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Préface

Depuis de trop longues années déjà, le Mali traverse une profonde crise
multidimensionnelle qu’un environnement régional et international plein
d’incertitudes amplifie et rend plus complexe. Submergés par les multiples
contraintes quotidiennes qui les assaillent de toutes parts, peu de nos
compatriotes ont le temps de prendre du recul et de mener une réflexion
informée sur le présent a fortiori l’avenir à court, moyen et long termes du Mali,
de l’Afrique, voire du monde entier.
Avec cet ouvrage, Moussa Mara représente une des rares exceptions
d’autant plus remarquable que l’auteur, expert-comptable de profession mais
ayant gravi les hauts échelons de l’Etat, formule des propositions assez
concrètes et propose des pistes sinon de solutions, du moins de réflexion à
approfondir sur beaucoup de volets de la crise multidimensionnelle dans laquelle
le Mali s’est englué. Loin d’asséner des vérités absolues, l’auteur propose à ses
lecteurs et à ses lectrices du Mali et d’ailleurs, un compendium des nombreux
articles qu’il s’est donné le temps de publier dans les presses malienne et
internationale de 2018 à 2022, nonobstant ses nombreuses activités
professionnelles ou politiques dans son pays et à travers le monde. Les thèmes
abordés portent sur des domaines aussi variés que l’économie, les finances
publiques, les coups d’Etat et les transitions politiques, la démocratie et/ou le
développement, la controverse sur le franc CFA et la quête de la monnaie
unique, le covid y compris les défis sanitaires et financiers que pose la
pandémie, les tensions et conflits intra- et intercommunautaires, l’agriculture, la
santé, la sécurité et la lutte contre le terrorisme, l’école, le changement
climatique, sans oublier le rôle pernicieux de l’argent dans les compétions
électorales, l’Accord d’Alger de mai 2015, l’intégration régionale en Afrique de
l’ouest, l’indépendance de la presse, le découpage territorial et ses risques
surtout lorsqu’il est conçu suivant des lignes ethniques, les rapports entre
l’Afrique et le reste du monde suivant la chute de l’ex-Union Soviétique, le
dialogue Afrique-Europe, la relation Chine-Afrique dans le nouvel ordre
mondial en gestation, la problématique des relations entre l’Etat et les religions,
notamment l’islam et la question de la laïcité, la considération due aux militaires
surtout quand ils tombent sur le champ de bataille, la problématique de l’emploi

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des jeunes, les dynamiques liées à l’économie du savoir et aux opportunités
qu’elle offre à l’Afrique dans un monde où l’auteur pense que la compétition
l’emportera sur la coopération et la solidarité entre nations et entre Etats, etc.
etc. etc.
Certes, un adage dit que "qui trop embrasse mal étreint ". De l’autre côté
de l’Atlantique, la boutade "Jack of all trades, master of none" est courante.
Fort heureusement, le Premier Ministre Moussa Mara ne peut légitimement être
la cible de telles remarques car le large éventail de thématiques qu’il aborde
découle tout simplement de la nature multidimensionnelle de la crise profonde
que traverse le Mali et de la nécessité d’une approche multidisciplinaire, voire
transdisciplinaire pour l’endiguer et la résoudre. En outre, le ton est loin d’être
didactique ou péremptoire, l’auteur cherchant probablement tout simplement à
susciter le débat sur les enjeux de la crise malienne et les voies et moyens d’en
sortir en prenant en compte ses dimensions régionales et internationales.
Ce vaste tour d’horizon des développements multisectoriels que le Mali et
son environnement régional et international connaissent, notamment depuis
2018, va certainement, comme il se doit, susciter beaucoup de réflexions, de
débats et certainement des controverses dans les milieux politiques,
économiques, sociaux, intellectuels, gouvernementaux, non-gouvernementaux
ou supra gouvernementaux. Mais il y a fort à parier que les deux thématiques
susceptibles de soulever le plus de polémique portent sur les relations entre
l’Etat et les religions d’une part, et l’Accord dit de paix et de réconciliation issu
du processus d’Alger d’autre part. En effet, l’attrait de l’auteur pour ce qui est
convenu d’appeler "l’islam politique" transparait plutôt clairement dans cet
ouvrage. D’aucuns reprocheront certainement au Premier Ministre Moussa Mara
le manque de distinction- pourtant fondamentale-entre les adeptes de l’islam
politique et les autres branches démographiquement majoritaires de la religion
dominante au Mali. Tout comme la relation religions-société n’est pas
interchangeable avec la relation entre l’Etat et la religion, du moins une branche
particulière relativement récente quoiqu’influente de l’islam. De même, l’auteur
semble pécher par excès d’angélisme vis-à-vis de l’Accord d’Alger à travers des
développements s’apparentant plutôt à une sorte de plaidoyer pro domo. Pour
l’auteur, ce qui fait problème ce n’est point l’Accord d’Alger lui-même en tant
que tel, mais le fait que, selon lui, le texte n’a pas été appliqué ou a été mal
appliqué parce que mal compris par les autorités chargées de le mettre en œuvre.
2
En outre, l’idée d’un redéploiement de l’Administration en privilégiant les
agents et cadres originaires des zones concernées, alors même que l’auteur attire
l’attention sur le danger d’un découpage territorial à base ethnique, pourrait être
perçue comme une menace contre l’unité nationale. Aussi, l’auteur tente-t-il la
quadrature du cercle en recommandant à la fois un Etat fortement décentralisé
s’appuyant sur des autorités locales élues, alors même qu’il insiste sur la
nécessité de mettre les chefferies traditionnelles et les leaders religieux au cœur
du même Etat.
Au total, cet ouvrage constitue un effort de réflexion et de propositions
fort louable de la part de Moussa Mara. Il faut espérer, voire souhaiter vivement,
que d’autres plumes, à l’intérieur comme à l’extérieur du Mali, se mettent en
branle. La moisson de réflexions et de propositions de solutions qui en sortira ne
sera que très bénéfique pour les citoyens en général, et particulièrement les
décideurs, les divers acteurs politiques, économiques, sociaux et du monde
universitaire et de la recherche sur les politiques publiques dans l’effort national,
régional et international de sortie de la crise qui secoue le Mali.

Soumana SAKO
Ancien Ministre des Finances et du Commerce
Ancien Premier Ministre
Chef du Gouvernement de Transition 1991-1992
de la République du Mali

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Introduction
Après l’épopée de 2015 - 2017, la saga de 2018 - 2022

La Période 2015 – 2017, objet de la première mouture du livre « Le Mali entre


vents et marées », fut une véritable épopée où les évènements se succédèrent à
un rythme effréné qui conduiront malheureusement à l’amenuisement puis la
disparition du grand espoir suscité par l’élection en 2013 du président IBK. La
période qui suivit jusqu’à la fin de l’année 2022, aura été encore plus
bouleversante. Nous vécûmes durant 5 ans les soubresauts de l’histoire du pays
et du monde, qui ébranlèrent de nombreuses certitudes. Une nouvelle ère s’est
ainsi ouverte pleine d’incertitudes.
Personne ne sait de quoi demain sera fait mais nous sommes tous surs qu’hier
fut compliqué, notamment au Mali !
C’est cette période passionnante bien que douloureuse à plusieurs titres pour
tous, que ce second volet de l’ouvrage « Le Mali entre vents et marées » vous
invite à vivre à travers une soixantaine d’articles publiés dans la presse nationale
et internationale.

2018 : Le doute et la réélection qui accroit les incertitudes


Et si la situation actuelle, rupture d’ordre constitutionnel consécutive à un coup
d’Etat, trouvait son origine dans la décision du Président KEITA de se
représenter pour un second mandat bien que le premier n’ait pas été un succès ?
Et s’il avait renoncé ?
On ne refera sans doute pas l’histoire mais cette année 2018 marque un point
particulier dans l’histoire socio politique récente du pays.
Les problèmes de sécurité, les questions du sahel versus celles du centre du pays
avec en toile de fond la nécessité de revoir les stratégies pour les adresser et
surtout pour internaliser la réponse au terrorisme et ainsi domestiquer notre
crise, sont abordées dans une série d’articles. Ces défis se posent toujours. La
crise est sahélienne et malienne, les réponses doivent l’être !

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Les atermoiements de l’Etat sur le découpage territorial et la poursuite de
certaines erreurs originelles sont pointés du doigt dans certains autres écrits. Il
convient de souligner que le processus continue encore en cette année 2023.
Il y a assurément des leçons à tirer du scrutin présidentiel, des insuffisances du
système électoral malien, non parfait mais non catastrophique, à corriger.
Parmi ces insuffisances, il y a le mal absolu que constitue le poids continu et
croissant de l’argent et la question non abordée de la gestion des candidats
sortants, notamment le Président de la République cherchant un nouveau
mandat, lors des processus électoraux. L’utilisation des moyens publics pour
faire campagne est ainsi mis en évidence pour mieux mettre en exergue la
nécessité de règlementer ces aspects.
Pendant cette année, certains articles traitent des questions de développement à
travers l’agriculture, l’éducation ou encore la santé. Comme pour faire écho à la
maxime qui voudrait que le développement soit priorisé par rapport à la
démocratie. On le verra plus tard, en 2020 ou 2021. Les Maliens ne sont pas si
attachés que cela à la démocratie.

2019 : La confirmation de la détérioration de la situation


C’est l’année charnière au Mali, vers les conflits intercommunautaires
notamment. L’une des années les plus sanglantes de notre histoire récente.
Quelques articles sont pourtant rédigés pour redonner espoir (tout n’est pas
perdu, IBK face à l’histoire, reformes électorales, dialogue national…). Très
vite, ces contributions se sont perdues dans les méandres des conseils ignorés,
voire moqués !
Pendant cette année horrible, quelques contributions publiées ont traité des
questions de fond. La guerre au Mali est une guerre contre nous même pour
mettre en évidence en quoi c’est l’effort collectif au-delà de nos égoïsmes
particuliers qui sauvera notre pays. Ou encore la crise au Mali est une crise de la
pensée pour faire ressortir la place centrale nécessaire de la réflexion, de la
pensée et de l’intelligence même face à la barberie ! surtout face à la barbarie !
La problématique de la laïcité à travers la place de la religion musulmane dans
notre pays, est abordé à travers une longue publication pour mettre en évidence
la complexité de la question et l’inanité de solution toute faite.
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Après la note d’espoir que constitue l’article sur la voie sans issue que constitue
le terrorisme, quelques prises de position sur des débats stratégiques sur le
FCFA, l’Eco ou la ZLECAF, l’intégration en Afrique de l’Ouest ou encore le
dévoiement du politique par l’argent (peut-on être politicien et honnête dans nos
pays ?) sont produites par différentes contributions publiées en 2019. Malgré la
diversité des domaines et des sujets, ces différents éléments porteront une partie
de nos destins et de ceux de nos enfants pendant les décennies à venir.

2020 : Et le Coronavirus COVID 19 renversa tout, y compris le régime


d’IBK ?
Et survint l’inattendu et se réalisa l’imprévu ! comme pour célébrer la puissance
du seigneur, notre impuissance se révéla au grand jour. Oui, le coronavirus
s’imposa dans nos agendas et trois articles lui furent consacrés : les aspects
sanitaires, les aspects sociaux et enfin les aspects économiques.
Le traitement de la gouvernance a été abordé dans une longue contribution à
travers un dictionnaire pour mettre en valeur les mots clés d’une gestion efficace
au nom du peuple.
La crise socio politique, les élections et le parlement qui en est issu ont été tour à
tour abordés. Après la chute du régime, un article sur les transitions en Afrique a
été publié pour indiquer la période particulière qu’allait ouvrir ces chapitres de
rupture constitutionnelle dans nos pays et à laquelle nos partenaires devaient
consacrer une attention spécifique. Il était d’ores et déjà clair qu’il ne fallait
surtout pas aborder ces évènements avec des grilles de lecture de la décennie
précédente, ce que les crises suivantes révélèrent.
La relecture de l’accord d’Alger, en indiquant les aspects à revoir, quelques
mois avant qu’on évoque la notion de « relecture intelligente », fait également
l’objet d’un article faisant le constat de difficultés d’application dont certaines
trouvent leur source dans la rédaction de l’accord.
Les soixante ans du Mali et les perspectives stratégiques du pays forment l’objet
d’une publication qui revient sur quelques défis majeurs que le pays doit pouvoir
adresser pour avoir voix au chapitre à l’orée de ses cent ans.
La politique et toujours elle est abordée dans un article intitulé « l’arroseur
arrosé », où sont stigmatisés les acteurs politiques qui, à force de jouer avec

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l’argent, se font doubler par les hommes d’affaires de plus en plus actifs sur le
terrain électoral. L’argent dans la politique n’a décidément pas fini d’occuper les
publications.
Enfin, un article revient sur le sacrifice des soldats qui, pourtant, restent
insuffisamment célébrés dans le pays. Plusieurs pistes sont données pour rendre
vivant l’engagement de ceux qui font le serment de défendre le pays au prix de
leur sang. Cet engagement doit être magnifié pour renforcer le sentiment
patriotique au sein de la population et surtout faire comprendre à chacun la
particularité de la période que nous vivons et nous inciter à toujours faire notre
part du travail au service de la collectivité.

2021 : L’espoir contrarié mais toujours vivace


La question du terrorisme à analyser de manière plus fine, ce qui nous impose
d’agir avec tact et intelligence face à ce mal et d’éviter les pièges de l’amalgame
et de l’éloignement du peuple, fait l’objet de certaines publications pendant cette
année.
Le Mali – la France et le Sahel, les relations tendues apparues entre les deux
pays, et qui finiront par presque se casser, sont traités dans un article qui fournit
quelques conseils utiles vers des relations plus efficaces.
La presse et sa professionnalisation nécessaire avec l’établissement de grands
groupes de presse indépendants et une forte présence de l’auto régulation par
les acteurs eux-mêmes, sont les différents aspects traités dans l’article consacré à
ce sujet d’une brulante actualité.
La diaspora et sa représentation idéale qui est recherchée encore de nos jours,
sont les sujets d’une publication de l’année 2021 durant laquelle il y a eu
quelques secousses au sein des organisations de Maliens vivant à l’extérieur.
Ces compatriotes, absolument indispensables au pays, doivent être mieux
organisés pour donner la pleine mesure de leurs talents au Mali.
Enfin, un article stratégique sur la fin de la domination occidentale sur le Monde
a été publié dans la presse internationale. Cet article est prémonitoire de ce qui
va se passer en 2022 et indique justement que si les occidentaux sont challengés
par de nouveaux acteurs comme la Chine, la Turquie ou la Russie, il n’en reste

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pas moins qu’ils demeurent encore dominants sur la scène internationale, ce que
2022 prouvera par la suite.

2022 : L’après COVID, les sanctions de la CEDEAO, la Guerre en Ukraine


mais le Malien toujours debout !!
Plusieurs articles prodiguant des conseils aux auteurs de Coup d’Etat sont
publiés pour mettre en évidence que ces évènements sont le produit des mauvais
comportements des leaders précédents, et que les mêmes causes produisant les
mêmes effets, le scénario est toujours susceptible de se reproduire.
La tentation de création et d’entretiens de milices ou d’armement de civils,
comme on le voit dans notre pays et ailleurs, ne produit généralement pas de
résultats positifs et durables. Cela est rappelé dans un article.
La guerre en Ukraine, le monde qui se fragmente, avec son lot de « chacun pour
soi », avec le risque d’autres confrontations, le grand besoin de multilatéralisme
et d’alliances stratégiques ou encore « pourquoi pas le couple euro africain ? »,
sont quelques sujets de géopolitique abordés dans différentes publications de
l’année finissante.
Le besoin de justice et l’impossibilité de la réconciliation sans la justice est
également rappelé pour mettre en garde ceux qui voudraient contourner ou
passer par-dessus la soif de justice de nos compatriotes.
Enfin la religion et la laïcité, un problème de fond qui risque de se poser en 2023
et dans le futur, sont abordés pour ajouter au tableau complexe que présente le
paysage socio-politique et sécuritaire du Mali en ces périodes particulièrement
incertaines.
Il est certain que 2022 n’aura pas été l’épilogue de cette histoire singulière.
Pas sûr que 2023 le soit non plus. Un long et difficile chemin reste à parcourir
probablement mais osons espérer que des lendemains meilleurs nous attendent.
Bonne lecture !

L’auteur

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Chapitre 1
2018 : Le doute et la réélection qui accroit les incertitudes

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L’agriculture africaine
La terre qui nourrit peut également unir !

Le pacte colonial, qui s’est traduit par la constitution de nos pays sous forme de
grands comptoirs commerciaux, reste encore décrié à juste titre. Cette volonté
du colonisateur nous a causé tant de torts et, soixante ans après les
indépendances, de nombreux pays africains restent toujours des exportateurs de
produits bruts et importateurs de produits élaborés. La majorité des pays sur le
continent importent les produits manufacturés, du matériel et équipements, et
l’essentiel des biens de consommation courante, notamment dans les villes. Cela
comprend aussi les produits alimentaires, ce qui est un comble pour des pays
disposant de réserves suffisantes en eaux, terres arables, soleil, …
Le pacte colonial s’est également illustré par l’introduction des cultures de
rentes (arachide, coton, cacao, hévéa, huile de palme, …) qui ont été intensifiées
au point de constituer les cultures phares, voire les seules sources de devises
pour nos pays, même si, ici ou là, quelques chainons de transformation sont
esquissés.
L’une des conséquences dommageables de ce qui précède est que ce pacte fait
de nos pays des concurrents. On exporte les mêmes produits et, jusque-là, on
s’empêche de penser ensemble et de développer entre nous des relations
commerciales et économiques. Le commerce inter africain constitue en moyenne
12% du volume des échanges (moins de 5% en Afrique centrale !).
La production agricole africaine est ainsi extravertie et de la mauvaise manière
car les chaines de valeur passent au-dessus de nos têtes. Nous nous situons aux
deux bouts des processus de création de la richesse mondiale, comme
producteurs de matières premières et comme consommateurs de produits finis.
Les deux bouts les moindre dont l’Afrique ne profite en somme.
Comme on le dit depuis plus de cinquante ans, Il faut inverser cette tendance
malheureuse si l’Afrique veut compter et donner des perspectives à sa
population de plus en plus jeune. En la matière, les pistes classiques évoquées
sont les mêmes. On parle d’industrialisation, de fournitures d’efforts pour
améliorer la compétitivité, d’accessibilité de l’énergie, d’infrastructures, etc. Ces

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assertions sont vraies et il faut essayer de les suivre. Mais elles ne sont pas les
seules voies vers le renouveau africain.
Parmi les pistes évoquées pour redonner au Continent quelques perspectives
économiques prometteuses, on mentionne moins d’autres opportunités alors
qu’il en existe. Il y a par exemple l’utilisation à notre avantage d’une
conséquence du pacte colonial. Dans toute situation défavorable, il y a matière à
tirer quelques initiatives positives.
En faisant de nous des producteurs de quelques produits seulement, on a aussi
fait de nous de grands producteurs de ces produits et même les premiers ! Par
exemple, la Cote d’Ivoire et le Ghana, à eux deux, représentent plus de la moitié
de la production mondiale de cacao. Les productions d’arachide du Sénégal, du
Mali, du Burkina, de la Côte d’ivoire et d’autres pays en Afrique de l’Ouest
ensemble culmineront à la première place mondiale. C’est semblable pour le
coton, l’hévéa et cela serait sans doute similaire pour l’or, la bauxite, …
Cette position globale donne des moyens et procure un poids non négligeable
dont on pourrait profiter et l’utiliser pour bâtir quelques stratégies communes de
développement économique. De manière précise, on peut retenir le cas
particulier du coton.
La dizaine de pays en Afrique de l’Ouest qui le produisent ainsi que le Tchad en
Afrique Central mettent sur le marché plus de deux millions de tonnes de fibre
de coton à chaque campagne. Ils produisent autant de graines de coton qui
génèrent de l’huile pour la consommation et de l’aliment bétail. Plus de vingt
millions d’africains vivent de cette importante culture qui génère des revenus
non négligeables pour les paysans et pour nos économies. Les zones de
production cotonnière sont également des zones importantes de production
vivrière mais également, on ne le sait pas suffisamment, des zones d’élevage par
excellence. Cela fait déjà de cette spéculation agricole un facteur non
négligeable de lutte contre la pauvreté. On pourrait, pour autant mieux faire
encore, en utilisant de manière intelligente la force de frappe que nous
constituons ensemble.
Si les pays producteurs de coton décidaient de mettre en commun leurs filières
avec un seul centre de décision, une seule société d’exploitation utilisant de
manière optimale plus de cent cinquante usines, sur un espace qui dépasse la
taille de l’Europe Occidentale et s’appuyant sur plusieurs dizaines de millions de
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producteurs, la donne changerait face aux négociants, face aux filateurs et face
aux grands groupes industriels internationaux. On gagnerait en capacité de
négociations. Nous ferons des économies et on gagnerait en compétitivité et
donc en opportunités pour les producteurs. Les économies de frais administratifs
et commerciaux pourraient ainsi être transférées en rémunération aux
producteurs.
Avec une force de frappe plus imposante, on pourrait mutualiser la recherche et
la vulgarisation et donc agir de manière plus conséquente sur les rendements et
accroitre encore la compétitivité du secteur et donc les conditions de vie des
populations rurales.
Cet environnement attirera plus facilement les investisseurs pour renforcer la
transformation, la relance de nos industries textiles et sans doute de nos
industries de l’habillement, de l’artisanat, ….
Ce qui est valable pour le coton, l’est encore plus pour le cacao et aboutirait à
des résultats encore plus probants. D’autres exemples existent et présentent
chacun des perspectives positives pour le Continent.
L’union fait la force ! L’union politique éventuellement mais plus surement
l’union économique. C’est sur cette voie que les pays développés ont d’abord
engagé leurs processus d’intégration. L’exemple de l’Union Européenne en est
une illustration. Pour notre part, on a pris l’habitude de décréter l’union sans que
cela ne soit suivi d’effets concrets significatifs. Depuis des décennies, nos
résultats demeurent mitigés car nous peinons à passer au concret et à accepter
les sacrifices à consentir. Plus que jamais, nous devons réfléchir à ces
perspectives de coopération et d’intégration sectorielles. L’agriculture, la
première chance pour l’Afrique, nous en offre l’opportunité.

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Changeons de Stratégie au Centre du Mali pendant qu’il est
encore temps !

Hier, c’était une décision d’interdiction des motos et « pick-up » qui a entrainé
une catastrophe socio-économique sans précèdent dans la région de Mopti. Hier,
c’était aussi un engagement sécuritaire tous azimuts, accompagné d’un discours
martial et guerrier se traduisant par le déploiement de forces lourdes, statiques,
occupées à se protéger, réagissant quelques fois mais rarement à l’initiative et
peu préoccupées par le respect des droits de l’homme. Chaque jour ce sont ainsi
des rumeurs de bavures et d’exactions de nos forces, traumatisées d’accuser des
coups et ayant l’impression de se battre contre un ennemi insaisissable. Hier
comme aujourd’hui, le Centre du Mali s’illustre par des conflits
intercommunautaires, l’instrumentalisation des chasseurs traditionnels, une
pression accentuée sur l’ethnie peulh et, par conséquent, un tissu social fissuré,
au détriment de l’Etat !
Dans le Centre, les populations maliennes perdent confiance en l’Etat avec
comme conséquence un dispositif de renseignement inopérant, accroissant ainsi
la myopie de nos forces de sécurité. Face à cela, les groupes armés terroristes
(GAT) sont mobiles, imbriqués dans la population, agiles et mettent en œuvre
une stratégie limpide : ciblage de l’Etat et de ses attributs, ciblage des forces
internationales, discours structuré se fondant sur les iniquités causées par l’Etat,
justice expéditive mais simple et reconnue par les populations…La bataille
devient inégale, en leur faveur.
Sur le terrain, ils s’installent et s’autorisent des incursions toujours plus loin
dans le pays profond. Tantôt c’est vers le Sud (Banamba début novembre),
tantôt c’est le Sahel occidental (Nara, Kolokani, Diema, Nioro). Ils métastasent
et surfent sur toutes les frustrations des communautés maliennes. Ils n’occupent
pas de ville ou de village, ne se regroupent pas mais donnent l’impression d’être
partout en même temps. Il nous faut nous rendre ainsi à l’évidence que nos
discours martiaux, nos actes pour affirmer la présence de l’Etat sonnent et
sonneront creux face à la réalité.
Le Centre devient emblématique des faiblesses structurelles de l’Etat au Mali :
incapacité à comprendre et à dialoguer avec la société, inaptitude à percevoir les
besoins de ceux qu’il est censé servir, échouant ainsi dans ses missions. Partant

17
de ce contact, il convient de changer de fusil d’épaule. Sinon nous échouerons et
contribuerons à creuser encore plus le fossé entre les populations et ceux qui
sont sensés les servir. Au détriment de la collectivité et du pays.
Le changement d’approche doit se traduire par une modification profonde de la
démarche. Deux objectifs sont à fixer pour la gestion de la crise au Centre du
Mali : d’abord faire cesser tous les conflits intercommunautaires et ramener la
quiétude entre les Maliens dans cette zone ; ensuite faire des populations les
premiers alliés de l’Etat et gagner ainsi leur confiance !
L’objectif ne doit pas être la pacification ou la destruction obsessionnelle des
GAT mais restaurer la confiance entre l’Etat et les populations et recoudre le
tissu social. Cela inclut de lutter contre les malfaiteurs mais par un chemin
diffèrent et sans doute plus efficace.
Il faut au préalable changer de discours et faire en sorte que les forces de
sécurité, les représentants de l’Etat comme tous les acteurs des services publics
tiennent le même langage : l’Etat avec et pour les populations ! Cela doit se
traduire par des actes concrets comme l’annulation immédiate de la mesure
d’interdiction de circuler à moto ou à bord de « pick - up ».
Nous devons arrêter les amalgames, éviter les exactions contre les populations,
renoncer définitivement à toute forme de brutalité contre ceux que nous devons
protéger, toutes communautés confondues, respecter scrupuleusement les droits
de l’Homme et observer une sévérité accrue contre tous les contrevenants.
Il serait bien indiqué d’organiser dans chacun des cercles du Centre du pays, des
forums de la paix et de la réconciliation et y convier toutes les communautés. Ils
permettront de faire la cartographie des sources de tensions
intercommunautaires et d’identifier des moyens de les résorber. Il faut placer ces
rencontres sous l’égide des légitimités traditionnelles et religieuses et faire
assurer la mise en œuvre de leurs recommandations par le préfet et les élus du
cercle avec l’appui de l’Etat dans toutes ses dimensions (forces de sécurité,
administration, projets de développement…). Parallèlement à l’engagement des
communautés vers la pacification et l’entente, il est indispensable que l’action
des chasseurs traditionnels (dozos) soit inscrite exclusivement dans un registre
défensif. Ils ne doivent pas s’adonner à des attaques ou à des représailles, force
est à restituer à la loi et à ses défenseurs (justice). L’Etat ne doit permettre
aucune enfreinte à ces règles et de manière durable.
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Le déploiement complet de l’Etat (administration, collectivités, élus, justice,
services de base…) et la fourniture de tous les services nécessaires aux
populations est à faire rapidement. Nos concitoyens sont à rassurer. Pour ce
faire, il faut envisager des mesures ponctuelles visant à enrôler des ressortissants
de la zone dans la fonction publique et les déployer au Centre ou y ramener les
ressortissants de la zone qui étaient affectés ailleurs. Ils seront plus motivés,
mieux acceptés, mieux informés et plus protégés que d’autres. Le déploiement
doit être une action continue accompagnée par un important effort de
sécurisation.
Pour la sécurisation, le système de renseignement humain est à améliorer et
incorporer un aspect de protection des sources d’information. Il faut renforcer
les moyens d’observation aérienne (drone et autres moyens) et accroitre les
forces terrestres pour les déployer rapidement. Le désarmement progressif des
civils et des milices doit figurer parmi leurs missions. Il faudra sans doute
davantage de moyens financiers, matériels et humains à affecter au Centre. Il
faudra également plus de communication sur les progrès et les réactions face aux
menaces.
La dynamique d’emploi des forces doit être celle du contre-terrorisme sous
forme d’actions préventives. Nous devons être à l’initiative, privilégier les
opérations coups de poings : aller au contact des GAT, retourner leurs stratégies
contre eux, désorganiser leurs voies d’approvisionnement, créer des dissensions
entre les groupes, les infiltrer, agir de manière fine et ciblée, anticiper. La
légèreté, la réactivité et l’agilité des forces faciliteront cela. Mais surtout la
collaboration des populations rendra plus efficaces les actions à mener sur le
terrain. C’est pourquoi, gagner la confiance de nos concitoyens de la zone doit
être notre objectif prioritaire.
Il faut enfin noter que ces nouvelles orientations nécessitent du temps pour être
mises en place et donner leurs effets. C’est dire que nous devons les inscrire
dans le long terme, sur plusieurs années, mais avec une désescalade continue et
une amélioration progressive des conditions de vie des populations dans cette
partie majeure de notre territoire.

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Découpage territorial
Ne faisons pas dire à l’Accord de paix ce qu’il n’a pas dit !

Depuis quelques années, comme pour éviter de s’attaquer à l’essentiel, nos


autorités multiplient des initiatives institutionnelles au nom de l’Accord pour la
paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger, alors qu’elles n’ont
qu’un lointain rapport avec ce texte, voir aucun rapport du tout !
Il y eut d’abord l’épisode malheureux des autorités intérimaires. Cette
disposition secondaire et éventuelle mentionnée dans une annexe de l’Accord a
été érigée en action principale de mise en œuvre du texte. Ce qui n’était qu’une
répartition de responsabilité entre les acteurs des groupes armés fut considérée
comme une avancée politique. Deux ans après cette initiative, il est désolant de
constater que peu de choses ont bougé sur le terrain du fait de l’inaction de ces
autorités, car elles ont été oubliées après leur mise en place.
Il y eut ensuite les reports continus des élections municipales, locales et
régionales, avec le maintien de leaders illégitimes pour conduire nos
collectivités locales, pourtant retenues comme point d’ancrage majeur de l’Etat
sur nos territoires.
Il y a enfin tous les processus d’opérationnalisation des régions, de
reconfiguration territoriale de ces collectivités, critiqués car n’allant pas dans le
sens de la vraie régionalisation, celle qui sera efficace et qui correspondra à
l’esprit et à la lettre de l’Accord de paix. Dernier rebondissement dans ce
processus, l’avant-projet de découpage territoriale qui sera porté par le
Gouvernement. Ce projet, s’il était avéré, sera un stratagème supplémentaire de
nos gouvernants dans la direction observée depuis plusieurs années : une logique
de partage de gâteau (postes de préfets, sous-préfets, présidents d’autorités
intérimaires, présidents de cercles, députés…) sans aucun impact pour les
populations et la cause de la réconciliation.
On ne voit pas à quoi servira des cercles supplémentaires là où les régions
supplémentaires elles-mêmes n’ont rien apporté ! En quoi la multiplication des
cercles, des communes permettra de satisfaire les attentes des populations en
matière de sécurité, d’accès à l’eau, de fourniture d’électricité, d’amélioration de

21
la situation alimentaire, d’éducation, d’emplois… ? Dans les débats sur le
découpage territorial, ces problèmes réels ne sont jamais évoqués !
Le fond n’est malheureusement jamais abordé. C’est toujours la forme, les
artifices, les postes et les places et jamais les responsabilités, les pouvoirs, les
moyens, les ressources et les moyens de les collecter ! et cela est perceptible à
tous les niveaux. Ce n’est pas une question de race ou encore moins de blancs
contre les noirs comme certains veulent le faire croire. C’est une question de
classes et de groupes de responsables (sécuritaires, politiques, sociaux…) qui
courent vers leurs avantages personnels. Cette catégorie de prébendiers existe
dans toutes les ethnies et toutes les races. Les bénéficiaires de ces avantages
indus sont parmi les nomades mais aussi parmi les sédentaires. Aller dans la
direction de l’opposition ethnique et raciale, c’est faire fausse route et réveiller
inutilement de vieilles rancœurs ! Ce serait trop simple et trop grave et cela nous
éloignera encore du fond !
L’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus d’Alger
traite du fond de nos problèmes et non de l’écume de nos égoïsmes personnels.
L’Accord évoque les pouvoirs et compétences des régions (article 8). Il traite de
la question des moyens et des ressources à donner aux régions (articles 13, 14,
15). Son article 16 aborde le dispositif des transferts des services et des
ressources humaines (dossier inscrit il y a quelques mois à l’ordre du jour d’un
conseil des ministres et retiré ensuite). C’est cela l’Accord !
Nulle part ni dans le texte, ni dans les annexes on ne parle de multiplier les
cercles et les communes !
Il y a en réalité une complicité coupable entre certains acteurs gouvernementaux
et de nombreux responsables de groupes armés, tous groupes confondus, pour
s’engager dans cette logique inefficace et inutile de partage de positions et
d’avantages, en occultant les sujets de fonds et renvoyant ainsi aux calendes
grecques les vrais problèmes du Nord et de notre pays tels qu’adressés dans
l’Accord de paix. Ces vrais sujets qui ne seront traités que si nous nous
engageons vers une gouvernance mue par l’impérieuse satisfaction des besoins
des Maliens en adoptant une forme d’Etat proche des populations, accessible,
efficace, décentralisé et où les pouvoirs seraient transmis aux populations à
travers des collectivités dont les responsables sont élus par leurs soins.

22
Le Gouvernement n’en est manifestement pas là. Cet avant-projet de découpage
territorial pourrait illustrer cela. Il n’en est pas là d’autant plus que ses actes ne
montrent pas une ferme volonté à aller dans le même sens que les résolutions
contenues dans l’Accord. Cela est encore illustré par la récente lettre circulaire
(2018 / 01 / PM RM du 17 septembre 2018) du Premier ministre où il affirme le
pouvoir et la responsabilité première des représentants de l’Etat sur tout ce qui
concerne le territoire en occultant très clairement les collectivités locales et les
élus locaux. Le Premier ministre dit dans cette lettre circulaire que les
représentants de l’Etat orientent, coordonnent et contrôlent l’action des
collectivités territoriales, en flagrante contradiction avec l’article 10 de l’Accord
de paix. Il indique également que les représentants de l’Etat constituent l’épine
dorsale de l’action de l’Etat et incarnent l’unité et la permanence de l’Etat sur le
territoire, ce qui occulte totalement les collectivités locales alors que l’Accord
indique clairement la prééminence que doivent avoir ces dernières et à travers
elles les populations maliennes (article 5 alinéa 5, articles 6 et 7).
Le vrai problème de notre pays est que les leaders majeurs sont hostiles à la
décentralisation, à la réforme de l’Etat dans ce sens, à la redevabilité des élites à
l’égard des populations et à la soumission de l’administration aux usagers. Tant
que cela sera une réalité on n’avancera pas, l’Accord de paix ne sera pas mis en
œuvre de manière satisfaisante, l’Etat ne fonctionnera pas de manière adéquate
et le pays ne sortira pas de la crise !
Le Chef de l’Etat, garant de l’unité de la nation, premier responsable du pays
doit être interpellé. Il doit prendre conscience encore une fois des dérives qui se
préparent ou qui se passent sous son magistère. Qu’il ouvre les yeux et apprécie
à sa juste valeur la direction des choses et qu’il reprenne ces dossiers importants
en main pour les orienter vers les bons caps ! Nous devons donner corps à la
régionalisation. Nous devons stopper la course vers les postes et les prébendes !
Nous devons appliquer rigoureusement l’Accord dans sa lettre et surtout dans
son esprit. Nous devons refonder l’Etat vers une grande dévolution de pouvoirs
et de responsabilités aux périphéries, avec un leadership incontestable de l’élu
local sur le fonctionnaire nommé, car l’élu local c’est le citoyen !

23
24
Démocratie versus développement !
Est-ce qu’il faut choisir ?

L’Éthiopie et le Rwanda ont réalisé des performances économiques


significatives ces dernières années, au point qu’ils soient généralement cités en
exemple en Afrique. L’Éthiopie a été ainsi le seul pays africain dont la
croissance a dépassé les 7% pendant plus de dix ans continuellement, au point
d’accueillir des investissements directs chinois dans le domaine des textiles
notamment. Le Rwanda lui est cité au chapitre des meilleurs élèves en matière
de gouvernance, de transparence, d’efficacité de l’administration et,
relativement de développement humain, même si ses performances en matière
de réduction de la pauvreté ne soient pas encore perceptibles. Ces deux pays ont
la particularité d’avoir des Gouvernements autoritaires et l’opposition politique
n’y bénéficient pas des mêmes marges de manœuvre qu’ailleurs. Ce sont
également des pays où la liberté des citoyens reste soumise à des contraintes
significatives. Ces réalités font dire à de nombreux experts qu’un pays n’a pas
forcement besoin de démocratie, de liberté, de multipartisme pour présenter de
bons résultats économiques et de fourniture de services de qualité aux citoyens.
Les exemples des pays d’Asie du sud-est (Singapour, Malaisie, Vietnam) ainsi
que de la Chine renforcent ces analyses.
Il convient toutefois de relativiser fortement ces assertions. En premier lieu, de
nombreux pays autoritaires, n’en présentent pas moins des résultats
catastrophiques en matière de développement économique et social. L’autorité
n’est pas forcément synonyme de performances socio-économiques. Au
contraire ! Ensuite, quand on établit un classement des pays les plus prospères
au Monde et ceux dont les citoyens sont les plus satisfaits de leur sort, les pays
d’obédience libérale, sur les plans politiques, économiques et sociaux, sont les
plus nombreux. Enfin, quand on analyse de manière plus détaillée, les facteurs
de succès des pays et des collectivités humaines, on identifie quelques éléments
fondamentaux (qualité du leadership, confiance entre les segments de la
collectivité, équité entre les citoyens, éducation des citoyens, accès aux services
de base, liberté d’opinion et d’entreprise…) qui ne sont pas forcement liés à un
système politique donné. C’est donc plutôt à ces fondamentaux que les pays

25
africains doivent faire attention plutôt qu’à plaquer chez eux des modèles
donnés.
Autrement dit, la question véritable en Afrique n’est pas d’adopter le système
démocratique libéral occidental, malheureusement réduit à la pluralité des partis,
aux scrutins, au jeu institutionnel exogène et incompréhensible pour les
citoyens. La question est comment nous pouvons mettre en place dans nos pays
un mode d’accession et d’exercice du pouvoir qui garantisse les fondamentaux
de toute collectivité prospère : un leadership efficace, une gouvernance
responsable et visionnaire, l’équité entre les citoyens, un bon niveau de
formation des populations, la fourniture de services appropriés, un bon niveau
d’adhésion des populations à la gouvernance du pays et donc de confiance en les
leaders ? Comment arriver à cela ?
Chaque pays doit essayer de trouver sa voie. Certains préfèreront s’inscrire dans
une monarchie, absolue ou constitutionnelle, comme on le voit ici ou là, avec
des résultats variables. D’autres choisiront un dispositif republicain avec un
système particulier de dévolution du pouvoir. Dans ce domaine, il serait utile de
questionner l’histoire et la sociologie des collectivités données. Dans nos pays,
le pouvoir a toujours été incarné par une personne et nous avons encore une
conception personnalisée du pouvoir. C’est pourquoi les systèmes
parlementaires sont difficiles à mettre en place dans nos pays. Même quand cela
a été le cas, aux premières années de l’indépendance, il s’en est suivi un
glissement vers le mode présidentiel.
La question des partis politiques est à poser également. Là aussi, les partis
uniques historiques ont laissé la place au multipartisme intégrale mais chaque
parti au pouvoir se comporte souvent en parti unique voire en parti état,
caporalisant les corps intermédiaires, vidant le jeu démocratique et créant un
comportement de cour préjudiciable à l’efficacité de la gouvernance.
Il n’est pas sûr qu’un parti unique, observant en son sein quelques principes clés
de bonne gouvernance (alternance, choix au mérite, transparence,
redevabilité…) ne fasse pas mieux que les partis issus de la période
multipartiste. Cela reste valable également quand deux partis s’alternent au
pouvoir plutôt qu’une centaine, voire plus, de partis politiques concourant à la
recherche du suffrage des citoyens.

26
Le système électoral, le cadre d’exercice de la presse, les perspectives offertes
aux organisations de la société civile, l’environnement de liberté donné aux
opérateurs économiques…sont tous des facteurs d’une réussite socio-
économique d’un pays devant être adaptés à nos contextes en respectant les
fondamentaux mais sans copier ni coller de ce qui se fait en occident.
En somme, le plus important n’est pas de correspondre à des standards
étrangers, de répondre à des injonctions de bailleurs de fonds ou de chercher à
être un bon exemple médiatisé. Ce que les Africains doivent chercher, c’est
d’assurer la confiance la plus importante des citoyens en leurs Institutions en
raison de l’aptitude de ces dernières à satisfaire leurs attentes.

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28
Faire évoluer notre pyramide sanitaire :
Quelques pistes à tester

Pilier du développement humain qui est un élément de comparaison entre les


pays plus pertinent que la richesse ou les revenus par habitant, le système
sanitaire d’un pays est souvent un bon révélateur de son niveau réel d’évolution.
C’est par la qualité des soins proposés aux populations, la couverture du
territoire en offre de soins appropriés mais aussi la capacité à financer ces soins
par les populations, notamment les plus démunis, que l’on mesure le souci des
leaders pour leurs peuples. Et ce souci n’est pas proportionnel à la richesse du
pays. Certaines nations, moins bien classées à l’échelle de la croissance
économique ou du Produit intérieur brut (PIB), se révèlent mieux dotées quand
on apprécie leurs systèmes de santé. C’est le cas des pays scandinaves en Europe
ou même de la France qui ne sont pas les pays les plus riches au Monde. En
Afrique, les pays les plus riches ne sont pas ceux dont le système sanitaire est le
plus efficace. Ces derniers sont souvent mieux classés comparativement à leur
rang économique, ce qui montre leur propension à mieux répartir les richesses et
une aptitude de l’Etat à prioriser le secteur social au bénéfice des populations,
notamment les plus faibles.
Notre pays, à l’échelle du classement des systèmes sanitaires, a un rang qui est
meilleur à son classement économique. Nous nous en sortons mieux que certains
pays pourtant plus riches que le Mali. Cependant, nous pouvons faire nettement
mieux. Pour ce faire, il nous est impératif d’engager plus d’efforts dans certaines
directions et renforcer certains niveaux de notre pyramide sanitaire, allant du
centre de santé communautaire (CSCOM) à nos établissements hospitaliers
universitaires et nos structures spécialisées. Si l’impact de la bonne santé est
difficilement mesurable, nous devons savoir qu’il a des conséquences positives
sur l’éducation, la formation, la production et les créations de richesse et donc
sur l’amélioration des conditions de vie.
La pyramide sanitaire malienne est appréciable et sert de modèle pour beaucoup
de pays. Elle assure une couverture moyenne de nos populations et se caractérise
surtout par une participation des populations au financement de leur santé à
travers le système communautaire issu de l’initiative de Bamako (1987) à
l’origine des centres de santé communautaires, dont le nombre a dépassé 1300
29
sur l’ensemble du pays. A quelques exceptions près, les Maliens vivent en
moyenne à moins de 20 km d’un centre de santé. Cela est encore vécu
difficilement par beaucoup de nos compatriotes, mais le chemin parcouru en 30
ans est à saluer. Il faut travailler à renforcer la couverture médicale des
populations, mais surtout améliorer les voies d’accès aux centres de santé,
renforcer les pistes rurales entre nos villages. Les formations sanitaires de base
existantes doivent être renforcées en capacités de soins pour permettre
d’atteindre le ratio d’au moins un médecin par CSCOM, ce qui nous oblige à
recruter au moins 700 médecins actuellement. Cet effort minimal est à fournir
sans délai afin d’améliorer l’équité entre les citoyens en termes d’accès à une
offre de soins de qualité.
En dehors des CSCOM, nous devons envisager d’introduire les médecins de
campagne dans notre dispositif sanitaire. Cette idée, chère à feu le Professeur
Ogobara DOUMBO, consiste à affecter un médecin pour un certain nombre de
villages relevant d’un CSCOM. Il agira dans la prévention, la surveillance
nutritionnelle et épidémiologique, le respect des règles d’hygiène, les soins ne
nécessitant pas l’évacuation vers le CSCOM et fera des rondes pour s’occuper
de la prise en charge des populations. Il sera pris en charge par une pluralité
d’acteurs (les bénéficiaires du village pour partie, le CSCOM et enfin l’Etat). On
estime qu’avec ce dispositif, il y aurait des économies pour les populations et
pour la collectivité permettant de supporter en partie le coût du médecin.
Au-dessus des CSCOM, notre pays dispose de plusieurs dizaines de centres de
santé de référence (CSREF), en moyenne au moins un CSREF par cercle,
certains cercles en disposant de deux. Ces structures disposent de plusieurs
médecins et de quelques spécialistes (dentiste, chirurgien…) et ont un plateau
technique appréciable. Ils s’orientent vers des hôpitaux de première référence
comme on le voit, par exemple, dans les communes de Bamako, toutes dotées
d’un CSREF. Cependant, il faut renforcer leurs capacités en les dotant de plus
d’équipements et de plusieurs spécialistes (chirurgie spécifique, traumatologie,
dermatologie, neurologie…). On doit faire évoluer nos CSREF vers un niveau
de formation sanitaire pouvant prendre en charge l’essentiel des besoins des
populations de leur rayon d’intervention. On doit renforcer leurs capacités de
gestion et leurs aptitudes à superviser l’ensemble des autres structures relevant
de leur ressort.

30
Chaque région du pays, à l’exception de Kidal et de celles en cours de création,
dispose d’un hôpital régional. Cette structure sanitaire est le sommet de la
pyramide dans la région et dispose d’un plateau plus renforcé que ceux des
CSREF même si les hôpitaux régionaux manquent encore de nombreux
équipements minimaux pour ce type d’établissements. Leurs niveaux
d’équipement ne sont pas uniformes et, surtout, ils manquent globalement de
certains moyens pourtant indispensables comme le scanner, les laboratoires, les
capacités d’analyse et de prise en charge de certaines urgences
traumatiques…Les chantiers sont nombreux pour renforcer les hôpitaux
régionaux. L’une des priorités étant de les faire évoluer vers la structure de
Centre Hospitalier Universitaire (CHU) en adossant à chaque hôpital régional
une faculté de médecine pour améliorer la formation des médecins qui
renforceront le dispositif médical des régions.
Au niveau central, il y a bien des enjeux comme celui du renforcement du
plateau technique et de la qualité de soins de nos CHU limitant ainsi les
évacuations sanitaires. Il est cependant indispensable de prioriser nos structures
sanitaires de terrain pour équilibrer progressivement le dispositif qui penche
actuellement en faveur de Bamako, obligeant l’essentiel de nos compatriotes à
venir se soigner dans la capitale plutôt que d’opter pour les centres qui leur sont
proches.
Au-delà du renforcement de nos structures sanitaires et de notre dispositif de
terrain dans ce secteur, la question du financement de la santé se pose avec
acuité aux Maliens. Nous devons travailler sur cette question majeure. Il faut
élargir le régime de l’assistance médicale aux plus démunis (RAMED) en y
insérant plus de souplesse, de contrôle et plus de célérité dans la prise en charge.
Nous devons généraliser l’assurance maladie à tous les segments de la
population pouvant contribuer (secteur informel, professions libérales,
artisans…) comme cela commence timidement. Il faut soutenir le système des
mutuelles pour les prises en charge complémentaires. Le pays doit tendre vers la
mise en place d’un dispositif de couverture universelle (gratuité) pour certaines
prestations de base comme le traitement contre le paludisme, la santé infantile,
la mise à disposition de contraceptifs ou encore le suivi prénatal au bénéfice des
femmes enceintes.
Enfin la Gouvernance du secteur de la santé, comme tous les autres secteurs,
constitue un enjeu majeur pour son équité et son efficacité au service de nos
31
compatriotes. Dans ce domaine comme ailleurs, aussi bien au niveau de l’Etat
que des collectivités territoriales, mais aussi dans les structures sanitaires, la
gouvernance doit rimer avec davantage de contrôle et de sanction, la
généralisation de l’utilisation des Technologies de l’Information et de
Communication, la formation continue et la mise en avant des meilleures
pratiques…En les gérant mieux, nos moyens sanitaires modiques peuvent
néanmoins produire de bons résultats !

32
La Force armée du G5 Sahel : entre doutes et espoirs !

Le Groupe des cinq pays membres du Sahel, connu sous la dénomination « G5


Sahel », est l’illustration de la volonté commune de ces pays, de mettre
ensemble leurs moyens afin de relever notamment les défis sécuritaires auxquels
ils font face ; le G5 Sahel est sans aucun doute un pas vers l’intégration du
continent. L’idée concrétisée en 2014 est structurellement bonne, en témoigne le
grand engouement qu’elle a suscité au point d’éclipser dans l’agenda
international certaines autres organisations régionales. Les volets sécuritaire et
militaire du G5 Sahel, à travers une force commune constituée à partir
d’éléments des forces armées des cinq pays membres, compte tenu du contexte
actuel, constituent la composante essentielle de l’organisation. C’est cette force
qui est mise en avant par les pays membres et qui est également revendiquée et
soutenue par les nombreux partenaires de l’organisation. Au point que de
nombreux acteurs internationaux méconnaissent totalement que le G5 c’est aussi
des Institutions, un secrétariat basé à Nouakchott, des initiatives et projets
structurants et même une compagnie aérienne en gestation !
L’agenda international structuré par la sécurité et la lutte contre le terrorisme a
projeté la force du G5 Sahel comme un des outils les plus appropriés pour
stabiliser la zone, permettre le désengagement des troupes étrangères qui y sont
basées, renforcer les forces armées des pays membres et écarter les menaces que
peuvent constituer les groupes terroristes du Sahel pour les pays occidentaux ou
leurs ressortissants vivant en Afrique. A chaque occasion, sommets ou
rencontres internationales, il est prévu des réunions spécifiques au G5 Sahel,
c’était encore le cas à la dernière Assemblée générale des Nations Unies. Des
rencontres spéciales ont été organisées pour réunir le financement nécessaire à
l’opérationnalisation de la force et de nombreuses initiatives sont mises en
œuvre pour que les fonds promis puissent être débloqués et permettre ainsi à la
force de remplir les attentes placées en elle. Avec comme résultat à ce jour, une
grande lenteur dans la mise à disposition des fonds et moins de 20% des
promesses reçues ; mais également des retards et insuffisances constatés dans la
montée en puissance du dispositif en termes d’équipement, de formation des
troupes, de conception d’une doctrine d’emploi des forces, d’intégration des
différentes armées, etc. Autrement dit, nous sommes encore éloignés de
l’objectif affiché.
33
La conception du G5 Sahel, son cadre d’exercice, son organisation et son
fonctionnement souffrent de nombreux déficits qui expliquent la situation
présente. Ces déficits pénalisent également l’efficacité de la force conjointe. Il
est indispensable de les appréhender avec lucidité si on veut que notre
organisation commune, notamment sa composante armée, puisse remplir les
espoirs placés en elle.
Il est indispensable de revenir sur l’organisation elle-même et de répondre
précisément à certaines questions clés. Quels en sont les objectifs stratégiques ?
Est-ce que son périmètre actuel est approprié ? Pourquoi un pays comme le
Sénégal n’y figure pas ? Quels rapports entend-on nouer avec les organisations
existantes dans la conduite de certaines fonctions communes (sécurité
alimentaire, changement climatique, coopération militaire, infrastructures…) ?
Comment collaborer avec les organisations internationales (ONU, UE…) qui
disposent chacune de leurs stratégies dans le Sahel ? Comment assurer la pleine
souveraineté des pays du G5 Sahel dans la réflexion stratégique, la priorisation
des actions et la conduite des initiatives quand le fonctionnement courant de
l’organisation n’est pas supporté par ses États membres ? L’organisation
fonctionne actuellement comme un projet inspiré de l’extérieur et comptant
quasi exclusivement sur les ressources extérieures pour poursuivre ses activités.
En ce qui concerne la force conjointe, nous devons établir la vision stratégique
que nous en avons ainsi que nos ambitions à long terme la concernant. Le
terrorisme dans le Sahel ne sera pas vaincu de sitôt, il peut être affaibli mais tant
que ses racines demeureront (pauvreté, raréfaction des ressources due aux
changements climatiques, tensions sociales et ethniques, inefficacités et
brutalités étatiques, laïcité mal définie, rapports conflictuels entre la religion, la
société et l’Etat, démographie – éducation- chômage des jeunes…), il y a des
chances qu’il continue à agir. Dans vingt ans, nous ferons encore face à du
terrorisme, au moins sous forme de fièvres locales et péri urbaines, avec une
évolution probable du champ d’action vers la cybercriminalité, le banditisme, les
enlèvements pour se financer…Sommes-nous préparés à une action à long
terme ? La force est-elle prévue pour s’adapter à ces évolutions ? Quand on
écoute les débats autour de la force, on a tendance à penser qu’il s’agit de
collecter 240 milliards de FCFA pour vaincre le terrorisme dans le Sahel. Or il
s’agit de 240 milliards chaque année !

34
Nous nous engageons avec la force conjointe pour plusieurs années voire
plusieurs décennies. Avec quelle ambition ? Est-il envisageable d’avoir une
force régionale composée de nos armées et qui fonctionnerait parallèlement avec
nos troupes régulières sur les mêmes territoires ? Des bataillons ou régiments
coexistant sur les mêmes théâtres, composés de soldats aux statuts différents,
avec des traitements différents et sur plusieurs années ? Ne pouvons-nous pas
ainsi anticiper une intégration progressive de nos forces armées pour en faire
une armée unie dans le Sahel avec un seul commandement de l’Atlantique au
Lac Tchad voire plus loin encore ? Là également il faut se poser ces questions et
tenter d’y répondre pour inscrire la force conjointe dans un cadre stratégique
d’action que l’on peine encore à identifier.
La force conjointe telle qu’opérant actuellement est plus la juxtaposition de
plusieurs forces qu’une entité homogène, unie et intégrée. L’armée
mauritanienne est à part, le trio Mali – Burkina – Niger à part et l’armée
tchadienne à part également. L’état-major est commun mais la disposition des
forces sur les théâtres ne l’illustre pas. Chaque pays est concentré sur ses
priorités. Dans ces conditions, est-il envisageable de voir les forces du G5 Sahel
opérer dans le Centre du Mali sur l’arc allant de la frontière de la Mauritanie à
celle du Niger ? Les forces du G5 Sahel sont-elles prêtes à faire face à des
situations complexes comme celles constatées dans le Macina ou le Seno ?
La question du financement de la force conjointe enfin mérite qu’on revoie notre
copie ! Comment peut-on se lancer dans la direction d’un financement extérieur
d’une action de souveraineté ? Cela est inimaginable et nos autorités doivent le
comprendre. Il faut se départir de la stratégie de victimisation ou de la posture
de sentinelle de l’Occident (le Sahel serait une digue qui ne doit pas rompre !)
pour aborder cette question avec des principes qui nous sortiront du bourbier. Ce
qui se passe sur nos territoires est d’abord et avant tout notre problème. Ce sont
d’abord nos populations qui sont actrices et victimes de terrorisme. Il s’agit
d’abord et avant tout de la sécurité de nos pays. Nous devons donc aborder la
question sous l’angle de notre souveraineté et de notre responsabilité commune.
Il nous faut nous approprier le concept et nous placer en pole position pour le
gérer. Nulle part ailleurs, on ne finance des actions armées d’un pays. Pourquoi
alors financer les actions armées de cinq pays ensemble sur leurs territoires pour
faire face à leurs problèmes ? Et des actions appelées à durer des années voire
plusieurs décennies !
35
Il nous faut changer de paradigme et intérioriser cette question en y apportant les
ressources financières adéquates. Chaque pays doit prendre sur son budget
national une tranche du financement de la force du G5 Sahel. Le Mali allouera
en 2019, à son armée, plus de 300 milliards de FCFA dans le cadre de son
fonctionnement et de sa restructuration. Prendre en charge 50 milliards
supplémentaires au titre de sa part ne sera pas un effort insupportable. Idem pour
le Burkina, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.
Nous pourrions ensuite gérer nos déficits budgétaires éventuels induits par cela
avec nos partenaires financiers classiques et les mécanismes appropriés pour ce
faire. Nous identifierons ainsi des mesures de couverture et pourrons inscrire
cela dans le cadre de notre coopération financière avec nos soutiens bi et multi
latéraux. Ces dispositions sont envisageables. Mais faisons du financement de la
force conjointe du G5 Sahel notre affaire et surtout faisons en une question de
souveraineté ! Près de soixante ans après nos indépendances, ce serait là un des
rares motifs de fierté de nos pères fondateurs là où ils se trouvent.

36
Il y a t’il une solution militaire au Sahel ?

La militarisation du sahel est elle de nature à amener une paix durable dans la
zone. Bien sûr que non :

1. Le constat de terrain au Mali est très éloquent : plus de 2000 militaires


français, plus de 13000 militaires de la MINUSMA, plus de 15 000 hommes
des forces maliennes, mais toujours de l’insécurité, des actes terroristes, des
conflits inter communautaires qui s’étendent d’ailleurs progressivement au
reste du pays même s’ils sont à basse intensité ; la militarisation ne peut
suffire à elle seule (Afghanistan, Iraq, Nord du Nigeria…)

2. Il faut toujours plusieurs choses en même temps : un processus de dialogue


politique avec un dispositif de réconciliation – pardon – justice –
indemnisation, la fourniture de services aux populations…

3. La réponse militaire ne peut être suffisante, pour plusieurs raisons :


a. Les armées savent faire la guerre mais non s’occuper des populations
b. Elles ne maitrisent pas souvent les droits de l’homme et les questions
humanitaires
c. Elles ne sont pas outillées pour faire face à la guerre asymétrique, elles se
traumatisent facilement et sont de ce fait susceptibles d’employer une force
disproportionnée voir s’adonner à des exactions et autres brimades qui sont
de nature à alimenter le terrorisme.

4. Le contexte sahélien ne se prête pas non plus à un succès durable des


opérations militaires
a. Faiblesses étatiques : gouvernance, administration du territoire, inefficacités
administratives, peu de considération pour les usagers, excès de
centralisation, corruption endémique
b. Démographie dynamique, poids disproportionné d’inactifs par rapport aux
actifs, dividendes démographiques introuvables avec une paupérisation
importante des populations et un capital humain faiblement mis en valeur

37
c. Contexte climatique défavorable, rareté des ressources, conflits fonciers
importants entre nomades et sédentaires, exode rural massif avec une
urbanisation désordonnée et non maitrisée (pauvreté urbaine importante)
d. Économie faiblement intégrée aux chaines de valeur mondiales, peu
productive, peu compétitive, extravertie, faible création d’emplois, emplois
de survie, contexte social tendu et déconnexion progressive de certaines
élites politico administratives avec le reste de la population.

5. Que faut-il faire


a. Les interventions militaires et les opérations militaires de manière générale
ne peuvent être qu’un élément d’un dispositif global, cordonné et à engager
de manière durable
b. Les interventions militaires doivent être adaptées, respecter les droits de
l’homme et protéger les populations civiles
c. Il faut avoir une ambition de restauration et de consolidation de la confiance
entre les populations et les pouvoirs publics, seule à même d’instaurer et de
maintenir une sécurité durable indispensable à la prospérité
d. Assurer la présence étatique mais une présence étatique qui rassure, qui
protège, qui est juste et équitable et qui fournit aux populations les services
de base dont elles ont besoin (eau, énergie, santé, éducation, formation,
emploi, …)
e. Permettre aux populations de mieux vivre dans le pays, d’avoir leurs droits,
de percevoir un environnement de justice, d’égalité, de liberté, de libre choix
de leurs dirigeants, notamment locaux, dans le cadre de dispositif de
décentralisation adapté
f. Ne pas oublier la construction, la reconstruction et le renforcement étatique,
souvent oublié dans les processus de paix et de réconciliation
g. Ne pas oublier également les aspects socio culturels, la préservation et la
promotion des identités au sein des ensembles nationaux où les minorités et
les diversités doivent pouvoir s’exprimer.

38
Leçons d’une élection
L’argent menace la démocratie malienne !

Le Mali vient de boucler le processus de l’élection de son Président de la


République, scrutin phare de notre système démocratique. Ce processus, le
énième de l’ère multipartiste, a présenté de nombreuses faiblesses relevées dans
les rapports des observateurs nationaux et internationaux. Il est impératif que
l’on se penche sur les tares de notre système, et les combler urgemment si on
veut que l’idéal démocratique de mars 1991 continue de soutenir notre pays et
l’aider vers le progrès.
La question de l’inclusivité de nos processus électoraux est à résoudre. Notre
fichier électoral n’est pas exhaustif. Une bonne partie des électeurs ne sont pas
enrôlés, loin de là ! Au moins 1,5 millions de jeunes de 18 à 23 ans et autant de
Maliens de la diaspora ne figurent pas encore dans le fichier électoral. Ce sont
donc 3 millions de Maliens qui ne peuvent pas voter, sur un total de 8 millions
d’électeurs inscrits. On peut s’interroger sur la crédibilité d’un tel fichier
électoral. L’Etat doit s’organiser pour que tous les citoyens en âge de voter
soient inscrits sur la liste électorale, qu’ils soient au Mali ou à l’étranger. Nous
devons mettre les moyens pour ce faire et rendre permanent le processus
d’inscription sur les listes électorales.
La question de la participation du Président sortant à l’élection présidentielle est
épineuse et requiert notre attention. Les sortants de manière générale (Maire,
Président de Cercle ou de Région) disposant de moyens (humains, matériels et
financiers) dans le cadre de leur mandat peuvent influer sur le cours de l’élection
et faire pencher la balance de leur côté. Ils peuvent user et abuser des moyens de
l’Etat. Ils peuvent détourner les actions étatiques en leur faveur. Les membres du
Gouvernement peuvent être transformés en agents électoraux et parcourir le
terrain au service de leur chef candidat. Les agents de l’Etat sont mis à profit. La
couverture médiatique de l’action du chef de l’Etat candidat sera toujours sans
commune mesure avec celle de ses concurrents. Nous devons nous pencher sur
le dispositif pour atténuer fortement l’impact de la position et de l’action du
sortant sur les électeurs et équilibrer au maximum ses chances avec celles des
autres compétiteurs. Le renouvellement de la confiance ou non à un élu est

39
nécessaire pour la vigueur de la démocratie mais nous devons éviter que ce
renouvellement ne soit qu’une formalité ou un simple exercice de style.
La crédibilité des candidatures entamée par leur grand nombre aux élections,
mais également l’effectif pléthorique des partis politiques dans notre pays, est
une plaie pour la démocratie malienne. Il y a des conditions et des garanties à
donner par les candidats mais elles semblent insuffisantes. Il faut explorer la
possibilité d’augmenter le nombre de parrains aux candidats et envisager l’ajout
de parrainage des citoyens comme cela est fait dans certains pays. Il faut
également se pencher sur la question des partis politiques, exiger leur
participation aux élections, demander la couverture d’une bonne proportion du
territoire et renforcer le dispositif de contrôle les concernant.
La campagne électorale qui commence beaucoup plus tôt que la période
juridiquement établie pour ce faire, se caractérise par une débauche de moyens
sans commune mesure avec le niveau de richesse du pays. Les cadeaux sous
toutes les formes données aux électeurs et aux leaders locaux mais aussi la
corruption indirecte et déguisée des citoyens sont les lots des prétendants. Cela
fait écho à l’achat de conscience le jour du vote, phénomène quelques fois
élaboré à un niveau industriel par les candidats et leurs équipes. Cette plaie
béante de la démocratie malienne doit être traitée de manière énergique car elle
impose une compétition où l’argent est roi et fait la différence entre les
candidats au détriment du choix judicieux des électeurs.
Sinon, il est possible que notre pays porte à sa tête, un jour, un trafiquant de
drogue ou un obligé de trafiquants de drogue ! Nous devons renforcer notre
dispositif d’encadrement de l’action des candidats, des partis, des acteurs
politiques six mois avant une élection et particulièrement pendant la campagne
électorale. Il convient de sensibiliser les citoyens, d’impliquer les organisations
de la société civile, de renforcer les interventions des agents publics locaux et
nationaux pour mieux surveiller les acteurs politiques et alourdir les sanctions en
la matière tout en veillant à leur application effective. La dissuasion induite par
la peur de la sanction est quelquefois la meilleure arme pour contrer les
pratiques malsaines.
La débauche de moyens est d’autant plus scandaleuse qu’elle intervient dans un
cadre dénué de toutes règles relatives au financement de la campagne, au
compte de campagne ou encore au plafonnement des dépenses de campagnes.

40
Au Mali, on peut bénéficier de fonds de malfaiteurs de tous acabits et mener
tranquillement campagne, voire gagner l’élection présidentielle, sans que
personne ne se pose la question des sources de financement. Cela est scandaleux
et surtout destructeur pour l’exercice du mandat dans l’intérêt du pays et des
Maliens. Comment s’étonner que le chef de l’Etat soit totalement inefficace en
matière de lutte contre la corruption si sa campagne est elle-même soutenue par
l’argent de la corruption ? Il est temps que dans notre pays, on impose la
transparence absolue sur le financement des campagnes. Il est temps que
l’ensemble des ressources obtenues et des dépenses effectuées soient
comptabilisées et publiées. Il est impératif que les comptes soient contrôlés et
les résultats de ces vérifications publiés. Nous devons également fixer des
limites à ne pas franchir dans une campagne électorale afin d’assurer une
certaine équité entre les candidats. Enfin, un dispositif de sanction est à mettre
en place allant jusqu’à l’invalidation d’une élection s’il le faut.
La place des idées et projets dans un processus électoral est à revaloriser. C’est
le cœur d’une élection. Quel que soit le type d’élections, nous devons mettre en
place un dispositif obligeant les candidats à joindre leurs projets à leur dossier
de candidature au moment du dépôt de ce dernier, et à le présenter dans un cadre
qui lui assure une bonne couverture et une bonne vulgarisation auprès de
l’électorat. Il nous est également nécessaire d’institutionaliser les débats entre
les candidats et améliorer la vulgarisation de ces exercices par des journalistes et
des médias plus professionnels et mieux formés. Nous devons habituer nos
compatriotes à suivre les idées et projets des compétiteurs. Nous devons aussi
assurer un dispositif de monitoring des engagements dès l’entame du mandat
afin de rassurer les électeurs que celui qu’ils ont choisi respecte effectivement
ses engagements. Les technologies de l’information et de la communication
permettent ce suivi rapproché. C’est à ce prix qu’on replacera les idées et
ambitions au cœur de la compétition plutôt que l’argent et la corruption.
Le système de vote traditionnel que nous avons, peut être révolutionné par les
technologies modernes. Nous devons tendre vers la dématérialisation des
opérations en commençant par l’identification et le vote des électeurs par des
équipements appropriés et, à moyen terme, par la suppression des bureaux et
centres de vote, et l’introduction du vote au moyen des téléphones portables
couplé à la biométrie. Notre pays, dont le territoire est immense et les
populations dispersées, y compris celles qui vivent sur plusieurs continents et
41
dans plusieurs dizaines de pays à travers le monde, gagnerait à l’accélération du
rythme vers le système de vote à distance et de centralisation instantanée des
résultats. Cela est parfaitement concevable actuellement. Il faut s’inscrire dans
cette dynamique et se fixer des objectifs précis pour la concrétiser.
L’organisation des scrutins, les étapes de surveillance et contrôle, le dispositif
d’observation national, le rôle des agents publics et de la société civile sont enfin
des chapitres à mieux formaliser vers des consultations électorales crédibles.
Nous devons interroger chacun de ces aspects et tendre progressivement vers la
rationalisation du dispositif.
Une administration en charge de certaines fonctions majeures dans le processus
électoral, en lieu et place de la Délégation générale aux élections, de la
Commission électorale nationale indépendante, du Comité de l’égal accès aux
médias notamment, est à mettre en place. D’autres acteurs de la société civile et
du secteur privé peuvent aussi jouer des rôles en accroissant le niveau élevé
d’intégrité du processus et surtout sa crédibilité.
Les autorités nationales doivent jeter un regard objectif sur le dispositif électoral
de notre pays et, à la lumière de ces suggestions, travailler à l’améliorer pour le
situer parmi les plus efficaces. Dans cette veine, elles doivent se saisir des
nombreux rapports produits par les observateurs nationaux et internationaux et
s’employer à mettre en œuvre les recommandations pertinentes de ces acteurs.
Cela accroitra la légitimité des élus en garantissant qu’ils exercent leur mandat
dans les meilleures conditions au service des populations maliennes.

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Quel avenir sans la MINUSMA ?

La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation


au Mali (MINUSMA) est devenue un acteur principal dans le dispositif de
résolution de la crise malienne. En cinq ans, elle s’est imposée dans le paysage
politique, sécuritaire et socioéconomique du pays. Sa flotte aérienne permet de
relier le Nord du pays au reste du Mali. Elle agit dans de nombreux domaines,
jusqu’à l’assistance aux couches sociales et à la société civile. Les Maliens
commencent à avoir le reflexe du recours à la MINUSMA pour un recrutement,
une subvention ou encore un appui au processus électoral. Ses nombreux
fonctionnaires font le bonheur des hôtels, restaurants et des propriétaires de
logements. Ses installations ultra sécurisées de Bamako, Mopti ou Kidal font
penser qu’elle est partie pour rester durablement dans notre pays, à l’instar
d’autres missions comme la MONUSCO en République démocratique du
Congo.
Pourtant, la MINUSMA est une mission théoriquement éphémère et au statut
provisoire. Sa durée d’intervention est limitée dans le temps et fixée, depuis
2013, à une année renouvelable. Au mois de juin, chaque année, des discussions
ont lieu aux Nations Unies avant le renouvellement du mandat de la mission,
demandé par les autorités maliennes comme cela est prévu et appuyé par les
partenaires. Cette année, des débats accrochés et un renouvellement à minima
ont été consacrés par la résolution 2423, assortie d’instructions au Secrétaire
général de l’ONU de faire un rapport présentant l’évolution de la situation, six
mois après l’investiture du Président élu. Des débats auront donc lieu en 2019 en
prévision d’une éventuelle reconfiguration de la mission. Ces changements par
rapport aux autres années, montre bien l’agacement des Nations Unies face à la
situation sur le terrain et le peu de progrès constaté.
Les pressions supplémentaires et les délais qui se réduisent doivent alerter l’Etat
malien à réfléchir sur l’avenir de cette mission. Cela d’autant plus que des
raisons légitimes poussent à poser la question de son utilité et de son efficacité :
le processus de paix qu’elle appuie fait du surplace, l’Accord de paix censé être
appliqué totalement avant la fin de l’année 2017, ne l’est pas à 30% à fin 2018,
la situation sécuritaire ne s’arrange pas, la paix a tendance à s’éloigner, la
réconciliation n’est pas vraiment à l’ordre du jour et le tissu social est en train de

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se fracturer. A tout cela s’ajoute un contexte socio politique tendu, sans
perspective d’amélioration à court terme !
Les voyants de notre pays sont plus proches du rouge que du vert, la Mission
censée nous aider à nous en sortir est donc interpellée. Elle le sera sans doute
lors des prochains débats sur sa propre situation. Malgré ses 12000 soldats, ses
milliers de fonctionnaires civils et paramilitaires et plus d’un milliard de dollars
de budget annuel, le moins qu’on puisse dire est que le Mali n’est pas si loin de
la situation qu’il vivait en 2013, à son arrivée sur notre sol !
Le contexte international n’est pas favorable au maintien en l’état de cette
mission, la principale menace venant du Gouvernement américain, premier
contributeur à la MINUSMA et aux opérations des Nations Unies. Les
américains ont souci de faire des économies, de préserver l’argent de leurs
contribuables et ne considèrent pas la situation malienne et sahélienne comme
une menace internationale majeure. Ils agiront pour une reconfiguration de la
mission vers une réduction de son envergure à défaut d’un retrait à court terme.
S’ils n’obtiennent pas gain de cause, ils brandiront évidemment la menace de la
réduction de leurs contributions aux Nations Unies, ce qui aura fatalement un
impact sur les opérations de maintien de paix et donc sur la MINUSMA.
Il ne faut pas s’attendre à ce que d’autres pays riches suppléent les Etats-Unis ou
volent au secours de la MINUSMA car le Sahel n’est pas stratégique pour eux
non plus. Il faut reconnaitre par ailleurs que, depuis quelques mois, on constate
un affaiblissement des groupes terroristes présents aussi bien sur les théâtres
libyens que nigérian et sahélien. Ils sont et seront à peu près contenus. La
menace qu’ils représentent pour la communauté internationale baisse et baissera
même s’il y a de fortes chances qu’elle reste endémique, notamment dans notre
pays et pour longtemps.
Nous devons anticiper une baisse d’intensité de l’intérêt et du soutien
international, nous préparer à la réduction des moyens de la MINUSMA et à son
retrait à moyen terme sans forcément que le G5 Sahel ou la force barkhane
soient en mesure de suppléer voire d’être plus efficaces qu’aujourd’hui.
Nous devons nous préparer à une réponse sécuritaire et militaire mais surtout
politique face à ces situations prévisibles à court terme.
La montée en puissance de nos forces, leur redéploiement sur le territoire et la
restructuration de l’armée avec la mise en œuvre diligente de la Loi
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d’orientation et de programmation militaire, dans un contexte de transparence et
de lutte absolue contre la corruption et les fraudes, sont incontournables mais ne
seront pas suffisants, loin de là !
Il nous faut un nouveau contexte socio-politique mobilisateur des Maliens et
leur permettant d’accepter des sacrifices importants pour sortir le pays des
difficultés. Pour ce faire, les autorités de notre pays doivent s’astreindre à des
efforts importants sur elles-mêmes, revoir leur grille de lecture et se hisser à la
hauteur de la situation historique que vit le Mali en ce moment.
Il est d’abord impératif de tenir un discours objectif, reconnaissant les difficultés
économiques, sociales, politiques, sécuritaires et appelant l’ensemble des
composantes de la nation à la mobilisation sur plusieurs années pour espérer
sortir de l’impasse.
Il faut ensuite fixer un cap clair qui permette aux Maliens de situer le plan de
marche, la cadence à adopter ainsi que les objectifs à court, moyen et long
termes. Ce cap contiendra la mise en œuvre sincère de l’Accord de paix, dans
son texte et dans son esprit, la résolution des questions identitaires et religieuses,
la refondation de l’Etat et de la Gouvernance publique dans un cadre d’équité
entre les citoyens, les communautés et les territoires.
Il faut enfin adopter une démarche de rassemblement demandant à chacun des
concessions, avec en premier lieu les dépositaires du pouvoir, pour convaincre
du nouvel esprit dans lequel nous devons concevoir nos rapports socio-
politiques et engager la gouvernance publique de notre pays.
C’est en mobilisant tous les ressorts de nos compatriotes et de ce vieux pays
qu’est le Mali que nous pouvons espérer avoir une chance de sortir notre pays
des affres de la division, des troubles socio- politiques et de son implosion
programmée, avec la MINUSMA ou pas, avec Barkhane ou pas et avec le G5
Sahel ou pas !

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Rapprocher l’école du marché de l’emploi pour donner plus de
chances à nos jeunes diplômés en Afrique

Le système éducatif de nos pays est décrié pour expliquer en partie le chômage
massif des jeunes africains qui sont formés quelquefois en décalage avec les
besoins des marchés de l’emploi. L’école est ainsi prise entre le marteau de la
croissance démographique, de la faiblesse des moyens et de ses ressources
humaines impactant la qualité intrinsèque de l’enseignement, et l’enclume de la
déconnection avec les réalités socioéconomiques des pays. Elle n’arrive plus à
satisfaire les attentes des jeunes mais aussi des décideurs y compris des acteurs
économiques. Il faut rapidement sortir de cette impasse mortifère pour nos pays.
L’une des pistes de cette réhabilitation de nos systèmes éducatifs est de les
ouvrir à leur environnement et de donner un rôle à de nombreux acteurs de cet
environnement dans le fonctionnement de nos structures de formation et dans la
transmission des savoirs aux enfants. La variété de ces acteurs et leurs diversités
contribueront à renforcer les aptitudes des enfants, les éveillera mieux au marché
de l’emploi et leur donnera plus de chances pour combler leurs déficits
d’apprentissage. Cela ouvrira la voie à une meilleure intégration du monde
académique et du monde socioéconomique. Dans nos pays, on jettera ainsi les
bases d’une forme de solidarité entre les actifs et les futurs actifs, au bénéfice de
la qualité des produits du système éducatif. Dans cette optique, il faut envisager
de mettre en place de véritables partenariats entre les écoles, les universités, les
structures de formation professionnelle et le monde de l’entreprise, les patronats,
les chambres de commerce…Cette collaboration aura plusieurs illustrations
bénéfiques à nos systèmes éducatifs.
Les acteurs économiques pourront offrir des cadres de travail et de recherche
aux universitaires pour des études et analyses utiles à leur connaissance du
monde de l’entreprise ou de l’économie, ce qui leur donnera l’occasion de lier
les théories à la pratique. Inversement, les écoles et universités offriront leurs
dispositifs pédagogiques aux acteurs économiques qui pourraient travailler à la
reconfiguration des programmes d’enseignement pour les amener vers les
besoins du marché de l’emploi. Les chefs d’entreprises et du monde
professionnel pourront organiser des conférences dans les universités sur des
thèmes relatifs à l’économie, l’emploi, les entretiens d’embauche ainsi que
d’autres thèmes pouvant intéresser les étudiants. Ces interventions ouvriront les
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futurs diplômés aux réalités du marché de l’emploi, du monde professionnel,
aux exigences de nos économies, etc; elles leur feront prendre conscience des
attentes, insoupçonnées à l’école, à leur égard, quand ils devront faire leur
chemin après la sortie de l’université.
Le partenariat fécond entre les structures de formation et le monde professionnel
aura d’autres illustrations en la possibilité donnée aux écoles d’envoyer les
jeunes en stage dans les entreprises. Ces dernières peuvent soutenir
matériellement ou financièrement des activités de recherche, demander aux
universitaires de réfléchir sur certains domaines qui les intéressent, utiliser les
capacités intellectuelles du monde de l’enseignement…
En ouvrant la possibilité multi directionnelle de travailler ensemble, les
structures de formation et le monde professionnel peuvent imaginer, organiser et
mettre en œuvre toutes autres initiatives dans leur intérêt et celui du pays. Il en
sera par exemple, du soutien à l’excellence au sein des universités à travers des
prix et bourses accordés aux meilleurs étudiants.
Ce cadre de collaboration peut facilement être étendu aux acteurs du secteur
public, notamment les Institutions républicaines, les services administratifs ou
encore les collectivités locales pour la mutualisation de certaines activités,
l’organisation de journées portes ouvertes, les interventions dans les écoles, les
dispositifs d’accueils des étudiants…Le secteur public aussi est pourvoyeur
d’emplois et présente des spécificités qu’il convient de présenter aux jeunes
avant leur arrivée sur le marché de l’emploi. Il peut de ce fait être utile dans le
cadre des initiatives de rapprochement de nos structures de formation et du
monde professionnel.
La diaspora africaine est très forte, quelquefois solidement implantée dans les
pays d’accueil et contient par conséquent de nombreux ressorts pouvant être
utiles aux systèmes éducatifs du Continent. Il est possible d’utiliser les diasporas
africaines pour les mises en contact avec des structures de formation à
l’extérieur, des cours à distance, des visites d’échanges, des cours d’acteurs de la
diaspora lors de séjours organisés dans les universités de leurs pays d’origines,
des échanges d’étudiants…Nos expatriés seraient ravis de pouvoir rendre à leurs
pays une partie de ce dont ils ont bénéficié lors de leurs cursus passés.
Nous pouvons enfin ouvrir la possibilité d’utiliser les acteurs de la diaspora
revenus au pays à leur retraite, mais également ceux de nos retraités du sérail
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national ou local, ayant de grandes compétentes et une riche expérience pour
intervenir dans nos écoles. Ils pourraient être très utiles comme vacataires dans
les universités et les écoles en Afrique. Ils seraient heureux d’avoir l’occasion de
donner de leurs savoirs et partager leurs parcours, afin, d’aider les jeunes à
trouver leurs chemins, au moment où dans de nombreux secteurs il manque des
professeurs compétents sur le continent.
Le recul relatif de nos systèmes éducatifs et leurs incapacités réelles à répondre
aux besoins du marché de l’emploi obligent les décideurs à examiner toutes les
possibilités permettant de faire face à ce défi. Comme paraphraser un grand
leader politique du XXe sièce parlant de la guerre et de l’armée, l’école est une
chose trop importante pour la laisser uniquement aux mains des professeurs,
chercheurs, enseignants de métiers ! Il nous faut faire de cet outil de fabrication
du futur de nos pays un bien commun à la restauration duquel chacun doit
contribuer.

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Régionalisation
Ne la faisons pas à l’envers !

La Loi 2012-017 du 2 mars 2012 a créé des régions supplémentaires (11) ainsi
que de nombreux cercles (une trentaine) dans notre pays. Elle suscite beaucoup
d’espoirs et a donné corps à l’ambition du Mali de faire de la Région le niveau
d’impulsion du développement du pays à travers ses terroirs. La Loi a prévu 5
ans pour être mise en œuvre. En principe à la date d’aujourd’hui, on devrait voir
ces régions et ces cercles opérationnels. Cela est, hélas, très loin d’être le cas !
Les populations des régions nouvellement créées commencent à réclamer
l’application de la Loi. Elles pensent sans doute que l’érection d’un cercle en
région va leur faciliter la vie et ouvrir la possibilité d’un développement
économique.
La crise au Nord et l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale conclu à
la suite des négociations d’Alger ont entrainé une certaine accélération dans la
mise en œuvre de la Loi 2012 017 qui créé les circonscriptions administratives
du Mali, vu que les deux régions du Nord ont connu un début
d’opérationnalisation. Dans la foulée, certaines autres régions nouvellement
créées (Dioila, Koutiala, Bougouni, Nioro) semblent suivre. Il faut également
noter que l’Etat a nommé ses représentants et vient d’engager la phase
d’installation des autorités intérimaires dans les 21 cercles (anciens et nouveaux)
des cinq régions du Nord.
Nous sommes donc engagés dans la mise en œuvre, à pas forcé, de la Loi et
l’application de l’Accord de paix. Cela se fait sans réflexion stratégique et en
oubliant certaines réalités qui risquent de nous rattraper et créer des conflits.
Nous devons en tenir compte.
La première réalité est la disponibilité des moyens humains qui est une question
clé. Au niveau des cercles déjà fonctionnels avant 2012, au nombre de 49, l’Etat
arrive difficilement à pourvoir toutes les circonscriptions administratives en
effectifs conformes aux cadres organiques. Les départs à la retraite annoncés
n’arrangeront pas la situation. Les postes vacants sont encore d’actualité à ces
niveaux. En créant une trentaine de cercles et une dizaine de régions
supplémentaires, comment sera-t-il possible de pourvoir aux nouveaux besoins
d’effectifs ? Cela est simplement impossible ! Autrement dit, nous n’avons pas
51
et nous n’aurons pas des agents en quantité et, encore moins, en qualité pour
administrer les circonscriptions créées. Le déficit est encore plus évident au
niveau des collectivités territoriales créées.
La seconde réalité est la question des moyens matériels et financiers, aussi rares
que le personnel. Dans un pays centralisé comme le Mali, les budgets
disponibles pour les circonscriptions et pour les collectivités sont maigres
habituellement. En créant de nouvelles entités, il est probable que les budgets ne
suivent pas. La situation dans laquelle se trouve les Gouvernorats des régions
nouvellement créés et les autorités intérimaires au Nord illustrent parfaitement
l’indigence des moyens mis à leur disposition. Nous sommes en train d’aller
vers des circonscriptions « coquilles vides » et des collectivités territoriales
inopérantes qui ne seront que des semblants de décentralisation !
La troisième réalité est la viabilité des régions, cercles…avec l’idée répandue
selon laquelle le fonctionnement et les investissements doivent toujours venir de
l’Etat central. Les collectivités créées ainsi que les circonscriptions mises en
place doivent obéir à une logique économique minimale et des dispositions
doivent être prises pour qu’elles puissent collecter des ressources sur la richesse
créée localement afin de se financer, au moins en partie.
Cette perspective est à ouvrir et les responsables de ces zones doivent le
comprendre. On ne peut pas voir en la décentralisation et en la régionalisation
uniquement des pouvoirs nouveaux ainsi que des marges de manœuvres
supplémentaires sans contrepartie.
La dernière réalité, spécifique au Nord, est le fait d’un « partage de gâteau » qui
pénalisera à terme l’installation de la paix dans cette partie du territoire de notre
pays. La nomination des représentants de l’Etat mais surtout la mise en place des
autorités intérimaires fait la part trop belle aux groupes armés et accroissent leur
mainmise sur le Nord alors que d’autres légitimités y existent. Comme indiqué
dans une précédente tribune, l’Etat ne devait pas s’engager dans la mise en place
des autorités intérimaires en tête à tête exclusif avec les groupes armés. Il devait
élargir la gouvernance des collectivités à toutes les légitimités du Nord. On peut
concevoir que les belligérants participent à la gouvernance de l’Accord de paix
(instances de mise en œuvre, instances de suivi…) mais on ne doit pas leur
accorder le monopole de la gestion des territoires car ils n’y sont pas les seuls
acteurs légitimes.

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Sans remettre en cause ni la décentralisation à approfondir ni la régionalisation à
affirmer, il convient de prendre quelques mesures correctives pour nous éviter
des difficultés inextricables à l’avenir.
Sur le Nord, il faut restreindre les mandats des autorités intérimaires mises en
place dans les cercles et les limiter aux questions de paix et de réconciliation et à
l’accompagnement de l’Accord de paix. Il faut opérationnaliser les autorités
intérimaires régionales qui patinent et les aider à exercer pleinement leurs
attributions.
Nous devons engager des réflexions sur les conséquences d’une application
entière de la Loi 2012 - 017 et mener des débats pour revoir le dispositif de
l’organisation territoriale de notre pays vers une augmentation du nombre de
régions et la suppression des cercles, comme de nombreux pays semblent
prendre la direction (Sénégal, France). Cela permettra de relire la Loi en
conséquence. D’ici là, il faut expliquer aux populations qu’il ne sert à rien de
nommer un Gouverneur s’il ne peut administrer la région et surtout s’il n’existe
pas les collectivités territoriales appropriées pour ce faire. La régionalisation est
un tout qui doit être cohérent et ne peut en aucun cas se résumer à des
nominations sans lendemain.

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Le réchauffement climatique, facteur aggravant de la donne
terroriste dans le Sahel

Le réchauffement climatique, redouté chaque jour davantage en raison de ses


impacts supposés, structure en partie l’agenda politique et socio-économique
international. Cela sera de plus en plus le cas, n’en déplaisent aux climato-
sceptiques car les impacts du réchauffement ne sont plus seulement virtuels mais
bien réels. Ici ou là, aussi bien dans les pays insulaires menacés de disparition,
que sur les cités côtières, le quotidien des populations se caractérise par la
montée des eaux, les pluies diluviennes ou l’érosion des sols. Au Sahel, plus
qu’en de nombreux autres endroits de la terre, les conséquences du
réchauffement se font sentir de manière dramatique, au grand dam des Sahéliens
dont plusieurs dizaines de millions verront ainsi leur existence menacée. Ces
catastrophes prévisibles auront sans doute des conséquences économiques,
sécuritaires et politiques significatives, dans le Sahel mais aussi ailleurs !
Il est observé dans le Sahel, une évolution défavorable de la pluviométrie qui
entame dangereusement la sécurité alimentaire des populations. Ainsi, pendant
les 30 dernières années, les précipitations ont baissé en moyenne d’environ 200
mm chaque année, entrainant un déficit des pluies de 50% par rapport aux
besoins de la zone. La hausse des températures est l’une des causes directes de
cette situation. Selon les experts du groupement d’experts indépendants sur le
climat (GIEC), il y a peu d’espoir que le réchauffement reflue en raison de la
faible disposition des grands contributeurs au réchauffement à agir. Selon ce
groupement, seul un bilan carbone nul en 2030 peut maintenir l’espoir d’une
limitation de la hausse de la température à 1,5° en 2100. Nous en sommes très
loin actuellement. Notre trajectoire est ubuesque et s’avèrera rapidement
insoutenable avec comme conséquence la disparition des forêts en 2100. La
catastrophe est attendue. Elle sera plus rapide et plus dure pour les uns que pour
les autres. Le Sahel, pauvre parmi les pauvres, sera l’une des premières victimes.
La zone sahélienne se caractérise par une grande précarité des populations mais
aussi par des États dont les moyens humains, matériels et financiers sont parmi
les plus faibles de l’humanité. On y constate des États dont les Institutions ne
sont pas suffisamment solides, servis par des administrations sclérosées, une
corruption endémique et une grande faiblesse des capacités techniques à
formuler et à mettre en œuvre des projets collectifs mobilisateurs. Ce ne sont
55
donc pas les collectivités qui permettront de faire face aux ravages des
changements climatiques. Cela d’autant plus qu’au même moment, les pays
sahéliens connaissent un accroissement significatif de plus de 4% de leurs
populations chaque année avec un rajeunissement important de la population
(âge moyen de 17 ans dans cette zone). Ces pays sont malheureusement assez
éloignés de la transition démographique du fait de la non concomitance de la
baisse de la mortalité néonatale et de la fécondité des femmes conduisant à un
ratio insoutenable d’un actif pour un inactif et demi !
Le Continent africain émet moins de 4% des gaz à effet de serre alors qu’il
abrite 17% de la population mondiale. Autrement dit, l’Afrique et donc le Sahel,
subissent les effets d’une situation dont ils ne sont que des auteurs mineurs.
Malgré le déficit pluviométrique global, les précipitations diluviennes ont
augmenté de 40% par rapport aux années 50, ce qui se traduit par des
inondations amplifiées par la déforestation et la mauvaise gestion foncière. Les
pertes importantes de récoltes, le déplacement des populations vers les zones
humides et les villes, suscitant des conflits sont d’autres conséquences de cette
situation.
La raréfaction des ressources naturelles, l’accroissement démographique, les
pertes d’opportunités pour les populations conduisent les plus fragiles à perdre
pied et à s’inscrire dans toutes les aventures leur permettant de garder espoir.
Une enquête conduite auprès des jeunes maliens appartenant à des groupes
terroristes, faits prisonniers, a démontré que leur motivation principale pour
suivre le djihadisme n’était pas religieuse mais économique. Le terrorisme est
malheureusement devenu un emploi comme un autre et une source de revenu
comme une autre dans cette partie du continent.
La jeunesse perdue, n’ayant pas grand-chose à attendre de son existence et
accablée par des perspectives encore plus sombres que le présent, est également
susceptible de s’engager dans l’aventure terroriste en se convertissant aux thèses
religieuses radicales. Le message religieux, porteur d’espoir dans l’au-delà et
semblant donner quelques fois des justifications rassurantes à la violence, est
attrayant pour des personnes désespérées. Quand l’univers s’écroule autour de
soi, on peut y trouver un refuge commode. Cela s’est vérifié sous d’autres cieux.
Le terrorisme sahélien aura donc également un visage protestataire et
réactionnaire.

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La protestation sera d’autant plus crédible qu’elle sera alimentée par des
rhétoriques anti-occidentales classiques (exploitation de ressources,
impérialisme, assujettissement …) auxquelles viendraient s’ajouter les
arguments climatiques. Les mouvements terroristes et extrémistes violents ne
manqueront pas d’arborer le manteau climatique pour donner une énième
crédibilité à leur aventure contre les pays riches. Le fait que les émissions de gaz
viennent majoritairement des pays occidentaux riches et que les conséquences
les plus dramatiques soient perceptibles dans le Sahel, sera un argument pour
tous ceux qui voudraient s’en prendre aux Occidentaux. La guerre de
civilisations, alimentée par des conflits contemporains durables comme la crise
israélo – palestinienne, rengaine classique des groupes terroristes islamiques,
trouvera ainsi un motif supplémentaire pour être poursuivie.
Quand on sait l’intelligence des situations dont font preuve des groupes
djihadistes pour adapter leurs mobiles aux contextes et accroitre l’attractivité de
leur cause auprès des populations de nos pays, il ne sera pas surprenant de voir
bientôt l’argument climatique situé au cœur de leurs motivations et
revendications. Il est indispensable d’en prendre conscience et de s’y préparer.
Le changement climatique explique actuellement des catastrophes écologiques
et socio-économiques et quelques fois politiques. Si on n’y prend pas garde,
dans le Sahel demain, il motivera des actions violentes déstabilisatrices pour cet
espace et, après demain, pour d’autres contrées.

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58
Chapitre 2
2019 : La confirmation de la détérioration de la situation

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2019 : Tout n’est pas perdu !

A vrai dire, rien n’est jamais perdu quand il s’agit de groupes d’humains, de
collectivités ou de nations. A fortiori de continent !
Il est tout aussi vrai que quand on regarde certains chiffres, la situation de notre
continent paraît difficile. Nous occupons les dernières places dans la plupart des
classements relatif à la richesse, au confort de vie, à l’accès des humains aux
facilités offertes par les technologies…Nous ne sommes pas bien classés non
plus quand il s’agit de perspectives et de déterminants d’avenir comme
l’éducation, la formation, la recherche ou la gouvernance publique.
Mais ces constats étaient vrais pour d’autres il y a quelques décennies, ce qui ne
les a pas empêchés de faire mentir les cassandres. L’Afrique pourrait
parfaitement faire de même et contribuer à faire de ce 21e siècle celui du
continent africain.
Très rapidement, nous serons la jeunesse du monde et donc sa force vitale et
surtout ses ressources innovantes et créatrices. L’orientation des GAFAM vers
l’Afrique montre bien cette voie car ce groupe d’entreprises, mieux que
quiconque aujourd’hui, sait anticiper. Demain les universités et structures de
recherche, grâce à la connectivité, permettront aux jeunes africains de créer,
exploiter, développer des produits et services sortis de leur imagination au
bénéfice de milliards d’autres individus.
Nous sommes déjà une part de la sève nourricière de l’humanité. Cela
s’accroitra, de l’agriculture aux ressources minières en passant par les énergies
renouvelables, le Continent en 2050, produira de l’énergie, des aliments, des
biens et services que le monde consommera grâce à l’interconnexion très forte
que les infrastructures créeront entre nous et les autres, nous redonnant la place
géographique centrale qui est naturellement la nôtre sur la planète.
La digitalisation croissante des activités humaines, l’essor prodigieux des
technologies (bio technologie, nanotechnologie,) rendront aisée la vie matérielle
des hommes et permettront à l’humanité de prendre le dessus sur ses craintes
majeures (faim, maladie notamment). Cependant, cette aisance croissante créera
chez les hommes d’autres besoins, notamment spirituels et émotionnels.
L’Afrique est le continent de la spiritualité et le restera. L’Afrique est le
continent des émotions et de la préservation de nombreux liens avec le passé.
61
Ces survivances de traditions, de passés et de sens seront demain des actifs qui
seront utiles à d’autres. Ce qui nous placera en bonne position à l’échelle de
nouvelles valeurs de ce siècle bouleversant.
Demain ne sera en rien semblable à aujourd’hui. Aucune prédiction, aucun
oracle de statistique ou de probabilité ne peuvent nous dire ce qu’il en sera.
Nous avons donc nos chances. A nous de savoir les saisir et de nous hisser à la
hauteur de l’histoire.

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La CEDEAO
Le temps de la vraie intégration est-il venu ?

Le samedi 21 décembre 2019 sera peut-être le point de départ, pour l’Afrique de


l’Ouest, de la vraie indépendance et de l’intégration réelle porteuses de progrès
pour ses 400 millions d’habitants. Ce jour, le Président OUATTARA, en accord
avec ses pairs de l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA)
a annoncé la disparition du FCFA en 2020. C’était à Abidjan en présence du
Président Français Emmanuel MACRON, qui entrera dans l’histoire comme le
Chef d’État français qui a posé les jalons réels du changement de cette monnaie.
Ces dispositions ont ensuite été approuvées par la 56 e session ordinaire du
sommet des Chefs d’Etat de la CEDEAO tenu ce même jour à Abuja.
Cet acte politique très fort sonne également comme une opportunité historique
vers l’union monétaire en Afrique de l’Ouest. Il donne corps au projet ECO, non
pas uniquement dans la zone l’UEMOA, mais pour toute la zone de la
Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). À partir
de l’année prochaine, il y aura la monnaie ECO dans la zone UEMOA, en lieu et
place du FCFA et sans lien de tutelle avec la France (suppression du compte
d’opération et aucune supervision de la gestion monétaire par Paris).
Cela ouvre la perspective d’une monnaie de l’Afrique de l’Ouest qui
fonctionnera selon le modèle de la zone Euro avec la possibilité de l’élargir
progressivement aux pays qui le veulent et qui le peuvent. D’ores et déjà il y a
en ligne de mire la Guinée, le Ghana, le Cap Vert et les pays anglophones de
dimensions démographique et économique plus modestes (Sierra Leone,
Gambie, Liberia) et un jour, le plus tôt étant le mieux, le Nigeria leader naturel
de cette zone. Cet élargissement sera accompagné par un approfondissement de
la gouvernance avec la mise en place de dispositifs de mutualisation des risques,
des politiques communes et d’Institutions appropriées qui donneront
progressivement à la zone les attributs indispensables à son fonctionnement vers
la réalisation de ses objectifs.
L’étape suivante sera d’insérer progressivement l’UEMOA au sein du dispositif
de la CEDEAO de manière à ouvrir le chantier indispensable de la clarification
institutionnelle au sein de la zone. Il convient de fondre à ce titre, le dispositif de
gouvernance économique et monétaire de l’UEMOA (critères de convergence et
63
de surveillance multilatéraux) dans le nouveau système de gestion de la monnaie
d’une part et, d’autre part, de transférer ses missions sectorielles (agriculture,
éducation, santé…) à la CEDEAO en y intégrant les Institutions spécialisées qui
leur sont liées. La réforme de la CEDEAO, l’amélioration de ses procédures et
l’accroissement de ses moyens permettront d’assurer cette mutation importante
qui devra être conduite à moyen terme.
L’absorption de l’UEMOA par la CEDEAO ne sera pas le seul chantier de
rationalisation institutionnelle dans la zone Ouest africaine. Il existe dans cette
zone géographique une ribambelle d’organisations interétatiques, aux ambitions
quelques fois superposées. Certaines d’entre elles ont une vocation technique et
d’autres sont centrées sur des espaces précis. Il est impératif de revisiter cet
environnement institutionnel encombré pour le simplifier et le rendre plus
efficient. Sortons enfin de la balkanisation institutionnelle en Afrique de
l’Ouest ! Le G5 Sahel, l’autorité du LIPTAKO GOURMA, le Comité Inter Etats
de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS), l’organisation du bassin du
lac Tchad (CBLT) ou encore l’organisation de la Mano River…Les pays de cet
espace doivent se fixer un horizon stratégique de conversion vers une seule
organisation politique avec des vocations sectorielles sur l’espace ouest africain.
Ce qui leur permettra d’engager la transformation progressive de certaines
organisations en structure technique de la CEDEAO et la suppression d’autres
ayant fait leur temps sans impact ou dont l’utilité reste sujette à caution.
Dans cette dernière catégorie figure le G5 Sahel qui est plus une organisation
d’inspiration française qu’une organisation réellement pensée et créée par ses
Etats membres. Il n’est pas indispensable de donner une réalité institutionnelle à
des spécificités géo-climatiques. Les pays comprenant des aires climatiques
particulières, élaborent des politiques qui les adresser sans créer d’Institution
dédiée. C’est ce qu’il convient de faire à l’aune de la région ouest africaine. Les
stratégies élaborées pour faire face aux défis sahéliens doivent être confiées à
l’organisation politique majeure de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en
complémentarité avec les pays, pour être mises en œuvre. Le G5 Sahel étant à
ses balbutiements et peinant à prendre son envol, il est souhaitable de prendre la
décision politique courageuse de la supprimer et de transférer ses missions et
stratégies à la CEDEAO. Une période transitoire peut être retenue pour faciliter
cette mutation qui s’inscrit dans une démarche stratégique de construction

64
progressive d’une seule entité politique et économique en charge du
management de cet espace.
Le projet devrait être soutenu par la vision de l’établissement, d’ici une
décennie, d’une institution portée par les Etats et surtout par les peuples, dotée
d’un fonctionnement démocratique, et compétente pour traiter des sujets
communs. À ce titre, les questions de sécurité, de lutte contre le terrorisme et la
criminalité régionale et transfrontalière pourront être adressées avec plus
d’efficacité. C’est à ce titre d’ailleurs qu’il convient de soutenir la récente
initiative de la CEDEAO d’allouer un milliard de dollars US aux enjeux
sécuritaires de l’espace Ouest africain. L’opérationnalisation des forces en
attente participe de cette volonté. Les troupes du G5 Sahel peuvent constituer
quelques bataillons à partir de cette force dans un cadre plus intégré et porté par
davantage d’Etats.
Le chancelier allemand Bismarck reconnaissait la primauté de la géographie en
affirmant « nous faisons l’histoire mais nous subissons la géographie ». L’avenir
des pays d’Afrique de l’Ouest ne se jouera ni à Paris ni à New-York ou Beijing
mais en Afrique de l’Ouest. L’opportunité ouverte par la disparition du FCFA
doit être transformée pour faire de cette zone, la mieux intégrée et la mieux
organisée en Afrique afin de lui ouvrir des perspectives socio-économiques et
géopolitiques favorables. Cela pourrait se traduire politiquement par une
CEDEAO dirigée par un exécutif émanant des Etats, supervisé par un parlement
élu directement par les peuples au lieu de simples délégués issus des parlements
nationaux. Cela pourrait également, dans un horizon plus lointain, s’illustrer par
la constitution d’une fédération des Etats d’Afrique de l’Ouest avec un Président
fédéral élu par l’ensemble des peuples de la zone.
Cette ambition nourrie par Kwame NKRUMAH, Modibo KEITA et d’autres
pères fondateurs, nécessite toutefois des leaderships avérés dans les pays qui
regardent dans la même direction. Elle nécessite aussi et surtout un leadership
fort et visionnaire à la tête du Nigeria, géant d’Afrique de l’Ouest qui doit
accepter de s’ouvrir à l’intégration, consentir à fournir les efforts que cela
nécessite et s’engager à exercer de manière permanente son leadership. Les
grandes unions régionales sont celles où le leadership est clair, visionnaire et
exemplaire. Alors quand aura-t-on et qui sera le NKRUMAH Nigérian ?

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66
Budget d’État 2020
La fuite en avant n’est pas tenable

Un adage bien connu au Mali dit que « courir sur le toit oblige à s’arrêter à un
moment ou à un autre, au risque de chuter ! ». La gouvernance financière de
notre pays ressemble de plus en plus à une course sur le toit. Nos autorités
doivent prendre garde à la chute qui peut se produire. Le projet de budget 2020
présenté à l’Assemblée nationale n’illustre malheureusement pas la prudence qui
sied à la situation. Bien au contraire !
La Loi de finances soumise à l’examen des députés au titre de l’année prochaine
et qui traduit l’intention politique du Gouvernement paraît dans de nombreux
aspects, contraire à ce qu’il convient de faire en ce moment. Aussi bien dans
l’anticipation des recettes que dans la planification des dépenses, les intentions
de nos autorités paraissent contraires à ce dont le pays a besoin. En
conséquence, il faut craindre que la situation financière de l’État, déjà
préoccupante, ne soit encore plus alarmante à la fin de l’année prochaine, ceci,
au grand désespoir des maliens, notamment des plus démunis. La crise
économique et financière pourrait avoir des conséquences plus dramatiques que
la crise sécuritaire. Faisons donc attention !
En ce qui concerne les recettes, le budget d’État anticipe 2 182 milliards de
FCFA contre 2 055 milliards pour le budget 2019 rectifié, soit une augmentation
de 127 milliards. Cette progression est en réalité plus élevée quand on prend en
compte certaines recettes exceptionnelles de 2019 (vente de la 4e licence, dons
reçus, etc.…) pour environ 74 milliards et qui ne se renouvelleront pas en 2020.
Si l’on fait abstraction de ces éléments non récurrents, l’augmentation de
recettes envisagée par l’État serait d’environ 201 milliards de FCFA entre 2019
et 2020.
Pour réaliser cette augmentation, le Gouvernement entend faire de véritables
prouesses fiscales en générant des recettes supplémentaires d’environ 200
milliards par rapport à 2019.
Cela paraît très discutable en raison du fait qu’en 2019 déjà, la réalité des
recettes fiscales a été inférieure de 66 milliards aux prévisions. Alors comment
pourrait-on atteindre des objectifs aussi ambitieux ? En 2019, il était initialement

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prévu 1 603 milliards de recettes. Cette somme a dû être revue à la baisse en la
ramenant à 1537 milliards ! En 2020 le Gouvernement programme 1 730
milliards de recettes ! Comment fera-t-il ?
Les explications fournies dans le document de présentation du budget paraissent
très légères. Il y est indiqué que cet objectif de recettes a été fixé pour atteindre
le niveau de pression fiscale de 15,6% ! Ce qui paraît assez surréaliste et
s’apparente à de l’auto persuasion ! A l’image du taux de croissance, les
performances fiscales ne se décrètent pas. Elles sont issues d’actions,
d’initiatives, de réformes et de mesures vigoureuses et adaptées. Il est illusoire
de concevoir un budget sur base d’un objectif chiffré que l’on se fixe en
l’absence d’indication de la stratégie à mettre en œuvre, des efforts à fournir et
des réformes à conduire ! Il ne suffit pas de le proclamer pour réaliser 200
milliards de recettes supplémentaires ! Dans une situation de cette nature, les
lendemains risquent d’être douloureux et on risque de faire face encore à des
réajustements comme en 2019.
Le document de présentation du budget annonce également une batterie de
mesures pour améliorer les recettes des impôts, des domaines, du Trésor Public
et de la douane qui s’apparentent à une répétition des intentions formulées lors
de chaque exercice budgétaire. Elles seraient plus crédibles si pour chaque
mesure, on indiquait le montant des recettes supplémentaires attendu par
exemple. Autrement, on ne peut leur accorder de crédibilité.
Il est par conséquent probable que les recettes attendues en 2020 ne soient pas
au rendez-vous, comme cette année. Ce qui aura des conséquences négatives sur
la situation financière de l’État.
Les dépenses sont évaluées à 2 605 milliards de FCFA contre 2 388 milliards
dans le budget révisé de 2019 soit une augmentation de 217 milliards de FCFA.
Cette hausse est expliquée entre autres, par les remboursements de dettes (125
milliards), les salaires (41 milliards), les achats et autres dépenses (51 milliards
dont 10 pour les élections). À noter que certaines dépenses augmentent mais la
présentation du Gouvernement reste muette sur cela. Il s’agit des acquisitions de
biens et services pour 5 milliards ou encore les transferts et subventions pour 33
milliards. Les explications sur ces augmentations devraient être fournies.
Le Gouvernement anticipe une baisse de la subvention versée à la société
Energie du Mali (EDM SA) à hauteur de 45 milliards, cela n’est pas réaliste. Il
68
est donc probable que cette subvention, consentie pour maintenir des tarifs
abordables de l’énergie, ne baisse pas, ce qui accroitra les dépenses de l’État en
2020. Pour réaliser des économies, il est également prévu de réduire le filet
social de 13 milliards. Ce qui n’est pas acceptable dans le contexte actuel car ce
volet est destiné à soutenir les personnes démunies. En revanche, chose
surprenante, on ne remarque aucun effort de réduction du train de vie des
institutions. Cela est également inacceptable puisque contraire à l’esprit de la
gestion d’un pays en crise. Il est inconcevable d’imposer des efforts aux
démunis et laisser les nantis mener grand train !
Compte tenu de ce qui précède, il est à craindre que le niveau des dépenses soit
plus élevé que ce qui est présenté du fait de l’iniquité de certaines décisions et
de la réalité à laquelle il faudra de toute façon faire face comme par exemple la
subvention à verser à EDM SA. On pourrait ainsi, sur base des chiffres présentés
par le Gouvernement, anticiper un niveau de dépenses supérieur d’au moins 50
milliards aux prévisions, soit un niveau global d’au moins 2 655 milliards de
FCFA.
Il convient de noter également qu’à l’examen des budgets des investissements,
notamment le Budget spécial d’investissement (BSI) intérieur, il est prévu 15
milliards pour la réhabilitation de la Route Kati – Kayes – Kidira. Quand on
connait le niveau de dégradation avancée de cette voie, on imagine facilement le
caractère dérisoire des ressources affectées. Cette décision risque de contraindre
l’État à faire plus d’effort et donc à accroître les dépenses et donc le déficit.
La déficit budgétaire (différence entre 2 605 milliards de 2 182 milliards) est
évalué à 423 milliards contre 333 milliards dans le budget rectifié de 2019, soit
une augmentation de 90 milliards de FCFA. C’est la plus forte augmentation du
déficit (27%) jamais constatée dans notre pays. Avec un Produit Intérieur Brut
(PIB) estimé par le Gouvernement à 10 905 milliards, le taux du déficit sera
de 3,9% soit au-delà du maximum autorisé de 3% selon les règles de l’UEMOA
et de la CEDEAO.
En réalité, ce déficit risque d’être encore plus élevé car les estimations de
recettes paraissent irréalisables (surestimation d’au moins 150 milliards) et les
estimations de dépenses semblent sous-estimées d’au moins 50 milliards. Le
déficit risque de ce fait d’être plus profond d’au moins 200 milliards ; ce qui fait
ressortir un niveau de déficit d’environ 623 milliards de FCFA, soit près du

69
double de 2019 et 5,7% du PIB. Ce qui semble difficilement supportable pour
un pays comme le Mali.
Le Gouvernement envisage de faire face aux difficultés financières de l’État en
empruntant au moins 556 milliards de FCFA. Ce qui alourdira l’endettement du
pays et génèrera encore plus de charges financières à supporter dans le futur.
Pourquoi nos autorités n’envisagent-t-elles pas de réaliser des économies ?
Pourquoi ne pas tailler clairement dans toutes les charges de fonctionnement,
notamment celles des Institutions ? Pourquoi ne pas montrer l’exemple aux
maliens et dire enfin que face à la situation catastrophique, on doit tous se serrer
la ceinture ? Pourquoi ne pas regarder du côté des exonérations fiscales qui sont
des cadeaux faits aux nantis, souvent sans contrepartie ?
Ces questions se posent et leurs réponses sont attendues. D’ici là, il faut
malheureusement constater que le projet de budget pour 2020 n’est ni réaliste, ni
crédible et ni juste.

70
Pour donner confiance aux Maliens : La force des symboles !

La signature de l’accord politique de Gouvernance, la mise en place du


Gouvernement d’ouverture avec à sa suite la définition d’un plan de marche de
cette équipe avec la fixation d’une période d’action sont des signes positifs en
vue de la mobilisation de nos compatriotes et de la réalisation d’une unité sans
laquelle rien ne sera possible pour le Mali.
Tout cela est intéressant et le calme relatif dans lequel le pays baigne laisse
penser que les Maliens ne sont pas hostiles à ce qui se passe, ou à tout le moins
qu’ils sont dubitatifs et attendent. Ce qui est également bon signe. Toutefois, Il
ne faut pas se satisfaire de ce calme apparent car aucun de nos problèmes n’a
disparu. Les attaques contre les militaires à Guiré, la tuerie de Heremakono ou
encore des préavis de grève annoncés montrent que l’ensemble des défis
auxquels le pays fait face sont encore prégnants. Il ne faut pas non plus estimer
que tout sera résolu par le Dialogue National en cours de préparation.
Le Gouvernement devrait se convaincre qu’au delà du Dialogue qui va être mis
sur les rails, il faudra absolument rassurer les Maliens et leur montrer qu’il est
résolu à s’attaquer aux maux profonds qui minent notre pays. Cela passe par
l’engagement de mesures lourdes et d’actions significatives qui sont, par nature,
longues à organiser. Cela passe aussi par des initiatives symboliques capables de
frapper les esprits et de convaincre les sceptiques que des choses sont en train de
bouger.
C’est à ces mesures symboliques qu’il convient de songer rapidement pour
accompagner le petit vent de renouveau qu’annonce le Gouvernement
d’ouverture du 05 mai 2019. Le symbole a l’avantage de la simplicité et donc de
l’intelligibilité par une bonne partie du peuple s’il est accompagné par une
stratégie de communication appropriée. Il a quelquefois des portées financières
mais son propre est qu’il annonce une intention, indique une destination et ouvre
des perspectives pour la collectivité. Il ne faut pas sous-estimer la force des
symboles et de nombreux leaders ont régulièrement recours à cette approche
pour annoncer des jours nouveaux dans leur pays. C’est exactement ce qu’il faut
retenir de la récente utilisation d’un vol commercial par le Président de la
République sénégalaise pour se rendre en France. Dans cet acte, on peut déceler
l’intention du Chef qui se veut humble, vivant avec les réalités de ses

71
compatriotes, proche de ses administrés. On peut aussi identifier le chef qui
annonce la fin des fastes, des dépenses inconsidérées et des pratiques d’une élite
peu soucieuse des difficultés des populations. Enfin derrière ce geste on peut
noter le message d’un leadership sacrifiant son confort et orienté vers l’efficacité
au service de son pays.
De nombreuses mesures symboliques peuvent ainsi être envisagées rapidement,
pour annoncer le changement, notamment au niveau de ceux qui dirigent et de
ceux qui servent le pays et les Maliens.
En premier lieu, il faut simplifier et réduire le train de vie de l’Etat, revoir à la
baisse les conditions des voyages des membres de l’administration, du
gouvernement et des autres corps de l’État, réduire les protocoles et les fastes de
la République, éliminer le tapis rouge et inscrire ces changements dans une
dynamique plus large. Le contexte économique et financier difficile sied à ces
mesures. Dans cette veine, nous devons limiter les missions, utiliser les vidéo
conférences, les conférences téléphoniques passant par les réseaux sociaux et
donc presque gratuites pour faire travailler les services au-delà des distances. Il
faut revoir les consommations d’électricité et de téléphone en systématisant le
système de prépaiement dans les administrations.
A un autre niveau, l’amélioration de la distribution des intrants, en cette veille
de campagne agricole, serait bien perçue, surtout si elle est accompagnée par la
sanction de certaines mauvaises pratiques.
Nos autorités doivent se rapprocher des militaires et des forces de sécurité qui
paient le prix de la lutte contre le terrorisme. Nous devons mieux vivre leurs
réalités, les connaitre pour travailler à améliorer leurs conditions et leur moral en
continue. Nous devons rendre hommage à chaque soldat qui perd la vie et
soigner promptement les blessés. Nous devons créer autour de nos forces un
élan de solidarité nationale à toutes épreuves. Nous devons également
sanctionner tout mauvais comportement parmi eux, surtout si cela est fait au
détriment des citoyens qu’ils sont censés défendre.
La rationalisation de l’utilisation des moyens de l’Etat (véhicules, logements…)
est synonyme d’économie mais aussi et surtout envoie le message des élites
conscientes de leurs responsabilités et prêtes à cesser les abus.

72
Il faut rapidement promouvoir le « made in Mali », partout et l’encourager
systématiquement. Des initiatives ont été prises par le passé. Il convient de les
appuyer dans la perspective de l’obtention des résultats concrets et porter cela à
la connaissance de nos compatriotes. L’exemple du Chef de l’Etat du Burkina
Faso et de son Gouvernement est à méditer à ce titre.
Au chapitre de la justice, nous devons impérativement libérer les prisonniers
n’ayant rien à faire dans l’univers carcéral. Sur un effectif supérieur à 2 300
prisonniers à la Maison d’arrêt de Bamako, il y a plus de 1500 qui sont en
détention provisoire, certains depuis plusieurs années, totalement oubliés par la
justice ! Il y en a tout autant dans les autres centres de détention du pays.
Nombre parmi eux sont en prison pour des motifs fantaisistes, d’autres pour des
infractions dont les peines sont nettement moins longues que la durée déjà
consommée de leur détention provisoire. Cette réalité dramatique de nos
structures carcérales contraste scandaleusement avec une autre réalité, celle des
crimes économiques qui ne font jamais l’objet de jugement. Autrement dit, plus
on vole et moins on est inquiété ! Il faut casser cette réalité et ce serait là le
symbole le plus illustratif du changement que le nouveau Gouvernement
pourrait donner à l’opinion. Sur les centaines de dossiers pendants devant le pôle
économique, il faut organiser rapidement quelques procès retentissants afin de
convaincre les Maliens qu’un nouvel ordre est possible.
Le champ des actions symboliques porteuses de messages est vaste. Dans tous
les secteurs, des mesures concrètes et symboliques peuvent être envisagées le
plus tôt possible pour porter le message du renouveau et accroître la confiance à
l’égard des autorités. C’est dans cette optique qu’il convient de demander à
chaque Ministre d’identifier deux ou trois initiatives fortes et symboliques de
son domaine à conduire dans les deux ou trois mois à venir. Ces actions seront
ainsi accompagnées par une stratégie de communication qui rendra leur
symbolique et leur portée accessibles à l’ensemble des Maliens. Pour qu’ils se
convainquent, progressivement, que, par petites touches, le Gouvernement est à
leur écoute et à leur service, prêt à se sacrifier pour ce faire. Qu’ils se
convainquent que ceux chargés de les représenter et de leur rendre des services
se mettent enfin à la hauteur de leur charge historique.
Il n’y aura pas de bouleversement immédiat dans les rapports entre les Maliens
et leur leadership mais un frémissement positif peut ouvrir des perspectives pour
les autorités. Cela accroitra leur marge de manœuvre pour traiter les dossiers les
73
plus compliqués et leur donnera des munitions supplémentaires afin de
persuader nos compatriotes de faire des efforts au moment où cela leur sera
demandé.

74
Le Dialogue national sera-t-il enfin la voie qui permettra aux
Maliens de s’approprier de leur pays ?

Le Dialogue national, réclamé par des franges importantes de la société


malienne, est l’une des principales missions du Gouvernement d’ouverture mis
en place le dimanche 5 mai 2019. C’est la substance de l’accord politique de
Gouvernance conclu le jeudi 2 mai et qui a concrétisé l’engagement d’acteurs
politiques et de la société civile auprès du Président pour l’accompagner dans la
conduite des affaires publiques de notre pays.
Au moment où certains de ceux-ci dénoncent le processus initié, des
interrogations sont légitimement posées quant à la volonté du pouvoir de
s’engager dans un véritable exercice qui abordera les questions essentielles pour
la refondation de l’Etat malien et la sortie durable de crise du pays. Cela est
pourtant indispensable si l’on veut éviter un énième exercice de style non
productif. Les Autorités doivent mesurer les attentes légitimes à l’égard du
dialogue et s’inscrire dans une démarche de fond visant les causes réelles de
l’enlisement du Mali. Dans cette optique, il est souhaitable de fixer un objectif
stratégique au dialogue et de lui donner des contenus utiles afin de rassurer nos
compatriotes et les nombreux responsables aujourd’hui dubitatifs.
Le dialogue national doit avoir comme objectif principal l’appropriation par les
Maliens de leur pays !
Il s’agit de faire en sorte que l’ensemble des Maliens (de l’intérieur et de la
diaspora) s’approprient, se saisissent et portent le Mali et son destin. Qu’ils
s’engagent tous à fournir les efforts nécessaires afin de sortir le pays des
difficultés et renvoient ainsi un signal fort à tous ceux qui, de la communauté
internationale, sont au chevet du Mali pour qu’ils sachent que désormais les
parties maliennes sont prêtes à faire leur part d’effort ! Partant de là, que les
Maliens ne seront plus suiveurs des autres dans la recherche des solutions à leurs
problèmes. Cet objectif principal peut être décliné en objectifs spécifiques,
permettant d’aborder l’ensemble des questions aussi bien conjoncturelles que
structurelles se posant au pays. Six axes majeurs peuvent être tracés dans cette
perspective.
Le premier axe se traduira par l’identification des voies et moyens permettant
aux Maliens de s’approprier de la crise du Nord en vue de sa résolution rapide et
75
définitive. La mise en œuvre de l’Accord de paix, les réformes politiques et
territoriales, l’approfondissement de la décentralisation, les solutions permettant
de bannir à jamais les rebellions figurent, entre autres, au menu de cet axe.
Le second axe majeur visera à identifier et conduire les actions permettant aux
Maliens de s’approprier des questions relatives aux conflits
intercommunautaires du Centre et de s’impliquer pour les résorber
rapidement. Le démantèlement des milices, la question des chasseurs
traditionnels, la présence de l’Etat à travers ses services, la justice et les
réparations, la cartographie des zones de tensions pour anticiper les conflits
probables doivent être abordés. La sanction de toutes exactions des forces de
sécurité, l’implication des autorités traditionnelles et religieuses dans la
pacification, la création de consensus locaux mis en œuvre par l’administration
seront entre autres des sujets à aborder devant faire l’objet de résolutions et
d’actions à la suite du dialogue.
Le troisième axe stratégique du dialogue consistera à concrétiser
l’appropriation par les Maliens des questions de sécurité et de terrorisme. il
convient d’aborder tous les angles de traitement de ces sujets, les raisons
fondamentales de la prolifération terroriste, les causes profondes (religieuses,
socio-économiques, diplomatiques, sécuritaires, politiques…), comment
répondre efficacement aux équations posées, la question du dialogue avec les
terroristes, les réponses locales, les réponses socio culturelles et religieuses, les
rôles de l’administration et de l’Etat, les réformes sécuritaires et les rôles des
Maliens, les questions de sécurité inter urbaine, rurale, urbaine, la circulation
des armes…
Le quatrième axe, vise à permettre aux Maliens de convenir des moyens qui
leur permettront de s’approprier les institutions républicaines, le système
démocratique et le fonctionnement normal de la vie publique en portant les
réformes constitutionnelles, institutionnelles, législatives et règlementaires
nécessaires. Cet axe devrait permettre de fixer un chronogramme pour les
échéances à tenir afin de boucler les cycles électoraux des années précédentes
(scrutins locaux, régionaux, communaux partiels et législatifs).
Le cinquième axe du dialogue imaginera comment les Maliens s’approprieront
des questions de l’administration du pays, de la gouvernance et de la citoyenneté
en œuvrant à la mise en place d’un pacte national d’exemplarité comportant

76
pour chacun, des efforts à fournir afin de conforter l’ensemble national. Tous les
changements de comportement à adopter sont à codifier afin que les citoyens
fassent enfin confiance en l’Etat et en ses serviteurs, et que ceux-ci s’engagent à
leur tour sur le chemin du renforcement de la nation, de la famille, du quartier,
du village, de la fraction, de la commune, de la ville, du cercle, de la région, etc.
Les Maliens doivent s’entendre au terme de cet exercice, sur les actes qu’un
leader doit poser et ceux qu’il s’abstiendra de commettre, qu’il soit Chef de
service, Maire ou Président de la République, le tout étant assorti des sanctions
appropriées. La redevabilité à tous les postes de responsabilité devra être
imposée ainsi que les sanctions visant l’interruption de tout mandat public en cas
de défaillance. Une administration au service des usagers, l’évaluation de
chaque responsable, la transparence dans l’exercice de tout mandat, la probité à
toute épreuve à tous les niveaux et des sentinelles vigilantes pour mettre chacun
sous pression seront érigés.
Le dernier axe du dialogue national devra traiter des moyens permettant aux
Maliens de s’approprier de la vie sociale et des relations entre l’Etat et les
acteurs sociaux en mettant en place un cadre d’anticipation et de gestion des
conflits qui maintient la stabilité du pays.
Les équipes en charge de l’organisation de cet exercice doivent concevoir les
termes de références en abordant de manière exhaustive et inclusive les maux du
pays. Quand les acteurs se reconnaitront dans les termes de référence, il y a de
bonnes chances que le dialogue soit conduit avec leur complète adhésion.
L’étape de préparation et de validation des termes de références sera de ce fait
déterminante. Le déroulement de la phase des discussions sera également
crucial. Il est indispensable que les travaux soient conduits à l’intérieur du pays
mais aussi au niveau de la diaspora. Un démarrage au niveau des cercles, des
communes de Bamako et dans les pays de résidence de nos compatriotes de la
diaspora peut être conseillé. Une seconde phase de synthèse pourra être
envisagée à l’échelle régionale, du district de Bamako et par Continent pour les
Maliens de l’extérieur. Enfin une synthèse finale peut être envisagée au niveau
central pour aboutir à des conclusions sur chacune des thématiques envisagées.
A chaque niveau et quel que soit le lieu géographique, les débats doivent réunir
des acteurs représentatifs des diversités de notre pays. Cela conditionne la
qualité des échanges mais aussi l’engagement de tous à appliquer les
conclusions convenues.
77
Comme stipulé dans l’Accord politique de gouvernance, la plénière du Dialogue
devra désigner le comité en charge du suivi de la mise en œuvre des conclusions
des débats. Ce comité Adhoc doit être fonctionnel afin de prendre le relais des
organisateurs et facilitateurs choisis dont certains peuvent l’intégrer. Le Comité
s’emploiera à obtenir des Autorités un plan de mise en œuvre des conclusions du
dialogue dont il assurera le suivi. Le plan inclura toutes les réformes à conduire
et les textes à adopter. Il devra être publié pour que la Nation soit informée du
processus. Le comité publiera également des rapports réguliers sur l’exécution
du plan afin que chacun suive le processus.

78
ECO en Afrique de l’Ouest et ZLEC pour tout le Continent
L’Afrique a-t-elle enfin compris que l’Union fait la force ?

Les Pères fondateurs de l’unité africaine, en 1963, avaient décidé de faire l’unité
politique par la création de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) avant
d’engager le chantier de l’intégration économique. Leurs successeurs à la fin du
siècle dernier, en portant sur les fonts baptismaux l’Union Africaine (UA) en
remplacement de l’OUA ont privilégié de nouveau la politique et la diplomatie à
l’économie, non sans avoir prévu un approfondissement des relations
économiques au sein de chacune des cinq communautés économiques
régionales. Ils ont également ouvert le chantier de la future monnaie unique, la
future banque centrale africaine ainsi que d’autres instruments de construction
économique continentale (fonds de développement, passeport,) jusqu’à l’agenda
2063 adopté il y a quelques années, le tout reposant essentiellement sur des
projets d’infrastructures d’intégration.
L’économie, jusque-là parent pauvre de l’intégration du continent, s’est de ce
fait progressivement imposée pour devenir maintenant l’axe principal de l’action
de nos organisations politiques continentales. Cela paraît évident car c’est par
l’économie que les ensembles se constituent, l’intérêt étant la plus grande source
de motivation des hommes et donc des nations. Les grands ensembles
continentaux qui ont prospéré ailleurs (ALENA en Amérique, ASEAN en Asie
ou encore l’Union européenne) ont toutes été constituées sur l’économie et
l’ambition de la prospérité partagée. Nos dirigeants semblent ainsi se rendre à
l’évidence et aller dans ce sens.
En Afrique de l’Ouest, zone régionale ayant développé le plus grand nombre de
textes et de dispositifs juridiques et politiques d’intégration, une avancée
significative vient d’être actée, à Abuja le 29 juin dernier, avec l’adoption du
principe d’une monnaie unique pour les 15 pays membres de la CEDEAO. Dans
cette zone, la libre circulation des hommes et des marchandises est bien
engagée. Elle dispose d’un tarif extérieur commun et de dispositifs de
convergence économique suivis par ses organes. Théoriquement, elle est en voie
de réaliser les conditions qui lui permettront de disposer d’une monnaie
commune et d’accélérer ainsi son intégration économique. Ce pas franchi cette
année constitue sans doute le progrès le plus important réalisé par l’Afrique de
79
l’Ouest sur le chemin de l’unité économique depuis la création de la CEDEAO
en 1975.
Quelques jours plus tard, le 7 juillet 2019, à l’occasion du sommet de l’Union
africaine, un pas significatif, également le plus important depuis la création de
l’organisation en 1963, a été franchi avec l’entrée en vigueur de la Zone de
Libre-Echange Continentale (ZLEC), dont la signature de la convention a été
actée par presque tous les Etats du continent, la ratification ayant été faite par
plus de la moitié d’entre eux. L’Afrique envoyait ainsi au Monde le message très
fort de sa volonté de commercer avec elle-même et de partager en son sein la
prospérité et la croissance. Le vieux principe incontesté de la prégnance de la
géographie sur toutes autres considérations a eu à Niamey son illustration la plus
concrète depuis cinquante ans en Afrique. Aucun pays, aucune nation ne peut
espérer se développer si ses voisins ne le sont pas. Plutôt que de s’y opposer,
nous devons plutôt nous organiser pour créer les conditions de croissance et de
développement partagés. Et le développement passe impérativement par la
création de richesse, les échanges, la liberté d’entreprendre et de circuler, etc…
En réunissant les conditions pour que les créateurs et les entrepreneurs puissent
bénéficier du potentiel spatial, climatique, géologique, démographique du
continent. Les dirigeants viennent de poser l’un des jalons les plus remarquables
de l’essor de l’Afrique.
La concomitance de ces deux évènements, à l’échelle régionale et continentale,
qui se complètent idéalement d’ailleurs (la monnaie ouest africaine préfigurant
la monnaie africaine), fait de cette année celle de tous les espoirs sur le
continent. Cet espoir ne doit pas masquer les nombreuses difficultés qu’il faudra
surmonter.
Les fameuses règles de convergence économique et la difficulté de plusieurs
États d’Afrique de l’Ouest à se discipliner financièrement pour maintenir la
monnaie dans une certaine stabilité sont des réalités indéniables. La principale
menace vient du Nigeria, pays le plus puissant de la zone et dont la richesse
dépasse de plus de loin celle des 14 autres pays réunis ! Autrement dit, dans cet
ensemble, si le Nigeria venait à rencontrer une difficulté majeure, c’est toute la
zone qui en subirait le contre coup. La seconde difficulté est due aux principes
sur lesquels est bâti le FCFA, monnaie regroupant huit des quinze pays de la
zone. Ces principes devront évoluer pour donner une chance à l’entrée en
vigueur de la future monnaie unique. Autrement dit, des efforts sont à fournir
80
par le Nigeria et des concessions à faire par l’UEMOA pour que la monnaie
puisse être une réalité d’ici quelques années.
Sur le continent, la donne est nettement plus compliquée et de nombreuses
négociations sont prévues pour donner corps à la ZLEC. Il y a au préalable la
réticence de certains pays qui craignent pour leur économie et leur industrie
lesquelles bénéficient de protections pour prospérer. Là également les
entreprises nigérianes sont au premier plan en la matière, mais avec des coûts
sociaux très forts, ce qui n’est pas pertinent à long terme. Ce grand pays dont les
potentiels ne sont pas suffisamment exploités aura besoin de s’ajuster, avec des
implications difficiles mais porteuses de progrès à moyen et long termes. Il lui
faut un leadership politique fort et visionnaire pour lui permettre de prendre le
cap de l’ouverture dont il serait le futur grand bénéficiaire. D’autres pays
moyennement industrialisés sont logés à la même enseigne et devraient être
convaincus de faire le pari de l’acceptation de la ZLEC afin de porter l’idéal
économique panafricain vers le progrès. Des négociations doivent être conduites
sur les règles d’origine permettant au Continent de se prémunir contre le
dumping commercial d’autres pays extérieurs tout en ouvrant la porte aux
échanges de produits manufacturés africains. Cette question est cruciale et
mérite une attention soutenue et une vigilance accrue. Il s’agira d’encourager les
transferts de technologie en Afrique d’une part et faciliter la circulation des
produits sur le marché africain d’autre part, tout en permettant à chaque pays
d’obtenir une part de la nouvelle prospérité créée. Exercice facile à mettre en
œuvre pour un pays comme la Chine dans les années 80 mais autrement plus
redoutable quand il s’agit de 54 pays ! Nous devons là également prendre le pari
de l’intelligence et de la technicité de nos experts. Mais surtout, nous devons
compter sur le leadership visionnaire de nos dirigeants !
On l’aura donc compris, la politique reste tout de même le levier par lequel il
faudra encore passer pour créer les conditions de la prospérité économique.
L’Afrique recèle-t-elle encore de leaders visionnaires capables d’orienter leur
nation de manière à ce qu’elles fournissent les efforts indispensables à cette
ouverture, a priori risquée, mais porteuse de prospérité ? De la réponse à cette
question dépendra le sort des réformes majeures et une partie substantielle de
l’idéal panafricain.

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82
Plus que les biens ou les services, la connaissance et le savoir sont
les véritables fondements de la prospérité économique

Les innovations technologiques favorisent l'émergence de nouveaux modèles


économiques, de nouvelles sources de revenus et de nouvelles relations clients
tout en réduisant les coûts opérationnels. Les principales valeurs boursières
mondiales sont désormais liées à l’intangible et à l’immatériel. Le plus grand
hébergeur du monde (Air B and B) ne possède aucun hôtel ! Les plus grands
vendeurs de bien au monde (Ali baba et Amazone) ne possèdent aucune
boutique ni aucun supermarché ! Le plus grand transporteur au monde (Uber) ne
possède aucun véhicule ! Tous prospèrent grâce aux programmes, logiciels,
applications et technologies. Le monde de la connaissance, des savoirs et des
technologies a dépassé celui des hauts fourneaux, des chaines de montage et des
industries lourdes. La création de la richesse et des emplois est désormais portée
par l’économie du savoir et de l’immatériel, levier principal de développement,
d’amélioration des conditions de vie des populations et de renforcement de la
compétitivité de l’économie.
L’économie du savoir est un secteur économique qui fonctionne autour des
connaissances. Ce sont également avec de nombreux producteurs de savoirs, en
lien avec des transformateurs et des créateurs de valeurs liés à ces savoirs que de
nombreux marchés sont créés autour de la connaissance. La « Silicon Valley »
en Californie est une illustration pertinente de la construction d’un véritable
secteur économique autour de la connaissance. Ce « success story » se
caractérise d’abord par une forte concentration d’universités, de centres de
recherche et d’innovation. Les recherches approfondie et appliquée, de
nombreuses innovations, un dispositif de brevetage et de protection des
entreprises, soutenues par des compagnies de plus en plus grandes, forment une
des caractéristiques de cet espace. Il y a ensuite des outils et produits développés
en rapport avec les découvertes, un système financier aux moyens illimités, le
développement continu de nouveaux secteurs, la création de chaines locales qui
deviennent rapidement des chaines mondiales, la promotion de l’économie de
l’information et des données, avec des implications sur l’hébergement, les
transports, les ventes en ligne, l’internet, le e-commerce…La Californie seule
serait la 7e puissance économique de la planète, pas loin de la France et avec un
PIB équivalent aujourd’hui à celui de l’Afrique entière !
83
Les pays africains sont de plus en plus conscients de l’importance des TIC et
développent plus ou moins des stratégies en la matière en mettant en place des
outils institutionnels. La création de Ministères en charge de l’économie
numérique, la mise en place d’agences de développement des
technologies…illustrent cette réalité. Certains prennent de l’avance comme le
Maroc, le Sénégal, le Ghana, le Kenya, le Rwanda, l’Afrique du Sud sur certains
aspects de la mouvance numérique tels que l’administration électronique,
l’investissement dans l’accroissement des débits internet, les paiements mobiles,
les universités virtuelles…Cependant, il y a rarement des dispositifs complets se
fondant sur la maitrise du système, le développement des contenus, la
disponibilité de stratégies, l’organisation appropriée de l’environnement
institutionnel, le soutien aux écosystèmes intégrés et complets, la disponibilité
de secteurs intégrés permettant une plus grande diffusion locale des valeurs
créées…
Le Continent est encore loin de la réalisation de véritables économies portées
par le savoir et les connaissances. Le Rwanda a des intentions crédibles avec
l’accueil d’une structure d’excellence mondiale de mathématiques et des
universités (physiques ou virtuelles) en lien avec de grandes universités
américaines ou suédoises, mais les moyens de ce pays sont limités. Des nations
comme le Nigeria, l’Egypte ou l’Afrique du Sud disposent de moyens leur
permettant, s’ils le veulent réellement, d’installer des systèmes économiques
fondés sur les connaissances et les savoirs.
Il reste toutefois possible qu’en Afrique, sans avoir la prétention de réaliser une
« Silicon Valley », l’on puisse développer des modèles adaptés au Continent. La
source du savoir et de la connaissance est principalement l’école. Mais, la source
des savoirs et des connaissances peut être également la culture, les habitudes et
traditions avec leurs illustrations dans les arts, l’artisanat en n’oubliant pas les
savoirs et savoirs faire traditionnels, voire les cultes. Tous ces vecteurs peuvent
offrir des axes de travail afin d’ériger autour d’eux de véritables dispositifs de
formation, de recherche et d’application combinant les technologies de
l’information et de la communication pour ériger des modèles économiques
durables et prospères. Les pays africains ont donc à imaginer leurs propres
chemins vers l’économie de la connaissance. Ils doivent le faire en intégrant les
constantes observées ailleurs.

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Selon la Banque mondiale, quelques piliers (Knowledge Economy Index -KEI-)
que sont l’éducation et le capital humain, les technologies de l'information et de
la communication, la recherche-développement & innovation et le régime
économique et institutionnel (REI) sont indispensables à l’économie du savoir et
des connaissances.
La formation initiale et continue avec la vocation de tendre vers ce qui se fait de
mieux dans les domaines visés est le fondement de toute connaissance. Elle peut
mettre en avant les avantages comparatifs (aspects culturels, artistiques…). Quel
que soit les savoirs, connaissances et leurs sources, ils ont besoin de dispositifs
de vulgarisation pour être renforcés, capitalisés, pour sédimenter, foisonner et
être approfondis vers l’excellence, la perfection et la différenciation. C’est ce
qui suscite l’intérêt et peut générer des revenus et de la richesse. Ce qui est
exceptionnel est unique, difficilement duplicable. Mis en place, il maintient et
soutient un avantage comparatif qui peut être porteur de valeurs et de richesses.
La recherche est synonyme de quête de perfection, traitement de domaines
inexplorés, quête de savoirs et connaissances permettant de donner des
longueurs d’avance à une collectivité ou à un pays. C’est la recherche qui
permet de créer des biens ou des services, d’élargir des horizons de
connaissances, d’explorer de nouveaux domaines. Elle situe ainsi une
collectivité dans l’avant-garde en l’aidant à élargir les portes des idées, des
savoirs et des connaissances.
Les vecteurs commerciaux permettent de transformer une idée en moyens de
création de valeurs. Les écosystèmes, l’existence d’acteurs capables d’utiliser
les savoirs pour créer et mettre en place des biens et services, les chaines de
valeurs, les coopérations et les inter relations indispensables à la création de
valeurs constituent des maillons significatifs de la chaine économique des
savoirs.
Les outils pour fluidifier la circulation des idées, des savoirs et des
connaissances et les porter à la hauteur du marché sont également
indispensables. Les technologies de l’information et de la communication, les
dispositifs de stockage de données, l’intelligence artificielle (application
combinant de grandes quantités d’informations utilisées pour conduire des
actions prévoyant tous les cas de figure possible d’une fonction donnée), les

85
infrastructures de transport de l’information et des connaissances abolissant la
distance et le temps constituent des opportunités pour ce secteur.
Enfin, il faut savoir bâtir un environnement légal propice à l’essor de secteurs
conçus autour des connaissances. Cela concerne le dispositif de régulation,
supervision et contrôle, des possibilités de facilitations…Il relève des pouvoirs
publics qui doivent avoir une vision du secteur, une idée précise des objectifs à
atteindre dans le temps, les contraintes à lever, les efforts nécessaires à fournir,
les ressources à employer, les décisions à prendre. Ils créent ainsi
l’environnement normatif, physique et technique indispensable à l’essor de la
nouvelle économie. Des politiques précises, des règles transparentes, des parcs
technologiques, des campus numériques, des écoles et universités, des zones
franches, une fiscalité appropriée, la facilitation d’installation de grands acteurs
aidant la constitution d’écosystèmes nationaux, etc. complèteront et donneront
corps à leurs ambitions.
Ces changements structurels ne sont pas au-dessus des capacités des pays
africains. L’avenir étant aux ensembles, il est possible de développer ces
grappes de prospérité en synergie, entre régions d’un même pays ou entre
plusieurs pays d’une même région voire dans des zones frontalières appropriées
pouvant se prêter à ces bouleversements.
L’Afrique a une carte à jouer et de réelles opportunités pour compter sur
l’échiquier de la nouvelle économie. Elle peut l’utiliser pour ouvrir des
perspectives positives aux Africains, en particulier les plus entreprenants d’entre
eux.

86
Dans nos pays est-il possible d’être politicien et honnête ?

Il est établi et accepté que pour être Président dans nos pays, il faut disposer de
plusieurs dizaines milliards de FCFA, voire des centaines comme au Nigéria
cette année.
D’où vient cet argent ? Est-il possible de rassembler une telle somme tout en
gardant les mains propres ? Comment en est-on arrivé là ? Comment l’argent, au
lieu des idées ou qualités intrinsèques, est devenu la justification principale du
choix de nos dirigeants ?
Quelques explications majeures peuvent être avancées.
Les électeurs sont, en moyenne, peu instruits et peu formés politiquement. Ils
sont ainsi dans le concret, le court terme et les enjeux faciles à comprendre.
L’électeur vote ainsi pour celui qui paie son ordonnance, creuse un forage dans
son village, réfectionne son dispensaire ou selon les vœux du patriarche. Il est
vrai que le comportement des responsables l’encourage aussi à souscrire à la
« marchandisation » de la vie publique dans nos pays.
Les élites sont souvent adeptes de promesses sans lendemain. Une gouvernance
insouciante et un enrichissement révoltant des élus créent, chez les citoyens, le
réflexe de ne compter que sur eux-mêmes.
Il y a ensuite les stratégies des gouvernants pour ramener le débat sur le terrain
des questions matérielles, là où ils sont imbattables. Ils s’approprient
personnellement la réalisation d’infrastructures. Ils utilisent les moyens publics
pour « acheter » les populations. Ils harcèlent les opposants et leurs soutiens par
les contrôles fiscaux, chantages, etc. Être avec le pouvoir devient ainsi
synonyme de bien-être et être en face serait le régime amincissant assuré ! Cela
finit par réduire à la précarité les adversaires les plus pugnaces. A l’inverse, elle
draine les ressources humaines, matérielles et financières vers le pouvoir.
Les ressources deviennent ainsi le point central des élections et l’objectif ultime
des gouvernants. Dans cette quête, le citoyen passe au second plan, les décideurs
étant persuadés qu’avec l’argent, ils le convaincront de toute façon de les
suivre !
Cette quête d’argent est risquée. Les soutiens ne sont pas des philanthropes et
exigent des contreparties. Ils peuvent être des hommes d’affaires véreux,
87
trafiquants de tous acabits y compris de drogue, puissances extérieures
intéressées pouvant confisquer la souveraineté de l’Etat….
Il faut sortir des pièges de l’argent pour assainir le paysage politique et
améliorer la gouvernance. Des mesures techniques et politiques doivent être
priorisées pour ce faire.
Il est souhaitable d’interdire les distributions de biens à l’approche des élections.
Il faut empêcher les sortants d’utiliser leurs pouvoirs pour fausser la
compétition. Il convient d’encadrer la collecte de ressources, rendre transparente
et fixer un plafond dans l’exécution des dépenses, exiger la publication des
comptes de campagne à auditer, avec une sanction d’inéligibilité en cas
d’infraction.
Les publications de patrimoine et de revenus avec des contrôles doivent être
systématisés. Les conflits d’intérêt sont à encadrer. Il convient d’éloigner les
proches des leaders des postes et des marchés publics.
Les idées et projets et, partant, les débats au moment des consultations
électorales doivent être centraux et éclairer les électeurs.
Il faut rendre le jeu politique plus équitable, mieux organisé et plus sérieux. La
diminution du nombre de partis et des candidats aux élections est
incontournable. Il faut regrouper et stabiliser le champ politique avec de grands
partis homogènes et cohérents. Seules ces organisations faciliteront les débats
d’idées, de projets identifiables permettant aux populations de mieux connaitre
les acteurs et de les suivre.
Ces mesures sont à mettre en œuvre même si le dispositif actuel favorise plutôt
les tenants du pouvoir.
A défaut, la politique continuera d’être un champ trouble. Elle rebutera ceux qui
ont des idées, du savoir-faire et des profils utiles mais qui seront réticents à
marchander leur âme pour avoir le pouvoir. Le paysage politique deviendra une
scène d’aigrefins où les mandats s’achètent, les démocraties seront confisquées
par des forces occultes et les citoyens n’auront le choix qu’entre résignation et
réactions violentes forcément destructrices.

88
Et si le Djihadisme n’était qu’un prétexte facile aux exactions au
Centre du Mali ?

Les interrogations succèdent aux supputations et aux pseudo analyses sur les
déterminants de la crise au Centre du Mali, en passe de dépasser le Nord en
termes de violences. Plus de 70% des morts suite aux violences au Mali l’ont été
au Centre ! Les observatoires se perdent en conjectures autour de ce qui
commence à présenter les traits de violences intercommunautaires massives
avec en toile de fond la question « peuhl » ! Pourquoi, un peu partout au Centre,
c’est cette ethnie qui est aux prises avec les autres ou, plutôt, c’est elle qui est
visée par les autres ? Pourquoi s’en prend on aux peuhls ? Sont-ils terroristes
comme l’indiquent la plupart de ceux qui les violentent ? Sont-ils complices des
terroristes ?
La réponse à ces questions lèvera au moins un coin de voile sur ce théâtre
effroyable auquel assistent impuissants les Autorités et le peuple malien
accompagnés de nos partenaires.
Au préalable, il est impératif de déconstruire l’image du peuhl terroriste. Les
peuhls ne sont pas tous musulmans et encore moins tous radicaux et cela se
vérifie par l’histoire récente. Le fondateur de la Dina, Sekou Ahmadou, lui-
même peuhl, s’est d’abord et surtout battu contre des peuhls païens pour asseoir
son pouvoir. La bataille de Nukuma (« asawere Nukuma » selon les peuhls) dont
le souvenir est encore vivace ne remonte qu’au début du 19e siècle. À ce jour,
sur l’ensemble du Delta, les leaders religieux et l’écrasante majorité des peuhls
n’ont jamais été des radicaux. Parmi eux triomphe le soufisme confrérique, avec
des leaders qui animent des écoles de pensée et leurs disciples. Hamadoun
KOUFA s’est d’abord et surtout heurté aux leaders religieux peuhls de
Bandiagara, de Djenné ou de Dia. Ce sont ces leaders religieux qu’il visait au
moment de l’attaque de Konna, et ce sont des leaders peuhls que les terroristes
ont commencé à assassiner.
Il y a des radicaux peuhls comme des radicaux bambara, sarakolé, basques,
romains ou néerlandais, cela est bien compréhensible. Le radicalisme est lié au
parcours et non à l’ascendance d’un individu.
Sur le terrain, face aux menaces terroristes et en l’absence de forces publiques
protectrices, les pauvres populations sont souvent obligées de se ranger du côté
89
des forces du mal pour préserver leur vie. De nombreuses enquêtes ont démontré
cela. Cette situation ne fait d’aucun citoyen un terroriste ! En outre, les pactes
conclus ici ou là avec les terroristes ont concerné de nombreux groupes
ethniques sur notre territoire. Certains pour cultiver, d’autres pour faire paître les
animaux ou encore pour poursuivre une activité commerciale. Il suffit de
parcourir les Cercles de Macina, Tenenkoun, Youwarou ou encore Djenné et
Douentza pour faire ce constat.
Les terroristes eux-mêmes n’ont jamais eu un discours ethniciste que tous les
spécialistes savent contraire aux principes du salafisme. Ce n’est que plus tard
qu’Hamadoun KOUFA a tenté de mettre les peuhls de son côté, par pur
opportunisme, afin de recruter et de se renforcer. Il savait qu’ouvrir le front des
violences inter communautaires lui permettrait d’accueillir de nouvelles recrues
et de desserrer l’étau autour de son groupe.
Aujourd’hui, la donne de la violence a changé au Centre. Les militaires en
action dans la zone le reconnaissent eux-mêmes. L’impact des groupes
terroristes est moins sensible, les morts sont d’abord et avant tout dus aux
violences intercommunautaires. Cela nous interpelle sur l’urgence de changer de
lunette de lecture. Le sujet n’est donc pas d’identifier qui est pour ou contre les
terroristes, qui est pour ou contre l’Etat et la République, cela est trop simple et
improductif. La donne majeure est comment expliquer les conflits
intercommunautaires sur un espace jadis caractérisé par une coexistence
harmonieuse.
Il faut analyser les vrais relents de cette crise et essayer d’y apporter les réponses
appropriées. Parmi les éléments encore négligés par les analystes, il y a les
ressentiments de certaines populations sédentaires contre les peuhls. Ces
ressentiments sont tenaces et transparaissent lors des discussions avec nos
compatriotes, y compris parmi les cadres. N’oublions pas que les ressentiments
expliquent pour beaucoup le basculement dans la violence extrême de paisibles
citoyens au Rwanda conduisant ainsi au génocide contre les tutsis ! Ces
ressentiments à défaut d’être justifiés peuvent être expliqués, et il est souhaitable
de les appréhender pour ajuster au mieux nos stratégies de sortie de crise.
Le peuhl est généralement nomade, itinérant et, du fait de ses mouvements,
développe une certaine intelligence des situations et un sens de l’adaptation plus
prononcé et sait plus facilement analyser l’environnement pour le mettre à son

90
profit. Cela se vérifie avec tous les peuples nomades, considérés à tort ou à
raison comme étant plus « dégourdis » que les sédentaires (ceci est valable aussi
pour nos émigrés indépendamment de leur appartenance ethnique). Ils
comprennent plus rapidement les rapports de force et les conjonctures et savent
donc en tirer un meilleur profit que les autres. Ils savent mieux instrumentaliser
la justice ou mieux tirer parti de l’influence des dépositaires de pouvoir.
Ces différents atouts leur permettent de cultiver leur influence, y compris parmi
leurs hôtes. Avec tact, sans utiliser la force, ils savent se rendre indispensables et
s’imposer en douceur. Les dogons parlent peuhl pour communiquer entre eux,
illustration évidente de ce « soft power » conquis avec observations et patience.
Les sociologues et autres anthropologues doivent analyser les arguments
présentés dans les lignes précédentes et éclairer nos décideurs quant à leur utilité
en perspective de la sortie de crise. L’Etat doit prendre en compte ces situations
et s’inscrire dans une dynamique au moins aussi sociale que militaire, au moins
aussi utilitaire que sécuritaire pour tenter de résorber cette crise inter
communautaire qui menace notre pays.

91
92
FCFA : les élites africaines doivent Prendre leur responsabilité
historique !

Le débat sur le FCFA enflamme les cercles médiatiques, politiques et


intellectuels d’Afrique et de France. Les réseaux sociaux ne sont pas en reste et
les populations africaines commencent à se passionner pour ce dossier. Le
FCFA n’est plus seulement un sujet économique, il est devenu très fortement
politique et cela est positif. Les élites africaines que nous sommes doivent
intégrer cela et accorder la meilleure attention à ce dossier. Nous devons sortir
des invectives et savoir nous situer à la hauteur du moment historique que nous
vivons.
Ceux qui défendent bec et ongles le FCFA ont raison quand ils insistent sur la
stabilité des prix que cette monnaie a permise dans nos pays. Il suffit de voir ce
qui se passe au Venezuela ou au Zimbabwe pour mesurer la chance que nous
avons de vivre dans des pays à inflation quasi nulle. La convertibilité du FCFA,
la connexion qu’il nous facilite avec l’extérieur ainsi que la liberté de transfert
des fonds sont favorables au commerce et aux investissements extérieurs. Le
choix d’avoir une monnaie forte favorise l’accessibilité des produits importés
dont les prix seront plus abordables, ce qui soutient le pouvoir d’achat dans nos
villes très friandes d’importations et participe à la stabilité des régimes. Il est
aussi vrai que le mythe de la France qui vit sur nos ressources est faux. La
France crée chaque année autant de richesses que l’ensemble du Continent
africain. La somme des économies des 15 pays de la zone franc FCFA
représente moins de 10% de l’économie française. Il est enfin vrai que le
dispositif de gestion du FCFA nous impose la rigueur dans la conduite de la
politique monétaire et dans la gestion budgétaire. Les Banques centrales sont
autonomes et cela accroit la confiance à nos pays. Le système du FCFA a des
atouts indéniables. Autrement, Il n’aurait pas duré autant.
En revanche, il est tout aussi incontestable qu’il présente également des
handicaps significatifs pour nos pays. La stabilité des prix des produits importés
profite surtout aux habitants des villes, notamment nous les élites qui
consommons essentiellement des produits importés. La connexion internationale
et la liberté de transfert des ressources profitent aussi et surtout à nous les élites,
en particulier ceux d’entre nous qui s’enrichissent de manière illégale et qui
transfèrent ainsi l’argent détourné à l’extérieur. La monnaie forte qui rend les
93
importations accessibles, pénalise en même temps nos productions locales,
même si la compétitivité ne dépend pas seulement de la monnaie. Nos
exportations sont aussi pénalisées et au-delà, les populations rurales productrices
de produits de rente comme le coton. La monnaie forte signifie la restriction du
crédit, ce qui contraint les investissements productifs et les prises de risques sans
lesquels, la croissance durable à laquelle nous aspirons, ne sera pas possible.
En conséquence, il faut reconnaitre que le système du FCFA favorise surtout les
élites urbaines de nos pays, ce qui explique que la grande majorité d’entre nous
lui soient favorables.
Nous devons néanmoins savoir que le statu quo n’est pas tenable et nos
populations ne nous le permettront pas. Elles sont de plus en plus jeunes,
urbanisées, connectées, conscientes et surtout vivent mal ! Elles revendiqueront
avec une virulence croissante et nous le feront savoir. Elles le feront d’autant
plus qu’elles disposeront d’explications simples voire simplistes pour se
mobiliser. On sait que les explications les plus commodes sont souvent les plus
populaires et le FCFA en offre à profusion ! En plus des arguments objectifs
énoncés précédemment, le système CFA traine le boulet de l’atteinte à notre
souveraineté. Les questions monétaires étant aussi et surtout des questions
politiques, certaines réalités liées au FCFA passeront de moins en moins et cela
est tout à fait compréhensible. Le fait que quinze pays soient placés sous la
coupe d’un seul, quel qu’en soit la forme, est bien dérangeant. Pour preuve, cette
situation est unique dans le monde !
Les peuples perçoivent cela comme une soumission volontaire et un abandon de
souveraineté. Les fonctionnaires français au sein des Conseils d’administration
de nos Banques centrales, le dépôt par nos soins de nos réserves de change
auprès du Trésor français, la garantie accordée par la France au FCFA, le dépôt
de plus de 90% de nos réserves d’or en France, la non convertibilité du FCFA en
dehors de son espace constituent des symboles forts de cette dépendance
volontaire, d’autant plus difficile à comprendre que nous le défendons et même
quelques fois, nous le revendiquons !
Nous serons obligés d’évoluer sur cette question et le plus tôt sera le mieux.
Sinon, nous risquons de faire face à du populisme triomphant, au point de voir
arriver au pouvoir des aventuriers qui pourraient inscrire nos pays dans des

94
trajectoires malheureuses. N’évacuons pas ce risque ! Des pays plus structurés
que les nôtres l’ont vécu.
Nous avons donc le choix de décider de la marche à suivre ou de nous la voir
imposée à nos dépens. Il n’est plus possible de temporiser.
Évoluons d’abord en acceptant le débat avec les décideurs politiques, les
journalistes, les universitaires, les banquiers centraux, les organisations de la
société civile…. Il faut cesser de nous toiser, de parler sans nous écouter. Nous
devons mettre au placard les tons professoraux et péremptoires et écouter les
autres. Il faut ouvrir des cadres de dialogue et de discussion, accepter de nous
mettre au niveau du citoyen lambda, accepter la contradiction et les critiques,
reconnaitre les insuffisances du système FCFA pour ouvrir les perspectives du
changement.
Nous devons revoir fondamentalement notre système monétaire en reprenant
totalement notre liberté et l’ensemble de nos marges de manœuvre en la matière.
Nous rendrons d’ailleurs le meilleur service à la France car son image est
profondément détériorée dans nos pays par le dossier FCFA. En recouvrant
notre souveraineté monétaire, on annihilera l’argument commode de la
responsabilité principale de la France dans tous nos malheurs. Ce qui permettra
à ce pays d’inscrire ses relations avec l’Afrique dans une normalité souhaitée par
le Président Macron.
Nous devons nous engager dans cette voie, à nos risques et périls, vers notre
destin dont nous devons assumer la paternité de la réalisation. Avec la forte
conviction que, quelque fois, c’est en se jetant à l’eau qu’on apprend à nager et
c’est quand on sait qu’on ne peut compter sur personne que nous commençons à
compter sur nous-mêmes. Les pays de la zone disposent d’atouts non
négligeables dans cette perspective. Les élites doivent s’en convaincre. L’idéal
est de sauter le pas ensemble. À défaut, on peut envisager une monnaie pour
chaque zone et si cela n’était pas possible, deux ou plusieurs pays peuvent
s’engager ensemble vers l’autonomie monétaire.
Quelque soit le cas de figure, nous disposons de cadres de haut niveau, de
gestionnaires rigoureux et de caractéristiques économiques qui nous
permettraient de faire cette transition sans difficulté majeure. Nous avons la
responsabilité historique de réaliser ce dessein. Le moment s’y prête et nos
populations le méritent.
95
96
Face aux défis de l’heure, le President IBK est interpellé par
l’Histoire

Le second mandat est ce qui reste dans l’imaginaire du peuple et contribue donc
à forger la trace laissée par le Chef de l’Etat dans l’histoire. Il est de ce fait plus
important que le premier. Au moment où le Président IBK entame ce second
mandat, il est souhaitable qu’il ait cet état d’esprit. Il entame ce qui sera retenu
par les maliens comme sa trace dans l’histoire de notre pays. Il doit de ce fait
agir afin que cette période soit la plus positive pour le Mali.
Toutes les bonnes volontés maliennes doivent aider le Président à faire le
meilleur mandat possible au bénéfice des maliens, de bien le terminer, de sortir
par la grande porte de l’histoire et de bénéficier du respect et de la considération
des maliens le restant de sa vie.
Face aux défis du pays, les plus importants de son histoire, il est indispensable
que les maliens soient unis et qu’ils s’engagent ensemble, avec un esprit de
sacrifice remarquable, à faire face aux difficultés pour sortir de l’ornière. Cette
unité est la condition sine qua nun pour sortir de crise. Elle est donc une étape
obligée pour le Président IBK s’il veut que ce second mandat réussisse. Il l’a
d’ailleurs reconnu dans ses discours majeurs depuis son investiture.
Le contexte socio politique actuel est tendu, avec une division profonde de la
classe politique, certains contestant encore la légitimité du Chef de l’Etat. Ce
contexte déteint et déteindra sur tous les segments de la société, de
l’administration aux masses laborieuses en passant par le secteur privé ou les
forces de sécurité. Il est donc rédhibitoire pour l’unité. Il faut annihiler
l’atmosphère de tension pour créer les conditions de l’unité des maliens.
Le Président IBK doit accorder sa priorité à la baisse de la tension socio
politique dans le pays. Cela n’a pu être fait par le projet de cadre de concertation
du Gouvernement qui a été très mal monté et qui a présenté des faiblesses qui
l’ont condamné. Pour preuve, ce cadre a été abandonné par les acteurs qui
devaient en être les membres. Dans ce contexte, vouloir engager un processus de
révision de la Constitution sera suicidaire et ne pourra pas prospérer. Il est
souhaitable de geler le processus de révision en attendant d’établir un consensus
minimal permettant de réunir l’ensemble des forces vives du pays autour d’un
projet commun.
97
Pour cela, le chef de l’Etat doit faire des efforts afin de ramener dans le jeu
politique ses opposants les plus résolus. Cela ouvrira la voie à une collaboration
avec les autres. Il doit utiliser sa grande expérience politique pour ce faire. Cela
lui permettra de définir les bases d’une collaboration pour faire face aux
principaux défis du moment. Il peut se faire aider dans cette tâche par de bonnes
volontés (anciens chefs d’États, acteurs de la société civile, personnalités
politiques respectées…). Il doit ensuite convenir avec les acteurs principaux du
cap à fixer et des principaux sujets à aborder dans le cadre d’une gouvernance
inclusive.
Ces principaux sujets sont connus. Il s’agit de parachever la mise en œuvre de
l’accord de paix d’ici la fin 2019, redéployer l’administration sur le territoire,
restructurer et renforcer l’armée pour lutter contre le terrorisme. Il convient
également de réduire de manière significative les tensions au centre du pays,
redéployer une administration renouvelée et ayant la confiance des populations,
assurer la coexistence pacifique entre les maliens, promouvoir la paix et la
réconciliation sur l’ensemble du territoire d’ici-là mi 2020. Le renforcement de
la sécurité partout dans le pays, la finalisation des reformes de ce secteur avant
la fin de l’année 2020 constituent des sujets importants à adresser.
Les maliens unis doivent engager le chantier de la rénovation de notre
démocratie, l’amélioration de la Constitution et nos Institutions, le renforcement
de la société civile, l’accroissement des performances de notre système électoral
et de notre vie partisane pour enfin tenir tous les scrutins en attente d’ici la fin de
l’année 2020. Nous pouvons également faire face avec énergie à la lutte contre
la corruption avec des résultats tangibles en 2019 et en 2020. Améliorer la
Gouvernance économique, assainir les finances publiques, renforcer les bases
productives du pays, susciter la confiance des opérateurs économiques et des
partenaires avec des impacts concrets dans les dix-huit mois à venir peuvent
aussi figurer au cahier des charges de la Gouvernance inclusive du pays. Enfin,
il est possible de traiter des questions sociales comme le soutien aux plus faibles
des maliens avec des mesures concrètes dans les dix-huit mois à venir ou encore
la conduite des chantiers importants du développement humain : éducation –
formation – emploi, santé – protection sociale, questions de jeunesse et de
genre…

98
Un accord politique de conduite de ces sentiers pourra être conclu sur une
période de deux ans pour mener à bien les reformes majeurs et stabiliser notre
pays, avec la participation des composantes majeures de la vie politique.
Cela laissera au Président, deux autres années, avant la fin du mandat pour
poursuivre dans la direction souhaitée et achever le mandat comme il l’entend.
Cela lui permettra de créer les conditions d’unité et de mobilisation des maliens
vers la sortie de crise, ce qui sera son legs majeur aux générations futures.
L’accord est à conclure avec les segments majeurs de la classe politique, dont
d’abord le camp de Soumaila CISSE. Il devra associer les autres acteurs
significatifs. Cet accord se traduira par la mise en place d’une équipe
gouvernementale, pendant au moins deux ans, chargée de mettre en œuvre les
termes de l’accord et de conduire les chantiers importants. Le Gouvernement
aura un cahier des charges précis, concrétisé par la déclaration de politique
générale du Premier ministre et les ministres seront évalués sur base des
résultats à atteindre.
Le Gouvernement contiendra l’ensemble du spectre politique. Les profils des
Ministres doivent être incontestables pour mener les missions confiées. Le
Gouvernement doit être resserré (25 membres), orienté exclusivement sur le
résultat, mis sous pression et évalué en permanence avec des ajustements en
fonction des rendements. L’équipe doit être homogène, soudée, disciplinée
autour du Chef de Gouvernement dont l’autorité ne doit souffrir d’aucune
exception. Le Poste de Chef de Gouvernement doit être convenu entre le Chef
de l’Etat et son chef de file de l’opposition.
Le Président doit faire l’effort important de s’engager dans cette direction et
utiliser sa grande expérience politique dans ce sens. Il en récoltera le bénéfice
politique et sans doute une grande reconnaissance des maliens. Cela contribuera
à lui assurer une place de choix dans l’histoire du pays.

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100
Conflits communautaires et paix sociale
Comment engager la jeunesse dans la recherche de solutions
durables ?

Nous commençons, au Mali et au Burkina FASO en particulier, à en avoir une


habitude macabre. Le terme est devenu courant dans nos pays, et structure
malheureusement une partie de l’actualité. Les conflits inter communautaires
sont de plus en plus violents et meurtriers, notamment dans le Sahel. Ils mettent
aux prises deux ou plusieurs groupes humains, dans un même pays ou dans des
pays différents, qui en viennent à s’attaquer et à s’entretuer pour différents
motifs. Ces conflits, comme tous les autres, ont comme acteur principal la
jeunesse. Cette dernière est utilisée comme vecteur de violence et, bien souvent,
c’est également celle qui souffre le plus des confrontations. Il est souhaitable
que la jeunesse africaine et notamment sahélienne, soit impliquée dans la
recherche de solutions pour que les jeunes cessent d’être des fauteurs de troubles
et deviennent facteurs de stabilité et d’entente.
Il est indispensable d’identifier dans un premier temps les principales sources
des conflits intercommunautaires pour ensuite déterminer en quoi la jeunesse
peut constituer une solution aux problèmes posés.
Plusieurs raisons expliquent que des populations vivant en harmonie pendant des
dizaines d’années voire des siècles en viennent à s’entre attaquer et à espérer
ainsi se détruire. La première cause est l’accès aux ressources naturelles telles
que le foncier, les cours d’eau, les pâturages, les zones minières, etc. Celles-ci
conditionnent l’existence de certains systèmes de production et donc la survie
des populations. Quand ces dernières en sont privées ou sont menacées d’en être
privées, elles sont susceptibles de commettre l’irréparable afin de garder des
chances de poursuivre leurs activités socio-économiques. La croissance
démographique dynamique accroit la pression sur les ressources naturelles et
participe de ce fait à l’exacerbation des tensions intercommunautaires. Il n’est
pas rare que les zones où persistent ces violences soient souvent des lieux où la
population croit fortement.
Il faut également intégrer la religion comme élément de tension
intercommunautaire. Les courants religieux et les différentes branches d’une
même religion peuvent devenir localement des facteurs de confrontation. Les
101
lignes de confrontation religieuse peuvent se confondre assez facilement avec
les lignes de fracture communautaire et ouvrir des perspectives sombres
d’amalgames et de destruction. C’est ce qui est constaté dans notre pays en
certains endroits où l’on estime que les terroristes sont membres d’un groupe
ethnique ou que les cadres de ce groupe appartiennent à une ethnie.
La politique, notamment la compétition électorale avec en perspective, l’accès
aux responsabilités et au pouvoir, son exercice, constitue une autre source de
tension latente dans la plupart des pays africains. Il est souvent estimé que tel
Président joue sur le facteur ethnique pour diviser et se faire relire. Il n’est pas
rare non plus d’identifier des candidats mettre en avant leur appartenance à tel
groupe ou nier leur appartenance à tel autre groupe ethnique. Cette situation
cristallise les identités, ouvre des chemins de replis sur soi, propices à la
stigmatisation et à la confrontation.
Les questions de représentativité des minorités ethniques voire religieuses, la
protection de leur liberté de culte ou la défense de certaines spécificités sont
également susceptibles d’être sources de tension. De manière spécifique, il y a
aussi les différends socio-culturels tels que les questions de castes, l’esclavage
ou la stigmatisation dont souffre des communautés humaines sur un espace
déterminé susceptibles d’engendrer des conflits.
Les dysfonctionnements étatiques exacerbent les conflits latents et peuvent aussi
les créer. La corruption des élites et des services par une communauté ou
supposé tel crée un sentiment de frustration chez les autres qui s’estiment alors
floués et peuvent, dans ces circonstances, céder à des tentations de vengeance.
L’Etat devient ainsi facteur de troubles au lieu d’être vecteur d’équité, de justice
et donc d’harmonie.
Ces différents facteurs se combinent sur certains espaces, voire se conjuguent
pour créer des tensions conduisant à des massacres comme cela est le cas ici ou
là. Il convient de les circonscrire par des actions collectives hardies. Il convient
aussi et surtout de les circonscrire en investissant dans l’information, la
sensibilisation et la formation des jeunes afin qu’ils ne succombent pas à ces
tentations destructrices.
Les jeunes doivent comprendre les enjeux, connaître leur pays, leur région, leur
culture, leurs origines, leur communauté, les rapports entre cette dernière et les

102
autres. Ils doivent être dotés d’une culture d’ouverture et de tolérance que ce
savoir génèrera en eux.
Le jeune Angolais, Sud Soudanais ou Nigérian d’aujourd’hui doit comprendre
les enjeux internationaux pour ne pas se faire manipuler, connaitre les intérêts
stratégiques des uns et des autres, connaître également les intérêts de nos pays et
de nos ensembles régionaux, identifier les rapports de force, savoir s’engager
dans de vrais combats et éviter de se faire manipuler par les autres. C’est la
jeunesse solide dans sa tête qui aidera nos pays à sortir de leur situation d’objet.
La connaissance de la religion devient aussi cruciale que celles des origines et
de la culture. Les jeunes doivent maitriser en quoi la religion est un facteur de
progrès, de paix, d’harmonie et de justice. Ce qui leur permettra d’éviter de la
caricaturer et de savoir l’utiliser pour en faire un guide individuel permettant
d’améliorer le fonctionnement de la collectivité. Pour ce faire, il faudrait les
inciter à lire, à s’informer, se cultiver, se former et mettre les outils qu’il faut à
leur disposition.
Se former pour avoir un métier, être autonome et avoir une indépendance de
jugement forment un socle sur lequel les autres mesures seront mises en œuvre.
Quand on ne travaille pas et qu’on ne se sent pas utile à la collectivité, l’esprit se
conditionne pour répondre à toutes sortes de sirènes, notamment les plus
malveillantes. Une bonne partie des membres des groupes terroristes ou menant
des actions destructrices pour d’autres motifs sont aussi des personnes
désœuvrées et sans emploi.
Nous devons ensuite inculquer aux jeunes l’ambition de s’organiser pour aller
dans le sens de la construction. Créer ou animer des associations, des groupes,
etc. de manière désintéressée, pour servir la collectivité, quel qu’en soit la
forme, doit être naturel chez nos jeunes.
Il est enfin indispensable d’éveiller le sens politique des jeunes pour qu’ils
puissent s’engager, mener des combats objectifs et fondés sur la raison. Ce sens
politique, combiné avec un sens élevé du patriotisme et de la citoyenneté,
renforce la carapace idéologique de la jeunesse face aux manœuvres et autres
tentations malveillantes.
Nos pays peuvent renforcer leur apport à l’humanité, sur tous les plans, grâce à
la jeunesse. Pour ce faire, ils doivent l’aider à s’éloigner des pièges
autodestructeurs que sont les violences intercommunautaires.
103
104
La crise malienne est aussi une crise de la pensée

Dans les collectivités humaines, la production de la pensée a toujours constitué


le ferment du progrès. L’être humain se distingue du règne animal par le
potentiel de son cerveau et c’est ce puissant vecteur qui lui a permis de dominer
son espace et de le mettre à sa disposition.
Les nations qui sont situées à l’avant-garde des autres sont celles qui ont le plus
utilisé les potentialités de la réflexion et de la connaissance pour développer des
biens et services leur permettant de répondre aux défis auxquels elles font face,
améliorer leur confort mais aussi leur donner des capacités de dominer les autres
par la force ou par l’influence. Ce n’est pas un hasard si les plus grandes
universités, les lauréats du Nobel les plus nombreux ou encore le plus grand
nombre de publications de savoir proviennent des pays les plus puissants. Les
sciences et les technologies ont permis aux puissances occidentales de dominer
le monde depuis plusieurs siècles. Elles ouvrent des perspectives notamment
pour la Chine en vue de leur emboiter le pas.
L’avant-garde procuré par la connaissance scientifique est une évidence. Mais
pas seulement ! Les capacités à penser et réfléchir sur les problèmes de société
figurent également dans la catégorie des connaissances qui font avancer une
nation. Les philosophes, les sociologues, les anthropologues, les hommes de
lettre, les artistes sont tous utiles à une collectivité humaine et contribuent à
l’améliorer par leurs recherches, leurs productions et leurs contributions
intellectuelles.
A l’inverse, quand ce foisonnement intellectuel est absent, quand les élites
intellectuelles abandonnent le sentier de la quête de connaissance et de la
réflexion, c’est l’ensemble de la communauté qui s’enlise. Cela illustre la
situation triste dans laquelle le Mali se trouve en matière de réflexion, de pensée
et de quête de connaissance. C’est peu de dire que notre pays accorde peu, voire
pas du tout d’importance aux savoirs et connaissances avec une tendance
inquiétante à la stagnation voire au recul. Ce qui lui porte un tort significatif, au
moins autant que les coups des terroristes.
La faiblesse de la pensée malienne fait d’abord écho aux pannes d’idées des
politiques et des leaders. Le Mali est l’un des rares pays où on ne voit que très
peu d’articles, de contributions et encore moins de livres écrits par ses leaders
105
politiques. Pendant les campagnes électorales, les idées, si elles existent, sont
souvent très générales et vagues. Les Hommes qui ont eu la chance d’occuper
des fonctions majeures ne partagent pas leurs expériences par des écrits. Les
principaux responsables n’ont presque jamais produit et publié. Parallèlement,
les partis politiques ne cultivent que peu les idées et projets. Ils ont peu de lignes
et d’identifiants idéologiques ou programmatiques. Quand ceux qui doivent
guider la collectivité n’ont pas d’idée ou de vision, le sort de cette dernière est
forcément peu enviable.
La presse malienne est en léthargie. Les journalistes ne maitrisent pas les sujets
de manière approfondie pour leur permettre d’acculer et de mettre en difficultés
les politiques lors des interviews. En économie par exemple, un domaine clé
pour la vie politique mais peu abordée, peu de journalistes sont spécialisés et
compétents. Il en est de même pour la justice, les questions de corruption,
l’éducation, la formation professionnelle, l’agriculture ou encore la défense. En
conséquence, notre vie publique se traduit par la faiblesse des débats, peu de
confrontations, peu d’échanges, en Français ou dans nos langues nationales,
pour éclairer les populations et leur permettre de renforcer leur citoyenneté. Cela
est valable dans nos localités et au niveau national.
Le déficit du monde universitaire sur les questions de réflexion et de la
production des connaissances est encore plus patent et alarmant pour le pays.
Les universitaires forment avec les élites politiques, ceux qui doivent être le plus
présents sur le sentier de la réflexion et de la pensée.
L’université constitue par définition le lieu de production de savoir le plus
important pour une nation. On y rédige des rapports, des mémoires et des thèses
mais également des publications dans les revues nationales et étrangères. Dans
les faits, il y a peu de production dans nos universités et rarement nos
universitaires sont réputés à l’extérieur du pays. Ils n’y sont que peu conviés
pour participer à des colloques et des conférences et on ne leur confie
qu’exceptionnellement des responsabilités scientifiques régionales ou
continentales. Contrairement à d’autres nationalités comme le sénégalais
Felwine SARR, mis en mission par le Président français. Comble de désaveu
pour nos universitaires, c’est à un autre sénégalais, Alioune SALL, que le
Président IBK a confié le mandat de l’aider dans la conduite de sa mission de
champion africain pour les questions d’arts, de culture et de patrimoine. Notre

106
pays n’a pas la côte sur les questions intellectuelles. Nous le devons aussi à
l’inertie de nos universitaires qui sont ainsi interpellés.
Au niveau de la société civile et du secteur privé, peu d’acteurs sont présents
dans le secteur de la pensée et de la réflexion. Les think tanks sont rares aux
Mali. Ceux qui en ont la capacité ne veulent s’en donner ni le temps ni les
moyens.
En matière militaire et sur les questions de défense, nous déplorons là également
un déficit criard de pensées. La recherche n’y est pas courante alors que notre
contexte est favorable aux analyses militaires. Nous faisons face à une guerre
asymétrique, avec des tactiques et approches des groupes armés qu’il convient
d’étudier afin de concevoir des moyens pour les contrer. Cela permettra
d’identifier les outils et équipements qui seraient plus efficaces pour supporter
les stratégies adoptées ainsi que les aptitudes à inculquer aux soldats pour les
appliquer. Dans la guerre, il faut savoir analyser minutieusement son adversaire
pour trouver comment lui faire face. Surtout si celui-ci est d’un nouveau genre,
sortant des standards enseignés dans les académies ! On ne perçoit pas cela au
sein de l’armée ni au sein de l’État malien. Le centre d’études stratégiques logé
aux affaires étrangères, doit s’y essayer. Les responsables de nos États-majors,
de nos écoles militaires, les officiers généraux dotés de capacités de réflexion
devraient se saisir de ces questions et multiplier les thèses sur ce qui se passe
dans le pays pour aider les décideurs.
Le constat de la faible production intellectuelle malienne est valable dans tous
les segments de notre société. Les religieux n’y échappent pas. Parmi ces leaders
spirituels, on n’identifie pas suffisamment de responsables ayant produit des
écrits. Ils accomplissent de nombreuses prestations orales, d’exégèses des textes
sacrés, mais guère de productions structurées, explicatives et formalisées qui
éclairent sur la religion. Ce constat est valable pour les musulmans comme pour
les chrétiens. Si les Maliens connaissent peu la religion au-delà des rites, c’est
aussi parce que nos responsables religieux ne capitalisent pas leur connaissance
et n’élaborent pas d’ouvrages formels destinés aux populations. L’impression
que les leaders religieux n’y ont pas intérêt et ne veulent pas partager leurs
savoirs afin de maintenir les populations dans l’ignorance qui permet de les
manipuler, est ainsi devenue prégnante. Ce qui est dommageable pour la
collectivité. L’élite doit guider, orienter, et faire en sorte que la population soit
de plus en plus autonome. C’est ce qui fait de lui une élite, engagée à
107
approfondir ses savoirs et à pousser les limites de la connaissance et de la
maitrise de son domaine. Seules la recherche, la réflexion, la rédaction
d’ouvrages permettent de capitaliser les connaissances, améliorent le savoir et
les compétences des savants et tirent une collectivité vers le meilleur.
Au Mali, on semble prendre un chemin différent. On ne réfléchit que peu, on ne
propose que peu, on ne cherche que peu et on se contente de peu ! Avec un
résultat en régression car les autres avancent. Il est urgent de changer, si nous ne
voulons pas continuer à être les objets des autres !

108
La guerre au Mali est d’abord une Guerre contre nous-mêmes

Empruntons au langage médical pour commencer : À poser un mauvais


diagnostic, il est certain qu’on proposera un traitement inadéquat ! La crise
multidimensionnelle dans laquelle nous sommes embourbés depuis sept ans
maintenant offre une bonne illustration de ce constat. Nous nous focalisons trop
souvent sur les conséquences et manifestations de la crise plutôt que sur ses
causes et racines profondes. Quand on s’essaye à l’analyse, on se trompe de
diagnostic et on se perd dans des viatiques et des évidences commodes.
Nous sommes ainsi devenus de fervents adeptes des théories du complot,
souvent fomentées de l’extérieur avec des puissances étrangères à la manœuvre.
Complots dont la motivation varie selon les orientations de ceux qui les
« révèlent ». Comme jadis sous d’autres cieux. Comme souvent pour nous
dédouaner de nos errements ou pour trouver des explications simples à des
situations complexes.
L’histoire des collectivités humaines nous montre qu’il est généralement vain de
stigmatiser et d’étiqueter d’autres pour expliquer ses malheurs. Car, même si
l’intention impérialiste et manipulatrice était avérée, n’est manipulé que celui
qui est manipulable ! La bonne attitude serait d’identifier en quoi on est
manipulable pour ensuite s’atteler à corriger nos faiblesses supposées.
Il ne sert donc pas à grand-chose de pointer les autres du doigt. Il n’est pas non
plus efficace de se focaliser sur les terroristes supposés ou réels car ces derniers
ne font qu’exploiter nos failles. Ils existent parce que nous avons offert un cadre
propice à leur apparition et à leur installation. Dans la même veine, il n’est pas
constructif de monter les citoyens et les communautés les uns contre les autres,
d’armer des milices pour se « défendre » et de tourner le regard quand elles
utilisent ces armes pour attaquer, voler, piller et régler de vieux comptes. Le
pompier devient le pire des pyromanes dans cette posture. Comme il l’est quand
il donne un blanc-seing aux chasseurs traditionnels, les laisse établir des camps
et règlementer la vie publique dans de nombreuses zones de Macina ou de
Djenné. Cela n’ouvrira que des brèches entre nous, élargissant encore plus le
fossé entre maliens.
Nous nous éloignons ainsi des vraies causes et donc des solutions durables aux
problèmes du Mali. Il devient impératif pour nous d’essayer l’exercice difficile
109
d’adresser les causes profondes de nos malheurs, de situer nos responsabilités
dans leur survenance pour espérer identifier quelques solutions pertinentes. En
empruntant ce chemin de manière lucide, nous verrons rapidement que notre
responsabilité n’est pas négligeable dans nos souffrances actuelles. Nous
devons accepter cela et voir comment nous pouvons agir sur nous-mêmes pour
contribuer à la sortie de crise. En somme, s’il y a une guerre à mener vraiment
au Mali, c’est d’abord et avant tout contre nous-mêmes et les maux que nous
avons laissé nous gangrener au point de détruire notre pays.
Nous sommes ainsi responsables quand nous engageons notre pays dans les
voies du séparatisme pour des convenances individualistes. Certains fauteurs de
troubles au Nord, qui prennent en otage tout un pays pour leurs privilèges indus
et leurs acolytes à Bamako, sont responsables des malheurs de notre pays. Ils
sont de mauvaise foi, emploient tour à tour l’argument sécessionniste, les
brimades supposées contre les minorités Tamasheqs ou encore la religion, alors
qu’il n’en est rien !
Nous sommes responsables lorsque nous agissons en tant qu’administration, à
notre seul profit et pour notre propre confort au lieu de ceux des usagers.
Lorsque l’administration n’est pas sensible au sort de ceux qu’elle doit servir,
ou, pire, les exploite au profit de ses responsables, le citoyen se replie sur lui-
même et voue l’Etat aux gémonies. C’est ainsi que l’administration blesse
chaque jour la société et fragilise son unité, au lieu de donner corps à notre vivre
ensemble.
Nous sommes surtout responsables quand nous utilisons la force que nous
représentons (Armée, services de sécurité, services d’ordre…) pour brimer ceux
que nous devons protéger. Chaque fois que les militaires commettent des
exactions contre des populations maliennes, chaque saisie arbitraire d’animaux
par la gendarmerie à Youwarou ou de marchandises par les Douanes à Kouri,
ravivent nos tensions internes, fermentent le sentiment d’injustice chez les
Maliens et créent des occasions pour que plus de compatriotes aillent rejoindre
les rangs des ennemis du pays.
Nous sommes encore plus responsables quand nous rendons des décisions de
justice fallacieuses, motivées par la corruption et des intérêts personnels. Les
conflits fonciers innombrables, très mal dénoués par des jugements donnant tort
à ceux qui ont raison, ont généré des frustrations profondes dans de nombreux

110
terroirs, entaillant ainsi profondément le tissu social. Certaines attitudes
criminelles au Centre du Mali sont sans doute expliquées par cela.
Nous sommes évidemment responsables quand nous exerçons des mandats et
responsabilités publics sous l’emprise de la quête d’avantages matériels.
Lorsque nous sommes notoirement corrompus et que nous nous enrichissons
sans cause, de manière ostentatoire, nous contribuons à éloigner nos
compatriotes de la vertu, la citoyenneté et l’amour de la patrie. Quand nous
sommes incompétents, nous ne disposons pas de programme pour agir
efficacement et encore moins d’idées pour améliorer le sort des Maliens. Ne
soyons pas étonnés de voir se généraliser des attitudes irresponsables et
prédatrices parmi nos concitoyens. Quand le souci du résultat est absent,
l’évaluation des responsables publics devient une vue de l’esprit, la sanction
n’est jamais envisagée et les dépositaires du pouvoir s’éloignent de leurs
mandats et de la vérité, les normes s’inversent et les valeurs disparaissent. On ne
doit pas être surpris que la collectivité régresse car elle se vide de son sens, le
leadership étant discrédité et dévalorisé, la loi de la jungle sera la règle.
Nous sommes aussi responsables lorsque nous abandonnons l’initiative de la
réflexion et des propositions pour céder à la mode ambiante de la prévarication
ou de la course vers les postes. Une collectivité est composée d’élites
intellectuelles qui constituent l’avant-garde, s’impliquent dans la recherche des
idées nouvelles, suscitent le débat et le foisonnement des idées et aident les
décideurs à penser et à construire l’avenir. Toute panne de cette élite se ressent
par le rabaissement de la qualité des politiques publiques et donc de leur
efficacité.
Nous sommes ensuite responsables quand, en tant qu’opérateurs économiques,
nous cédons à l’égoïsme et devenons inconscients de notre responsabilité de
contribuer à bâtir une économie indépendante, compétitive, créatrice d’emplois
qui portera notre pays et contribuera à nous faire conquérir, chaque jour, de
nouveaux horizons.
Nous sommes enfin responsables lorsque la société civile n’est plus vigoureuse,
citoyenne, indépendante, exigeante vis-à-vis des décideurs pour les amener à
emprunter, à chaque occasion, le chemin utile de la vertu.
Nous ne ferons pas l’économie de ces introspections pour identifier nos
responsabilités dans ce qui nous arrive et trouver les voies et moyens pour
111
engager les changements intimes qui nous permettront de remonter la pente. Il
est dit dans la religion musulmane que le Djihad véritable est celui qu’on mène
contre soi-même, c’est le plus difficile. Il est temps que nous entamions notre
vrai Djihad et que chaque malien devienne ainsi un djihadiste authentique !

112
Le terrorisme sera vaincu !
Essayons toutefois de ne pas sombrer avant !

Il est certain que le terrorisme ne triomphera pas. Cela peut paraître surprenant
au moment où nous déplorons la mort de nos soldats (maliens, français, autres
nationalités) et sur la mémoire desquels nous devons nous incliner. Cependant,
ni au Mali, ni ailleurs, l’aventure terroriste ne prospèrera. Cela est une vérité
constante dans l’histoire. Les groupes terroristes peuvent porter des coups
sévères contre leurs adversaires déclarés, comme récemment dans la zone du
Liptako GOURMA. Ils peuvent donner l’impression d’avoir le vent en poupe en
convainquant ainsi de nombreux individus perdus à adhérer à leurs causes.
Cependant, tôt ou tard leurs aventures seront toujours vouées à l’échec. La
violence et la destruction ne peuvent servir d’objectifs politiques. Le recul
significatif de l’Etat islamique en est une illustration évidente. Son Chef a fini
par être rattrapé et a été contraint de se suicider pour ne pas tomber entre les
mains de l’armée américaine qui était sur sa trace depuis quelques années. Il
rejoint ainsi Ben Laden et d’autres moins illustres, en Somalie ou en Tunisie, sur
la liste des fauteurs de morts qui finissent par être emportés par leur haine. Plus
près de nous, les leaders terroristes qui écument le Nord et le Centre du Mali ou
les pays voisins, auront probablement le même sort. La seule incertitude étant le
moment.
Il est impossible pour un groupe armé terroriste de conquérir et de gérer
durablement un espace. Les Talibans afghans comme les Chebabs somaliens,
organisés et puissamment armés, restent présents dans des zones périphériques
de certains pays mais ne dirigent plus de vastes territoires. Il en est de même de
Boko Haram au Nigeria ou encore de Al Qaida ou autres dans notre pays. Ces
groupes peuvent commettre des attentats. Ils peuvent s’attaquer à des postes ou à
des garnisons militaires isolées. Ils peuvent investir des villages ou des villes
moyennes, y faire passer leurs messages et y maintenir leurs influences. Mais ils
ne peuvent s’y afficher dans la durée et y établir leur administration. Cette
réalité se poursuivra. Plusieurs facteurs y contribuent.
Les Etats, aussi faibles qu’ils peuvent paraître, disposent de plus de moyens que
les groupes terroristes. C’est le cas du Mali, comme du Burkina FASO ou du
Nigeria. Leurs forces militaires sont au-dessus de celles des organisations
113
terroristes. Si elles sont plus organisées, mieux commandées et arrivent à
s’adapter aux réalités de la guérilla, elles sont tout à fait en mesure d’infliger des
revers significatifs aux organisations armées illégales.
La présence étrangère sur nos sols est un facteur dissuasif pour certaines
opérations terroristes. Elle continuera à l’être. Cette présence étrangère contraint
les fauteurs de troubles à préparer leurs interventions avec attention pour éviter
d’être repérés et d’être rapidement neutralisés. Elle maintient aussi la pression
sur les chefs terroristes, particulièrement ciblés avec l’élimination de certains
d’entre eux. Ce qui perturbe leurs mouvements et de manière générale leurs
opérations.
Le troisième facteur, le plus significatif à relever, est la caractéristique de
l’idéologie musulmane majoritaire au Mali et dans le Sahel. Cette idéologie est
contraire à la radicalité. Cela est renforcé par les attributs sociaux de tolérance,
d’ouverture et de laïcité, façonnés par l’histoire, les cultures, traditions et
civilisations encore prégnantes. De nombreux leaders religieux ont d’ailleurs été
ciblés par les terroristes et l’écrasante majorité d’entre eux ne partagent pas la
radicalité violente qui nous est étrangère. Cette réalité est une force qui peut être
utile dans la lutte contre l’idéologie radicale.
Ces facteurs ne sont pas immuables mais demeurent encore structurellement
présents pour porter le message de l’échec stratégique que constitue l’aventure
terroriste dans nos pays.
C’est également eux qui permettent de comprendre que l’objectif stratégique
n’est pas et ne doit pas être uniquement la destruction militaire des groupes
terroristes. Ils doivent être certes combattus mais en ayant clairement identifié le
cadre dans lequel l’approche doit être inscrite.
Ce qui menace le plus nos pays, c’est la faiblesse de l’Etat. La persistance d’une
situation de « ni guerre ni paix » favorise l’ancrage des terroristes et le maintien
d’espaces de non-droit qui peuvent gangréner et se développer, menaçant de
l’intérieur les équilibres sociaux-culturels. Cela est clairement perceptible au
Centre du Mali. Les groupes terroristes l’ont également intégré dans leurs
manœuvres. Ce qu’ils cherchent, c’est miner le pays de l’intérieur et obtenir une
implosion et une désagrégation qui leur offriront un espace favorable à leurs
évolutions et à leurs initiatives. C’est cet aspect qui doit nous importer le plus.
Nous devons travailler à ne pas leur permettre de se rapprocher de l’objectif
114
recherché. Au contraire, nous devons œuvrer à les en éloigner et de manière
durable. Ce qui facilitera leur recul et précipitera leur défaite. L’aventure
terroriste est vouée à l’échec mais il faut créer les conditions de cet échec.
Nous devons ainsi tenir, œuvrer à nous renforcer de l’intérieur et faire échec au
projet de délitement des tissus sociaux. Tenir, pour un pays comme le Mali,
comme pour le voisin burkinabé, c’est travailler aussi bien le niveau central que
les parties Centre et Nord. Il nous faut impérativement établir un consensus
national sur le cap à donner à l’action étatique et aux activités de la nation. Ce
cap doit être la restauration de la paix et de la sécurité à travers le contrôle
effectif du territoire par l’Etat. Ce consensus national doit, par exemple, inclure
l’ensemble des groupes armés signataires de l’Accord pour la paix et la
réconciliation nationale qui souhaitent s’inscrire dans le projet pour l’unité
nationale face à l’implosion recherchée par les groupes terroristes.
Le consensus sur le cap doit être poursuivi par l’unité sur la manière d’y arriver.
Il est impératif que nous nous entendions sur la période de réalisation de nos
objectifs, les voies et moyens socio-politiques pour conduire l’action publique et
la collaboration à avoir avec les partenaires de la communauté internationale,
avec comme caractéristique principale une impulsion donnée d’abord par le
pays. Le Mali de nouveau rassemblé doit fixer ses priorités et les directions dans
lesquelles il entend agir pour les négocier au mieux. Les acteurs extérieurs, y
compris sur le plan militaire, doivent accompagner, aider et faciliter.
Le consensus sur le cap doit surtout se traduire par un mouvement d’ensemble
des Maliens pour corriger nos faiblesses internes. Nous devons travailler sur
nous-mêmes et nous améliorer. Nous devons savoir garder la tête froide en tout
lieu et surtout éviter de jeter l’anathème sur les autres. Chaque malien doit
regarder en face ses propres responsabilités dans ce qui nous arrive et essayer
d’y remédier. Cela passera aussi, et surtout, par un réajustement majeur de notre
gouvernance vers une forte exemplarité du leadership. Ce qui impulsera
progressivement la confiance entre les Maliens et leurs élites d’abord, et ensuite
entre eux-mêmes, seule condition permettant de convaincre chacun de fournir
l’effort indispensable sur lui-même. C’est seulement, à partir de là, que nous
pourrons faire face aux questions de fond et aux questions géostratégiques avec
de sérieuses chances de succès.

115
Les terroristes nous posent un défi majeur en nous confrontant à nos faiblesses
structurelles. Sachons les traiter avec lucidité et courage pour éviter la
désagrégation recherchée, et faire échec à leurs projets mortifères ! Ils en seront
ainsi plus aisément et plus rapidement défaits.

116
Pour donner confiance aux maliens :
La force des symboles !

La signature de l’accord politique de Gouvernance, la mise en place du


Gouvernement d’ouverture avec à sa suite la définition d’un plan de marche de
cette équipe avec la fixation d’une période d’action sont des signes positifs en
vue de la mobilisation de nos compatriotes et de la réalisation d’une unité sans
laquelle rien ne sera possible pour le Mali.
Tout cela est intéressant et le calme relatif dans lequel le pays baigne laisse
penser que les Maliens ne sont pas hostiles à ce qui se passe, ou à tout le moins
qu’ils sont dubitatifs et attendent. Ce qui est également bon signe. Toutefois, Il
ne faut pas se satisfaire de ce calme apparent car rien de nos problèmes n’a
disparu. Les attaques de Guiré contre les militaires, la tuerie de Heremakono ou
encore des préavis de grève annoncés montrent que l’ensemble des défis
auxquels le pays fait face sont encore prégnants. Il ne faut pas non plus estimer
que tout sera résolu par le Dialogue National encore de préparation en cours de
préparation.
Le Gouvernement devrait se convaincre qu’au delà du Dialogue qui va être mis
sur les rails, il faudra absolument rassurer les maliens et leur montrer qu’il est
résolu à s’attaquer aux maux profonds qui minent notre pays. Cela passe par
l’engagement de mesures lourdes et d’actions significatives qui sont, par nature,
longues à organiser. Cela passe aussi par des initiatives symboliques capables de
frapper les esprits et de convaincre les sceptiques que des choses sont entrain de
bouger.
C’est à ces mesures symboliques qu’il convient de songer rapidement pour
accompagner le petit vent de renouveau qu’annonce le Gouvernement
d’ouverture du 6 mai 2019. Le symbole a l’avantage de la simplicité et donc de
l’intelligibilité par une bonne partie du peuple s’il est accompagné par une
stratégie de communication appropriée. Il a quelques fois des portées financières
mais son propre est qu’il annonce une intention, indique une destination et ouvre
des perspectives pour la collectivité. Il ne faut pas sous-estimer la force des
symboles et de nombreux leaders ont régulièrement recours à cette approche
pour annoncer des jours nouveaux dans leur pays. C’est exactement ce qu’il faut
retenir de la récente utilisation d’un vol commercial par le Président de la
117
République sénégalaise pour se rendre en France. Dans cet acte, on peut déceler
l’intention du Chef qui se veut humble, vivant avec les réalités de ses
compatriotes, proche de ses administrés. On peut aussi identifier le chef qui
annonce la fin des fastes, des dépenses inconsidérées et des pratiques d’une élite
peu soucieuse des difficultés des populations. Enfin derrière ce geste on peut
noter le message d’un leadership sacrifiant son propre confort et orienté vers
l’efficacité au service de son pays.
De nombreuses mesures symboliques peuvent ainsi être envisagées rapidement,
pour annoncer le changement, notamment au niveau de ceux qui dirigent et de
ceux qui servent le pays et les Maliens.
En premier lieu, il faut simplifier et réduire le train de vie de l’Etat, revoir à la
baisse les conditions des voyages des membres de l’administration du
gouvernement et des autres corps d’État, réduire les protocoles et les fastes de la
République, éliminer le tapis rouge et inscrire ces changements dans une
dynamique plus large. Le contexte économique et financier difficile sied à ces
mesures. Dans cette veine, nous devons limiter les missions, utiliser les vidéo
conférences, les conférences téléphoniques passant par les réseaux sociaux et
donc presque gratuites pour faire travailler les services au-delà des distances. Il
faut revoir les consommations d’électricité et de téléphone en systématisant le
système de prépaiement dans les administrations.
A un autre niveau, l’amélioration de la distribution des intrants, en cette veille
de campagne, serait bien perçue, surtout si elle est accompagnée par la sanction
de certaines mauvaises pratiques.
Nos autorités doivent se rapprocher des militaires et des forces de sécurité qui
paient le prix de la lutte contre le terrorisme. Nous devons mieux vivre leurs
réalités, les connaitre pour travailler à améliorer leurs condition et leur moral en
continue. Nous devons rendre hommage à chaque soldat qui perd la vie et
soigner promptement les blessés. Nous devons créer autour de nos forces un
élan de solidarité nationale à toutes épreuves. Nous devons également
sanctionner tout mauvais comportement parmi eux, surtout si cela est fait au
détriment des citoyens qu’ils sont censés défendre.
La rationalisation de l’utilisation des moyens de l’Etat (véhicules, logements…)
est synonyme d’économie mais aussi et surtout envoie le message des élites
conscientes de leurs responsabilités et prêtes à cesser les abus.
118
Il faut rapidement promouvoir le « made in Mali », partout et l’encourager
systématiquement. Des initiatives ont été prises par le passé. Il convient de les
appuyer dans la perspective de l’obtention des résultats concrets et porter
l’information à la connaissance de nos compatriotes. L’exemple du Chef de
l’Etat du Burkina Faso et de son Gouvernement est à méditer à ce titre.
Au chapitre de la justice, nous devons impérativement libérer les prisonniers
n’ayant rien à faire dans l’univers carcéral. Sur un effectif supérieur à 2 300
prisonniers à la maison d’arrêt de Bamako, il y a plus de 1500 qui sont en
détention provisoire, certains depuis plusieurs années, totalement oubliés par la
justice ! Il y en a tout autant dans les autres centres de détention du pays.
Nombreux parmi eux sont en prison pour des motifs fantaisistes, d’autres pour
des infractions dont les peines sont nettement moins longues que la durée déjà
consommée de leur détention provisoire. Cette réalité dramatique de nos
formations carcérales contraste scandaleusement avec une autre réalité, celle des
crimes économiques qui ne font jamais l’objet de jugement. Autrement dit, plus
on vole et moins on est inquiété ! Il faut casser cette réalité et ce serait là le
symbole le plus illustratif du changement que le nouveau Gouvernement
pourrait donner à l’opinion. Sur les centaines de dossiers pendants devant le pôle
économique, il faut organiser rapidement quelques procès retentissants afin de
convaincre les Maliens qu’un nouvel ordre est possible.
Le champ des actions symboliques porteuses de messages est vaste. Dans tous
les secteurs, des mesures concrètes et symboliques peuvent être envisagées le
plus tôt possible pour porter le message du renouveau et accroître la confiance à
l’égard des autorités. C’est dans cette optique qu’il convient de demander à
chaque Ministre d’identifier deux ou trois initiatives fortes et symboliques de
son domaine à conduire dans les deux ou trois mois à venir. Ces actions seront
ainsi accompagnées par une stratégie de communication qui rendra leur
symbolique et leur portée accessibles à l’ensemble des Maliens. Pour qu’ils se
convainquent, progressivement, que, par petites touches, le Gouvernement est à
leur écoute et à leur service, prêt à se sacrifier pour ce faire. Qu’ils se
convainquent que ceux chargés de les représenter et de leur rendre des services
se mettent enfin à la hauteur de leur charge historique.
Il n’y aura pas de bouleversement immédiat dans les rapports entre les Maliens
et leur leadership mais un frémissement positif peut ouvrir des perspectives pour
les autorités. Cela accroitra leur marge de manœuvres pour traiter les dossiers
119
les plus compliqués et leur donnera des munitions supplémentaires afin de
persuader nos compatriotes de faire des efforts au moment où cela leur sera
demandé.

120
Et si on se focalisait sur les revenus des populations ?

L’Afrique vit une longue période de croissance économique et certains pays


comme l’Éthiopie ou la Côte d’Ivoire ont atteint des chiffres importants de
progression économique ces dernières années. Pourtant, au même moment, dans
ces mêmes pays on est témoin de récriminations régulières des populations et
même quelques fois des émeutes pour obtenir des décideurs plus de
considération et plus de ressources.
Les chiffres publiés montrent que les pays asiatiques, notamment la Chine, ont
su accroitre les revenus de leurs populations de manière significative au cours
des vingt dernières années, ce qui n’est pas le cas des pays africains qui abritent
aujourd’hui la majorité des pauvres de la planète. Pire, même à certains endroits
le nombre de pauvres augmentent en Afrique !
La croissance économique dans nos pays reste fragile et demeure liée à des
facteurs que nous ne maitrisons pas tels que la pluviométrie et les conditions
climatiques ou encore le cours des matières premières. Dans certains pays, la
croissance est également tirée par quelques secteurs dont l’impact sur les
populations reste limité. C’est le cas des mines, des télécommunications, de la
finance ou de certains services. Les actionnaires des grandes compagnies
présentes dans ces secteurs bénéficient nettement plus de la croissance africaine
que les africains eux-mêmes. Dans nos pays, les priorités gouvernementales sont
presque toujours portées sur les infrastructures et l’énergie. Cela peut se
comprendre mais même quand des réalisations sont constatées, leur incidence
n’est pas immédiatement perceptible sur les revenus des populations comme le
rappelle éloquemment le célèbre dicton ivoirien : « on ne mange pas les
routes ».Il est vrai que l’effet d’une route se fait souvent attendre, notamment
quand elle peine à se traduire par un accroissement des échanges économiques,
des relations entre les acteurs, une plus grande facilitation des créations de
richesse et une fréquentation qui lui assurent une certaine rentabilité.
Il est encore plus frappant de constater que les États ne semblent pas faire de la
question des revenus des populations leur priorité. La redistribution des fruits
collectifs ne touche pas les populations les plus défavorisées. Nous n’avons pas
de politique économique à long terme et maintenons les yeux braqués sur les
déficits, la masse monétaire, les ratios d’endettement…Nous créons nous-

121
mêmes des carcans comptables dans lesquels nous nous maintenons et qui se
traduisent par l’assimilation des populations à des facteurs de dépenses plutôt
que des sources de prospérité. La moindre des revendications populaires est
analysée à son aune budgétaire et financier, en termes de coûts et non
d’opportunités de progrès.
Le résultat de cette situation est l’observation d’un taux de croissance moyen de
l’ordre de 5% mais avec toujours plus de mécontentement, de pauvreté, de
chômage et de migration de nos populations vers des cieux jugés plus
prometteurs.
Ces constats reviennent à établir que l’enjeu en Afrique ne doit pas être
seulement la croissance, bien présente et souvent à des niveaux appréciables. Le
défi ne doit pas être non plus uniquement la démographie qui, bien que pesant
sur la réduction de la pauvreté, reste inférieure à la croissance en moyenne et
n’empêche donc pas l’accroissement du revenu moyen par habitant. Il est
impératif de mettre en lumière le fait que le vrai enjeu stratégique pour le
Continent est celui du revenu de ses populations. C’est notre aptitude à sortir de
la pauvreté la plus grande partie des Africains qui déterminera l’avenir du
Continent. Dans cette optique, les élites dirigeantes africaines doivent accorder
plus d’attention au sort de leurs administrés et prioriser les questions
économiques, souvent plus difficiles à traiter que les questions sécuritaires ou
politiques. Ils doivent, pour ce faire, revoir leurs priorités et stratégies ainsi que
leurs modes de gouvernance.
Il est urgent qu’on s’y prenne autrement, qu’on change de paradigme
économique et qu’on s’oriente vers nos populations, leur bien-être, leur
prospérité et leurs revenus, peu importe où elles se trouvent et qui elles sont ! Il
devient désormais obligatoire de réorienter nos réflexions, nos politiques et nos
moyens vers cette direction souvent ignorée par les décideurs continentaux et
par les partenaires qui nous accompagnent.
Cela d’autant plus que la réduction de la pauvreté reste encore le premier
objectif du développement durable à l’horizon 2030 car de l’an 2000 à 2015,
nous n’y sommes pas parvenus à l’échelle de la planète. Certains y sont arrivés,
d’autres non, particulièrement en Afrique et ont fait au contraire du surplace !
Nous devons changer le fusil d’épaule pour espérer atteindre les résultats

122
attendus en 2030. Il parait utile d’explorer quelques pistes dans notre nouvelle
quête prioritaire d’amélioration des revenus des Africains.
Nous avons au préalable à connaitre nos populations, leurs conditions de vie,
leurs revenus, leurs activités, leurs aspirations, leurs mobilités…Le
renforcement des systèmes statistiques nationaux est impératif pour permettre
une fine connaissance des Africains sur leurs territoires, dans leurs terroirs, une
bonne collecte des informations appropriées sur leurs conditions socio-
économiques. Seule la disponibilité de ces données ainsi que leur actualisation
permanente, facilitée par la disponibilité des technologies de l’information et de
la communication, permettront aux décideurs publics de mettre en place des
politiques adéquates. On a coutume de dire qu’il y a des Afriques qui coexistent
sur le Continent. Dans un pays comme le Mali, on peut affirmer qu’il y a
également plusieurs Mali qui cohabitent. On doit gérer ces diversités et ces
nuances afin de mener des actions efficaces en matière de satisfaction des
attentes des populations.
La fixation d’un cap stratégique clair et sa déclinaison en objectifs locaux
s’imposent pour placer la question des revenus des populations au cœur de
l’action publique. Cette étape cruciale doit viser et associer les forces vives et
surtout les collectivités locales dans la définition et la mise en œuvre des actions
d’accompagnement au bénéfice des citoyens.
Nous devons faire urgemment de l’industrialisation un objectif majeur de nos
politiques publiques car seule des industries adaptées et appropriées peuvent
nous aider à résorber le chômage de masse et à donner des revenus à des
millions de nos compatriotes qui en sont dépourvus. Nous devons nous inscrire
dans la dynamique de protection de nos faibles industries locales, de priorisation
absolue de la consommation des productions locales, de soutien des producteurs
nationaux notamment les artisans et les filières culturelles. L’Afrique doit
encore miser sur l’industrialisation classique mais également sur
l’industrialisation au sens de l’édification de filières porteuses dans les domaines
agricoles et d’autres secteurs d’activités rurales avec l’ambition de captation
progressive de valeurs. Nous devons investir dans l’édification d’un secteur
économique numérique avec le développement d’écosystèmes qui permettent
d’améliorer l’apport de nos pays comme producteurs de contenus et de services
mais aussi de technologie.

123
Au niveau des zones rurales, accueillant encore la majorité de la population
africaine, la question du ciblage des revenus reste cruciale. Nous avons à
multiplier les angles d’approche et les initiatives originales pour promouvoir la
ruralité africaine. C’est la seule condition pour gérer au mieux l’urbanisation de
nos pays et équilibrer nos territoires. Nous devons rendre le financement rural
plus accessible avec la systématisation de la micro finance dans les villages. Ce
dispositif classique devrait être couplé au système de paiement électronique et à
la banque mobile qui intègrera les populations africaines dans les circuits
financiers locaux, nationaux et régionaux. Parallèlement, il faut investir dans
l’accès aux marchés ruraux à travers les petites infrastructures routières reliant le
village au chef-lieu de la commune.
L’intensification de l’agriculture, la modernisation des techniques de production
rurale, l’amélioration de la disponibilité des intrants de qualité ou encore le
soutien à la créativité à travers les conseils auprès des populations rurales sont
des initiatives à prendre, avec à chaque fois le souci d’une action de proximité,
souple, adaptée au terrain d’expérimentation et pouvant être remodulée à
l’occasion.
L’économie urbaine peut aussi être un moteur de l’amélioration des conditions
de vie des Africains. La promotion des métiers autour de l’artisanat et des
micro-entreprises de services aux populations est une priorité. Pour ce faire, un
dispositif localisé de formation professionnelle et de reconversion des jeunes
pourrait être mis en place. Dans les villes, les secteurs agroalimentaires urbains
(aviculture et pisciculture de domicile, liens avec les réseaux de distribution…)
sont d’importants pourvoyeurs d’emplois et de revenus. La promotion des
secteurs des technologies de l’information et de la communication, des startups
innovantes à travers un tissu renforcé d’incubateurs privés et expérimentés
forment ensemble, un autre bloc d’opportunités pour les habitants des cités
notamment les jeunes. Là également, un dispositif de financement et d’assurance
adapté et souple, lié aux secteurs financiers et mettant à profit les technologies
modernes, sera d’un apport inestimable pour promouvoir les économies
urbaines, orienter l’urbanisation de nos pays vers la création de richesse et
l’amélioration des revenus des populations.
Les activités de soutien aux plus pauvres et aux plus démunis des sociétés à
travers une batterie d’interventions complémentaires auront des impacts
économiques certains. La distribution de cash et un accompagnement approprié
124
des bénéficiaires, l’octroi de subventions directes à certaines occasions (fêtes
civiles, rentrée scolaire…), la prise en charge de certaines dépenses des
populations (scolarité des enfants, santé avec un dispositif d’assurance
universelle…) accompagnée d’un monitoring permettant de suivre en temps réel
les activités, l’évolution des familles et de leurs revenus ont démontré leur
efficacité dans de nombreux contextes.
Le levier fiscal est un moyen de soutien aux populations et peut se révéler en
même temps efficace pour les finances publiques. Nous devons alléger et
informatiser la fiscalité pour collecter les contributions de chacun, en lien avec
son activité, reformer radicalement la gouvernance de ce secteur afin d’y bannir
la corruption et améliorer globalement les performances de nos administrations
fiscales pour réaliser rapidement un taux de pression fiscale de 20% du PIB afin
d’améliorer la capacité d’intervention des États. Cela nous donnera des moyens
supplémentaires à injecter dans le soutien aux revenus de nos populations, étant
entendu que ceux-ci, en croissance, alimenteront également les caisses
publiques. Pour financer ce dispositif, nous disposons de la piste des économies
sur les dépenses publiques et celle de la réorientation des dépenses de
fonctionnement et d’investissements : des petites voies de raccordement des
villages plutôt que des autoroutes non rentables, des subventions aux
producteurs plutôt que des échangeurs « tape à oeil », des distributions de cash
ou la garantie de petits prêts aux populations plutôt qu’un système de subvention
aveugle de certains produits comme le carburant ou l’énergie. Nous avons
également la possibilité de nouer des partenariats autour de cette initiative qui
conduiront à l’engagement des soutiens extérieurs à accompagner de vastes
stratégies de soutiens directs aux populations même si cela ne devait pas passer
par les régies financières publiques avec la possibilité de contractualiser avec les
régions, les départements et communes pour améliorer le sort des populations.
Un monitoring pointu sur les résultats permettra de valider les choix et de
dupliquer les exemples ailleurs dans le pays.
Ces initiatives ne sont pas destinées à se substituer aux politiques généralement
menées qu’elles ne gênent d’ailleurs pas. Elles peuvent être conduites
parallèlement à des actions de renforcement de nos potentialités énergétiques, à
l’amélioration du cadre des affaires et à des initiatives pour attirer les
investissements dans nos pays.

125
Elles doivent seulement bénéficier de la plus grande attention des autorités et
revêtir un caractère prioritaire car elles visent ce qui doit importer le plus pour
un dirigeant, à savoir la prospérité de ses administrés. Celle concrète et
immédiatement perceptible et pas seulement théorisée dans des rapports
d’études et autres travaux d’experts !

126
Projet de découpage territorial du Gouvernement : l’art de mettre
la charrue avant les bœufs !

Le Gouvernement malien, à la fin de l’année dernière, a engagé une reforme


territoriale et administrative fortement contestée dans le pays. Cette réforme,
dans la forme comme dans le fond, est critiquable et nos autorités doivent être
réceptives aux arguments qui militent en faveur de sa reprise.
Pour la forme, on peut citer principalement l’absence de concertation sur la
vision qui porte le projet ainsi que sur ses modalités pratiques de mise en œuvre.
Pour un pays comme le Mali, très conservateur en matière de gestion territoriale,
cela est rédhibitoire. On peut également déplorer la précipitation à conduire cet
exercice périlleux en quelques mois seulement alors que le projet n’a pas de
précèdent dans notre histoire.
Quant aux insuffisances de fond, elles sont malheureusement nombreuses.
Le projet n’a pas de rapport direct avec l’accord de paix contrairement à ce que
clame notre Gouvernement. L’accord vise l’opérationnalisation des collectivités,
le transfert de pouvoirs et des moyens à leur bénéfice et le renforcement de leurs
aptitudes à satisfaire les attentes des populations. Il ne demande pas de
multiplier les circonscriptions administratives. C’est un appel à la
décentralisation effective du pays et à une plus grande responsabilisation des
populations à travers leurs représentants élus. Ce n’est pas une incitation à la
déconcentration et à un redéploiement de services relevant pour l’essentiel du
pouvoir central.
Le projet de découpage ne peut être justifié ni par les questions de fichier
électoral ni par l’ambition de rapprocher l’administration des citoyens. Les
électeurs sont déjà pris en compte dans le fichier actuel. Si la création d’une
circonscription administrative suffisait pour y amener des infrastructures,
pourquoi de nombreuses circonscriptions déjà existantes sont encore dénuées de
tout (absence de Gouvernorat à Taoudéni et de centres de santé de référence ou
de palais de justice dans certains cercles…) ? Il est plus opportun de combler les
nombreux déficits existants avant de se livrer à des créations de circonscriptions
sans suite en matière de moyens alloués et sans impact pour les maliens.
L’initiative gouvernementale n’est pas soutenable en termes de moyens
humains, matériels et financiers. Actuellement les effectifs d’administrateurs
127
territoriaux compétents ne suffisent pas à occuper tous les postes existants
(gouverneurs, préfets, sous-préfets, adjoints) à fortiori les nouvelles
circonscriptions prévues pour être créées. En répartissant la pénurie entre un
plus grand nombre de diviseurs, on ne fera qu’appauvrir davantage les
représentants de l’Etat, exactement le contraire de ce qui a été clamé pour
engager le processus !
Le projet n’est équitable ni entre les communautés ni entre les territoires. Il se
traduit par des créations de circonscriptions ne se justifiant ni par le nombre
d’habitants, ni par d’autres critères socio-économiques pertinents. Ceci risque
d’entrainer des conflits et des divisions pouvant déstabiliser le pays.
Enfin cette nouvelle stratégie de découpage territorial ne peut être expliquée par
l’ambition d’une représentation équitable des populations. La situation actuelle
qui prévaut depuis plus de vingt ans, se traduit déjà par une iniquité entre les
communautés par rapport à leur niveau de représentation au sein des Institutions.
Ce consensus est issu des précédents accords de paix. Le projet du
Gouvernement accroit cette iniquité et la porte à un niveau insupportable pour
nos compatriotes. Ce climat délétère est porteur de conflits intercommunautaires
déchirant davantage le tissu social déjà bien entamé par les crises que nous
vivons depuis quelques années.
Le Gouvernement doit revoir sa copie, accroitre les concertations, mieux
préparer des arguments pertinents en faveur du redécoupage territoire et surtout
s’engager encore plus vers la décentralisation réelle du pays.

128
Quelle place pour l’Islam dans nos pays ?

La religion, de manière générale, a un rôle et une influence certaine au sein des


groupes humains. Cette influence est susceptible de jouer sur l’organisation, le
fonctionnement voire la gestion de la société, ce qui lui confère une dimension
également politique. Dans de nombreuses démocraties partisanes, des
organisations politiques ont des références religieuses clairement établies et
acceptées. En Allemagne, le parti dominant est encore un parti dénommé
« chrétien démocrate ». Aux Etats- Unis, le Président prête serment sur la bible.
En Turquie, au Maroc ou en Tunisie, les partis à référence islamique exercent ou
participent au pouvoir. La religion est de ce fait associée à l’exercice du pouvoir
en maints endroits.
Au Mali et en Afrique de l’Ouest plus généralement, la religion musulmane est
majoritaire. Cette partie du continent se caractérise par le fait qu’après le
Maghreb, c’est la région Afrique qui est la plus islamisée. Etant la plus peuplée
(entre 350 et 380 millions d’habitants), c’est là où on recense le plus grand
nombre de musulmans et, accessoirement, le plus grand nombre d’islamistes
violents.
Le rôle social de l’islam se déduit du fait que des millions de citoyens acceptent
de se soumettre à ses règles, à organiser leur existence conformément aux
dogmes de la religion, à avoir des relations sociales placées sous la lumière
religieuse et à inscrire leurs rapports avec les autres dans le cadre de ce qui est
prescrit par la religion. L’islam a de ce fait une importance majeure dans nos
sociétés.
Par ses rites et ses préceptes, l’islam est la religion monothéiste qui met le plus
en avant le groupe, la collectivité et la société. C’est une religion qui se pratique
et se vit en groupe. Elle met particulièrement l’accent sur l’harmonie sociale, et
traite également la question de la société, de son organisation, de sa direction et
de sa gestion. Cela particularise l’islam et crée ainsi de nombreuses occasions de
confrontations entre ses prescriptions et les règles séculières définies par les
hommes dans le cadre de la gestion de nos cités. Cette particularité de l’islam en
fait une cible pour de nombreux groupes humains, notamment dans les sociétés
occidentales. Ces confrontations sont aussi présentes dans nos contrées et il est
probable qu’elles continuent à être des sources de tensions à l’avenir. Elles

129
forment d’ailleurs une des motivations des groupes islamistes terroristes dont
l’ambition est de transformer la gestion de nos sociétés pour la mettre sous le
magistère de ce qu’ils considèrent comme la voie authentique de l’islam.
Cette religion a indéniablement un rôle social et politique au Mali et en Afrique
de l’Ouest. Cependant, en quoi ces rôles peuvent être des facteurs de stabilité, de
prospérité et d’harmonie dans nos pays ? Comment concilier ce rôle politique
avec le fonctionnement des collectivités et des Etats laïcs ? Comment éviter les
chocs et les conflits ou les minimiser afin que les collectivités puissent
prospérer ?
Ces questions sont cruciales et de leur réponse appropriée dépendront la sécurité
et la stabilité de nos pays à moyen et long termes. Pour ce faire Il faut deux
préalables essentiels et engager quelques initiatives majeures.
La reconnaissance de la place de la religion de manière générale et
particulièrement de l’islam dans nos sociétés par nos élites politiques, la société
civile, les intellectuels, etc, constitue un préalable indispensable au traitement
dépassionné de la question. Par crainte, méconnaissance, paresse ou
malhonnêteté intellectuelle ou simplement par conformisme, de nombreux
leaders de nos pays ne souhaitent aborder le débat sur les questions religieuses
qu’à l’abri des regards. On ne peut vouloir se situer à l’avant-garde d’une société
et prétendre effacer une partie de l’identité de celle-ci. Les élites doivent intégrer
cette réalité et en tenir compte. La religion est facteur de justice et d’harmonie.
Le second préalable est la nécessité acceptée par tous de donner enfin un
contenu à la laïcité dans notre espace régional . Celle-ci ne peut être ni
synonyme de rejet de la religion ni être une copie de ce qui est retenu ailleurs.
La laïcité à la hollandaise ne peut et ne doit pas être la laïcité à la malienne.
Nous n’avons pas à mimer d’autres à qui d’ailleurs nous n’avons rien à envier.
Nos sociétés sont souvent plus laïques, au sens occidental du terme, que d’autres
quand on apprécie l’équidistance de nos Etats vis-à-vis des religions en rapport
avec les jours fériés pour chacune des religions, les rapports avec les
organisations religieuses etc.
De manière concrète quatre initiatives pourraient être prises dans nos pays.
La première initiative consiste à formaliser par des politiques, stratégies, règles,
les rôles et la place de la religion dans nos sociétés, les rapports entre la religion
et le pouvoir temporel, les droits et devoirs des leaders religieux, les rapports
130
entre le religieux et le politique, les normes d’organisation et de fonctionnement
du culte, etc. Il faut mettre fin à la politique de l’autruche en laissant l’anarchie
religieuse envahir l’espace public. Cet important chantier devrait être ouvert en
collaboration avec les organisations religieuses.
La seconde initiative est d’organiser le dispositif religieux et à lui assurer une
plus grande cohésion. Il faut assurer l’unité et l’entente entre les courants. Il est
nécessaire qu’une organisation faitière soit construite et renforcée pour qu’elle
dispose des moyens de son leadership. Elle doit avoir les capacités scientifiques
requises et des moyens d’édiction des normes. Elle doit disposer d’organes
d’orientation et de supervision, incontestés. Sa légitimité est indispensable pour
asseoir son autorité et cette dernière sera cruciale dans les rapports avec les
pouvoirs publics.
A la suite de ces initiatives institutionnelles, il convient de mettre en place un
dispositif permettant la concertation et la collaboration entre la gouvernance
temporelle et l’autorité religieuse supérieure afin d’anticiper les chocs et les
traiter. Ces chocs ne manqueront pas (question d’héritage, rôles et places de la
femme, peine de mort, bio éthique, excision…). Il nous faut forcement les
aborder en ayant souci de la stabilité, de l’harmonie, de la prospérité et de la
solidarité dans la société. Sans passion mais avec la ferme volonté d’établir des
compromis rassembleurs et cela est possible.
Les interrelations entre les autorités religieuses et les autorités politiques
peuvent ouvrir la voie à la dernière initiative. Celle-ci consiste à prévoir, dans le
cadre de la décentralisation, la possibilité qu’il y ait des règles civiles
d’application locale et inspirées de la religion. Cela prévoira également des
officiers judiciaires religieux chargés de rendre des décisions inspirées de la
religion sur des thématiques civiles comme les questions d’état civil, le caractère
licite ou illicite de certains produits ou services, les litiges entre citoyens sur les
questions civiles ou commerciales, etc. Ces possibilités peuvent ensuite être
étendues à des infractions pénales de type contraventionnel ou délictuel
(questions environnementales, atteinte au patrimoine public, vols jusqu’à
certains niveaux…). Il s’agit de créer des possibilités permettant de régler
localement les problèmes selon les principes religieux.
Les possibilités offertes par cette initiative ainsi que la précédente permettront à
nos pays de traiter la question des groupes terroristes autrement que par des

131
moyens militaires. Ces groupes armés parviennent à convaincre les populations
en se fondant sur des principes religieux. Lorsque nos gouvernants parviendront
à leur opposer des arguments religieux et à intégrer certains principes religieux
dans le fonctionnement de la vie collective, une bonne partie des thèses
violentes n’aura plus de prise sur les populations. La religion reste l’arme la plus
efficace contre l’extrémisme religieux.

132
Pensons à l’amélioration de notre système électoral !

Les élections présidentielles sont derrière nous, certes. Mais n’attendons pas
2023 pour nous pencher de nouveau sur notre système électoral et constater que
nous avons raté des occasions de le revoir, de manière dépassionnée et en
prenant le temps de travailler en profondeur ! Nous devons éviter ce qui s’est
passé en 2018 avec la dernière révision du code électoral. L’idéal est donc de
travailler en dehors de toutes contingences, à un moment où les enjeux sont
éloignés de l’horizon, propice à la tranquillité d’esprit des protagonistes. Les
autorités doivent intégrer ce fait.
Nous disposons d’une batterie de références pour conduire un processus
satisfaisant de réforme électorale. De nombreux articles ont été publiés pour
mettre à nu les insuffisances de notre dispositif. Les observateurs des dernières
élections, aussi bien les nationaux que les étrangers, ont porté des diagnostics
quelques fois très précis, assortis de recommandations d’amélioration. A ce titre,
le rapport d’observation de l’Union Européenne (UE) résume une bonne partie
des insuffisances du système électoral qu’il conviendrait de corriger. Il faut
penser à travailler avec ce document important et éviter que cette Institution
nous le rappelle à nouveau dans quelques années comme il l’a fait en 2017 au
sujet de son rapport sur le scrutin de 2013.
Les principaux sujets à aborder sur le chantier de l’amélioration de notre
système électoral sont connus des acteurs politiques et des autorités publiques. Il
est de ce fait aisé d’engager le processus en intégrant ces chapitres parmi les
éléments clés des termes de références de l’exercice.
La question des organes impliqués dans le processus électoral est à trancher.
Nous devons clarifier le débat sur la structure unique à créer pour piloter le
processus électoral. Faut-il une entité au sein du Ministère en charge des
élections comme l’UE le préconise ou une structure autonome comme souhaité
par certains autres acteurs ?
Le fichier électoral est à actualiser pour intégrer les jeunes majeurs et expurger
les cas de décès et autres anomalies relevées par l’audit effectué l’année
dernière. Nous devons rendre ce fichier plus dynamique et plus souple dans son
management afin que les révisions soient prises en compte rapidement. Il est
également souhaitable de revoir la distribution des cartes d’électeur afin de
133
limiter les déperditions en la matière. Les cartes d’électeurs distribuées de
manière groupée comme, par exemple, au Nord notamment à travers le chef de
fraction pour le compte de l’ensemble des membres de la fraction, doivent faire
l’objet d’une plus grande attention. Des dispositifs particuliers peuvent être mis
en place afin de s’assurer que cela ne se traduise pas par des abus et des attitudes
frauduleuses.
Le cas spécifique des candidatures des sortants aux élections, notamment le
scrutin présidentiel, est à gérer et fera sans doute couler beaucoup de salives. Ce
dossier est délicat mais il est absolument incontournable si on veut faire faire un
bond qualitatif à notre démocratie. Les exemples de Madagascar (démission
deux mois avant l’élection), du Cap - Vert (transfert de pouvoir à un suppléant)
ou d’autres pays sont des éclairages qui nous aideront à retenir un dispositif qui
égalisera, tant que faire se peut, les chances des sortants avec les autres
candidats.
La problématique du second tour de l’élection présidentielle est à traiter car dans
le contexte actuel il n’y a pas de campagne ni d’occasion donnée aux électeurs
pour éclairer leur choix. Le rapport de force du premier tour est globalement
maintenu comme nous l’avons vu en 1992, en 2002, en 2013 et l’année dernière.
Il convient d’allonger au moins d’une semaine le vote du second tour et surtout
inscrire les débats entre les candidats comme une étape incontournable du
processus.
Le passage à l’heure du numérique doit concerner nos opérations électorales.
Nous devons ouvrir la voie au vote électronique et, de manière générale, à
l’introduction des technologies ayant fait leurs preuves ailleurs, dans notre
système électoral pour améliorer les conforts des électeurs et renforcer la
sécurité, la transparence et l’intégrité des opérations.
L’Equité en matière d’accès aux médias doit être mieux assurée avec une plus
forte implication de la Haute Autorité de la Communication dont les moyens
sont à renforcer. La question de la gestion des réseaux sociaux dans les
élections, l’encadrement souhaitable de l’intervention du Gouvernement pour les
couper ou en limiter l’accès sont aussi des sujets de préoccupation à traiter.
La place de la Cour Constitutionnelle et les implications de celle-ci sont à
baliser. La Cour doit faire preuve de plus de transparence au niveau de ses
actions et délibérations. Elle doit mieux justifier ses décisions et disposer de plus
134
de moyens pour que ses relais sur le terrain puissent recueillir de meilleures
informations. Elle doit être et paraître indépendante et avoir davantage d’inter
relation avec la société civile et les observateurs du scrutin. Aux antipodes de ce
que nous avons observé en 2018.
De manière générale, la transparence de nos processus électoraux est à
améliorer. Nous devons apprendre à publier les textes, éviter les changements
intempestifs et les partager avec tous les acteurs. La publication des résultats
bureau de vote par bureau de vote, centre par centre et progressivement, au fur et
à mesure de la centralisation, la mise à disposition des rapports d’observation
(Commission Electorale Indépendante /CENI et autres) avant l’avis de la Cour
constitutionnel sont quelques pistes à explorer.
Il faut ouvrir les processus électoraux à la société civile malienne et briser le
mur de méfiance entre cette dernière et les autorités. Nous devons créer des
occasions d’intervention et de responsabilisation des acteurs de la société civile
dans la gestion du processus et dans l’observation des scrutins, y compris sur le
plan institutionnel.
La question des modes de scrutins est également cruciale. S’il y a moins de
contestation du mode de scrutin présidentiel (majoritaire à deux tours) ou local
(proportionnel) ; le mode de choix des élus de représentation parlementaire
(députés, futurs sénateurs) est sujet à débats. Il faut aborder ce dossier et
accepter des réformes profondes assurant une plus grande légitimité des élus et
une meilleure représentation des populations.
Deux défis majeurs sont enfin à relever par notre dispositif électoral sur le
sentier de la réforme, à savoir celui de la crédibilité des candidatures et du poids
écrasant de l’argent dans nos scrutins. Nous devons avoir le courage de traiter
ces deux enjeux. Nous ne devons pas avoir peur d’évoquer la crédibilité
indispensable des candidatures en explorant les pistes du niveau minimal
d’instruction et d’expérience pour exercer un mandat électif. L’hypothèse
d’augmenter la caution financière à payer, celle de l’introduction du parrainage
des citoyens en plus de celui des élus sont également des voies empruntées
ailleurs à examiner par le Mali.
Personne ne doute plus que la question de l’argent dans le système électoral est
un grave danger pour notre démocratie et notre pays. Nous devons encadrer
fortement la collecte de ressources, l’engagement des dépenses et le dispositif de
135
comptabilité des campagnes avec comme objectif d’instaurer la transparence
mais aussi d’améliorer l’équité entre les candidats.

136
Chapitre 3
2020 : Et le Coronavirus COVID 19 renversa tout, y
compris le régime d’IBK ?

137
138
Coronavirus COVID 19 :
Quel après ?

Alors que le nombre de cas positif croit par centaine de milliers dans le Monde
et les décès par milliers, de nombreux analystes essaient d’anticiper sur l’après
pandémie. Dans quel Etat la planète en sortira et comment elle fonctionnera
désormais ?
De nombreuses voix s’élèvent pour en appeler à une nouvelle Gouvernance
mondiale. Les sommets par vidéo-conférence du G7 et du G20 laissent ouvrir
quelques perspectives dans ce sens. Les sommes faramineuses annoncées pour
soutenir les économies et les sociétés des pays riches mais également pour aider
les pays moins nantis annoncent quelques perspectives d’un monde plus
solidaire. Mais cela est-il suffisant pour présenter quelques perspectives
positives et faire du COVID 19 un mal pour un bien ?
Au rythme où il évolue, il est probable que le virus impacte sur les plans
sanitaires, économiques, socio culturels et peut être politiques de nombreux pays
de la planète sur l’ensemble de l’année. Au point que les fermetures de
frontières, les mesures de limitation de mouvement, le repli sur soi risquent
d’être encore la norme pendant l’été et l’automne. Les pays qui sortent du pic de
l’épidémie seront obligés de maintenir fermées leurs frontières pour ne pas subir
de cas importés comme on le constate en Chine en ce moment. Cela sera
d’autant plus le cas que les pays pauvres peineront à se dépêtrer du COVID 19
en raison de la faiblesse extrême de leurs systèmes sanitaires.
Dans deux ou trois mois, l’Afrique risque de devenir la principale préoccupation
mondiale concernant la maladie et aura besoin d’assistances significatives pour
la contenir et en sortir. La promiscuité dans laquelle les populations vivent le
continent, le niveau de pauvreté qui oblige les africains à vivre au jour le jour
rendant impossible tout confinement et surtout les insuffisances structurelles du
dispositif de riposte (disponibilité des tests, des capacités d’accueil de traitement
des malades, insuffisances criardes de personnel soignant…) font craindre le
pire dans les semaines à venir. Le rythme exponentiel de la transmission du
virus entre les êtres humains se traduit par un nombre de cas qui sera sans doute
le multiple du nombre officiel au lieu du triple dans les pays dotés de systèmes
sanitaires solides. Le Continent africain sera la clé de la lutte contre le
139
coronavirus, au mieux là où il sera stoppé après quelques péripéties macabres et
au pire là où il s’installera dans la durée après avoir fait une hécatombe unique
dans l’histoire de l’humanité !
Les dirigeants africains en premier lieu mais également la communauté
mondiale doivent prendre conscience de manière extrêmement urgente de
l’ampleur de la menace. Et agir pour la traiter de manière précoce. Dans ce
domaine, une simple journée de gagner ou de perdue peut s’avérer décisive !
Il faut par conséquent anticiper cela et plus tôt des actions seront engagées,
mieux ce sera. La Banque africaine de développement est la première à
s’engager dans ce combat en émettant un emprunt obligataire de 3 milliards de
dollar américain pour aider les pays africains à faire face à la pandémie. Le
Premier ministre Ethiopien évalue les besoins africains à 140 milliards de
dollars. Une somme modeste eu égard aux 2000 milliards de dollars du plan
américain pour les USA ou encore aux 5000 milliards de dollars envisagés par le
G20 pour une réponse globale.
Les ressources peuvent être mobilisées. Les politiques savent identifier les
risques, aidés en cela par les scientifiques. Il convient de mettre ces
intelligences, moyens et imaginations pour concevoir et apporter à la pandémie
une réponse globale et ordonnée à la dimension des défis qu’elle nous pose,
c’est-à-dire gigantesque et inédite.

140
Face aux conséquences de la Pandémie COVID 19 : l’Afrique ou
les Afriques ?

Facilité ou dilemme des analyses et autres « passionnés » du Continent, la


tentation a toujours été grande de parler de l’Afrique comme d’un seul pays
alors qu’il en compte 54 !
Dans presque tous les domaines et en différentes occasions, le Continent est
ainsi globalisé et simplifié avec la prétention de mieux en comprendre les
dynamiques, prononcer des diagnostics et proposer des remèdes à ses difficultés.
Diagnostics et remèdes d’autant plus légers et inappropriés qu’ils reposent sur
un tableau fort éloigné des réalités africaines. L’histoire, les conditions géo
climatiques, les réalités socio culturelles du Lesotho sont aussi différentes de
celles de la Mauritanie que le Brésil est différent de la Nouvelle Zélande !
L’économie sud-africaine a peu de points communs avec celle du Tchad, tant
dans ses fondements, que dans sa vision ou encore son degré d’inclusion dans
les chaînes de valeur mondiales. Il n’y a pas une Afrique mais des Afriques !
Face à la pandémie du COVID 19, les mêmes généralités sont en passe de
s’imposer en ce qui concerne les stratégies pour la gestion sanitaire de la crise
mais aussi et surtout face aux conséquences économiques de la pandémie, qui
seront sans doute plus douloureuses que ses impacts sanitaires. Dans ce dernier
domaine, il apparait évident que le Continent résiste mieux aux dégâts sanitaires
du virus que l’Europe ou encore l’Amérique. Si le nombre de cas positifs est
sans aucun doute très fortement minoré du fait de la modestie du nombre de
tests, le nombre de malades et de décès en Afrique est fort éloigné de ce qui est
constaté ailleurs. Les études scientifiques permettront d’expliquer cela mais le
constat est incontestable.
En revanche, sur le plan économique, la situation est tout autre. Il est attendu en
Afrique une récession de 5% en 2020 et des pertes d’au moins 20 millions
d’emplois là où il aurait fallu en créer au moins 15 millions, d’où un déficit de
plus de 35 millions d’emplois et un accroissement de la pauvreté pour près de
15% de la population du Continent. Cette situation masque mal des disparités
importantes. Quand des pays comme la Côte d’Ivoire, le Kenya, le Ghana ou
encore le Rwanda maintiendront leur économie à peu près aux niveaux de
l’année 2019, les géants africains que sont l’Afrique du Sud (-7%), l’Egypte (-

141
5%), l’Angola (-9%) ou l’Algérie (-9%) connaitront de véritables crises
économiques avec des conséquences sérieuses en matière de développement
humain. Les pays vivront de ce fait des situations contrastées. Au sein de chaque
pays, et en fonction des zones géographiques et des secteurs économiques,
l’impact économique de la pandémie ne sera pas le même.
L’attitude des gouvernements africains face à la crise présente en conséquence
des différences liées à ce contexte. La reconfiguration des charges, les
économies consenties en faveur des dépenses sociales, le recours à
l’endettement pour soulager les acteurs économiques ou encore la sollicitation
des institutions multilatérales de développement figurent parmi les moyens
utilisés par de nombreux Etats. Certains autres, notamment les plus connectés
aux marchés financiers internationaux, ont utilisé d’autres leviers de
financement pour obtenir des ressources additionnelles. L’exposition financière
des Etats africains, la structure de leur endettement et la typologie de leurs
créanciers présentent de ce fait des disparités à ne pas négliger. En raison de
cela, les gouvernements n’ont pas la même attitude face aux initiatives
d’allègement de la dette. Quand le Mali ou le Sénégal sont très heureux de
recevoir un dispositif de report d’échéances de leurs passifs, le Kenya lui refuse
ce système car il entrainerait automatiquement la baisse de la notation de ses
dettes souveraines et donc le renchérissement des taux d’intérêt de ses prochains
emprunts sur les places financières.
La situation économique contrastée en Afrique impose des réponses variées et
adaptées. Un plan d’allégement uniforme de la dette ou un afflux massif de
ressources sur le Continent, à répartir entre les Etats, ne seraient pas aussi
efficace qu’espéré ! Il convient d’adapter les instruments aux contextes et aux
spécificités des pays.
C’est ainsi qu’il serait souhaitable d’agir en plusieurs phases. La première sera
de régionaliser le soutien aux Etats. Il est nécessaire d’agir à l’échelle des cinq
régions du Continent. Les Etats y ont des profils homogènes et quelques fois
complémentaires. La seconde étape sera de confier à l’organe politique d’une
part, et aux institutions financières régionales idoines d’autre part, les rôles de
conseil aux Etats dans leurs rapports avec le dispositif international de soutien
économique. Pour l’Afrique de l’Ouest par exemple, on retiendrait la
Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) d’une
part sur le plan politique, la Banque Ouest Africaine de Développement
142
(BOAD) et la Banque Africaine de Développement (BAD) d’autre part sur le
plan économique. Ces Institutions travailleront avec les Etats et avec le
dispositif du G20 pour obtenir des interventions adaptées et efficaces. Elles
incorporeront également une dimension régionale à leurs actions et solliciteront
les partenaires internationaux pour qu’au moins une partie des ressources soit
orientée vers le financement des infrastructures de connectivité, de production et
de transport d’énergie notamment renouvelable ainsi que de l’intégration
économique des régions africaines, directement gérées par les communautés
économiques régionales. Cela permettrait de retenir l’effet de la crise actuelle
comme une opportunité vers davantage d’intégration et de renforcement des
fondamentaux économiques du Continent.
Ce dispositif devra également intégrer des aspects de gouvernance et de
transparence afin de rassurer les partenaires au plan de l’utilisation efficiente
des ressources obtenues. La gouvernance sous entendra également les réformes
endogènes permettant de renforcer les capacités intrinsèques de chaque Etat, en
vue d’asseoir sa résilience face à d’éventuelles nouvelles crises ou la persistance
de la pandémie sur le Continent, hypothèse à ne pas écarter.
L’Afrique est diverse et variée. Oublier cela reviendrait à multiplier les
incantations et à concevoir des stratégies et des actions individuelles pays non
adaptées, comme cela est constaté actuellement. Il faut avoir l’humilité de le
reconnaître, et imaginer des systèmes de mutualisation innovants de certaines
politiques, à l’échelle régionale, tout en accompagnant les pays dans leurs
démarches spécifiques. C’est le moyen de ne pas perdre l’opportunité que
constitue la crise actuelle vers une plus grande intégration continentale et, en
même temps, un renforcement des capacités productives de chaque pays.

143
144
Le Mali face au COVID 19 : Pouvons-nous être à la hauteur ?
Chapitre 1 : Volets sanitaire et communicationnel

A la fin du mois de mars dernier, la pandémie du COVID 19 avait officiellement


touché plus de 700 000 personnes dans le monde et causé plus de 35 000 décès.
Selon les estimations des organisations internationales, le pire serait encore à
venir. Le Président des Etats-Unis a indiqué que ce pays, le plus puissant de la
terre, s’attendait à près de 200 000 morts alors qu’il n’en compte qu’un peu plus
de 3000 à la fin du mois de mars. Cela augure de lendemains difficiles dans le
monde.
Quid de l’Afrique et particulièrement du Mali ?
Tout le monde reconnait que notre continent est le plus faible sur le plan de
l’organisation sanitaire et a les moyens les plus limités pour riposter au mal. Or,
le Mali figure parmi les pays les plus fragiles du continent et souffre déjà
d’handicaps majeurs du fait de la crise sécuritaire qu’il traverse depuis quelques
années. Comment un pays comme le nôtre devrait-il donc s’y prendre pour faire
face à un problème que les nations les plus riches ont des difficultés à gérer ?
C’est le thème principal d’une série de contributions publiées, au nombre de
trois, dont la première traite des aspects communicationnels et sanitaires de la
riposte souhaitable.
Dans le domaine sanitaire comme dans d’autres, la communication et
l’information sont décisives pour mobiliser les citoyens et les convaincre à
accompagner les autorités face au défi commun. L’information et la
communication doivent privilégier la vérité et la transparence pour consolider la
confiance entre les autorités et les populations. En la matière, nous avons des
efforts importants à fournir. D’abord il convient rapidement d’expliquer aux
maliens la raison mystérieuse qui explique pourquoi le nombre de cas, le
nombre de malades et le nombre de décès ne sont pas aussi significatifs dans
notre pays alors qu’il est touché depuis presqu’un mois. Cette raison doit être
scientifiquement expliquée. Est-ce parce que nous ne pratiquons pas les tests à
une ampleur peu élevée ? Ou dû à d’autres facteurs ? Est-ce les effets du
climat ? Où serions-nous plus résistants que les européens et américains ?

145
Nous devons améliorer de manière radicale la qualité et la quantité
d’information donnée quotidiennement aux maliens. Là également, en faisant
preuve de plus de transparence. Par exemple, le nombre de tests effectués, les
résultats obtenus des tests précédents, le nombre de contacts suspects confinés,
testés ou non, les contacts recherchés, les quarantaines en cours, les
hospitalisations, les guérisons, les décès, les malades en détresse, etc. Nous
devons impérativement renforcer le contenu de nos bulletins quotidiens. Il faut
alarmer les populations et leur donner l’information juste pour qu’elles soient
sensibilisées à la profondeur du mal. C’est cela qui leur permettra d’ajuster leur
quotidien et d’adopter les comportements indispensables à leur propre
protection. En voulant éviter la panique par des informations « stérilisées », on
crée les conditions de paniques ultérieures plus importantes et non maitrisables.
Les stratégies d’information et de communication, devant associer des
professionnels de ces domaines en plus des scientifiques, doivent être conçues et
déployées en tenant compte des impératifs développés précédemment.
Sur le plan sanitaire, en partant de l’hypothèse que la pandémie est grave et
menace sérieusement notre pays, la protection du personnel soignant doit être la
priorité. Il faut renforcer les effectifs (rappel des retraités, plus grande
implication des stagiaires et des étudiants…). Il convient d’orienter
prioritairement les aides vers le personnel afin de le préserver. Nous devons
anticiper d’appeler à la rescousse la diaspora malienne dans ce domaine. Il est
impératif de renforcer rapidement les moyens du système sanitaire à la hauteur
de la menace. Toutes les mesures exceptionnelles nécessaires pour s’inscrire
dans cette trajectoire seront bonnes à prendre en commençant par
l’accroissement significatif du budget du secteur, les réquisitions de stocks
privés, l’utilisation des capacités militaires, les arrangements réglementaires
permettant d’accélérer les processus d’achats de biens et services, etc.
Au cœur de la stratégie de réponse sanitaire, le dispositif de détection précoce
des porteurs du virus sera crucial. C’est ce qui a permis à des pays comme la
Corée du sud ou Singapour de s’en sortir rapidement. Il faut améliorer le
système de détection et de confinement des suspects ainsi que de leurs contacts.
L’accroissement des tests disponibles avec un objectif de tester au moins 10%
de la population d’ici fin août 2020 est souhaitable. Les tests prioriseront les
zones à risques comme Bamako. Les autorités pourront chercher le soutien des
pays ayant vécu le traumatisme du COVID 19 comme la Chine et tendre vers la
146
réalisation d’au moins 50 000 tests en avril, 200 000 en mai, 400 000 en juin,
800 000 en juillet et 1 000 000 en août.
Nous devons investir massivement dans le renforcement des capacités d’accueil
et de traitement, identifier tous les lieux pouvant servir à cela, dans chacune de
nos villes, nous préparer à réaliser des hôpitaux de campagne, commander des
lits médicalisés dotés de respirateurs et chercher toutes les aides possibles pour
ce faire.
La Constitution d’un stock significatif d’hydroxychloroquine est à lancer
rapidement comme l’ont fait de nombreux pays comme le Maroc. Ce
médicament est à ce jour le seul en mesure d’aider dans le traitement du
nouveau coronavirus, même s’il ne bénéficie pas des autorisations scientifiques
requises. Le stock doit être suffisant pour traiter des centaines de milliers de
personnes dans l’hypothèse pessimiste d’évolution de la maladie au Mali. Nous
devons chercher les aides disponibles, participer aux initiatives régionales ou
internationales en la matière, savoir mobiliser notre secteur privé ainsi que les
laboratoires étrangers et nationaux.
Face à une crise sanitaire, l’urgence d’agir est d’abord et avant tout sanitaire.
Avec au préalable un devoir de vérité sur la réalité de la menace et de son
évolution probable ainsi que de notre aptitude à y faire face.

147
148
Le Mali face au COVID 19 : Sommes-nous à la hauteur ?
Chapitre 2 : Volet social

La riposte sanitaire vigoureuse, dans un cadre de transparence absolue sur la


réalité, permettra de susciter la confiance des populations et leur acceptation de
mesures difficiles pour stopper la circulation du virus dans notre pays. Ces
mesures toucheront chacun dans son existence et nous devrons tous modifier nos
habitudes pour nous y conformer dans l’intérêt de la nation.
Comme vu ailleurs, nous devons réduire les mouvements des populations et les
occasions de contact. Cela passera sans doute par la sanctuarisation des villes,
notamment Bamako. Il faut faire suivre ces mesures par des initiatives destinées
à convaincre les populations de rester chez elles. La diminution de l’activité
gouvernementale et celle des administrations, le soutien massif au télétravail, le
recours systématique à la visioconférence aideront à cela. Les autorités doivent
engager des subventions diverses aux populations pour le paiement de l’eau,
l’électricité, le téléphone, internet…allant jusqu’à la gratuité de ces services
essentiels. Il faut envisager la prise en charge des loyers qui constituent le plus
gros poste de dépense des populations urbaines pauvres. Le soutien aux
livraisons à domicile, les distributions gratuites d’aliments sont à organiser pour
pousser les citoyens à rester chez eux. En Afrique, il n’est pas possible
d’engager le confinement intégral des populations. Il est néanmoins possible de
conduire des activités qui aideront nos pays à limiter fortement les contacts.
Les initiatives publiques décrites ci-dessus reviennent à l’Etat central. D’autres
initiatives doivent être confiées aux collectivités territoriales pour être mises en
œuvre de manière efficace. Elles complèteront ainsi les activités engagées
individuellement par les citoyens ou les organisations de la société civile.
Les mairies, conseils de cercle ou de région doivent rapidement emboiter les pas
du Gouvernement. Il faudrait systématiser la mise en place d’équipements de
prévention, des kits de lavage de main… dans les lieux publics comme les
marchés, les lieux de sports collectifs, les bâtiments publics, etc. Les
collectivités doivent agir auprès des acteurs économiques locaux (maisons
d’artisans…) pour une prise de conscience et la promotion des attitudes de
protection à ces différents niveaux. La reconfiguration de nos centres d’état civil
(quartier, village) pour sensibiliser, informer les usagers est à opérer rapidement.
149
A l’échelle locale, il faut organiser la prise de mesures limitatives des
rassemblements sociaux (mariage, baptêmes, funérailles…) pour freiner la
propagation de la maladie. Les pouvoirs locaux doivent également soutenir le
renforcement des capacités des Centres de santé communautaires ou de
références (CSCOM, CSREF) et les hôpitaux régionaux afin de lieux les ancrer
avec le dispositif national. La coopération avec l’Etat contribuera à rendre le
dispositif sanitaire national robuste.
Des efforts organisationnels, financiers et matériels importants sont attendus des
collectivités territoriales pour conduire toutes ces initiatives de manière
satisfaisante. Elles doivent y être engagées et encouragées par le pouvoir central.
Au niveau de la société civile, les acteurs économiques doivent être incités à
modérer les prix des produits courants. Cela peut aussi s’illustrer par la fixation
des prix de certains produits de première nécessité par les autorités politiques
compte tenu du contexte.
Au-delà de la modération des prix, il convient d’engager toutes les organisations
socio professionnelles à définir des règles d’hygiène, de protection, de mesures
de sauvegarde…à imposer à leurs membres. Toutes les organisations doivent
être mobilisées pour ce faire. La pandémie du coronavirus 19 a ébranlé le
monde, chacun doit comprendre cela et se mettre à hauteur des enjeux.
Les organisations et leaders religieux sont à impliquer dans la prévention contre
le virus. Il est impératif qu’ils agissent sans discontinuer vers une meilleure
mobilisation des populations. La fermeture des lieux de culte en fonction de
l’évolution de la menace doit être régulièrement évoquée avec eux pour prendre
des décisions appropriées en la matière.
Enfin, Il faut écouter le monde des entreprises et établir avec eux un réel
partenariat en vue de la mise en œuvre des propositions qu’ils ont faites pour
aider le pays à mieux faire face aux conséquences de la pandémie.
Au-delà de l’Etat, des collectivités et des organisations de la société civile,
chaque malien doit comprendre qu’il lui faut agir pour se protéger et protéger
ses proches de ce mal envisage et sournois. Aucune mesure de sécurité publique
ne sera porteuse en l’absence d’actions citoyennes individuelles indispensables à
sa durabilité.
Chaque citoyen qui le peut doit s’investir dans la sensibilisation des maliens,
faire des vidéos, intervenir sur les radios et dans les plateaux de télévision pour
150
alerter, informer et contribuer à éclairer nos compatriotes. Les personnalités
populaires, bénéficiant d’un soutien important au sein de la population doivent
s’impliquer sur ce segment de la lutte. Elles pourront d’ailleurs se mettre
ensemble, à l’échelle d’une zone donnée ou au niveau national pour lancer des
messages ou conduire d’autres initiatives. L’engagement individuel, notamment
venant de personnalités, peut aider à une plus grande vulgarisation des attitudes
positives au sein de la population. Les autorités nationales et locales doivent
obtenir des citoyens célèbres un plus grand niveau d’engagement au service du
pays et de son action contre ce virus.
La cotisation aux fonds créés pour soutenir la riposte est souhaitable. Il est
cependant plus efficace de localiser les fonds et de soutenir les engagements aux
plus proches des populations afin d’éviter les lourdeurs administratives liées à
un fond national et à son utilisation.
Les citoyens qui en ont les moyens peuvent également soutenir les initiatives de
prévention : donner des masques, des gels, des gants, du savon dans les lieux
publics comme les marchés, places publiques, gares routières, mosquées, églises
ou lors des cérémonies. Chacun doit s’engager à aider nos compatriotes à
disposer du minimum pour se protéger.
Un autre niveau d’engagement citoyen peut se traduire par l’organisation de
rencontres restreintes destinées à sensibiliser les citoyens sur les comportements
sains, les informer correctement, et les amener elles-mêmes à être vecteurs de
sensibilisation.
La guerre contre le COVID 19 ne peut être menée par les seuls pouvoirs publics.
Nous devons nous en convaincre et les aider du mieux que nous pouvons à la
mener au bénéfice de notre pays.

151
152
Le Mali face au COVID 19 : Sommes-nous à la hauteur ?
Dernier Chapitre : Volets économique, institutionnel et politique

La riposte face au coronavirus COVID 19 nous impose de changer de paradigme


car la menace est d’une dimension non égalée jusqu’à présent. Il n’est pas
possible d’aborder la question avec les outils du passé et selon une organisation
classique. C’est pourquoi il est impératif que nos moyens institutionnels soient
revus.
La lutte doit avoir un visage et une voix et ne peut être portée que par les
premiers responsables de l’Etat. Le Chef de l’Etat et son Premier ministre
doivent être à l’avant-garde de la guerre. La menace n’est pas seulement
sanitaire. Elle impacte notre économie, nos modes de vie, nos relations
socioculturelles et les fondements même du pays comme cela est visible ailleurs.
Les premiers responsables doivent occuper le front de la lutte et engager ainsi
l’ensemble des moyens administratifs, logistiques, financiers disponibles pour y
faire face. Ils doivent reconfigurer l’appareil étatique pour le mettre selon un
mode permettant une réponse multidimensionnelle face à la pandémie. Aucun
secteur ni domaine ne sortira indemne de la situation actuelle. Les responsables
publics, au-delà des questions urgentes, doivent s’organiser, au niveau de leur
périmètre, pour répondre aux défis à moyen et long terme auxquels il faudra
faire face dans les mois et années à venir du fait de cette crise. Par exemple, un
Ministre sectoriel, outre la mise en place de dispositifs de protection et de
riposte propres à son secteur, doit d’ores et déjà anticiper les impacts de cette
crise sur ses politiques, stratégies, projets et programmes sectoriels et organiser
les inflexions indispensables à apporter. Chaque responsable public doit se
convaincre de mener cet exercice.
De manière fonctionnelle, pour des besoins de coordination, il est souhaitable
qu’une instance appropriée, représentative, dotée des moyens institutionnels
appropriés, soit mise en place. Elle doit bénéficier des éclairages scientifiques
indispensables d’experts aux compétences variées (santé, économie, société…)
et à l’indépendance incontestable. Elle doit également se fonder sur une stratégie
de communication cohérente, véridique et appropriée.
La reconfiguration du sommet de l’Etat créera un mouvement de fond qui
irriguera l’ensemble du pays et pourra gérer toutes les dimensions de la riposte
153
telles que présentées dans les deux précédents chapitres de la présente
contribution. Il devra également accorder la plus grande attention à la dimension
économique de la crise et mettre urgemment en place, comme sous d’autres
cieux, des mesures significatives de soutien aux acteurs économiques.
Le soutien aux entreprises est incontournable pour éviter aux pays un désastre
économique en écho aux difficultés sanitaires. Ces mesures peuvent porter sur le
report des échéances fiscales, des aides ciblées aux secteurs les plus fragiles ou
encore le versement de subventions orientées afin de donner de l’oxygène aux
entreprises et leur permettre de fonctionner. Les autorités doivent travailler de
concert avec le patronat qui a déjà formulé des propositions dans ces sens. Les
mesures économiques compléteront les initiatives sanitaires ou sociales pour
donner un contenu à un véritable « Plan Marshall » pour le Mali face à la crise
du COVID 19. Des pays voisins nous ont déjà devancés en la matière. Il est
impératif de produire ce plan, lui trouver les financements appropriés et le
conduire de manière diligente et dans une transparence absolue.
Nos autorités doivent apprécier la possibilité de mutualiser les besoins des pays
africains à l’échelle de l’UEMOA, de la CEDAO voire de l’Union africaine pour
en rechercher le financement. Cela facilitera les négociations avec les
partenaires afin d’obtenir les subsides, qu’ils soient sur une base bilatérale ou à
l’échelle multilatérale (la Banque Mondiale, la Banque Africaine de
Développement qui a levé un emprunt de 3 milliards de dollars pour aider
l’Afrique ou encore l’Union européenne, etc.). Ensemble, nous serons plus
efficaces pour négocier la possibilité d’orienter les fonds disponibles vers
l’urgence liée au COVID 19. En tout état de cause, le Mali doit se situer à
l’avant-garde de ce processus tout en engageant des initiatives bilatérales vers
toutes les options disponibles.
Notre plan doit être exhaustif dans l’identification des besoins immédiats, à
court et moyen terme du pays. Ce qui lui permettra de résister et d’être ensuite
en mesure de relancer l’économie vers la fin de l’année 2020. Le Secrétaire
Général des Nations Unies estime qu’un plan de cette nature devrait atteindre
10% du PIB pour être véritablement efficace. A notre échelle, cela se traduira
par un besoin global d’au moins 1000 milliards de FCFA, soit très loin des 6
milliards de FCFA dégagés par l’Etat ! Il nous faut urgemment changer de
dimension et nous organiser en conséquence.

154
De manière tout aussi urgente, à l’instar des Seychelles, un collectif budgétaire
pour adapter les prévisions de 2020 paraît incontournable. Nous devons
impérativement revoir les dépenses à la baisse, scruter tous les postes pour faire
des économies en ne sanctuarisant que la sécurité et la santé. Les économies
réalisées pourront servir la cause de la riposte et convaincre nos partenaires des
efforts que nous faisons sur nous-mêmes d’abord avant de leur demander d’en
faire pour nous assister. La baisse importante des cours du pétrole fera réaliser
des économies importantes pour les finances publiques maliennes qu’il convient
d’orienter vers la lutte contre les effets du COVID 19.
Compte tenu du caractère exceptionnel de la situation, les autorités doivent
apprécier la prise de mesures institutionnelles pour accompagner les
changements importants à l’organisation et au fonctionnement de l’Etat. Il existe
la possibilité d’utiliser les dispositions des articles 49 ou 50 de la Constitution,
prolongées par la Loi 2017 055 du 6 novembre 2017 et le décret qui institue
l’Etat d’urgence, pour mettre en évidence la menace existentielle que cette
pandémie constitue pour le pays afin de mobiliser toutes nos énergies. Nous
pouvons également relire le décret qui instaure l’Etat d’urgence afin de le
renforcer et faire les adaptations législatives et règlementaires nécessaires pour
orienter le Mali entier contre ce mal et ses conséquences. Il apparaît évident
dans ce contexte que le processus des élections législatives devrait être suspendu
en attendant des moments plus favorables. Il n’est pas cohérent d’envisager des
mesures urgentes et de laisser se dérouler des élections comme si de rien n’était.
Le chef de l’Etat et son équipe doivent engager l’ensemble national dans la
riposte multidimensionnelle face au nouveau coronavirus. Ils en ont les moyens.
La question essentielle est de savoir s’ils ont mesuré l’ampleur des défis ou
encore la profondeur de la menace. L’histoire nous le dira.

155
156
Nouvelle législature de l’Assemblée Nationale :
Sachons nous hisser à la hauteur de l’histoire !

La semaine prochaine, les nouveaux députés élus prendront fonction pour


donner corps à la sixième législature dans le cadre de la Constitution du 25
février 1992. Cette législature débute à un moment particulièrement délicat pour
le Mali. Notre pays est toujours empêtré dans la crise au Nord avec un accord de
paix difficilement mis en œuvre. Il est gangréné par le terrorisme et les conflits
intercommunautaires au Centre, dans un contexte qui mine l’unité nationale et
compromet gravement la réconciliation entre les maliens. Il subit les affres de la
pandémie du COVID 19 aux conséquences socio-économiques incalculables.
Les questions de gouvernance, de corruption, les faiblesses structurelles de
l’Etat, l’éducation nationale en décrépitude, la défiance grandissante entre les
citoyens et leurs représentants demeurent et contribuent à pousser le pays vers
l’abîme.
Dans ce contexte, les 147 députés doivent avoir une conscience aigüe de leurs
responsabilités et des possibilités qui leur sont offertes pour faire de
l’Assemblée Nationale une institution à la hauteur des attentes démocratiques et
populaires. Ils devront agir dans l’esprit de la Constitution et conformément aux
intérêts de nos compatriotes ! La situation du pays est alarmante. Elle ne peut
être traitée de manière ordinaire et le parlement peut y contribuer.
Les défis présentés ci-dessus dépassent très largement le cadre classique d’une
majorité qui gouverne et d’une opposition qui conteste. Ils imposent d’aborder la
législature comme une occasion de rassembler les maliens autour du Chef de
l’Etat et de l’assister pour sortir le pays de l’ornière. Cette unité providentielle
doit venir de l’Assemblée, se poursuivre dans l’exécutif et fonctionner dans un
cadre de contrôle strict et indépendant du Gouvernement par les députés.
D’abord au niveau du Parlement, les déclarations politiques de chaque groupe
parlementaire conformément à l’article 21 du règlement intérieur actuel, fixeront
le tempo. Au lieu de se proclamer de la « majorité » ou de « l’opposition »,
chaque groupe devrait se situer dans le soutien au Mali et dans la sortie des
crises nombreuses et variées auxquelles il fait face, et ainsi apporter le soutien à
toutes politiques rigoureuses allant dans ce sens. Ils devront également marquer
leur disponibilité à accompagner le Président de la République dans cette
157
démarche tout en indiquant leur ferme résolution à combattre toutes initiatives
jurant avec ces perspectives. Les différentes déclarations politiques devront être
communiquées au Chef de l’Etat pour servir de support à l’action du futur
exécutif.
La composition de ce nouvel exécutif doit être faite sur des bases objectives,
dans un esprit d’unité, mettant en avant des compétences réelles pour occuper
les fonctions au sein du Gouvernement. Chaque groupe parlementaire pourra
proposer au Chef de l’Etat des personnalités compétentes parmi lesquelles lui et
son Premier ministre choisiront les Ministres, en tenant compte des équilibres
politiques. Cette équipe dotée de solides compétences et formée sur un socle
d’unité nationale concevra sa déclaration de politique générale pour faire face
aux priorités du pays en tenant compte des déclarations des groupes
parlementaires. Les débats au Parlement sur ce document seront ainsi menés en
toute indépendance avec un vote qui sera d’autant plus conforme que les soucis
de chacun auront été pris en compte.
La conduite de la politique de la Nation se fera ainsi avec un Parlement qui
jouera pleinement son rôle, en toute objectivité et en toute indépendance.
Cela confèrera toute son originalité à cette nouvelle donne politique. Les députés
ne devront plus travailler en fonction de leur posture politique mais en prenant
en compte prioritairement l’intérêt national et dans le respect des principes de
leurs déclarations politiques. Ils pourront faire cela aisément dans la mesure où
nombre d’entre eux ont été élus à la suite d’alliances conçues sans considération
majorité – opposition. Les questions orales ou écrites, les interpellations
éventuelles du Gouvernement ou encore les propositions de Loi des
parlementaires doivent être engagées dans l’intérêt exclusif de leurs mandants et
du Mali. L’Assemblée Nationale deviendra ainsi l’Institution de contrôle de
l’exécutif par excellence ! Elle ne le suivra plus aveuglément, ne votera plus
sans examen approfondi et n’avalisera plus automatiquement les choix faits
ailleurs. Cela est dans l’intérêt de tous, y compris surtout celui du Gouvernement
et du Président de la République. La rigueur et la vigilance du Parlement
améliorent la Gouvernance du pays et accroissent l’efficacité des politiques dont
les premiers bénéficiaires sont ceux qui les mènent.
La période 2020 – 2023 pourra ainsi être mise à profit de manière utile pour
faire face aux chantiers majeurs du pays, en réduisant les polémiques

158
politiciennes stériles et dans une relative stabilité socio politique. Elle sera
d’autant plus positive que des résultats se feront jour. Elle aura sans doute un
impact sur le degré de confiance des maliens en leurs Institutions. Elle sera
propice au renouveau de la conduite des pouvoirs publics et sans doute à
l’évolution de la classe politique. Elle aidera le Chef de l’Etat à terminer au
mieux son mandat. Celui-ci devra se convaincre de la nécessité et de la portée
de ce contexte politique à dessiner et contribuer à le créer.
Notre pays est à la croisée des chemins et menacé dans son existence. Sachons
nous hisser à la hauteur de ces menaces et mettre de côté les intérêts individuels
au servir de ce dessein collectif ! Réussir ce pari revient à donner des chances
politiques et institutionnelles sérieuses au Mali de sortir enfin de la crise.

159
160
L’arrêt 2020 - 05 du 21 mai de la Cour Constitutionnelle : Un
Coup d’arrêt pour la démocratie malienne

L’arrêt de la Cour constitutionnelle relatif au règlement intérieur de l’Assemblée


Nationale risque de consacrer un recul significatif de la démocratie malienne en
consacrant un parlement incolore, inodore et sans saveur, pire que les
précédentes législatures. La preuve en quelques exemples palpables.
La Cour a statué sur un amendement qui n’avait pas lieu d’être. L’amendement
N° 23 du règlement intérieur qui introduisait le principe de correction des
erreurs matérielles sur les projets ou propositions de loi sans qu’il soit nécessaire
d’en faire des amendements, a été rejeté par les députés lors de la séance du
lundi 18 mai 2020. La cour dans son arrêt a pourtant validé ledit amendement.
Que doit-on comprendre ? Le Président de l’assemblée a t’il envoyé à la cour un
amendement rejeté par les députés dont lui-même ? Ou la Cour s’est autosaisit
d’un amendement préalablement rejeté par les députés pour le valider après leur
censure ? Quand on sait que cet amendement avait été suggéré par le
Gouvernement, la suspicion d’une Cour constitutionnelle aux ordres de
l’exécutif au point de passer outre le refus du législatif pour imposer un point de
vue devient une réalité !
L’amendement N°15 a introduit parmi les sanctions applicables aux députés,
celle de l’exclusion pour violation du secret sans donner aucune explication ni à
la notion d’exclusion ni à celle de la violation de secret. La Cour a validé cela
avec une réserve. Elle argumente en indiquant que cela renforce la
confidentialité des travaux en commission alors que l’amendement ne vise pas
les travaux en commission mais bien les débats en plénière. La Cour prend de ce
fait une position qui ne correspond pas au sens de la décision des députés.
Ensuite la Cour émet une réserve pour demander à ce que l’exclusion soit
circonscrite dans le temps sans pour autant poser la question de la nature même
de l’exclusion : s’agit-il d’exclusion d’une commission ? d’exclusion de la
plénière ? d’exclusion de l’Assemblée ou même de la suspension de la fonction
de député ?
En outre en renvoyant à l’assemblée le choix de la période d’exclusion, si cette
dernière retient une période d’une ou deux ou trois années, quelle serait la
réaction de la cour ?

161
Sur cet amendement la Cour aurait dû demander à l’Assemblée d’insérer
d’abord un article dans le règlement intérieur afin de préciser la nature de
l’exclusion avec le contenu de la violation de secret ainsi que le processus pour
faire constater cela comme cela est prévu pour les autres sanctions (rappels à
l’ordre art 45, censure simple art 46, censure avec exclusion temporaire art 47).
Enfin cette sanction qui ne concerne pas les débats ne devrait pas figurer dans
les catégories de sanction relatives aux débats. Si elle porte sur les travaux en
commission, elle devrait être abordée à ce niveau (article 90 ou suivant). La
Cour n’a pas relevé cette incongruité non plus.
L’amendement 28 consacre l’Assemblée nationale comme seule habilitée à
interpeller le Gouvernement. Le député seul ne peut le faire qu’à travers une
question écrite non répondue par le Ministre concerné après second rappel ou à
travers une question orale à laquelle le Ministre ne déferre pas et là en passant
par le bureau de l’assemblée. L’initiative d’une interpellation directe ne revient
qu’à l’assemblée, le pouvoir des députés est ainsi réduit, ce qui risque de porter
un discrédit supplémentaire sur le parlement.
La Cour aurait dû consacrer la liberté de parole et d’action des députés pris
individuellement car celle-ci émane du mandat donné par le peuple. Elle devrait
également relever l’incohérence des amendements 25 et 28 car l’un maintient la
possibilité pour le député d’interpeller après la question écrite et l’autre lui
enlève cette possibilité après une question orale ou directement. Ce sont là
autant de faiblesses du dispositif présenté à la Cour mais que, malheureusement,
cette dernière n’a pas su ou voulu rectifier. Au grand dam du système
institutionnel et démocratique malien. Un parlement plus affaibli face au
pouvoir exécutif et qui réduit volontairement ses ambitions de contrôle de
l’action gouvernementale sera la résultante de ce processus de validation de son
règlement intérieur. Peut être que c’est ce qui est recherché !

162
Mettons fin à la balkanisation institutionnelle en Afrique de
l’Ouest !

En Afrique, il est un domaine où nous sommes plus prospères qu’ailleurs, c’est


celui du nombre d’institutions, de services, de politiques ou de stratégies créés
pour faire face aux différents défis. Dans nos pays, on multiplie ainsi les
politiques, on cède à la création effrénée des services et des départements
ministériels, souvent pour faire la même chose. Ceux-ci finissant davantage par
se concurrencer plutôt que d’agir, plus préoccupés par la justification de leur
existence que par la recherche de l’efficacité. Nous oublions ainsi que le plus
important est le résultat et non les moyens engagés. On en vient, comme le
déplore l’économiste togolais Kako Nubukpo dans son dernier livre, à célébrer
les moyens voire les intentions plutôt que les résultats !
A l’échelle régionale, les mêmes constats sont malheureusement de mise. Nous
sommes champions dans la création et la superposition d’institutions, souvent du
fait de circonstances particulières voire même de décisions exogènes. L’exemple
de la CENSAD, une organisation qui ne doit sa création qu’à la volonté de
l’ancien Guide libyen en est la preuve. Dans une certaine mesure, c’est
également le cas du G5 Sahel qui ne serait sans doute pas ce qu’il est
aujourd’hui sans la forte induction de la France. Alors que sur le même espace,
existent des organisations ayant des fonctions similaires à certaines du G5 Sahel
comme le Comité permanent Inter-Etat pour la Lutte contre la Sècheresse au
Sahel (CILSS), le LIPTAKO GOURMA, le Comité du bassin du lac Tchad
voire l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA) ou la
Communauté Économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Il en est
également des similitudes entre l’UEMOA et la CEDEAO obligeant d’ailleurs
ces deux institutions à mettre en place un cadre de coopération et un secrétariat
technique commun de manière à rationaliser leurs interventions. Quid de
l’Union du MANO RIVER et de l’Organisation pour la Mise en Valeur du
Fleuve Sénégal (OMVS) avec des vocations de développement autour des
fleuves, ou encore du Conseil de l’entente et de la CEDEAO ?
Si toutes ces organisations devaient réunir régulièrement et distinctement les
sessions de leurs Conseils des Ministres, et de leurs Sommets des chefs d’Etats,
les leaders Ouest africains n’auraient pas le temps de s’occuper de leurs pays
respectifs, et iraient de sommet en sommet ; pour dire souvent la même chose et
163
prendre les mêmes décisions ! C’est d’ailleurs ce qui les oblige parfois à jumeler
les sessions des instances de ces différentes organisations ; c’est la preuve que
nous devons aller vers une rationalisation des dispositifs institutionnels en
Afrique de l’Ouest.
Il est donc urgent de restructurer l’environnement institutionnel régional pour lui
donner une cohérence indispensable à ses ambitions politiques et socio-
économiques. Il est souhaitable de baliser le chemin vers ce nouvel ordre
politique et institutionnel dans la région ouest africaine.
Pour ce faire, une vision claire et commune de l’intégration politique et
économique est indispensable afin de lui donner un visage institutionnel
approprié. Ce qui ouvrirait des perspectives claires en termes de processus de
réalisation.
La vision pourrait être de disposer en une décennie (horizon 2030), sur l’espace
ouest africain, d’une seule organisation politique interétatique compétente sur
toutes les questions que les Etats souhaiteraient aborder ensemble. Ceci
baliserait le chemin vers la réalisation, dans un second temps, de la fédération
ouest africaine des Etats. Dans cette optique, notre institution commune, la
CEDEAO, préfigure cette organisation. Elle doit être dotée de la légitimité
nécessaire pour cela.
Le processus de rationalisation institutionnelle doit partir de la décision
stratégique de stopper la tendance à la création d’institutions, d’agences, de
projets régionaux susceptibles de contraindre la réalisation de la vision définie et
partagée par les Etats.
Dans un second temps, il conviendra d’ouvrir une période transitoire relative à
la transformation progressive des organisations actuelles en agences techniques
de la CEDEAO sur les questions pour lesquelles elles disposent de compétences
avérées et qui sont jugées pertinentes par les Etats.
En parallèle, il conviendra de supprimer celles dont la justification n’est pas
probante, notamment celles ayant une compétence territoriale et non sectorielle
(G5 Sahel, Conseil de l’Entente…). Le regroupement de certaines autres entités
plus homogènes et efficientes, peut être envisagé. En outre, il sera nécessaire de
transférer certaines attributions des unes aux autres avec le souci d’éliminer
toute concurrence et rationaliser au maximum les organisations et les coûts.

164
À la fin de ce processus de réformes, pouvant durer une décennie, l’Afrique de
l’Ouest pourrait disposer d’une seule Organisation régionale politique, exerçant
des missions confiées par les Etats, dotée de politiques et de stratégies mises en
œuvre par ses structures y compris ses agences techniques spécialisées. Elle
disposera d’un système de financement stable avec des compétences claires : le
pilotage politique de la région, la mise en œuvre de la solidarité entre les Etats,
le soutien à l’intégration et surtout la facilitation du développement économique
et socio culturel endogène et harmonieux. Elle sera forte et orientée uniquement
vers les intérêts de la zone.
Après cette étape, cette Institution pourrait engager une phase de plus forte
intégration conduisant au fédéralisme Ouest africain. Avec l’ambition de
réaliser, sur une autre décade, à l’horizon 2040, une Afrique de l’Ouest
politiquement unie et qui sera la première puissance économique du Continent.
Cet espace, le plus peuplé du Continent, profondément intégré, entrainera les
autres communautés régionales vers l’unité à laquelle aspiraient les fondateurs
de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1963. Peut-être sera-t-il
possible de parvenir à cette unité politique continentale d’ici le centenaire de la
défunte organisation, afin de faire converger l’intégration africaine avec la
prospérité économique déclinée dans l’agenda 2063 ?

165
166
Bonne Gouvernance
Petit dictionnaire pour nous aider à comprendre

C’est le mot à la mode en ce moment. Tout le monde parle de Gouvernance.


Ceux qui s’opposent au pouvoir mais également les acteurs, eux-mêmes, au
cœur du pouvoir. A toutes les occasions, où les Maliens se sont retrouvés pour
évoquer la situation du pays, la mauvaise gouvernance s’est imposée comme la
source de nos maux. Et lorsque les solutions sont réclamées, on mentionne
toujours la bonne gouvernance parmi les actions à mener. Le dernier sommet de
la CEDEAO qui a préconisé certaines mesures pour la sortie de crise au Mali est
également revenu dessus.
Pourtant quand on interroge les uns et les autres, au-delà des idées générales
(combattre la corruption, arrêter les détournements…) il y a très peu d’idées
concrètes illustrant la Bonne Gouvernance. Il convient d’éclairer la lanterne des
Maliens, et même des Africains, sur cette notion régulièrement évoquée mais
peu pratiquée sous nos tropiques. C’est l’idée principale de ce Petit dictionnaire
de la Bonne Gouvernance qui, à travers quelques mots clés, donne un contenu
pour aider à restaurer la confiance dans nos pays entre les leaders et leurs
peuples. En effet, l’objectif fondamental de la Bonne Gouvernance est de
restaurer et renforcer la confiance entre la base et le sommet pour consolider le
tissu social et donner plus de chances à une collectivité face aux défis qui
l’assaillent. Parcourons donc ce Petit dictionnaire !

A : Alternance
L’alternance doit être une valeur cardinale de notre République et même de
notre société. Au-delà du Président de la République, l’alternance est à imposer
à la tête des partis politiques, des syndicats, des associations, des administrations
publiques, des collectivités locales, au Parlement…La responsabilité est à
appréhender comme momentanée avant de passer à autre chose.

167
B : Biens publics
Il faut sacraliser le bien public, le patrimoine public, l’espace public et la
responsabilité publique. Cela est à engager depuis les bancs de l’école jusqu’au
monde professionnel et plus généralement à tous les niveaux de la société. Nous
devons promouvoir les bons comportements et sanctionner les mauvais. Il y a
des symboles à cultiver en la matière comme la levée des couleurs, la
généralisation des travaux collectifs communautaires et nationaux, etc.

C : Contre-pouvoirs
Les contre-pouvoirs doivent être soutenus pour être indépendants et
représentatifs. Il faut éviter de les contrôler, les vassaliser, les appauvrir ou les
discréditer. La presse, les syndicats, les journalistes d’investigations, la société
civile sont à protéger et à organiser pour qu’ils deviennent forts. Il convient à cet
effet de promouvoir l’auto régulation de la presse et supprimer tous les délits de
presse. L’indépendance de la magistrature doit être consacrée, l’exécutif doit se
retirer du conseil de la magistrature. Les magistrats doivent pouvoir faire le
ménage au sein de leur corporation. Il faut également soutenir l’opposition
politique, l’aider à faire son travail, lui donner les moyens institutionnels,
financiers et humains nécessaires. Il est souhaitable de lui donner la possibilité
d’intervenir dans certains processus (concours de recrutement, sélections des
cadres administratifs, marchés publics…) pour en vérifier la transparence.

D : Décentralisation
Une décentralisation véritable sera un facteur d’ancrage de la démocratie et la
citoyenneté locales, points de départ de la démocratie et la citoyenneté
nationales. Cela s’illustre par des collectivités locales ayant de vrais pouvoirs et
des moyens (humains, matériels et financiers) adéquats pour gérer la vie locale,
en partenariat avec une société civile impliquée. Cela se caractérise aussi par des
collectivités dirigées par des équipes compétentes et évaluées par les populations
qui ont le pouvoir de les sanctionner.

168
E : Evaluation
L’évaluation de l’action des décideurs par la base est indispensable.
L’évaluation de l’administration par les usagers avec des conséquences sur la
carrière des responsables administratifs est à institutionnaliser pour que les
services publics soient réellement au service des populations. L’évaluation des
leaders par leurs mandants est également souhaitable de même que la possibilité
donnée à ces derniers de sanctionner celui qu’ils avaient choisi. Il faut donner la
possibilité aux Maliens de mettre fin au mandat d’un élu à un moment donné et
sous certaines conditions.

F : Famille à écarter du pouvoir


Il est impératif d’éloigner la famille des détenteurs du pouvoir, des postes à
responsabilité ou encore des marchés publics. Cela nécessite la publication de la
liste des membres de la famille et des proches des leaders, et de mettre en place
un dispositif de surveillance de leur éloignement des postes à responsabilités et
des possibilités d’accès aux marchés publics où leurs parents sont décideurs.
Cela signifie, par exemple, qu’aucun membre de la famille du chef de l’Etat
n’occupera de poste public, ni ne pourra accéder à un marché public pendant son
mandat. Cela signifie aussi qu’aucun membre de la famille ou proche d’un
ministre n’occupera de poste dans son ministère, ou n’aura accès à un marché
public de son ministère et de tous les services qui lui sont liés.

G : Gouvernance politique
Il faut structurer la gouvernance politique à travers des organisations politiques
solides et représentatives. Les partis politiques doivent couvrir le pays, évoluer
dans un environnement de contrôle de leurs activités et de leur fonctionnement,
être exclusivement financés par l’Etat, tenir une comptabilité exhaustive
(activités courantes et campagne électorale), ne pas dépasser un plafond de
dépenses de campagne, faire l’objet d’audit avec comme but ultime de limiter le
poids de l’argent et notamment de l’argent douteux dans la politique.

169
H : Humilité
Les gouvernants doivent être humbles, diminuer radicalement le train de vie de
l’Etat et le faire savoir, revoir toutes les dépenses somptuaires (voyages, confort
des responsables…), diminuer le protocole lors des événements, systématiser les
vidéo conférences au lieu des missions, limiter les mises à disposition de biens
au profit des indemnités forfaitaires, engager la cession des biens somptuaires
(avions, véhicules de luxe…), baisser le standing dans les acquisitions de biens
pour les responsables publics, diminuer le confort des voyages et séjours à
l’extérieur, limiter fortement les évacuations sanitaires au profit des hôpitaux
nationaux et donner l’exemple pour toutes les décisions de réduction du train de
vie.

I : Impartial
L’Etat doit être et paraitre impartial dans la désignation des responsables et en
toutes occasions, face aux usagers qu’ils soient puissants ou non.
Les passe-droits sont à supprimer en matière de respect de la loi qui est la même
pour tous. L’Etat doit éviter de fausser la concurrence entre les opérateurs
économiques en donnant des avantages indus à certains (exonérations,
protections diverses…). Il doit créer les conditions pour agir pour tous et
prendre des initiatives avec une égalité de chances.

J : Justice
La justice doit être fonctionnelle, efficace et équitable. Elle doit être accessible à
tous les citoyens. Elle doit rendre ses décisions rapidement (délai à fixer pour
chaque procédure). Elle doit avoir plus de moyens, avec des magistrats mieux
formés et outillés. La justice doit être rendue sous la lumière avec la publication
des décisions, l’organisation de conférences de parquets pour rendre compte du
fonctionnement des tribunaux, des inspections régulières pour s’assurer de
l’effectivité de la justice, et la publication des enquêtes d’inspection pour que le
peuple sache que la justice rendue en son nom est juste.

170
K : Kiosque citoyen
Installer dans les villes des kiosques citoyens pour rendre accessibles les
démarches administratives, faciliter les rapports entre les citoyens et
l’administration, défendre les droits des citoyens. Ces kiosques seront à la
charge des collectivités territoriales et animés par la société civile.

L : Lanceur d’alerte
Les lanceurs d’alerte (révélateurs de scandales) sont à soutenir et à encourager.
Il convient de les inciter à dénoncer et de mettre en place un système de
rémunération de toute dénonciation qui génère des revenus pour
l’administration. Par exemple, l’application de la taxation sur les signes
extérieurs de richesse sera suivie du versement d’une commission à celui qui a
donné les informations permettant d’identifier les biens occultés et cela sans
préjudice des poursuites pour enrichissement illicite.

M : Mobilisation des Maliens


Cette mobilisation est assurée avec le souci constant aux plus faibles et aux plus
démunis. Il faut donner corps à la solidarité par des mesures de soutien aux plus
pauvres : subvention de l’accès aux engrais et moralisation de ce dispositif,
versement de ressources aux plus démunis sous forme de bourses familiales (au
moins 100 000 familles avec 30 000 FCFA par mois soit 36 milliards à financer
par la baisse du train de vie de l’Etat), généralisation du dispositif de l’assistance
médicale aux indigents, meilleur accès des acteurs de l’informel au crédit et aux
assurances (santé, retraite…). Il faut accorder plus de moyens aux démunis et
financer cela par la réduction du confort des décideurs.

N : Numéro d’identification
Il convient de généraliser rapidement l’identification des personnes (Etat civil,
fichier Electoral, diplômes…) mais également celle des biens (les terres et le
foncier à travers le cadastre, le patrimoine immobilier…). Le pays doit disposer
d’un inventaire exhaustif de ses ressources humaines, matérielles,
foncières…pour que ses politiques publiques puissent prospérer. Cela permettra,
entre autres, de mieux asseoir la fiscalité et limiter les fraudes.
171
O : Objectif
Toute gestion publique doit se faire à la lumière d’objectif fixé et d’appréciation
de son atteinte après une période, avec une suite à donner. La redevabilité, la
promotion de la culture du résultat, la systématisation des contrats de
performance à tous les niveaux, la publication des objectifs, la sanction des
responsables défaillants et la promotion des responsables performants sont à
instaurer.

P : Production locale
Il est urgent de prioriser les produits locaux et le consommer local dans la
gouvernance publique. Les autorités publiques doivent acheter des biens et
services locaux (activités culturelles, artisanat, industrie…), promouvoir les
productions nationales et en faire une valeur cardinale de leurs actions.

Q : Qualifications
Les responsables publiques, à tous les niveaux, doivent disposer de
qualifications techniques, sociales, politiques et éthiques pour exercer leurs
fonctions. Un responsable devra être choisi en fonction de sa crédibilité pour
occuper son poste, aussi bien du point de vue social (légitimité, reconnaissance
dans le domaine, soutien des acteurs…), que technique (compétence théorique,
expériences pratiques, rigueur, sérieux) et éthique (réputation, parcours, profils,
actes antérieurs posés, mœurs, honnêteté…). Il convient de systématiser les
appels à concurrence pour pourvoir aux postes et instaurer un dispositif
rigoureux, contradictoire et transparent assurant un choix judicieux pour chaque
poste.

R : Renouvellement et rajeunissement
Le leadership notamment administratif doit être plus ouvert aux jeunes et à la
diaspora malienne qui regorge de grandes compétences. A compétence égale il
faut retenir les plus jeunes, en tenant compte de la nécessité que le leadership
doit refléter la jeunesse du pays (plus de 80% des Maliens n’ont pas 35 ans).

172
S : Simplification des règles
La simplification facilite la compréhension du fonctionnement public par le plus
grand nombre. Le versement de « pot de vin » trouve souvent son origine dans la
lourdeur, la bureaucratie et les règles compliquées. En standardisant les coûts et
les règles et en le faisant savoir on limite les possibilités corruptrices. Il convient
aussi de multiplier les possibilités de faire les démarches à travers les nouvelles
technologies (digitalisation) et les rendre accessibles aux populations les moins
alphabétisées.

T : Transparence
Institutionnalisons la transparence ! La transparence sur les hommes et la
transparence sur les actes à travers notamment la publication des patrimoines
des responsables, la publication de ce que chacun gagne normalement, la
publication des parcours et profils, la publication des décisions prises (textes,
actes…)…Il convient aussi d’assurer la transparence sur les dossiers judiciaires,
la publication des actes, des décisions, des textes, partout et dans les langues
nationales. Dans la même veine, la publication des objectifs assignés aux
Ministres et chefs de l’administration, la publication des contrôles, la
généralisation de ces informations à travers Internet sont des pistes à explorer.
Le partenariat avec les acteurs de la presse pour mettre en lumière tout ce que
l’Etat fait, la libération de la parole publique, le développement des débats dans
la presse et les espaces publics, le soutien à l’indépendance de la presse,
l’ouverture de la presse d’Etat à tous les opposants et aux contestataires, le
renforcement de l’indépendance de la société civile sont des mesures à instaurer
et à développer pour asseoir la transparence dans la vie publique.

U : Union
La Gouvernance vertueuse impose de prévoir. Il est impératif d’unir les Maliens
autour d’un projet qui transcende les mandats politiques et qui s’imposera à
tous. La Conduite d’un exercice national et populaire de planification à moyen
terme pour concevoir une vision partagée objective et précise de notre pays sur
20 ans, vision qui servira de boussole au Mali de 2020 à 2040 et qui engagera
chaque Malien, de l’intérieur comme de la diaspora, est indispensable.

173
V : Visible
L’administration doit être visible pour le citoyen partout sur le territoire. Nous
devons faire en sorte que le citoyen où qu’il soit sur le territoire puisse avoir
droit à un minimum de services (sécurité, justice, santé, éducation,
administration civile, eau, énergie…). L’action de l’Etat, de la Région, du
Cercle, de la Commune ou de la Ville est à animer avec cet objectif et les
responsables doivent être évalués sur cette base. L’Etat doit être visible et le
citoyen doit le sentir. Les responsables doivent être vus sur le terrain pour que
les subalternes sentent la pression du résultat à produire. Cela aidera aussi les
populations à prendre conscience de leur implication, à les voir, à échanger avec
eux. Le chef de l’Etat et ses Ministres doivent donner le ton en la matière, être
sur tous les terrains difficiles et suffisamment longtemps pour ramener l’ordre
au bénéfice des populations.

W : Woyowayanko
Le nom de cette petite rivière qui coule au flanc de la colline de Lassa en
commune IV de Bamako jusqu’au fleuve Niger doit résonner chez les Maliens
comme un motif de fierté nationale et fonctionner comme un des mythes
fondateurs de notre pays. C’est au bord de cette rivière que les troupes de
Samory ont pris le dessus sur les colonisateurs le 2 avril 1882. Chaque pays a
besoin de s’adosser à des évènements de ce type pour se construire ou se
reconstruire.

X : Xénophilie
La construction du pays ne se fera pas en s’enfermant, au contraire ! Il faut
encourager l’ouverture à l’étranger, l’intégration africaine, la mise en commun
des moyens entre les pays africains, notamment les voisins immédiats, pour faire
face aux défis. Cette ouverture pouvant aller jusqu’à l’abandon partiel ou total
de notre souveraineté comme l’indique l’article 117 de notre constitution. Nous
devons soutenir les initiatives symboliques en la matière comme des ambassades
communes avec certains voisins, des départements ministériels communs avec
certains pays, une entreprise commune pour exploiter un secteur d’activité
(exemple du coton par exemple), l’interconnexion des réseaux électriques…

174
Y : Yeredon (se connaitre en bambara)
La bonne gouvernance ne peut se soustraire des valeurs de civilisation qui
rythment le quotidien des populations. Connaître son rôle, sa place dans la
société, et forcer le respect des autres est une obligation dans notre société. Nous
devons savoir faire usage de notre riche culture et de nos valeurs ancestrales
pour asseoir une gouvernance vertueuse.

Z : Zana (proverbe en bambara)


Comme indiqué précédemment, les proverbes véhiculent d’excellents messages
de citoyenneté et de construction collective. Nous devons savoir les mettre à
profit pour promouvoir les comportements positifs, aussi bien chez les dirigeants
que parmi la population.
Au sortir de cet exercice, il apparaît évident que la Bonne Gouvernance est
d’abord une question de volonté. L’essentiel de ces mesures ne nécessitent ni un
changement de la Constitution et encore moins une modification des Lois. Il
suffit d’avoir la forte volonté de mettre les choses dans l’ordre et de
révolutionner la manière de gérer la collectivité dans notre pays. Cela nécessite
également que les Maliens, au-delà des slogans, sachent imposer les
changements indispensables de gouvernance. Quand les décideurs évitent de
bien gérer, il appartient aux populations de leur imposer cette voie ou de les
remplacer par d’autres qui feront ce qu’elles voudront.
C’est aussi cela la Bonne Gouvernance !

175
176
Plus que le Dialogue national, ce sont les erreurs du
Gouvernement qui rendent indispensable la relecture de l’Accord
d’Alger

L’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, signé à


Bamako en 2015, accuse de nombreux retards dans sa mise en œuvre. Cinq ans
après sa signature, la plupart de nos compatriotes et de nos partenaires montrent
une grande lassitude devant la situation qui n’évolue que peu. En outre, les
Maliens rejettent dans leur majorité un document qu’ils sont pourtant très peu à
connaitre. Ils ont fini par réclamer la relecture de ce document lors du Dialogue
national inclusif. Mais plus que cet évènement, ce sont les erreurs des autorités
maliennes qui ont conduit le pays dans cette situation pour finalement rendre la
révision du document indispensable. Sans cela, aucune réforme institutionnelle
n’est envisageable.
Les erreurs de nos autorités, commises ces cinq dernières années et qui sont de
plusieurs ordres doivent être mises en exergue afin de les prendre en compte
dans la phase qui pourrait s’ouvrir après la relecture de l’Accord.
Le dossier du Nord n’a jamais été véritablement porté politiquement par les
autorités maliennes au premier rang desquels le Chef de l’Etat lui-même.
D’ailleurs, la désignation de hauts représentants (Négociation puis mise en
œuvre), interprétée comme un signe d’intérêt, peut plutôt être considérée comme
un signe de sous-traitance du dossier. On a ainsi de la peine à percevoir la vision
stratégique des autorités en ce qui concerne la question. Les changements
intervenus en termes de gestion au sein de l’exécutif, les problèmes de
coordination et de pluralité des centres de décision ont fini par affaiblir la partie
gouvernementale dans la gestion de la crise. La haute administration,
conservatrice, a ainsi pu prendre le pas sur le politique, ce qui explique sans
doute les retards dans la conduite des réformes pouvant être engagées par les
voies législatives ou règlementaires.
Il y a eu de la part des autorités, d’importantes insuffisances en matière de
communication et de diffusion du contenu de l’Accord au sein des populations.
Cinq ans après sa signature, le document n’est pas connu par la majorité des
Maliens. Il n’y a pas eu d’actions systématiques et durables d’explication en des
termes accessibles dans les communes et villages du Mali. Il n’y a pas eu non

177
plus de débats au parlement et au sein des autres institutions. Dans les médias,
lors des discussions contradictoires, la partie gouvernementale et la majorité
présidentielle se sont souvent éclipsées, comme si eux-mêmes ne croyaient pas
en l’accord !
On a ainsi laissé le terrain aux opposants à l’accord mais aussi aux éternels
mécontents et aux pourfendeurs systématiques de toute initiative officielle.
Ceux-ci, souvent adeptes de la théorie du complot, ont rivalisé d’ardeurs pour
s’en prendre au document en utilisant abondamment la menace du
démantèlement du pays, sans qu’aucun argumentaire structuré officiel ne leur
soit opposé. Ils ont occupé l’espace médiatique et le peuple a fini par prendre
fait et cause pour leurs argumentaires.
L’erreur suivante du Gouvernement, plus dévastatrice, a été la validation
implicite du principe de la sous représentativité des ressortissants du Nord et
donc la conduite d’initiatives qui minent l’ensemble national. C’est dans ce
registre qu’il faut classer l’engagement de reformes territoriales uniques dans
l’histoire contemporaine du Mali et la traduction électorale de ses conséquences
en termes d’octroi d’un nombre de parlementaires aux régions du nord qui est
sans commune mesure avec leur poids comparé à l’importance de la population.
Ce processus en cours risque d’être explosif pour le pays si le Gouvernement
n’y prend pas garde. Le Mali dans son ambition d’édification de la Nation
n’accorde pas de quota ethnique dans les recrutements et n’élabore pas de
statistiques ethniques.
Cependant, tout observateur objectif reconnaitrait facilement que les populations
du Nord, notamment les kel tamasheqs, n’ont jamais souffert et ne souffrent pas
de sous représentativité dans notre pays et cela à tous les niveaux.
Une autre erreur du Gouvernement a été d’accepter de se mettre au même
niveau que les groupes armés dans la conduite du processus de paix. Cet état de
fait est encore perceptible de nos jours dans la mise en place des organes de
gouvernance de l’accord, des commissions, du processus du DDR
(désarmement, démobilisation, réinsertion), de la constitution de l’armée
recomposée etc. Des faveurs majeures sont accordées aux leaders des groupes,
dont la légitimité n’est pourtant due qu’à la détention d’armes. Ces avantages
divers rendront difficiles tout progrès car le parachèvement de la mise en œuvre
de l’accord signifierait pour ces leaders la fin de leurs privilèges !

178
L’une des conséquences de ces faveurs s’illustre dans l’exclusion de fait des
autres composantes des sociétés civiles du Nord et l’acceptation de la
caporalisation de celles-ci par les groupes armés. On encourage ainsi la
détention d’armes comme seul critère de représentativité. L’exemple de la mise
en œuvre hâtive et sans lendemain constructif des autorités intérimaires illustre
ce constat. Elles ont été installées sans contenu et sans ressources en faisant la
part belle aux groupes armés. La désignation des gouverneurs, des préfets etc. a
été diligentée avec un partage entre l’Etat et chaque regroupement armé (CMA
et Plateforme). Nous avons progressivement mis les cinq régions du Nord sous
la coupe des groupes armés. Ceux-ci parviennent ainsi à obtenir pacifiquement
ce qu’ils n’ont pu conquérir par la force. Nos compatriotes témoins de ce tableau
en déduisent que notre propre gouvernement est entrain de diviser notre pays et
d’affecter la gestion d’une partie aux groupes armés, sans pourtant que des
résultats tangibles en termes de sécurité et de stabilité soient constatés. L’Accord
de paix devient ainsi un bouc émissaire idéal des frustrations des Maliens.
Au niveau des zones « sous contrôle » des groupes armés, les valeurs ne sont pas
promues, les personnes crédibles ne sont pas aidées, la bonne gouvernance est
oubliée et les malversations sont tolérées. Aucun compte n’est demandé aux
responsables des groupes armés quant à la satisfaction des besoins des
populations.
Le contexte ainsi décrit n’est pas propice à une sortie de crise. Au mieux, on ne
peut espérer qu’une situation factice, faite de faux semblants et qui couvera les
cendres de futures révoltes et de crises quand des pans entiers de la population
se sentiront exclus et ne verront d’autres possibilités que la réaction violente
pour se faire entendre. On n’obtiendra pas la paix quand les bénéficiaires ne sont
qu’une petite partie des responsables des groupes armés !
En conséquence de tout cela, les Maliens sont dans leur écrasante majorité
hostile à l’Accord, non pas à la décentralisation et à la possibilité pour les
populations de participer à leur essor, mais à l’image qu’on lui a donnée, aux
peurs qui ont été véhiculées et surtout à cause de l’absence de progrès
significatif induite par toutes ces erreurs commises depuis 2015. Il faut donc
relire l’Accord. Il faut ensuite mettre en place une stratégie claire de sortie de
crise en observant quelques principes clairs qui s’imposeront à nous tous : (i)
équité entre les Maliens et les territoires, (ii) primauté de l’Etat et de la
République, (iii) association des diverses composantes de la Nation à la sortie de
179
crise et (iv) transparence absolue sur l’ensemble des actes à poser dans la
conduite du processus de sortie de crise.

180
Evitons l’industrialisation de la prise d’otages dans le Sahel !

La libération récente de plusieurs otages dans le Sahel, dont Soumaila CISSE


une personnalité politique malienne de premier plan, en contrepartie de
l’élargissement de plusieurs centaines de terroristes présumés et du versement de
rançons de plusieurs milliards de FCFA, a suscité une grande controverse parmi
les populations sahéliennes et au sein de la sphère médiatique occidentale. Les
uns estiment que la libération des otages, aussi importants soient-ils, a été trop
fortement monnayée. Ils critiquent sévèrement les efforts consentis pour ces
libérations et leurs incidences probables en termes de destructions, d’attentats ou
encore de prise d’autres otages, en raison de la personnalité des terroristes
libérés et des moyens importants que les groupes terroristes ont obtenus. Les
autres pensent qu’il est bien normal de faire des efforts pour obtenir la libération
d’otages en raison de la charge émotionnelle que cela suscite et également parce
qu’une vie humaine n’a pas de prix.
Chacune de ces positions est défendable et de ce fait, les polémiques et débats se
multiplieront, avec d’autant plus de véhémence que les enjeux seront lourds de
sens pour les pays sahéliens comme le Mali qui ont en outre de nombreux autres
défis à relever.
Il est de ce fait utile de sortir de l’émotion et de poser les questions de fond que
cet évènement soulève, pour ensuite essayer d’y répondre, afin de préserver la
stabilité de nos Etats et d’éviter qu’ils ne subissent de nouveaux facteurs
déstabilisants. La France est en train d’aller dans ce sens avec la perspective de
la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire devant questionner,
entre autres, la doctrine de ce pays dans ce domaine. De nombreuses
interrogations peuvent être soulevées par la libération récente d’otages, certaines
en rapport avec leurs incidences géopolitiques ou leurs implications sur les
négociations socio-politiques que cela peut préfigurer entre le Gouvernement du
Mali et le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM). Une autre
interrogation concrète qu’il convient d’émettre est la possibilité que cette étape
ouvre une perspective d’industrialisation de la prise d’otages au Mali et la
spécialisation d’acteurs dans ces réseaux comme cela fut le cas au début des
années 2000. Cette perspective fragiliserait profondément le Mali et tout autre
pays sahélien qui la subirait et menacerait clairement les possibilités de paix et
de réconciliation. Ce sujet mérite qu’on s’y attarde d’autant plus qu’il ne s’est
181
jamais véritablement posé, les questions d’otages concernant essentiellement les
occidentaux jusque tout récemment. Ceux-ci se faisant rares, il est possible que
des cibles nationales potentiellement importantes les remplacent, déplaçant la
question vers le grand banditisme et la professionnalisation des acteurs au gré
des prix payés pour obtenir la libération des personnes enlevées.
Il est impératif que les autorités maliennes définissent les règles de conduite en
matière de libération d’éventuels otages nationaux. Cela ne serait que justice par
rapport à d’autres otages, moins célèbres que ceux libérés et dont les proches
pourraient être choqués par ce qui vient de se passer. Ces règles doivent être
établies avec l’objectif principal de rendre pratiquement nulle la valeur
marchande des otages maliens. C’est uniquement cela qui réduirait les tentations
de l’enlèvement de nos citoyens. Dans cette perspective, certains principes sont
à affirmer et surtout à observer.
Ne jamais verser de rançon est un principe à instaurer. Le paiement de rançon
est le premier encouragement à la prise d’otages. Il n’est pas concevable
d’utiliser des ressources publiques dans une action aussi contreproductive que la
libération d’otages. Ne jamais libérer de terroristes ayant du sang sur les mains
constitue également un principe à respecter. Si la vie de tous les citoyens a la
même valeur, il est difficilement acceptable de relâcher l’assassin d’un citoyen
pour obtenir la libération d’un autre.
Ensuite, dans le cadre de possibles négociations, nous devons fixer des règles
qui encadreront l’action des négociateurs et autres intermédiaires comme la
fixation de quotas de personnes libérables en rapport avec les éventuels otages,
et en fonction de leur importance symbolique, etc.
Nos pays doivent également travailler sur la qualité des négociateurs en
accordant une place de choix aux leaders religieux et aux autorités
traditionnelles locales et nationales. Ces acteurs ont démontré leurs aptitudes au
cours des dix dernières années. Ils sont souvent cruciaux quand ils interviennent
de manière précoce car les enlèvements sont d’abord le fait de groupes disposant
d’attaches locales dans les zones où ils interviennent.
Les règles établies devraient être portées à la connaissance des citoyens, en
particulier de celles pouvant être cibles d’enlèvement. Il convient de mettre en
garde les civils, les politiques et les autres personnalités contre les déplacements
dans des zones sensibles quand leurs fonctions ou responsabilités ne les y
182
obligent pas. Dans l’hypothèse où ils enfreigneraient ces règles et en cas
d’incident, ils seront seuls responsables de la situation. Ce dispositif doit être
envisagé en parallèle au renforcement de la protection des fonctionnaires et
agents de l’Etat qui servent dans les zones sensibles. Il doit également être mise
en place un système de protection pour les personnalités qui, pour des raisons
précises (campagne électorale, activités nationales…) sont amenées à s’y
déplacer.
La question des otages et de leur libération est sensible sous tous les cieux. Des
Etats puissants tiennent quelques fois un double discours en agissant
contrairement aux principes martelés officiellement. Des efforts importants et
des moyens massifs sont ainsi employés pour obtenir la libération d’un otage car
cela a un impact socio-politique significatif pour leurs leaders. Les fondements
et la stabilité de ces Etats ne sont nullement menacés par ce phénomène. Il en
serait autrement pour des pays comme le Mali. C’est pourquoi, il est hautement
souhaitable que ces derniers agissent pour tarir les sources de financement du
terrorisme agissant sur leur territoire. Il leur est tout aussi indispensable d’agir
dans ce domaine pour éviter la frustration d’une frange de la population du fait
d’initiatives de libérations au moyen d’efforts jugés exorbitants. C’est ce qui
justifie la prise de mesures fortes contribuant à contrecarrer les velléités des
groupes terroristes et de réseaux de profiteurs gravitant autour d’eux.

183
184
L’argent et la politique malienne :
L’arroseur arrosé !

Ils ont introduit le luxe et la luxure dans la politique au point que les élites
maliennes et la majorité de nos compatriotes sont convaincues que s’enrichir est
ce qui a de normal et même souhaitable quand on occupe un poste à
responsabilité. Ils ont anéanti les valeurs séculaires de notre pays. Le mensonge
n’est plus un tabou et est même souvent considéré comme une vertu. Le
« moussalaha » et les autres « arrondis d’angle » sont devenus la norme au Mali.
La vérité est désormais considérée comme « dure » et « souvent inappropriée ».
Ils ont escamoté le débat, les idéologies, les projets et visions au point de ne plus
accepter les traditionnels débats de second tour à l’élection présidentielle (2002,
2013 et 2018).
Ils ont ramené la politique à la simple loi de l’offre et de la demande, là où ils se
sont estimés les plus forts, pensant garder le pouvoir aussi longtemps qu’ils le
voudraient. Préférant acquérir les positions grâce à l’argent ! L’exemple des
péripéties du congrès extraordinaire de l’ADEMA de 2000 et surtout de la
convention qui désigna le candidat de ce parti en 2001 pour les élections de
2002 illustre ce constat, avec les premiers achats massifs de délégués et une
utilisation de l’argent comme jamais vus auparavant au Mali.
Ils ont réduit les partis, y compris les leurs, à leur plus simple expression au
point qu’ils n’en sont que de nom, chacun y étant présent pour chercher
exclusivement des avantages personnels. Les épisodes malheureux de la mise en
place du bureau et des groupes parlementaires à l’assemblée nationale il y a
quelques semaines ont ainsi démontré que ni le RPM ni l’URD ou encore de
nombreux autres partis n’ont de prise sur leurs députés, qui sont autant de
« partis individuels » mus par leurs seuls intérêts.
Ils ont chassé les empêcheurs de tourner en rond, les idéologues, les gens de
conviction, les personnes avec des idées et des compétences, bref tous ceux qui
ne sont pas prêts à courber l’échine. Ils sont ainsi restés avec les courtisans et les
flagorneurs au profit de leur ego. L’exemple du congrès de l’ADEMA de 1994 a
marqué ce long et lent déclin des idées et des projets, au point, qu’actuellement,
on serait en peine de savoir quel projet est porté par les dirigeants actuels.

185
Parallèlement à cette lente décrépitude de notre système politique et
démocratique, la situation du pays n’a cessé de se détériorer sur les plans socio-
économiques et, récemment, sécuritaire. Les Maliens se sont ainsi massivement
détournés de leurs décideurs et se sont convaincus que la seule chose à faire est
de prendre ce qu’ils peuvent quand ils le peuvent. Ce qui contribue à faire le lit
de l’argent et des contre valeurs. Nos compatriotes ont ainsi
malencontreusement amplifié le mouvement engagé depuis une trentaine
d’années par les acteurs de la scène politique.
Cette situation a en conséquence vu apparaitre progressivement, lentement mais
surement, et de manière tout à fait logique, de nouveaux profils d’acteurs, les
entrepreneurs politiques, ayant une bonne intelligence tactique et ayant bien
observé les tendances des 30 dernières années pour les utiliser en leur faveur.
L’argent devenant le seul critère de choix, ils ont progressivement quitté l’ombre
pour la lumière, certains ont fait leur classe dans les partis, d’autres apparaissent
à l’occasion de scrutins présidentiels, tous ont la stratégie d’acheter ce qui est
disponible : des électeurs, des élus, des partis pour rapidement s’imposer sur
l’échiquier. C’est ce à quoi on assiste aujourd’hui et la configuration politique
de l’Assemblée actuelle offre une image caricaturale de ce constat. Des forces
politiques constituées essentiellement à partir d’élus d’autres forces politiques et
surtout des partis historiques en passe de disparaître.
Les « grands partis » sont encore plus fragiles qu’ils ne paraissent car constitués
d’élus prêts à suivre le sens du vent à la première occasion et qui n’en font
même pas mystère. Il est vrai que leurs premiers responsables les ont eux-
mêmes habitués à ce genre de comportement ces dernières années.
Les « démocrates sincères » sont ainsi en train de connaitre un déclin dont ils
peinent à imaginer le scenario, devenant victimes de leurs propres stratégies et
créatures. Le scenario du pire qui peut arriver à un manœuvrier, celui de
l’arroseur arrosé !

186
Les outils de la paix

Les Forums se succèdent, les colloques fleurissent années après années et les
chefs d’Etat se réunissent à fréquence de plus en plus régulière au rythme de la
pression grandissante de l’insécurité des territoires. L’ombre du terrorisme
s’étend et grignote, sans vraiment s’arrêter, les campagnes ou les villes. Il y a
bien ça et là quelques petites victoires sporadiques, des sursauts d’un instant et
parfois, enfin, de remarquables reculs de la pauvreté. Car il faut bien le
nommer : ce mal profond qui frappe le continent et s’exprime dans le sang, le
terrorisme, est aussi né du parent pauvreté.
Et pourtant la pauvreté n’est pas une fatalité. Sur un continent qui va voir sa
population doubler en une génération -record historique à l’échelle du globe- et
la concentration urbaine multipliée par 2 en 15 ans, certains se confortent à
l’idée que les taux de croissance économique y sont remarquables et durables,
que l’Afrique recèle des pépites d’innovations en une classe d’entrepreneurs que
peu de territoires peuvent concurrencer. Il suffit pourtant de voyager pour
comprendre à quel point les inégalités sont profondes d’un pays à l’autre. Les
priorités se bousculent, au gré des programmes politiques mais, hélas aussi, des
modes faciles et médiatiques, parfois même tristement opportunistes. Nous
voulons ici revenir sur ce que nous considérons essentiel à l’agenda du 21e siècle
pour assurer « un avenir pour chacun dans un monde commun » comme le dit à
juste titre le député Hervé Berville. Et bien sûr, point d’avenir sans paix ni
stabilité !
L’accès à l’Eau, à l’assainissement et l’électricité (Objectifs de développement
durable ODD 6 et 7) sont les trois priorités -mais aussi les droits fondamentaux-
consacrés par l’Assemblée générale de l’ONU et affichés comme droits humains
essentiels à l’exercice de tous les autres droits de l’homme. Et au-delà, facteurs
de croissance économique et véritable antidote à la pauvreté.
Réussir ces 3 priorités n’emporte pas de schéma d’organisation complexe, de
technologies savantes ni ne nécessite de programmes d’aide mais plutôt celui
d’un seul moteur, la gouvernance. Les pays qui, il y a des années, ont décidé de
mettre clairement la priorité sur ces 3 accès sont peu nombreux, mais ceux qui
l’ont fait et assumé dans le temps -choix institutionnels, régulation, operateurs,
financement- ont vu localement reculer les marqueurs de pauvreté. Là encore,
187
attention aux indicateurs : l’indice de pauvreté multidimensionnelle utilisé par le
PNUD montre par exemple au Mali entre 2007 et 2017 une baisse de 10% de
l’indice de pauvreté mais une augmentation du nombre de laissés pour compte
de 10%, par le simple effet de la croissance numérique globale de la population.
Mais ce qui compte ce sont les femmes et les hommes et pas les pourcentages.
Des 3 priorités, Eau - Assainissement - Electricité, découlent l’amélioration de
la scolarité, des services de santé, de la mesure du bien-être et à la fin, de la
dignité de chacun. C’est bien lorsque la volonté publique est là -et à son
initiative- qu’on peut passer du concept au discours, du discours aux
actes…Pour enfin mettre en œuvre les outils de la paix.

Article co redigé avec Mr Patrice FONLLADOSA


Ancien Président Afrique du MEDEF

188
L’Afrique face aux risques des transitions politiques

Il y a la transition telle que nous la connaissons. Celle qui se traduit par la


survenance d’une rupture constitutionnelle dans la dévolution du pouvoir. Le
coup d’Etat, la démission de dirigeants sans possibilité de les remplacer
conformément aux textes, les insurrections déstabilisantes ou encore la fin de
mandat sans élection figurent, entre autres, parmi les facteurs d’organisation de
ces périodes exceptionnelles et la nécessité d’envisager une phase provisoire
d’organisation des pouvoirs publics, en attendant de mettre en place des régimes
juridiquement et politiquement légitimes.
Cette forme de transition, utilisée en de maints endroits du continent, a comme
contenu l’établissement d’un consensus entre les forces vives autour des enjeux,
l’organisation d’un processus de retour à un ordre constitutionnel, l’apaisement
des tensions, la restauration de la confiance entre les populations et leurs
représentants et, quelques fois, l’amélioration de la qualité de vie des
populations.
Elle se traduit par la mise en place d’une autorité suprême (Président), d’un
organe exécutif, d’une Institution législative et de différentes formes
d’associations au pouvoir des forces vives afin d’élargir la base de ce dernier.
Ces formes de transition sont les plus connues et les plus pratiquées en Afrique,
comme on le constate en ce moment au Mali, ou au Soudan, il y a quelques
années. Elles ont besoin d’être menées dans un esprit de collégialité avec le
souci de stabiliser la courte période de leur déroulement. Comme facteur clé de
succès, elles doivent être conduites par des hommes de qualité, indépendants,
compétents et n’ayant pas d’autres ambitions que de remettre le pays sur les
rails. Elles doivent engager des réformes constitutionnelles et législatives
rendant les processus électoraux encore plus crédibles, transparents et
participatifs que par le passé; avec une attention particulière sur l’égalité des
chances des postulants aux responsabilités et l’équité de leur traitement pendant
le processus. Une plus forte règlementation du rôle et de la place de l’argent
dans la démocratie ainsi qu’un encadrement plus contraignant de la candidature
des sortants, partant avec une avance certaine, peuvent être envisagés.

189
Les transitions classiques décrites ci-dessus ne sont pas les seules possibles en
Afrique. Il y en a d’autres, exceptionnelles pour l’instant, qui méritent d’être
analysées pour en baliser le chemin ainsi que la mise en œuvre. Il s’agit de
transitions à conduire en présence d’un pouvoir légal qui, pour des raisons
particulières, se trouve contraint d’engager cette phase politique particulière.
Des élections mal organisées et/ou fortement contestées, des troubles sociaux
majeurs, un contexte sécuritaire sensible, une crise économique profonde, une
usure certaine du pouvoir consécutive au cumul de plusieurs mandats face à une
population jeune, sont, entre autres, des raisons pouvant conduire un pouvoir en
cours de mandat à ouvrir une transition.
Cette étape ouvrira ainsi une période de collaboration politique établie entre les
différentes forces vives, dans le cadre d’un mandat en cours, avec l’objectif de
mettre en place à terme un ordre socio-politique satisfaisant pour la majorité des
acteurs.
Elle pourra porter sur des réformes institutionnelles et organisationnelles à
conduire sur les différents segments de la vie publique, l’organisation de scrutins
le cas échéant, la conduite de politiques sectorielles spécifiques, l’engagement
d’un processus de réconciliation nationale avec des résultats tangibles
recherchés…
Sur le plan organisationnel, cette transition se traduira par la mise en place d’un
gouvernement d’union nationale, la création éventuelle d’autres organes de suivi
et d’accompagnement pouvant être envisagée pour renforcer la confiance entre
acteurs.
La conduite de cette phase délicate nécessitera sans doute la satisfaction de
quelques conditions préalables telles que le consensus des forces vives sur les
objectifs de la transition, qui peuvent aboutir sur le départ du régime au pouvoir
après des élections. Ils peuvent également porter sur une collaboration pendant
une période au cours de laquelle des réformes souhaitables sont conduites avant
l’organisation d’un nouveau scrutin avec la participation de tout ou partie des
acteurs. Au-delà de la convergence sur les objectifs de la période transitoire, il y
a surtout la crédibilité des garanties à donner comme condition majeure de la
conduite de cette forme de transition. Des garanties, y compris internationales,
sont à fournir au pouvoir pour couvrir les risques encourus après un départ
négocié. Des garanties peuvent également être nécessaires pour convaincre les

190
forces politiques à collaborer pendant la période. En tout état de cause, les
médiateurs commis pour aider les pays lors de ces périodes délicates doivent
savoir rassurer les parties afin de les convaincre à engager le processus et
obtenir ainsi la stabilité de nos pays.
Ce type de transition sera de plus en plus probable en Afrique. La démographie
et l’urbanisation du continent seront les terreaux d’une jeunesse de plus en plus
nombreuse et impatiente, en particulier dans les capitales, qui représentera un
contrepoids politique aux pouvoirs en place. Face à cela, les régimes seront de
plus en plus acculés et devront lâcher du lest, particulièrement s’ils ne sont pas
efficaces en matière de satisfaction des attentes populaires. Les organisations
régionales doivent ajuster leurs instruments de monitoring de la stabilité
politique des Etats, et les partenaires internationaux faire de même en étant plus
vigilants et en sachant mieux anticiper les crises. Il ne faut plus attendre que les
antagonismes s’exacerbent pour ensuite essayer de sauver les meubles. Il faut
savoir identifier précocement les ingrédients de la déflagration et apporter des
solutions qui satisfassent les populations et tout en rassurant les pouvoirs.
Quand ces processus sont bien menés, ils offriront des occasions pour des
régimes ne sachant plus comment quitter le pouvoir, de bien assurer le passage
de témoin sans trop d’inquiétudes pour le futur. Ce qui peut être bénéfique pour
la stabilité des pays africains.

191
192
Mali :
Qu’avons-nous fait de nos soixante ans ?
Que pouvons-nous rectifier pour nos cent ans ?

En ces temps troublés, il est souhaitable d’éviter les comparaisons ou d’évaluer


les régimes et les Présidents qui se sont succédé à la tête du Mali pendant les
soixante dernières années, si l’on veut faire une analyse productive de ce qui
s’est passé depuis l’indépendance. La comparaison des régimes ouvrirait
indubitablement de vieilles blessures et monopoliserait inutilement le débat.
Tant est qu’au Mali, nous avons malheureusement pris l’habitude de remplacer
les débats d’idées par des querelles de personnes !
Ce qui serait plus utile, est de mettre l’accent sur les faiblesses structurelles que
nous n’avons pu corriger en soixante ans. A celles-ci, il convient d’ajouter les
défis actuels qui complexifient les équations nombreuses auxquelles notre pays
fait face. Cela nous permettra ensuite de tracer les voies stratégiques que nous
devons emprunter pour qu’en 2060, au moment où le pays fêtera ses cent ans,
les Maliens vivent mieux qu’aujourd’hui, plus sûrs d’eux-mêmes et davantage
confiants en l’avenir.

Ce que nous n’avons pu changer en soixante ans


Quatre faiblesses structurelles sont demeurées à travers les six décennies du
Mali indépendant.
La première est l’incapacité de l’Etat à répondre aux diversités ethniques,
religieuses, territoriales et philosophiques des Maliens. Il suffit de regarder la
carte du pays pour se rendre compte que c’est un pays fortement hétérogène, de
rencontre et de métissage. Il n’est pas possible de gérer un pays aussi divers de
manière uniforme. Les réalités vécues par les Maliens sont fort différentes, leurs
cultures et traditions également. La forme étatique choisie, son organisation et
ses modalités de fonctionnement ne sont pas adéquates. Cela crée des chocs
depuis 1960 et en créera encore à l’avenir.
La seconde faiblesse structurelle de notre pays est son administration dont
l’ADN est son insensibilité à la satisfaction des usagers. Le rapport entre
193
l’administration et le citoyen est un rapport de force, de violence, d’iniquité et
d’injustices de toutes sortes. Il pénalise grandement l’Etat et la nation.
Notre incapacité à soustraire notre économie de la traite, de la faible
diversification et de ses fondamentaux coloniaux créent le lit du chômage de
masse et de la constitution de groupes oligarchiques autour des facteurs de
ressources et donc de la grande paupérisation des populations. Cela constitue
également une forte éraflure à notre tissu social.
Enfin, la Gouvernance du pays, aux différents niveaux de responsabilité, ne
s’est pas traduite par une forte exemplarité des élites et un souci constant du
bien-être collectif. La corruption, l’enrichissement illicite, les détournements de
biens publics ont le plus souvent caractérisé les élites maliennes qui ont ainsi
globalement trahi la confiance placée en elles par les populations.
La résultante de six décennies où les potentialités du pays n’ont pas été
exploitées comme il faut, sur fond d’incapacités étatiques, ont ainsi grandement
affaibli le pays et surtout réduit sa grande cohésion sociale qui reste encore
aujourd’hui sa principale force.

Des défis nous sont posés par le Monde d’aujourd’hui et de demain


Certains défis posent des équations redoutables à solutionner qui si elles ne sont
pas résolues auront des conséquences significatives. Cela rend d’autant plus
incertaines les perspectives maliennes.
Le premier de ces défis est constitué par les changements climatiques et leurs
conséquences de raréfaction des ressources naturelles, de pluviométries
incontrôlées et d’absence de prévisibilité des éléments naturels. Pour un pays qui
dépend en grande partie de la nature et de ses manifestations, cette évolution est
lourde de menaces.
Le second défi est relatif à la démographie et à l’urbanisation. La croissance
importante de la population mais également son mouvement massif vers les
villes sont synonymes de pressions importantes sur les ressources et de
déséquilibres majeures sur les plans économiques, socio culturels et même
politiques.
Ensuite, les évolutions technologiques et les confrontations continuelles entre
modernité et traditions posent de nombreux problèmes dans les rapports sociaux,
194
les équilibres de nos cellules familiales, notre système de gouvernance et de
démocratie, les formes de citoyenneté pour les jeunes…
Il y a enfin un environnement international incertain et qui risque de l’être
encore avec de nombreux facteurs géopolitiques, sanitaires, sécuritaires ou
économiques de volatilité. Dans les années à venir, la seule certitude sera qu’il
n’y aura rien de certain ! Pour un pays comme le Mali, si soutenu par la
communauté internationale, ce défi doit être traité avec gravité et un sens aigu
de responsabilité.

Les desseins à nourrir pour le Mali des 40 prochaines années


Quatre faiblesses structurelles conjuguées avec quatre défis majeurs jettent un
voile d’incertitudes sur l’avenir de notre pays. Nous devons y faire face de
manière résolue. Pour ce faire, nous devons avoir quatre desseins majeurs pour
faire du Mali ce qu’en espéraient les pères de l’indépendance.
Le Premier dessein est de bâtir un Etat solide, visionnaire, efficace et ancré par
des institutions légitimes. Cet Etat devrait travailler dans la prospective (vision
de long terme) en mobilisant toutes les ressources nationales vers ces objectifs
stratégiques, quelques soient les pulsations de la démocratie.
Le second dessein est la qualité des ressources humaines maliennes. Nous
devons faire de l’éducation, le renforcement des compétences nationales et du
patriotisme des jeunes nos priorités absolues.
Ensuite, il y a la nécessité d’orienter les fondamentaux économiques sur la
domestication de la valeur ajoutée, une plus grande consommation des
productions locales et une insertion forte de l’économie nationale dans les
chaines de valeurs mondiales en privilégiant nos forces. Le patriotisme
économique ne doit pas être seulement un slogan au Mali. L’efficacité
économique et la compétitivité aussi !
Enfin, la construction d’une démocratie réelle soutenue par le dialogue
permanent entre les différentes composantes de la société et une redevabilité
forte des représentants à l’égard des populations. Nous devons nous inscrire
dans cette direction avec la volonté d’une amélioration constante dans le souci
de privilégier les intérêts des citoyens.

195
Nous avons à inscrire résolument notre pays dans la voie du progrès continu,
avec des caps précis qui s’imposeront à tous, chacun étant appelé à faire sa part
de travail. C’est à ce prix que nous donnerons une chance à notre pays face aux
tumultes du monde.

196
Mettons fin à la balkanisation institutionnelle en Afrique de
l’Ouest !

En Afrique, il est un domaine où nous sommes plus prospères qu’ailleurs, c’est


celui du nombre d’Institutions, de services, de politiques ou de stratégies créées
pour faire face à nos défis. Dans nos pays, on multiplie ainsi les politiques, on
cède à la création effrénée des services et des Ministères, souvent pour faire la
même chose. Ceux-ci finissant davantage par se concurrencer plutôt que d’agir,
plus préoccupés qu’ils sont, par justifier leur existence que par être efficaces.
Nous oublions ainsi que le plus important est le résultat et non les moyens
engagés. On en vient, comme le déplore l’économiste Kako Nabuko dans son
dernier livre, à célébrer les moyens voire les intentions plutôt que les résultats !
A l’échelle régionale, les mêmes constats sont malheureusement de mise. Nous
sommes champions dans la création et la superposition d’Institutions, souvent
du fait de circonstances particulières voire même de decisions exogènes.
L’exemple de la SINSAD, une organisation qui ne doit sa création qu’à la
volonté de l’ancien Guide libyen. Dans une certaine mesure, c’est également le
cas du G5 Sahel qui ne serait sans doute pas ce qu’il est aujourd’hui sans la forte
induction de la France. Alors que sur le même espace, existent des organisations
ayant des fonctions similaires à certaines attributions du G5 Sahel comme le
CILSS (Comité permanent inter-état pour la lutte contre la sècheresse au sahel)
le Liptako gourma, le Comité du bassin du lac Tchad voire l’UEMOA (Union
économique et monétaire ouest africain) ou la CEDEAO (Communauté
Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest). Il en est également des similitudes
entre l’UEMOA et la CEDEAO obligeant d’ailleurs ces deux Institutions à
mettre en place un cadre de coopération et un secrétariat technique commun
pour rationaliser leurs interventions. Quid de l’Union du mano river et de
l’OMVS avec des vocations de développement autour des fleuves ou encore du
Conseil de l’entente et de la CEDEAO ?
Si toute ces organisations devaient réunir régulièrement et distinctement les
sessions de leurs Conseils des Ministres et de leurs Sommets des chefs d’Etats,
les leaders ouest africains n’auraient pas le temps de s’occuper de leurs pays
respectifs et iraient de sommet en sommet ! Pour dire souvent la même chose et
prendre les mêmes decisions ! C’est d’ailleurs ce qui les oblige à souvent
jumeler les instances de ces différentes organisations, ce qui prouve qu’on doit
197
aller vers une rationalisation de nos dispositifs institutionnels en Afrique de
l’Ouest.
Il est donc urgent de rationaliser l’environnement institutionnel régional pour lui
donner une cohérence indispensable à ses ambitions politiques et socio-
économiques. Il est souhaitable de baliser le chemin vers ce nouvel ordre
politique et institutionnel dans la région ouest africaine.
Pour ce faire, une vision claire et commune de l’intégration politique et
économique est indispensable afin de lui donner un visage institutionnel
approprié. Cela ouvrira des perspectives claires en termes de processus de
réalisation.
La vision pourrait être de disposer en une décennie (horizon 2030), sur l’espace
ouest africain, d’une seule organisation politique inter étatique compétente sur
toutes les questions que les Etats souhaiteraient aborder ensemble. Ce qui
balisera le chemin vers la réalisation, dans un second temps, de la fédération
ouest africaine des Etats. Dans cette optique, notre Institution commune, la
CEDEAO, préfigure cette organisation. Elle doit être dotée de légitimité
nécessaire pour ce faire.
Le processus de rationalisation institutionnelle doit partir de la décision
stratégique de stopper la tendance à la création d’institutions, d’agences, de
projets….régionaux susceptibles de contraindre la réalisation de la vision définie
et partagée par les Etats.
Dans un second temps, il conviendra d’ouvrir une période transitoire relative à
la transformation progressive des organisations actuelles en agences techniques
de la CEDEAO sur les questions où elles disposent de compétences avérées et
qui sont jugées pertinentes par les Etats.
Parallèlement à cela, il conviendra de supprimer celles dont la justification est
difficile, notamment celles ayant une compétence territoriale et non sectorielle
(G5 Sahel, conseil de l’entente…). Le regroupement de certaines autres en
entités plus homogènes et efficientes, peut être envisagé. De même qu’il sera
quelques fois nécessaires de transférer certaines attributions des unes aux autres
avec comme souci d’éliminer toutes les concurrences et rationaliser au
maximum les organisations et les coûts
A la fin de ce processus, peut être après dix ans de reformes, on aura une seule
organisation régionale politique, exerçant des missions confiées par les Etats,
198
dotée de politiques et de stratégies, mises en œuvre par ses structures dont des
agences techniques spécialisées. Elle disposera d’un système de financement
stable et servira d’outils aux compétences significatives et assumées : le pilotage
politique de la région, la mise en œuvre de la solidarité entre les Etats, le soutien
à l’intégration et surtout la facilitation du développement économique et socio
culturel endogène et harmonieux. Elle sera forte et orientée uniquement sur les
intérêts de la zone.
Après cette étape, cette Institution pourra engager une phase de plus forte
intégration conduisant au fédéralisme. Avec l’ambition de réaliser, sur une autre
décade, à l’horizon 2040, une Afrique de l’Ouest politiquement unie et qui sera
la première puissance économique du continent. Un espace porté par la plus
forte population continentale, profondément intégrée et qui entrainera les autres
communautés régionales vers l’unité à laquelle aspiraient les fondateurs de
l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1963. Peut-être sera-t-il possible
d’obtenir cette unité politique continentale d’ici le centenaire de la défunte
organisation afin de faire converger l’intégration africaine avec la prospérité
économique déclinée dans l’agenda 2063 !

199
200
Négocier avec les terroristes
Une fausse bonne idée !

L’annonce faite par le Chef de l’Etat du Mali, des contacts avec les groupes
terroristes en vue de négociations, a eu un retentissement médiatique important.
Le Président de la République se fonde sur les recommandations du Dialogue
national inclusif de la fin de l’année dernière et sur une opinion publique
favorable à ces démarches car essentiellement préoccupée par la fin des
hostilités et des morts. Il est aussi vrai que l’ouverture de négociations a été
régulièrement demandée par des leaders d’opinion. Ces suggestions visent
principalement Iyad Ag GHALI et Amadou KOUFFA qui, tireraient les ficelles
du terrorisme dans notre pays. En 2019, des rencontres auraient même été
organisées avec Amadou KOUFFA dans cette perspective.
Cette nouvelle stratégie des autorités maliennes laisse pour le moins sceptique.
Les initiatives visant à négocier avec les terroristes sont aussi hasardeuses
qu’improductives et, surtout, encouragent la persistance dans la terreur qui sera
ainsi perçue comme un moyen d’obtenir des contreparties. C’est exactement
comme la négociation avec les preneurs d’otages, à la base de la multiplication
de ce phénomène. N’importe quel aventurier verrait dans cette possibilité
l’opportunité de prendre en otage la communauté nationale en s’érigeant leaders
d’organisations terroristes, ayant comme signature des actes violents pour
ensuite monnayer sa reddition contre des faveurs indues. Il faut éviter de mettre
son doigt dans cet engrenage compte tenu de notre contexte, du trop grand
nombre d’hommes en arme au Sahel et donc des possibilités d’y lever des
groupes violents.
La communauté internationale devrait savoir que Iyad Ag GHALI n’existe pas
sans la force de frappe de AQMI et tout ce qui lui est lié. Sa force est celle des
terroristes. S’il se séparait d’eux, son influence socio politique, voire sa vie,
seraient en danger et il lui sera impossible de prétendre à un quelconque
leadership au sein de sa communauté. L’évolution sociologique de ce milieu, la
démographie et le rajeunissement subséquent de la population ainsi que
l’apparition de la donne du trafic de drogue ont et vont redistribuer les cartes de
leadership au sein des communautés du Nord du Mali. Le retour de nombreux
acteurs de la diaspora qui ne s’inscrivent pas dans les dynamiques classiques,
201
remettent en cause certaines réalités passées. Il faut enfin ajouter l’existence
d’autres mouvements politico-militaires qui, à la suite de la dernière crise et de
la signature des Accords, bénéficient de quelques redistributions de pouvoirs
liées à la mise en œuvre desdits Accords. Ce sont des réalités perceptibles qui
font que Iyad Ag GHALI n’a que AQMI pour exister, la violence pour
s’affirmer et compte sur la persistance dans cette voie pour être crédible.
Comment négocier avec quelqu’un qui est dans une posture similaire ? Amadou
KOUFFA a lié son sort à Iyad Ag GHALI, ce qui ne fait plus de lui un
interlocuteur indépendant.
Il faut ajouter que d’autres acteurs, notamment l’Etat islamique dans le grand
Sahara, sont actifs dans le Sahel et sont même en passe de dépasser AQMI en
termes d’influence et de capacités militaires. Discuter avec les uns ne pourra
donc pas être synonyme d’apaisement même en cas d’accord, car cela ne
concernera pas les autres !
En outre, négocier avec les terroristes sous-entend proposer des contreparties ;
Quelles contreparties peuvent être proposées ? Que peuvent demander les
terroristes ? Leur discours est radical et incompatible avec la laïcité et la
République. Il n’est pas envisageable de leur proposer de responsabilités ; Ag
GHALI est inscrit sur la liste des terroristes à éliminer par les États Unis et
d’autres, et continue à revendiquer la mort des soldats étrangers ou nationaux.
En réalité, la proposition de négocier avec les terroristes est l’exemple même de
la fausse bonne idée. Elle est dangereuse en soi et injustifiable. Elle pourra
difficilement aboutir compte tenu de la position des principaux concernés.
Un terroriste reste un terroriste ! Qu’il soit Malien ou Afghan, il est un acteur de
terreur qui s’exprime par la violence aveugle et gratuite et se réalise par la
désolation sociale qu’il crée par ses actes. Il doit être traité de manière similaire
à Mossoul, Maidougouri ou Menaka. Sa neutralisation doit être une priorité pour
limiter les pertes civiles et militaires qu’il cause.
En revanche, combattre les terroristes, notamment ceux qui dirigent les
mouvements terroristes, ne veut pas dire assimiler à eux tous les jeunes
désœuvrés enrôlés, souvent à leur corps défendant. La majorité de ces jeunes ne
sont pas des fous furieux, loin de là ! De nombreux rapports indiquent
pertinemment que certains parmi eux se sont engagés pour avoir une
rémunération, d’autres par peur de représailles, pour protéger leurs familles ou,
202
simplement, pour être considérés et avoir quelques faveurs au sein de leurs
communautés. Il convient de traiter cette réalité et engager les voies et moyens
permettant de retirer ces jeunes d’entre les griffes de marchands de morts
fanatisés. De nombreuses actions doivent être envisagées dans cette perspective.
Il faut mettre à profit le caractère intégré des communautés, convier les leaders
traditionnels, religieux et les mécanismes disponibles pour identifier et
convaincre certains jeunes à abandonner la voie du terrorisme. Le processus de
paix peut être mis à profit pour les inscrire dans les dynamiques de
Désarmement Démobilisation et Réinsertion (DDR). L’initiative algérienne de
la loi sur la concorde civile peut aussi être envisagée pour amnistier certains
auteurs de délits mineurs et faire bénéficier aux auteurs de crimes de peines
atténuées afin de les soustraire de la dynamique jusqu’au-boutiste du terrorisme.
Les pays sahéliens sont constellés de réseaux, d’organisations traditionnelles, de
leaders influents et de mécanismes appropriés pour permettre de faire un travail
fouillé sur la question des jeunes embrigadés et obtenir quelques résultats
appréciables sur ce segment. L’administration, la justice, les forces de sécurité et
les services de bases doivent également jouer leur partition en agissant pour
obtenir la confiance des populations.
Cela constitue la démarche idéale pour affaiblir la dynamique terroriste dans le
Sahel en ce moment. Il n’est ni utile ni productif de se focaliser sur des leaders
terroristes inscrits dans d’autres trajectoires.

203
204
Nos soldats, ces héros oubliés !

Ils nous permettent de dormir à peu près normalement. Ils incarnent le Mali, son
Etat, son indépendance et sa souveraineté. Bien qu’affaiblis et subissant des
pertes, ils essaient de tenir et d’accomplir leur mission, c’est-à-dire assurer à
notre pays un futur. Ils ? Ce sont nos hommes en armes, les militaires de l’armée
auxquels il est légitime d’ajouter les autres forces que sont la gendarmerie, la
garde, la police et les autres services paramilitaires. Ceux qui sont en première
ligne en cas de confrontation armée et qui en subissent les conséquences. En ce
début d’année 2021 pensons à eux !
Sous d’autres cieux, ces hommes et femmes qui risquent leur vie au service de
leur pays, sont adulés voir idolâtrés. On les célèbre à chaque occasion. En la
matière, les États unis d’Amérique dont l’armée est la plus forte du monde,
constitue un exemple à méditer. La France n’est pas en reste. En témoignent les
hommages régulièrement rendus dans ce pays aux militaires ayant perdu la vie,
comme c’était le cas encore récemment avec le décès de trois d’entre eux. Les
cérémonies organisées démontrent à suffisance la place particulière des soldats
pour cette nation. Ces pays estiment justement qu’aucun dispositif ne sera
suffisant pour illustrer la reconnaissance d’une patrie à l’égard de ses enfants
morts pour elle !
Notre pays, depuis sept ans, vit un véritable traumatisme, silencieux pour
l’instant mais hautement dangereux si on ne le traite pas à hauteur de souhait.
Nos soldats meurent, sous les coups des groupes armés divers et variés, à la suite
d’attaques ou de manière lâche par des mines. Cela n’est malheureusement pas
prêt de s’arrêter compte tenu du contexte. De la tragédie d’Aguelhok à celle de
Tabankort en passant par Nampala, Hombori, Indelimane, Kidal ou Boulkessi,
trop de jeunes soldats sont morts sans pour autant que la nation en soit
suffisamment sensibilisée et surtout ne soit engagée dans un processus
permettant aux parents des victimes et à leurs camarades d’être persuadés qu’ils
ne sont pas morts pour rien ! Qui se souvient encore du capitaine Sekou
TRAORE dit Bad et de ses camarades suppliciés à Aguelhok ? Les dates
anniversaires de ce massacre ignoble passent désormais dans l’anonymat. Il ne
se passe pas de semaine sans qu’au moins certains de nos jeunes soldats meurent
de manière violente, dans un relatif anonymat. Les communiqués sont diffusés

205
et on passe à autre chose ! D’autres sont blessés dans la même indifférence et
sont soignés dans nos hôpitaux, dans des conditions précaires.
Il faut rectifier rapidement le tir si nous voulons rehausser le moral de nos
troupes et leur insuffler ce surcroît de fierté et de bravoure qui fait la différence
sur les champs de batail. Toute la nation malienne, sous le leadership de nos
autorités, doit s’engager dans la voie du soutien irréductible à nos hommes en
arme. De nombreuses initiatives sont à envisager dans cette perspective.
La première initiative est de faire du rehaussement moral de nos soldats, notre
objectif permanent. Nous devons bannir le dénigrement de nos forces, cesser les
railleries et la remise en cause de la combativité des militaires maliens. Les
faiblesses sont connues de la hiérarchie et des décideurs publics. Il faut laisser à
ceux-ci la mission de conduire les reformes permettant de corriger les faiblesses
de nos Forces Armées Maliennes (FAMA). À nous autres, leaders politiques et
de la société civile, citoyens et forces vives de nous inscrire dans le soutien tous
azimuts et sans concession à nos troupes. Nous devons mettre désormais en
avant toute situation permettant de soutenir le moral de nos troupes et faire
d’eux nos héros. On doit magnifier les actes de bravoure, célébrer ceux qui se
comportent bien et le faire savoir. Dans ce segment, les autorités maliennes
doivent faire des efforts, publier toutes initiatives à porter au crédit de nos
soldats, les mettre en avant, les soutenir par des stratégies de communication
appropriées pour que l’ensemble des Maliens en soit informé. La réalisation de
monuments, de stèles commémoratives, sur base d’initiatives nationale,
régionale ou locale constitue une action à encourager.
Il en est de même de l’instauration de journées spéciales pour nos troupes,
indépendamment de la fête de l’armée. Les journées peuvent avoir un lien avec
un fait majeur à ne pas oublier, être instituées pour mettre en avant un acte de
bravoure source de fierté ou pour toute autre cause destinée à inscrire les FAMA
dans l’agenda national, régional ou local.
Le travail de mémoire et la célébration de ceux qui perdent la vie pour la patrie,
forment le cœur des initiatives à envisager pour redonner à nos soldats, toute la
place qu’ils méritent dans le pays et au cœur de la nation. Nous devons porter le
deuil de ceux qui meurent pour nous et nous organiser à nous remémorer de leur
sacrifice. Cela doit être une constante au Mali, quel que soit le nombre ou la
fréquence des décès. Plus jamais, aucun soldat malien ne doit mourir dans

206
l’indifférence générale ! À chaque perte, les autorités doivent organiser les
cérémonies en grande pompe et y participer. Elles doivent créer les conditions
pour que les Maliens se sentent concernés par la perte de nos soldats. La
densification et la diffusion très large des communiqués participent de ce
principe. On pourrait également multiplier les émissions télé consacrées à ces
évènements et insérer un bandeau noir sur les images de la télé. On devrait
également égrener les noms des militaires disparus à la télé…
Les services sociaux doivent accélérer les procédures administratives pour la
succession afin que les familles ne connaissent pas les affres du dénuement
matériel après le choc psychologique de la perte de leur proche. Nous devons
montrer le quotidien des blessés, organiser des actions de solidarité à leur égard
et à l’égard de la famille de ceux qui sont décédés. Il faut travailler à la
reconversion des blessés et la vie future des veuves et orphelins, leur accorder
des quotas de logements sociaux…Le dispositif des pupilles de la nation est une
bonne idée, il faut le mettre en œuvre rapidement et communiquer dessus pour
que toute la nation sache que les enfants des militaires décédés bénéficient de la
solidarité de la nation. Nos soldats en sauront gré au pays et cela démultipliera
leur engagement pour la patrie.
Les autorités locales doivent prendre part à ce dispositif de reconnaissance
nationale : dans chaque commune, il faut identifier les veuves et orphelins et les
blessés de guerre et leur donner une place dans les cérémonies locales, accorder
dans les édifices publics une place aux héros, leur faire des monuments
spécifiques, mettre les rues en leur nom ou des places…Au niveau national à
l’occasion de la fête de l’armée, des initiatives de solidarité en faveur des
veuves, orphelins et des blessés peuvent être envisagées. On peut décider, à
l’instar de ce qui est fait pour les personnes âgées dans le cadre du mois de la
solidarité, que l’ensemble des autorités nationales se partagent entre les
différentes familles de disparus et les blessés de guerre afin de leur signifier que
la nation reconnaissante ne les oublie pas.
Les initiatives étatiques, nationales et locales, feront écho à celles des services
sociaux des FAMA, de la société civile et des forces vives pour rendre à nos
héros les hommages qu’ils méritent. Les autorités peuvent inciter et encourager
les activités de ces acteurs au bénéfice des soldats et de leurs familles. Elles
peuvent également mettre en place un dispositif de recueil voire de prime aux
idées et suggestions utiles dans le sens de la solidarité de la nation à l’égard des
207
forces de sécurité. Ces initiatives viendront compléter toutes les activités
prévues dans la Loi d’orientation et de programmation militaire (soutiens divers,
renforcement de la formation, amélioration des rémunérations, acquisition
d’équipements, réalisation d’infrastructures dont un hôpital militaire, premier en
son genre dans notre pays, etc.) qu’il convient de concrétiser rapidement.
Nos soldats doivent sentir l’Etat et la nation derrière eux comme c’est le cas
ailleurs. Et, comme ailleurs, ils donneront le meilleur d’eux-mêmes au service
de nous tous.

208
Chapitre 4
2021 : L’espoir contrarié mais toujours vivace

209
210
Dans le Sahel, Terroriste ne veut pas forcement dire Terroriste !

L’annonce de nouvelles orientations données à la force Barkhane dans le Sahel a


suscité de nombreux commentaires et créé de l’émoi de part et d’autre de la
Méditerranée. A y regarder de près pourtant, les modifications significatives
annoncées apparaissaient, au-delà des éléments perturbants de la forme de leur
annonce, inéluctables.
L’opération Serval a été conçue pour faire face à des forces compactes qui
offraient l’avantage de pouvoir être affrontées presque de manière classique.
Après la libération du Nord du Mali, l’opération Barkhane a été montée pour
accompagner l’Etat et l’armée malienne, puis celle des autres pays du Sahel à
conquérir, et à occuper les espaces abandonnés tout en continuant à traquer les
groupes terroristes restés présents. Cette forme d’intervention s’inscrit
forcément dans un temps plus long et surtout s’engage dans des dynamiques
incertaines, car sa réussite dépend grandement d’autres acteurs, et implicitement
d’actions qui ne sont pas seulement militaires. Cette réalité, sans doute sous-
estimée au départ, s’est peu à peu imposée aux décideurs français.
La réorientation annoncée au début de l’été 2021 était fort prévisible, même si la
volonté d’obtenir des résultats militaires significatifs pour donner l’impression
de partir sur des notes positives a différé le temps d’annonce des changements.
Cette réorientation n’est pas négative dans la mesure où elle repose sur deux
évidences stratégiques, celle d’internationaliser l’action française en y associant
d’autres pays à travers le dispositif Takuba, et surtout celle de responsabiliser les
armées du Sahel en les mettant en première ligne ! Ce défi mérite d’être pris en
compte et il convient de travailler à le relever, et pour les partenaires dont la
France, ils doivent s’inscrire dans l’appui et l’accompagnement en seconde
ligne.
L’accompagnement des armées sahéliennes aidera à contenir l’insécurité et à
maintenir une pression militaire qui est une composante importante de la lutte
contre le terrorisme dans cet espace. Cependant, cette seule composante ne
suffira pas, loin de là ! Elle doit être complétée par de nombreuses autres
initiatives propres aux Etats basées sur les réalités reflétées par les visages de
ceux qui sont uniformément considérés comme des terroristes.

211
Ces facettes méritent d’être analysés avec une certaine finesse et une grande
profondeur pour imaginer les réponses variées et adaptées à apporter aux enjeux
qu’ils soulèvent. Cet effort d’analyse n’est pas encore suffisamment fait par les
Etats sahéliens et par leurs partenaires.
Participent à l’action des groupes retenus comme terroristes dans la zone, des
centaines de combattants avec des motivations et des objectifs nombreux et
variés. Il est indéniable que des combattants s’inscrivent clairement et sans
ambigüité dans le terrorisme islamiste orienté contre l’Occident même s’ils
n’ont pas vraiment les moyens de le frapper. En revanche certains d’entre eux
s’inscrivent dans l’action terroriste islamiste ciblant plutôt les ordres socio-
politiques et économiques locaux. D’autres ont simplement la volonté de punir
l’autorité étatique et administrative perçue injuste et inéquitable. Certains
veulent se protéger et protéger leur famille là ou d’autres désirent seulement
avoir un salaire. Il n’est pas nécessaire de citer tous ceux qui suivent juste des
mouvements ou répondent à l’invitation de leurs proches. Le dénominateur
commun de la majorité de ces combattants est leur ancrage local et, souvent,
leur ambition préalablement locale. Cela leur confère un avantage en termes de
connaissance des milieux dans lesquels ils opèrent et, dans certaines mesures, un
certain soutien des populations.
L’utilisation de la seule force armée contre des acteurs de ce type ne peut réussir
au mieux qu’à maintenir un certain statu quo dans les rapports de force et au
pire, à créer des conditions nouvelles pour que d’autres jeunes rejoignent les
rangs des groupes terroristes au gré de certaines conséquences indésirables des
actions militaires (exactions, bavures, etc.).
Dans le nouveau contexte créé par les changements de forme d’intervention des
armées partenaires dans le Sahel, il est indispensable d’encourager les Etats
sahéliens, notamment le Mali, à s’engager vers la combinaison de plusieurs
autres interventions, parallèlement aux pressions militaires, pour se donner
davantage de chance face à ce qui s’apparente plus à de l’insurrection qu’à un
terrorisme islamiste classique. Et ces Etats disposent de capacités endogènes
qu’ils doivent associer à cette démarche.

212
Il leur faut une présence accrue, progressive et intelligente de l’administration
animée par un esprit de service aux populations ainsi que d’équité et de justice
dans toutes les interventions. Dans cette action, les autorités locales
décentralisées, mieux acceptées que les représentants de l’Etat, sont à mettre en
avant. Elles ne doivent pas hésiter à avoir recours aux ressortissants des localités
pour assurer les services publics aux populations.
Les Etats devraient ensuite impliquer leurs légitimités traditionnelles et
religieuses locales ainsi que tous les leaders locaux influents et crédibles. Leur
rôle consisterait à prendre langue avec les jeunes engagés dans les groupes
d’insurgés pour leur offrir des portes de sortie honorables en lieu et place de la
poursuite d’aventures destructrices et stériles. Les programmes locaux adaptés
de Désarmement, Démobilisation et de Réinsertion (DDR) sont à prévoir dans
l’ordonnancement juridique national à l’image de la Loi de concorde civile
votée en Algérie en 1999.
Il faut enfin que les Etats, à moyen terme, s’engagent dans de profondes
réformes de décentralisation qui confèreront des prérogatives permettant aux
localités de prendre des mesures d’ordre socio- politique adaptées à leurs
contextes. Cela ne remettra pas en cause la laïcité de l’Etat central mais aura
comme avantage d’adapter l’organisation et le fonctionnement de certains
domaines de la vie publique aux souhaits des populations. C’est d’ailleurs
l’esprit de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale issu du processus
d’Alger en ses chapitres 2 et 3 qui mettent l’accent sur des mesures permettant à
l’Etat de s’adapter aux diversités du pays.
Il est indispensable d’accompagner le Mali dans cette direction et de soutenir
l’Etat malien et les Etats sahéliens à gagner la vraie bataille, celle de la conquête
du soutien de leurs populations. C’est le seul gage de réussite de la campagne de
lutte contre les extrémistes violents qui utilisent la religion comme outil de
combat.
C’est sans doute une œuvre complexe et de longue haleine. Mais c’est
également un défi de taille qui permettra d’offrir une autre alternative que de
devoir plier bagage à la hâte, comme le retrait américain de l’Afghanistan l’a
démontré, après des années d’efforts importants sans résultat. La France et les
partenaires du Sahel ont la capacité d’accompagner les Etats de cet espace à
engager des changements majeurs de mode d’action contre le terrorisme.

213
Vaudront-ils ou pourront-ils dépasser et/ou remettre en cause certaines de leurs
positions pour emprunter cette voie ? Les mois à venir nous le diront.

Article co rédigé avec Mr Loïc Tribot la SPIERE


Délégué Général du Centre d’Etude et de prospective stratégique
www.ceps-oing.org

214
Edito : La Presse malienne, le pari de la vraie indépendance !

Il y a une réalité incontestable au Mali, c’est la liberté réelle dont jouit les
acteurs de la presse. La presse malienne se caractérise par une variété importante
d’acteurs et une diversité significative des services offerts. Ces acteurs occupent
l’essentiel des crédos professionnels généralement reconnus. Le développement
des technologies d’information et de communication a entrainé une réelle
démocratisation de la profession.
Les maliens sont maintenant habitués à un paysage constellé de web tv, de
chroniqueurs sur les réseaux sociaux, d’activistes de toutes sortes ou
d’influenceurs aux cotés des acteurs classiques de la presse. Les producteurs
d’opinion par vidéo jusqu’au simple citoyen qui constatent et informent,
complètent ce tableau lequel consacre un réel foisonnement de la production et
de la diffusion d’information dans notre pays. Il est vrai que la qualité du travail
n’est pas toujours à hauteur de souhait et que la véracité des faits relayés n’est
pas toujours fondée, mais cette situation est fondamentalement positive, au-delà
des dérives qu’elle entraîne.
L’auto régulation de la profession est encouragée par les autorités publiques qui
garantissent une forte présence des professionnels au sein des institutions en
charge du contrôle. Il faut également noter une relative mansuétude de la justice,
sauf si ce sont les magistrats qui sont pris à partie, à l’égard de la presse. Cela
est satisfaisant, il faut s’en réjouir et cette tendance devrait être maintenue.
La liberté de presse constitue donc indéniablement le socle le plus solide de la
démocratie malienne.
Il convient de la renforcer et donner à la presse les moyens de la vraie
indépendance, celle qui mettra ses animateurs à l’abri de la précarité sur tous les
plans. Dans cette perspective, un vrai partenariat doit réunir les pouvoirs publics
et les acteurs de la presse afin de conduire quelques chantiers significatifs.
Le premier de ces chantiers est de donner un contenu au concept de journaliste.
Nous devons convenir des critères d’accès à la profession (formation,
expérience…), des exigences à respecter, du plan de carrière, des droits…bref il
faut un véritable statut pour les journalistes et une convention collective
complète pour le secteur.

215
Ce dispositif n’est pas destiné à lutter contre les nombreux autres acteurs, dont
des citoyens qui produisent et/ou diffusent de l’information. Ceux-ci doivent
exister et cela constitue une bonne respiration pour la démocratie. Cependant il
faut impérativement protéger et promouvoir les professionnels de l’information.
Le second chantier est celui de la mise en place d’un dispositif de soutien à
l’édification d’entreprises de presse et de groupes solides de presse multimédias.
Il faut pour ce faire des règlementations adaptées à la profession, un dispositif de
financement approprié, des mesures fiscales incitatives, un système durable de
subvention publique au même titre que le financement des partis politiques. Il
faudra sans doute un système de contrôle plus efficace pour valider la pertinence
de l’utilisation de ressources publiques.
Dans la même direction, nous devons créer les conditions pour que la presse
devienne une affaire d’opérateurs économiques, réduire considérablement le
champ de l’audiovisuel public et s’orienter vers sa mutation en acteur privé.
Parallèlement à cela, il faudra instaurer des rapports de collaboration efficients
entre l’Etat, les collectivités publiques et les acteurs de la presse au moyen de
conventions de partenariat instaurant des missions de service public pour ces
opérateurs privés (éducation, formation, sensibilisation, soutien aux productions
nationales…) à travers des cahiers de charge précis. On fera ainsi une liaison
pertinente entre la nécessité de réaliser des profits et le devoir de contribuer à
l’éveil citoyen des populations. Nous mettrons ainsi l’accent sur la particularité
de la presse qui est certainement une activité à part pour la collectivité.

216
Qu’il était bon le temps de la guerre froide !

En à peine trente ans, l’humanité a été témoin de la mutation de la toute


puissante OTAN (Organisation du traité de l’atlantique nord) d’une organisation
triomphante, crainte et surtout désirée, notamment à l’Est du rideau de fer, en
une masse en état de « mort cérébrale » selon les termes du président français.
Ce recul de l’OTAN dans l’estime de ses propres membres constitue l’une des
illustrations les plus évidentes des doutes qui minent le camp occidental quant à
ses perspectives géostratégiques ou simplement à son avenir.
Le monde occidental constitue d’abord un espace, celui allant de l’Europe de
l’Ouest à l’Amérique du Nord, autour de l’Océan atlantique. Il vise également et
surtout un camp, celui qui s’est opposé à l’ex URSS. Le camp de la liberté, selon
ses membres, qui a fini par défaire l’empire soviétique et le communisme
international, au moins en termes économique et de bien-être. Il a ainsi pu
installer sa domination sur la planète en la façonnant à son image, notamment
lors des trente dernières années. Son modère économique, sur fond de
libéralisme et d’ouverture aux autres, son modèle démocratique basé sur le choix
souverain des peuples quant à leur leadership, forment encore les normes
internationales dans ces domaines. L’occident a fait rêver et constitue encore un
phare pour de nombreuses nations de part le monde.
Ce temps de domination absolue, comme à d’autres époques pour d’autres
dominants, est en train d’évoluer et de refluer. Aujourd’hui, l’occident voit sa
puissance économique décroître en proportion de la puissance globale. Le PIB
occidental est ainsi passé, en une génération, en dessous du tiers de la richesse
mondiale contre plus de la moitié au moment de la toute-puissance de cette
partie de la planète, au sortir des trente glorieuses. Cette part dans la richesse
planétaire serait encore plus réduite si on excluait les secteurs des services.
L’industrialisation, notamment le secteur manufacturé, qui a illustré la toute
puissance des économies occidentales et qui s’y est traduite par un taux de
chômage quasiment nul, s’est ainsi déplacé vers l’Asie. La croissance et les
emplois ont également suivi ce mouvement ! Illustration de ces
bouleversements, le G20, groupe des vingt pays les plus développés, a supplanté
le G7, à forte majorité occidentale, dans la gouvernance économique globale.
D’autres invités sont de ce fait apparus à la table de banquet des puissances
économiques.
217
Le recul démographique est encore plus marqué que celui de l’économie. Ce
repli se traduit par un vieillissement rapide de la population, certains pays
comme l’Allemagne déclinant dangereusement. Cet affaiblissement a été
douloureusement mis en évidence par un plus grand nombre de victimes du
coronavirus en proportion de la population dans cette partie du monde
qu’ailleurs. Cela, malgré une organisation et des moyens sanitaires plus
conséquents. Le vieillissement contraint les décideurs à ouvrir les pays aux
migrants, au moins ceux ayant des compétences et pouvant être productifs. Ce
qui n’est pas et ne sera pas sans conséquences sociales.
Sur le plan militaire, d’autres puissances s’affirment désormais, y compris sur
les théâtres d’opération. C’est le cas de la Russie, de la Chine mais aussi de la
Turquie. Malgré les moyens militaires encore très dominants du monde
occidental avec les Etats-Unis largement en tête, la volonté de puissances
concurrentes s’illustre dans certaines zones de tensions comme en Syrie, en
Libye ou encore en mer de Chine. Elles arrivent même à évincer quelques fois
les puissances occidentales qui peinent de plus en plus à s’entendre et à
collaborer.
Il en est également le cas sur le plan technologique et de manière générale sur le
plan de l’influence, le domaine où les valeurs occidentales ont été longtemps
sans rival. Des modèles alternatifs de gouvernance, de démocratie et de culture
populaire font jour et sans complexe ! Dans certaines situations, les tenants de
ces modèles n’hésitent pas à mettre le doigt sur les insuffisances occidentales et,
quelques fois, sur leurs manquements aux règles officiellement promues. Les
récents troubles électoraux aux Etats-Unis, avec l’envahissement du Capitole,
ont été ironiquement montrés du doigt comme synonymes de l’imperfection de
la démocratie libérale occidentale. Au cœur même de l’Europe, certaines valeurs
longtemps promues sont remises en cause par des régimes qui tournent
ouvertement le dos à la conception occidentale de la gouvernance publique.
Ces évolutions caractéristiques de la réduction de l’influence
multidimensionnelle occidentale s’expliquent par certains facteurs majeurs, dont
l’occident lui-même est à l’origine. Le premier est la mondialisation et son
corolaire de libéralisme économique et d’ouverture des pays. Ces phénomènes
ont été à la base d’un accroissement significatif de la croissance économique
mondiale et à l’apparition de nouveaux acteurs majeurs. Depuis la seconde
guerre mondiale, le PIB mondial double à chaque génération en moyenne, avec
218
une accélération entre les années 1980 et 2000. Cela s’est traduit par une
amélioration significative de la qualité de vie et une réduction sans précèdent
historique de la pauvreté. L’occident a piloté cette globalisation, en a été
l’inspirateur principal et a fixé majoritairement les principales règles qui l’ont
régie. Cependant, la nouvelle donne a fini par être plus profitable à la Chine et à
l’Asie d’une part et à des pays comme le Brésil, l’Inde ou la Turquie de l’autre.
L’élargissement du cadre de gouvernance multilatérale, en donnant la voix à ces
nouveaux acteurs, a ouvert le champ de la contestation des puissances établies.
Les pressions pour refonder l’organisation des Nations Unies participent de cette
contestation des nouveaux acteurs globaux. Leurs interventions dans le cadre
des négociations multilatérales sur le climat également. Le second facteur est le
recul progressif des Etats Unis d’Amérique et la focalisation de leurs attentions
sur des enjeux domestiques. Cette situation n’est pas le fait du Président de
Trump mais correspond à une lame de fond majeure de la politique américaine
lors des derniers mandats présidentiels, au moins ceux de Bush et Obama. Les
Américains sont et seront concentrés sur leurs intérêts, moins sur ceux de la
planète. Cette lame de fond trouve une illustration évidente dans la nouvelle
politique de l’administration Biden, celle du « Made in all of America ». Autre
exemple, sur le plan militaire, il n’est pas évident que cette administration
revienne sur certains choix de son prédécesseur, notamment le départ de
militaires d’Allemagne ou encore la réduction de l’influence de l’OTAN. Ces
deux facteurs sont puissamment installés dans l’environnement international, ce
qui laisse supposer que la tendance actuelle se poursuivra.
L’occident doute ainsi et commence à s’interroger sérieusement sur les
perspectives. Cela est d’autant plus prégnant qu’au sein même de ses pays, il
commence à apparaître des symboles de déséquilibres internes inquiétants. Ce
qui ajoutera sans doute aux interrogations sur son sort et celui du monde tel qu’il
l’a façonné. Dans la plupart des pays occidentaux, certains plus concernés que
d’autres, il apparaît des inégalités fortes et de plus en plus intolérables entre les
classes sociales et entre les territoires qui font le lit d’extrémistes et de
populistes de tous acabits. La richesse globale des nations a masqué le
décrochage de pans entiers des sociétés. Le chômage de masse a transformé
certains territoires en ghettos et en zone de replis multi dimensionnels.
L’incapacité des Etats et des organisations politiques à répondre aux
préoccupations des populations a ouvert la voie à la radicalité politique et aux

219
dirigeants aux profils atypiques dont certains occupent les fonctions suprêmes.
Ces défis économiques, socio culturels et politiques forment l’un des enjeux les
plus difficiles à adresser pour le monde occidental pendant les prochaines
décennies. La peur du décrochage global, le sentiment de submersion illustré par
le rejet de l’immigration et de ce qui est différent risqueront de structurer une
partie de la vie politique et publique des pays occidentaux.
Dans le cas particulier de l’Union européenne, une organisation pourtant
admirée de par le Monde, ses propres membres semblent la rejeter et lui imputer
toutes les responsabilités dans les crises évoquées. Elle est politiquement inerte.
Elle n’arrive pas à orienter ses membres de manière stratégique. Elle doit se
réinventer et se découvrir un nouveau destin. Mais elle ne peut le faire que si ses
membres le veulent vraiment et se montrent disposer à en supporter les efforts.
Voilà ainsi le Monde occidental qui doute de lui-même alors qu’il possède
pourtant l’essentiel des atouts lui permettant d’influencer la marche du globe
pendant encore de nombreuses décennies. Pour cela, il doit d’abord se
convaincre de cette réalité tangible. De nombreuses situations l’illustrent.
L’occident comprend encore la plus forte concentration de pays dont les revenus
moyens sont les plus élevés tout en donnant à leurs populations les soins,
l’éducation et la formation ainsi que les sécurités (sociales, physiques, etc.) les
mieux garanties au monde. Si sa domination ne sera plus celle d’il y a trente ans,
il reste toutefois leader dans la plupart des domaines de l’activité humaine.
L’occident reste toujours un modèle, même non avoué, par les autres nations. La
planète s’exprime principalement dans les langues occidentales notamment sur
le plan des relations internationales (anglais, portugais, espagnol, français).
Nous nous habillons majoritairement en mode occidental, aussi bien en
Amérique latine, qu’en Afrique ou en Asie, y compris en Chine ! Les touristes
voyagent majoritairement vers l’occident. L’Espagne, la France ou les Etats unis
demeurent toujours les destinations privilégiées par les visiteurs venus
d’ailleurs. Nous magnifions toujours la culture occidentale. L’industrie de la
culture, le divertissement ou encore le cinéma sans mentionner les arts et lettres
demeurent globalement des monopoles occidentaux. Les imaginaires collectifs
restent encore fortement imprégnés par les créations occidentales. Les réfugiés y
cherchent protection. Il est globalement retenu qu’on y bénéficie davantage de
sollicitudes qu’ailleurs. Et qu’on y rencontre de meilleures opportunités
également. La science et les technologies, dans leurs formats de recherche ou
220
selon leurs applications pratiques, demeurent sous l’égide d’acteurs situés dans
cette partie du Monde. Cela s’explique principalement par le fait que les
meilleures universités selon chacun des deux classements majeurs (QS et Times
Higher Education) y sont logées. Cause ou résultante de cet avantage majeur, la
majorité des lauréats de prix Nobel demeurent encore occidentaux.
L’Occident n’est donc pas à plaindre. Gageons qu’elle saura trouver les
ressources pour réduire ses déficits internes et les tentations centrifuges de
certains de ses membres pour trouver les voies et moyens permettant de
participer à la marche du monde dans le souci d’une plus grande harmonie entre
les nations.
Il nous reste néanmoins à nous préoccuper des effets perturbants de
l’environnement international en cours d’installation et dont les lignes de fonds
sont visibles. De nouveaux acteurs internationaux sont à prendre en
considération. Certaines entreprises privées disposent de puissances financières
et d’influences leur conférant un rôle global. Les puissances moyennes ayant des
ambitions de se constituer un espace d’influence, seront de plus en plus
nombreuses et donc de plus en plus rivales. Cela sera sources de tensions voire
de conflits locaux ou régionaux. La paralysie des instruments multilatéraux de
gouvernance risque de se poursuivre et même de s’accroître, surtout si les
puissances antérieurement dominantes persistent dans le maintien de certains
postulats surannés.
Le monde devient peu à peu polycentrique et cette polycentricité est moins
rassurante et donc plus déstabilisante qu’un duel entre deux mastodontes,
comme c’était le cas de la période post seconde guerre mondiale jusqu’à la chute
du mur de Berlin.
L’humanité est en train d’inaugurer une période post domination occidentale,
théoriquement multilatérale, mais qui ne rassure pas et ne rassurera pas. Il suffit,
pour s’en convaincre, de voir comment les nations ont réagi à la pandémie
COVID 19 et comment elles sont entrain de gérer la question de la vaccination.
Les égoïsmes, y compris de la part de grandes puissances, prévalent. Les
puissances régionales ou globales n’hésitent pas à adopter des attitudes
profondément égoïstes quand leurs intérêts immédiats sont en jeu et se soucient
peu d’images ou d’influences à moyen terme. Cela ressemble à un « chacun

221
pour soi » qui devient peu à peu structurel et même structurant des relations
internationales.
Un adage malien précise que : « quand le vent souffle, chacun met la main
d’abord sur son couvre-chef ». C’est cette ère que nous vivons et elle risque de
durer longtemps !
Nous sommes ainsi entrés dans un temps où la seule certitude est qu’il n’y aura
presque rien de certain ! Or l’incertitude est ce qui fait peur, en occident ou
ailleurs. On en vient presque à regretter le temps de la guerre froide et de ses
constantes.

222
Face à la terreur, il faut de l’intelligence

Pour réduire significativement l’impact terroriste au Mali et dans le Sahel, nos


Etats sont dans l’obligation d’intégrer le fait que les forces étrangères ne
sauraient suffire. Il leur est tout aussi indispensable de noter que le seul usage de
la force non plus ne suffira pas, au contraire ! Contre un terrorisme aux relents
insurrectionnels, nous sommes condamnés à rechercher constamment le soutien
des populations. Cela nécessite des stratégies dont certaines remettront
forcément en question d’importants paradigmes de fonctionnement de nos Etats.
Ceux-ci doivent intégrer la dimension de la communication et accorder une plus
forte importance au renseignement. L’utilisation de la presse et des radios
locales, le passage régulier des forces de sécurité et des agents publics sur les
plateaux, l’utilisation de langages accessibles aux populations, la collaboration
avec les autorités politiques et traditionnelles ou encore un partenariat avec les
sociétés civiles sont des pistes à explorer. Les milices locales sont à éviter car
elles sont contreproductives. Certains acteurs de ces milices, intégrés dans le
dispositif étatique, peuvent par ailleurs être utiles dans le renseignement. La
lutte contre les exactions éventuelles des forces régulières constitue un facteur
efficace de communication. Il convient de communiquer sur cet aspect, de
veiller à l’indemnisation des victimes et ne pas perdre de vue que les
populations sont des alliés et non des suspects.
Il faut mettre fin aux conflits intercommunautaires et à la stigmatisation
ethnique. Aucune communauté ne doit plus être ni ciblée ni indexée, au niveau
local ou national. Il convient d’ouvrir les discussions inter communautaires et
retenir l’échelle communale pour ce faire. Cela fut engagé avec succès, dans le
cercle de Koro avec le soutien d’ONG de médiation et déboucha sur la
conclusion d’accords locaux dans les communes de Barapireli, Koro, Dangatene
ou Madougou. Il faut en finir avec les grandes messes régionales qui ne
débouchent que sur des engagements, au final non tenus car les protagonistes
n’ont ni la volonté ni le pouvoir de les tenir. Les conventions locales conclues
entre les représentants légitimes des populations et garanties par l’Etat auront
plus de chance d’être appliquées. L’Etat doit avoir ensuite l’intelligence
d’orienter tous ces projets et programmes vers la satisfaction des attentes
exprimées à son égard dans les accords ainsi conclus. Il n’y a pas de doute que si
au Mali, on arrivait à conclure une entente dans chacune des 113 communes de
223
la zone de Mopti et que l’Etat mettait en œuvre les engagements qui lui
reviennent d’ici six mois, on ferait baisser les tensions et on créerait les
conditions d’une action plus efficace contre les groupes terroristes.
Le déploiement de l’Etat sur le territoire est un aspect qu’il faut poursuivre avec
vigueur et résolution. La prise en charge des engagements ne peut être effective
sans une présence satisfaisante de l’administration dans ces zones de tension. On
comprend le souci de sécurité des agents mais cela doit être surpassé. C’est
pourquoi il faut changer de fusil d’épaule en la matière. L’Etat doit
exceptionnellement envoyer dans une zone donnée, du personnel qui en est
originaire et cela à tous les niveaux (représentant administratif, justice, services
sociaux…). Ces agents sont davantage concernés par la stabilité et l’harmonie
dans leur contrée. Ils sont moins enclins à certaines attitudes reprochables,
seront mieux acceptés et seront donc plus en sécurité. Ils auront enfin une
meilleure perception des risques et seront donc moins enclins à se replier à la
moindre rumeur. Nous devons savoir remettre en cause certains dogmes
administratifs pour mettre en place cette dynamique dans toutes les zones
d’insécurité de nos pays, même s’il faut recourir à des recrutements spéciaux à
cette fin. Et pour le cas sensible de l’administration de la justice, il peut être
retenue des services mobiles et itinérants comme c’est le cas dans la Région de
Tilabery au Niger.
Il faut ensuite tendre vers la fourniture de l’ensemble des services de base, pierre
angulaire de la bataille pour gagner les cœurs de nos compatriotes. Les
administrations doivent fonctionner, et la satisfaction des attentes des
populations est à prioriser. A ce titre, la réponse aux doléances contenues dans
les accords de paix inter communautaires est une base à retenir. De manière
structurelle, l’Etat doit cibler le renforcement des voies de communication,
l’amélioration de l’accès aux zones et la question centrale de l’accès à l’eau pour
les populations et le bétail. Compte tenu de l’insécurité, l’utilisation de nos
services de génie militaire sera stratégique. Il faut les renforcer dans l’urgence,
les équiper et les doter en effectifs adéquats pour leur permettre de reprendre les
nombreux chantiers à l’arrêt et les achever rapidement, quel qu’en soit le
coût ! Les Etats doivent se réorganiser avec cette perspective. L’amélioration
des routes et des voies de communication sera un facteur clé de relance
économique, d’accroissement des interactions sociales et même d’amélioration
des actions sécuritaires.
224
Les actions militaires, dans le cadre de ces stratégies contre-insurrectionnelles,
doivent-elles aussi, sortir du cadre classique et s’engager dans la voie d’une plus
grande agilité de nos forces, et d’amélioration de leurs capacités d’anticipation.
Nous devons tendre vers la même souplesse que nos ennemis. Cela nécessitera
des unités plus légères et mieux aguerries. Les forces spéciales de nos armées
doivent disposer d’effectifs plus nombreux et l’amélioration de leurs
performances doit constituer une priorité. Le nombre de snipers (tireurs d’élites)
est à accroitre de manière significative. Nous devons donc appuyer les efforts
dans ce sens et orienter les appuis extérieurs vers ces directions. Cela permettra
à nos armées d’être plus adaptées au terrain. Des programmes rigoureux sont à
établir dans ce sens pour que, dans un court délai, on puisse disposer de forces
de ce type et en nombre de plus en plus important. C’est ce qui permettra à nos
Etats de changer de posture face aux insurgés, de prendre des initiatives, de
savoir infiltrer l’ennemi, le surprendre, porter l’affrontement dans son camp et
l’éloigner du nôtre et donc d’améliorer nos chances de succès.
Toutes ces initiatives seront conduites de manière résolue, sous l’égide de nos
institutions politiques avec un monitoring serré des actions de terrain. C’est à ce
prix que nous nous donnerons des atouts pour pouvoir suppléer à moyen terme
les forces étrangères et retrouver ainsi la plénitude de notre souveraineté sur nos
territoires. C’est également à ce prix que nous pourrons faire face durablement
aux actions terroristes avec lesquelles nous devrons malheureusement apprendre
à vivre.

225
226
Mali – France – Sahel
Sommet de N’Djamena : que faut-il en attendre ?

L’opération Barkhane semble, en ce moment, dans le creux de la vague. La perte


malheureuse de cinq soldats en une semaine, les difficultés d’opérationnalisation
de la force TAKUBA et celles encore plus grandes du G5 Sahel ont contribué à
cette situation. Il y a également l’impression d’un certain enlisement dans la
guerre contre le terrorisme. Les éliminations annoncées de terroristes succèdent
aux attentats lâches à l’engin explosif improvisé. Malgré les coups subis,
l’empreinte terroriste globale se maintient. Elle paraît même se renforcer avec
une inclinaison de plus en plus forte de certaines autorités sahéliennes à négocier
avec les terroristes. Le contexte de désamour persistant entre la France et les
opinions africaines et, cerise sur le gâteau, les sondages qui montrent, pour la
première fois, que l’opinion publique française est majoritairement contre
l’opération, contribuent enfin à assombrir les perspectives de cette opération
pourtant demandée par les pays sahéliens et encore bien soutenue par les Etats
concernés.
C’est le temps du doute et des questions importantes, illustré par de nombreux
titres d’articles dans la presse hexagonale et internationale qui sont globalement
critiques et portant des jugements quelques fois excessifs sur l’intervention de
l’armée française dans le Sahel.
La prévision d’un sommet entre la France et les pays du G5 Sahel à Ndjamena
en février 2021, ouvre la perspective de ces questionnements et, in fine, de
l’avenir de l’opération Barkhane dans le Sahel.
Le statut quo n’est pas tenable, il ne faut pas s’attendre à court terme à une
éclaircie sur chacun des fronts évoqués précédemment. Les seuls succès
militaires ne suffiront pas, au contraire ! Il y a un risque réel que d’éventuelles
pertes de soldats supplémentaires ne rendent Barkhane encore plus impopulaire
en France. Ce qui suscitera inévitablement des pressions plus grandes pour son
retrait. La période électorale qui s’ouvre dans le pays, est susceptible d’amplifier
ces débats et d’offrir un cadre propice aux surenchères populistes de tous ordres.
Il est de ce fait impératif d’anticiper les difficultés qui s’annoncent. Le prochain
sommet offre un cadre idéal pour cela.

227
De manière stratégique, il doit être assigné à l’opération Barkhane une piste de
sortie, assortie d’un chronogramme de retrait progressif. Cela passera par une
réduction des troupes en 2021 comme d’ailleurs annoncé. Cette réduction est à
faire suivre d’un plan de retrait sur une période donnée avec, à terme, la
réduction de l’opération en une présence de forces spéciales et un appui
opérationnel aux troupes du Sahel (renseignements, observations, soutiens
aériens divers). Le contexte est favorable à cette nouvelle orientation.
A partir de 2022, la France et l’essentiel des pays du Sahel auront des cycles
électoraux quasi concordants (2021 au Tchad et au Niger, scrutins effectifs en
Mauritanie et au Burkina, 2022 au Mali), ce qui offrira un contexte de stabilité
institutionnelle à l’engagement d’une véritable stratégie coordonnée, sur la
période 2022- 2025. Cela doit se traduire par une montée en puissance réelle et
vérifiable des Etats sahéliens quant au traitement du défi terroriste et sécuritaire,
parallèlement à la réduction progressive de la présence du partenaire français.
Le sommet de N’Djamena, outre les actions immédiates et opérationnelles
relatives aux dossiers en cours, pourra ouvrir la perspective de cette orientation
stratégique majeure qui voudra également dire que les Etats du Sahel doivent
s’engager davantage dans le traitement de leurs propres difficultés.
Ils doivent définitivement s’éloigner du syndrome du « pays faible à protéger »
ou encore de l’argutie de la « digue contre le terrorisme international menaçant
l’Europe ». Ils doivent le faire ensemble, mais ils doivent également enjoindre à
chacun d’entre eux, de faire sa part du travail. Dans ce domaine, le fardeau le
plus lourd revient à notre pays, le Mali.
L’Etat malien doit enfin se saisir du « dossier Mali » et s’engager de manière
déterminée dans son traitement. Il doit le faire avec une ambition stratégique,
celle de gagner enfin le cœur des populations maliennes. C’est la clé du succès
et cela est valable pour les autres pays confrontés à la donne terroriste.
Ce combat ne peut être mené ni par les forces étrangères seules, ni par les seules
forces armées maliennes. Il faut une action coordonnée de toutes les dimensions
étatiques ainsi qu’une forte implication du leadership du pays.
Nous avons à emprunter sans délai cette voie et le faire en retenant que la
présence de l’administration est indispensable pour gagner le soutien des
populations et que l’exercice de la justice est encore plus crucial pour atteindre
cet objectif. L’équité dans le fonctionnement de l’administration et ses rapports
228
avec les citoyens, la protection de ces derniers ainsi que la satisfaction de leurs
besoins demeurent prioritaires. Nous ne gagnerons cette guerre qu’à ce prix.
Nous devons impérativement monter en première ligne pour ce faire et obtenir
de nos alliés leurs accompagnements.
C’est à ce partenariat que le sommet de N’Djamena doit essayer de nous
convier. Un partenariat stratégique, avec le soutien de la communauté
internationale, sur base d’engagements précis de nos pays, assortis d’objectifs
tactiques mesurables à atteindre sur chaque période, est le seul à même d’offrir
un cadre idéal pour la résolution des problèmes sahéliens. Et permettre en même
temps que le retrait des troupes étrangères, dont Barkhane, ne soit pas considéré
comme un repli, voire une fuite !
Il est donc attendu que la rencontre de N’Djamena soit d’abord un moment
politique de vérité avant d’être un sommet militaire, avec un zest de vision
stratégique !

229
230
Assurer une meilleure représentativité des Maliens de l’extérieur !
Pour accroitre leur apport au pays

Les Maliens de l’extérieur représentent plusieurs millions de personnes et


apportent au pays des moyens indispensables à la survie de millions d’autres
compatriotes vivant sur le sol national. A ce titre, ils sont indispensables à la
stabilité et à la prospérité de notre pays. Ils pourraient être d’un apport encore
plus important si l’Etat exploite au mieux toutes les opportunités qu’ils offrent.
Cela passe par l’amélioration de leur système de représentation vis-à-vis des
autorités maliennes mais également vis-à-vis des autorités des pays d’accueil. Le
dispositif actuel reposant sur les conseils de base et le Haut conseil des Maliens
de l’étranger s’est progressivement sclérosé au point de susciter, presque
partout, des contestations extérieures et au sein de ces structures. Il s’est
également affaibli par une politisation importante finissant par discréditer
profondément ses responsables. Il a besoin d’être renouvelé et amélioré de
manière approfondie. Les échauffourées et procédures judiciaires qui ont
accompagné l’organisation des dernières assemblées générales du Haut conseil
des Maliens de l’extérieur illustrent le niveau de défaillance de ce système et
l’urgence de le réformer !
Le Gouvernement de transition a posé les jalons des réformes à travers la
définition du statut de Malien de l’extérieur et de retour d’émigration. Cela
permettra de fixer définitivement qui peut mériter ce titre et qui peut également
représenter nos compatriotes de l’extérieur. Le second niveau de réforme devra
porter sur leur représentation. C’est à ce titre que le Gouvernement envisage de
créer une nouvelle organisation des Maliens de l’extérieur.
Une autre option de réforme est possible et sans doute souhaitable. Elle se
basera sur des changements à tous les niveaux de représentation. Elle se traduira
par un dispositif de représentation dans les pays d’accueil et un autre dispositif
au niveau central. Elle pourra également comporter des suggestions sur d’autres
domaines en rapport avec la représentativité de nos compatriotes de la diaspora.
Dans chaque pays d’accueil, les Maliens doivent être représentés par des
citoyens exemplaires. La liberté d’association consacrée par la Constitution
malienne permet de créer ou de militer dans les associations de son choix. Il

231
n’est pas possible de limiter le nombre de groupements des Maliens de la
diaspora. Il n’est également pas souhaitable de les inciter à se regrouper dans
une superstructure associative. Cela ne fait que déplacer les problèmes des
membres au niveau de la structure faitière. Il convient donc de laisser les
citoyens animer autant d’associations qu’ils souhaitent et laisser coexister toutes
les structures y compris celles ayant vocation à être des regroupements
d’organisations (conseil de base, Conseil Supérieur de la Diaspora
Malienne/CSDM…). En revanche, l’Etat doit organiser le mode de désignation
des responsables des Maliens de la diaspora pour veiller à une représentation
légitime et efficace. Ce qui facilitera sa collaboration avec les Maliens de
l’extérieur dans chaque pays. Pour ce faire, il peut envisager quelques
innovations. Les membres de la diaspora peuvent être appelés à choisir tous les
5 ans des délégués élus nominalement parmi toute personnalité (indépendante ou
membre d’association) voulant représenter ses concitoyens de l’extérieur. La
liste électorale peut être soit celle des élections présidentielles soit le fichier de
tous les titulaires de la carte consulaire. Le nombre d’élus (de 3 à 25 par
exemple) dépendra de la population estimée de la diaspora malienne dans le
pays. Les élus formeront un collège des délégués de la diaspora malienne du
pays d’accueil, chargé de la représenter sur toutes les questions officielles,
publiques ou collectives. Le collège désignera un bureau avec au moins un
Président, un vice-président et un secrétaire.
Au niveau central, le dispositif sera une émanation des collèges des pays
d’accueil. Le choix des délégués élus par un vote transparent améliorera
fortement la représentativité et surtout la légitimité de ceux en charge de
travailler avec l’Etat autour de toutes les questions liées aux Maliens de
l’extérieur. Pour renforcer cela et donner un poids plus décisif à ce système de
représentation, il faut mettre en place une instance centrale. Ainsi, un conseil des
Maliens de l’extérieur peut être créé et composé par les délégués désignés par le
collège de chaque pays. Ce conseil peut être composé d’une centaine de
membres répartis entre les pays en fonction du nombre de Maliens qui y vivent.
Il aura un mandat de 5 ans. Le conseil fonctionnera comme une assemblée qui se
réunira une ou deux fois par an. Il mettra en place un organe exécutif de 25
représentants parmi ses membres. Cet organe élira un Président et son ou ses
vice-présidents. C’est cette instance et cet organe qui auront la charge de la
question des Maliens de l’extérieur pendant leur mandat et désigneront des

232
représentants à chaque occasion où cela est sollicité (membre d’institutions, de
commissions, d’autorités…). L’organe exécutif aura à sa disposition les outils
dévolus à cela et la délégation des Maliens de l’extérieur pourrait lui être
rattachée. Il aura un statut d’établissement public ou, mieux encore, d’Institution
consacrée par un texte, voire mentionnée dans la Constitution. Des textes
devront être pris pour mettre en place revoir les dispositifs existants et faciliter
la mise en œuvre des réformes nécessaires. Des moyens seront également pour
doter la structure de capacités (ressources matérielles, financières et humaines)
indispensables.
Le dispositif ainsi présenté n’est pas contradictoire avec la prise en compte des
Maliens de la diaspora dans d’autres institutions l’Assemblée Nationale, le
Conseil économique, social et culturel ou encore le Sénat. L’Institution
envisagée pourra nommer certains membres et d’autres pourront être élus
conformément à la Loi. Il est enfin complémentaire d’une réforme de notre
système consulaire en y accordant la priorité aux Maliens résidant à l’extérieur
pour pourvoir aux postes de consul.
Nos compatriotes de l’extérieur seront d’une importance stratégique pour le
Mali post crise et indispensables à la refondation souhaitée. Nous devons en être
conscients et engager ainsi une réforme profonde de leur système de
représentation pour qu’ils puissent mettre à la disposition du pays le potentiel
insoupçonné dont ils disposent.

233
234
Chapitre 5
2022 : L’après COVID, les sanctions de la CEDEAO, la
Guerre en Ukraine mais le Malien toujours debout !!!

235
236
Armer les civils pour défendre la patrie en danger est il nécessaire
de nos jours ?

Il y eut les brigades communistes en Asie ou en Europe pendant le XXe siècle.


Plus près de nous, nous voyons le service militaire obligatoire en Israël ou en
Ethiopie. Il y a également le cas des volontaires pour la défense de la patrie au
Burkina Faso, ou encore les réservistes aux Etats unis ou en Egypte, constitués
de millions de civils mobilisables le cas échéant. Il y a encore les milices
populaires sous différentes formes, le service national des jeunes ou
dernièrement la formation militaire de toute recrue dans la fonction publique
malienne. Ces différents exemples montrent quelques formes de mobilisation
des populations civiles pour notamment défendre leurs pays aux côtés des forces
de défense commises à cet effet.
Cette réalité repose sur l’idée que la défense nationale demande non seulement
l’implication des citoyens mais aussi celle de l’armée. Il est vrai que quand le
pays fait face à une grave menace, ou pire, quand il est engagé dans un conflit
majeur, la seule armée peut ne pas suffire et des mesures sont engagées pour
enrôler les forces vives comme en Ukraine, par exemple.
Certains pays vivent ainsi dans une situation ou le danger est permanent et le
risque de confrontation avec une puissance extérieure ou un voisin immédiat, est
élevé. Dans cette hypothèse, ils doivent se préparer et se tenir prêts à faire face à
un conflit à haute intensité, nécessitant une implication d’effectifs importants.
Comme en Corée par exemple.
Le dénominateur commun de ces mobilisations civiles, à un niveau variable en
fonction du pays, est qu’elles sont destinées à faire face à une menace et sont
donc proportionnelles à l’estimation de celle-ci par les autorités du pays
concerné. C’est donc la menace qui induit le niveau de mobilisation des
populations ainsi que sa profondeur.
Dans le contexte africain, la menace est-elle de ce fait bien évaluée ? En quoi
consiste-t-elle vraiment ? Et pour quel type de réponse en face ? Ces questions
sont utiles pour ensuite induire quelques suggestions en termes de mobilisation
des civils et/ou de préparation des armées conventionnelles.
Le paysage sécuritaire continental se caractérise par une réduction sensible des
sources de conflits entre les Etats. Les questions territoriales et de frontières qui
237
ont été à la base de nombreuses guerres (Burkina /Mali, Nigeria/Cameroun,
Ethiopie/Erythrée, Libye/Tchad…) sont en grande partie réglées par des voies
pacifiques. Il demeure toujours dans la zone des Grands Lacs ou encore au
Maghreb, quelques conflits larvés, mais en grande partie les risques de
confrontations armées, entre Etats, sont faibles et le seront probablement de
moins en moins dans le futur.
En revanche, les tensions sur le continent sont en grande partie le fait de groupes
armés, de rebellions, de terroristes, voire de bandits aux motivations variables
qui déstabilisent quelques Etats, voire des régions du continent. Ces menaces
sont d’ordre interne avec quelques fois des caractéristiques régionales comme la
donne terroriste dans le Sahel. Elles sont toutefois bien différentes des menaces
vécues dans la péninsule coréenne ou encore au Moyen Orient.
Il n’est pas sûr que la formation d’une réserve militaire constituée d’agents
publics ou de civils, soit nécessaire pour faire face à des groupes disparates,
souvent imbriqués dans la population, qui engagent des attaques dérobées et
recourent à des méthodes de harcèlement, plutôt que de faire face en grand
nombre aux forces nationales.
Il est de ce fait de moins en moins sûr que les Etats feront face à d’autres Etats ;
en revanche, ils devront plutôt composer avec une multitude de groupes armés
aux motivations variables et recourant à des stratégies de guérilla.
Il est souhaitable que nos Etats intègrent cela et anticipent plutôt une
intensification de cette guerre asymétrique qui nécessite d’autres moyens que la
constitution de divisions blindées ou de milliers de réservistes prêts à s’engager.
La réponse devrait être une plus grande professionnalisation des forces armées,
un approfondissement de la formation des militaires de métier, l’adaptation de
ceux-ci à une stratégie contre insurrectionnelle et la prise en compte des outils,
armes, équipements et infrastructures appropriés pour les nouveaux défis. En
somme, plutôt que la formation sommaire de 5 000 recrues annuelles de la
fonction publique, nous devrions approfondir et renforcer celle des 1 000 recrues
au sein des forces armées et de sécurité. Accorder plus de temps pour le
conditionnement physique, plus de maniement des armes, plus d’exercices de
simulations afin de s’adapter à des conditions extrêmes d’opération, etc. Les
ressources publiques, souvent insuffisantes, doivent être réaffectées à ce type de
priorités. La professionnalisation accrue de l’armée conventionnelle,
238
l’amélioration des conditions de travail des soldats, la spécialisation de ces
derniers pour des activités spécifiques au contexte (renseignement, immersion
en milieux hostiles, collaboration avec les populations, sabotages…) sont ainsi à
privilégier. Il faut éviter le saupoudrage voire le gaspillage, induits par les
formations sommaires et au rabais, données à des effectifs non motivés et encore
moins convaincus de la nécessité de leur implication.
Le futur sécuritaire africain doit surtout être à la dimension des menaces tout en
tenant compte des évolutions technologiques en cours dans d’autres
environnements. Il doit certes intégrer la place à donner aux sociétés africaines
en matière de collaboration et de partenariat avec les forces conventionnelles
pour sécuriser et stabiliser nos espaces. Cela ne signifie nullement de militariser
les civils.

239
240
(I)
Coups d’Etat en Afrique !
C’était pourtant prévisible

Les images d’hommes en uniforme, acclamés par les populations, font la une
des presses africaine et internationale. Dans de nombreux pays, pas seulement
au Mali, en Guinée ou au Burkina Faso où l’armée a pris le pouvoir, les
populations voient en leurs soldats des recours crédibles aux pouvoirs civils
élus. Une onde de choc parcourt en ce moment le continent, particulièrement
dans sa partie occidentale. Et elle remet en question certains principes qu’on
croyait immuables depuis le début des vagues démocratiques. Pourquoi ? c’est la
question qui revient dans les débats. Quelques explications évidentes paraissent
utiles à rappeler pour identifier certaines caractéristiques de nos systèmes
démocratiques et de gouvernance qui ont mis à mal la confiance de nos
populations et fait le lit des coups de force récents.
La démocratie vécue sous nos tropiques depuis quelques décennies est devenue
essentiellement électoraliste. En dehors des périodes électorales, les acteurs
politiques sont peu actifs. Les citoyens sont peu informés. Il n’y a pratiquement
pas d’interactions entre les élus et leurs mandants. La vie politique se rétrécit et
se concentre uniquement autour de la compétition électorale. Dans ce jeu, le
citoyen n’y trouve pas son compte et se détache de plus en plus de ce qui lui
apparait comme un exercice dont les élites sont les seuls vainqueurs et les
uniques bénéficiaires. Cet état de fait est paradoxalement renforcé par les
organisations internationales qui, dans leurs relations avec nos pays, mettent
davantage l’accent sur les élections que sur l’approfondissement de la
démocratie, la promotion des libertés, le renforcement des contre-pouvoirs ou
encore le soutien à la redevabilité des élites.
Les élections, en maints endroits se résument, quelques fois, en occasions de
validation des pouvoirs en place. Entre les fichiers électoraux de temps à autres
défaillants, l’utilisation des moyens d’Etat pour faire campagne, la politisation
de l’administration publique, les tripatouillages des procès-verbaux et autres
compilations des suffrages ou encore la vassalisation des cours de justice, le

241
citoyen lambda est de plus en plus dubitatif quant aux chances d’avoir des
élections véritablement crédibles.
Les partis politiques de par leurs attitudes, confortent malheureusement l’image
négative du système démocratique. Ils ont abandonné la mobilisation des masses
autour d’idéaux de justice et de prospérité collective. Peu portés sur les projets et
la volonté d’impacter la vie des citoyens, ils se sont concentrés sur les élections
et la conquête du pouvoir quoi qu’il en coûte. Ce qui aboutit à des attitudes
souvent contradictoires avec les discours tenus et à des collaborations
uniquement mues par la quête du pouvoir, sans considération pour la logique et
encore moins la morale. Les changements fréquents de positionnement des
responsables, la multiplication du nombre de partis, les divisions et querelles
intestines fréquentes finissent ainsi de les discréditer.
La place centrale qu’occupent les ressources financières dans le jeu politique, a
également porté un sérieux coup à la démocratie et à la confiance des
populations en son utilité. Il est quasiment impossible d’obtenir une
responsabilité importante dans les partis, être investi pour être candidat à une
élection ou gagner un scrutin sans débourser des sommes faramineuses. Cela
éloigne de la politique des prétendants vertueux et compétents et l’ouvre à
contrario à des individus peu recommandables mais richement dotés. Il en
résulte une course à l’enrichissement qui fait le lit de la corruption.
Les élites qui parviennent aux responsabilités grâce à leurs moyens financiers en
deviennent égoïstes, méprisantes à l’égard de la population et convaincues que
celle-ci serait « achetable » à souhait.
Il est vrai qu’elles sont confortées en cela par une société elle-même
progressivement vassalisée et qui les y encourage. Il en résulte une défiance
encore plus profonde des populations, notamment les plus démunies, à l’égard
d’un système politique qui les ignore. Il en résulte également des services
publics inefficaces et non engagés à répondre aux attentes des usagers. Des
responsables qui ne prendront même pas la peine de travailler et de
communiquer avec les citoyens qu’ils sont pourtant chargés de servir. Ce tableau
est généralement ce qu’on constate chez nous depuis de nombreuses années.
Au même moment, l’urbanisation et l’accroissement démographique aidant,
dans un contexte d’accès important à l’information grâce aux nouvelles
technologies, apparait partout une jeunesse urbaine très nombreuse, désœuvrée,
242
peu formée, manipulable et particulièrement sensible aux discours simplistes et
complotistes. Les élites méprisantes, les administrations inefficaces, les élus
calfeutrés voire les organisations internationales et les puissances étrangères
forment ainsi des cibles idéales pour cette jeunesse et ceux qui essaient de
l’exploiter politiquement. Ce phénomène est très présent dans les capitales qui
en deviennent facilement frondeuses contre les pouvoirs installés et forment les
premiers soutiens aux coups de force militaires.
Dans le contexte sahélien, avec une donne terroriste qui ébranle les fondements
sociaux des Etats concernés, les nombreux conflits mettent encore plus en
lumière les failles décrites précédemment et accroissent les fragilités étatiques
mais aussi et surtout la défiance des populations. Les pouvoirs civils y sont
accusés d’inefficacité. Il n’est ainsi pas étonnant que les coups d’Etat militaires
soient constatés dans deux de ces Etats (Burkina FASO et Mali) et que dans un
troisième (Tchad), le contexte sécuritaire soit évoqué pour la prise de pouvoir
par l’Armée avec le soutien du parti au pouvoir lui-même mais également de la
communauté internationale.
C’est également dans le contexte sahélien que les militaires qui paient un lourd
tribut à la situation sécuritaire, apparaissent davantage comme victimes. Ce qui
leur confère une certaine légitimité auprès des populations qui les considère
ainsi comme un recours potentiel face aux périls.
Les leaders politiques et civils, pris en étau entre leurs propres insuffisances et
les nombreuses accusations plus ou moins fondées contre eux, sont actuellement
dans le creux de la vague. A certains endroits, ils sont contraints de laisser la
place aux militaires portés par la volonté des populations de tenter cette
alternative qui n’est évidemment pas sans danger, comme cela sera présenté
dans le volet II de la présente contribution.

243
244
(II)
Coups d’Etat en Afrique !
Les risques que le coup n’emporte ses auteurs

L’assertion selon laquelle les révolutions « mangent » leurs enfants est vérifiée
en de nombreuses circonstances. Elle est également valable pour les putschs
militaires et de nombreux exemples l’attestent. C’est pourquoi, les auteurs de
coups d’Etat, même fortement soutenus par les populations, doivent avoir cela à
l’esprit. Et ce, pour éviter de figurer parmi les nombreux auteurs de coups de
force finalement emportés par les suites de leurs actions. Ce qui, dans leur cas,
serait évidement dommageable pour leurs pays respectifs. Dans cette optique, il
est souhaitable de rappeler les nombreux facteurs qui finissent par causer la
perte des auteurs de coups d’Etat. En essayant d’éviter ces écueils, ou en
minimisant leurs impacts, ils amélioreront sans doute les chances d’une sortie
par le haut des situations créées par leur apparition sur la scène politique.
Les coups d’Etat, conséquences malheureuses de situations socio-politiques
souvent désastreuses, sont presque toujours applaudis par les populations. Cela
est fort logique. Le premier risque pour les auteurs de Putschs est de tenir ce
soutien pour acquis ou de se tromper sur son niveau réel ou encore ses
déterminants les plus pertinents. Ils devraient suivre attentivement ces différents
paramètres et en mesurer objectivement le niveau et son évolution.
Une autre caractéristique des coups de force, est la ruée des profiteurs de tous
acabits vers les princes du jours. Dans cette catégorie, il y a d’abord les
politiciens sans scrupules et/ou revanchards. Souvent perdants lors des élections,
ceux-ci voient dans le putsch une occasion de prendre leur revanche et la seule
chance pour eux d’exercer des responsabilités. Il y a également de nombreux
acteurs de la société civile à la recherche d’opportunités. Il y a aussi des
hommes d’affaires souhaitant garder leurs faveurs et privilèges. Le
dénominateur commun de ces acteurs est la volonté de mettre à profit cette
période exceptionnelle pour améliorer leur sort personnel. Ce qui est
évidemment aux antipodes des attentes populaires. Avec de la lucidité, les
décideurs sauront très facilement identifier ces fossoyeurs du changement. Il
faudra ensuite avoir le courage de les tenir à distance. Ce qui n’est pas aisé, car

245
ils figurent généralement parmi les soutiens les plus audibles et les plus visibles
des coups de force.
La famille, les proches, les camarades de promotion, les différents liens sociaux
des auteurs du putsch agissent souvent pour les persuader de garder le pouvoir
car, selon eux, ils peuvent, seuls, sauver la nation. Ce mythe du sauveur qui a
perdu moults dirigeants civils peut facilement rattraper les militaires. D’autant
plus que les pays concernés sont face à des dangers sécuritaires significatifs. Les
putschistes doivent davantage intégrer la complexité de nos pays, de nos sociétés
et de leurs contextes. Ils doivent avoir l’humilité de reconnaitre que la période
exceptionnelle pendant laquelle ils exercent leur magistère est aussi remplie
d’incertitudes. Par définition, ils n’ont pas préparé leur accession à ces hautes
fonctions et ne disposent pas de projets détaillés pour faire face à tous les défis
des pays concernés. Ils ne sont pas familiers avec les réseaux de pouvoir et les
systèmes administratifs et publics qui gouvernent nos collectivités et encore
moins aux rapports quelques fois complexes avec la société ainsi que les
négociations et compromis à construire à chaque instant pour faire avancer les
chantiers. Autrement dit, ils doivent savoir que ce n’est pas simple !
La période d’exception consécutive au coup d’Etat est une période d’opportunité
pour de nombreux autres adeptes du clientélisme et des fraudes de toutes sortes.
Les repères étant brouillés et les hiérarchies diffuses, des citoyens seront tentés
d’utiliser leurs relations pour obtenir des nominations complaisantes de proches
ou la poursuite des pratiques malsaines au détriment des ressources publiques.
Autant de faits reprochés aux régimes défunts. Il convient de prendre garde à
cela.
Les réseaux sociaux et internet ont démocratisé l’information mais également les
fausses nouvelles, la propagande et les accusations non fondées. Ils sont mis au
service de politiques de désinformation, de manipulation et de nombreux
arrangements avec la vérité. Cette dernière finira par s’imposer et la réalité
rattrapera immanquablement les menteurs de tous acabits. Les dirigeants
militaires des transitions politiques doivent intégrer cela et éviter soigneusement
d’inscrire leurs actions dans ces directions sans issue.
Dans la même veine, il existe une forte tentation d’utiliser les ressentiments
populaires à l’égard des organisations internationales ou des puissances
étrangères. Tirer sur cette corde, au motif de quête de souveraineté, peut amener
246
le pays à se détourner de ses partenaires et s’inscrire dans une voie difficilement
tenable. Surtout que ces décisions sont souvent prises sous le coup de l’émotion
sans véritable stratégie murement réfléchie. Le coup d’Etat est intrinsèquement
synonyme de fragilité. Ajouter de la fragilité à la fragilité peut impacter les
populations et les amener à constater que l’espoir suscité accouche finalement
de désagréments supplémentaires.
Les insatisfactions populaires peuvent conduire à des contestations. Les forces
socio-politiques peuvent s’opposer à l’ordre militaire ou militaro-civil issu du
coup d’Etat. Face à ces initiatives, il existe des risques de réaction
disproportionnée des forces de l’ordre pouvant constituer des dommages
majeurs. Il en est également des nombreuses tentations attentatoires aux libertés,
les intimidations contre les médias ou les leaders d’opinion,
l’instrumentalisation de la justice, etc. En résumé, la période exceptionnelle peut
ouvrir la voie vers l’autoritarisme, ce qui serait une erreur importante car les
populations, bien qu’ayant souhaité le putsch, peuvent rejeter les atteintes
éventuelles aux libertés.
Il existe enfin des risques réels de tension au sein des cercles militaires
dirigeants. Les nominations de certains à des postes prestigieux aux dépens
d’autres plus méritants, les frustrations de militaires sur le terrain face à d’autres
confortablement installés dans les bureaux climatisés, les pressions de toutes
parts face à l’adversité inhérente aux responsabilités dans un contexte difficile,
constitueront des sources de tensions entre les dirigeants. Le risque de réplique
et de rupture est réel. Il est souhaitable d’en avoir permanemment conscience et
donc de travailler à les minimiser.
Cette période exceptionnelle peut ainsi se révéler rapidement dangereuse pour
ses dirigeants. S’ils sont conscients de ces pièges, ils peuvent les éviter et
achever leur mission de manière heureuse pour leurs pays et pour eux-mêmes.
Ce sera l’objet du volet III de la présente contribution.

247
248
(III)
Les Coups d’Etat en Afrique
Comment en sortir de manière heureuse ?

Les responsables de juntes militaires l’affirment tous dans leurs déclarations.


Les transitions qu’ils ouvrent constituent des parenthèses destinées à être
fermées. Ils savent que le temps des régimes militaires est révolu et qu’il ne sera
pas possible de poursuivre indéfiniment l’expérience, même à la demande des
populations. C’est pourquoi ils retiennent des chronogrammes vers la fin de la
période transitoire. Ils sont également conscients que la façon de sortir du
pouvoir déterminera pour une large part leurs perspectives personnelles. Pour
que la période d’exception soit gérée au mieux et qu’elle s’achève dans les
meilleures conditions possibles, certains actes doivent y être posés et quelques
étapes majeures sont à franchir.
Une junte doit avoir un souci majeur et constant pendant toute la période de la
transition, à savoir la quête de l’unité de la Nation autour des dirigeants et de
leurs objectifs. Cette période ne doit pas être politique ou perçue comme étant
contre un quelconque acteur. Elle est particulière, non constitutionnelle, et sa
caractéristique principale doit être la quête du consensus et de l’unité des forces
vives. Dans le choix des hommes comme dans la fixation du cadre de travail, les
dirigeants doivent avoir à l’esprit de rassembler.
La neutralité et l’équidistance vis-à-vis des acteurs politiques est un facteur
d’unité. Les militaires ne sont pas des politiques et sont étrangers au fait
partisan. Dans leurs actes de leaders de la transition, ils doivent avoir
constamment ce principe cardinal à l’esprit. Ainsi, un exécutif constitué de
cadres compétents et non partisans est une piste intéressante à explorer. Les
acteurs politiques peuvent être membres du parlement de transition et animer les
cadres de concertation avec les forces vives.
Dans la mesure du possible, les organes de transition doivent avoir un visage
civil. Les militaires peuvent y exercer d’importantes prérogatives, telle que la
prise en charge des secteurs relevant de leurs domaines d’activité, avec pour
objectif une transition civile. Nos pays regorgent de personnalités d’envergure
qui peuvent occuper ces fonctions.
249
L’organe exécutif formé sur une base de compétence et de désintéressement est
gage d’une gouvernance de rupture et d’efficacité. Ce qui est de nature à
renforcer la confiance des populations, marquant une rupture avec le passé. Il est
souhaitable que cette rupture soit poursuivie jusqu’à la composition des cabinets
ministériels et la désignation des responsables d’administrations. En étant
transparente et objective dans le choix des dirigeants, la transition balisera
utilement le chemin vers des réformes qui rendront ces actes irréversibles pour
les pouvoirs futurs.
Les principaux décideurs de la transition doivent être des personnalités de
compétence et de réputation incontestables. Ils doivent procéder à la déclaration
et à la publication de leurs biens, être transparents sur leurs parcours et leurs
actes de gestion. Ils doivent faire montre de rupture dans la communication avec
les citoyens, être accessibles, humbles et véridiques. Ce qui assurera l’adhésion
des citoyens.
La feuille de route de la période doit avoir un contenu clair, avec des objectifs
précis et mesurables dans le temps. Un dispositif de communication permettra
de suivre, à intervalles réguliers, la mise en œuvre du processus. Il s’agit à ce
niveau de rassurer les populations et les partenaires sur la fermeté à respecter les
engagements pris.
Dans le cadre de la feuille de route, certaines actions de réforme seront
indispensables à conduire. Ceci pour permettre de baliser le chemin d’un
redressement du pays et surtout, pour éviter que les démons du passé, à la base
des coups de force, ne ressurgissent ultérieurement.
En fonction des contextes, une réforme constitutionnelle peut être envisagée
pour aller notamment vers une démocratie plus aboutie, un meilleur équilibre
des pouvoirs avec une réduction de ceux du Président ou encore l’obligation de
reddition des comptes des responsables aux populations.
Les réformes électorales seront incontournables. Nous devons avoir plus de
transparence autour de nos scrutins. Il est nécessaire d’aller vers une diminution
drastique du poids de l’argent dans nos jeux politiques. Il convient d’instaurer
les débats entre les candidats à tous les niveaux et placer les projets au cœur de
la compétition électorale.
Des réformes sont à envisager dans le système de gouvernance. A tous les
niveaux, les responsables doivent rendre des comptes avec la possibilité de les
250
sanctionner. Ainsi le pouvoir d’abréger le mandat des élus (Président, maire…)
doit être donné au peuple. En ce qui concerne les services publics, les systèmes
d’évaluation par les usagers sont à mettre en place avec un impact sur la carrière
des agents. Il s’agira en quelque sorte de remettre la satisfaction des attentes des
populations au cœur de l’action publique et de soumettre les élites à leurs
mandants.
En matière de justice, la période transitoire peut être mise à profit pour améliorer
la transparence sur son fonctionnement et faire accélérer le traitement de
certains dossiers emblématiques afin d’améliorer la confiance des citoyens en
l’institution judiciaire.
En fonction du contexte, d’autres réformes peuvent être envisagées. Celles
présentées précédemment forment le paquet minimum nécessaire pour améliorer
la gouvernance de nos pays.
Les autorités de transition doivent enfin organiser les élections avec le souci de
la participation de tous les acteurs et des efforts de transparence sans précédent.
Elles doivent envisager une forte implication des partenaires et des organisations
internationales pour accroître la crédibilité du processus et donc des résultats. Ce
qui sera d’autant mieux acquis si leur neutralité et leur équidistance ne sont pas
prises à défaut pendant le processus. Il est évidemment souhaitable que les
acteurs de la transition ne soient ni candidats ni soutiens de candidats dans le
processus qu’ils arbitreront.
En ce qui concerne la question des délais de la transition, cela est fonction des
contextes et des pays. Une durée d’un à deux ans peut être suffisante pour mettre
en œuvre le minimum nécessaire indiqué.
Durant la période transitoire, il est souhaitable que des relations saines et
véridiques soient instaurées avec les partenaires. La clarté des intentions et la
résolution dans la conduite des tâches faciliteront cela. Il est également
souhaitable que les partenaires et les organisations internationales aient une
appréciation objective de la situation des pays et fassent preuve de patience et de
souplesse à leur égard. Cela est tout à fait possible sans se départir de l’objectif
final de restauration démocratique. C’est avec le concours de tous que la
transition réussira et chacun y a un rôle à jouer pour l’intérêt suprême de nos
populations.

251
252
Pourquoi a-t-on besoin de redynamiser le dialogue
Euro-Africain ?

L’Afrique de la guerre froide a suivi celui de la colonisation avec le maintien


des positions stratégiques des anciennes puissances tutélaires. Elle devint ainsi
une zone d’influence, un precarré, une chasse gardée, un terrain de jeu des
puissances où des conflits se déroulent par procuration. La bipolarisation du
monde a figé les grands enjeux géostratégiques. Ensuite, les vents des
ouvertures démocratiques suite à la chute de l’Union Soviétique, la construction
européenne et l’ouverture à l’Est sous l’égide de la réunification allemande,
portèrent le désintérêt stratégique de l’Europe vis-à-vis de l’Afrique jusqu’au
milieu des années 2000. Et puis, peu à peu, avec d’une part les investissements
faramineux de la Chine, cette dernière venue en Afrique en vue de chercher des
débouchés pour ses produits et faire du commerce et, d’autre part, la croissance
économique africaine entrée dans un cycle continu sous l’effet de politiques
publiques favorables et de dynamiques internes porteuses (démographie,
urbanisation, cours des matières premières, diversification économique soutenue
par un essor des TIC), l’Afrique terre d’opportunités économiques remplace
l’Afrique des désastres et de la commisération.
Le continent africain s’impose comme celui des opportunités. De quoi motiver
l’Europe à engager avec lui un dialogue fécond et un partenariat mutuellement
avantageux.
L’Afrique des espoirs, bien que relatifs, s’impose sur l’échiquier géostratégique
avec des atouts non négligeables. Il dispose de terres arables, de l’eau douce,
d’une vigueur démographique avec une population majoritairement jeune alors
que celle de l’Europe est en vieillissement.
L’Afrique peut être un relais de croissance mais aussi et surtout un levier du
maintien de la qualité de vie européenne (équilibre de la sécurité sociale,
productivité économique, innovation, …). Son potentiel d’ensoleillement et ses
réserves d’énergie renouvelable sont significatifs. Pour un mariage stratégique,
le continent apporte une « dot » non négligeable.
Alors quid du conjoint potentiel ?
L’Europe a des avantages stratégiques sur les autres zones d’influence dans la
quête de partenariats avec l’Afrique. Il y a au préalable la proximité
253
géographique. Les Africains vivent, à peu de choses près, dans les mêmes
fuseaux horaires que les Européens. Nous nous réveillons, travaillons et nous
nous couchons aux mêmes moments. Nos temps ne sont pas décalés, cela est
crucial ! Il y a ensuite la proximité historique, culturelle et linguistique entre ces
deux espaces, … ce qui constitue une communauté de pensées propices à des
projets communs.
Les perspectives méditerranéennes et géopolitiques avec les projets d’union
Afrique – Méditerranée - Europe dans le cadre de la « verticale », illustrent
cette communauté de destin qu’il conviendrait de structurer et de porter de part
et d’autre de la Méditerranée.
Enfin, il faut noter que la priorité des grandes puissances est d’abord leur
voisinage immédiat. D’ailleurs, la Chine et le Japon ne s’y trompent pas avec
leurs projets d’intégration de l’Asie et de l’Australie au Sud. C’est également le
cas des États Unis d’Amérique et du Canada tournés vers l’Amérique latine avec
des unions douanières et économiques, des banques de développement, des
structures de réflexions stratégiques (think tank, universités, centres de
recherche, …).
L’Europe a ainsi des avantages concurrentiels. Cependant, Elle doit s’ajuster et
faire des efforts dans de nombreux domaines pour engager un partenariat
durable et mutuellement avantageux avec l’Afrique.
Les pays européens doivent définitivement intégrer le caractère vital de leur
intégration et de leur unité. Ils doivent travailler ensemble, penser ensemble,
avoir un moteur (axe franco-allemand) mais être une équipe. Cela ne sera pas
facile mais reste indispensable. Il faut sortir des rapports entre un pays et un
continent (France – Afrique ou Italie – Afrique). Cette donne est européenne et
sera impérieuse à mettre en place.
Les Européens doivent ensuite appréhender l’Afrique dans ses dynamiques
internes et sa complexité. Ils doivent éviter les clichés et noter que le continent
est en profonde mutation avec une jeunesse qui bouscule et le fera de plus en
plus ! Ils doivent s’engager dans la voie de soutien à l’unité du continent, au
renforcement de ses Institutions, à sa régionalisation et à ses projets
d’intégration par les infrastructures : routes – énergie – communication. Ils
doivent enfin ériger la sécurité comme paradigme majeur d’action mais ne pas
oublier ses déterminants comme les efficacités étatiques, l’opérationnalité des
254
dispositifs sécuritaires et de renseignements ainsi que la satisfaction des besoins
des populations.
Si les défis sécuritaires et de construction de la prospérité conduisaient l’Afrique
et l’Europe à se donner la main, se renforcer de l’intérieur afin de partager de
manière optimale leurs ressources respectives, on entrerait dans une phase
intéressante de notre histoire partagée. Cette dernière, faite, jusque-là, de sang et
de récriminations, entrerait ainsi dans un cycle mutuellement avantageux. Il faut
des visions et des leaders pour en prendre conscience et avoir le courage
d’engager les peuples dans la bonne direction.

255
256
Laïcité
Comprenons là pour mieux l’utiliser ?

Les cassandres les plus pessimistes ont prédit depuis des décennies que la
troisième guerre mondiale sera provoquée par des conflits religieux. Depuis une
quinzaine d’années, dans les fracas de l’effondrement des tours jumelles de
New-York suite à un attentat effroyable, la religion musulmane est au cœur des
débats intellectuels et sociaux des pays occidentaux. Depuis trois ans, dans notre
pays, il y a de plus en plus de questionnements sur la place de la religion dans le
pays, les rapports entre les religions, la politique et l’Etat et la société. Tout cela
sur fond de crainte, notamment venant des leaders politiques, intellectuels…de
voir un jour le Mali devenir un Etat islamique, intolérant et violent. Cela a rendu
le mot laïcité très utilisé, à la mode, employé régulièrement comme une digue
face à la supposée menace religieuse. La laïcité est ainsi employée dans de
nombreux sens, souvent au gré de l’intérêt de celui qui l’utilise sans forcément
qu’il en appréhende son sens ou encore sa portée.
Les leaders religieux et la religion sont apparus au grand jour au Mali comme
des acteurs majeurs de la scène publique à partir des mouvements relatifs à
l’adoption du code des personnes et de la famille mais surtout à l’occasion des
dernières élections générales où leur capacité de mobilisation politique a été
avérée. Cela a ainsi confirmé d’une part la volonté manifeste des acteurs
religieux à ne plus se cantonner dans le domaine de la foi et à exprimer de plus
en plus leurs positions, et d’autre part, la perte d’influence de la classe politique
sur le corps social. Cette double évidence a semé une véritable panique chez les
leaders politiques face à une force alternative naissante dont peu d’entre eux
connaissent les véritables ressorts et donc peu manipulable pour eux. Beaucoup
d’entre eux essaient de la contenir en brandissant la laïcité à chaque occasion où
ils estiment que la religion, notamment sa version politique, avance un peu trop
dans la sphère publique. Or, elle est déjà devenue centrale dans notre société et
dans notre pays. Ce que nous avons de mieux à faire, plutôt que de nous
cantonner dans des échanges de mots, c’est de nous poser les vraies questions
pour trouver des réponses appropriées permettant de les résoudre. La présente
contribution a cette vocation principale.

257
Il nous est nécessaire de saisir les vrais sens de la laïcité pour les mettre en
perspective des enjeux majeurs liés aux rapports entre la religion, la société et
l’Etat. Il est tout aussi indispensable d’analyser ces enjeux dont certains se
déroulent loin de nos frontières mais avec un impact certain sur notre corps
social. Ces questionnements utiles jetteront des éclairages appréciables sur les
vrais sujets de débats pour un pays comme le Mali. Ce qui facilitera
l’identification de quelques pistes utiles permettant au pays de définir et de
mettre en évidence sa propre laïcité tout en résolvant, au moins en partie, les
problématiques posées par les rapports Religion – Etat, Religion – société,
Société – Etat.

Sens de la Laïcité
La laïcité est un terme francophone qui illustre la séparation de l’Etat et de
l’Eglise que la France a eu énormément de mal à faire et à laquelle elle est
finalement parvenue en 1905. Depuis lors, dans ce pays en particulier, elle fait
l’objet de débats et l’Etat y est soumis à des arbitrages difficiles entre ce qui
relève de la question publique et ce qui relève de la foi. Cet arbitrage difficile se
pose et se posera à tous les Etats car cette question est souvent difficile à
trancher. C’est aussi ce qui fait que la laïcité s’illustre mieux qu’elle ne se
définit. Deux notions fondamentales permettent ainsi de l’illustrer pour
comprendre sa portée : la liberté individuelle en matière de culte et
l’équidistance de l’Etat vis-à-vis des religions. Ces deux notions elles-mêmes
sont facilement comprises à travers des exemples et situations pratiques.
La laïcité est à mettre d'abord en rapport avec la liberté individuelle de chaque
citoyen à pratiquer le culte de son choix sans aucun risque pour lui dans la
société. Cela est crucial pour un vieux pays comme le nôtre, terre d’accueil de
plusieurs religions et surtout terre où il y a un vrai mélange entre les croyances
religieuses et les pratiques ancestrales. La société malienne est syncrétique et
ouverte à de nombreuses croyances. Cela la rend très tolérante et ouverte. Le
malien lui-même est profondément laïc, cela sur tout le territoire et quel que soit
la race ou l’ethnie. La liberté de culte est donc à préserver et à protéger par
chacun, par la société mais aussi et surtout par la puissance publique comme un
fondement majeur de notre stabilité sociale. La laïcité est aussi à mettre en
rapport avec la liberté des groupes et communautés notamment des minorités

258
religieuses à vivre leur culte et à bénéficier des conditions favorables pour ce
faire. Dans un pays où une religion est suivie par une majorité écrasante de la
population, il est crucial de permettre à la minorité de vivre et pratiquer sa foi
dans les meilleures conditions. La collaboration et les échanges entre les
responsables des différentes religions faciliteront cette situation. La création par
l’Etat d’espaces de collaboration et de dialogue permettra également cette
ambiance positive. Nous sommes un pays où le mariage entre personnes de
confessions différentes ne pose pas de difficultés et est accepté par la société.
Nous sommes également un pays où la société fête indifféremment les
événements majeurs de chaque religion. L’Etat dans son entièreté doit veiller à
maintenir cet environnement et cette tolérance inter religieuse grandement
supportée par les maliens.
L’équidistance de l’Etat vis à-vis des religions est plus difficile à définir et donc
à maintenir même si, au Mali, on y arrive encore relativement bien. La question
des fêtes religieuses a été évoquée précédemment. Cela est une illustration de la
pratique d’une laïcité plus objective dans notre pays qu’ailleurs. L’équidistance
se traduit par la séparation nécessaire entre l’Etat et les religions comme source
d’inspiration ou de guide des règles de fonctionnement étatique. L’Etat est une
construction humaine pour résoudre les problèmes d’ici-bas. Il est inspiré par les
règles que les hommes souhaitent se donner pour fonctionner de manière
efficace. Ces règles elles-mêmes sont définies dans un cadre fixé par les
hommes. Il est indispensable que cela reste le cas même si, pour certains
domaines, il y a des risques de collusion entre les principes religieux et les
règles publiques. La laïcité est synonyme d’équidistance et de neutralité de
l’Etat entre les régions. La laïcité sous-entend aussi la non gestion de la sphère
étatique selon des préceptes religieux. L’Etat doit être organisé et surtout
fonctionner conformément à ces principes.
Il doit les rappeler régulièrement et établir avec les religions des rapports de
collaboration et de communication permettant à leurs leaders de s’inscrire dans
cette optique.
En posant ces principes comme des fondements de l’Etat, il sera plus facile de
gérer les problématiques posées par les enjeux nationaux et internationaux de la
laïcité.

259
Enjeux de la Laïcité
La religion de plus en plus politique ou les leaders religieux plus politiciens que
théologiens, le contexte international propice aux chocs plutôt qu’au dialogue
ainsi que le radicalisme laïc posent chacun à leur manière des défis à relever par
nos pays face à la nécessaire laïcité de l’Etat.
Le Mali vit pleinement dans la religion politique ou plutôt dans un
environnement où les leaders religieux, conscients de leur poids et de celui des
leaders politiques, pénètrent de plus en plus sur la scène politique. Il ne faut pas
se leurrer, cela ne vas changer par des incantations. Ceux des politiciens qui
clament haut et fort le retour des leaders religieux dans leurs mosquées, sont les
premiers à aller les rencontrer nuitamment, de manière discrète, pour solliciter
leur collaboration. Tant que ce jeu de dupe dure, il sera vain de faire changer
cette situation. Tant que les causes profondes de l’apparition des leaders
politiques sur la scène publique ne sont pas traitées, le phénomène perdurera et
se renforcera comme on le constate. Ces causes sont d’abord la perte de
crédibilité du leadership politique dans notre pays et ensuite la quête d’influence
des leaders religieux, l’un alimentant d’ailleurs l’autre. Le malien moyen
stigmatise régulièrement les carences morales, la corruption, l’inefficacité, la
malhonnêteté, le peu de souci des souffrances de la population, l’enrichissement
rapide et sans cause du fait de responsabilités publiques,
l’inaccessibilité…comme des caractéristiques des acteurs politiques de notre
pays. Les forces politiques maliennes sont de ce fait affaiblies et utilisent
régulièrement la société civile, donc les organisations religieuses, pour mobiliser
le peuple. Elles ont de moins en moins de militants. A l’inverse, du fait de
nombreux facteurs dont la paupérisation n’est pas le moindre, les organisations
religieuses se renforcent, agissent sur la vie des individus, aussi bien
matériellement que spirituellement et arrivent ainsi à emporter leur adhésion. La
religion politique devient ainsi la manifestation la plus flagrante de l’incurie
politique dans notre pays.
Le contexte international qui se caractérise par des conflits dont certains sont
directement liés à la confrontation entre les religions, créent des tensions dans
nos pays. L’attitude de certaines puissances internationales, où on a l’impression
que la religion, particulièrement l’islam, est plutôt devenu un bouc émissaire
pour redorer le blason de politiciens en mal de crédibilité, pose aussi des
problèmes dans notre pays et questionne notre laïcité. Les confrontations
260
internationales, le terrorisme global confinent à l’affrontement religieux propice
au radicalisme qui oblige les individus et les sociétés à choisir leur camp, à se
radicaliser et à reporter sur le domaine public leurs frustrations issues de ces
crises. Quel est le malien qui n’est pas révolté par ce qui se passe en Palestine ?
Quel est le malien qui n’est pas choqué par les débats sur certaines chaines ou
dans les radios internationales où on insulte la religion musulmane et son
prophète.
L’invocation de la laïcité à tort et à travers n’est pas de nature à servir la laïcité
elle-même. Elle confine à un radicalisme laïc qui provoque quelques fois le
radicalisme religieux en réaction. C’est pourquoi il convient de faire attention à
l’emploi du terme et de ne le faire qu’en connaissance de cause et après avoir
saisi le caractère sensible du contexte.
Ce radicalisme laïc est observé en occident et de plus en plus dans certaines
couches de nos sociétés. Dans de nombreux cas, il s’agit d’une utilisation
abusive de la laïcité pour combattre la religion et la réduire. Or cela est difficile
voire impossible compte tenu des convictions profondes des individus et de
l’implantation et de l’influence des organisations religieuses. C’est pourquoi il
est vain de simplement brandir le terme sans en saisir le contenu et surtout sans
l’accompagner par des actes qui permettront de faire comprendre sa portée. Il est
aussi regrettable que, quelques fois, certains leaders, convaincus ou sous
influence, tentent de socialiser la laïcité allant jusqu’à vouloir réglementer les
recoins de la vie des individus créant le risque de confrontation avec les
préceptes religieux. Cette situation a été constatée à l’occasion des débats sur le
code des personnes et de la famille. Elle s’illustre aujourd’hui par les initiatives
et actions contre l’excision. Quand les individus sont persuadés de la
justification religieuse de pratiques, il est vain de vouloir changer leur avis par
une Loi ou un texte public. La foi conditionne l’existence pour certains citoyens,
elle est au-dessus des règles publiques pour d’autres. Quand elle entre en conflit
avec l’Etat, le choix est vite fait par eux, au dépend de l’Etat. L’Etat qui est une
création de la société doit s’adapter aux contingences de cette dernière ou les
faire évoluer compte tenu des nécessités temporelles. Mais, il ne peut et ne doit
vouloir s’affranchir de celles-ci, au risque de se voir rappeler violement à
l’ordre, comme cela fut le cas par le passé. Cela a d’ailleurs été très bien
compris et est très bien appliqué par les Etats européens, qui sont pourtant ceux
qui évoquent le plus de laïcité en ce moment. Ces Etats intègrent plus ou moins
261
les réalités religieuses, celles auxquelles adhérent leur peuple dont ils
comprennent bien la primauté. Les partis d’obédience chrétienne explicite, les
prestations de serments sur la bible, l’observation des jours fériés religieux, la
condamnation du blasphème dans le code pénal allemand ou encore les
récitations de psaumes par les écoliers danois dans les écoles publiques de ce
pays sont quelques preuves, parmi tant d’autres, que la laïcité de ces Etats est
souvent bien relative.

Pistes vers une laïcité bien comprise


Il nous est indispensable de définir notre propre voie de la laïcité. Quand des
réalités concernent la société, l’Etat a l’obligation de composer avec elles,
travailler avec elles, négocier avec elles et espérer les faire évoluer dans le sens
de l’intérêt public. Il n’a pas à vouloir s’imposer car Il n’y arrivera pas. Nous
devons engager des changements dans de nombreux domaines pour traiter au
mieux les rapports Etat – religion- société au mieux de nos intérêts.
Le leadership, notamment le leadership politique doit évoluer. Nous devons
travailler à obtenir des leaders vertueux, consciencieux, exemplaires, travaillant
dans l’intérêt collectif, au service de leurs mandants. Des leaders de ce type
seront soutenus par les populations, quel que soit leurs convictions religieuses.
Le malien cherche un leader qui résout ses problèmes, que ce leader soit barbu
ou non ! Le malien est à la quête d’un leader qui l’écoute, qui ne vole pas, qui ne
ment pas, qui le sécurise, le soigne, l’aide à trouver un emploi, que ce leader
fréquente la mosquée ou pas lui est secondaire !
Les politiciens doivent en prendre de la graine et exercer leurs responsabilités
dans le cadre de la promotion de la vertu, du respect des règles et de la quête
absolue du bien-être des populations.
Notre leadership doit également s’inscrire dans la promotion de la bonne
compréhension des religions, expliquer la religion, faciliter les débats vers la
connaissance des religions.
Cela contribuera à faire en sorte que les citoyens sachent que la religion est aussi
un facteur de stabilité si elle est comprise. Seule la religion bien comprise
permettra de lutter efficacement contre l’intégrisme religieux et les intolérances
religieuses. En se fermant à la religion, on détourne son regard sur elle et on la
confine dans un espace qui facilitera la radicalisation et, à terme, la violence. En
262
lui donnant des espaces d’expression et des occasions aux citoyens d’en
comprendre tous les sens, on créera les conditions de dialogue, de débats, de
discussions qui favoriseront la bonne compréhension de la religion et en même
temps dissipera les tensions nées de l’incompréhension, de la méconnaissance et
des rapports conflictuels. Il faut une forte implication de l’Etat mais aussi des
collectivités territoriales pour engager une vaste action vers la bonne
compréhension des religions et du dialogue inter religieux, dans le cadre d’une
laïcité dont les contours sont à définir autour des principes intangibles rappelés
précédemment.
Les pouvoirs publics doivent engager des réflexions, auxquelles il faut associer
les organisations religieuses, pour fixer une bonne limite entre le domaine public
et le domaine privé et maintenir un cadre de dialogue et de discussion
permettant d’évacuer tous les domaines de tension. En définissant clairement la
sphère publique où les règles étatiques régenteront l’essentiel du fonctionnement
et le domaine privé d’expression de la foi et des croyances, on met en place un
cadre qui limitera les chocs. En mettant en place un processus de dialogue
permanent entre les acteurs (Etats, acteurs religieux, société civile), on crée les
conditions pour anticiper et négocier au mieux les chocs, quand ils surviendront.
Le Ministère en charge du culte doit s’engager sur ces chantiers et donner un
contenu à son action à travers eux. Il doit aussi réfléchir à mettre en place
rapidement un cadre réglementaire qui établit le statut des leaders religieux
(imams, prêtres, prêcheurs…) qui doit être impérativement défini dans un pays
comme le nôtre. Cela participe aussi de l’implication nécessaire de l’Etat dans
les questions sociales et religieuses pour veiller à ce qu’elles puissent être des
facteurs d’harmonie et non des cadres de conflits. Plus que jamais l’Etat doit
sortir de sa léthargie face à la religion, la considérer comme une donne
incontournable et un facteur d’harmonie sociale. Donc une chance plutôt qu’une
menace !
La société malienne est laïque, tolérante, ouverte mais elle a des valeurs qu'il
faut savoir préserver. L’Etat doit travailler avec cette réalité et l’utiliser comme
un facteur d’intégration et de progrès. La religion n’est pas mortifère, elle est
hautement bénéfique si on la comprend. Il nous faut intégrer cette donne et la
mettre à notre profit de manière intelligente. Nous devons, pour ce faire, savoir
nous mettre en marge des combats qui ne sont pas les nôtres et orienter nos

263
actions en fonction de nos intérêts, de nos réalités, de nos ambitions collectives
et informer suffisamment nos populations pour qu’elles y prennent part.

264
Le Monde se fragmente
Que faire ?

Tout observateur de la vie internationale remarquera que l’évolution de notre


planète présente de réels signes d’inquiétudes. Dans de nombreux pays
importants, on voit progresser le sentiment du repli sur soi, le populisme
triomphant et la promotion des idées radicales et de confrontations. On est
également témoin de l’essor des mouvements intégristes, partisans de la
confrontation des idéologies et des civilisations. Les positions dominantes
semblent orientées sur le repli sur soi voir le chacun pour soi. Ici ou là, on voit
les frontières se fermer alors que jamais, notamment grâce aux technologies, le
monde n’a été aussi intégré, l’information et les savoirs aussi partagés !
L’humanité solidaire, portée par des valeurs partagées et animée par le souci de
notre futur commun est entrain de laisser la place à une grande jungle où chaque
puissance va penser son action en fonction de ses intérêts égoïstes et immédiats.
Le multilatéralisme que nous appelons de nos vœux est menacé. Les grandes
puissances auront tendance à se ménager des prés carrés, des zones d’influence
dans leur voisinage immédiat, ce qui risque de conduire le monde vers les heures
sombres et révolues de l’impérialisme. Les tendances observées sont donc très
inquiétantes.
Ces prévisions alarmistes sont confirmées par la dernière production du conseil
national du renseignement américain, une structure rattachée à la CIA et qui
produit tous les 4 ans ses anticipations de l’évolution du Monde (rapport sur le
Monde en 2035). Il faut donc leur accorder une importance significative en les
appréhendant de manière rigoureuse. Cela d’autant plus qu’elles sont
susceptibles d’avoir des impacts majeurs sur de nombreux pays dont le Mali. Il
faut s’attendre à une accélération du recul de l’aide au développement. Celle-ci
baisse régulièrement depuis quelques années. Elle sera en outre de plus en plus
liée à des conditionnalités comme la lutte contre l’émigration. Il faut prévoir un
net recul dans la lutte contre le réchauffement de la planète avec une
accélération des défis climatiques (hausse de température, sècheresse,
inondation, conflits autour des questions d’accès aux ressources…). Il faut
également craindre moins de sollicitudes internationales à l’égard des pays
affaiblis sur les questions de sécurité, de terrorisme…
265
Par exemple, un pays comme le Mali, qui reçoit plusieurs milliers soldats des
nations unies dans le cadre d’un processus de paix, sera directement impacté si
les États-Unis d’Amérique décidaient de diminuer de manière conséquente leur
soutien financier à l’ONU. C’est une hypothèse loin d’être improbable et qu’il
faut prendre comme telle.
Face aux nouvelles donnes stratégiques esquissées ci-dessous, chaque pays,
chaque groupe de pays et surtout un continent comme l’Afrique se doivent
d’analyser, de réfléchir et de penser aux attitudes à adopter pour ne pas être
emportés par les bouleversements annoncés. Plusieurs initiatives sont à engager
dans cette perspective.
La première attitude à avoir est de commencer à prendre conscience de ce qui se
passe et de se convaincre que la sollicitude des autres à notre égard ne sera pas
éternelle. Cela permettra de mettre en place des dispositifs de projection à long
terme afin de mesurer l’impact de tous les scenarii possibles, dont les pires.
Cette analyse stratégique établira comment faire face aux évolutions
défavorables pour s’en sortir au mieux. Elle permettra à un pays ou à un
ensemble de pays de se fixer des objectifs stratégiques, identifier les partenariats
fiables à nouer par conséquent et surtout, déterminer comment s’y préparer
(services, arguments, hommes, politiques…) et comment les engager. Nos pays
doivent impérativement renforcer leurs compétences stratégiques et
prospectives.
Il faut créer, restructurer ou renforcer significativement nos structures commises
à cet effet (centres d’études stratégiques, laboratoires de prospectives, service
d’analyse stratégiques…) et les situer au cœur de nos Institutions publiques. Ces
services doivent travailler sur nos perspectives stratégiques et donner des
éclairages adéquats aux décideurs. À côté des services publics actifs sur ce
segment de la réflexion stratégique, doivent être actifs des structures privées
qu’il convient de soutenir et d’accompagner. Les think tank, incontournables
dans les grands pays, doivent avoir droit de cité dans nos contrées. Autant il n’y
a pas de vent favorable pour qui ne sait où aller, autant il n’y a pas d’avenir pour
un pays qui ne réfléchit pas assez sur son avenir, par ses propres moyens.
L’université, les chercheurs, les fondations privées et mêmes les grandes
entreprises doivent tous participer à la réhabilitation des capacités nationales de
réflexion dans nos pays.

266
Les pays pauvres doivent ensuite travailler d’arrache-pied à accroitre leurs
indépendances. Face à l’incertitude, nous devons être moins dépendants des
autres, aussi bien sur les plans sécuritaires financier qu’économique. Nous
devons impérativement avoir des forces armées et de sécurité, aptes à faire face
à nos défis sécuritaires. Nous devons tout aussi impérativement supporter nous-
mêmes le chapitre fonctionnement de nos budgets publics tout en améliorant
progressivement notre part dans le financement des investissements. Cela
passera par l’engagement de processus de réduction de train de vie de l’Etat et la
conduite d’initiatives de rationalisation dans les processus de dépenses
publiques. En la matière, les leaders doivent faire les premiers pas et donner les
exemples. L’indépendance économique sera liée à notre capacité à renforcer les
bases productives de nos pays, améliorer les sources de croissance inclusive et
durable fondées sur les forces de chaque pays.
Investir dans l’indépendance énergétique, notamment les énergies renouvelables
dont le solaire, doit être un impératif urgent pour nos pays. Il faut accélérer
toutes les initiatives en la matière et se fixer des objectifs à court, moyen et long
terme qu’il convient de suivre coûte que coûte. Sans énergie, il n’est pas
envisageable de triompher de la pauvreté et des fragilités qui accablent nos pays.
Le renforcement du capital humain constitue le second facteur clé de succès des
stratégies de développement. Pour ce faire, nous devons faire face
concomitamment aux défis de la démographie, de l’éducation et de la formation
professionnelle.
Il nous faut enfin mobiliser l’ensemble des forces vives de nos pays, sur fond
d’exemplarité du leadership et du parler vrai aux citoyens, afin que chacun
puisse accepter les sacrifices indispensables aux succès des initiatives décrites
précédemment. Les citoyens sont incontournables pour obtenir les résultats
escomptés comme on l’a vu ailleurs. La coopération sous régionale, régionale et
africaine l’est tout autant. Elle doit être recherchée, mise en œuvre sur des bases
concrètes et précises en ayant le souci du visible et du palpable. Le leader qui
arrivera à mobiliser ses populations dans la conduite des initiatives de
développement tout en ayant avec ses voisins une véritable collaboration, loyale
et efficace, aura franchi une étape décisive vers le progrès socioéconomique de
son pays. S’ils sont plusieurs leaders à le faire, le continent en bénéficiera et
pourra aborder les prochaines tempêtes internationales en étant mieux armé et
plus solide.
267
La planète dont le futur est entrain de se dessiner sous nos yeux sera implacable.
Elle sera un espace où le plus fort, le plus brutal, le plus égoïste risque de
l’emporter. Nous devons ôter nos lunettes de naïfs, de crédules, d’angéliques
pour porter celles de réalistes froids pour mieux faire face aux défis qui pointent
à l’horizon ! C’est à ce seul prix que nous nous donnerons quelques chances
d’exister à défaut de compter.

268
Partenariat Sino – Africain
Comment Contribuer à la stabilité et à la prospérité
internationales dans un cadre multilatéral ?

Ces dernières années ont marqué quelques ruptures géopolitiques majeures dans
la marche de l’humanité, dont la dernière est en cours avec le conflit Russo –
ukrainien. Déjà face à la pandémie de la COVID 19, des reflexes individualistes
profonds étaient apparus dans certaines attitudes de pays majeurs. De
nombreuses décisions ont été prises par des Etats pour renforcer leur
souveraineté énergétique ou productive. Au dépend de l’intégration des chaines
de valeur mondiales ! Face aux menaces induites ou estimées, à la suite du
conflit encours, de nouvelles logiques apparaissent et il faut craindre une
tendance à la hausse de l’armement militaire des nations. Ce qui fait craindre de
possibles confrontations militaires dans les années à venir.
Le système international né de la seconde guerre mondiale est de ce fait soumis
à des défis significatifs. Ce système qui a maintenu la planète à l’abri de conflits
majeurs, a privilégié le multilatéralisme et le dialogue des Nations pour toutes
les questions majeures de l’humanité. Face aux dangers actuels, il apparait
encore plus souhaitable de mettre au gout du jour la diplomatie, le dialogue et le
partenariat entre les Nations. Le Multilatéralisme en devient davantage
nécessaire voire indispensable. Sa quête doit être prioritaire dans le monde
Dans cette perspective, la question n’est plus si le couple Sino - africain peut ou
doit jouer un rôle mais quand et comment le jouer !
Le partenariat entre l’Afrique et la Chine porte originellement le sceau de
l’amitié et de la fraternité entre les peuples. Cette amitié et cette fraternité qui
furent nourries par un rejet absolu du colonialisme et de l’impérialisme. Ce
partenariat a été engagé bien avant les années des indépendances. Il s’est
enraciné dans les années 60 et trouva un de ses points d’orgue quand les
africains ont soutenu la chine en 1971 à retrouver son siège aux Nations unies.
De cette période à ce jour, les pays africains ont régulièrement accompagné les
différentes initiatives politiques internationales de la Chine.
Les quatre décennies passées ont été, pour la Chine, des périodes
exceptionnelles de croissance économique et d’amélioration des conditions de

269
vie des chinois. Elles ont consacré la Chine comme une puissance économique
majeure. Cela a également impacté la nature des relations entre le continent
africain et son ami chinois. Le partenariat économique a pris les devants et les
forums de coopération ont constitué un cadre idéal pour mettre en avant cette
réalité.
La vision 2035 de la coopération sino africaine illustre également les axes de
collaboration entre les deux parties. Elle s’illustre au travers de neuf
programmes (santé, agriculture, commerce, investissement - financement et
dettes, numérique, écologie, renforcement des capacités, culture, paix et
sécurité). A travers ces programmes, ce sont ainsi des initiatives majeures qui
seront conduites au bénéfice des populations. Un don massif de vaccin est
destiné à renforcer l’immunité des africains face à la COVID 19. Des
investissements importants sont prévus dans le secteur numérique contribuant à
améliorer son apport à l’économie africaine. Des actions massives sont engagées
dans la formation professionnelle à travers notamment quatorze plateformes
actuellement en activité en Afrique. Le soutien à l’éducation, les échanges
universitaires de haut niveau ou encore la création de près d’un million d’emploi
d’ici trois ans (contre 200 000 pendant les 10 dernières années) sont
programmés.
Il est planifié de favoriser les exportations africaines vers la Chine, dans le but
d’améliorer les performances du Continent dans le cadre du commerce avec la
chine (250 milliards de dollars en 2021 dont 105 milliards en provenance
d’Afrique).
Il est objectif de reconnaitre que l’amitié sino africaine est engagé sur la voie du
progrès en ses volets économiques, scientifiques et socio culturelles. Pour lui
permettre de peser face aux défis actuels, notamment dans la construction d’un
ordre multilatéral efficace, elle doit emprunter la voix politique et diplomatique
avec une plus grande détermination.
En 2018 à Beijing, le Président XI Jinping, dans son discours lors du forum de
coopération, a souhaité construire ensemble la communauté d’avenir partagé. Il
a encore réitéré cette volonté en appelant, lors du forum de Dakar en 2021, à la
nécessité d’un partenariat stratégique global entre la Chine et l’Afrique. Lors de
cette seconde adresse, le Président chinois a présenté quatre axes de dialogue
stratégique avec l’Afrique. Le 4e axe de ce partenariat porte sur l’équité et la

270
justice dans le cadre du multilatéralisme. Le cadre du renforcement du dialogue
politique et diplomatique stratégique entre l’Afrique et la Chine est ainsi établi.
Il convient de donner corps à celui-ci et de le détailler par un agenda et des
initiatives concrètes dont l’objectif sera de renforcer le partenariat stratégique
entre l’Afrique et la Chine. Le but étant de faire du couple Sino africain un
acteur de premier plan sur la scène mondial et un défenseur de premier ordre du
multilatéralisme.
Dans cette optique, ce couple doit travailler à présenter des opinions communes
sur les questions majeures de notre époque. Quelques-unes de ces questions
structureront les relations internationales des prochaines décennies. Ce qui
impose aux deux parties d’y travailler, de les traiter ensemble et d’y avoir les
mêmes visions pour ensuit peser ensemble, de tous leurs poids, sur les débats.
La question de la réforme des Nations unies se posera encore avec acuité. Les
pouvoirs et attributions du conseil de sécurité, la composition de ce conseil et le
statut permanent de certains membres, le droit de l’Afrique d’avoir au moins un
siège permanent…sont des débats stratégiques qui ne pourront être occultés.
La question du désarmement et de la dénucléarisation qui lui est consubstantielle
sera également structurante. La sécurité internationale au même titre que les
questions environnementales ou spatiales, constituera un défi de plus en plus
commun. L’humanité se devra d’en discuter de manière profonde et le cadre
multilatéral sera interpellé pour ce faire.
Il n’est pas nécessaire de mettre en évidence la prégnance des impacts des
changements climatiques sur notre avenir immédiat. Les conférences COP,
abordent cette question et de nombreux accords sont conclus. Il manque la
détermination pour les mettre entièrement en œuvre. La Chine se veut pionnière
en matière de développement durable et l’Afrique figure parmi les principales
victimes des désastres climatiques. Il y a là une occasion significative de
structurer le dialogue stratégique sino africain et faire de ce dernier un axe
innovant sur les questions climatiques.
La question de l’espace nous interpellera dans les années à venir, au gré des
progrès technologiques exceptionnels faits par l’humanité, dans le cadre de son
exploration. Un futur cadre de vie s’y déploiera, posant ainsi des interrogations
majeures sur les règles juridiques à établir dans ces perspectives. Quoi de plus

271
normal que le dialogue entre les Nations puisse s’imposer pour convenir de
perspectives spatiales globales.
La question des énergies ou encore les enjeux de solidarité que pose le retard de
certaines parties de l’humanité en matière de prospérité matérielle, constituent
tous des sujets majeurs qui structureront les relations internationales. Là
également, le couple sino africain peut et doit jouer un rôle.
En perspective de l’évolution indispensable de ses rôles et responsabilités dans
le cadre d’un renouveau du multilatéralisme, le couple sino africain doit
davantage s’approfondir et développer des stratégies communes et concrètes sur
les plans diplomatiques et politiques.
La diplomatie doit trouver une place dans la collaboration entre l’Afrique et la
Chine. Elle doit retrouver cette place à travers un dialogue constant et des
occasions régulières de concertation, de réflexions communes et de co
constructions des positions face aux enjeux internationaux.
Sur le plan politique, le chantier du renforcement des connaissances mutuelles
est à mener. Les échanges avec l’Union africaine mais également avec les
ensembles régionaux qui composent l’organisation continentale (CEDEAO,
UMA, CEEAC, SADC, IGAD) sont à institutionaliser. Les actions de
coopération entre les institutions de réflexion stratégique, les structures
universitaires, politique et/ou diplomatiques sont à densifier, parallèlement au
dialogue politique entre décideurs. Les deux parties doivent s’engager dans la
voie du partenariat le plus fécond permettant d’adopter des postures
convergentes face aux défis et ainsi peser sur la marche future de la planète.
Ils feront ainsi écho, au-delà de la géographie qui les éloigne, à l’histoire de
leurs relations communes. On se souviendra d’ailleurs que cela ne serait qu’un
juste retour des choses quand on jette un regard sur le passé récent avec la
Conférence de Bandung en 1956. Il nous faut retrouver la ferveur du temps de
cette conférence ou celles suscitées par les nombreuses visites du Premier
ministre Chou en lai en Afrique. Pendant ces visites, les questions politiques,
diplomatiques et de fraternité humaine étaient privilégiées et priorisées.
L’économie est sans doute stratégique et même prioritaire mais aucune
prospérité ne vaudra jamais la fraternité humaine !

272
Réconciliation et/ou Justice
Doit-on choisir ?

De la commission vérité, justice et réconciliation en Afrique du sud il y a


quelques temps, à son homologue au Mali, en passant par de nombreuses
instances mises en place ici ou là dans l’histoire récente de l’Afrique, la notion
de réconciliation est devenue un objectif constant de l’action de nos
Gouvernants.
Il est vrai que l’Histoire tumultueuse du continent, faite de violence, de conflits
sociaux, de guerres civiles, de rebellions… est une source de tensions vives et de
divisions dans les pays. Avec l’ouverture démocratique, les conflits politiques, à
travers notamment leur ethnicisation, ont polarisé le débat autour des questions
identitaires. Les groupes et leurs leaders en sont devenus des acteurs politiques à
part. Ils se donnent réciproquement une légitimité basée sur l’ethnie et ouvrent
par la même occasion des tensions vives entre les groupes humains dans leur
pays. Le politique n’hésitant pas à brandir la menace contre le groupe à chaque
fois qu’il est en posture difficile. Lui-même et son groupe en deviennent ainsi à
la fois les otages et les geôliers, les uns des autres.
La nécessité d’apaiser les esprits et de calmer les tensions, conduit à la
convocation de la réconciliation. Elle devient ainsi un mot magique utilisé par
tous et dans tous les contextes, presque partout aujourd’hui en Afrique. Comme
s’il suffisait de l’évoquer pour obtenir un calme relatif dans le pays concerné !
Pourtant, si l’on parle autant de réconciliation, et depuis plusieurs décennies,
c’est parce que nous ne sommes pas reconciliés et, peut-être, nous n’avons pas
su ou pas voulu engager les chemins qui mènent à la réconciliation, la vraie !
A l’exception notable de l’expérience sud-africaine, reconnue comme positive
sur le continent et au-delà, les nombreux autres processus engagés, au mieux,
patinent sinon échouent. Il est vrai que l’expérience sud-africaine était simple à
mener, nonobstant les crimes terribles de l’apartheid, car le pouvoir d’Etat
appartenait aux victimes, les objectifs étaient clairs et une partie des bourreaux
étaient prêts à collaborer. Le chemin étant très clairement défini, la gestion en
fut aisée.

273
Dans les processus de réconciliation lancés ici ou là, bien que l’on parle de
justice, il faut malheureusement constater que nous nous orientions presque
toujours vers la réparation et le versement de compensations aux victimes. Et
cela est souvent mis en œuvre dans des conditions qui ne sont pas satisfaisantes
en termes de transparence, d’effectivité des paiements, d’équité, etc.
On ne parle presque jamais de justice ! Or sans elle, les auteurs de violences
demeurent impunis, ce qui les encourage ainsi que d’autres, à poursuivre leurs
méfaits. Cela crée chez les victimes un sentiment réel d’injustice et suscite en
elles, progressivement, une volonté de se venger, ce qui prolonge le cycle de
violence.
Le Mali a vécu des cycles de rébellion de 1991 à nos jours, occasionnant des
pertes en vies humaines et des destructions de biens. A chaque fois,
l’engagement d’un processus de paix a momentanément circonscrit les
confrontations armées. Malheureusement, ces processus ont oublié la justice.
L’une des conséquences de cela est qu’en 30 ans, la violence s’est accrue et le
nombre de victimes aussi ! Les conflits irrédentistes ont progressivement muté
vers des violences intercommunautaires au centre du pays, sur fond de
terrorisme, avec des massacres perpétrés. Les nombreuses actions pénales
engagées demeurent non abouties à ce jour.
Eu égard à ce qui précède, Il est peut-être souhaitable de donner plus de place à
la justice, à la repentance des auteurs et à l’administration de sanctions.
Nous avons également tendance à politiser la résolution des conflits, en donnant
trop de pouvoir aux fortes personnalités leaders de groupes belligérants, en
estimant que ceux-ci peuvent contribuer à calmer les tensions. Par-là, on oublie
qu’ils doivent, pour certains d’entre eux, leur existence politique à leurs groupes
et, pire, à ces tensions. Ils n’apaiseront les troubles que pour donner le change et
n’hésiteront pas à les exacerber en sourdine pour continuer à apparaitre comme
des solutions. Il en résulte des processus incessants de paix – négociations –
accords – confrontations – paix…. Les trop longs processus de paix dans
plusieurs pays illustrent cela et, quelques fois, c’est la disparition physique du
leader charismatique qui permet d’ouvrir un véritable chapitre de paix et de
réconciliation !
Eu égard à tout ce qui précède, il est indispensable de faire moins de place à ces
pompiers pyromanes et donner plus de chance à la justice pour obtenir des
274
opportunités réelles de pacification de nos sociétés et de nos pays. Il est tout
aussi utile de nous inscrire dans un processus d’amélioration continue de notre
outil de justice, qui doit être crédible, indépendant et fondé sur nos valeurs.
Nous avons enfin, l’habitude de parler de réconciliation pour mieux endormir les
populations face aux difficultés quotidiennes. En effet, les initiateurs de ces
processus font mine d’oublier que dans leur immense majorité, le souci des
populations, au-delà de l’histoire et du passé, est aussi et surtout fondé sur le
souhait de vivre en sécurité, d’avoir de quoi se nourrir, avoir un emploi et croire
en de lendemains meilleurs. Autrement dit, la justice économique et
sociale constitue l’aspiration légitime des Africains. C’est pourquoi, ces
tentatives maladroites de réconciliation nationale restent généralement
incomplètes sans la justice et sans une gouvernance efficace et de ce fait,
sonnent généralement creux et débouchent sur des impasses.

275
276
Table des matières

Préface ......................................................................................................................... 1
Introduction
Après l’épopée de 2015 - 2017, la saga de 2018 - 2022................................................ 5

Chapitre 1
2018 : Le doute et la réélection qui accroit les incertitudes ........................................ 11
L’agriculture africaine
La terre qui nourrit peut également unir ! ................................................................... 13
Changeons de Stratégie au Centre du Mali pendant qu’il est encore temps ! .............. 17
Découpage territorial
Ne faisons pas dire à l’Accord de paix ce qu’il n’a pas dit ! ....................................... 21
Démocratie versus développement !
Est-ce qu’il faut choisir ? ........................................................................................... 25
Faire évoluer notre pyramide sanitaire :
Quelques pistes à tester .............................................................................................. 29
La Force armée du G5 Sahel : entre doutes et espoirs ! .............................................. 33
Il y a t’il une solution militaire au Sahel ? .................................................................. 37
Leçons d’une élection
L’argent menace la démocratie malienne ! ................................................................. 39
Quel avenir sans la MINUSMA ? .............................................................................. 43
Rapprocher l’école du marché de l’emploi pour donner plus de chances à nos jeunes
diplômés en Afrique .................................................................................................. 47
Régionalisation
Ne la faisons pas à l’envers !...................................................................................... 51
Le réchauffement climatique, facteur aggravant de la donne terroriste dans le Sahel.. 55

Chapitre 2
2019 : La confirmation de la détérioration de la situation ........................................... 59
2019 : Tout n’est pas perdu !...................................................................................... 61
La CEDEAO
Le temps de la vraie intégration est-il venu ? ............................................................. 63
Budget d’État 2020
La fuite en avant n’est pas tenable ............................................................................. 67
Pour donner confiance aux Maliens : La force des symboles ! ................................... 71
Le Dialogue national sera-t-il enfin la voie qui permettra aux Maliens de s’approprier
de leur pays ? ............................................................................................................. 75
ECO en Afrique de l’Ouest et ZLEC pour tout le Continent
L’Afrique a-t-elle enfin compris que l’Union fait la force ? ....................................... 79
Plus que les biens ou les services, la connaissance et le savoir sont les véritables
fondements de la prospérité économique.................................................................... 83
Dans nos pays est-il possible d’être politicien et honnête ? ........................................ 87

277
Et si le Djihadisme n’était qu’un prétexte facile aux exactions au Centre du Mali ? .. 89
FCFA : les élites africaines doivent Prendre leur responsabilité historique ! .............. 93
Face aux défis de l’heure, le President IBK est interpellé par l’Histoire .................... 97
Conflits communautaires et paix sociale
Comment engager la jeunesse dans la recherche de solutions durables ? ................. 101
La crise malienne est aussi une crise de la pensée ................................................... 105
La guerre au Mali est d’abord une Guerre contre nous-mêmes ................................ 109
Le terrorisme sera vaincu !
Essayons toutefois de ne pas sombrer avant ! .......................................................... 113
Pour donner confiance aux maliens :
La force des symboles ! ........................................................................................... 117
Et si on se focalisait sur les revenus des populations ?............................................. 121
Projet de découpage territorial du Gouvernement : l’art de mettre la charrue avant les
bœufs ! .................................................................................................................... 127
Quelle place pour l’Islam dans nos pays ? ............................................................... 129
Pensons à l’amélioration de notre système électoral ! .............................................. 133

Chapitre 3
2020 : Et le Coronavirus COVID 19 renversa tout, y compris le régime d’IBK ? .... 137
Coronavirus COVID 19 : Quel après ? .................................................................... 139
Face aux conséquences de la Pandémie COVID 19 : l’Afrique ou les Afriques ? .... 141
Le Mali face au COVID 19 : Pouvons-nous être à la hauteur ?
Chapitre 1 : Volets sanitaire et communicationnel ................................................... 145
Le Mali face au COVID 19 : Sommes-nous à la hauteur ?
Chapitre 2 : Volet social .......................................................................................... 149
Le Mali face au COVID 19 : Sommes-nous à la hauteur ?
Dernier Chapitre : Volets économique, institutionnel et politique ............................ 153
Nouvelle législature de l’Assemblée Nationale :
Sachons nous hisser à la hauteur de l’histoire !........................................................ 157
L’arrêt 2020 - 05 du 21 mai de la Cour Constitutionnelle : Un Coup d’arrêt pour la
démocratie malienne ............................................................................................... 161
Mettons fin à la balkanisation institutionnelle en Afrique de l’Ouest ! ..................... 163
Bonne Gouvernance
Petit dictionnaire pour nous aider à comprendre ...................................................... 167
Plus que le Dialogue national, ce sont les erreurs du Gouvernement qui rendent
indispensable la relecture de l’Accord d’Alger ........................................................ 177
Evitons l’industrialisation de la prise d’otages dans le Sahel ! ................................. 181
L’argent et la politique malienne :
L’arroseur arrosé !................................................................................................... 185
Les outils de la paix ................................................................................................ 187
L’Afrique face aux risques des transitions politiques ............................................... 189
Mali : Qu’avons-nous fait de nos soixante ans ?
Que pouvons-nous rectifier pour nos cent ans ?....................................................... 193
Mettons fin à la balkanisation institutionnelle en Afrique de l’Ouest !..................... 197
278
Négocier avec les terroristes
Une fausse bonne idée ! ........................................................................................... 201
Nos soldats, ces héros oubliés !................................................................................ 205

Chapitre 4
2021 : L’espoir contrarié mais toujours vivace ......................................................... 209
Dans le Sahel, Terroriste ne veut pas forcement dire Terroriste ! ............................. 211
Edito : La Presse malienne, le pari de la vraie indépendance !.................................. 215
Qu’il était bon le temps de la guerre froide ! ............................................................ 217
Face à la terreur, il faut de l’intelligence .................................................................. 223
Mali – France – Sahel
Sommet de N’Djamena : que faut-il en attendre ? .................................................... 227
Assurer une meilleure représentativité des Maliens de l’extérieur !
Pour accroitre leur apport au pays ............................................................................ 231

Chapitre 5
2022 : L’après COVID, les sanctions de la CEDEAO, la Guerre en Ukraine mais le
Malien toujours debout !!! ....................................................................................... 235
Armer les civils pour défendre la patrie en danger est il nécessaire de nos jours ? .... 237
(I) Coups d’Etat en Afrique !
C’était pourtant prévisible ........................................................................................ 241
(II) Coups d’Etat en Afrique !
Les risques que le coup n’emporte ses auteurs ......................................................... 245
(III) Les Coups d’Etat en Afrique
Comment en sortir de manière heureuse ? ................................................................ 249
Pourquoi a-t-on besoin de redynamiser le dialogue Euro-Africain ? ......................... 253
Laïcité
Comprenons là pour mieux l’utiliser ? ..................................................................... 257
Le Monde se fragmente
Que faire ? ............................................................................................................... 265
Partenariat Sino – Africain
Comment Contribuer à la stabilité et à la prospérité internationales dans un cadre
multilatéral ? ............................................................................................................ 269
Réconciliation et/ou Justice
Doit-on choisir ? ...................................................................................................... 273
Bibliographie de l’auteur ......................................................................................... 281
Biographie de Moussa Mara .................................................................................... 283

279
280
Bibliographie de l’auteur

Difficultés comptables résolues selon le Système comptable ouest africain


(SYSCOA) en 2000
Pour un Mali meilleur : pistes de réflexions en 2006
Etat au Mali : présentation et diagnostic en 2011 (Tome 1)
Etat au Mali : Pistes d’améliorations en 2012 (tome 2)
Jeunesse africaine : le grand défi à relever 2016
Le Mali entre vents et marées 2018
La renaissance culturelle africaine 2021
Pour un Mali meilleur : pistes de réflexions, actualisé et réédité en 2022

281
282
Biographie de Moussa Mara

Le Premier ministre Moussa MARA, 48 ans, marié et père de 6 enfants, exerce


sa profession d’expert-comptable depuis 25 ans avec une interruption à son
entrée au Gouvernement en 2013 au poste de Ministre de l’urbanisme et de la
politique de la ville. Il a été ensuite nommé Premier ministre en Avril 2014,
devenant à 39 ans le plus jeune Premier ministre de l’histoire du Mali. Il a été
précédemment maire de la commune 4 de Bamako entre 2009 et 2013. Il a été
également député de la même commune.
Le Premier ministre capitalise une expérience riche en tant que dirigeant du plus
grand cabinet d’audit du Mali qui a des mandats dans 15 pays et titulaire de
nombreuses autres responsabilités en Afrique (membre de jurys, professeur
associé, membre de structures internationales de comptabilité…).
Moussa MARA est auteur de plusieurs livres, d’articles publiés dans la presse,
dans son domaine de compétence ainsi que sur les questions politiques, de
gouvernance, de sécurité et de développement. Mr MARA intervient
régulièrement dans des rencontres internationales en Afrique mais également en
Europe, en Asie et en Amérique.

283
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