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La stratégie de lutte contre le blanchiment d’argent par les banques libanaises

Par Khalil FEGHALI (1)


Professeur associé, Responsable du département Audit - Comptabilité, Faculté des Sciences Economiques et de Gestion,
Section II, Université Libanaise, Achrafieh, Beyrouth, Liban
E-mail : khfeghali@ul.edu.lb ou khalilfeghali@yahoo.fr
Résumé
Les banques libanaises, contraintes à la lutte anti-blanchiment d'argent, respectent actuellement
l'application des normes imposées dans ce domaine par les différentes instances nationales et
internationales.
Ces banques ont développé des structures décisionnelles et des techniques de lutte en harmonie avec la
spécificité du contexte, sans toutefois lésiner sur les moyens et les coûts à défrayer. Elles se sont
orientées vers une identification ciblée des clients et des employés ; l'unification des moyens et
l'étendue de leur application à toutes les banques libanaises limitent les pertes potentiellement
encourues par une attitude concurrentielle.
Abstract
Since the Lebanese banks are obliged to fight money laundering, they must now respect the application
of rules imposed in this field by the different national and international institutions.
These banks have developed authoritative structures and techniques of anti-money laundering taking
into consideration the specificity of the Lebanese context and respecting the means used and the prices
set.
These norms are mainly based on a targeted identification of clients and employees and unified means
spread to all Lebanese banks. Therefore, the expected competitive loss has been limited.

Introduction
Le blanchiment d’argent consiste à donner un aspect légal à des fonds illégaux. Il s’agit d’introduire
des capitaux d’origine douteuse dans le circuit financier et bancaire, pour les faire fructifier dans
« l’économie honnête » et les activités licites. Ils transforment la recette des activités criminelles au
sein du système de production à travers des investissements légitimes (Van Duyne, 1998).
Certaines activités, surtout celles qui drainent des montants en espèces, attirent les blanchisseurs. De
connivence avec les propriétaires, les chiffres d’affaires légaux seront gonflés par l’introduction des
valeurs à blanchir qui seront, dans la foulée, déposées dans le circuit bancaire.
Le Groupement d’Action Financière (GAFI) estime que le bien être social mondial est affecté par le
blanchiment d’argent, qui développe toute forme de crime à l’échelle internationale.
Face à la globalisation et à la montée d’un tel phénomène, le GAFI met en cause les politiques
économique et sociale des pays et suppose que la négligence dans la lutte contre le blanchiment menace
la cohésion sociale internationale. Il a pris des mesures anti-blanchiment cherchant à limiter le volume
d’argent sale intégré dans le système économique et monétaire international, et à maîtriser l’effet des
hommes influents dans le cercle du pouvoir, quel que soit leur niveau hiérarchique. Ainsi, la campagne
menée par le G 8 intitulée « take the profit out of crime » (Van Fossen, 2003), a visé des activités cibles
capables de cacher la véritable identité du propriétaire de l’argent sale.
Par ailleurs, les pays contrôlant le GAFI utilisent la théorie de la convergence, basée sur leur
suprématie économique et leur puissance politique (Shields, 2004), pour inciter les pays pauvres,
souvent plaque tournante du blanchiment, à lutter contre cette maladie. Le Liban figurait à un certain
moment parmi ces pays. Cependant depuis la loi numéro 318 du 20 avril 2001, le législateur libanais a
imposé aux banques libanaises l’application de mesures visant la lutte contre le blanchiment d’argent et
ceci, en harmonie avec les normes du GAFI.
L’étude présente vise la compréhension des déterminants de la lutte anti-blanchiment par l’explication
des facteurs influant le blanchiment. De même, elle cherche à évaluer la capacité des banques
libanaises telle que perçue par ces banques, à lutter contre ce fléau et à éviter les différents écueils de
dissémination par une analyse des différentes mesures prises dans ce sens, ainsi que leurs conséquences
sur l’activité bancaire.
1- Les facteurs d’influence entourant le blanchiment

1
L’auteur tient à remercier Messieurs Jean-Jacques Pluchart - Professeur des Universités en France, Dominique Chabot –
Professeur agrégé en France et tous ceux qui l’ont aidé pour leurs judicieux commentaires.
L’introduction des sommes illicites affecte l’ensemble des structures économiques et sociales
mondiales, plusieurs facteurs d’influence sont associés aux détours utilisés pour le recyclage de
l’argent sale.
1-1- Les enjeux économiques et sociaux
Le blanchiment peut être camouflée par une fausse stabilité financière née de l’abondance des flux
d’argent utilisés parfois dans le financement des activités sociales, offrant au blanchisseur
l’acquisition d’un statut social.
1-1-1- La consommation éthique
Le renforcement du civisme est associé à un militantisme pour plus d’éthique dans les affaires. Les
citoyens « consommateurs » commencent à dénoncer les politiques illicites de certaines entreprises et
leur irresponsabilité sociale. L’enquête IPSOS 2 réalisée en 1999 révèle qu’une majorité écrasante de
citoyens européens souhaite plus d’investissements sociaux par les entreprises. Cette enquête montre
l’attachement des parties prenantes à des « entreprises citoyennes », ce qui va à l’encontre de
l’objectif recherché par les « entreprises recyclantes ».
Par ailleurs, le management moderne inspire aux entreprises une forme de responsabilité sociale
basée sur une éthique des affaires et un management par les valeurs (Pesqueux et Biefnot, 2002). De
plus, la théorie de la « corporate social responsability » développée selon Pesqueux et Biefnot (2002)
par H.R. Bowen (1953), Ecls et Walton (1961), et David et Blostorm (1963) a introduit la dimension
de la moralité dans la rentabilité.
Face à cette tendance, l’entreprise blanchisseuse se voit coincée entre le recours au profit facile et
rapide et la nécessité de mener attentivement une action sociale et sociétale. Ces relations
contractuelles visent à camoufler la vraie activité non éthique afin d’éviter d’ébranler la confiance des
consommateurs (Johnston et Nedeluscu, 2006).
Ainsi, en se référant à la typologie de Kohlberg, le blanchisseur se limite au stade de la conformité
sociale en ce qui concerne le niveau moral (Pesqueux et Biefnot, 2002). Parfois, une exploitation de
l’idéal social (Faber, 1997) au profit du blanchiment d’argent est relevée. Cette tendance remet en
cause la thèse d’Alain Badiou (1994) qui souligne le déplacement de la vision de l’homme animal à
une vision de singularité immortelle ; en effet, le blanchiment enfonce l’homme dans sa nature
d’animal guidée par son égoïsme et la recherche d’un intérêt brut. Le blanchisseur ne s’identifie plus
par sa pensée immortelle et sa capacité positive (Pesqueux et Biefnot, 2002) ; son discours social
n’est qu’un paravent pour cacher sa vraie activité.
Dans cette perspective, Chauveau et Rosé (2003) pensent que l’individuation suppose une attention
particulière du comportement des entreprises vis-à-vis de la société ; le comportement douteux de
certaines sociétés pourra être sanctionné à travers le boycott intentionnel de leurs produits. De fait,
l’apparition des sociétés de notation sociétale dans les pays occidentaux 3 permet une évaluation
objective des agissements déontologiques des sociétés ; elles sensibilisent les consommateurs au
phénomène de lutte anti-blanchiment et les orientent vers des critères d’éthique. Pour faire face à ce
mouvement, les barons du crime se sont tournés vers le financement et/ou la création d’associations
de bienfaisance, cherchant à se construire une fausse image sociale camouflant la vraie.
1-1-2- La suprématie de l’économie formelle ou informelle
Le blanchiment d’argent peut provoquer la déstabilisation de plusieurs secteurs économiques. Il
infiltre et corrompt l’économie légitime et développe le financement d’activités criminelles (Nelen,
2004). Il couvre également le détournement des fonds gouvernementaux, en accentuant parfois le
déficit de l’Etat et des prélèvements obligatoires compensatoires.
Par ailleurs, les moyens disponibles grâce au blanchiment ne sont pas en commune mesure avec les
entreprises concurrentes. Comme la croissance du flux de trésorerie ne provient pas de l’exploitation
pure, les firmes rivales voient dans l’acquisition d’une entreprise par des recycleurs une menace à
leur pérennité.
L’érosion de la valeur des sociétés en difficulté (Black, Wright et Bachman, 1999) les pousse à
tomber dans l’escarcelle des blanchisseurs afin de renflouer la trésorerie et d’éviter la faillite. Le
recyclage d’argent, capable de laisser une marge non négligeable de trésorerie, peut les sauver. Il les
dispense également d’avoir recours à l’emprunt, donc à la baisse du coût du capital. Les difficultés

2
Enquête réalisée par IPSOS pour le compte de l’agence RP Fleishman-Hillard.
3
A l’instar de KLD aux Etats-Unis et Vigeo en France.
financières poussent parfois les actionnaires à se débarrasser d’urgence de l’entreprise en la vendant à
n’importe qui ; le transfert de propriété peut sauver l’entreprise au détriment de l’éthique et de la
déontologie financière et sociale (Johnston et Nedelescu, 2006). Ainsi, la morosité économique
favorise l’envahissement des tissus économiques par les blanchisseurs.
1-2- L’envahissement des tissus économiques par les blanchisseurs
Le blanchiment d’argent mélange l’activité légale avec les fonds à blanchir. Il entraîne la
reconfiguration des marchés. Cette activité s’est accentuée avec le développement des paradis
fiscaux qui participent au mouvement des flux d’argent nécessaires pour l’acquisition des actifs au
détriment de l’équilibre du marché.
1-2-1 La reconfiguration des marchés
Les difficultés économiques des agents les poussent vers le recyclage des capitaux afin de
camoufler la situation réelle de leurs firmes. Ce comportement opportuniste légitime l’inquiétude
de Jones (1995) sur la théorie instrumentale des stakeholders ; il freine le développement de la
coopération et de la confiance avec les parties prenantes (Pesqueux et Biefnot, 2002). Cette
orientation non éthique des entreprises revêt une dimension stratégique visant à imposer une
politique propre à l’entreprise concernée.
Dans ce sens, les entreprises seront préoccupées par les activités illicites, en délaissant la nécessité
de moderniser l’appareil de production, susceptible de développer la compétitivité et d’assurer
l’avenir. Elles perdent leur savoir-faire et leur créativité économique (Pesqueux et Biefnot, 2002).
Cette situation anti-productive s’inscrit dans le cadre d’une économie rentière (Salma, 2002). Une
telle politique économique développe l’accumulation du capital, grâce au caractère illicite de
l’activité qui suppose une prise importante de risque ; la part de la force de travail dans ce genre
d’opérations demeure faible.
En contrepartie, la reconfiguration des marchés par l’instauration de la monnaie unique européenne
et la dollarisation de l’économie de certains pays évite aux blanchisseurs d’avoir besoin de recourir
à des intermédiaires financiers pour faire l’échange des monnaies. Cela est perçu comme un facteur
de croissance des transactions suspectes facilitant les relations avec les pays offshore.
1-2-2 La destruction et/ou la création de la valeur commerciale
A travers le blanchiment d’argent les criminels développent des opportunités commerciales et
patrimoniales. Le taux de croissance monétaire invoqué par Friedman s’accroît. Cette croissance
suppose la hausse des activités économiques. En principe, l’accumulation des capitaux justifie la hausse
de l’inflation, mais le blanchiment pousse les entreprises blanchisseuses à vendre leurs produits à un
prix inférieur à son coût (du fait de la nature de la monnaie qui a servi au développement de l’activité),
ce qui freine cette inflation.
En effet, la criminalité organisée forme en matière économique un ensemble de chaîne de valeurs
qui opère parfois en toute légalité. Ce phénomène provoque une forme d’inefficience du marché en
surpayant la valeur de l’entreprise convoitée.
De plus, l’argent facile dévie l’entreprise du combat commercial. Elle n’éprouve pas le besoin
d’une compétitivité et à fortiori d’une efficacité, étant donné sa perpétuelle subvention grâce au
blanchiment d’argent. La structure sera maintenue artificiellement en servant comme plateforme au
blanchiment.
Cette passivité commerciale de l’entreprise signifie la destruction de la valeur. La productivité
économique du capital tend à baisser du fait d’une utilisation inappropriée des moyens de l’entreprise.
Les indices financiers n’ont plus d’importance significative et les investissements réalisés ne
participent pas efficacement à l’amélioration de la performance. L’entreprise se trouve
opérationnellement inefficace face aux concurrents en perpétuel développement. Le flux de trésorerie
provenant de son activité de base est insuffisant pour assurer sa pérennité. Le portefeuille d’activité
selon le Boston Consulting Group (BCG) n’est formé que de plusieurs poids morts.
1-3- Le respect des normes anti-blanchiment
Le recours à l’argent disponible, quelle que soit son origine, par certaines banques au niveau
international, et la disparité entre les mesures de lutte adoptées entre les pays, ont poussé le GAFI à
imposer à tous les pays du globe le respect d’un certain nombre de normes visant non seulement la
connaissance du client et les sources de financement, mais aussi les bénéficiaires des transferts et la
déclaration aux autorités compétentes toute opération douteuse.
Le respect de ces normes a nécessité une coopération interbancaire, et a renforcé le rôle des
organismes officiels de contrôle.
1-3-1- L’amélioration de l’efficacité de la lutte anti-blanchiment
Les effets néfastes du blanchiment d’argent sur le système économique et financier mondial ont
mobilisé les autorités politiques et religieuses mondiales pour lutter contre ce fléau.
En suivant la même orientation, les pays du G 8 à travers le GAFI ont mené une politique préventive de
lutte contre le blanchiment des capitaux, en imposant l’identification des clients et le transfert des
rapports des transactions douteuses aux autorités compétentes.
Les pays du monde se sont dotés des réglementations et procédures aptes à minimiser le risque du
blanchiment et à le réprimer. Leur développement est supposé mieux contenir une activité en
croissance dangereuse.
Les autorités financières au Liban ont réagi en faveur de la lutte contre le recyclage d’argent. Elles ont
imposé une réglementation assez stricte voire rigide afin de 1) protéger le système bancaire libanais, 2)
réduire le risque de perturbation financière (Chen and Siems, 2004 ; Johnston and Nedelscu, 2006), 3)
stabiliser l’économie grâce à la force de résilience du secteur bancaire et 4) restaurer la confiance à
l’intérieur et à l’extérieur du marché financier. Les banques libanaises ont pu s’adapter à la notion du
« corporate social responsiveness » (réceptivité sociale de l’entreprise) développée par Carroll (1979) et
Cochran and Wood (1984) en s’inclinant face aux pressions des organisations locales et internationales
de lutte anti-blanchiment.
En effet, les banques libanaises sont soumises à la règle de déclaration de soupçon à adresser à la
commission spéciale d’investigation de la Banque du Liban. A ce titre, elles sont obligées d’une part
d’aviser cette commission de toute transaction dont la valeur est supérieure à 10.000 dollars américains
et d’autre part, de présenter un rapport sur les activités des clients suspects ; les activités des clients qui
supposent le dépôt en espèces d’un montant supérieur à 10.000 dollars américains par transaction ou
par jour doivent, à travers leurs banques, demander une autorisation spéciale de cette commission.
La gestion des relations avec les clients (« customer relation management – CRM ») développe une
meilleure connaissance de ces derniers et accroît le contrôle. L’analyse de la tendance historique du
client montre le changement dynamique de son activité, sa solidité ou sa fragilité vis-à-vis du
blanchiment.
L’analyse du profil financier par la collecte des informations limite le risque de la banque de compter
un blanchisseur parmi ses clients. Cette dernière est obligée de vérifier l’identité et l’adresse de son
client. Elle est astreinte à s’assurer de la légitimité de l’opération et de sa justification économique.
La banque doit s’orienter vers plusieurs sources d’informations pour mieux connaître son client. Le
recoupement entre ces différentes sources assure la maîtrise du risque de blanchiment. Dans cette
perspective, la Banque Crédit Libanais (entretien avec M. Antoine Saad, Manager of Anti-Money
Laundering Compliance Unit) étudie sans exhaustivité les informations suivantes pour s’assurer de la
qualité de sa clientèle, à savoir :
- possibilité et taille du paiement en espèces,
- lieu du travail,
- part de marché,
- bénéficiaire, donneur d’ordre et liens entre les deux,
- contrôle d’utilisation de l’argent reçu en compte et sa rapidité,
- profil du client et sa moralité,
- méthode de travail,
- circuit des fonds et techniques utilisées (retrait en espèces),
- niveau de vie des dirigeants.
Cette étude obligatoire des clients a supposé une coopération interbancaire et internationale afin
d’améliorer la lutte.
1-3-2- La coopération interbancaire et internationale 
L’échange des expériences de contrôle et la coopération interbancaire en matière de surveillance
constituent un phénomène capable de contrecarrer le développement des activités douteuses et de
mieux identifier les blanchisseurs.
Le développement de la coordination et de la coopération sectorielle renforce efficacement le système
de prévention de la délinquance financière. Il assure un bon fonctionnement du système financier
mondial. L’échange des renseignements, notamment bancaires, facilite la lutte. Mais la « coopération
concurrentielle» inter banque constitue un frein à l’amélioration du dispositif. Cette mentalité pousse
parfois les banques à bluffer dans le cadre d’échanges de renseignements. Cependant, les sanctions
imposées par la Banque du Liban et l’obligation d’appliquer les exigences du GAFI en matière de lutte
anti-blanchiment exigent au moins une coopération interbancaire élémentaire et le respect de
l’obligation de déclaration des transactions suspectes. Dans cette perspective, la recommandation 32 du
GAFI appelle les pays à maximiser les échanges d’informations non seulement entre les entités d’un
même pays mais entre nations.
Cette norme 32 ainsi que les autres normes du GAFI ont été considérées comme des « soft law » non
obligatoires. Mais, son pouvoir coercitif, basé sur la théorie de convergence (Shields, 2004), a entraîné
une adhésion globale de tous les pays.
Dans cette même optique, la convention internationale du 9 décembre 1999 a imposé aux pays
adhérents une entraide inconditionnelle, prévoyant la neutralisation de l’effet du secret bancaire (article
12), du caractère politique (article 14), ou fiscal (article 13) (Blaser, 2002). Les organismes officiels de
contrôle sont chargés de vérifier la bonne application des normes et clauses des conventions
internationales.
1-3-3- Le rôle des organismes officiels de contrôle
Le manquement par les banques à leurs obligations les rend passibles de sanctions disciplinaires par
des autorités compétentes. Au niveau international, on peut évoquer les fortes amendes payées par la
« Korea Exchange Bank » la « HSBC Bank USA » et le « Western Union » du fait de l’insuffisance
de contrôle et de la non déclaration des clients suspects (Der Hovanesian, 2003).
Au Liban, la carence dans l’application des procédures édictées par la loi et les obligations
professionnelles de lutte contre le blanchiment peut entraîner le retrait de la licence d’exercice de
l’activité bancaire ou au moins le paiement d’une forte amende.
L’application des réglementations en matière de lutte anti-blanchiment a imposé aux banques libanaises
la mise en place d’un code d’éthique permettant un management par les valeurs visant à répondre aux
préoccupations socio-économiques actuelles (Mercier, 1999). Ces réglementations correspondent aux
thèmes abordés mondialement.
Ces thèmes forment la pierre d’angle de la lutte anti-blanchiment par l’entremise des banques
libanaises. Ils aménagent selon des études outre-atlantique « un instrument juridique de
protection….centré sur les relations avec les tiers, les salariés, et y constituent un véritable instrument
de régulation » (Pesqueux et Biefnot, 2002, p.82).
Le Liban, dans son orientation vers le respect des réglementations en matière de lutte anti-blanchiment
a créé la commission spéciale d’investigation. Celle-ci a pour objectif de contrôler l’application des
normes internationales en matière de lutte anti-blanchiment par les banques libanaises, notamment
l’identification des clients (« Know Your Customer »), et la pratique d’un certain nombre de
procédures visant à déceler les activités douteuses (« Due Diligence »). De même, elle est supposée
recevoir les rapports sur les opérations suspectes. Dans ce but, cette commission a imposé à chaque
banque libanaise, à l’instar des banques occidentales, la création d’une unité contre le blanchiment
d’argent (« Anti-Money Laundering Compliance Unit »), formée de deux adjoints aux directeurs des
agences et d’un trésorier. Par ailleurs, le Président-directeur général de la banque doit veiller, avec les
organismes internes et officiels de contrôle, au respect de la déontologie et de l’éthique professionnelle
de la banque.
1- 5- La déontologie et l’éthique professionnelle des banques
La destruction sociétale causée par le blanchiment d’argent a poussé le GAFI et les autorités monétaires
nationales à imposer aux banques un certain nombre de règles dans un cadre du respect de la
déontologie professionnelle. Cette déontologie suppose un renforcement du contrôle interne et la
sensibilisation du personnel de la banque à détecter les opérations douteuses qui doivent
impérativement faire l’objet d’une déclaration de soupçon.
1-5-1- La diligence bancaire et le devoir de vigilance
L’application de la « due diligence » imposée par le GAFI consiste à augmenter le niveau de contrôle
particulier des activités des entreprises afin de détecter les opérations incompatibles avec la situation
économique des propriétaires.
Ces diligences bancaires se caractérisent par :
- la déclaration de soupçon des opérations douteuses aux autorités compétentes,
- la surveillance des opérations inhabituelles et le suivi de l’éventuelle justification économique,
- l’analyse du fonctionnement du compte client et la vérification de son identité (parfaite
connaissance du client, de son activité et de son profil de risque).
Cette situation suppose l’abstention par les banques de tenir des comptes anonymes ou fictifs.
1-5-2- La sensibilisation du personnel de la banque
La formation en matière de lutte anti-blanchiment est nécessaire. Elle aide les employés à détecter les
activités inhabituelles et suspectes. Ces derniers doivent être capables de déceler et de notifier les
opérations douteuses. Leur incapacité et leur sous-qualification dans le cadre de la lutte contre le
blanchiment remet en cause l’ensemble du système de prévention.
La lutte anti-blanchiment nécessite la mobilisation de toute l’entreprise pour éviter de mettre en danger
sa pérennité. Il s’agit d’une orientation managériale qui implique la sensibilisation du personnel aux
faits illégaux. Cette stratégie préventive met l’effectif au cœur du succès de la lutte. La motivation du
personnel et le maintien de la formation et du perfectionnement en matière de lutte anti-blanchiment
enrichissent la compétence. Elles permettent une meilleure évaluation du risque et le contrôle de la
qualité des clients. L’information de la hiérarchie supérieure est un devoir ; à ce niveau, l’intégrité des
employés constitue un rempart au blanchiment.
L’échange des renseignements entre partenaires accroît la vigilance du personnel et développe la
connaissance du phénomène du recyclage d’argent sale. Elle permet la communication des
informations financières nécessaires à l’application de la loi et à la préparation des déclarations de
soupçon.
1-5-3- La déclaration de soupçon
La banque, dans sa mission de lutte contre le blanchiment d’argent, est appelée à surveiller les
mouvements de fonds relatifs aux comptes de ses clients. Elle doit aviser les organismes de lutte anti-
blanchiment de tout mouvement douteux. Elle est appelée à soutenir les organismes anti-blanchiment
en apportant les renseignements nécessaires sur des opérations douteuses, et en établissant la
déclaration de soupçon le plus rapidement possible, nonobstant le fait que cette déclaration, adressée à
la commission spéciale d’investigation auprès de la Banque du Liban, détériore souvent les relations
banque/client. De même, les obligations imposées aux banques de mettre sous séquestre les fonds du
client suspect, et de s’abstenir d’exécuter toute opération réclamée par ce dernier dans l’attente de la
décision de la commission spéciale d’investigation, développent le risque de rupture.
Ce dispositif de prévention imposé aux banques doit être étendu à toutes les professions au Liban.
Toutefois, la politique menée par les banques est censée pallier à ces lacunes du combat anti-
blanchiment.
2- La politique adoptée par les banques libanaises dans la lutte anti-blanchiment : une étude
empirique
L’analyse de la littérature relative à la lutte contre le blanchiment d’argent aboutit, dans le cadre d’une
recherche hypothético-déductive, à choisir la méthodologie adoptée, à identifier la population (les
banques libanaises dans notre étude), à administrer l’enquête, à formuler et à tester les hypothèses.
2-1- Le choix du positionnement méthodologique de l’étude
La rareté des études scientifiques relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent nous a poussé à
choisir la technique de l’enquête. De même, la difficulté à obtenir des informations chiffrées des
banques libanaises, soumises à la loi du secret bancaire, nous a orienté vers l’examen de l’effet de la
lutte anti-blanchiment sur la situation des banques. Dans ce cadre, notre protocole de recherche a visé
l’exploration de l’impact économique et financier sur les banques en regard de l’application des normes
anti-blanchiment, et ce à travers une démarche d’investigation, par l’entremise d’un questionnaire (23
questions) adressé à la totalité des banques exerçant au Liban. Ce questionnaire a été conçu sur la base
de l’échelle additive de mesure ou de type de Likert (Fortin, Coté et Filion, 2006).
Malgré la vision statique des banques, engendrée par l’enquête statistique, cette méthode nous apparaît
utile et opportune pour répertorier les comportements des acteurs et leurs impacts sur la gestion
bancaire. L’intégration de questions ouvertes à côté des questions majoritairement fermées, cherchait à
minimiser l’effet de halo et les biais de contamination (Pluchart, 2008).
La fiabilité de la collecte des informations est assurée par une explication détaillée de:
- l’identification des banques,
- l’administration de l’enquête et les difficultés rencontrées.
2-1-1- L’identification des banques
Le cadrage du terrain a justifié l’étude du rôle des banques libanaises dans la lutte contre le recyclage
d’argent.
Cette orientation nous a obligé à recenser les banques à partir de la « liste des banques » exerçant au
Liban, publiée annuellement au journal officiel (Journal officiel n˚6 du : 8 février 2007), en vue
d’analyser les facteurs incitatifs de lutte anti-blanchiment, les comportements des banques libanaises
vis-à-vis de la réglementation et l’environnement concurrentiel.
L’ensemble des données recueillies a rendu possible l’évaluation de l’application des normes anti-
blanchiment, de l’impact de cette application sur la gestion des banques et des réactions des banques
libanaises à un tel phénomène.
Le questionnaire utilisé avait pour but, dans le cadre d’une enquête longitudinale, de cerner les objectifs
et les techniques appliquées pour lutter contre le recyclage des capitaux. Cette démarche nous a assuré
l’approfondissement de l’aspect nuisible du blanchiment et permis de tirer le maximum de synergie
entre la théorie et la pratique.
2-1-2- L’administration de l’enquête et les difficultés rencontrées
Le choix de la méthode d’administration de l’enquête suppose le respect d’un ordre systématique des
questions selon la méthode dite de l’entonnoir.
La sensibilité du sujet et la taille relativement faible des banques exerçant au Liban (63 banques)
nécessite d’apporter un soin particulier au questionnaire de manière à recenser des informations
suffisamment crédibles et portant sur des problèmes d’ordre technique.
A la clôture de l’ensemble de ces démarches réalisées auprès des banques exerçant sur le territoire
libanais, 54 questionnaires exploitables ont été recensés. La méthode active de l’administration de
l’enquête et la simplicité du questionnaire nous ont permis d’atteindre un taux de réponse d’environ
86% (54/63 banques). La technique d’élaboration de questionnaire en plusieurs concepts a permis une
validation de notre protocole de recherche grâce à une formulation logique, cohérente et abordable.
L’absence d’un système d’informations statistiques formel a compliqué notre travail.
La deuxième difficulté réside dans la réticence des banques à communiquer des informations chiffrées
jugées confidentielles. Cette situation nous a amené à utiliser les questions qualitatives visant à
améliorer la qualité des réponses.
2-2- La formulation des hypothèses
L’accroissement spectaculaire du blanchiment d’argent a poussé la totalité des pays sous l’influence du
GAFI à empêcher le blanchiment d’argent. La recherche d’une meilleure application des normes dans
un environnement propice à la lutte anti-blanchiment entraîne la minimisation du risque.
L’identification des clients ainsi que la connaissance de leurs activités rassure les parties prenantes.
Notre première hypothèse suppose que la sélection des clients et le contrôle de la bonne application des
réglementations à tous les niveaux (banques, Etats, organismes internationaux) implique une
synchronisation entre les différents intervenants qui se traduit par la bonne application des décisions
opérationnelles de lutte anti-blanchiment à tous les niveaux hiérarchiques et organisationnels.
Notre seconde hypothèse suppose que le niveau d’activation du mécanisme disciplinaire peut aller
jusqu’au retrait du permis d’exercice de la banque.
La troisième hypothèse suppose que la lutte anti-blanchiment engendre un coût supplémentaire à la
charge des banques.
Enfin la quatrième hypothèse vérifie l’efficacité de la lutte anti-blanchiment en évaluant la puissance de
la réglementation et sa suffisance, en mettant en exergue l’indicateur de performance représenté par le
nombre de déclarations de soupçon.
2-3- L’intégration de la dynamique de la lutte anti-blanchiment par les banques libanaises
Les nécessités conjoncturelles stimulatrices de la dynamique de la lutte anti-blanchiment par les
banques libanaises ont accéléré le rythme de mise en place d’un système adéquat. Toutefois, cette
dynamique s’est trouvée face au défi de surmonter certains aléas relatifs à la particularité des banques
libanaises concernant le secret bancaire et l’usage des comptes numérotés.
2-3-1- Les particularités des banques libanaises et l’importance du secret bancaire
L’application du principe du secret bancaire au Liban impose des dispositions de confidentialité. Cette
obligation de confidentialité de la banque vis-à-vis de son client commence dès l’ouverture du compte
(Stokes, 2007). Elle limite la diffusion des informations sur les clients et de ce fait, sur les affaires
bancaires pouvant servir au blanchiment d’argent.
Le secret bancaire étant souvent au Liban une loi intouchable, minimise l’effet de contrôle et de lutte
anti-blanchiment. La nécessité nationale et internationale de lutte contre le recyclage de l’argent a
obligé les autorités libanaises à assouplir l’application du secret bancaire. Elles ont accepté de lever le
secret sur les comptes des personnes soupçonnées de blanchiment selon une procédure bien définie.
Elles ont tenté de gagner doublement la confiance dans le système bancaire libanais, d’une part grâce
au secret bancaire, et d’autre part à travers une lutte efficace d’anti-blanchiment. Cette levée du secret
bancaire lors des activités de blanchiment est compatible avec l’article 8 de la Convention Européenne
des Droits de l’Homme (ECHR) (Stokes, 2007) qui prévoit l’obligation de non interférence des
autorités publiques dans la confidentialité bancaire sauf en cas d’objectifs économiques ou de sécurité 4.
L’intérêt public prime sur l’obligation de confidentialité et de secret bancaire.
Par ailleurs, la doctrine de la proportionnalité (Stokes, 2007) est correctement appliquée au
Liban . La levée du secret bancaire intervient lors des agissements criminels de l’individu
5

conformément à l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de L’Homme.


L’enquête menée auprès des banques libanaises montre que le secret bancaire ne gêne plus l’activité de
lutte contre l’argent illicite. Elle apporte le résultat suivant :
Tableau n˚1
Le secret bancaire entrave la lutte contre le blanchiment des capitaux
Fréquence Pourcentage
- D’accord 6 11,1
- Pas d’accord 38 70,4
- Totalement en désaccord 10 18,5
Total 54 100

Ce résultat montre que 88,9% des banques libanaises qui ont accepté de répondre à notre enquête
perçoivent une neutralisation de l’effet du secret bancaire lors de la lutte anti-blanchiment.
2-3-2- L’usage des comptes numérotés
L’utilisation frauduleuse et abusive des comptes bancaires doit être surveillée scrupuleusement afin
d’empêcher le recyclage de l’argent sale. Dans ce domaine, les comptes numérotés doivent faire l’objet
d’une attention particulière quant aux mouvements anormaux possibles sur ce type de comptes.
Contrairement aux comptes anonymes, interdits selon la recommandation 10 du GAFI, les comptes
numérotés sont tolérés, puisqu’ils supposent une identification préalable du client. Au Liban, cette
identification se fait au niveau de la direction de la banque, permettant à ces comptes de garder leur
cachet « numéroté » auprès des employés. C’est pour cela que le Liban, malgré l’usage de ces comptes,
ne figure plus sur la liste noire du GAFI Par contre, l’Autriche a été contrainte d’éliminer les comptes
anonymes avant d’être rayée de cette liste noire. La détention de ces comptes anonymes par les banques
autrichiennes était perçue comme une violation à la recommandation n˚10.
Selon notre enquête, certaines banques (41% des répondants) ont même limité l’ouverture des comptes
numérotés en prévention de pratiques préjudiciables. A noter que 30 % des répondants, soit 16
banques, ne détiennent aucun compte numéroté. Cette politique vise à limiter le risque de crime
financier et à atténuer le risque opérationnel provenant du blanchiment. Elle est compatible avec le
comportement de certaines banques internationales qui ont fermé certains comptes des clients ou
banques correspondantes vu le doute de blanchiment qui plane sur ces comptes (Johnston and
Nedelescu, 2006).
Le tableau suivant montre le résultat obtenu :

Tableau n˚2
4
Selon la Convention Européenne de Droit de l’Homme, les autorités publiques interfèrent à travers la justice dans les
informations personnelles et bancaires lors des affaires de sécurité nationale, des intérêts publics, du bien être économique,
de la prévention d’un désordre ou de crime, de la protection de la santé et du moral et la protection des droits et de
l’indépendance des autres.
5
La doctrine de la proportionnalité suppose un équilibre dans le non respect du principe de la confidentialité en fonction de
la gravité du crime. Elle appelle à un équilibre entre l’intérêt communautaire et l’intérêt individuel.
Détention des comptes numérotés par les banques libanaises
Fréquence Pourcentage
- Oui 30 55,6
- non 16 29,6
- pas de réponse 8 14,8
Total 54 100

A notre avis, ceux qui n’ont pas répondu détiennent également des comptes numérotés, mais la non
réponse laisse planer le doute sur une activité considérée comme légale au cas où son fonctionnement
est réalisé correctement et conformément aux législations en vigueur. Dans ce cas, le pourcentage des
banques détenant des comptes numérotés au Liban dépasse les 70%.
2-4- La politique de lutte anti-blanchiment
La politique choisie s’efforce d’être la mieux adaptée aux problèmes de lutte anti-blanchiment. Elle
vise à traiter:
- la recherche de la baisse du risque de blanchiment,
- la probabilité de la perte du client,
- l’influence du coût engendré sur l’efficacité de la lutte,
- la rigidité de la réglementation et l’effet de routine,
- la poursuite d’une vigilance particulière,
- les moyens mis en place.
2-4-1- La recherche de la baisse du risque du blanchiment
Le risque de blanchiment de chaque client dépend de plusieurs facteurs, à savoir : le lieu de domicile,
l’activité professionnelle, les opérations réalisées avec la banque etc… Le soupçon bancaire qui pèse
sur une transaction quelconque impose l’obligation de la recherche d’informations complémentaires et
des clarifications suffisantes, afin de minimiser le risque de blanchiment.
Le résultat des investigations aide la banque dans la prise de décision de rompre ou de continuer les
relations avec un client.
La globalisation du marché financier a nécessité la gestion globale du risque client en matière de
blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. La banque doit être en mesure d’accéder aux
informations provenant de l’étranger sur la qualité des opérations de son client. Cette disposition est
conforme à l’exigence internationale en matière de lutte anti-blanchiment.
Cependant, le « customer due diligence paper » de Bâle (Blaser, 2004), prévenant le risque, exige une
surveillance consolidée des activités multinationales. Il distingue le client suspect du non suspect par la
définition d’un profil de risque de blanchiment (Demetis and Angell, 2007). Un système global de la
gestion du risque de l'ensemble du groupe doit être mis en place. La banque mère doit s'assurer que les
filiales ou succursales à l'étranger appliquent le même dispositif de surveillance et de lutte anti-
blanchiment.
Ce « customer due diligence » exige une évaluation précise du risque lié à l'activité bancaire par
l'analyse du profil client.
Une telle identification du client sert selon nos répondants à la baisse du risque de blanchiment comme
le montre le tableau suivant:
Tableau n˚3
L'identification du client sert à la baisse du risque de blanchiment
Fréquence Pourcentage
- totalement d’accord 40 74.1
- d’accord 13 24.1
- pas d'accord 1 1.8
Total 54 100

Le tableau n˚3 montre la satisfaction presque totale des banques libanaises de la baisse du risque par
l'identification des clients (« Know Your Customer »). Cette identification doit être applicable
également à tous les clients y compris les non résidents.
La baisse du risque s'avère nécessaire quelles que soient les conséquences sur les relations
multilatérales avec le client, d'autant plus que la Banque du Liban impose dans l'article 3 de sa
circulaire 1912 du 18 mai 2001 l'obligation de vérification de l'identité des clients.
2-4-2- La probabilité de la perte du client
La lutte contre le blanchiment d'argent accroît le pouvoir des banques dans l'obtention des informations
supplémentaires sur les clients. Elle minimise le niveau de la discrétion quand il s'agit des opérations
suspectes exercées par le client. Cette indiscrétion est matérialisée par la dénonciation du client à
travers les déclarations de soupçon.
La dénonciation peut être source de conflit entre le client et la banque. Mais quelles que soient les
réactions du client, le banquier n'est pas en mesure d'échapper à l'accomplissement de ses obligations.
La non déclaration de soupçon est perçue comme un manquement grave à l'obligation de vigilance
imposée par l'article 6 de la loi n˚ 318 du 26 avril 2001 (journal officiel, 2001).
L'application de cette législation, imposée à toutes les banques au Liban, minimise les marges de
manœuvre des blanchisseurs. Le risque de perdre les clients (Masciandaro, and Filotto, 2001) n’a pas
été perçu par les banques libanaises comme un danger. Leur départ d'une banque leur impose une
nouvelle identification et une déclaration éventuelle de soupçon par la nouvelle banque. Cette
contrainte nous a permis d'avoir le résultat suivant:
Tableau n˚4
La procédure recommandée d'identification du client fait courir le risque de le perdre
Fréquence Pourcentage
- totalement d’accord 4 7.4
- d’accord 20 37.1
- pas d'accord 16 29.6
- totalement en désaccord 14 25.9
Total 54 100

En effet 30 banques sur 54 estiment que l'identification du client n'est pas la source de sa perte étant
donné que l'ensemble des banques libanaises appliquent la même procédure ; selon le directeur du
département anti-blanchiment à la banque crédit Libanais cette procédure fait partie actuellement des
mœurs. Nos résultats corroborent ceux de Dolar et Shughart (2007) qui ont constaté que l’application
de la loi américaine anti blanchiment (Patriot Act) n’a pas affecté le transfert de la richesse entre les
banques. Par contre ce résultat diffère de celui de Maloney et Mc Cormick (1982) qui ont trouvé que la
régulation pour un environnement de qualité entraîne des perdants et des gagnants parmi les
intervenants.
Concernant les clients prestigieux, voici le résultat obtenu sur le refus de se soumettre à l'identification:
Tableau n˚5
Les clients prestigieux refusent de se soumettre à la procédure d'identification
Fréquence Pourcentage
- souvent 23 42.6
- sans avis 4 7.4
- rarement 16 29.6
- jamais 11 20.4
Total 54 100

42.6% des répondants ont trouvé que les clients prestigieux refusent souvent la procédure
d’identification.
La vigilance est de mise, malgré le risque de la perte du client « V.I.P. » qui doit en principe affronter
les mêmes problèmes d'identification lors de son départ de la banque. Le banquier est tenu actuellement
de surveiller les agissements financiers de son client, de vérifier les causes et les origines des
transactions quel que soit le niveau d'influence du client et le coût supporté.
2-4-3- L'influence du coût engendré sur l'efficacité de la lutte
La lutte contre le blanchiment d'argent suppose un coût élevé à supporter par les nations. Concernant
les banques, cette lutte laisse courir un coût supplémentaire causé par le temps nécessaire pour
accomplir les obligations imposées, la charge de formation et la mise en place des moyens humains et
matériels nécessaires pour la mise à jour du fichier information sur le client (Banque Libano Suisse, et
Credit Bank). En effet, la sécurité et le contrôle supposent un coût (Banque populaire commerciale
Saoudienne).
La notification pertinente des activités suspectes nécessite la mise en place d'un système capable de
déceler la moindre opération frauduleuse à travers la création d'un département spécial. Ce système
suppose une dotation en effectif qualifié et suffisant, ce qui renchérit le coût de la lutte contre cette
pratique surtout pour les non résidents (Mawared Bank).
De plus, la politique généralisée de la baisse des coûts poursuivie par les banques libanaises, en
éliminant les anciens employés fortement rémunérés pour être remplacés par des jeunes, s'avère
porteuse d'un risque élevé au niveau de la non détection des opérations de blanchiment par ces
nouvelles recrues sans expérience.
Notre enquête montre un résultat affichant la faiblesse du coût par rapport au risque encouru
Tableau n˚6
Le coût de l'identification du client dépasse le risque du blanchiment
Fréquence Pourcentage
- D’accord 11 20.3
- Pas d’accord 28 51.9
- Totalement en désaccord 15 27.8
Total 54 100

La recherche accrue de la protection, dans le but de camoufler les origines de l'argent blanchi, a
provoqué la hausse du coût de la lutte (Castelli, 2003). Le coût de contrôle augmente avec la baisse de
la confiance (Fukuyama, 1994). Cette situation explique le coût supplémentaire supporté par les
banques libanaises face à une méfiance grandissante. Cette méfiance a entraîné une rigidité dans les
banques libanaises contraintes de mettre en place des filtres de contrôle afin de gérer le risque de non
confiance.
Cependant, le risque encouru par la banque en cas de détection d'une opération de blanchiment réalisée
par ses soins ou à son insu, donc consciemment ou par négligence et non respect des normes et
réglementations imposées, provoque le retrait de la licence d'exercice. La pérennité de la banque est
menacée (BNPI). Dans ce cas, le coût supporté sera plus important que la charge subie pour lutter
contre le blanchiment d'argent (Banca Di Roma). De plus, la réputation de la banque sera ternie
(Banque Crédit Libanais et Standard Chartered Bank). Ce coût caché (Saval et Zardet, 1987) n’est plus
en commune mesure avec les effets négatifs du blanchiment. Au contraire, il favorise l’attrait d’une
certaine clientèle recherchée et d’une gestion de qualité. Dans cette optique, nous avons recensé le
résultat suivant visant à montrer la perception des banques quant à la cherté relative de l'identification
du client.
Tableau n˚7
L'identification du client est onéreuse
Fréquence Pourcentage
- totalement d’accord 4 7.4
- d’accord 13 24.1
- pas d'accord 33 61.1
- totalement en désaccord 4 7.4
Total 54 100

L’identification des clients est plutôt perçue comme n’étant pas onéreuse. Ce résultat est incompatible
avec le résultat de l’étude menée par KPMG qui ont constaté un développement du coût de la lutte
compte tenu des mesures réglementaires imposées (Johnston and Nedelescu, 2006 ; Sproat, 2007). Pour
les banques libanaises, cette perception de coût élevé est en principe contrebalancée par la nécessité de
protéger l’intégrité du système bancaire et de sauvegarder la confiance ; confiance qui doit susciter un
effet positif par l’attraction des capitaux « propres » dont la rentabilité doit compenser de loin les coûts
engendrés. De plus, la minimisation de l’effet de coût de la lutte anti-blanchiment par l’entremise de
«l’évidence et les valeurs éthiques » évoquées par Pesqueux et Biefnot (2002) aurait influencé les
répondants libanais. La peur de la sanction justifie le respect de la charte d’éthique bancaire qui a
entraîné l’unification des efforts de lutte. Dans cette perspective Dolar et Shughart (2007) et
Elliehaussen (1998) ont relevé une asymétrie (Hétérogénéité) dans le paiement du coût de conformité 6
(compliance cost) ; les petites institutions supportent des charges plus élevées que les grandes
institutions. De leur coté Elliehaussen (1998) et Roberts (2004) estiment que des milliards de dollars
sont dépensés chaque année pour permettre aux banques américaines de se conformer aux
réglementations. Les réformes engagées pour lutter contre le blanchiment d’argent s’avèrent coûteuses
et difficiles à appliquer (Davies, 2007). En effet, les banques libanaises déboursent, elles aussi, un coût
supplémentaire pour respecter la réglementation anti-blanchiment. Il s’agit du coût de la formation du
personnel et de la recherche des informations sur les clients, ainsi que du coût administratif
supplémentaire qui aux yeux des banques libanaises demeure faible par rapport aux conséquences de la
découverte du blanchiment.
2-4-4- La rigidité de la réglementation
La rigidité de la réglementation anti-blanchiment finit par être inefficace. Le blanchiment qui se
termine en 45 secondes nécessite des investigations policières pendant 18 mois (Watkins et al., 2003).
Pour cette raison, les banques américaines estiment que l’application des réglementations anti-
blanchiment est lourde. Cette vision est en contradiction avec celle des banques libanaises. Ces
dernières pensent que les conséquences des erreurs en matière du blanchiment d’argent sont fatales.
Elles prônent plus de rigidité réglementaire. Le résultat de notre enquête montre ce qui suit:
Tableau n˚8
Le GAFI doit simplifier ses normes pour qu’elles soient plus flexibles
Fréquence Pourcentage
- totalement d’accord 1 1.8
- d’accord 4 7.4
- sans avis 3 5.6
- pas d'accord 36 66.7
- totalement en désaccord 10 18.5
Total 54 100

L’origine de cette philosophie remonte à la méfiance par rapport à une structure organisationnelle
souple des blanchisseurs, capable de s’adapter à un environnement changeant (Molly, 2001). En effet,
les pressions juridiques et les obstacles imposés ont amené les blanchisseurs à accepter de supporter un
coût supérieur de blanchiment passé de 6% à 50% (Van Duyne, 1998).
Cette situation a poussé les banquiers libanais à estimer, comme le montre le tableau n˚12, que les
normes du GAFI sont insuffisantes pour faire disparaître le blanchiment.
Tableau n˚9
La stricte application des normes du GAFI par les banques est suffisante pour une disparition du
blanchiment d’argent
Fréquence Pourcentage
- totalement d’accord 1 1.8
- d’accord 8 14.8
- sans avis 1 1.8
- pas d'accord 37 68.5
- totalement en désaccord 7 13.1
Total 54 100

Le résultat montre que la stricte application des normes du GAFI par les banques n’est pas estimée
suffisante à l’éradication du blanchiment. Ce résultat coïncide avec celui de Canhoto et Backhouse
(2007), qui ont prouvé que 60 % des banques londoniennes trouvent la réglementation anti-blanchiment
inefficace et celui de Dementis et Angell (2007), qui ont ironisé sur le fait qu’il n’y a aucun pays sur la
liste des pays non coopératifs. Ils soulèvent le problème de l’efficacité des normes des GAFI et leur
perception du risque de blanchiment. Ces normes provoquent, selon Shields (2004), le déplacement du
blanchiment d’argent vers les localités à faible risque de détection.

6
Ce coût englobe à la fois un coût de fonctionnement et un coût de mise en place.
De plus, l’ingénierie financière développée par les blanchisseurs a remis en cause les mesures
préventives de lutte anti-blanchiment (Baldwin, 2006). Les blanchisseurs tentent de trouver des failles
dans le système financier afin d’introduire l’argent sale dans l’économie licite (Davies, 2007). Cette
situation explique la réticence des banques libanaises à accorder une confiance absolue à l’efficacité
des mesures anti-blanchiment.
A l’échelle mondiale, la coopération juridique internationale peut être complémentaire à la
réglementation nationale. De même la vigilance reste de mise.
2-4-5- La poursuite d’une vigilance particulière
La vigilance active renforcée consiste à développer une information suffisante sur les clients et leurs
transactions. Les banques, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent doivent porter une
attention particulière à la recherche et au suivi de la justification économique des transactions. La
routine du contrôle et du suivi quotidien des opérations ne doit pas être la source de la baisse de cette
vigilance. Dans le tableau suivant, environ 28% des répondants trouvent que la routine peut affecter
l’efficacité dans le cadre de la lutte anti-blanchiment :
Tableau n˚10
La routine des demandes d’identification peut être une source de négligence ou d’inefficacité de
contrôle
Fréquence Pourcentage
- d’accord 15 27.8
- sans avis 1 1.8
- pas d'accord 23 42.6
- totalement en désaccord 15 27.8
Total 54 100

Cette inefficacité peut résulter aussi de la difficulté de connaître exactement le client par les moyens de
contrôle routiniers. Pour cette raison, les banques libanaises augmentent le niveau de la vigilance en
avisant les autorités compétentes de tout soupçon. Le tableau suivant montre le nombre de déclarations
de soupçon adressées par les banques libanaises en 2006:
Tableau n˚11
Nombre de déclarations de soupçon émises en 2006
Fréquence Pourcentage
Aucune 18 33.3
1 2 3.7
2 4 7.4
3 1 1.8
4 3 5.6
9 3 5.6
Pas de réponse 21 38.9
Très rarement 2 3.7
Total 54 100

En effet, la commission spéciale d’investigation a reçu, en 2006, 154 déclarations de soupçon


provenant des sources nationales et internationales (Rapport de la commission spéciale d’investigation
sur le blanchiment d’argent en 2006). Elle a transféré 70 cas au procureur de la république.
L’utilisation de montages sophistiqués par les blanchisseurs minimise le pouvoir de détection. Le
résultat de notre enquête apparaît comme suit :
Tableau n˚12
Les montages complexes de blanchiment rendent leur détection impossible
Fréquence Pourcentage
- totalement d’accord 7 13
- d’accord 34 63
- sans avis 2 3.7
- pas d'accord 11 20.3
Total 54 100
En effet, ces montages complexes permettent de garder secrète l’identité du véritable criminel. La
surveillance des opérations par les banques doit permettre la détection des opérations illicites. Les
transactions inhabituelles sont suspectées d’office. Elles doivent faire l’objet d’une attention
particulière.
Cette situation corrobore l’idée de Martin et Taylor (2004). Ces derniers estiment que les
réglementations en matière de lutte anti-blanchiment n’assurent aucune garantie de l’arrêt de cette
activité. Les blanchisseurs s’orientent parfois vers l’utilisation de fausses factures, la falsification des
identités et l’utilisation de fausses adresses, ce qui complique la lutte (Martin et Taylor, 2004), et
nécessite la mise en place des moyens substantiels.
2-4-6- Les moyens mis en place
Les banques libanaises sont conscientes que l’amélioration de la performance interne suppose la mise
en place d’un « business continuty plans » (Johnston and Nedelescu, 2006). Ce programme constitue
une charte déontologique des pratiques financières basées sur des procédures réglementaires anti-
blanchiment cherchant à détecter toute opération suspecte. Son application développe une pratique
managériale basée sur la formation continue du personnel, le suivi rapproché de leur environnement
social et la connaissance des clients ; éléments inhérents à la politique de gestion (Pratt, 2004). La
connaissance du client commence par l’évaluation de sa vulnérabilité par rapport au risque du
blanchiment d’argent (Schneider, 2006). Elle suppose l’analyse de l’éventuelle exposition du client au
recyclage d’argent et mesure le risque des relations permettant d’accomplir les « compliance
programs ».
En effet, chaque banque analyse l’ensemble des dépôts en espèces pendant une période déterminée, et
souvent chaque jour afin de dépister l’existence du fractionnement. Elle applique une forme de
groupage et de consolidation des comptes clients (« grouping » - Fransabank, Bank Med) à l’aide d’un
système informatique capable de synthétiser les versements répétitifs au seuil imposé pour déclencher
la déclaration de soupçon (Banque Libanaise pour le Commerce). En effet, ce système permet de
détecter les anomalies, ainsi que l’échelonnement des dépôts pour une même personne, imposant ainsi
la déclaration des sources de fonds à travers l’avis de transaction en espèces (Cash Transaction Slip,
CTS - Credit Bank). Notre enquête a montré que 92,6% des répondants (50 banques sur 54) sont dotées
d’un système informatique capable de cumuler les transactions effectuées par une personne physique
ou morale ou par des membres de leurs familles (First National Bank). Ces investissements
informatiques correspondent au résultat de la recherche de Gill and Taylor (2003), qui ont rapporté que
80% des banques anglaises qui emploient plus de 1000 salariés ont investi dans des systèmes
informatiques de lutte anti-blanchiment. Mais quel que soit le système utilisé il n’est en mesure de
prédire tous les montages et les nouvelles techniques à réaliser par les blanchisseurs. Les analystes
n’arrivent pas à cerner l’ensemble du phénomène (Canhoto and Blackhouse, 2007). Ainsi, l’utilisation
de l’informatique dans la lutte anti-blanchiment vise à établir des profils des comptes des clients (Dibb,
2001) et avoir une meilleure performance que l’intervention humaine (Canhoto and Backhouse, 2007 ;
Watkins and al., 2003). Les techniques de l’intelligence artificielle et du système expert utilisés
facilitent la recherche des transactions douteuses à travers les bases de données et le renforcement des
moyens de contrôle (Watkins and al., 2003 ; Gill and Taylor, 2003).
De plus, le directeur d’agence de la banque est supposé visiter son client d’une façon continue afin
d’évaluer son activité commerciale d’une façon précise (Banca di Roma).
Chaque client a le droit de déposer une somme fixée en fonction de son activité ; dépassant ce montant,
il est contraint de signer un avis de transaction en espèces (CTS).
D’un autre coté, la banque analyse régulièrement l’environnement de chaque employé (First National
Bank, Société Générale de Banque au Liban). Elle vérifie tout changement subit de son niveau de vie
(City Bank). Elle contrôle systématiquement les comptes des employés et vérifie la disproportion des
mouvements avec les revenus (Fransabank, BNPI).
Une des banques recensées pratique la politique de dénonciation ou « Speak up policy » (Standard
Chartered Bank). Cette stratégie de conformité éthique standard (Pesqueux et Biefnot, 2002) consiste à
motiver les employés à dénoncer leurs collègues soupçonnés de blanchiment d’argent. Cette banque de
culture anglo-saxonne profite du « whistle blowing » américain où la dénonciation est perçue
positivement. Cette orientation est incompatible avec la pensée de Jean François Claude (2001) qui
estime que le management par les valeurs améliore les relations entre les collègues.
D’autres banques pratiquent une politique de double contrôle visant à détecter toute anomalie (Jordan
National Bank). De plus, les employés sont contraints de prendre leurs congés, et ils seront remplacés
occasionnellement pendant leur absence (Credit Bank, Banca di Roma). Cette tactique vise à déceler
les agissements des employés.
Par ailleurs, les banques insistent sur l’identification des employés (Know Your Employee – KYE -
BNPI, Habib Bank, BBAC, Byblos Bank). Elles misent sur la qualité du recrutement et le contrôle
permanent de la bonne application de la charte éthique et déontologique interne (Société Générale de
Banque au Liban, Lebanon and Kuwait Bank).
La forte synchronisation au niveau de la coopération, dans la lutte contre l’argent sale, établie entre les
autorités monétaires libanaises (Banque du Liban, Commission de Contrôle des Banques etc…) et les
banques, à l’image du marché américain, tend à contrecarrer les crimes financiers à travers les mesures
préventives prises. Cette coordination a aidé les banques libanaises à transcender les difficultés liées au
contexte politique pour lutter contre le blanchiment d’argent. Les banques libanaises se sont appuyées
sur la qualité du management basée sur l’éthique en entreprise et inter banques pour faire face au
recyclage de l’argent sale.
L’ingénierie financière criminelle arrive parfois à transgresser le dispositif anti-blanchiment, ce qui
justifie la lutte acharnée.
2-5- La justification de la lutte anti-blanchiment
Notre étude empirique cherche à capter l’impact de l’efficacité de la lutte contre le blanchiment
d’argent par les banques libanaises.
Par ailleurs, l’utilisation du test de « Kendall tau b » a pour but d’étudier la qualité des relations
existantes entre les variables. Le signe de « tau » indique l’orientation de la relation.
L’association entre les variables prises deux à deux nous permet de mesurer leur dépendance ou
indépendance. Les banques libanaises appliquent-elles les mêmes procédures de lutte ?
Mais cette corrélation entre deux questions une à une en vue d’évaluer la performance de la lutte anti-
blanchiment ne veut pas dire qu’il existe une relation de cause à effet. La corrélation souligne le lien
entre le facteur et la performance. L’association du blanchiment avec les différentes variables testées
nous donne le résultat suivant des 54 banques qui ont répondu au questionnaire :
Tableau n˚13
L’analyse de la dépendance entre les questions posées à travers le test de Kendall tau b
Variables Signification Coefficient de
(2-tailed) Corrélation
1- La réglementation anti- - L’identification du client est 0.779 -0.37*
blanchiment est utile onéreuse
2- La réglementation anti- - Le coût de l’identification du 0.929 0.12*
blanchiment est utile client dépasse le risque du
blanchiment
3- Le coût de l’identification - L’identification du client est 0.108 0.20*
du client dépasse le risque du onéreuse
blanchiment
4- Le coût de l’identification - La procédure recommandée 0.108 -0.195*
du client dépasse le risque du d’identification du client fait
blanchiment courir le risque de le perdre
5- L’identification du client - La procédure recommandée 0.001 41,3**
est onéreuse d’identification du client fait
courir le risque de le perdre
6- L’identification du client - Le GAFI doit simplifier ses 0,529 0.078*
est onéreuse normes pour avoir plus de
flexibilité
* Absence de relations entres les variables
** Relation positive
L’application de ce test mono paramétrique de Kendall, qui réduit l’impact des études externes, nous
montre que la majorité des banques estiment que les réglementations anti-blanchiment sont utiles pour
la lutte contre le recyclage de l’argent sale. Elles pensent également que l’identification des clients
n’est pas onéreuse. Le coût est minime par rapport au risque de retrait de la licence d’exercice. La
Banque Al Madina et sa sœur United Bank ont été sanctionnées par la suspension définitive de leur
autorisation d’exercice à la suite de mauvaises conduites financières. Le Liban, contrairement au
Panama qui se contente d’un paiement d’une amende par la banque blanchisseuse (Warf, 2002),
applique une réglementation coercitive.
L’obligation imposée aux banques d’identifier et de connaître le client neutralise le risque de sa perte.
En effet, le client est contraint de respecter la même procédure d’identification dans n’importe quelle
banque. De plus la corrélation positive entre la cherté de l’identification du client et le risque de sa
perte est expliqué par la concentration des valeurs au niveau de la diagonale. Elle signifie que la
procédure d’identification du client ne fait pas courir le risque de le perdre. Elle n’est pas onéreuse vu
le risque élevé encouru par la banque en cas de non déclaration d’un client douteux. Ce résultat
s’explique par la petite superficie du Liban et la faiblesse du nombre des déclarations de soupçons (154
en 2006). Comparativement, la Grande Bretagne qui a recensé 213 000 déclarations en 2006 a prescrit
une application sévère des normes anti-blanchiment afin d’éviter les sanctions requises contre les
négligences (Davies, 2007). En effet, la négligence dans la recherche des informations responsabilise
les banques « Knowingly concerned » (Lomnicka, 2005).
Le management par les valeurs, adopté par les banques libanaises, doit être continuellement entretenu
dans un cadre de stratégie de conformité (Steinmann et Olbricht, 1996) capable d’évoluer avec la
conjoncture. Il nécessite la recherche des pratiques de références « Best practice » (Pesqueux et
Biefnot, 2002) grâce à une coopération interbancaire. De plus, il suppose une évaluation continue des
moyens mis en place (Claude, 2001) afin d’être capable de mesurer leur influence.
Par ailleurs, la robustesse du système bancaire libanais compense l’inefficacité et l’ignorance de l’Etat
(Budima, 2006). L’ingénierie criminelle a été contrecarrée par des moyens sophistiqués de lutte
(Budima, 2006). Les banques libanaises souvent riches et organisées n’ont pas lésiné sur les moyens
nécessaires. Elles ont même été capables de retracer les origines des transferts reçus contrairement au
propos de Budima (2006), qui pense que les pays en développement ne sont pas en mesure de retracer
les investissements étrangers. Elles bloquent tous les comptes et transferts non justifiés par des
informations suffisantes sur les origines de l’argent. La globalisation n’est pas un handicap de lutte bien
qu’elle ait ouvert le chemin à des transactions illégales (Hetzer, 2003 ; Drezner, 2005).
En effet, ces principales observations dégagées de notre enquête confirment le rôle positif, voire la
robustesse de la tendance des banques libanaises dans la lutte anti-blanchiment.
Conclusion
Confrontées à un environnement turbulent, les banques libanaises tentent de lutter contre le
blanchiment d’argent en concevant de nouvelles techniques et sans lésiner sur les moyens.
Notre enquête a montré une forte homogénéité dans la structure et dans les objectifs de lutte anti-
blanchiment. Les hypothèses formulées dans le cadre de cette étude ont été validées. Les banques
libanaises appliquent scrupuleusement les réglementations nationales et internationales et coopèrent
avec toutes les instances en vue de lutter contre ce fléau. Elles ont mis en place des structures
hiérarchiques et ont développé les moyens de lutte, abstraction faite du coût supporté, considéré comme
faible par rapport à la pénalité encourue en cas de blanchiment. Elles ont orienté leurs salariés vers une
éthique de travail compatible avec les perspectives éthiques de la firme (Pesqueux et Biefnot, 2002).
De plus, les banques libanaises ont mis en place un code d’éthique semblable à celui de la « Blue
Ribbon Commission on Defense Management »7 visant :
- le respect de la charte de lutte anti-blanchiment,
- la dénonciation des opérations douteuses à la commission spéciale d’investigation sur le
blanchiment d’argent,
- l’information et la formation du personnel de la banque sur les techniques de blanchiment et les
mesures anti-recyclage.

7
Commission Crée par le président Reagan aux Etats-Unis afin de lutter contre la fraude dans les industries de la défense
américaine.
Le nombre des déclarations de soupçon qui s’est élevé en 2006 à 154 cas explique l’attachement des
banques libanaises au respect des normes anti-blanchiment. Le secret bancaire ne constitue pas une
entrave à une telle lutte.
Les facteurs explicatifs de la lutte contre le recyclage d’argent et l’influence de ce dernier sur la vie des
entreprises et banques libanaises sont conformes aux enseignements internationaux, nonobstant les
caractéristiques propres aux banques libanaises : le respect du secret bancaire, l’ouverture de comptes
numérotés, la forte utilisation de l’argent en espèces et la « dollarisation » de l’économie ; 76% environ
des dépôts sont en devises.
En effet, quelle que soit l’origine de l’argent sale, la sauvegarde de la bonne réputation des banques
libanaises a nécessité le renforcement de la répression à travers l’identification des clients, la hausse de
la vigilance et le contrôle de l’environnement du client et des employés.
Le respect des réglementations édictées par les pouvoirs publics et les organismes internationaux a été
appréhendé sous l’angle d’une politique volontariste visant à éradiquer les opérations nuisibles. Notre
travail a montré que l’orientation des banques libanaises s’attache à une forte lutte, compte tenu des
menaces pesant sur leur pérennité en cas d’une négligence quelconque ou de complicité en matière de
blanchiment.
Cependant, le secret bancaire au Liban complique la tâche du chercheur ; l’obtention d’informations
chiffrées constitue une contrainte importante. De même, quelques banques (9 sur 63) n’ont pas voulu
coopérer à la réalisation de cette étude. Pourtant, cela n’a pas affecté la qualité de notre résultat et les
informations récoltées semblent satisfaisantes. Néanmoins la rareté des études empiriques dans le cadre
libanais a été un obstacle à la comparaison des résultats.
De plus, nous ne prétendons pas avoir analysé toutes les facettes du blanchiment d’argent et de la lutte
conséquente au Liban. Des extensions ultérieures sont nécessaires sur les techniques utilisées, l’impact
sur la rentabilité bancaire, l’infiltration du tissu économique et les conséquences sur la balance des
paiements, etc…
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