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Éditions de

la
Sorbonne
Clisthène et Lycurgue d’Athènes  | Vincent Azoulay,  Paulin
Ismard

Clisthène et
Lycurgue
d’Athènes : le
politique entre
révolution et
tradition
Détours historiographiques

Pascal Payen
p. 17-41

Texte intégral
« Une période de l’histoire grecque ne peut être
entièrement comprise que si on la compare avec
une autre. »

George Grote
1 La fortune historiographique qu’ont connue Clisthène et
Lycurgue chez les Modernes peut-elle contribuer à
cerner ce qu’a été la nature du politique dans l’Athènes
classique ? Tel pourrait être, ramené à l’essentiel, l’objet
principal de la présente étude. Mais cette fonction
classique de l’historiographie, qui place en miroir les
Anciens et les Modernes, est ici enrichie et comme
redoublée par une étape antérieure, constituant un
problème interne à l’histoire athénienne : le temps et les
réformes de Lycurgue, juste après la défaite athénienne
à Chéronée, en 338 avant J.-C., peuvent-ils être pensés
comme une actualisation de l’action de Clisthène, à la fin
du vie siècle (508-507 avant J.-C.)1 ?

Problèmes anciens et modernes


2 La feuille de route adressée aux contributeurs de ce
volume souligne que l’objet de l’enquête est d’analyser
«  en miroir  » le «  moment clisthénien  », défini comme
«  coup d’envoi de la démocratisation de la cité  »
athénienne, et la «  refondation lycurguéenne  » des
années 340-320 avant J.-C. Coup d’envoi et refondation :
deux origines donc, pour une même cité et un même
problème, celui de la nature de la chose politique. Ce
premier problème en renferme un autre, plus épineux,
du moins pour Clisthène  : le nom – dêmokratia ou
isonomia – et, en conséquence, la nature du régime que
connaît la «  cité classique  ». Une troisième difficulté
provient de ce que, dans la tradition qui, depuis la fin de
l’Antiquité, accompagne la destinée d’Athènes et forge
les significations qui s’attachent à la cité, les noms de
Clisthène et de Lycurgue ne sont pas mis en parallèle.
Nul Plutarque ne s’est intéressé à éclairer l’un par
l’autre dans l’Antiquité, et l’historiographie moderne n’a
pas non plus jugé pertinent, semble-t-il, de rapprocher
de manière raisonnée ou d’opposer les deux figures2.
L’on doit plutôt constater de paisibles divergences sur le
traitement que chaque historien décide de réserver à
Clisthène et à Lycurgue3, comme si cette mise en
perspective ne pouvait constituer un problème
historique. Ajoutons une dernière difficulté  : dans
l’historiographie de la fin du xviiie et du xixe  siècle, c’est-
à-dire à partir du moment où Athènes prend peu à peu
la place de Sparte comme cité de référence, Lycurgue
n’a droit qu’à quelques mots, dispersés, ou à des
exposés fort limités dans les ouvrages généraux appelés
Histoires grecques. Ce constat est encore valable pour la
production scientifique récente. Lycurgue est par
exemple totalement absent du livre de Christian Meier :
La naissance du politique, tandis qu’un chapitre entier
est réservé à «  Clisthène et l’institutionnalisation de la
présence civique à Athènes4  ». Dans la synthèse de
Mogens Hansen, La démocratie athénienne à l’époque de
Démosthène, Lycurgue n’a droit qu’à une douzaine de
mentions brèves et dispersées, alors que le sujet du livre
semble le concerner très directement, au moins
chronologiquement ; Hansen est très clair sur ce point :
«  La constitution d’Athènes fut celle d’une dêmokratia
depuis les réformes de Clisthène en 507 jusqu’à la fin de
la guerre lamiaque en 3225.  » Clisthène, très
différemment, est l’objet d’une section qui porte son
nom6 et de plusieurs références. Par-delà les
divergences d’analyse sur le nom que porta d’emblée le
nouveau régime – isonomia, selon Meier7, dêmokratia,
pour Hansen8 –, se pose la question non point de la
pertinence ou non du parallèle, mais celle d’un
impossible rapprochement dans l’historiographie, qu’il
faudra tenter d’expliquer à partir de ce qui est dit non
pas de l’un et de l’autre, dans leur rapport, mais de l’un
sans l’autre.
3 Les sources anciennes apportent-elles plus de
certitude  ? Du côté de Clisthène, l’Enquête d’Hérodote
ainsi que la Constitution d’Athènes et la Politique
d’Aristote fournissent un certain nombre de constantes,
d’items que l’historiographie moderne reprend en les
croisant avec les questions du présent. Le récit
d’Hérodote est dominé par la concomitance, complexe,
entre le fait d’être libérés des tyrans9, le développement
de la «  grandeur  » (μεγάλαι, μέζονες)10 et de la
«  puissance11  » d’Athènes, et la relation nouvelle
qu’entretient Clisthène avec le dêmos, désormais associé
à son groupe, sa faction, son hétairie12. Avec Aristote,
Clisthène doit s’accommoder d’un prédécesseur comme
père de la démocratie  : «  Solon fut le premier chef du
peuple (πρῶτος ἐγένετο τοῦ δήμου προστάτης)13  », et
c’est avec sa « réforme », ou sa « révolution (μεταβολή)
[…] que commence la démocratie (δημοκρατίας)14  »,
point de départ d’une lignée dans laquelle Clisthène
prend place, lui aussi en tant que « chef du peuple (τοῦ
δήμου προστάτης)15  ». Avec Aristote encore apparaît
comme signe du meilleur régime tout ce qui ressortit à
la « modération », au « milieu » – c’est le comportement
de Solon et la μέση πολιτεία de Mégaclès, père de
Clisthène16 –, et tout ce qui résulte, dans le cas d’une
démocratie, d’une fusion, d’un mélange rendu
nécessaire «  à cause de la participation de tous au
pouvoir (διὰ τὸ πάντας ϰοινωνεῖν)17  ». Jusqu’où doit
aller ce mélange  ? se demande Aristote dans la
Politique. Si l’on définit le citoyen, d’une part, «  comme
celui qui est né de deux parents citoyens et non d’un
seul18  » et, d’autre part, en ce qu’il «  participe (τῷ
μετέχειν) à l’exercice des pouvoirs de juge et de
magistrat19  », alors une difficulté survient «  dans le cas
de tous ceux qui ont acquis le droit de cité à la suite
d’une révolution (ὅσοι μετέσχον μεταβολῆς γενομένης
πολιτείας)  », tel que ce fut le cas lorsque Clisthène
«  incorpora dans les tribus beaucoup d’étrangers et de
métèques d’origine servile (ξένους ϰαὶ δούλους
μετοίχους)20 ». La seule solution est alors d’« augmenter
la masse populaire jusqu’à ce qu’elle l’emporte sur les
notables et les gens de la classe moyenne, mais ne pas
aller au-delà21 » et l’encadrer en créant des « tribus » et
des «  phratries  » plus nombreuses, comme l’a fait
Clisthène22.
4 Tous ces problèmes sont repris par l’historiographie
moderne. Tous, mais pas exactement dans les mêmes
termes, car on n’oubliera pas que, avant 1891-1892,
ceux qui écrivent sur ces questions ne disposent pas de
la Constitution d’Athènes d’Aristote.
5 Pour Lycurgue, la situation est plus tranchée. Homme
d’administration et de décrets23, «  modéré et honnête
(μέτριον ϰαὶ ἐπιεικῆ)  », pour son collègue Hypéride24,
«  irréprochable (ἀνέκλητος)25  », selon la Souda, il
s’inscrit dans la lignée de ces hommes politiques
jouissant auprès de leurs concitoyens athéniens d’un
«  renom d’intégrité et de justice26  », dans la lignée
d’Aristide et de Périclès27.
6 Ce bref rappel du dossier des sources anciennes suggère
quelles sont les lignes de force des analyses qu’a pu
susciter l’héritage documentaire laissé par l’Antiquité.
D’un côté, un Clisthène tantôt héritier de la
«  démocratie  » solonienne, tantôt annonciateur de la
«  démocratie extrême  » d’Éphialte et de Périclès. De
l’autre, un Lycurgue soit tourné vers le lointain modèle
péricléen, soit annonçant les dioikêtes, méticuleux
administrateurs de l’époque hellénistique, ainsi que l’a
montré Claude Mossé28. Cela peut contribuer à expliquer
l’écart, considérable, dans la fortune historiographique
dont jouissent, dans la durée, ces deux figures. Chez les
Modernes, à Clisthène reviennent les traits d’un génial
réformateur politique, inventeur de la véritable
démocratie ou, dans une version plus mystérieuse et
encore plus stimulante, de l’isonomia, produit des
grandes innovations intellectuelles du vie  siècle. À
Lycurgue s’accordent les marques d’un gestionnaire
solide et sérieux, pleinement adaptées à une époque
pour laquelle Athènes et les autres cités grecques n’ont
besoin que d’administrateurs et non de grands
politiques, puisque cette prérogative leur aurait été ôtée
à Chéronée, en même temps que la liberté. Que ces
traditions interprétatives s’accordent mal avec la
diversité des sources et, en particulier, avec les données
épigraphiques, on ne saurait le nier, et Patrice Brun l’a
montré pour le cas de Lycurgue29.
7 Mais on ne saurait non plus passer sous silence que la
«  cité classique  », avec l’empreinte de l’aventure
clisthénienne surtout, celle de l’expérience lycurguéenne
beaucoup moins, n’a pas pris fin avec la disparition du
régime démocratique à Athènes, quelle que soit la date
qu’on lui assigne, et donc avec l’Antiquité elle-même.
Après l’Antiquité commence une autre Antiquité, une
autre histoire d’Athènes, de Clisthène et de Lycurgue. Or
cette histoire et ces traditions interprétatives que
mettent au jour les études de réception ne permettent
pas seulement de comprendre le temps qui les a
produites, le temps des Modernes ; elles font apparaître
quelques-unes des virtualités contenues dans les
sources anciennes et elles rappellent que toute histoire
se construit aussi à partir des questions du présent, plus
encore peut-être lorsqu’il est question de politique.
Giuseppe Cambiano souligne à ce sujet que, depuis le
e
xix  siècle, « l’on compte à nouveau la Grèce au nombre

des ancêtres de l’Europe contemporaine30 ». Cet héritage


a été longtemps éclipsé, depuis la Renaissance jusqu’à la
Révolution française, par la respublica romaine, ses
concepts, ses valeurs – la « vertu », le bien public – et ses
institutions, en particulier sous l’influence de Machiavel.
Déjà aux ive et ve  siècles de notre ère, en Occident, «  la
mémoire des historiens et des orateurs grecs ainsi que
la représentation de la vie politique qu’ils
transmettaient avaient pratiquement disparu31  ». Ni
Clisthène ni Lycurgue, ni même parfois Athènes ne
figurent en tant que tels dans les sommes ou les abrégés
de Justin, Orose ou Isidore de Séville. Pétrarque, qui ne
connaît pas le grec, écrit, au xive  siècle  : «  Qu’est-ce que
l’histoire tout entière sinon l’éloge de Rome32 », et pour
écrire cette histoire il suffit de citer Tite-Live. La
reconnaissance de l’existence d’Athènes n’apparaît pas
avant le début du xve  siècle, chez Leonardo Bruni, dans
le parallèle avec Florence33. La Laudatio Florentinae
Urbis (1404)34 fait de Florence en lutte contre Milan une
nouvelle Athènes, bienfaitrice de l’Hellade pour avoir
repoussé la menace perse35. Mais le premier à
mentionner Clisthène est Carlo Sigonio (1523-1584),
originaire de Modène36, auteur d’un De Republica
Atheniensium en quatre livres, première monographie
sur une cité grecque37. L’ouvrage est précieux pour deux
raisons. Il établit au chapitre V du livre I une
périodisation de l’histoire institutionnelle d’Athènes : de
Thésée à Solon, puis de Clisthène à Périclès, enfin au
temps de Démosthène, qui repose sur l’idée centrale
d’une Athènes démocratique de longue durée. Le rôle de
Clisthène n’y est pas sous-évalué par un jugement de
nature antidémocratique  ; il se voit reconnaître sans
ambiguïté ses innovations majeures  : augmentation du
nombre des tribus, enrôlement de nouveaux citoyens,
loi sur l’ostracisme38. Mais, aux xvie et xviie  siècles,
Sigonio reste une exception face au républicanisme
classique d’inspiration romaine, à l’œuvre y compris
chez Bruni39.
8 Il faut en fait attendre le début du xviiie  siècle pour que
soient réunies les conditions qui permettent à la cité
grecque et à Athènes, donc aussi à Clisthène, voire à
Lycurgue, de trouver place dans une histoire ou une
appréhension critique du politique. Rollin en marque les
prémices que nous suivrons jusqu’à la veille de la
Révolution avec le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce
de l’abbé Barthélemy (1788). Le modèle thermidorien et
libéral ouvre avec Grote une autre voie qui sera tantôt
admirée, notamment en France, avec Duruy et Glotz,
tantôt récusée, en Allemagne, avec Droysen ou Curtius,
sans qu’il s’agisse d’un débat frontal. Les divergences ne
portent pas sur des points d’érudition  ; elles sont plus
fondamentales, pourrait-on dire, parce que
indissociables des contextes politiques du temps
présent. De Rollin à Glotz, nous soulignerons quelques
grandes étapes d’un parcours de deux siècles
d’historiographie principalement anglaise, allemande et
française.
9 La question principale sera donc de savoir comment on
a écrit l’histoire des réformes de Clisthène et de
Lycurgue, dans le dialogue entre Anciens et Modernes,
mais aussi entre Modernes. Dans ce dernier cas,
comment cette histoire a-t-elle pris place dans le
changement de paradigme en faveur d’Athènes, et
quelles sont les conséquences de deux siècles
d’historiographie moderne pour la polis athénienne,
pour la politeia démocratique, pour la conception du
politique ?

Les contextes d’une historiographie de


Clisthène et de Lycurgue
10 Quelles sont les conditions, les mutations qui expliquent
qu’une historiographie de Clisthène et de Lycurgue soit
devenue possible ?
11 Le premier ensemble d’innovations à prendre en
compte concerne l’écriture de l’histoire. Au début du
e
xviii   siècle, au moment de la Querelle et dans les

décennies qui suivent, trois grandes conceptions ou


orientations dominent et interfèrent souvent. La plus
durable, depuis la redécouverte des historiens anciens,
est l’historiographie humaniste telle qu’elle est définie
dans les traités rhétoriques de Cicéron. L’histoire écrite
par les Anciens fournit des modèles de comportement et
de vie  ; elle est magistra vitae, selon la formule célèbre
du De l’orateur40. Les héros de Tite-Live et de Plutarque
constituent un inépuisable catalogue. Leurs actions sont
dignes d’être imitées également parce qu’elles sont
composées et exposées avec art. Le double registre,
moral et rhétorique, de l’histoire humaniste, partout
enseignée, constitue un cadre contraignant d’abord en
raison du prestige qui s’attache aux auteurs anciens.
Comment oser prétendre faire mieux que Salluste ou
Tite-Live  ? Une autre manière d’écrire l’histoire,
reposant sur l’érudition et le développement de la
philologie, est particulièrement vivante dans les milieux
du premier humanisme, au temps des Scaliger,
Casaubon, Juste Lipse, et elle se prolonge, à la fin du
e
xvii  siècle, avec les travaux des « Antiquaires », dont les

traités – le De re diplomatica (1681) de Mabillon, la


Paleografia graeca (1708) de Montfaucon – définissent
les règles et les exigences d’une histoire savante. Le
conflit qui oppose les érudits aux premières
manifestations de l’esprit philosophique est propre à la
France, pour l’essentiel, et restera assez largement
incompris des voisins européens, l’Allemagne,
l’Angleterre, la Hollande notamment, qui ne connaissent
pas le déficit d’érudition propre aux Lumières41. Dans le
Discours préliminaire de l’Encyclopédie, d’Alembert
décrit l’«  érudit comme une espèce d’avare […] qui
entasse sans choix les métaux les plus vils avec les plus
précieux  » et n’a besoin pour cela que de la mémoire,
faculté «  que l’on cultiva d’abord, parce qu’elle est la
plus facile à satisfaire42 ».
12 Un second contexte, qui rapproche plus directement de
Clisthène et de Lycurgue, concerne la place de la culture
humaniste, en particulier des Grecs, tout au long du
e
xviii   siècle. Les Modernes l’emportent sur les Anciens

dans la Querelle. Or les érudits, qui étaient les seuls à


prendre pour objet d’étude les Grecs, s’étaient rangés du
côté des Anciens. Il en résulte que seuls les Romains
apparaissent comme « modernes ». Par ailleurs, Sparte,
connue à travers la Vie de Lycurgue de Plutarque,
traduite par André Dacier, en  1721, dans une langue
plus accessible que celle d’Amyot (1559), apparaît
comme un modèle mythique, qui s’inscrit parfaitement
dans les cadres d’une historia magistra vitae, tandis que
l’image d’Athènes, écartelée entre les six Vies de
Plutarque, du ve  siècle (de Thémistocle à Alcibiade), et
les œuvres d’Hérodote et de Thucydide apparaît comme
trop complexe, trop « réelle ».
13 Néanmoins, en dépit de ces obstacles, la place et la
fonction d’Athènes dans l’histoire grecque commencent
à être reconnues vers le milieu du siècle, pas seulement
parce que Sparte se révèle de plus en plus comme une
fiction théorique hors de l’histoire, ainsi chez Rousseau
et Mably43. D’une part, apparaissent les premiers signes
d’une histoire d’Athènes dont la puissance reposerait
non sur les armes, mais sur le commerce, comme dans
l’Essai politique sur le commerce (1734) de Jean-François
Melon, secrétaire de John Law44. En 1772, Diderot en fait
un constat encore plus appuyé : « L’esprit de commerce
est [devenu] sans contredit l’esprit dominant du
siècle45. » D’autre part, Montesquieu, dans De l’esprit des
lois (1748)46, place Athènes à côté de Rome, comme
modèle des « bonnes démocraties », c’est-à-dire de celles
pour lesquelles «  l’amour de la république [= de l’État]
est celui de la démocratie ; l’amour de la démocratie est
celui de la liberté  ». Dans le parallèle entre Rome et les
cités grecques, Athènes prend pour la première fois la
place de Sparte47. Avec la «  populeuse Athènes  » la
perception de l’Antiquité se modernise, s’enrichit et se
complexifie, en ce qu’il devient possible de passer du
politique à l’économique, pour en appréhender le
prestige.
14 La Révolution crée un nouveau contexte pour l’étude de
l’Antiquité, qui a fait l’objet de nombreuses analyses48.
Importe ici pour nous le sort réservé à la Grèce et à
Athènes, à Clisthène et à Lycurgue.
15 L’événement de la Révolution et l’une de ses
conséquences majeures, la conquête napoléonienne,
sont à l’origine de trois changements importants qui
affectent le statut de l’Antiquité, de la Grèce et
d’Athènes en particulier, en Europe et notamment pour
le monde germanique. Tous les pays ne reçoivent pas
ces ondes de choc avec la même intensité et au même
moment. L’Angleterre observe, depuis le début, sans
être ébranlée, tandis que Napoléon, vainqueur à Iéna,
entre dans Berlin le 27 octobre 1806 ; le Saint Empire est
aussitôt dissous, et ce n’est qu’en  1810 qu’est fondée la
nouvelle université de Berlin. Dans les toutes premières
décennies du xixe  siècle, l’étude de l’Antiquité se
renouvelle tout d’abord dans ses méthodes, au contact
des ressources croisées de l’histoire et de la philologie,
et avec l’apport des «  sciences auxiliaires  », telle
l’épigraphie, qui se constituent alors en domaines
autonomes. Ensuite, l’étude de l’Antiquité devient une
institution, dans les sphères de la culture et de
l’éducation, à travers l’Université, et elle occupe en cela
une place considérable dans la société. Enfin, elle
acquiert une fonction de médiation pour penser les
problèmes politiques du présent, à un moment où
l’Europe est aux prises avec la formation des États-
nations. Ces trois lignes de force sont liées. Ainsi dans la
Prusse occupée par les armées napoléoniennes, la
résistance politique s’organise d’emblée autour du
problème de la reconstruction de l’Université, sur des
fondements épistémologiques qui s’opposent à
l’utilitarisme promu dans les lycées et l’université
français. Les antiquisants, Wolf, Niebuhr, Humboldt
font de l’organisation de cette nouvelle «  Science de
l’Antiquité  » (Altertumswissenschaft) une priorité du
gouvernement prussien. Les progrès de cette histoire
philologique ne tiennent pas seulement à une plus
grande rigueur technique. Ils reposent plus encore sur la
mise au jour des idées, des intuitions, des hypothèses
qui permettent de rendre compte de la totalité du
phénomène étudié. Or, dans l’Europe post-
révolutionnaire, les phénomènes d’ensemble dont
l’étude est au centre de toutes les préoccupations sont
les États. Leur formation, leur organisation, avec la
question absolument centrale de l’unité, leur déclin, leur
chute aussi se retrouvent dans tous les travaux
historiques, et l’Antiquité fournit bien des dossiers pour
comprendre par analogie le présent. Parmi ces dossiers,
Rome est au premier rang, et Niebuhr illustre dans sa
Römische Geschichte, dont les deux premiers volumes
paraissent en  1811-1812, les ressources de cette
nouvelle histoire  ; le problème de l’impossible empire
universel d’Alexandre et des États hellénistiques qui en
sont issus sera l’affaire de Droysen ; un troisième cas de
figure prend vite une place considérable et, pour une
part, inattendue  : l’Athènes classique, avec son régime
démocratique et son impérialisme.
16 L’imitation des Anciens ou la simple reproduction de
leurs œuvres laisse donc peu à peu place, au cours du
e e
xviii et du xix  siècle, à une historiographie dont l’assise

épistémologique est marquée par les règles de la


critique et par la prise de conscience que les enjeux du
présent font partie des modes de construction de la
connaissance historique. Quelles conséquences résultent
pour Clisthène et Lycurgue de cette nouvelle approche
de la « cité classique » ?

De Rollin à Glotz : Clisthène sans Lycurgue ?


17 L’Histoire ancienne que publie Rollin, entre 1730 et 1738,
est consacrée, pour l’essentiel des treize volumes, aux
Grecs49. Dans l’introduction du livre 5, où commence
l’histoire des Grecs, il insiste sur ce qui est une
nouveauté et une audace :
«  De tous les pays connus dans l’Antiquité, il n’y en a
guère d’aussi célèbres que la Grèce, ni qui fournissent
à l’histoire des monuments si précieux et des faits si
éclatants. De quelque côté qu’on la considère, soit pour
la gloire des armes, soit pour la sagesse des lois, soit
pour l’étude des sciences et des arts, tout y a été porté
à un haut degré de perfection  ; et l’on peut dire, par
rapport à tous ces objets, que la Grèce est devenue en
quelque sorte l’école du genre humain50. »
18 Dans le premier chapitre du livre 10, intitulé «  Du
gouvernement politique  », le tableau qu’il propose de
l’histoire d’Athènes met en valeur les temps du
gouvernement populaire, depuis Solon, qui a instauré la
«  liberté  » et l’«  égalité  », en «  donnant aussi aux
pauvres quelque part du gouvernement dont ils étaient
exclus ». Rollin attribue à Solon ce qu’Hérodote confère
à Clisthène51. La section « Du gouvernement d’Athènes »
est surtout un éloge de Solon, parce qu’il a «  donné sa
principale application à l’étude de la philosophie, et
surtout à la partie de cette science qu’on appelle
politique52 » et parce qu’il a su faire d’Athènes un « État
populaire » dont l’« âme […] est l’égalité53 » et où tout le
pouvoir revient à l’assemblée du peuple. Mais,
conjointement, «  Solon, habile et prudent comme il
l’était, sentait bien les inconvénients de la
démocratie54  ». C’est pourquoi, même si Athènes, après
la chute des tyrans (511-510), retrouve de l’énergie,
Clisthène n’est mentionné qu’une fois, parce que son
action est inscrite dans le cadre des rivalités entre
« factions ». Toutefois Rollin, suivant Hérodote cette fois,
note que Clisthène «  avait attiré le peuple dans son
parti » et « en changea la constitution55 » par la réforme
des tribus. C’est peu, mais les contemporains de Rollin
sont encore moins bavards, et son appréciation fait
entrer le lexique politique et Clisthène dans l’analyse de
l’histoire athénienne. Le père fondateur est Solon, mais
il est tenu à l’écart d’une «  démocratie  » dont
l’« inconvénient » principal est la puissance populaire56.
19 Lycurgue a droit à une notice d’une page dans la section
du livre 27 consacrée aux orateurs, simple condensé de
la Vie du corpus plutarquéen, qui dégage les traits d’une
vulgate, ordonnée autour des magistratures et des
vertus – « probité », sévérité – de l’orateur.
20 Entre Rollin et la Révolution, et en partie grâce à Rollin,
Athènes devient une figure dont les traits se précisent de
plus en plus, en tant que puissance marchande dans les
débats sur l’esprit de commerce comme substitut de
l’esprit de conquête par les armes, mais aussi en tant
que puissance politique. Faut-il dès lors s’étonner de
deux grandes absences  ? Ni Clisthène ni Lycurgue ne
sont mentionnés dans les écrits politiques de Rousseau
et dans l’article « Athènes » de l’Encyclopédie. Rousseau
ne leur consacre une allusion ni dans le Discours sur les
sciences et les arts (1750) – y compris dans le parallèle
entre Athènes et Sparte –, ni dans les deux versions du
Contrat social – pas même dans les sections «  Du
législateur  » ou «  De la démocratie  » –, ni dans les
Fragments politiques. Rousseau en donne peut-être lui-
même indirectement la justification dans la seconde
version du Contrat social ; la démocratie, écrit-il est « un
gouvernement si parfait [qu’elle] ne convient pas à des
hommes », si bien, précise-t-il non loin, qu’« à prendre le
terme dans la rigueur de l’acception il n’a jamais existé
de véritable démocratie, et il n’en existera jamais57 ». La
Grèce de Rousseau n’est pas celle des historiens et de la
critique historique ; elle est un mythe historico-politique
qui s’applique fort bien au Lycurgue de Sparte, non à
celui d’Athènes. Dans l’article «  Athènes  » de
l’Encyclopédie, rédigé pour le « Supplément » de 177658,
par Turpin, l’information est peu sûre et l’esprit
violemment antidémocratique. La principale erreur
concerne Clisthène dont toutes les réformes sont
attribuées à Pisistrate, qualifié de «  tyran paisible, […]
d’autant plus dangereux qu’il paraissait n’user de son
pouvoir que pour la félicité publique59 », ce qui revient à
reconnaître quelque mérite au régime démocratique !
21 À l’approche de la Révolution et du temps des
législateurs60, Clisthène et Lycurgue ont beaucoup de
mal à se faire une place parmi la liste de ceux que les
Lumières ont utilisés, du moins du côté des Grecs  :
Lycurgue de Sparte, Solon, Aristide, Socrate, Phocion. Le
Voyage du jeune Anacharsis est une exception notable à
ce silence. Le récit de Barthélemy, dont l’immense
érudition, de première main, côtoie l’absence de mise à
distance historique entre le présent du xviiie  siècle et le
e
iv   siècle avant notre ère que son héros est censé
parcourir, consacre d’assez longues analyses à Clisthène
dans une section intitulée toutefois « Siècle de Solon61 ».
Barthélemy est peut-être le premier à prendre le temps
de réfléchir à un problème maintes fois repris par la
suite : existe-t-il une continuité de Solon à Clisthène, ou
bien ce dernier innove-t-il radicalement en inventant la
démocratie  ? Sa réponse est tortueuse, et il faudrait
analyser en détail l’ensemble de son exposé62. Tout
d’abord, s’impose la thèse de la continuité  : «  Il
[Clisthène] raffermit la constitution que Solon avait
établie, et que les Pisistratides ne songèrent jamais à
détruire63.  » Aucun d’eux «  ne pri[t] le titre de roi  ».
Logiquement, « c’était donc comme premiers magistrats,
comme chefs perpétuels d’un État démocratique, qu’ils
agissaient, et qu’ils avaient tant d’influence sur les
délibérations publiques64  ». L’originalité de Clisthène
disparaît derrière l’uniformité « démocratique » du trio
Solon-Pisistrate-Clisthène. Tous les trois sont auteurs de
la démocratie qui éclôt au temps de Clisthène. Mais
ensuite Barthélemy hésite à dire ce qui l’emporte et
constitue la force et la valeur du régime  : l’héritage
solonien ou les innovations de Clisthène  ? Notamment
«  ces tribus, comme autant de petites républiques  »  :
«  Les multiplier et leur donner plus d’activité, c’était
engager tous les citoyens, sans distinction, à se mêler
des affaires publiques65 », ce qui n’est pas sans danger,
car il faudra par la suite les « indemniser ». Publier cela
en 1788 supposait qu’on soit attentif aux frémissements
politiques du temps présent. Mais les victoires des
guerres médiques montrèrent ce qu’avait de perverti le
régime démocratique  ; il fallut en récompenser la
«  multitude  », ce que fit Aristide par des droits
politiques, et son successeur Périclès, le «  plus
dangereux des courtisans  », en accordant des
indemnités. C’est pourquoi «  rétablir le gouvernement
de Solon66 », c’est-à-dire la « constitution des ancêtres »
chère à Isocrate67, tel est ou tel aurait dû être, pour
Barthélemy, le seul mot d’ordre de Clisthène. Quant à
Lycurgue, il est bien trop éloigné de Solon pour figurer
ici, bien qu’Anacharsis voyage dans son siècle68.
22 Dans les deux décennies qui entourent la Révolution,
Barthélemy n’est pas le seul, parmi la tradition
antidémocratique, à mentionner Clisthène69. Pierre-
Charles Lévesque, le traducteur de Thucydide (1795),
établit lui aussi, dans ses Études d’histoire ancienne, une
continuité de Solon à Clisthène. La référence reste Solon.
Après lui, vient le temps de la déchéance sous deux
formes également condamnables  : Pisistrate représente
le «  joug des tyrans  », Clisthène l’«  excès de
démocratie  ». Alors que Clisthène «  avait puissamment
contribué à l’extinction de ce qu’on appelait la
tyrannie  », en portant les tribus à dix, il s’était mis à
«  flatter le peuple  », en lui permettant d’accéder à des
magistratures trop nombreuses et trop hautes70. Il est
aisé de reconnaître ici en Lévesque un tenant de la
république thermidorienne, effrayé par la démocratie
directe athénienne, en raison de ce qu’il a vu d’une autre
forme de démocratie directe, sous la Terreur.
23 Il faut revenir quelques années en arrière, pour
comprendre ce que fut la place de Clisthène dans les
Histoires grecques que font paraître les prédécesseurs
de George Grote, William Mitford et John Gillies, dans la
décennie 1780. Dans The History of Greece, que Mitford –
une des lectures de Joseph de Maistre – fait paraître à
Londres, à partir de  1784, les réformes de Clisthène
procurent aux Athéniens une «  liberté nominale  ».
Mitford, dont les sources sont indiquées en marge de
son édition, tente de déduire d’Hérodote V, 69 – «  il
apparaît d’après Hérodote…  » – que «  Clisthène ne fut,
de son temps, pas moins tyran d’Athènes que Pisistrate
ne l’avait été. Son pouvoir était semblable, mais sa
modération ne l’était pas71 ». Pour Mitford, conservateur
et antidémocrate, si l’on doit s’accommoder de la
démocratie, c’est avec la version qu’en donne la
constitution de Solon72. The History of Ancient Greece de
Gillies (1786) ignore l’histoire athénienne du vie  siècle –
l’absence de la Constitution d’Athènes d’Aristote était
certes un obstacle de taille, mais Hérodote était
disponible, et pour Athènes et pour Sparte. L’auteur s’en
explique73, un peu étrangement, en soulignant qu’il
existe deux moments importants dans l’histoire des
institutions athéniennes  : d’une part, les «  admirables
institutions des âges héroïques, construites sur la
religion74  »  ; d’autre part, la législation de Solon qui
garantit à chaque citoyen d’être jugé par ses pairs,
conformément aux lois qu’il aura lui-même reconnues75.
Entre Solon, auquel treize pages sont consacrées76, et
Périclès (un paragraphe de treize lignes !), le récit laisse
un immense vide historique, dans lequel est emporté
Clisthène et qui reflète l’hostilité de Gillies envers la
démocratie. La preuve de ce rejet est donnée dans une
note déplorant le manque de jugement de Polybe qui « a
confondu les institutions tempérées de Solon avec le
caractère permissif et tyrannique de la démocratie » de
Périclès77. Quant à l’histoire du milieu du ive siècle, dans
la version de Gillies, elle est centrée autour de
l’opposition entre Philippe et Démosthène, et les
mesures intérieures de Lycurgue sont brièvement
mentionnées avec le patriotisme de ses discours78.
24 Au total, Clisthène est soit laissé à l’écart, soit emporté
avec la condamnation de la démocratie. Les raisons de
cet oubli sont liées à plusieurs contextes : la place de la
référence à l’Antiquité, confondue avec une sorte de
millénarisme lié à l’image de Sparte79 sous la Terreur  ;
plus largement, l’héritage du xviiie  siècle, plus romain
que grec, et dans ce dernier cas, plus spartiate
qu’athénien  ; enfin, les difficultés à reconnaître que la
démocratie est au centre de l’héritage politique grec et
que les sources, à commencer par Hérodote, disent sans
détour que c’est « Clisthène [qui] mit en place les tribus
et la démocratie80 ».
25 Parmi les grandes histoires de la Grèce qui paraissent
au xixe  siècle, la première qui fait date est celle de
Connop Thirlwall (1797-1875), évêque de Saint David’s
et ami de Grote. Dans le premier des huit volumes de
son History of Greece qui paraissent de  1835 à  1844,
quelques pages sont réservées à Clisthène81. Sans entrer
dans le détail des nouveautés institutionnelles – ici
encore l’absence de la Constitution d’Athènes d’Aristote
l’explique –, Thirlwall, à l’opposé des analyses
antidémocratiques de Mitford et Gillies, souligne
l’essentiel  : le «  nouvel esprit  » qui anime ces
innovations est étroitement lié à la nouvelle
organisation territoriale de l’Attique82.
26 Grote (1794-1871) opère un renversement complet par
rapport à ses devanciers83, au moins en ce qu’il consacre
à Clisthène une longue section de soixante-cinq pages,
dans le tome  V de son History of Greece84. La ligne
principale de l’analyse est formulée presque d’emblée  :
«  Son association avec le peuple donna naissance à la
démocratie athénienne  : ce fut une réelle et importante
révolution85. » Clisthène est doté des traits du fondateur,
et ce point explique la première grande rupture, qui
concerne le rapport avec Solon. Tout en rappelant « ces
institutions préexistantes sur lesquelles on pût édifier »,
Grote souligne que Clisthène «  en même temps modifia
et développa tous les principaux traits de la constitution
politique de Solon86  », et que ces changements allèrent
dans le sens d’un progrès tel qu’il fut presque une
rupture, sans pour autant faire de l’Alcméonide un saint
héros. Plus l’exposé avance, plus le personnage prend de
l’épaisseur politique et plus la rupture semble
consommée avec l’héritage solonien :
«  Telle fut la première démocratie athénienne,
engendrée aussi bien par la réaction contre Hippias et
sa dynastie que par la mémorable association, soit
spontanée, soit obligatoire, entre Kleisthénês et la
multitude non privilégiée. Elle est à distinguer tant de
l’oligarchie mitigée établie auparavant par Solôn que
de la démocratie symétrique, dans son complet
développement, qui prévalut dans la suite depuis le
commencement de la guerre du Péloponnèse. Ce fut,
en effet, une révolution frappante […] par le
changement visible qu’elle opéra dans la vie sociale et
politique 87. »

27 Grote, bon connaisseur de l’historiographie ancienne,


explique le fait que Clisthène disparaît soudain des
sources et de l’histoire, juste après ses réformes, « parce
qu’il passa pour le simple rénovateur du plan
gouvernemental de Solon88 ».
28 De cette position, inédite, en regard de Solon découle la
deuxième rupture introduite par l’analyse que propose
Grote. Dans les réformes de Clisthène concernant
l’Ecclêsia, la Boulê et les magistratures annuelles, le
premier il valorise les conséquences qui en résultent
politiquement pour l’ensemble du dêmos. Alors que,
« tant avant que depuis Solôn […], aucun des habitants
de l’Attique, à l’exception de ceux qui étaient compris
dans quelque gens ou quelque phratrie, n’avait de part
aux privilèges politiques89  », Clisthène rend à
l’Assemblée ses «  pleins pouvoirs90  », de sorte que la
principale «  transformation  » dont il est l’auteur est la
« grande et nouvelle idée du Peuple souverain, composé
de citoyens libres et égaux91 », régulièrement convoqués.
Grote oppose, selon un découpage chronologique inédit,
d’un côté, le temps de Solon et de Pisistrate, où la
convocation de l’Assemblée relève de l’arbitraire, et, de
l’autre, l’époque de Clisthène, où les réunions sont « à la
fois fréquentes et libres92  », lieu où prévalent une
« parole libre et une loi égale », isêgoria et autonomia93.
Cette rupture institutionnelle, voulue et mise en œuvre
par Clisthène lui-même, ne crée toutefois pas un lien
définitif et exclusif entre Clisthène et la démocratie
athénienne.
29 Grote introduit un troisième bouleversement qui fait de
la démocratie clisthénienne une référence pour d’autres
temps. C’est parce que le moment clisthénien peut être
tiré hors de son contexte et rapproché d’autres
expériences politiques démocratiques qu’il est possible
de dégager le principe commun à toute démocratie, la
notion de «  moralité constitutionnelle94  ». Il faut
entendre par cette expression à la fois le souci de
protéger le régime contre les « assaillants intérieurs » et
la conception que se fait chaque citoyen de la
démocratie comme «  coexistence de liberté et de
contrainte  » que chacun s’impose à soi-même.
L’illustration ou la traduction institutionnelle en est la
loi sur l’ostracisme95, et l’équivalent moderne peut en
être trouvé dans trois régimes : la situation où se trouve
l’aristocratie anglaise, «  depuis 1688 environ  », précise
Grote, la «  démocratie des États-Unis d’Amérique  »,
enfin la Révolution française, plus exactement la
Constituante et son mot d’ordre : « liberté et égalité96 ».
Protégée institutionnellement par l’ostracisme97 des
tentatives «  pour la renverser par la force98  » dans un
premier temps, la démocratie devient ensuite comme un
principe intériorisé par chacun, qui finira par rendre
inutile l’ostracisme :
«  Ensuite, grâce à ce jeu tranquille des forces
démocratiques, il se produisit chez les principaux
Athéniens une moralité constitutionnelle assez
complète pour permettre au peuple, après un certain
temps, de renoncer à cette garantie exceptionnelle
que présentait l’ostracisme 99. »

30 La théorie de Grote, assez largement inspirée des


analyses d’Aristote, au livre III, chapitre 4, de la
Politique, consacrées à l’identité entre l’excellence de
l’homme de bien et celle du citoyen100, a fini par
rejoindre la réalité de l’histoire athénienne.
31 Rupture temporelle (en tant qu’origine), rupture
politique (au sens institutionnel), rupture conceptuelle,
la démocratie clisthénienne, telle que l’analyse Grote,
marque bien une «  révolution  », par rapport au passé
solonien, et, vers l’avenir, elle apparaît
rétrospectivement comme la « première cause créatrice
de cette étonnante énergie personnelle et collective qui
signala le caractère athénien pendant un siècle à partir
de Kleisthénês101 ». Un Clisthène, une démocratie et une
Athènes politiques, par conséquent, plus que
« bourgeois ».
32 En regard, que pouvait Lycurgue ? Grote est tenté par le
parallèle. Il a la « conviction qu’une période de l’histoire
grecque ne peut être entièrement comprise que si on la
compare avec une autre102 ». Mais c’est le parallèle avec
Démosthène et Chéronée qui s’impose à lui, un parallèle
qui débouche sur le constat d’une divergence et d’une
décadence  : «  [le citoyen] considère la démocratie
comme une chose établie  »  ; la «  morale
constitutionnelle » qui faisait de lui un veilleur fait place
à la « langueur », à la « paralysie » et à « cette habitude
de compter sur d’autres pour agir, qui précèdent la
catastrophe de Chéronée103  ». De sorte que Lycurgue,
outre quelques mentions du Contre Léocrate comme
source, n’a droit qu’à une seule page104. Il y est présenté
comme le «  véritable ministre des finances  » pendant
douze ans, et le « plus grand financier depuis Périclès ».
Mais le fait que son action se situe après Chéronée lui
ôte toute dimension véritablement politique et la réduit
« à des questions d’administration intérieure ».
33 Peu avant ou en même temps que Grote publie le tome V
de son History of Greece, J. G. Droysen fait paraître,
en  1847, un long article intitulé  : «  Die attische
Kommunalverfassung  »105. Le fait peut étonner, car
Droysen s’est fait connaître, dans le monde de
l’Altertumswissenschaft, comme le grand spécialiste de
l’époque hellénistique  ; son Alexandre est paru en  1833
et a été suivi des deux premiers volumes  d’une vaste
Histoire de l’Hellénisme (1836 et 1843). La thèse qui
sous-tend tout l’édifice va à l’encontre de toutes les
Histoires grecques. Droysen loue l’œuvre politique de
Philippe II qui a su unifier tous les Macédoniens en une
« nation » homogène, et il ne considère pas la défaite des
cités grecques à Chéronée comme la fin de la civilisation
grecque  ; il reproche à Démosthène de ne pas avoir vu
qu’«  une ère nouvelle avait commencé, qui allait
révolutionner le monde106 ». Des conquêtes d’Alexandre
résulte ensuite, à partir des grands royaumes qui en
sont issus et des contacts entre Orient et Occident, une
unité de civilisation, à laquelle Droysen donne le nom
d’Hellenismus. Cette hypothèse de travail repose sur une
analyse rigoureuse et neuve des sources  ; elle s’appuie
également sur les problèmes politiques du présent, et
avant tout sur ce qui préoccupe le monde germanique :
comment créer un État-nation allemand unifié  ? Par
analogie, l’historien se demande, lui, comment se sont
constituées les monarchies hellénistiques et ce qui fait
leur grandeur et leur unité en tant qu’États.
34 Quelques années plus tard, alors qu’il est en poste à
l’université de Kiel – cette donnée n’est pas sans
importance –, il propose, dans l’article de  1847, une
analyse précise et élogieuse de la constitution de
l’Attique, telle qu’elle a été «  fondée  » par Clisthène107.
D’emblée, la polis est présentée comme «  ville  » et
« État », Stadt et Staat, c’est-à-dire, dans ce dernier cas,
comme un ensemble articulé, qui ne résulte pas
seulement d’une évolution historique, mais d’un acte
qui impose une législation positive comme
108
autolimitation . Ainsi Clisthène est-il présenté comme
un fondateur, parce que, en instituant les dèmes et les
tribus, sous une forme qui n’est pas le résultat d’un
développement historique109, il crée l’unité de l’Attique
en tant qu’État à deux niveaux qui se recoupent et se
complètent. Entendons  : si les trente-cinq États qui
composent la «  Confédération allemande  », depuis le
traité de Vienne (1814-1815), savaient parvenir à une
unité politique, le petit État du Schleswig, où se trouve
Kiel, n’aurait pas à redouter les tentatives d’annexion de
son puissant voisin danois  ; il pourrait se tourner vers
l’État, soit la Prusse, qui avait les préférences de
Droysen, soit l’Autriche. Mais en  1847, l’Allemagne n’a
pas encore trouvé son Clisthène. L’année suivante, après
le printemps des peuples de  1848, le Parlement de
Francfort, chargé de trouver une Constitution pour un
État allemand unifié, accueille plusieurs universitaires
et historiens que préoccupent ces questions, et parmi
eux Droysen. Dans le grand mouvement qui, en Europe,
conduit les historiens à inventer et à construire une
relation d’analogie entre Antiquité et temps présent, au
risque, toujours assumé, de l’anachronisme, le dossier
sur Clisthène ne reste pas à l’écart. On sait par ailleurs
que, sur toutes ces questions, Grote lit et admire les
historiens allemands, tandis que ces derniers guettent la
parution régulière des tomes de l’History de Grote. Le
temps de Lycurgue fait partie des années que prend en
compte le premier volume de Droysen, son Alexandre le
Grand, et pourtant il est délaissé. Certes il est question,
dans quelques passages dispersés, de l’«  intègre
Lycurgue  », «  qui avait parfaitement administré les
finances de l’État pendant douze ans110 », mais il illustre
surtout le «  dernier reste de l’énergie politique  » des
cités et d’Athènes.
35 En France aussi, la parution des volumes de Grote est
suivie de très près, par Prosper Mérimée111 et par Victor
Duruy (1811-1894). Bien que spécialiste d’histoire
romaine, Duruy publie, en  1851, une Histoire grecque,
reprise et complétée en 1862, en deux volumes, avec les
acquis de Grote, puis dans une édition illustrée en trois
tomes, qui paraissent de 1887 à 1889. Entre temps il est
devenu ministre de l’Instruction publique de Napoléon
III, de  1863 à  1869. Comme chez Droysen et Grote, la
«  modernité  » de l’Antiquité ne fait aucun doute pour
Duruy ; il l’écrit dans ses Notes et souvenirs rédigés à la
fin de sa vie112  ; il le met en pratique dans sa réflexion.
Dans les trois éditions, Duruy partage sur le fond les
thèses principales de Grote ; il ruine le modèle spartiate,
qu’il qualifie de «  simple machine de guerre qui a fini
par se détruire lui-même » et il fait l’éloge de l’Athènes
de Périclès, «  cet âge d’or de l’esprit humain  ». Le
Clisthène de Duruy113 rompt, au début de l’exposé, avec
Solon, en permettant que soient inscrits sur le registre
des dèmes, base de cette «  organisation nouvelle  », des
gens qui jusqu’alors en avaient été exclus, bien qu’ils
fussent présents en Attique parfois depuis plusieurs
générations, notamment des «  gens de métiers et des
marchands114 ». Dès Clisthène apparaissent, chez Duruy,
les prémices de l’«  Athènes bourgeoise  », mais celle-ci
n’est jamais séparée de sa dimension politique  :
auparavant «  l’unité politique était le genos  »  ; avec
Clisthène c’est désormais le dêmos115, y compris le dêmos
en armes, qui triomphe de Sparte et de Thèbes,
conformément à l’image héritée de la Révolution  : «  La
démocratie inaugurait glorieusement son avènement
par deux importantes victoires gagnées en deux
jours116.  » La fin de l’exposé de Duruy rétablit une
continuité avec l’héritage solonien – en quoi il se sépare
de Grote – et surtout se transforme en une libre
méditation et synthèse sur une Athènes libérale, image
et modèle du Second Empire et de l’Angleterre
victorienne. Il vaut la peine de citer ce texte, car il définit
pour longtemps, et bien après la seconde révolution
industrielle, la fonction de l’Athènes démocratique :
« Nous venons de voir Athènes, après bien des troubles
et des révolutions, entrer rapidement dans les voies
démocratiques et devenir ce que Solon avait voulu
qu’elle fût, une réunion de citoyens au milieu desquels
ni familles, ni corporations, ni castes n’avaient de
droits particuliers et héréditaires. L’égalité devant la
loi, la sécurité des biens et des personnes, le libre
accès aux charges, aux tribunaux, à l’assemblée
générale, des lois écrites qui empêchaient l’arbitraire,
un domaine public qui appartient vraiment au public,
puisque le produit des mines, par exemple, était
partagé entre les citoyens, quand la cité ne le
réclamait pas pour ses nécessités, mais la direction
des affaires réservées aux riches, puisqu’ils avaient
plus de loisir, et qu’ils pouvaient, au besoin, faire de
plus grands sacrifices ; et, avec toutes ces nouveautés,
le respect des grands noms, des vieilles familles et de
l’ancienne religion du pays, de sorte que tout lien avec
le passé n’étant point brisé, l’État ne pouvait se
précipiter témérairement vers un avenir inconnu, et
que la noblesse athénienne, comme celle d’Angleterre,
restait l’ornement et la force de la cité, sans être pour
elle une menace et un péril  ; voilà quelle était
l’Athènes de Solon et de Clisthène, un gouvernement
qui poussait à la libre expansion des facultés de
chacun et au dévouement absolu de tous pour la
grandeur commune 117. »

36 Vulgate d’une Athènes libérale et, plus encore, affadie,


dit-on parfois  ! Certes, l’analyse de Duruy n’a pas la
complexité de celle de Grote, mais cette vulgate fait
débat, en France surtout et pour longtemps, nous le
verrons avec Glotz.
37 Lycurgue n’a droit qu’à quelques lignes, non qu’il soit
déconsidéré, mais il n’a de sens qu’en référence aux
grands modèles du passé  : un «  homme des anciens
jours, juste comme Aristide, sage comme Socrate, noble,
riche et vivant dans l’abstinence118  », grand orateur à
l’égal de Démosthène, «  figure austère  », un peu en
marge de l’histoire en somme, «  que nous ne pouvons
que saluer en passant », conclut Duruy.
38 Doit-on conclure que tout le xixe  siècle est dominé par
l’historiographie libérale, favorable à Clisthène parce
qu’il serait l’instaurateur de la démocratie, conçue
comme cadre politique nécessaire au développement
des libertés – et non de la liberté –, celles des Anciens et
celles des Modernes  ? En Allemagne, deux facteurs
conduisent à des conclusions souvent différentes : d’une
part, les réflexions sur l’État et sur la question de
l’unité  ; d’autre part, l’appartenance des historiens à
une bourgeoisie urbaine cultivée, souvent issue des
milieux protestants, qui, comme les hauts
fonctionnaires de même origine, aspire à construire un
État ne reposant plus sur les traditions de l’aristocratie
des Junkers. Ces débats se reflètent dans la Griechische
Geschichte en trois volumes que publie Ernst Curtius
(1814-1896), entre 1857 et 1867119. Dans le long chapitre
consacré à «  Clisthène et ses réformes  »120, Curtius
développe, de façon originale, une analyse qui opère
une nette distinction entre, d’une part, le personnage de
Clisthène et, d’autre part, ses réformes. L’individu
Clisthène apparaît comme un patriote ardent et
sincère121, mais aussi comme un aristocrate ambitieux
par ascendance122. Tantôt il semble incontrôlable, sans
réels scrupules, et sa «  naturalisation des étrangers et
des affranchis  » le fait présenter sous le jour d’un
«  démagogue  », et «  il est difficile de voir [dans cette
mesure] autre chose qu’une préparation au
gouvernement personnel ». La conclusion de Curtius est
un jugement sans appel  : «  Clisthène fut le dernier
imitateur des tyrans du viie et du vie  siècle123.  » Tantôt il
est mû par une grande cause qui l’habite : la démocratie
et la liberté. Mieux vaut, par conséquent, privilégier une
seconde ligne d’analyse qui s’en tient strictement à
l’appréciation des réformes. Curtius insiste alors et sur
l’héritage solonien124 et sur la question de l’égalité125.
L’inscription dans les dèmes garantit une «  égalité
indistincte et sans degrés  » qui fait la réalité et la
puissance de l’État : « La liberté populaire et la grandeur
de l’État étaient choses tellement solidaires126. » On voit
très nettement Curtius aux prises avec les réformes
clisthéniennes et avec les réalités prussiennes. L’histoire
grecque est analysée comme étant celle de la
consolidation du droit127 et de la difficile constitution
d’un État. C’est à cet édifice que Clisthène apporte sa
contribution. On y retrouve l’obsession pour la question
de l’unité128, ainsi que l’influence des analyses de Hegel,
qui fut considérable.
39 Dans l’historiographie clisthénienne, quel fut
l’événement qui introduisit la plus grande fracture : est-
ce la découverte de la Constitution d’Athènes en 1891, ou
bien s’agit-il des conséquences du premier conflit
mondial, qui divisent la communauté des savants
antiquisants  ? Les singularités de l’actualité politique
nationale occupent aussi une place essentielle. Tous ces
éléments se retrouvent dans les travaux de Gustave
Glotz (1862-1935). Clisthène est fort peu présent dans La
cité grecque (1928)129. Il occupe un rôle majeur dans le
premier volume de l’Histoire grecque, dont Glotz est le
seul auteur et qui paraît en  1925. La rupture avec les
prédécesseurs semble d’emblée consommée  : «  On doit
considérer comme périmées, précise-t-il dans la
bibliographie commentée qui ouvre le volume, les
grandes histoires130  » de Duruy, Grote, Dunker, Curtius.
À la place, il recommande celles de Busolt, Meyer,
Beloch. Il tient l’historiographie allemande en grande
estime, mais l’esprit nationaliste et l’hostilité qui
règnent dans les rapports entre la France et
l’Allemagne, notamment depuis le conflit de  1870, sont
toujours associés au jugement scientifique, ainsi à
propos des quatre gros volumes de la Griechische
Geschichte de Busolt  : «  L’ensemble constitue un
excellent répertoire des faits et des sources, avec
justification complète dans les notes  ; sans agrément,
mais digne de confiance131. »
40 Glotz inscrit son analyse entre deux lignes de force  :
«  Clisthène se déclara le défenseur de la constitution
solonienne132  », et, d’autre part, déjà «  Athènes était
devenue une grande puissance par le commerce133 ». Le
lien direct avec Solon, par-delà Pisistrate, est
caractéristique de la version thermidorienne et
républicaine qui, dans l’histoire de la démocratie
comme dans celle de la Révolution, gomme l’épisode
tyrannique, celui de la Terreur et de Robespierre134.
Quant à l’Athènes marchande, celle « du commerce et de
l’industrie  », elle constitue le moyen de rallier tous les
citoyens et de présenter Athènes comme une «  cité
nouvelle135  ». Cette nouvelle Athènes, due à Clisthène,
repose sur quatre réformes essentielles, issues de la
réflexion d’un homme qu’il est indispensable de
présenter au préalable comme «  appartenant à une
famille aristocratique depuis longtemps brouillée avec
l’aristocratie136  », car le modèle politique explicite que
fait valoir Glotz, dans la conclusion de ce passage, est la
Révolution :
« Rien n’est plus curieux dans l’histoire que de voir, à
vingt-trois siècles d’intervalle, le même esprit
produire les mêmes effets  : comme les assemblées de
la France révolutionnaire, Clisthènes, après avoir
brisé les cadres où se perpétuait le passé, voulut, lui
aussi, assujettir au système décimal le temps lui-
même 137. »
41 Les quatre réformes dues à Clisthène sont la « formation
des dèmes  », la plus importante, parce qu’elle crée une
démocratie locale  ; la refonte des tribus, parce qu’elle
marque la fin de la « noblesse » – dont Clisthène ne fait
presque plus partie  ; le conseil des Cinq-Cents et le
calendrier prytanique ; la loi sur l’ostracisme, destinée à
«  mettre à l’abri  » la réforme. Glotz est très clair  :
« révolution », « nouvelle constitution », « gouvernement
du peuple par le peuple », règne absolu de la « liberté »,
«  ère nouvelle qui commence  », tout est l’œuvre d’un
« homme de génie138 ». C’est encore par l’affirmation de
l’idéal de la liberté que s’ouvre la longue section
consacrée à Lycurgue, rédigée par Robert Cohen, élève
et collaborateur de Glotz139. C’est peut-être Robert Cohen
qui, au terme de l’enquête, nous donne la clef pour
comprendre l’impossible parallèle entre Clisthène et
Lycurgue. Ce dernier est présenté, sans surprise, en
conclusion, comme un « réformateur incorruptible », un
« fonctionnaire dont l’intégrité resta proverbiale à Rome
comme en Grèce  », un «  organisateur  », qui permit à
Athènes de relever la tête face au tout-puissant
Alexandre. Mais, ajoute Cohen, lecteur de Duruy, c’est
« un homme d’un autre âge [qui] n’avait, au demeurant,
aucune des qualités propres à entraîner une
démocratie  ». Avec ce mot, le registre politique est
mentionné in fine et in extremis, et pour être porté au
discrédit de Lycurgue. De sorte que, s’il faut le
rapprocher d’un grand politique du passé, ce ne pourra
être ni Clisthène, ni Solon, mais Dracon  : Lycurgue,
«  justicier impitoyable, poursuivait avec acharnement
quiconque lui paraissait avoir agi contre l’intérêt de la
cité  : on a dit de lui, comme de Dracon, qu’il trempait
son stylet dans le sang 140  ». Dans l’historiographie,
Lycurgue manque de charisme politique  ; «  il pouvait
inspirer l’estime, mais non l’enthousiasme ni
l’affection », ajoute Cohen.
***
42 La manière dont les Modernes se sont approprié l’action
menée par Clisthène et par Lycurgue ainsi que leur
contribution à la formation de l’«  Athènes classique  »
permet-elle de préciser la conception qu’eux-mêmes et
leurs contemporains se faisaient de la polis et du
politique ?
43 Lycurgue, dans l’historiographie moderne, n’est pas
présenté comme une figure politique, du moins pas dans
la conception que l’historiographie prise en compte se
fait du politique. Il est presque un anti-Clisthène, alors
qu’il s’agit de la même cité et, pense-t-on, de la même
politeia, celle de la «  cité classique  » et démocratique.
Aux yeux des Modernes, Lycurgue ne fait même plus de
politique, il s’occupe des finances, des cultes, des
tragiques  : «  Il assigne ainsi à la politique une fonction
culturelle et artistique141. » Mieux vaut, par conséquent,
ne pas parler de lui au sein d’une étude d’histoire
politique. Il est bien entendu qu’un tel discours nous
informe d’abord sur une conception moderne du
politique, reposant strictement sur le jeu des
institutions, la confrontation des idées et le choc des
partis ou des factions, ainsi que sur une manière d’en
rendre compte dans l’écriture historique. C’est pourquoi
l’historiographie du politique contient une invitation à
être attentif au lexique employé et à ses connotations.
Lorsque Grote souligne que Lycurgue se consacre aux
«  questions d’administration intérieure  », cela signifie
qu’il porte une appréciation négative, et qu’il exclut ces
registres de la politique. Pour aborder les mêmes sujets
hic et nunc, nous parlerions de « pratiques culturelles »,
de «  comportements collectifs  », d’«  usages sociaux  »,
d’« histoire des mœurs », avec une connotation positive.
Autre politique, qui correspond aussi à une autre
manière d’en parler.
44 Si l’on déplace le regard du côté de Clisthène, pour
tenter d’expliquer cette discordance, il est utile de
prendre en compte conjointement les sources anciennes
et une historiographie qui n’a cessé d’accompagner
l’histoire de la réception de l’Antiquité. On constate que
les documents anciens posent à l’origine du régime
isonomique un conflit entre aristocrates, entre Isagoras
et Clisthène. Avec Clisthène, pour reprendre un propos
de Nicole Loraux, les Athéniens «  ont inventé le
politique sur le mode de la victoire142  » résultant d’une
scission. Il n’est de solution politique que dans la
division assumée. Or, à la fin du xviiie  siècle et durant
tout le xixe, c’est en terme de «  révolution  » que l’on
présente les réformes de Clisthène, qu’il soit ou non
l’héritier de Solon. Pisistrate est même souvent effacé,
parce qu’il se serait contenté de reprendre telles quelles
les lois de Solon sans rien inventer. Et la principale
question que l’historiographie moderne pose aux
Anciens143 est de savoir qui, de Clisthène ou du dêmos,
est l’acteur politique qui fait la politique athénienne. La
place centrale réservée à l’ostracisme, appréhendé
comme institution modérée et protectrice du nouveau
régime, qu’on le nomme isonomia ou dêmokratia,
apporte très certainement un élément important de
réponse : « le politique » tel que l’a instauré Clisthène à
Athènes réside dans des lois, au sens institutionnel, des
lois qui, dans le meilleur des cas, finissent par être si
bien admises et intériorisées qu’elles en sont oubliées.
Ce n’est toutefois pas une manière d’oublier les conflits
toujours présents ou possibles.
45 Les destins historiographiques de Clisthène et de
Lycurgue se situent entre ces deux voies. En cela, ils ont
contribué à penser le politique, à partir de l’expérience
grecque.

Notes
1. On ne reviendra pas ici sur le problème épineux de la fortune de
Clisthène dans l’Antiquité, absent de presque toutes les sources et
objet d’un oubli qui place son action politique dans l’anonymat (il
n’apparaît pas même dans la liste des archontes). Cf. la brève notice
de Kahrstedt 1921, col. 620-621, et le bilan des données factuelles –
preuve de l’impasse à laquelle conduit sur ce sujet toute enquête
qui ne s’en tient qu’aux données biographiques – chez Cromey 1979,
p. 129-147. Sur les apories de l’histoire biographique, cf. Ober 1989,
p.  69. Dans une perspective opposée, qui s’attache à repérer
l’ambivalence de Clisthène en regard de la nature démocratique
du régime athénien, d’un Clisthène instaurateur d’un projet
concerté, si l’on suit [Aristote], Constitution des Athéniens, 20-21,
« où c’est le politique qui occupe désormais entièrement l’espace »,
cf. Loraux 1997b, p.  22 (pour la citation), avec un bilan des études
récentes sur Clisthène.
2. Cf. toutefois la brève remarque de B run 2000, p. 143, n. 51.
3. L’importance des individus marquants – à la fois réelle et à
relativiser – pour la fondation et le développement de la
démocratie est un autre problème, objet du livre tout entier de
Ober 1989, cf. p. 34 à propos de Clisthène, et p. 102 sur l’émergence
d’une bureaucratie financière – illustrée par Eubule, Lycurgue –
dirigée par des individus qui lui doivent leur célébrité, à moins que
ce ne soit l’inverse. Mais dans son ouvrage, J. Ober n’opère aucun
rapprochement entre Clisthène et Lycurgue.
4. Meier 1995, chap. IV, p. 71-105.
5. Hansen 1993, p. 96 et p. 98.
6. Ibid., p. 58-60.
7. Meier 1995, p. 73.
8. Hansen 1993, p.  97  : le mot dêmokratia a été «  utilisé par les
Athéniens à l’époque même de Clisthène pour désigner leur
nouvelle constitution  ». Quant à isonomia, «  égalité de droits
politiques » (p. 109), il n’est pas certain « que le mot ait servi de cri
de ralliement aux démocrates dans les premières générations
après Clisthène » (p. 97, 107). Sur l’histoire de ce terme au ve siècle,
cf. les références indiquées par Ober 1989, p. 82 et n. 68. Lévêque et
Vidal-N aquet 1964 se demandent prudemment, pour leur part  :
«  Est-ce la démocratie qu’a instaurée le grand Alcméonide  ?  »
(p. 25-32 ; citation, p. 25).
9. Le fait est souligné à trois reprises : Hérodote, V, 65, 66, 78. Voir
aussi V, 91 : ὡς ἐλεύθερον μὲν ἐὸν τὸ γένος τὸ ᾿Αττικὸν.
10. Hérodote, V, 66, ainsi que V, 78 : πρῶτοι ἐγένοντο.
11. Ibid., V, 78 : ηὔξηντο, 91 : αὐξομένους.
12. Ibid., V, 66 (προσεταιρίζεται), 69 (τὴν ἑωυτοῦ μοῖραν).
13. [Aristote], Constitution des Athéniens, 2, 2.
14. Ibid., 41, 2.
15. Ibid., 20, 4.
16. Ibid., 12, 4 ; 13, 4.
17. Aristote, Politique, VI, 4, 1319b2.
18. Ibid., III, 2, 1275b.
19. Ibid., III, 1, 1275a23.
20. Ibid., III, 2, 3, 1275b37.
21. Ibid., VI, 4, 1319a12-14.
22. Ibid., VI, 4, 1319a24-26.
23. [Plutarque], Vies des dix orateurs, Lycurgue, 841D, 841F-842C.
24. Hypéride, Pour Euxénippe, 12, cité dans Lycurgue, Contre
Léocrate, F. Durrbach éd., Paris, Les Belles Lettres, CUF, 1971, p. 21.
25. Souda, s. v., cité in Lycurgue, Contre Léocrate, édition
mentionnée supra, n. 23, p. 18.
26. [Plutarque], Vies des dix orateurs, Lycurgue, 841F.
27. Thucydide, II, 65, 8 ; Plutarque, Périclès, 15, 3 ; 16, 5.
28. Cf. Mossé, 1989b, p.  25-36 (repris dans D’Homère à Plutarque.
Itinéraires historiques, textes réunis par Patrice B run , Bordeaux,
2007, p. 181-187).
29. Cf. l’examen des déformations présentes dans la tradition
littéraire dans B run 2000, p. 79-80, 139-142, 172.
30. Cambiano 2003, p. 7-8.
31. Ibid., p. 16.
32. Cité par Cambiano 2003, p. 31.
33. Cf. Cambiano 2003, p. 37-42. Au sein de la littérature épidictique,
la Laudatio florentinae urbis s’inscrit dans le genre de la laus urbis.
Voir B aldassarri 2000, p. xvi- xvii.
34. B aldassarri 2000, p. xv- xvi, n. 2, a montré, à partir de la lettre de
Bruni du 5 septembre 1404, que l’œuvre datait de l’été 1404.
35. L’œuvre qui sert d’intermédiaire à ce rapprochement est le
Panathénaïque d’Aelius Aristide  : comparer Laudatio florentinae
urbis, 85, l. 2-7 (omnes cives […] imitati Atheniensium illud
praeclarum et lauditissimum factum qui, secundo persico bello urbem
ipsam reliquere ut aliquando in ea liberi habitare possent), et
Panathénaïque, 127, 134, 191.
36. Sur Carlo Sigonio, cf. Ampolo 1997, p. 16-19 (avec de nombreuses
références) ; Cambiano 2003, p. 168-169.
37. Cité ici dans la réédition de 1732-1737, 6 tomes en 7 volumes in-
f° : Caroli Sigonii mutinensis opera omnia edita, et inedita, cum notis
variorum illustrorum virorum..., Mediolani. Le De Republica
Atheniensium figure au tome  5, col. 1-214. Sigonio cite
intégralement ses sources en note, y compris les textes grecs.
38. Carlo Sigonio, De Republica Atheniensium, col. 33-34 : Clisthenes
enim tribuum numerum auxit, in easque servos, et peregrinos
descripsit, et ostracismum adversus eos, qui virtute excellentes in
civitate populari obesse libertati possent, induxit.
39. Cf. B aron 1968, p. 117-118.
40. Cicéron, De l’orateur, II, 36.
41. Louis de Beaufort, auteur d’une Dissertation sur l’incertitude des
cinq premiers siècles de l’histoire romaine, 1738, choisit de faire
imprimer son travail à Utrecht.
42. D’Alembert, Discours préliminaire de l’Encyclopédie (1751), Paris,
1893, p. 77, 85.
43. Cf. infra, p. 27-28.
44. Cf. Loraux et Vidal-N aquet 1979, repris dans Vidal-N aquet 1990,
p. 169-170.
45. Diderot, « Pensées détachées ou Fragments politiques échappées
au portefeuille d’un philosophe », dans Loraux et Vidal-N aquet 1979,
p. 162.
46. Montesquieu, De l’esprit des lois, V, 3.
47. Il faut toutefois noter qu’Athènes y possède tous les traits de sa
rivale, et notamment la « frugalité ».
48. Cf., depuis l’étude fondatrice de Parker 1937, les travaux de
Mossé 1989a ; Vidal-N aquet 1990, p. 211-236 ; Hartog 2000, p. 7-46.
49. Charles Rollin , Histoire ancienne des Égyptiens, des Carthaginois,
des Assyriens, des Mèdes et des Perses, des Macédoniens, des Grecs,
Paris, Vve Estienne, 13 vol., 1731-1738, dans Œuvres complètes,
nouvelle édition accompagnée d’observations et d’éclaircissements
historiques par M. Letronne, Paris, Firmin Didot, 1821-1825, vol.  I-
XII (citée dans la rééd. de  1846 en 10 vol.). La parution semble
avoir commencé en 1730, mais aucune édition conservée ne porte
cette date.
50. Id., Histoire ancienne, livre 5, vol. 2, p. 188.
51. Hérodote, V, 66, 69.
52. Rollin , Histoire ancienne, tome 2, livre 5, p. 233-234.
53. Ibid., p. 236.
54. Ibid., p. 239.
55. Ibid., p. 252-253.
56. Analyse différente chez Vidal-N aquet 2000, p. 206-207.
57. Rousseau, Contrat social, dans Œuvres complètes, t.  III, Paris,
Bibliothèque de la Pléiade, 1964, p. 406 et 404.
58. François Turpin , « Athènes », Encyclopédie, Suppl. I, 1776, p. 669-
676.
59. Ibid., p. 673.
60. Sur l’importance des législateurs grecs anciens pour les
hommes de la Révolution, cf. Vidal-N aquet 2000, p. 232-235.
61. Jean-Jacques B arthélemy, Voyage du jeune Anacharsis en Grèce
dans le milieu du quatrième  siècle avant l’ère vulgaire, Paris, 1788,
que nous citons dans la « troisième édition » de 1790 (Paris), tome
premier, p. 91-170.
62. Ibid., p. 145-170.
63. Ibid., p. 169.
64. Ibid., p. 170.
65. Ibid., p. 173-174.
66. Ibid., p. 176.
67. Isocrate, Aréopagitique (7), 16. Cf. Vidal-N aquet 2000, p. 230.
68. Lycurgue est à peine mentionné une seule fois, parmi une liste
d’élèves de Platon : tome second, p. 132.
69. On ne s’étonnera guère qu’il ne soit pas mentionné par Joseph
de Maistre dans ses écrits politiques  : l’Étude sur la souveraineté
(1794), les Considérations sur la France (1797), l’Essai sur le principe
générateur des constitutions politiques et des autres institutions
humaines (1809) : pour Maistre, ce n’est pas le peuple qui détient la
souveraineté ; le fondement des lois – celles-ci ne pouvant être que
non écrites – est d’ordre transcendant et ne tient pas dans un
contrat. Maistre considère Rousseau et Voltaire comme les
responsables de la Révolution. Cf. Compagnon 2005, p. 28-29, 47-48.
70. Pierre-Charles Lévesque, Études d’histoire ancienne, Paris, 1811,
tome IV, notamment p. 258-259.
71. William Mitford , The History of Greece, Londres, J. Murray, 1784,
p. 284.
72. Ibid., p. 268.
73. John Gillies , The History of Ancient Greece, its colonies…,
Londres, 1786, vol.  I, p.  266, n. 36 (l’exposé est rejeté au début de
l’Empire athénien).
74. Ibid., p. 452.
75. Ibid., p. 463.
76. Ibid., p. 452-464.
77. Ibid., p. 457, note 10.
78. Ibid., p. 552-553.
79. Cf. Vidal-N aquet 2000, p. 227.
80. Hérodote, VI, 131.
81. Connop Thirlwall, The History of Greece, Londres, 1835, vol.  II,
p. 75-79.
82. Ibid., p. 75. La seule mention de Lycurgue (vol. VI, 1839, p. 118)
figure dans la liste des neuf orateurs antimacédoniens réclamés
par Alexandre après la destruction de Thèbes.
83. Sur les différences entre Thirlwall, proche de l’historiographie
allemande (il traduit Niebuhr dès sa parution), et Grote, cf.
Momigliano 1983, p. 368-370 (traduction d'un article paru en 1952).
84. G. Grote, History of Greece, Londres, 12 vol., 1846-1856. Une
traduction française paraît dès 1864, en 19 vol., sous le titre retenu
par Grote pour l’édition anglaise de 1862 : History of Greece : From
the Earliest Period to the Close of the Generation Contemporary with
Alexander the Great.
85. G. Grote, Histoire de la Grèce, vol. V, p. 302.
86. Ibid., p. 310.
87. Ibid., p. 343.
88. Ibid., p. 316.
89. Ibid., p. 301.
90. Ibid., p. 315.
91. Ibid., p. 359.
92. Ibid., p. 315. Une « parole libre et une loi égale » : ibid., p. 343.
93. Ibid., p. 343.
94. Ibid., p. 332-333, 338, 341.
95. Auquel Grote consacre un très long exposé, ibid., p. 328-342.
96. Respectivement, ibid., p.  332 et 359, et p.  315  : «  L’idée de la
République entière, en tant qu’une et indivisible. »
97. « Cette protection de la démocratie naissante » : ibid., p. 336.
98. Ibid., p. 338.
99. Ibid., p.  338 et p.  340-342  : «  Aussitôt que la diffusion d’une
moralité constitutionnelle eut placé la masse des citoyens au-
dessus de toute crainte sérieuse d’un usurpateur agressif,
l’ostracisme cessa. »
100. Ibid., p. 338, n. 2, et Aristote, Politique, III, 4, 1276b16-18 : τὴν
αὐτὴν ἀρετὴν ἀνδρὸς ἀγαθοῦ ϰαὶ πολίτου.
101. Ibid., p. 363.
102. Ibid., p. 362.
103. Ibid., p. 363.
104. Ibid., vol. 19, p. 7-8.
105. J. G. Droysen , « Die attische Kommunalverfassung », Allgemeine
Zeitschrift für Geschichte, VIII, 1847, p.  289 sq., repris dans Kleine
Schriften zur alte Geschichte, vol. 1, Leipzig, 1893, p. 328-385.
106. J. G. Droysen , Histoire d’Alexandre le Grand, trad. fr. de J.
B enoist-Méchin , 1934 ; rééd. Bruxelles, 1991, p. 44.
107. J. G. Droysen , «  Die attische Kommunalverfassung  », art. cit.,
p. 372 : « Die große Gründung des Kleisthenes ».
108. Ibid., p. 329.
109. Ibid., p. 383.
110. J. G. Droysen , Histoire de l’Hellénisme, trad. fr. A. B ouché-
Leclercq (1883-1885), rééd. Grenoble, 2005, vol. I, p. 540.
111. P. Mérimée, «  De l’histoire ancienne de la Grèce  » [1848],
Mélanges historiques et littéraires, Paris, 1868, p. 109-219. Voir à ce
propos Pontier 2010.
112. V. Duruy, Notes et souvenirs, Paris, 1901, 2 vol.
113. V. Duruy, Histoire grecque, Paris, 1851, p. 207-217.
114. Ibid., p. 207-209.
115. «  Pour prendre le langage politique moderne, ce n’était rien
moins que l’établissement du suffrage universel », ibid., p. 209.
116. Ibid., p. 214.
117. Ibid., p. 216.
118. Ibid., p. 654 = Histoire de la Grèce ancienne, 1862, vol. II, p. 346.
119. E. Curtius , Griechische Geschichte, Berlin, 3 vol., 1857-1867  ;
trad. fr. : Histoire grecque, Paris, 5 vol., 1880-1883.
120. E. Curtius , Histoire grecque, vol. I, p. 471-505.
121. Ibid., vol. I, p. 472, 491.
122. Ibid., vol. I, p. 473, 491.
123. Ibid., vol. I, p. 491.
124. Ibid., vol.  I, p.  473  : «  l’avenir d’Athènes, qui était lié au libre
développement des principes posés par Solon  »  ; p.  476  :
«  consolider la constitution de Solon et en faire une réalité  »  ;
p.  491  : «  animé, comme Solon, d’un amour désintéressé pour la
justice » et par la « grandeur de sa patrie ».
125. Ibid., vol. I, p. 500 : « Les corporations nobiliaires n’avaient plus
aucun rapport avec les divisions du système politique. »
126. Ibid., vol. I, p. 503.
127. Ibid., vol. I, p. 473.
128. Il en est de même pour toutes les époques, ainsi dans la
conclusion de la section sur « Le gouvernement de Périclès », vol. I,
p.  525  : «  Ainsi, l’habileté et l’énergie des citoyens d’Athènes [ont]
transformé en unité politique l’unité naturelle des pays maritimes,
sur qui repose toute l’histoire des Hellènes. »
129. Sur la fortune de ce livre, cf. Dabdad Trabulsi 2001, p. 115-142
et passim.
130. G. Glotz , Histoire grecque, Paris, vol. I, 1925, p. x.
131. Ibid., p. x.
132. Cf. G. Glotz , La cité grecque, Paris, 1928, p.  134  : «  Avec une
admirable netteté de vues, il [Clisthène] acheva l’œuvre ébauchée
par Solon et donna sa forme définitive à la constitution
démocratique d’Athènes (508/7). »
133. G. Glotz , Histoire grecque, vol. I, p. 467.
134. Dans l’analyse de Glotz , c’est à Isagoras, qualifié d’« oligarque
intransigeant et borné  », qu’est rattachée la tradition des tyrans
(les « partisans des tyrans »), p. 467.
135. G. Glotz , Histoire grecque, vol. I, op. cit., p. 469.
136. Ibid., p. 468.
137. Ibid., p. 476. Sur le modèle révolutionnaire, cf. encore p. 482 :
avec l’élection des dix stratèges (501-500), « la nation armée eut à
sa tête les dix stratèges » ; et face à l’ennemi extérieur (les Perses),
«  Athènes prend hardiment les plus graves résolutions dans
l’enthousiasme de la liberté ».
138. Ibid., p. 479.
139. Le tome  IV  : Alexandre et l’hellénisation du monde antique,
paraît en 1938. Lycurgue : p. 196-205.
140. Ibid., p. 205.
141. Cf. Lissarrague et Schnapp 2007, p. 54.
142. Cf. Loraux 1997a, p. 18.
143. Les différents regards que les Athéniens ont portés sur les lois
de leur cité sont analysés brièvement par B oegehold 1996, p.  203-
214. Il est toutefois étonnant que ni Solon ni Clisthène ne soient pris
en compte (ils sont brièvement mentionnés pour mémoire, p. 203).
Cf. plutôt Ober 1989, p. 53-103.

Auteur

Pascal Payen

Université de Toulouse
Du même auteur

Ombres de Thucydide, Ausonius


Éditions, 2010
Que reste-t-il de l’éducation
classique  ?, Presses
universitaires du Midi, 2004
Introduction in Ombres de
Thucydide, Ausonius Éditions,
2010
Tous les textes
© Éditions de la Sorbonne, 2011

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Référence électronique du chapitre


PAYEN, Pascal. Clisthène et Lycurgue d’Athènes  : le politique entre
révolution et tradition : Détours historiographiques In : Clisthène et
Lycurgue d’Athènes  : Autour du politique dans la cité classique [en
ligne]. Paris : Éditions de la Sorbonne, 2011 (généré le 03 mai 2023).
Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/psorbonne/32638>. ISBN  :
9791035101671. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.32638.

Référence électronique du livre


AZOULAY, Vincent (dir.) ; ISMARD, Paulin (dir.). Clisthène et
Lycurgue d’Athènes  : Autour du politique dans la cité classique.
Nouvelle édition [en ligne]. Paris  : Éditions de la Sorbonne, 2011
(généré le 03 mai 2023). Disponible sur Internet  :
<http://books.openedition.org/psorbonne/32611>. ISBN  :
9791035101671. DOI  :
https://doi.org/10.4000/books.psorbonne.32611.
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