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2.

L’Esprit Saint comme actualisation en nous de la Parole révélée

16« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter
maintenant. Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous conduira dans la
vérité tout entière » (Jn 16,12). La parole de saint Jean attire notre attention
sur un des aspects caractéristiques du rôle que joue l’Esprit Saint dans
l’événement de la Révélation. Il ne « double » pas la Révélation du Christ, mais il
l’actualise en nous. Nous envisagerons successivement : 1. le fait de l’Esprit
Saint comme révélation du Fils en nous ; 2. le mode de cette révélation, en tant
qu’elle est médiatisée par l’activité libre de l’homme ; 3. son résultat, enfin,
qui est notre continuel engendrement comme fils par le Père dans le Christ Jésus.
(1) Le fait : l’Esprit actualise en nous la Révélation du Fils

17L’œuvre de l’Esprit n’est pas d’ajouter de nouvelles paroles à celles déjà


prononcées par le Christ et transmises par les Apôtres ; elle est de nous «
introduire dans la vérité tout entière » de ces paroles (cf. Jn 16,12).

4 Contre Celse, VI, 3 : SC. 147, p. 187.

18Comparant les écrits de Platon avec le texte de l’Ecriture, Origène note la


différence. Le style élégant et raffiné de Platon en réserve la lecture à ceux qui
jouissent d’une culture appropriée. Jésus et ses apôtres usent, quant à eux, d’un
langage accessible au grand nombre. Mais ce langage constitue « une démonstration
d’Esprit et de puissance» (cf. 1 Co 2,4-5). En effet, commente Origène, « le divin
Logos déclare que prononcer un mot, fût-il en lui-même vrai et très digne de foi,
n’est pas suffisant pour toucher l’âme humaine sans une puissance donnée par Dieu à
celui qui parle et une grâce qui rayonne dans ses paroles, véritable don de Dieu
accordé à ceux dont la parole est efficace »4. Origène revient souvent sur ce
thème. On peut lire, par exemple, dans son Commentaire de l’Epître aux Romains, la
remarque suivante :

5 Commentaire sur l’Epître aux Romains, VI, 13 : Patrologie Grecque de


MIGNE (= PG.) 14, 1101 AB.

« Et toi-même, si tu prêches la Parole de Dieu, et si tu la prêches avec foi, à


partir d’une conscience pure, et si tu ne te contredis pas toi-même dans tes
paroles parce que tu enseignes d’une façon et que tu vis d’une autre, il peut
t’arriver que, pendant que tu parles, l’Esprit enflamme le coeur de tes auditeurs
et qu’aussitôt ils brûlent d’accomplir tout ce que tu enseignes, et qu’ils mettent
en pratique dans les faits ce qu’ils ont appris dans tes paroles, et qu’ils
cherchent les choses d’en haut ou le Christ siège à la droite du Père, et qu’ils
prennent goût aux choses d’en haut, non à celles de la terre »5.

6 Cf. I. de la POTTERIE, La vie selon l'Esprit (Unam Sanctam 55), pp. 110-123.
7 Lettres à Sérapion, I, 23 : SC. 15, p. 125 ; III, 3 : p. 166.
8 ibid.
9 Sur la prière, II, 6 : PG. 1 1, 424 A.
10 Lettres à Sérapion, 1, 20 : SC. 15, pp. 1 19-120.
11 Traité du Saint Esprit, IX, 23 : SC. 17, p. 148.
12 L’expression est du Père Paul HENRY, qui l’utilisait dans son cours sur la
Trinité à l’Institut Cat (...)

19L’Esprit n’intervient pas seulement du côté de celui qui parle ; il agit aussi, à
condition que l’homme s’y prête, du côté de celui qui écoute la Parole. Il y a
comme une double assistance de l’Esprit Saint, une double inspiration : du côté de
la parole dite et du côté de la parole reçue. C’est par une activité de l’Esprit
que le contenu spirituel de la parole nous devient intérieurement présent. De même
que, pour imprimer une image dans la cire, on lui applique un sceau porteur de
cette image, de même pour imprimer dans l’homme qui s’ouvre à la foi le contenu de
la parole de Vérité, la Bonne Nouvelle du Salut, Dieu « marque » l’homme comme d’un
sceau par l’Esprit Saint (Ep 1,13 ; cf. 2 Co 1,21-22)6. Athanase d’Alexandrie
insistera sur le fait que l’Esprit est un sceau qui a pour fonction d’imprimer en
l’homme non pas une image du sceau lui-même (ce qui n’aurait pas de sens), mais
l’image de celui dont il est le sceau, à savoir le Christ7. De même, lorsque nous
sommes oints de l’Esprit Saint, le parfum que dégage en nous la présence de cet
Esprit est le parfum même du Christ8. La comparaison qui est le plus souvent
employée pour évoquer le rôle de l’Esprit dans l’activité révélatrice de la Sainte
Trinité, est celle de la lumière. Origène présente le Père comme la lumière en son
jaillissement originel, le Fils comme le rayonnement de cette lumière, et l’Esprit
Saint comme son irruption en nous. Le Père respendit, le Fils enseigne, et l’Esprit
Saint « œuvre de sorte que l’homme conçoive et annonce comme il convient » ce qui
lui vient du Père9. Reprenant et transposant à peine une formule d’Athanase
d’Alexandrie10 qui se retrouve équivalemment chez Basile de Césarée11, on pourrait
dire que si le Père est le soleil, et le Fils, le rayon de lumière qui en émane,
l’Esprit Saint est comme « le point d’impact en nous » du trait lumineux pénétrant
en nous et y rendant présente la lumière12.

13 K. BARTH, Dogmatique, I, 1, 2, § 12 : p. 142.


14 ibid., p. 165.

20Cette manière de présenter l’Esprit Saint, courante dans la tradition


patristique, rejoint l’expression barthienne de l’Esprit Saint comme « côté
subjectif de l’événement de la Révélation »13. Barth insiste lui aussi sur le fait
que la révélation de l’Esprit ne fait pas nombre avec celle du f ils, mais en
constitue comme l'actualisation en nous. « Il n’y a pas de révélation particulière
et secondaire de l’Esprit à côté de celle du Fils ; il n’y a pas deux Fils ou deux
Paroles de Dieu. Mais, dans l’événement unique de la révélation, le Fils ou la
Parole représente le moment de l’appropriation de l’homme par Dieu, tandis que
l’Esprit représente le moment de l’appropriation de Dieu par l’homme... »14.

21Dieu approprié par l’homme, reçu et assimilé par l’homme en qui il devient
présent d’une manière humaine : affirmation séduisante, mais qu’il faut essayer
d’expliciter quelque peu.
(2) Le mode : une conjonction « sui generis » de l'activité de l’Esprit et de
l'activité de l’homme

22Ayant à préciser de quelle manière l’Esprit Saint actualise en nous la Parole de


Dieu objectivement proposée à nous en Jésus-Christ, nous revenons à l’affirmation
paulinienne dont nous sommes partis : « Nul ne peut dire ‘Jésus est Seigneur’ si ce
n’est par l’Esprit Saint » εἰ μὴ ἐν πνεύματι άγίῳ, Nous examinerons d’abord
l’expression ἐν πνεύματι άγίφ, par — ou dans — (l’) Esprit Saint, puis, à la fin de
cette première partie, le verbe dire, lu dans sa relation à l’Esprit.

23L’expression ἐν πνεύματι άγίῳ fait problème. Tout d’abord, l’article est omis ;
de ce fait, on peut se demander s’il est bien question de l’Esprit Saint lui-même
dans ce verset. Par ailleurs, le contexte pousse à donner à l’expression un sens
actif, et l’on s’attendrait à trouver l’expression διὰ τοῦ πνέυματος comme en 1 Co
2, 10. La Bible de Jérusalem et la traduction oecuménique de la Bible traduisent
d’ailleurs : « si ce n’est par l’Esprit Saint » ; or le texte porte la préposition
ἐν (dans), avec le datif. Traduite littéralement enfin, la formule « dans l’Esprit
Saint » présente certes l’avantage de représenter une forme courante dans le
Nouveau Testament, mais elle a l’inconvénient de suggérer une idée toute statique
de « présence dans un lieu » qui serait l’Esprit.

15 Cf. l’article Esprit du Dictionnaire Biblique G. KITTEL, dans la traduction


française parue chez La (...)

24Il faut sans hésiter écarter toute interprétation locative de la formule « dans
l’Esprit Saint ». Malgré certaines apparences, c’est en un sens très dynamique
qu’on doit la comprendre. Déjà l’emploi des mots rouah et πνεῦμα dans l’Ancien
Testament nous orientent dans ce sens15. L’usage du Nouveau Testament fait de même.
Il suffit de rapprocher Mt 12,28 de la formule littérairement plus primitive, mais
parallèle, de Lc 11,20 pour en avoir un indice :

25Mt 12,28 : εἰ δἐ ἐν πνεύματι Θεοῦ ἐγώ ἐκβάλλω τὰ δαιμόνια ;

26Luc 1 1,20 : εί δἐ έν δακτύλιο θεοῦ ἐκβάλλω τά δαιμόνια.

16 ibid., pp. 128-1.10 ; pp. 141-142 ; pp. 156-157.

27La formule ἐν πνεύματι Θεοῦ figure dans un contexte où est accomplie une action
qui dépasse les possibilités naturelles de l’homme pour exprimer une intervention
de Dieu lui-même. Elle a un sens actif, que l’on retrouve plus explicité dans
d’autres passages, par exemple en Lc 4,14, où il est dit que Jésus revient en
Galilée « dans la puissance de l’Esprit », ἐν δυνάμει τοῦ πνεύματος. Dire ou faire
quelque chose « dans l’Esprit » signifie agir sous l’impulsion de l’Esprit, en
recevant de lui une force qui nous donne d’accomplir ce que nous ne pourrions pas
réaliser par nous-mêmes (cf. Rm 15,13-19 ; 1 Co 2,4 ; 1 Th 1,5 ; Ac 1,8). Il faut
même dire que dans l’expression ἐν πνεύματι, c’est sur l’idée de l’Esprit comme
force de Dieu16 élevant l’homme au-dessus de ses possibilités naturelles que
l’accent est mis, la personne de l’Esprit n’étant prise en considération
qu’indirectement. L’absence de l’article pourrait en partie s’expliquer par là.

28Mais un second point mérite d’être aussitôt souligné : si l’Esprit se comporte à


notre égard d’une manière éminemment active, son intervention a ceci de particulier
qu'elle ne nous atteint, dans le contexte de la révélation et de la sanctification,
que par le biais de notre propre activité. Il est vrai que dans ce domaine toute
l’initiative revient à l’Esprit Saint et que la justification de l’homme et son
accession à la dignité de fils adoptif sont un pur don de Dieu nous accordant son
Esprit. Mais la vie « dans l’Esprit » exige notre engagement à la suite du Christ.
Elle suppose une « activité » de notre part, et c’est là précisément que se
manifeste une autre « activité », celle même de l’Esprit Saint. On peut dire qu’en
un sens l’intervention de l’Esprit, signifiée par l'expression « dans l’Esprit »,
s’identifie avec l’acte libre qu’elle suscite. Pour celui qui observe de
l’extérieur, il pourrait paraître que l’activité de l’Esprit en nous est limitée
par les actes libres que nous consentons à poser — ou que nous refusons
d’accomplir. En un sens, il en est bien ainsi. L’œuvre de l’Esprit consiste
justement à faire naître au coeur de notre liberté un mouvement de désir vers Dieu
et vers ce qu’il nous dit, un mouvement d’adhésion filiale à sa volonté. Mais
l’acte ainsi présenté à nous comme possible et digne d’être accompli reste un acte
libre. De ce fait, nous pouvons le négliger, résister au mouvement qui invite à «
être plus », et « contrister l’Esprit Saint » (Ep 4,30).

17 VI. LOSSKY, Essai sur la théologie mystique de l’Eglise d’Orient, Aubier


1954, pp. 153-192, en part (...)
18 Traite des Principes, I, 3, 5 : traduction Μ. ΗARI., G. DORIVAL et A. LE
BOULUEC, Etudes Augustinie (...)
19 Commentaire sur l’Evangile de Jean, §§ 249-250 : SC. 1 57, p. 3 1 9 ; § 220,
p. 299.

29Il y a donc un rapport entre l’Esprit Saint et la personne humaine comme centre
de liberté qu’il a pour mission de toucher d’une manière divine pour l’éveiller à
une vie divine vécue sous le mode filial, non dans la crainte, mais dans l’amour
(Ga 4,6-7 ; Rm 8,15-17). C’est là un point important que les Pères de l’Eglise ont
souligné à leur manière, et qu’un auteur comme Vladimir Lossky a tenté de
réintégrer dans sa théologie17. Origène de son côté estime que l’Esprit ne peut
être donné qu’aux êtres qu’il appelle logikoi, c’est-à-dire à ceux qui, ayant part
au Logos divin, sont susceptibles d’agir librement18. Il enseigne que l’Esprit
n’habite pas l’âme livrée au péché. Le péché, en effet, dans son expression
radicale, est un refus d’agir en fils. L’Esprit ne trouve pas dans le pécheur une
liberté suffisamment disponible pour pouvoir la mettre en mouvement, et, par ce
mouvement, se rendre présent en elle. Origène en conclut très logiquement que,
puisque tous les hommes sont marqués par le péché, l’Esprit n’a pu habiter d’une
manière stable dans les hommes avant la venue de l’homme Jésus. Mais ayant trouvé
en Jésus au Jourdain un lieu favorable, il a pu descendre en lui et y « demeurer
»19. Si l’on déborde la problématique d’Origène, on pourra envisager le cas de la
Vierge Marie et voir dans le « oui » prononcé par elle au jour de l’Annonciation
une illustration majeure de la façon dont intervient l’Esprit. Le cas de Jean-
Baptiste nous rappelle cependant que l’Esprit reste libre de ses mouvements, selon
une manière d’agir qui reste imprévisible (cf. Jn 3,8).

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