, qu’on veut déposer sur un subs-
on utilise surtout des méthodes miniaturisation des composants
de lithographie optique ou électroniques ; l’autre approche trat pour le vaporiser ; cela exige
électronique. consiste à construire la matière un environnement « ultravide ».
Source : Plateforme STNANO, à partir d’éléments, par exemple Pour réaliser des circuits, on
IPCMS. faire une réaction chimique puis dépose en fils ou empilements
stabiliser des nanoparticules de le revêtement fonctionnel. On
taille voulue ou encore construire traite celui-ci par lithogra-
des molécules avec des atomes phie17 (Figure 19C), soit des
définis et des propriétés définies.
La première approche, dite de 17. Lithographie : technique d’im-
miniaturisation, est actuellement pression utilisée en physique des
la plus répandue. matériaux ; elle peut utiliser un
faisceau d’électrons (lithographie
La fabrication des nanosystèmes électronique) ou un faisceau laser
40 fonctionnels exige l’installation (lithographie optique).
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
lithographies électroniques recherché (Figure 22) ; typi- Terminal
Porte oxyde
avec un faisceau d’électrons, quement, il s’agit d’un dépôt Terminal
de porte
Terminal
soit des lithographies optiques de métal sur un substrat d’une de vidange de source
avec des faisceaux laser. taille de l’ordre de quelques Métal

nanomètres à quelques Type N Type N


dizaines de nanomètres Type P
4.2. La fabrication de circuits d’épaisseur. Cette technique NMOS
électroniques peut se répéter sur le même
La Figure 20 présente un substrat et donner des empi- Figure 20
schéma de transistor, résultat lements à plusieurs dimen-
sions de différents matériaux. Pour fabriquer des nanostructures
de l’empilement de différents comme les transistors,
matériaux à l’échelle nano- On peut aussi utiliser un fais-
il faut empiler des matériaux,
métrique, de différents types ceau d’électrons (lithographie et on utilise pour cela
de conducteurs (à conduction électronique) à la place d’une la lithographie.
par électrons ou à conduction radiation lumineuse.
par trous). Pour le fabriquer Ces techniques de dépôt de
(Figure 21), on dépose sur un couches pour la fabrication de
substrat d’abord une résine dispositifs nanométriques, que
puis un « masque » qui porte l’on appelle gravure de circuits
en négatif le tracé des circuits électroniques par des voies
recherchés ; on irradie ensuite lithographiques, ne cessent
le système puis on le « révèle » de progresser et permettent
(au sens photographique). la spectaculaire miniaturisa-
Le résultat est une couche tion des équipements, en par-
fonctionnelle sur le circuit ticulier des équipements grand

Positive tone Figure 21


La lithographie est une sorte
de révélation qui permet de créer
différents composants à partir
d’un même matériau selon
Mask
si l’on travaille en positif ou
Substrate Resist DEVELOP TRANSFER STRIP en négatif. En cela, la lithographie
RELIEF IMAGE PATTERN RESIST FILM
est semblable au développement
photographique.
APPLY EXPOSE
RESIST FILM PATTERN

Negative tone

Figure 22
Les circuits créées par lithographie
ont une taille micrométrique
mais sont constitués de mêmes
éléments que les circuits
macroscopiques ; la résolution
atteinte par lithographie ne cesse
de diminuer et on est aujourd’hui
à moins de 10 nm. 41
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

public comme les téléphones domaine du stockage magné-


ou les cartes à puces. En 2004 tique, un domaine évidemment
on était encore à 130 ou 90 nm central pour le développement
de résolution, c’est-à-dire du de l’informatique. Un disque
contrôle de la taille, de la net- dur classique (Figure 24) com-
teté de ce qu’on peut contrôler porte un dépôt en couche mince
dans les nanostructures. On de matériaux magnétiques où
est passé en quelques années à se trouvent des zones dont
Figure 23
60-30 nm, et maintenant on est le moment magnétique18 est
Le nombre de transistors dans à moins de 10 nm de résolution. dans un sens (« vers le haut »),
une petite puce est de plus en et d’autres dont le moment
plus grand grâce aux progrès On peut donc maintenant
construire des transistors de magnétique est « vers le bas ».
de la miniaturisation. On est
aujourd’hui à environ 30 milliards toute petite taille. Pour décrire Les premières correspondent
de transistors sur une seule puce. les progrès réalisés dans la à l’information « 1 » et les
miniaturisation, on fait souvent autres à l’information « 0 ». On
référence à la « loi de Moore » peut adresser les différentes
qui traduit le fait que le nombre zones, c’est-à-dire les rendre
de transistors sur la surface 0 ou 1, au moyen d’une impul-
d’une puce électronique est sion de champ magnétique,
multiplié par deux tous les et on écrit ainsi l’information
18 mois et la taille des grilles sous forme binaire. La densité
des transistors est divisée par d’information stockée dépend
1,3. La réalité actuelle est tou- évidemment de la taille des
jours dans cette loi de Moore. domaines.
En pratique, sur les puces élec- On peut améliorer les per-
troniques des cartes bancaires, formances en introduisant
des téléphones, des smart- plus d’ordre, faisant évoluer
phones et autres, on a de plus en les domaines individuels qui
plus de transistors (Figure 23) ; sont des multitudes de petits
sur une même surface, on est grains en domaines ne com-
passé de quelques milliers portant qu’un seul grain et
dans les années 1970 à plus de que l’on organise. Cela accroît
30 milliards aujourd’hui.
18. Moment magnétique : gran-
deur permettant de caractériser
4.3. Le stockage magnétique une source magnétique telle qu’un
objet aimanté ; l’aimantation est
La miniaturisation a eu beau- la distribution spatiale du moment
coup de conséquences dans le magnétique.

Milieu
conventionnel Magnétisation +
De nombreux grains Magnétisation -
aléatoires par bit
Îlot
magné-
Figure 24 tique
ell
es bit c à domaine
Les matériaux composant un Transition Pist n- unique
o
disque dur ont un moment magnétique
Cellule de bit de d es
né is- s
magnétique orienté différemment eg
enr es née
Pistes don
selon les zones, et cela permet grains tré
de don- Milieu modellé
de coder l’information en binaire : nées Simple grain pré-modelé
enregis-
1 lorsqu’il est vers le haut ou 0 trées
par bit
42 lorsqu’il est vers le bas. données
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
Figure 25
La miniaturisation permet
d’augmenter la densité
d’information stockée par
une même surface et on est
aujourd’hui à plus de 109 bits/cm².

fortement le nombre de bits disque (Figure 26) ; il s’agit,


d’information par unité de sur- approximativement, de faire
face. voler un gros avion à 20 cm
La Figure 25 montre, de 1985 à au-dessus de la surface de
1990 puis 2000, l’évolution du la mer. C’est une motivation
nombre d’octets sur une sur- supplémentaire à la miniatu-
face de 30 µm2 environ. Grâce risation.
aux progrès des techniques de
dépôt, la densité d’information
que l’on peut stocker sur une 4.4. Les systèmes
même surface a considérable- magnétorésistifs
ment augmenté. Aujourd’hui Il y a lieu, à ce stade, de pré-
on a dépassé les 109 bits/cm², senter les systèmes magné-
permettant de densifier l’infor- torésistifs qui constituent les
mation dans tout le système. dispositifs électroniques cou-
La « capacité de stockage » rants les plus récents (têtes de
caractérise l’étape d’écriture lecture, mémoires non-vola-
de l’information sur un disque. tiles, capteurs magnéto-résis-
Il faut ensuite aller lire cette tifs). Ils sont issus des travaux
information donc disposer récompensés par le prix Nobel
d’une tête de lecture qui cir- décerné à Albert Fert et Peter
cule à toute petite distance du Grünberg en 2007. L’effet

Figure 26
La vitesse de lecture d’un disque
est extrêmement élevée, surtout
compte tenu de la distance entre
la tête de lecture et la surface
du disque, soit de l’ordre de 30 m/s
à une distance de 20 nm. 43
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

« Polariseur » « Analyseur » « Polariseur » « Analyseur »


Fe
AI2O3 (barrière tunnel)
CoFe

Figure 27 magnétorésistif se manifeste on va faciliter le passage de


sur un empilement de trois ce courant (le courant tunnel),
Un dispositif magnétorésistif est couches (Figure 27). On consi- alors que si elles sont perpen-
un empilement de deux couches
dère deux couches magné- diculaires le courant tunnel
magnétiques, ici Fe et CoFe,
entre lesquelles on insère tiques : une couche magnétique va mal passer. La situation
une couche non magnétique et dure qui a un moment magné- ressemble à celle d’un sys-
isolante, ici Al2O3. La variation tique à direction très stable tème optique avec polariseur
de la résistance selon l’angle et une couche magnétique et analyseur19 : on contrôle le
du moment magnétique de Fe molle, dont au contraire, il est courant tunnel par les orienta-
permet de coder l’information. tions magnétiques relatives de
facile de bouger l’aimantation
Le système fonctionne comme
par l’application d’un champ part et d’autre de la barrière. Il
un ensemble polariseur-analyseur
puisque le courant ne passe que magnétique dans une direction s’agit d’un système magnéto-
si les aimantations sont alignées. ou l’autre. Entre les deux on résistif avec un bit d’informa-
insère une couche non magné- tion 01 (« le courant ne passe
tique et isolante (typiquement pas » ou « le courant passe »).
un oxyde métallique) et très fine Cela est maintenant couram-
(quelques nanomètres), c’est ment utilisé pour les têtes de
ce qu’on appelle une barrière lecture et dans les mémoires
tunnel que la description des non-volatiles20.
électrons par des fonctions
d’ondes, qui est à la base de la
19. Système polariseur-analyseur :
mécanique quantique, permet
système optique transmettant la
de comprendre. totalité de la lumière si les axes
On applique une tension élec- du polariseur et de l’analyseur sont
trique aux bornes de ce sys- parallèles mais ne transmettant
rien s’ils sont perpendiculaires.
tème pour le faire traverser
20. Mémoire non-volatile : mémoire
par un courant. Si les aiman- informatique conservant les don-
tations des deux couches nées en l’absence d’alimentation
magnétiques sont parallèles, électrique.

Figure 28 1T/1MTJ Architecture cellulaire


Lignes de bits
On forme un circuit en M-RAM
Architecture en croix
interconnectant des dispositifs
magnétorésistifs et cela permet de
créer des mémoires.
Transistor
Source : reproduit de Nature Lignes de mots "1"
44 Materials, 6(11) : 813-23, dec 2007. "0"
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
Figure 29
Disques magnétiques - mémoires
10 4
La capacité de stockage
HDD
des mémoires a été multipliée
TMR head 25 % CGR
103 1 Tb par 45 depuis les années 1990
Perpendicular
recording 40 % CGR
16 GB 19 nm
8 GB 20 nm TLC
grâce à l’utilisation du stockage
64 GB (3MLC) magnétique et des systèmes
Capacité en Gb/in2

102 32 GB (2MLC)
1st AFC media 16 GB (2MLC) magnétorésistifs.
100 % CGR 8 GB MR : magnéto-résistif ; GMR :
1st GMR head 4 GB Flash
10 « giant magneto-resistive ».
2 GB
60 % CGR
1 GB
Source : reproduit de Adv. Tribol.,
1st MR head vol. 2013, 2013.
1 512 MB
256 MB
64 MB
10-1
16 MB

10-2
1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020
Année de production

Figure 30
Le nouvel objectif concernant
les mémoires est de multiplier
par dix la capacité d’ici 2025
grâce l’assistance thermique
notamment.

Année

Dans la pratique, on fait des densités d’informations qu’on


petits dispositifs magnétoré- peut stocker dans les disques
sistifs. On les connecte sous durs ou les mémoires flash
forme matricielle (Figure 28), (Figure 29). Dans les années
avec des conducteurs qui per- 1990 on était à 10-1 Gigabit par
mettent d’amener un courant et pouce carré (inch2), maintenant
donc de lire et d’écrire à chaque on est au Térabit (1012 Gb/inch2)
nœud du réseau (plot). On peut par pouce carré. D’autres
avec ces composants faire des techniques d’amélioration sont
dispositifs de mémoire. envisagées (Figure 30), comme
Du fait des progrès de la l’assistance thermique, qui uti-
miniaturisation, on a obtenu lise le chauffage par un laser
une énorme progression des au niveau de la tête.

45
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

Figure 31
Les caténanes et rotaxanes
sont des molécules comportant
des anneaux pouvant se
déplacer par des processus
électrochimiques.
Source : Org. Lett., 2002,
4(21) 3561-3564.

4.5. Approche « bottom-up »


À côté de la miniaturisation
5 Perspectives sur
les nanotechnologies
et les nanomatériaux
par l’approche « top-down »,
dont il est question ci-dessus, Après avoir traité de la minia-
on peut avoir l’approche « bot- turisation, montré aussi com-
tom-up » qui part du bas. On ment on pouvait construire des
fabrique des nanoparticules nanoparticules de manière
ou des molécules avec une contrôlée, on va maintenant
architecture contrôlée à partir considérer des perspectives,
de molécules élémentaires ou en allant de plus en plus vers
d’atomes ; c’est le domaine les molécules et vers l’atome.
de la nanochimie. Ces travaux
sont souvent inspirés par les
5.1. Machines moléculaires21
systèmes biologiques, notam-
ment par le fonctionnement Considérons le domaine des
des cellules ; c’est aussi le machines moléculaires, popula-
domaine spectaculaire des risées par le prix Nobel de chimie
machines moléculaires. 2017, attribué à J.-P. Sauvage,
J.F. Stoddart et B.L. Feringa,
La méthode de base de fabri-
en regardant une application
cation « bottom-up » des
prospective dans le domaine de
nanoparticules est de partir
l’électronique. Les catenanes et
de réactifs en solutions dans
rotaxanes (Figure 31) sont des
différents solvants et, suivant embryons de machines molé-
des conditions expérimen- culaires : ce sont des molécules
tales adaptées (concentration, où se trouvent des anneaux
volume, température…), d’en autour d’un autre anneau ou
faire précipiter des nanopar- d’un « bâton », et que l’on peut
ticules de taille, de forme, de déplacer par des processus
compositions contrôlées. Les électrochimiques. L’idée a été
chimistes savent aussi fonc- émise d’utiliser ces systèmes
tionnaliser ces nanoparticules, pour stocker de l’information.
c’est-à-dire greffer dessus
des molécules choisies pour 21. Machine moléculaire : machine
leur permettre d’interagir de composée d’un assemblage de
molécules et dont deux parties
manière spécifique avec l’envi- au moins sont reliées par un lien
ronnement, leur conférant ainsi mécanique et peuvent être ani-
46 des propriétés particulières. mées par un stimulus externe.
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
Figure 32
6 Interrupteur fermé
Mesure de courant sur une molécule
Courant (x 10-10 Amps)

de rotaxane (représentée à droite).


4 Rotaxane oxydé
(interrupteur Il est possible d’étudier les variations
Interrupteur ouvert) du courant en fonction de la position
2 ouvert (x 20) de l’anneau et on obtient un système
d’interrupteur.
0 Source : reproduit de Science,
16 Juil. 1999, Vol. 285, Issue 5426,
pp. 391-394
-2 -1 0 1 2
Voltage

A Échelle macroscopique B
Z

Tension
de tunnel Atomes de la pointe
Direction
de balayage

UT y
x
Pointe de tungstène Courant IT

Atomes
Échantillon d’échantillonnage

Figure 33
Schéma de principe d’un microscope à effet tunnel. La microscopie à effet tunnel permet de cartographier
une surface en mesurant la valeur du courant tunnel entre la pointe et la surface ; B) on obtient des images de la
structure du matériau, comme ici le graphène.
Sources : d’après Woedtke S., Ph.D. thesis, Inst. f. Exp. u. Ang. Phys. der CAU Kiel, 2002 .

Fraser Stoddart, avec Heath que des concepts non argu-


en Californie, ont regardé ce mentés d’applications, mais ils
bâton (dans la réalité ce n’est montrent le potentiel avenir.
pas rigoureusement un bâton
mais topologiquement on peut
le considérer comme tel), ils 5.2. Microscopie à effet tunnel22
l’ont connecté avec deux élec- Certaines techniques per-
trodes et mesuré le courant qui mettent de manipuler direc-
passe à travers cette molécule
tement des atomes. C’est le
en fonction de la position de
cas de la microscopie à effet
l’anneau (Figure 32). Ce système
moléculaire réalise un système 22. L’effet tunnel désigne la pro-
d’interrupteur avec un courant 0 priété que possède un objet quan-
pour le régime sans courant et tique de franchir une barrière de
1 quand un courant passe. Les potentiel même si son énergie
est inférieure à l’énergie mini-
systèmes moléculaires pour-
male requise pour franchir cette
raient bien acquérir les perfor- barrière. C’est un effet purement
mances des systèmes solides. quantique, qui ne peut pas s’expli-
Ce ne sont à l’heure actuelle quer par la mécanique classique. 47
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

tunnel, très utilisée dans le Ces techniques peuvent aussi


domaine des nanosciences, être utilisées pour manipuler
en particulier pour l’étude des molécules. On a pu ainsi
des surfaces et des objets constituer la plus petite diode
sur les surfaces. Le principe électroluminescente en contac-
de la microscopie à effet tun- tant une molécule à base d’oli-
nel est relativement simple gothiophène (Figure 34) entre
(Figure 33). Un système méca- une surface d’or et une pointe
nique se déplace au-dessus de microscope tunnel. Un cou-
d’une surface à une très petite rant électrique peut traverser la
distance et porte une pointe molécule électro-active. Dans
de très petite dimension au certaines conditions, on observe
Figure 34 bout de laquelle se trouve une émission de lumière, le dis-
Le passage du courant par un atome. L’intervalle entre positif se comportant comme
la molécule centrale entraîne pointe et surface est assez
une diode électroluminescente.
une émission de lumière : petit pour permettre le pas-
c’est une diode sage d’un courant tunnel. On
électroluminescente. peut utiliser ce courant tun- 5.3. Étude des temps ultra-
Source : Photoniques 72, 42 nel pour contrôler la distance
(2014). courts et développement des
entre pointe et surface. Cette technologies quantiques
technique permet de carto-
graphier le relief ainsi que la Les études actuelles sur les
densité électronique superfi- objets à des échelles très petites
cielle et donc de différencier demandent le développement
les différents atomes qui sont d’outils pour explorer les phéno-
à la surface et de visualiser les mènes de transfert d’énergie ou
molécules déposées. de transfert d’électrons qui ont

Existence humaine
Mesure la plus courte : 200 as
Cycle d’horloge Flash d’appareil photo Un mois
d’ordinateur Âge
Horloge atomique des pyramides
1 minute

10-18 10-15 10-12 10-9 10-6 10-3 100 103 106 109 1012 1015 1018
Temps (secondes)
Absorption
Transporteurs Réaction
Interactions Rotation chimique/
Vibration moléculaire transition
moléculaire de phase Âge de
Transfert l’Univers
Électron d’énergie
autour de au réseau
l’atome Mouvement
Précession des parois
de domaines

Ablation

Figure 35
L’étude des phénomènes physiques mis en jeu dans le domaine des nanotechnologies nécessite de pouvoir
explorer des temps très courts allant de 10-6 à 10-15 s.
48 Source : Valérie Halté. Université de Strasbourg, IPCMS.
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
des échelles de temps caracté- courts de quelques nanose-
ristique très courtes (Figure 35). condes à quelques dizaines d’at-
On peut aujourd’hui observer et tosecondes. On assiste vraiment
manipuler des molécules ou des à l’évolution des nanosciences
atomes. La tendance actuelle vers le domaine des sciences
est d’utiliser les interactions quantiques.
caractéristiques des atomes et  La Commission Européenne
de leurs constituants (électrons, a lancé un vaste programme
noyaux) avec des champs exté- sur les technologies quan- Figure 36
rieurs (champ électrique, tiques (« Quantum Technologies
magnétique, lumière). Des outils Flagship in Europe »). Au cours La liste des domaines d’application
ont été développés pour sonder du XXe siècle, on a mené, avec des nanoparticules est très
longue et recouvre notamment
ces phénomènes ultra-rapides, des dispositifs comme des tran- l’énergie, la santé, l’agriculture et
en particulier les spectrosco- sistors, des microprocesseurs, l’électronique.
pies ultra-rapides utilisant des des scanners et des lasers, un Source : Adapté de Int. J.
sources lasers à pulses ultra développement technologique Nanotechnol., Vol. 6, Nos. 5/6, 2009.

49
Chimie, nanomatériaux, nanotechnologies

important qui permet de mani- applications des nanoparticules


puler, d’analyser et de sonder confine à l’impossible telle-
des particules individuelles, ment elles sont nombreuses.
des objets de très petite taille, Les grands domaines d’utili-
de mesurer et d’exploiter leurs sation sont ceux de l’énergie,
propriétés. La prochaine phase notamment au niveau des élec-
abordera le développement trodes dans les batteries ; du
de ce qu’on appelle les vivant en imagerie ou en thé-
technologies quantiques, qui rapeutique ; des systèmes élec-
trouveront sans nul doute de troniques, par exemple dans
nombreuses applications dans la technologie des écrans ; on
l’électronique de demain. Il les trouve aussi beaucoup dans
va s’agir d’un changement de les cosmétiques ainsi que dans
paradigme puisqu’on ne va l’alimentation, que ce soit sous
plus regarder l’objet mais on va forme de colorants pour faire
plutôt regarder les ondes, les des aliments appétissants, ou
fonctions d’ondes qui sont liées dispersés dans des polymères
aux constituants de la matière. (films d’emballage) où on les
utilise comme barrière vis-à-vis
de la lumière, de contaminants
6 Applications
des nanoparticules
et questionnement
chimiques, ou encore pour don-
ner éventuellement des indices
sur la fraîcheur de l’aliment.
sur leur utilisation
L’usage généralisé des nano-
On a des nanoparticules par- particules pose bien sûr la
tout (Figure 36) ! Détailler les question de leur toxicité. Cet

Figure 37
2000
Le nombre croissant 1800
de publications sur la toxicité 1600
des nanoparticules montre l’intérêt 1400
que la communauté scientifique 1200
porte à cette question. 100
800
600
400
200
0
2018
2017
2016
2015
2014
2013
2012
2011
2010
2009
2008
2007
2006
2005
2004
2003
2002
2001
2000
1999
1998

Figure 38
Tous les domaines scientifiques
sont concernés par la question de
la toxicité des nanoparticules.

50
Nanomatériaux et nanotechnologies : quel nanomonde pour le futur ?
aspect est abordé dans d’autres dépend en effet d’une quantité
chapitres de cet ouvrage. S’il y a de paramètres : que ce soit l’aire
un énorme effort de recherche de la nanoparticule, la surface,
dans le domaine des nano- la forme, le fait qu’elle soit
technologies et de leurs évo- encapsulée ou non, le fait que
lutions, il y a également un ce soit une nanoparticule d’un
énorme effort de recherche métal ou un oxyde – ce n’est pas
dans le domaine de la toxicité pareil si c’est de l’arsenic par
des nanoparticules (Figure 37). exemple ou de l’or – et de beau-
Ces recherches sont d’ailleurs coup d’autres facteurs comme
particulièrement pluridiscipli- le vieillissement, les modifi-
naires, car la toxicité des nano- cations suite aux usages des
particules est extrêmement nanoparticules. Ce domaine de
compliquée à appréhender, recherches, bien qu’activement
à fortiori à déterminer. Elle poursuivi, reste en devenir.

Les nanotechnologies, d’aujourd’hui


à demain.
Nous avons vu que les nanoparticules ou les
nanomatériaux sont partout, et présentent un
intérêt technologique considérable qui pousse
à les développer, à améliorer leurs propriétés,
à leur trouver des propriétés nouvelles.
Aujourd’hui, on sait de mieux en mieux manipu-
ler les nano-objets, modifier leurs propriétés,
et on se dirige de plus en plus vers l’échelle
atomique et l’utilisation des aspects quantiques
des propriétés de la matière. Tous ces dévelop-
pements scientifiques et technologiques s’ac-
compagnent de questions sur les difficultés de
leur exploitation et les dangers potentiels de la
mise en œuvre de ces nanomatériaux, en parti-
culier quand ils sont en contact avec les utilisa-
teurs grand public.

51

Vous aimerez peut-être aussi