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L e s r e t o u r s d ’ e x p é r i e n c e

Les leçons des contrats de concession


en Côte d’Ivoire
Une analyse portant sur 25 ans prise publique : EECI. La ville statut assez privilégié. La société ivoiri-
d’Abidjan, quant à elle, lança en 1959 sera son personnel de manière assez
d’histoire du secteur de l’eau et un appel d’offre international (en fait, substantielle, ce qui est aussi très
entre entreprises françaises) et retint la apprécié par le milieu politique local.
de l’électricité en Côte d’Ivoire SAUR. La SAUR en Côte d’Ivoire La société, à partir de cette période, prit
permet de montrer les avantages devient, en 1960, la SODECI (Société en exploitation de nouvelles villes.
de distribution de l’eau de Côte
et les inconvénients des d’Ivoire), société de droit ivoirien au
Un contrat d’affermage
capital de 40 millions de CFA.
différents types de contrat La situation était originale : une entre- national de 1973 à 1987
passés entre l’Etat et des acteurs prise publique gérant les réseaux des
villes de l’intérieur et une entreprise En 1973, le gouvernement, voulant rat-
privés, ainsi que les stratégies privée gérant le réseau de la capitale traper son retard en matière d’équipe-
économique, Abidjan. Ce dernier ments en eau, lance le Programme
esquissées par les divers réseau était cependant très modeste : national de l’hydraulique. L’eau reçoit
3 947 abonnés. SODECI et EECI alors la priorité par rapport à l’électrici-
partenaires, afin d’atteindre un n’étaient pas en concurrence directe, té et aux infrastructures routières. Ce
optimum économique et social. car chacune avait son territoire d’activi- programme national prévoit un déve-
té. loppement rapide des réseaux sur tout
Dès la signature de son contrat, la le territoire. Pour cela, il met en place
par Jean-Claude Lavigne SODECI essaya de développer le réseau une politique sociale de subventionne-
CNRS abidjanais en étendant les canalisa- ment pour les connections aux réseaux
tions, en installant des compteurs et en et décide l’unification du tarif au
réduisant les fuites. Ce réseau s’étend niveau national.

L
a Côte d’Ivoire est un des pays avec l’augmentation considérable de la Le gouvernement décide ce plan en
d’Afrique les plus dynamiques au population de la ville d’Abidjan (qui même temps qu’il déclare que cette
point de vue économique ; on a passe de 180 000 habitants en 1960 à action ne devait pas entraîner de
même parlé à son propos d’un 640 000 en 1972) ; il atteint 30 000 dépenses budgétaires supplémentaires
« miracle ivoirien ». Il est intéressant abonnés en 1972. et que le secteur devait s’équilibrer
d’analyser sur une période assez Dans la mise en œuvre de son contrat, financièrement. Pour résoudre ce pro-
longue comment ce pays a essayé de la société ne finançait que les forages, blème, une nouvelle organisation du
résoudre ses problèmes d’eau et d’élec- par le biais d’emprunts garantis par la secteur fut mise en place avec trois
tricité grâce à un système évolutif de SAUR, ou par autofinancement, car les structures :
contrats de concession. autres investissements étaient faits par - le ministère de l’Economie et des
la ville d’Abidjan. Cette dernière avait Finances est chargé de mettre en place
une bonne réputation et pouvait facile- les financements ; un Fonds national de
Le secteur de l’eau : ment emprunter sur le marché interna- l’hydraulique est constitué pour
la desserte d’Abidjan tional ; elle utilisait aussi ses fonds recueillir une taxe intégrée dans le prix
avant 1973 provenant de surtaxes au tarif. de l’eau, pour contracter des emprunts
En 1967, la société décide de faire et financer le programme et le service
Jusqu’en 1956, la distribution de l’eau appel à des capitaux privés ivoiriens (1) de la dette ;
potable relevait des régies municipales. pour financer en partie une augmenta- - le ministère du Plan prend en charge
Les réseaux étaient très réduits et ne tion de capital. Cette opération fut un tous les équipements d’alimentation en
desservaient que les plus grandes succès qui illustre la bonne image de la eau ; il crée le Service autonome de
agglomérations du pays. En 1956, cer- société dans le milieu ivoirien et servi-
taines municipalités passèrent des ra dans les négociations avec le gou- (1) Deux autres opérations ouvriront le capital de la
société à des investisseurs ivoiriens en 1969 et
conventions de gérance avec une entre- vernement ivoirien pour lui donner un 1970.

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l’hydraulique humaine, qui élabore un par la DCH et le fermier du réseau. La qui facilite dans l’opinion publique le
plan ambitieux de développement et de DCH pousse au développement du déploiement du groupe Bouygues dans
rénovation du réseau ; ce service sera réseau et des capacités de production le secteur de l’énergie.
remplacé par la Direction centrale de de l’eau potable bien au-delà des La structure institutionnelle du secteur
l’hydraulique et le ministère de tutelle besoins réels. Ses prévisions sur la est simple.
deviendra celui des Travaux publics et croissance démographique et la Du côté de l’Etat, qui est le propriétaire
de l’Urbanisme en 1977 ; consommation non seulement s’avére- de tout le réseau, on trouve, d’une part,
- la SODECI est chargée de la gestion, ront fausses pour de nombreuses la Direction de l’Eau (qui relève du
de l’exploitation et de l’entretien des régions, mais épuiseront rapidement le ministère des Travaux publics) qui assu-
installations et de la distribution de FNH : les recettes ne pouvant plus faire re le suivi de la réglementation, contrô-
l’eau ; elle signe une convention d’affer- face au service de la dette. La politique le la qualité de l’eau et les services
mage le 24 juin 1974 avec le ministère tarifaire du gouvernement et, en parti- fournis par la SODECI ; elle négocie le
du Plan, pour les centres de l’intérieur, culier, le volet social (subventionne- prix au consommateur et approuve les
pour 15 ans, et reformule son contrat ment des connexions sociales), n’est travaux dont elle surveille l’exécution ;
pour Abidjan ; elle reprend les centres pas toujours compatible avec la renta- elle peut aussi soutenir des projets
gérés par l’EECI et intègre une partie du bilité de la société privée : le grand pilotes ; la Direction centrale des
personnel de cette société. nombre de petits consommateurs grands travaux assure le support tech-
Cette structuration du secteur va fonc- contribuent à augmenter les coûts. nique et le contrôle des grands chan-
tionner jusqu’en 1987. Elle manifeste La crise économique qui frappe la Côte tiers, par délégation de pouvoir de la
une volonté politique de privatiser l’ex- d’Ivoire à partir de 1981 mettra en évi- Direction de l’Eau et à son service.
ploitation du secteur et de dégager la dence ces difficultés. Le ralentissement D’autre part, le Fonds national de l’eau
responsabilité financière de l’Etat, mais de la consommation tant domestique (qui relève du ministère des Finances et
ce dernier ne veut pas perdre ses capa- qu’industrielle réduit considérablement est géré par la Caisse autonome
cités de contrôle et de surveillance. les ressources du FNH ; le réseau stag- d’amortissement de ce ministère) gère
Le choix de la SODECI manifeste la ne (voir le tableau ci-après sur l’évolu- la dette liée aux réseaux d’eau et d’as-
capacité de cette société à gérer et tion de la production et le nombre sainissement. Il collecte la taxe sur
développer le réseau : Abidjan avait d’abonnés). La Côte d’Ivoire est moins l’eau (par l’intermédiaire de la SODECI)
servi de démonstration. La société a, en crédible auprès des banquiers : les res- et la taxe sur le drainage (inclus dans
outre, une bonne image dans le milieu sources manquent, ce qui pénalisera les impôts fonciers).
politique ; elle est ivoirisée au niveau l’équipement des villes de l’intérieur. Quant à la SODECI, elle est le seul opé-
du personnel à plus de 50 % pour les La politique sociale s’avère coûteuse et rateur chargé du réseau d’eau ayant la
cadres, dès 1972, et le Directeur géné- une taxe de développement doit être pleine responsabilité de la production
ral sera ivoirien dès 1978. Son intro- ajoutée aux factures des consomma- et de la distribution de l’eau potable, de
duction à la bourse a permis d’ivoiriser teurs plus aisés la gestion du service, de la maintenan-
aussi le capital. ce des installations et des petits travaux
La SODECI est rémunérée pour son d’extension du réseau. Les travaux sont
activité de producteur-distributeur
L’évolution vers réalisés sur les crédits du Fonds de
d’eau potable, mais elle est aussi char- un contrat de concession développement après accord avec l’au-
gée de collecter pour l’Etat la part qui à partir de 1987 torité concédante.
sert à alimenter le Fonds national de Si les tarifs au consommateur sont fixés
l’hydraulique. La rémunération de la Prenant en compte les difficultés ren- par l’Etat (Direction de l’Eau), la rému-
société est calculée à partir de la comp- contrées dans la période précédente et nération de la société est définie par
tabilité de la société et des perfor- anticipant de quelques mois l’échéance contrat selon des procédures de révi-
mances techniques et économiques du contrat de la SODECI, le gouverne- sion quinquennale. Cette rémunération
requises pour faire face aux besoins ment ivoirien propose un nouveau suit un plan calcul où sont identifiés les
estimés par la DCH. C’est l’Etat qui fixe contrat à la société en 1987. Il s’agit différents coûts. Dans la renégociation
cependant, de manière unilatérale, le d’un contrat de type « concession » de 1987, qui fut particulièrement diffi-
prix au consommateur, utilisant cette (2), signé pour 20 ans pour tout le pays cile, la Direction des grands travaux a
responsabilité pour avoir une politique à l’exception des puits et forages villa- pris un rôle important brisant les rela-
sociale : gratuité pour les petits bran- geois (3). tions qui existaient entre la Direction
chements et tranche de consommation Le monopole de la SODECI est renfor- de l’Eau et la SODECI pour obtenir une
à prix bas… cé grâce aux bonnes performances réa- réduction de la rémunération de la
Si la structure tripartite fonctionne lisées par cette société et par la
assez bien pendant la période 1973- nécessité de développer l’autofinance-
1987, elle rencontre cependant des dif- ment du secteur. Ce développement de (2) Le terme est impropre, car les travaux neufs (y
ficultés. La première de celles-ci est la la société - qui se réalise sans mise en compris les branchements sociaux) sont réalisés à
partir d’un fonds de développement qui n’appar-
déconnexion entre les choix techniques concurrence - s’est accompagné d’une tient pas juridiquement à la SODECI, mais à l’Etat.
(dimension du réseau, systèmes…) faits réduction du tarif de l’eau en 1987, ce (3) qui relèvent de la Direction de l’Eau

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Evolution de la production d’eau et du nombre des abonnés Les défis rencontrés
Production Abonnés
Le dynamisme de la SODECI a été,
1975 43 M de m3 57 100 pour une large part, tributaire de la
1980 72 130 500 croissance très rapide de la ville
1985 92,5 170 000 d’Abidjan. Elle a bénéficié des grands
1990 99,58 M de m3 243 708 programmes immobiliers pour installer
son réseau de manière rationnelle,
1995 110,6 318 000
minimisant ainsi ses coûts… Par contre-
1997 124,2 370 323 coup, elle souffre du ralentissement du
secteur immobilier avec la crise écono-
mique. Elle réussit aussi moins bien
société (et facilitant, par là, une baisse Sur le plan technique, la SODECI conti- avec le développement assez récent
du prix au consommateur). nue dans la période à développer ses des zones d’habitat spontané (bidon-
La Direction centrale des grands tra- forages et ses stations. Les villes de l’in- villes) à Abidjan.
vaux, rattachée à la Présidence de la térieur continuent cependant à être Le problème de la précarité écono-
République, fait les analyses des coûts moins bien desservies. mique d’une importante couche de la
de la société pour donner des éléments La production d’eau potable a augmen- population urbaine est un obstacle réel
de discussion à la Direction de l’Eau té ainsi que le nombre des abonnés au développement du secteur de l’eau.
quant à la rémunération du concession- (voir le tableau ci-dessus), mais on est Même si l’Etat subventionne les bran-
naire et au prix du consommateur. Elle loin des forts taux de croissance de la chements, il faut payer l’eau, ce qui
intervient comme un tiers, technique et période précédente. De plus, les bran- reste cher pour beaucoup de sans-
qualifié, au service des intérêts de chements subventionnés progressent emplois réguliers. Il faut non seulement
l’Etat ; c’est une réponse au problème beaucoup plus que les non-subvention- payer l’eau - ce qui n’est pas évident
majeur : comment faire pour que les nés. Les chiffres continuent à montrer dans la mentalité de beaucoup d’ur-
relations de longue durée entre le une baisse de la consommation moyen- bains de fraîche date - mais la payer par
concédant et le concessionnaire ne ne par abonné : 338 m3 en 1992, 293 abonnement, régulièrement (avec un
conduisent pas à un laxisme ou à des en 1995, 279 en 1997. Ce problème est comportement d’épargnant pour payer
situations fort éloignées de l’optimum lié à la politique sociale, qui favorise à la fin de la période). Bien souvent, les
économique et social ? les petits branchements, et à la crise consommateurs se tournent vers les
Le développement de la crise écono- économique, qui n’est pas complète- vendeurs d’eau qui font payer tout de
mique pèse assez lourdement sur les ment terminée. suite, à la consommation : cela revient
consommations d’eau et les capacités La SODECI donne une grande impor- plus cher en vérité, mais n’est pas perçu
de paiement. La SODECI doit affronter tance à son image de marque. L’image de la même manière. La SODECI doit
ce problème. L’équilibre entre la renta- de modernité et d’efficacité portée par lutter contre ces revendeurs qui, cepen-
bilité de l’entreprise privée et la dimen- son président et par les principaux dant, rendent un service réel.
sion sociale que représente une desserte cadres est importante. Les méthodes La précarité économique se retrouve
en eau potable est fragile… Une des de management et la gestion assistée aussi dans les villes de l’intérieur et
solutions est de renforcer la péréquation par une informatique assez performan- dans les zones rurales qui restent moins
entre les consommateurs : faire payer te font aussi partie de la réputation de bien desservies qu’à Abidjan, car le
plus les grands consommateurs, afin la société sur la place d’Abidjan. La coût de desserte est élevé et la rentabi-
qu’ils subventionnent les tarifs des petits SODECI doit cependant multiplier ses lité du réseau très faible.
consommateurs. Cette solution, qui a actions de communication directe en La principale difficulté des services
été utilisée à partir de 1994, a des direction des usagers pour s’expliquer urbains des pays en voie de développe-
limites : solvabilité des grands consom- devant eux sur la question des tarifs et ment est bien le faible pouvoir d’achat
mateurs (et possibilité pour ceux-ci de des devoirs des consommateurs… de la population, qui freine l’expansion
négocier des avantages), résistance des Ceci est nécessaire, car les usagers ne des réseaux et, donc, contribue à des
couches moyennes… L’Etat ivoirien, lui- comprennent pas bien les responsabi- coûts élevés. L’Etat ne peut pas ne pas
même grand consommateur, paye mal lités des différents partenaires du sec- intervenir : tant pour des raisons
ses dettes. teur (rôle de l’Etat) ni, surtout, les sociales (et politiques) que pour la ren-
Un des mécanismes utilisés pour amé- variations de tarifs ou les contrôles tabilisation globale des réseaux, mais
liorer la structure financière du secteur a opérés par la société (contre les bran- cette intervention risque cependant de
été la diminution de la tranche sociale : chements illégaux) ou l’arrêt de la dis- compromettre la rentabilité de l’acteur
elle n’est plus que de 6 m3 en 1997 alors tribution d’eau en cas de
qu’elle était au début du système de non-paiement… Cette stratégie marke-
(4) Ils sont passés pour la tranche normale (entre 81
30m3. Ceci réduit la part des branche- ting est fondamentale, dans un systè- et 210 m3) de 307 CFA, en 1993, à 464 CFA, en
ments sociaux dans le compte d’exploi- me de monopole privé, pour garder un 1998 ; la tranche sociale est passée de 159 CFA, en
1994, à 184 CFA, en 1998, et elle ne concerne plus
tation. Les tarifs (4) ont aussi augmenté. dynamisme. que des consommations inférieures à 9m3.

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privé, car les consommateurs subven- d’économie mixte EECI (Energie élec- ture plus privée. Le PDG de la SODECI
tionnés ne consomment pas beaucoup trique de Côte d’Ivoire (6)), mais cette est aussi celui de la CIE.
d’eau et le coût de leur gestion est société n’arrivait pas, à la fin des années La CIE est rémunérée pour son activité
lourd. 80, à gérer son activité dans de bonnes à partir de ses coûts (avec un système
Une autre série de problème concerne conditions économiques et techniques. particulier pour les importations de
la dérive possible du personnel de l’en- Avec le déploiement de la crise qu’a fioul), vérifiés par la DCGTx, et d’une
treprise vers la fonctionnarisation : la connue la Côte d’Ivoire, l’EECI a eu de marge négociée. Les facturations à
SODECI essaie d’avoir une politique de plus en plus de diffi- Il n’est pas toujours facile de l’usager tiennent
lutte contre la « fonctionnarisation » en cultés. distinguer parmi les travaux ce compte de la
insistant sur la formation, la culture En 1990, suite à
qui relève du fermier rémunération de
managériale moderne… Il y a là un des mouvements
ou de l’autorité concédante la CIE, mais aussi
champ permanent de vigilance de la sociaux étudiants, de la nécessité
part de l’entreprise pour conserver sa le Président Houphouet Boigny décide pour l’Etat de rembourser les dettes du
productivité et son efficacité. Si elle de changer le système de fonctionne- secteur électrique, de financer le
doit être attentive à ce que le personnel ment du secteur électrique et de le faire renouvellement et l’extension du
ne prenne pas d’habitudes passives, fonctionner comme celui de l’eau ; il réseau et de rémunérer l’activité de
elle doit aussi faire attention à rester est poussé à cela par les bailleurs de l’EECI. Le secteur électrique doit être
indépendante des politiques (ce qui fonds et, en particulier, la Banque mon- indépendant par rapport au budget de
n’est possible qu’avec des dirigeants diale et la Caisse centrale de coopéra- l’Etat. La CIE collecte l’ensemble des
particulièrement déterminés et en tion économique. rémunérations et reverse au FNEE
même temps respectés par les autorités La SAUR (7) est contactée pour la ges- (Fonds national pour l’énergie élec-
politiques). tion du réseau, sans appel d’offre. Elle trique) la part qui revient à l’Etat pour
Les liens avec le pouvoir politique sont s’associe avec EDF pour créer la SISP faire face à ses responsabilités dans le
complexes. Ils sont nécessaires à la sur- (la société internationale de services secteur.
vie de l’entreprise, mais en même publics). Cette SISP détient à son tour La CIE a reçu d’EECI cinq barrages
temps, ils peuvent nuire à la fois à 51 % du capital d’une nouvelle société (avec une capacité installée de 600
celle-ci (trop d’influence) et à la fixa- de droit ivoirien : la CIE (Compagnie mégawatts), une station de production
tion des prix au détriment des consom- ivoirienne d’électricité). Le reste du thermique à Abidjan (350 MW) et un
mateurs. La longue relation entre les capital est fourni par l’Etat et sera pro- réseau (connecté avec celui du Ghana)
dirigeants de la société et les respon- gressivement rétrocédé à des investis- d’environ 23 000 km, mais de faible
sables de la Direction de l’Eau est, seurs ivoiriens. Le personnel possède qualité.
certes, nécessaire au bon fonctionne- 5 % du capital. L’EECI, la société de patrimoine, est
ment du secteur mais, en même temps, La CIE reçoit un contrat d’affermage - chargée des travaux de renouvellement,
elle peut conduire à un certain laxisme elle n’a pas la responsabilité des nou- mais il semble que cette société n’a pas
de la part de l’administration. veaux investissements - pour 15 ans (8), véritablement assumé, au départ du
Le développement de la SODECI, deve- alors que l’Etat - via l’EECI (9) - reste nouveau système, ses responsabilités, à
nue une société très dynamique en propriétaire du réseau et le responsable cause de ses difficultés financières,
Côte d’Ivoire, l’a conduite à diversifier du développement (10) de ce dernier. mais aussi pour des raisons institution-
ses activités. Elle intervient dans les tra- On a la même structure d’ensemble nelles liées à un conflit latent avec la
vaux, la distribution de l’eau, l’assainis- que pour l’eau. Cette nouvelle organi- CIE (l’EECI vivant mal d’avoir été
sement… Elle évolue vers un service sation a été mise en œuvre avec dépossédée de sa responsabilité de ges-
multiple (5) et devient ainsi une véri- quelques difficultés, d’autant plus que tionnaire du réseau). De plus, il n’est
table « puissance » sans concurrent, le pays passait par une période politi- pas toujours facile de distinguer parmi
avec les risques inhérents à cette situa- quement délicate. les travaux ce qui relève du fermier ou
tion. La CIE est responsable du fonctionne- de l’autorité concédante…
ment du réseau, de sa maintenance et La CIE a donc dû se substituer à cette
de sa réparation, du transport de l’éner- occasion à l’EECI et réaliser des travaux
Le secteur de l’électricité gie et du fonctionnement des unités de qui lui paraissait vitaux pour le fonc-
et les débuts de production. Cette société est aussi char-
la « privatisation » gée de la gestion économique du (5) Fin mars 1999, SODECI a signé avec le gouver-
nement un contrat d’affermage en matière d’assai-
réseau et des usagers. nissement et de drainage pour la ville d’Abidjan.
Le secteur de l’électricité et son histoire L’activité de la CIE a débuté très rapide- Une redevance d’assainissement sera perçue sur
les habitants.
ressemblent au secteur de l’eau, d’au- ment après la signature du contrat (6) Créée en 1952.
tant plus que ce sont les mêmes (novembre 1990), grâce à l’expérience (7) Filiale de Bouygues depuis 1984.
(8) Renouvelable deux fois, par tacite reconduc-
groupes économiques et les mêmes res- des cadres et des administrateurs de la tion, pour 3 ans. Le contrat viendra à échéance
ponsables qui gèrent les deux. SODECI, qui constituent le noyau des pour la première fois en 2005.
(9) Qui est sous la tutelle du ministère de l’Energie.
Le secteur électrique de la Côte d’Ivoire dirigeants de la société, et de cadres de (10) avec l’aide de la DCTx pour les grands chan-
relevait du monopole de l’entreprise l’ancienne EECI, motivés par une aven- tiers.

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tionnement normal du réseau ; une responsabilités en matière d’investisse- contribution rurale, taxe communale),
renégociation du contrat a donc eu lieu ment. Avec l’appui des bailleurs de une TVA et la facturation des Kwh
avec l’aide du ministre de l’Energie. La fonds, une nouvelle société est créée consommés selon deux tranches (13).
CIE a reçu une enveloppe financière pour la production électrique : CIPREL. Pendant cette période, la CIE a cherché
particulière pour réaliser des travaux Les capitaux de cette société sont déte- à améliorer le service rendu aux clients.
urgents ; l’EECI s’engageait, quant à nus par la SAUR (qui fournira aussi le Le nombre d’incidents a beaucoup
elle, à faire les travaux nécessaires, responsable), par Les effets positifs de la dévaluation diminué et le
mais moins urgents. la Caisse française sur l’économie ivoirienne allaient, temps des pannes
Cette première période de l’activité de de développe- malgré la hausse des tarifs, entraî- a été réduit…
la société s’effectue dans un climat éco- ment… Cette
ner une augmentation considérable Cette volonté
nomique assez morose. Malgré cela, le société installe d’être une entre-
de la consommation électrique
nombre de clients basse tension pro- trois turbines à gaz prise orientée vers
gresse et atteint 419 492, et celui des (11) à Vridi pour produire de l’électrici- la satisfaction du client se heurte toute-
clients de moyenne tension, 1888. La té qu’elle vend à la CIE. CIPREL a une fois à des difficultés, chaque hausse de
consommation unitaire tend cependant véritable concession, un contrat signé tarif induisant, en effet, des mouve-
à baisser en raison des difficultés éco- pour 20 ans. Dès 1995, CIPREL produit ments sociaux parfois considérables (ce
nomiques des ménages. de l’électricité : 12 % de l’énergie qui fut le cas en décembre 1998).
La CIE cherche à se développer, à l’ima- consommée. CIPREL a sous-traité la L’électricité semble être, en effet, un
ge de la SODECI, pour apparaître production de ses machines à CIE, qui secteur plus sensible que celui de l’eau.
comme une entreprise moderne et effi- a affecté une partie de son personnel à La CIE cherche à éviter que sa situation
cace. L’amélioration du service rendu cette société. de monopole ainsi que l’installation de
aux particuliers est une priorité de l’en- Une nouvelle usine est en cours de ses règles de fonctionnement dans un
treprise ; mais le réseau n’étant pas en construction à Azito (Yopougon), car la climat d’habitude ne détruisent son
bonne condition, cette amélioration demande excède l’offre. Elle a été dynamisme entrepreneurial. Elle
demandera un peu de temps. L’Etat, là construite à partir d’un véritable appel cherche à maintenir un état d’esprit
encore, est un mauvais payeur. d’offre international qui a été remporté privé et moderne en luttant contre les
Dans le contrat passé avec l’Etat, la CIE par IPS (fonds de l’Agha Khan) et ABB. risques de dérive du personnel, tenté de
devait reprendre le Azito introduit une revenir à une « attitude de fonctionnai-
La Côte d’Ivoire, qui avait
personnel de diversification poli- re ».
l’EECI et l’intégrer
auparavant importé de l’énergie des tique là où le
dans la nouvelle
pays voisins, commence à en m o n o p o l e
structure. Une
exporter dès 1995 : elle en vend Bouygues com- Les difficultés
telle tâche s’est
au Ghana, Bénin et Togo mençait à poser et les défis de la CIE
avérée très complexe car la culture d’en- problème (12). Cette usine relève de la
treprise des anciens de l’EECI était loin forme BOT (Build-Operate-Transfer). Les problèmes de l’électricité en Côte
d’être celle de la SODECI, que voulaient A partir de 1995, les ressources en d’Ivoire ressemblent pour une large
reproduire les cadres de la CIE. pétrole et gaz découvertes au large de part à ceux de l’eau, le transport de
la Côte d’Ivoire sont mobilisées. Le gaz l’électricité étant cependant plus diffici-
sera utilisé par les turbines de CIPREL. le.
Une phase La Côte d’Ivoire bénéficie en ce La CIE s’est trouvée confrontée à de très
de développement domaine d’un avantage considérable. sérieux problèmes pour ce qui concer-
à partir de 1994 Elle qui avait importé de l’énergie des ne l’éclairage urbain. Or les erreurs
pays voisins commence à en exporter commises dans ce secteur ont de
Après la dévaluation du FCFA, en 1994, dès 1995. Elle en vend au Ghana, lourdes conséquences politiques : les
une nouvelle négociation eu lieu entre Bénin et Togo. usagers sont sensibles au mauvais fonc-
la CIE et les autorités de tutelle. Cette Les abonnés continuent à croître grâce tionnement et l’opinion publique est
renégociation entraîna une augmenta- à une politique de promotion des abon- rapide à la critique. La société a surtout
tion du prix de l’électricité de 20 % nements subventionnés. On atteint souffert de vols de matériels, de vanda-
environ. Les effets positifs de la déva- 630 000 abonnés en septembre 1998 lismes… Une amélioration est sensible,
luation sur l’économie ivoirienne pour la basse tension. Cette politique mais il reste encore beaucoup à faire
allaient, malgré la hausse des tarifs, « sociale » conduit à augmenter la part
entraîner une augmentation considé- de la clientèle subventionnée qui repré-
rable de la consommation électrique. sente environ 75 % des abonnés, avec (11) Une nouvelle tranche permettra le fonctionne-
ment d’une quatrième turbine en 1997.
Les besoins devenant de plus en plus des conséquences sur le coût de ges- (12) Le groupe Bouygues est cependant toujours
très bien placé en Côte d’Ivoire : il a été choisi pour
importants, il fallait augmenter la capa- tion des abonnements. construire le troisième pont d’Abidjan, la rénova-
cité de production. La facturation aux usagers comprend tion de l’Hôtel Ivoire...
(13) Pour les consommations inférieures à 80 Kwh,
L’Etat ivoirien était en grande difficulté plusieurs taxes calculées par rapport à le prix est de 34,83 FCFA, et de 69,61 FCFA, pour
financière et ne pouvait plus assurer ses l’installation énergétique (prime fixe, les consommations supérieures à 80 Kwh.

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tant pour développer le civisme que EECI a été dissoute le 16 décembre qualité et stabilité des dirigeants, rela-
pour faire prendre conscience que le 1998 (14) et le personnel licencié, mal- tions établies avec l’Etat, souplesse des
service de l’électricité est un vrai pro- gré l’opposition syndicale. Trois socié- arrangements institutionnels et adapta-
duit qui a un coût et qui doit être payé tés publiques sont en cours de bilité de ceux-ci… Ce succès est aussi
par les bénéficiaires. création : SOPIE (société d’opération dû à l’ivoirisation progressive mais sys-
L’électricité, besoin de base, est un ser- ivoirienne d’électricité), SOGOPE tématique du personnel ainsi qu’à la
vice coûteux. Les populations sont très (société de gestion du patrimoine du politique de formation.
sensibles aux variations de prix dans ce secteur de l’électricité) et ANARE (auto- SODECI-CIE, qui opère sur un vaste
domaine. L’Etat doit subventionner les rité nationale de régulation du secteur secteur, a un véritable monopole per-
branchements et Il existe environ 7 000 localités de l’électricité). mettant des économies d’échelle et
veiller à ce que les sans électricité en Côte d’Ivoire : La SOPIE serait une plus grande capacité d’interven-
prix soient stabilisés un plan d’électrification rural exis- chargée de tion. Le groupe ne décide pas le prix
le plus bas possible. l’achat de final (au client) et n’a pas le pouvoir
te, mais les moyens manquent
Malgré tout, une l’énergie selon absolu - le client le croit cependant
connexion électrique revient cher à le meilleur prix entre des fournisseurs responsable - mais, par l’ancienneté
une famille pauvre, d’autant plus que la indépendants, mais devrait être aussi des liens établis avec les responsables
gestion économe et prudente de l’élec- transporteur, ce qui introduit une politiques, il joue un rôle important. Si
tricité domestique n’est pas habituelle. concurrence à terme avec la CIE. Ce ce quasi-monopole permet à la société
Ainsi, la fraude ou les détournements système se veut plus favorable à la bais- de réaliser son programme de dévelop-
électriques sont très fréquents. La CIE se des prix en introduisant de la com- pement, cette dernière court toutefois
passe beaucoup de temps à « discipli- pétition. La CIE est d’accord quant à la le risque de prendre les habitudes
ner » le secteur et à le mettre aux nécessité d’un organisme régulateur - d’une « société publique » et doit donc
normes d’une gestion rationnelle et ce que sera ANARE - mais avance l’ar- lutter contre cette tendance. Les
économique. gument de l’exiguïté du marché et des récents changements dans le secteur
Comme pour l’eau, il existe des reven- effets inflationnistes d’une structure de l’électricité introduisent des élé-
deurs d’électricité qui évitent aux nouvelle. Elle a cependant un contrat ments nouveaux qui auront des consé-
familles les plus pauvres d’avoir à payer de monopole jusqu’en 2005 et sera quences pour la CIE qui se trouvera, à
un branchement régulier. La CIE doit protégée jusque-là. terme, de nouveau dans une situation
lutter contre ces revendeurs qui fournis- Le secteur est donc en pleine évolution de concurrence.
sent, en fait, une électricité plus chère et illustre bien les difficultés d’un régime Il est difficile de fournir de l’eau et de
aux usagers, mais dans une logique et monopoliste - que celui-ci soit privé ou l’électricité pour des populations à
une modalité plus proche de la maniè- public - mais aussi celles de la place de faible pouvoir d’achat. Ces services res-
re de vivre des pauvres. l’Etat dans le contrôle du secteur privé tent chers pour la majorité des
Les zones rurales sont restées encore en en vue de favoriser le bien commun Ivoiriens, ce qui conduit à des attitudes
marge de l’électricité. Il existe environ social. EECI était plus souvent un oppo- de fraudes qui, à leur tour, renchéris-
7 000 localités sans électricité en Côte sant qu’un contrôleur de la CIE. 1999 sent les services…
d’Ivoire. Un plan
L’histoire de la desserte en eau et ouvre donc une Entre les objectifs sociaux et la nécessi-
d’électrification
en électricité de la Côte d’Ivoire nouvelle étape té de dégager des profits pour l’entre-
rural existe, mais
fait apparaître une véritable pour l’histoire, prise privée, un difficile équilibre est à
les moyens man-
« success story » industrielle : déjà très riche, de trouver, qui relève des options poli-
quent. L’électri- l’électricité en tiques du gouvernement… Ce point fait
celle du groupe SODECI-CIE
fication est un bon Côte d’Ivoire. l’objet d’une attention particulière de la
thème électoral, mais le problème de part des dirigeants politiques ivoiriens,
son financement est rarement abordé et d’autant plus que les populations sont
les réalisations sont souvent en deçà
Une « success story » très sensibles aux variations de tarifs et
des promesses. industrielle à la satisfaction de leurs besoins : il y a
En 1996, le nouveau ministre de des zones limites qui ne peuvent être
l’Energie, trouvant que la CIE, société
monopoliste, occupait une trop grande
L’histoire de la desserte en eau et en
électricité de la Côte d’Ivoire fait appa-
négligées. •
place dans l’économie ivoirienne, a fait raître une véritable « success story »
faire un audit du secteur, visant à favo- industrielle : celle du groupe SODECI- (14) La mission conduite pour ce travail de
riser la concurrence entre les acteurs. CIE et de son équipe dirigeante. Ce suc- recherche s’est déroulée au début de décembre.
Les changements radicaux ne semblaient pas
Cet audit a été suivi d’effets, puisque cès est dû à de très nombreux facteurs : devoir se produire dans le court terme.

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