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OBJET D’ÉTUDE 2 

: La Littérature d’idées

Texte 4 : extrait du chap. XXI de Gargantua


Ponocratès accepte de se charger de l’éducation de Gargantua mais il veut d’abord se rendre compte
de l’éducation qu’il a reçue de la part de ses anciens maîtres.

Il répartissait donc son temps de telle façon qu’ordinairement il s’éveillait entre huit et neuf heures,
qu’il fasse jour ou non, comme l’avaient prescrit ses vieux régents (1), alléguant David : «Il est vain de se
lever avant la lumière. » (2)
Puis il gambadait, sautait et se vautrait au milieu du lit quelque temps, pour mieux réjouir ses esprits
animaux et s’habillait selon la saison, mais il portait volontiers une grande et longue robe de gros tissu de
Frise fourré de renard. Après, il se peignait du peigne d’Almain, c’est-à-dire des quatre doigts et du pouce.
Car ses précepteurs disaient que se peigner, laver et nettoyer autrement, c’était perdre son temps en ce
monde.
Puis il fientait, pissait, vomissait, rotait, pétait, bâillait, crachait, toussait, hoquetait, éternuait se raclait
la gorge, rotait, pétait, bâillait, crachait, toussait, sanglotait, éternuait et se mouchait en archidiacre (3), et
il déjeunait pour combattre la rosée et le mauvais air : de belles tripes frites, de belles carbonnades, de
beaux jambons, belles grillades et force grosses tartines.
Ponocratès lui faisant remarquer qu’il ne devait pas se nourrir aussi vite au sortir du lit sans avoir fait
quelque exercice, Gargantua répondit : « Quoi ! je n’ai pas fait un exercice suffisant ? Je me suis vautré six
ou sept tours au milieu du lit avant de me lever. Ce n’est pas assez ? Le pape Alexandre VI faisait ça selon
le conseil de son médecin juif, et il vécut jusqu’à sa mort, en dépit des ennemis. Mes premiers maîtres m’y
ont accoutumé, en me disant que le déjeuner faisait la mémoire bonne et donc ils y buvaient les premiers.
Je m’en trouve très bien et n’en dîne que mieux. Et maître Thubal (qui était premier à l’examen de licence à
Paris) disait que ce n’est pas le tout de courir vite, mais qu’il faut partir à point, aussi n’est-ce pas le bon
régime de santé de notre humanité que de boire à tas, à tas, à tas, comme des canes, mais bien de boire le
matin. D’où le vers :
« Lever matin n’est point bonheur
Boire matin est le meilleur. »
Après avoir bien à point déjeuné, il allait à l’église, et on lui portait dans un grand panier un gros
bréviaire (4) emmitouflé, qui pesait tant en graisse qu’en fermoirs et parchemins plus ou moins onze
quintaux et six livres. Là, il entendait vingt-six ou trente messes ; pendant ce temps venait son diseur de
prières attitré, emballé comme une huppe (5) et ayant très bien antidoté (6) son haleine à force de sirop de
vignoble. Avec lui, il marmonnait toutes ces kyrielles (7), et les épluchait si soigneusement qu’il n’en
tombait un seul grain par terre.
En sortant de l’église, on lui amenait sur un chariot à bœufs une masse de gros chapelets de Saint-
Claude, chaque grain aussi gros que le moule d’un bonnet, et en se promenant dans les cloîtres, il en disait
plus que seize ermites (8).
Puis il étudiait quelque méchante demi-heure, les yeux posés sur son livre mais (comme dit Térence)
son âme était en cuisine.

(1) : pré cepteurs, professeurs particuliers


(2) : extrait du psaume 126 dont l’auteur serait, d’aprè s l’Ancien Testament, le roi David
(3) : Archidiacre : supé rieur du curé .
(4) : un livre de priè res
(5) : un oiseau
(6) : immunisé , proté gé
(7) : suite interminable de priè res
(8) : homme pieux retiré dans un lieu dé sert pour prier
Texte 5 : extrait du chap. XXIII de Gargantua

Après avoir observé les effets négatifs de l’éducation reçue par Gargantua,
Ponocratès le « purge selon les règles » pour « lui nettoyer toute l’altération et la perverse
disposition du cerveau. » Puis il lui propose une nouvelle forme d’éducation.

Ensuite il le mit à tel train d’études qu’il ne perdait aucune heure du jour, mais
emplissait tout son temps dans les Lettres et le savoir honnête.
Gargantua s’éveillait donc vers quatre heures du matin. Pendant qu’on le frottait, on
lui lisait quelque page de l’Écriture sainte à voix haute et clairement avec la prononciation qui
convenait à la matière, et ce rôle était confié à un jeune page natif de Basché nommé
Anagnoste1. Selon le propos et le sujet de cette leçon, souvent il s’adonnait à révérer, adorer,
prier et supplier le bon Dieu, dont la lecture montrait la majesté et le jugement merveilleux.
Puis il allait au privé2 vider les résidus naturels ; là son précepteur répétait ce qui avait
été lu, lui expliquant les points les plus obscurs et les plus difficiles.
En revenant ils observaient l’état du ciel, s’il était comme ils l’avaient noté le soir
précédent, en quels signes entraient le soleil et aussi la lune pour cette journée.
Ce fait, Gargantua était habillé, peigné, frisé, arrangé et parfumé, et pendant ce temps
on lui répétait les leçons du jour précédent. Lui-même les disait par cœur, et y appliquait
quelques cas pratiques et concernant l’état des hommes, analyses qu’ils étendaient parfois
jusqu’à deux ou trois heures, mais ordinairement ils arrêtaient lorsqu’il était complètement
habillé.
Puis par trois bonnes heures on lui faisait la lecture.
Ce fait, ils sortaient, toujours discutant du sujet de la lecture, puis se déplaçaient au jeu
de paume3 de Bracque ou dans les prés et jouaient à la balle, à la paume, à la balle à trois,
exerçant élégamment les corps comme ils avaient auparavant exercé les âmes.
Tous leurs jeux étaient libres, car ils laissaient la partie quand cela leur plaisait et
s’arrêtaient ordinairement lorsqu’ils suaient ou étaient fatigués. Ils étaient donc très bien
essuyés, frottés, ils changeaient de chemise, et en se promenant doucement allaient voir si le
dîner était prêt. Là, en attendant, ils récitaient clairement et éloquemment quelques sentences
retenues de la leçon.
Cependant, monsieur l’appétit venait et ils s’asseyaient à table au bon moment.

1 - Anagnoste : ce nom signifie « lecteur », en grec.


2 - au privé : aux toilettes.
3 – jeu de paume : salle d’exercice où l’on pratique les ancêtres des sports de raquette.

Texte 6 : extrait I, 1 de L’École des femmes (1663) Molière

Arnolphe
Chacun a sa méthode. 1 : à ce que je crois
En femme, comme en tout, je veux suivre ma mode. 2. loin de toute
Je me vois riche assez pour pouvoir, que je crois1, fréquentation
Choisir une moitié qui tienne tout de moi, 3. privée d’éducation
Et de qui la soumise et pleine dépendance, 4. discussion
5. je m’évanouis
N'ait à me reprocher aucun bien ni naissance.
6. allusion à l’idée selon
Un air doux et posé, parmi d'autres enfants, laquelle Jésus est né par
l’oreille (symbole car sa
mère Marie a appris la
nouvelle de sa naissance
par un ange qui le lui dit à
l’oreille.
M'inspira de l'amour pour elle dès quatre ans :
Sa mère se trouvant de pauvreté pressée,
De la lui demander il me vint la pensée ;
Et la bonne paysanne, apprenant mon désir,
À s'ô ter cette charge eut beaucoup de plaisir.
Dans un petit couvent, loin de toute pratique3,
Je la fis élever selon ma politique,
C'est-à -dire ordonnant quels soins on emploierait,
Pour la rendre idiote autant qu'il se pourrait.
Dieu merci, le succès a suivi mon attente,
Et grande, je l'ai vue à tel point innocente,
Que j'ai béni le Ciel d'avoir trouvé mon fait,
Pour me faire une femme au gré de mon souhait.
(…)
Vous me direz : Pourquoi cette narration ?
C'est pour vous rendre instruit de ma précaution.
Le résultat de tout, est qu'en ami fidèle
Ce soir, je vous invite à souper avec elle :
Je veux que vous puissiez un peu l'examiner,
Et voir si de mon choix on me doit condamner.

Chrysalde
J'y consens.

Arnolphe
Vous pourrez, dans cette conférence4,
Juger de sa personne et de son innocence.

Chrysalde
Pour cet article-là , ce que vous m'avez dit
Ne peut...

Arnolphe
La vérité passe encore mon récit.
Dans ses simplicités à tous coups je l'admire,
Et parfois elle en dit dont je pâme5 de rire.
L'autre jour (pourrait-on se le persuader ?)
Elle était fort en peine, et me vint demander,
Avec une innocence à nulle autre pareille,
Si les enfants qu'on fait, se faisaient par l'oreille6.

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