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Autr 087 0035
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Elisabeth Hofmann*
* Maîtresse de conférences, Université Bordeaux Montaigne (IATU/STC), LAM (UMR CNRS 5115),
Chaire Unesco sur la formation de professionnel/-les de développement durable, Association Genre en
Action.
1. L’agentivité est la traduction du terme anglo-saxon agency qui fait référence à la capacité et à la
puissance d’agir sur une situation.
2. L’offre d’écoles privées est certes globalement en croissance, mais il n’y a pas d’évidence que le
sujet de la crainte de VGMS joue un rôle dans le choix d’un type d’école plutôt que d’un autre (dans la
mesure où les auteurs des VGMS peuvent aussi être des enseignants ou d’autres adultes, les écoles privées
non mixtes [souvent confessionnelles] ne représentent pas une réponse à ce problème de VGMS).
3. L’UNGEI (United Nations Girls’ Education Initiative, http://www.ungei.org/), soit l’Initiative des
Nations unies pour l’éducation des filles est un partenariat de différentes agences onusiennes sous l’égide
de l’Unicef, de la Banque mondiale, d’autres partenaires techniques et financières et d’ONG. Ces organi-
sations coordonnent leurs efforts de réduire les inégalités entre les filles et les garçons dans l’éducation
primaire et secondaire, par exemple dans le cadre du programme Éducation pour tous et de l’initiative Fast
Track.
4. Il s’agit du projet VGMS de Genre en Action (www.genreenaction.net) qui comportait un travail
de lobbying et de renforcement des compétences des acteurs de la lutte contre les VGMS en matière de
recherche et de collecte de données (avec la conception d’un « vademecum » [Hofmann, 2013b]).
5. http://www2.ohchr.org/french/law/femmes_violence.htm
6. À titre d’exemple, dans différents pays d’Afrique francophone (Bénin, Burkina Faso, Sénégal,
Cameroun, Guinée...), nous avons pu constater que des questions sur les VGMS suscitent des réponses liées
aux « grossesses précoces » d’élèves filles.
9. La taille des différentes sphères ne représente nullement une importance quantitative ou qualitative
des différents champs représentés.
sont considérées comme normales par les enseignants, par les parents d’élèves et
même par certains élèves qui ont intériorisé la violence comme mode éducatif. 10
Et l’école n’étant pas un isolat social, les violences observées dans le milieu
scolaire sont souvent représentatives des habitudes sociales en vigueur [Lange,
2009], ce qui influence les représentations des VGMS.
Concernant plus spécifiquement le caractère genré des VGMS, des échanges
avec des acteurs du système scolaire au Bénin et des personnes des milieux aca-
démiques, associatifs et de la coopération ont confirmé que la compréhension des
VGMS se réduit le plus souvent aux violences à caractère sexuel contre les filles :
il est peu fait état d’autres types de violences de genre. Cette interprétation étroite
s’explique entre autres par la violence ambiante en milieu scolaire, mais aussi par
les structures patriarcales des sociétés de l’Afrique francophone en général et du
Bénin en particulier, qui restent très ancrées et peu questionnées.
Dans ce même contexte, la sexualité est un sujet de conversation paradoxal :
d’un côté, un discours péjoratif selon lequel les femmes n’ont pas d’agentivité en
la matière alors que les hommes sont désignés comme des prédateurs est répandu
[Heslop et al., 2015] et de l’autre côté, il est aussi d’usage de souligner la force
de séduction des filles face à des hommes 11, alors que par ailleurs, la sexualité
est considérée comme taboue, sensible et source de gêne dans un cadre formel et
elle est rarement évoquée entre parents et enfants. L’éducation sexuelle à l’école,
loin d’être systématique, reste rudimentaire là où elle existe en Afrique franco-
phone. Selon des rapports d’ONG qui ont travaillé au sein de clubs d’écoliers
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10. Baux et Lewandowski citent l’entretien d’une fille de 12 ans (Burkina Faso) : « – et les maîtres ?
– ils m’aiment très bien – comment as-tu pu savoir qu’ils t’aiment très bien ? – surtout mon maître-là, si
je m’amuse, il me frappe, et dit : “c’est comme ça vous faites et vous êtes nuls. Tu vas redoubler encore !” »
[Baux, Lewandowski, 2009, p. 49] Ces travaux sont issus du milieu rural burkinabè. Il est fort probable
qu’un clivage urbain-rural existe en la matière (et peut-être aussi des différences entre écoles publiques et
privées), mais sans pour autant invalider le constat de base. Pour le Bénin, des travaux en milieu urbain et
rural ont confirmé la fréquence du recours à la violence verbale et physique et sa banalisation [Fichtner,
2013 ; Hohner Ayeh, 2013].
11. Lors d’un entretien avec une fonctionnaire du ministère des Éducations secondaires au Cameroun
en 2014 au sujet des VGMS, mon interlocutrice évoque spontanément « les filles qui mettent des tenues
provocantes et rôdent autour des bureaux des professeurs à l’approche des examens leur menant la vie très
dure ».
VGMS évoquées par les répondants au Bénin sont avant tout celles entre ensei-
gnants (notamment masculins) et élèves féminins, influencés peut-être aussi par
les médias qui présentent de tels cas comme faits divers. En revanche, la majorité
des travaux sur les VGMS en France et la couverture médiatique sur ces sujets se
concentrent sur les violences et les violences de genre entre pairs 12.
Des entretiens menés au Bénin en 2013 [Hofmann, 2013a] et des recherches
conduites ailleurs en Afrique de l’Ouest confirment que l’élève victime de VGMS
peut être perçu comme potentiellement « coupable » ou du moins coresponsable.
À titre d’exemple, la thèse de Joseph Lompo sur les VGMS au Burkina Faso
insiste sur le « sexe transactionnel » – le fait d’avoir une relation sexuelle en
échange d’argent, de faveurs ou de cadeaux – entre des enseignants qui marchan-
dent de bonnes notes contre des relations sexuelles avec les élèves, et des élèves
qui souhaitent terminer leurs études, phénomène décrit dès 1995 par Laurence
Proteau concernant la Côte d’Ivoire [Proteau, 1998] 13. Là-bas, comme au Burkina
Faso [Lompo, 2005] et au Bénin, cette sexualité transactionnelle est connue sous
le nom de MST (« Moyenne sexuellement transmissible »). Selon les auteurs, les
élèves et les adultes dans les établissements scolaires reconnaissent que c’est une
pratique courante et Proteau [1998] montre que cela entache systématiquement la
réussite scolaire des filles.
Concernant le Bénin, nos travaux ont confirmé que des relations sexuelles
entre enseignants et élèves ne sont pas nécessairement perçues comme des vio-
lences de genre, si les filles sont pubères (ce qui peut être le cas dès la fin du
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12. Voir par exemple les thématiques des communications lors du colloque Genre et violence dans les
institutions scolaires et éducatives qui a eu lieu à Lyon (France) les 3 et 4 octobre 2013, et le double numéro
de Recherches et Éducation consacré à ce thème [Joing-Maroye, Debarbieux, 2013].
13. Laurence Proteau a présenté lors d’un colloque en 1995 des éléments d’analyse d’entretiens menés
pour sa thèse (soutenue en 1996), donnant lieu à une publication dans un ouvrage collectif en 1998 [Proteau,
1998].
14. Par exemple, par la critique de leur tenue vestimentaire (dans les écoles où il n’y a pas d’uniformes).
15. C’était un argument fréquemment mis en avant par des répondants masculins et féminins au Bénin.
16. Cette admission n’est pas généralisée, dans des discours et positions plus officiels pour des syn-
dicats d’enseignants ou des directeurs d’école, comme le souligne Leach [2015].
17. À titre d’exemple, cette perception a été exprimée lors des débats autour de la présentation d’une
étude commanditée par Unicef Burkina Faso en 2013 (non publiée) lors d’un atelier sous-régional sur les
VGMS à Ouagadougou en novembre 2013.
18. État d’une société caractérisée par une désintégration des normes qui règlent la conduite de l’humain
et assurent l’ordre social [Bouju, De Bruijn, 2013].
D’autres auteurs [Chauveau et al., 2001] n’interprètent pas cette pluralité des
normes en Afrique comme une anomie, mais insistent sur l’importance des normes
« non officielles ». Celles-ci vont de pair avec la faible capacité de l’État à pro-
duire des règles du jeu acceptées par tous et à les faire respecter, laissant ainsi la
place à la coexistence de systèmes de normes « de fait », plus ou moins concur-
rents et informels. « Une conséquence en est cette sorte de schizophrénie de beau-
coup d’acteurs, qui naviguent entre d’un côté un système de règles officielles non
appliquées ou non applicables, mais censées au moins être la référence dans les
rapports avec l’extérieur [...] et, de l’autre côté, des règles “de fait”, elles-mêmes
diverses » [Chauveau, Le Pape, Olivier de Sardan, 2001, p. 150]. Une des raisons
est l’absence ou l’inefficacité des dispositifs pratiques permettant de faire appli-
quer les normes officielles. Chauveau, Le Pape et Olivier de Sardan [2001]
concluent leur analyse avec la préconisation de « façonner à la marge le préexistant
plutôt qu’injecter de nouvelles règles ou de nouvelles organisations ».
Ce positionnement pragmatique se retrouve aussi parmi les acteurs internatio-
naux qui sont conscients de la difficulté de passer des normes internationales à
des changements de pratiques aux plans national et local. L’exemple des enjeux
d’élaboration d’une définition commune des VGMS au sein d’un groupe de travail
international de « haut niveau » montre ces tensions entre des normes qui se veu-
lent universelles (dans ce cas : l’accès à une scolarisation sans violence et l’égalité
femmes-hommes) et les obstacles à leur transmission. Les travaux de ce groupe
ont été effectués sur la base de la définition suivante 19 qui n’a pas pour autant
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19. La langue de travail de ce groupe étant l’anglais, nous avons choisi de laisser la définition dans
cette langue afin de ne pas perdre des nuances des questions soulevées.
Voici une traduction (par nos soins) : Les violences de genre liées au milieu scolaire (VGMS) sont
définies comme des actes ou des menaces de violence sexuelle, physique ou psychologique ayant lieu dans
ou autour des écoles et des structures éducatives et qui sont des conséquences de normes de genre et de la
dynamique de pouvoir inégale entre genres. Cela inclut les actes d’intimidation, le harcèlement sexuel ou
verbal, la violence physique, le châtiment corporel, le contact non consensuel, le viol et l’agression et la
violence structurelle, parmi d’autres. Bien que filles et garçons puissent être les cibles de VGMS, les filles
sont les plus vulnérables.
préoccupations des acteurs éducatifs qui sont mobilisés prioritairement par des
agendas plus larges, liés à l’accès et au maintien des élèves dans le système
scolaire et de plus en plus à la qualité de l’enseignement et à l’efficacité et l’effi-
cience de l’école. Dans ce contexte, le pragmatisme des acteurs qui s’engagent
contre les VGMS s’impose, impliquant aussi un certain équilibrisme terminolo-
gique, oscillant entre l’importance de nommer les faits et un certain flou permet-
tant d’élargir le focus de manière à insérer la mobilisation contre les VGMS dans
un agenda plus vaste qui est mobilisateur pour les partenaires nationaux et locaux.
Le choix des termes utilisés est aussi central dans la levée des fonds nécessaires
pour le financement de dispositifs de prévention et de prise en charge des vic-
times 20. Force est de reconnaître que derrière ces consensus terminologiques équi-
libristes, l’impact des incitations à modifier des pratiques non souhaitées reste à
l’heure actuelle très dépendant de l’engagement d’acteurs militants et de personnes
engagées situées à différents niveaux dans les institutions, jusque dans les écoles.
Leur marge de manœuvre effective dépend aussi de la nature consensuelle des
termes utilisés – dont ceux qui font office de référence, car ils émanent des acteurs
internationaux. Les définitions laissant place à des acceptions différentes posent
des problèmes pour mener des recherches sur les VGMS, et pour concevoir des
projets de lutte contre les VGMS pertinents, rendant les démarches de suivi et
d’évaluation de ces projets complexes. Toutefois, les discussions sur les termino-
logies sont en soi des éléments clés d’un processus de conscientisation dont la
portée est non-négligeable : réfléchir sur ce que veut dire VGMS, sur les actes
désignés, est sans doute une première étape sine qua non pour une analyse des
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