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savoirsDECOLE, L'ETAT DES SAVOTRS
Sous la direction de Agnés van Zanten
Liécole constitue aujourd'hui plus que jamais un des enjeux majeurs de
action politique et occupe une place importante dans les débats publics. Leffica-
cité du systéme scolaire, sa capacité d'imtégration, son organisation, orientation
ddes contenus d’enseignement, la formation et les pratiques pédagogiques des ensei-
gnants font Pobjet de multiples critiques et propositions émanant de tous les
hords. Cet ouvrage collectif, accessible aux non-spécialistes, a pour ambition
éclairer ces débats. Rassemblant prés de cinquante contributions, il présente un
tat des savoir le plus complet possible sur la situation de I’école frangaise.
On y trouvera une analyse des différents réseaux, niveaux et types denseigne-
ment ; une vue d’ensemble des modes d’élaboration des contenus et des effets des
politiques éducatives nationales et locales, y compris a Péchelle des établisse-
‘ments ; une mise en perspective des savoirs enseignés, des pratiques pédagogiques
et d'évaluation ; une présentation des acteurs individuels (chefs d°établissement,
enseignants, éléves et parents) et collectifs (syndicats enseignants, mouvements
Iycéens et étudiants) de V’école ; des analyses de la diversté des parcours scolaires,
ainsi que des liens entre ces parcours et les trajectoires professionnelles ct sociales
ultérieures ; enfin, une revue des questions « chaudes » qui ont trait 3 la fagon
dont Iécole s’aequitte actuellement de sa double mission de préparation & la vie
professionnelle et d'intégration sociale.
W Agnas van Zanten, sociologue, est chargée de recherche CNRS 4 Observatoire
sociologique du changement.
Wi Les auteurs : Catherine Agulhon, Anne Barrére, Catherine Barthon, Elisabeth
Bautier, Choukri Ben-Ayed, Pascal Bressoux, Nathalie Bulle, Jean-Paul Caille,
Bernard Charlot, Louis Chawvel, Olivier Cousin, Erie Debarbicux, Lise Démailly,
Jean-Louis Derouet, Francois Dubet, Marie Duru-Bellat, Yees Dutereq, Jean-Claude
Forquin, Jacqueline Gautherin,; Dominique Glasman, Martine Kherroubi, Bernard
J. Manuel de Queiroz, Marco Oberti, Frangoise Euvrard, Jean-Jacques Paul, Jean
Paul Payet, Agnés Pelage, Eric Plaisance, Serge Pouts-Lajus, Patrick Rayou,
Marielle Riché-Magnier, André D. Robert, Jean-Yves Rochex, Francoise Ropé,
Francois de Singly, Georges Solaux, Danidle Trancart, Louis-André Valle, Maria
Drosile Vasconcellos.
Oe Km
En couverture: sourée Patt Rober, ®
Editions La Découverte, 9 bis, rue Abel-Hovelacque, 75013 Paris”
ISBN 2-7071-3306.X 160F18
ages et métier d’éléve :
le rapport au savoir
Entre apprenti:
Par Elisabeth Bautier, Bernard Charlot. ‘et Jean-Yves Rochex*
D’aprés Beillerot,’émergence de a notion de rapport au savoir puise
our essentiel & deux grandes sources : les travaux de psychanalystes
tels que J. Lacan ou P. Aulagnier, et ceux d’analystes des systtmes et
des idéologies de formation d’inspiration marxiste tels que B. Charlot ou
M. Lesne [Beillerot, 1989]. Ces deux sources alimentent deux orienta
tions distinctes, quoique se recoupant partiellement, dans les recherches
actuelles sur le rapport au savoir. C'est pour une large part P’interroga
tion psychanalytique sur le désir de savoir, ses avatars et ses remanie.
‘ments, qui est au coeur de la premiére de ces orientations. S'ils admettent
ue lerapport au savoir d’un sujet se modifi et se réélabore tout au long
de sa vie et de ses inscriptions et positionnements socio-institutionnels,
les chercheurs qui s"y inscrivent s'intéressent plus particuligrement,
d'un point de vue théorique et clinique, a ’ancrage du désir de savoir
dans la relation d’ objet primitive, et donc & la précocité de la toute
premiére constitution du rapport au savoir chez le sujet, constitution
inséparable de la construction de la personnalité psychofamiliale [Beil
Ierot et al. 1989, 1996, 1998}, Certains de leurs travaux s"intéressent
également aux processus selon lesquels ces premigres constructions
psychofamiliales sinvestissent et, éventuellement, se renégocient dans
espace scolaire, dans la confrontation & des objets disciplinaires et a la
relation pédagogique [Blanchard-Laville, 1997 ; Hatchuel, 1997].
Tentant de mettre en cuvre une approche clinique ou socioclinique pour
comprendre comment s’est constitué, se manifeste et se remanie le
apport au savoir de chaque sujet, cet ensemble de travaux est plus centré
Sur le sujet et son histoire subjective que sur son expérience scolaire en
tant que telle et sa confrontation & des contenus, situations et activités
¢ apprentissage ; 1a question des inégalités sociales face au savoir et 3
Vécole y apparait beaucoup moins centrale que dans ceux qui s’inscri-
vent dans la seconde orientation.
* Bquipe ESCOL, universié Paris VI
179Pécote.Vardes savoirs
Rapport au savoir et expérience scolaire
Pour les représentants de cette seconde approche, en effet, approche
en termes de rapport au savoir vise A dépasser les insuffisances des
‘travaux statistiques qui ne mettent en évidence que des corrélations,
esquelles restent & interpréter et des explications sociologiques
pprofanes ou savantes les plus courantes de la différenciation sociale des
parcours et des performances scolaires. Les explication en termes de
manques, de déficits ~ culturels, linguistiques, voire affectifs — ou de
handicap socioculturel ne permettent pas de penser le rdle de V'institu-
tion scolaire et de ses agents dans la production des difficultés d’appren-
tissage et des inégalités entre éleves, pas plus qu’elles ne permettent de
Aécrire etd’ analyser ce qui se passe &I’école et en classe pour un éléve,
quel sens la situation et les activités scolaires, les savoirs ou le fait
«apprendre ont pour lui [Charlot, Bautier et Rochex, 1992 ; Rocher,
1995 ; Charlot, 1997, 1999 ; Bautier et Rochex, 1998]. Le sens qu’a,
pour les éléves, Ia confrontation & des objets et des pratiques de savoir
n'est guére plus pris en considération par les approches macro ou micro-
sociologiques qui appréhendent la scolarisation plus comme champ od
se révélent ou se construisent des logiques et des processus sociaux
ordre général, que comme espace-temps d activités spécifiques,
‘confrontées & des objets et des contraintes propres, et dans lesquelles les
ogiques et processus sociaux ne font pas que se révéler ou s'incamer,
ais se spécifient, voire se transforment.
La notion de rapport au savoir s*inscrit done en rupture avec les
‘conceptions et les théories dominantes situant les causes de Péchec ou
de la réussite hors de V’expérience scolaire, dans les seules caractéris-
tiques sociales des éleves, mais aussi avec celles qui pensent l'expé-
rience scolaire en ne s"intéressant pas ou gure & I’éleve confronté & des
pratiques de savoir et a la nécessité d’ apprendre [Dubet 1991 ; Dubet,
Martucelli, 1996]. Elle permet d'approcher les logiques qui sous.
tendent les fagons de faire de I’école et de ses agents, les fagons de faire
‘etde penser des éleves al’ école et propos de I’école, & propos du savoir
et, ainsi, de mieux comprendre quelles sont, parmi ces facons de faire et
de penser, les plus propices ou les plus néfastes aux apprentissages et &
Ja réussite scolaire. Rompant avec les conceptions nivoques ou les
approches en termes de facteurs de 1a production de la réussite ou de
Véchec scolaires, elle vise & mettre en évidence une pluralité de
processus en interaction lesquels sont toujours simultanément d’ ordre
cognitif-épistémique, langagier et subjectf.
Le rapport au savoir peut étre défini comme rapport & des processus
acte d'apprendre), 2 des produits (les savoirs comme compétences
acquises et comme objets institutionnels, culturels et sociaux) et & des
situations d’apprentissage. Il est une relation de sens et de valeur : indi
‘Vidu valorise ou dévalorise les savoirs et les activités qui s'y rapportent
180savolrs
en fonction du sens qu’il leur confére. Il peut se décrire sur deux
registres non exclusifs un de 'autre : le registre identitaire et le registre
épistémique, lesquels sont présents chez. chaque éléve sous des formes
diverses, différenciées et différenciatrices. Le rapport identitaire ou
subjectif tient & 1a fagon dont le savoir prend sens par référence a des
modtles, & des attentes, & un éventuel projet ou imaginaire profes-
sionnel, & anticipation de sa vie future. La relation de sens entre I'indi-
vidu et le savoir’ enracine dans l'histoire en devenir du sujet, et ce pour
‘une large part & insu de celui-ci. Le rapport épistémique se définit, lui,
en référence & ce que sont, pour le sujet, l’acte d'apprendre et Ie fait de
savoir : apprendre, c'est faire quoi ? Quel type d’activité est ici
impliqué ? Pour quel résultat ou quelle transformation ? Ces deux
dimensions du rapport au savoir permettent de décrite des agenoements
quientrent en jeu dans l’élaboration de rapports différents au savoir, aux
apprentissages et &la scotarité,
‘La question du sens est aujourd’ hui largement présente, tant dans la
recherche sociologique, que dans les questionnements didactiques et
pédagogiques. Mais les usages de ce terme et ses réappropriations sont
si divers qu’ils donnent lieu & des interprétations trés différentes. Hest
ainsi devenu banal de dire qu'il faut que ce qui est enseigné « fasse
sens » pour les éleves, mais dans ce type de prescriptions ou de recom-
mandations, faire sens est souvent synonyme d’étre familier, d'etre
proche, ou encore d’étre attractif pour les éleves, le présupposé étant que
Jes éleves sont d’autant plus « motivés » que l'activité qui leur est
proposée peut renvoyer & leurs expériences antérieures ; a contrario les
é18ves ne pourraient donner sens aux situations et contenus scolaires ne
répondant pas a ces critéres. La référence au sens des travaux de ’équipe
ESCOL s*inscrit dans une tout autre perspective. Tous les éleves
‘donnent et construisent, pour une part & leur insu, un sens aux objets
dapprentissage et aux situations scolaires, de méme que tous les éléves
‘ont un rapport au savoir, mais ce sens, ce rapport au savoir, sont diffé-
rents chez les uns et les autres et peuvent étre de nature & favoriser ou au
contraire & géner appropriation des savoirs ; ils participent de modes
différenciés d’expérience scolaire ou, plus généralement, de'« socialisa-
tion » [Montandon, 1997 ; Rayou, 1998, 1999].
On I’aura compris, les démarches de recherche liées & la notion de
rapport au savoir sont d’abord des démarches qualitatives, reposant sur.
Je recueil et I’analyse d'entretiens et de productions écrites d’éléves
(productions scolaires ou sollicitées par les chercheurs comme les
« bilans de savoir » ou les écrits rédigés & partir de consignes telles que
«si vous aviez & présenter & un collégien ce qu’est Ie lycée ou la classe
de seconde, que lui diriez-vous ? ») et d’ observations de classe. Si
accent est mis sur le caractére nécessairement socialement construit et
situé d’expériences au demeurant toujours singulidres, si les rapports
a(x) savoir(s), & l’école et aux apprentissages portent la marque des
181Pécote, Peat des savoirs
Fapports sociaux, ils ne peuvent jamais étre saisis et analysés qu’au sein
de configurations complexes, et sont le produit de l'interaction de
processus scolaires et non scolaires. Ce qui interdit de faire corres-
Pondre de fagon univoque tel type de rapport au savoir et telle expé-
rience ou a fortiori telle appartenance sociale ou encore de faire usage
de Ja notion de rapport au savoir dans une visée de diagnostic des
«chances » de réussite ou d’ échec de tel ou tel éléve particulier.
Des logiques différenciatrices,
Productrices de « réussite » ou d’« échec » scolaire
Du CP jusqu’au college, voire au lycée, trois niveaux dans l'interpré-
tation des activités et ’identification des savoirs scolaires doivent étre
pris en considération pour tenter de comprendre le rapport au savoir et
‘aux apprentissages des éltves : le niveau des taches ponctuelles, des
exercices qui font le quotidien de la classe mais aussi du « travail & la
maison.» ; celui des savoirs en ce qu’ils relévent d'une discipline
donnée, d’une épistémologie propre ayant des contenus, des normes et
des contraintes spécifiques, et de leur mise en formes scolaires ; celuidu
savoir en général et de "apprendre. Les modes d’agencement que
P'éleve opére entre ces trois niveaux d'interprétation et d’ appropriation
des savoirs scolaires semblent pouvoir étre mis en rapport avec ses plus
ou moins grandes difficultés scolaires. Ainsi, plus I’éleve est centré sur
Ia tache au détriment de la dimension disciplinaire et cognitive, plus il
semble en difficulté, méme si, & court terme, il peut réussir & effectuer
es tches ponctuelies. On peut ainsi trouver des éléves en grande diffi-
culté qui se montrent néanmoins capables de réussir de nombreuses
taches scolaires, mais qui ne savent pas pour autant mobiliser ces capa-
cités dans d’autres situations qui le nécessiteraient, ni dire ce que visent
de tels exercices, ni construire par ce biais des connaissances ou des
compétences disciplinaires pérennes. De méme, pour nombre d’éleves
en difficulté, « on sait ou on ne sait pas » et, si on ne sait pas, on ne peut
pas apprendre. Un tel rapport &I'apprentissage se redouble souvent d'un,
Fapport au savoir qui I'identifie a la vérité. Les savoirs, pour certains
collégiens ou lycéens, ou méme certains étudiants, doivent étre des
vérités ou sont identifiés & des vérités. Ce qui n’est pas sans consé-
quences, négatives, sur leur possibilité de s'engager dans une véritable
activité d'apprentissage dés lors que celle-ci requiert recherches, hypo-
théses et élaborations successives, et sur leur conception des savoirs et
disciplines scolaires qu’ils ne peuvent reconnaitre comme le produit
un travail et d'une construction.
Aussi est-ce davantage une différence dans ce qui est considéré
comme savoir et comme apprentissage par les élves, dans les moda-
lités selon lesquelles ils donnent sens & leur scolarité et interprétent les
182savolrs
situations et activités scolares, qu'une « simple » différence de capital
culturel ou de compétences cognitives, qui peut rendre compte des
processus de différenciation lesquels, cumulés, vont produire de
I'« échee » ou de Ja « réussite » scolaire, y compris au sein de milieux
sociaux que les études statistiques traitent comme homogénes, A mobi.
lisation initiale équivalente, les malentendus portant sur les postures et
activités intellectuelles requises par l'appropriation des savoirs et de la
culture peuvent, lorsque le fonctionnement de institution scolaire et les
Pratiques de ses agents ne permettent pas de les lever, ou lorsqu'ils
Contribuent & les créer ou a les renforcer, leurrer durablement certains
éleves quant’ Ia nature du travail intellectuel et des activités pertinentes
out apprendre et, parla, les détoumer de la voie de l'apprentissage, et
aboutir par effet de curnul, & des situations, des parcours et des aoquisi-
tions scolaires trés contrastés,
C'est souvent le sens méme de la scolarisation qui est au coeur duu
malentendu, Ainsi nombre d’éléves ne peuvent conférer sens et valeur 4
leur présence a'école et aux activités qu’on y exige d'eux que dans une
Jogique du « niveau » et du cheminement, voire de la survie scolaire. Le
sens de 1a scolarisation n'est guére lié pour eux ce qu’ils sont censés y
faire et y apprendre, mais semble se réduire & la course d' obstacles
Permettant de « passer » de classe en classe, d’aller ainsi « le plus loin
Possible » et de pouvoir prétendre ipso facto & « un bon métier », & une
Vie meilleure que celle de leurs parents ou de ceux qui ne sont pas allés
«aussi loin ». Cette référence au métier et l'avenir demeure cependant
Confuse et indifférenciée, de l'ordre de l'imaginaire ; ce faisant, elle ne
‘peut contribuer & conférer ou &restituer une Valeur et un sens cognitifs
ct culturels aux activités d’apprentissage et aux contenus de savoir, qui
n'ont des lors aucune légitimité propre et ne peuvent apparaitre que
comme des « obligations scolaires », dont il convient, au mieux, de
‘«s'acquitter », dans I’attente de pouvoir en étre « libéré ».
‘Une telle réduction de I'institution a sa fonction certifiante, et des
parcours scolaires & leur supposée valeur d’échange censée garantit
Vaccés &1'emploi s’affirme souvent chez les éleves en difficultés au