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Le Problème
Le Problème
16« J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas les porter
maintenant. Quand il viendra, lui, l'Esprit de vérité, il vous conduira dans la
vérité tout entière » (Jn 16,12). La parole de saint Jean attire notre attention
sur un des aspects caractéristiques du rôle que joue l’Esprit Saint dans
l’événement de la Révélation. Il ne « double » pas la Révélation du Christ, mais il
l’actualise en nous. Nous envisagerons successivement : 1. le fait de l’Esprit
Saint comme révélation du Fils en nous ; 2. le mode de cette révélation, en tant
qu’elle est médiatisée par l’activité libre de l’homme ; 3. son résultat, enfin,
qui est notre continuel engendrement comme fils par le Père dans le Christ Jésus.
(1) Le fait : l’Esprit actualise en nous la Révélation du Fils
6 Cf. I. de la POTTERIE, La vie selon l'Esprit (Unam Sanctam 55), pp. 110-123.
7 Lettres à Sérapion, I, 23 : SC. 15, p. 125 ; III, 3 : p. 166.
8 ibid.
9 Sur la prière, II, 6 : PG. 1 1, 424 A.
10 Lettres à Sérapion, 1, 20 : SC. 15, pp. 1 19-120.
11 Traité du Saint Esprit, IX, 23 : SC. 17, p. 148.
12 L’expression est du Père Paul HENRY, qui l’utilisait dans son cours sur la
Trinité à l’Institut Cat (...)
19L’Esprit n’intervient pas seulement du côté de celui qui parle ; il agit aussi, à
condition que l’homme s’y prête, du côté de celui qui écoute la Parole. Il y a
comme une double assistance de l’Esprit Saint, une double inspiration : du côté de
la parole dite et du côté de la parole reçue. C’est par une activité de l’Esprit
que le contenu spirituel de la parole nous devient intérieurement présent. De même
que, pour imprimer une image dans la cire, on lui applique un sceau porteur de
cette image, de même pour imprimer dans l’homme qui s’ouvre à la foi le contenu de
la parole de Vérité, la Bonne Nouvelle du Salut, Dieu « marque » l’homme comme d’un
sceau par l’Esprit Saint (Ep 1,13 ; cf. 2 Co 1,21-22)6. Athanase d’Alexandrie
insistera sur le fait que l’Esprit est un sceau qui a pour fonction d’imprimer en
l’homme non pas une image du sceau lui-même (ce qui n’aurait pas de sens), mais
l’image de celui dont il est le sceau, à savoir le Christ7. De même, lorsque nous
sommes oints de l’Esprit Saint, le parfum que dégage en nous la présence de cet
Esprit est le parfum même du Christ8. La comparaison qui est le plus souvent
employée pour évoquer le rôle de l’Esprit dans l’activité révélatrice de la Sainte
Trinité, est celle de la lumière. Origène présente le Père comme la lumière en son
jaillissement originel, le Fils comme le rayonnement de cette lumière, et l’Esprit
Saint comme son irruption en nous. Le Père respendit, le Fils enseigne, et l’Esprit
Saint « œuvre de sorte que l’homme conçoive et annonce comme il convient » ce qui
lui vient du Père9. Reprenant et transposant à peine une formule d’Athanase
d’Alexandrie10 qui se retrouve équivalemment chez Basile de Césarée11, on pourrait
dire que si le Père est le soleil, et le Fils, le rayon de lumière qui en émane,
l’Esprit Saint est comme « le point d’impact en nous » du trait lumineux pénétrant
en nous et y rendant présente la lumière12.
21Dieu approprié par l’homme, reçu et assimilé par l’homme en qui il devient
présent d’une manière humaine : affirmation séduisante, mais qu’il faut essayer
d’expliciter quelque peu.
(2) Le mode : une conjonction « sui generis » de l'activité de l’Esprit et de
l'activité de l’homme
23L’expression ἐν πνεύματι άγίῳ fait problème. Tout d’abord, l’article est omis ;
de ce fait, on peut se demander s’il est bien question de l’Esprit Saint lui-même
dans ce verset. Par ailleurs, le contexte pousse à donner à l’expression un sens
actif, et l’on s’attendrait à trouver l’expression διὰ τοῦ πνέυματος comme en 1 Co
2, 10. La Bible de Jérusalem et la traduction oecuménique de la Bible traduisent
d’ailleurs : « si ce n’est par l’Esprit Saint » ; or le texte porte la préposition
ἐν (dans), avec le datif. Traduite littéralement enfin, la formule « dans l’Esprit
Saint » présente certes l’avantage de représenter une forme courante dans le
Nouveau Testament, mais elle a l’inconvénient de suggérer une idée toute statique
de « présence dans un lieu » qui serait l’Esprit.
24Il faut sans hésiter écarter toute interprétation locative de la formule « dans
l’Esprit Saint ». Malgré certaines apparences, c’est en un sens très dynamique
qu’on doit la comprendre. Déjà l’emploi des mots rouah et πνεῦμα dans l’Ancien
Testament nous orientent dans ce sens15. L’usage du Nouveau Testament fait de même.
Il suffit de rapprocher Mt 12,28 de la formule littérairement plus primitive, mais
parallèle, de Lc 11,20 pour en avoir un indice :
27La formule ἐν πνεύματι Θεοῦ figure dans un contexte où est accomplie une action
qui dépasse les possibilités naturelles de l’homme pour exprimer une intervention
de Dieu lui-même. Elle a un sens actif, que l’on retrouve plus explicité dans
d’autres passages, par exemple en Lc 4,14, où il est dit que Jésus revient en
Galilée « dans la puissance de l’Esprit », ἐν δυνάμει τοῦ πνεύματος. Dire ou faire
quelque chose « dans l’Esprit » signifie agir sous l’impulsion de l’Esprit, en
recevant de lui une force qui nous donne d’accomplir ce que nous ne pourrions pas
réaliser par nous-mêmes (cf. Rm 15,13-19 ; 1 Co 2,4 ; 1 Th 1,5 ; Ac 1,8). Il faut
même dire que dans l’expression ἐν πνεύματι, c’est sur l’idée de l’Esprit comme
force de Dieu16 élevant l’homme au-dessus de ses possibilités naturelles que
l’accent est mis, la personne de l’Esprit n’étant prise en considération
qu’indirectement. L’absence de l’article pourrait en partie s’expliquer par là.
29Il y a donc un rapport entre l’Esprit Saint et la personne humaine comme centre
de liberté qu’il a pour mission de toucher d’une manière divine pour l’éveiller à
une vie divine vécue sous le mode filial, non dans la crainte, mais dans l’amour
(Ga 4,6-7 ; Rm 8,15-17). C’est là un point important que les Pères de l’Eglise ont
souligné à leur manière, et qu’un auteur comme Vladimir Lossky a tenté de
réintégrer dans sa théologie17. Origène de son côté estime que l’Esprit ne peut
être donné qu’aux êtres qu’il appelle logikoi, c’est-à-dire à ceux qui, ayant part
au Logos divin, sont susceptibles d’agir librement18. Il enseigne que l’Esprit
n’habite pas l’âme livrée au péché. Le péché, en effet, dans son expression
radicale, est un refus d’agir en fils. L’Esprit ne trouve pas dans le pécheur une
liberté suffisamment disponible pour pouvoir la mettre en mouvement, et, par ce
mouvement, se rendre présent en elle. Origène en conclut très logiquement que,
puisque tous les hommes sont marqués par le péché, l’Esprit n’a pu habiter d’une
manière stable dans les hommes avant la venue de l’homme Jésus. Mais ayant trouvé
en Jésus au Jourdain un lieu favorable, il a pu descendre en lui et y « demeurer
»19. Si l’on déborde la problématique d’Origène, on pourra envisager le cas de la
Vierge Marie et voir dans le « oui » prononcé par elle au jour de l’Annonciation
une illustration majeure de la façon dont intervient l’Esprit. Le cas de Jean-
Baptiste nous rappelle cependant que l’Esprit reste libre de ses mouvements, selon
une manière d’agir qui reste imprévisible (cf. Jn 3,8).