Pauvreté : des
politiques qui
conduisent au
Ee 12010, aumoment de lancer la stratégie « Europe
2020 » pour « une croissance inteligente, durable
ge et inclusive », les Etats membres de [Union euro
péenne sétaient engagés a réduire de 20 millions
NWBB ie sombre de personnes en risque de ponies
pour 2020. ATarrivée, nous sommes loin du compte: se~
lon les dernieres statistiques disponibles de Tagence euro-
péenne de statistiques Eurostat, portant sur lannée 2018,
10 millions de personnes étaient encore en risque de
Pauvreté ou dexclusion sociale dans TUE des 28 (incluant
Je Royaume-Uni), une diminution da peine 8 millions par
rapport & année 2010 qui, pourtant, se situait au pic de
la crise économique et financiére de 2008-2010. Pius dun
cinguiéme de la population européenne (21,8 %) est done
vulnérable, & peine 2% de moins qulau moment oil stra-
tégie « Europe 2020 » était inaugurée. En Belgique, une
personne sur sept vit en-dessous du seuil de pauvreté,
fixé 41139 euros nets par moi pour une personne seule et
2.392 euros pour un couple avec deux enfants, et un quart
des ménages belges (et 38 % & Bruxelles ou en Wallonie) ne
Pourraient faire face a une dépense imprévue. Les chifires
sont particuliérement élevés a Bruxelles, ot plus dun mé-
nage sur cing est en situation de « privation matérielle et
sociale »— Cest-a-dire dit renoncer& certaines dépenses
jugées essentielles a une vie décente .
Or, ces chiffres nintégrent pas les impacts de la crise sa-
nitaire et de la mise en coma artficiel d'une partie de la
vie économique qui en est résulté. Le 31 jullet, Eurostat
annongait un recul de 11,9 % du produit intérieur brut
de IUnion européenne au cours du second trimestre de
année : Cest une contraction inédite en temps de paix,
ui est encore plus spectaculaire dans certains pays eu-
ropéens (-I2,4 % en Italie, 13,8 % en France, -14,1% au
Portugal, ~18,5 % en Espagne), la Belgique se situant dans
a moyenne avec un recul de 12,2 9. Cette contraction
aura des conséquences sur les chiffres de la pauvreté. Le
risque est en outre réel que, compte tenu de explosion
de la dette publique dans certains Etats membres, Yon
fen revienne trop tot aux recettes daustérité des années
2008-2010, sous prétexte de rassurer les marches sur la
solvabilité des Etats de la zone euro, et sous la pression
des gouvernements qui ont conditionné leur accord au
plan dinvestissements « Next Generation EU » (750 mil-
liards deuros a répartir, dont 390 milliards sous forme de
subvention e360 miiards sous forme de préts rem
boursables) un droit de regard sur les reformes struc~
turelles quladopteront les Etats bénéficiaires.
r
*
.
UEtopique
Par Olivier De Schutter,
professeur a (UCLouvain
rapporteur spécial de (ONU
sur fextréme pauvreté
et les droits de homme
nous
chaos
Pour véritablement gagner le combat contre la pauvreté et
Texclusion sociale, un changement de stratégie simpose
Jusqu’a présent, approche a consisté a stimuler la croil
sance économique afin de pouvoir « répartir les fruits de
la croissance », selon le vieux modele fordiste des « Trente
Glorieuses ». En gros, a partir de la richesse créée, un tiers
allait & TEtat sous forme dimpéts, un tiers aux action-
naires, et un tiers aux travailleurs. Lion devait permettre de
la sorte a la sécurité sociale de contre-balancer les effets
exclusion produits par le marché.
Cette vieille recette ne tient plus. Un retour la croissance
des années 1950 et 1960 niest ni réaliste ni souhaitable
+ elle entraine inévitablement une augmentation de lem-
preinte écologique, liée aussi bien 4 Tutilsation des res~
sources quiala pollution, y compris de gaz a effet de serre,
qui nous conduit, tels des somnambules, au chaos. Méme
si Ton peut avoir une croissance plus soutenable, le dé
ccouplage « absolu » — une croissance accompagnée dune
réduction de lempreinte écologique — est un mythe.
En outre, la recherche a tout prix de la croissance conduit
des choix de stratégie économique mortiféres. Cest au: nom
de la croissance que Ton a favorisé depuis deux générations
Ja mise en concurrence des entreprises & des échelles tou-
Jours plus vastes, la déréglementation du marché du travail,
et le glissement dune fiscalité pesant sur les entreprises et
les patrimoines les plus importants & une fiscalité pesant
davantage sur les ménages : on crée par la Texclusion so-
ciale et la pauvreté méme au chevet de laquelle, ensuite,
Ton prétend se porter. Rien dulleurs nillustre mieux cet
état desprit que la maniére dont est présenté le « Socie eu~
ropéen des droits sociaux », adopté au sommet européen.
de Goteborg en novembre 2017, comme contrepartie dun
¢pacte de stabilité et de croissance » et dun « semestre eu~
ropéen » qui encouragent l'un et lautre des réformes dites
« structurelles » des économies des Etats membres au nom
de la recherche de la compétitivité,
Il faut done passer dune économie de la compétition &
tune économie de la coopération ~ dune économie qui
exclut a une économie qui inclut. Bt il faut passer d'une
lutte contre la pauvreté qui fait reposer le financement
des mécanismes de solidarité sur la croissance écono-
mique, érigée en condition sine qua non du progrés so-
cial, & une maniére de la concevoir qui place dabord, en
son centre, l'individu : individu dont les compétences
doivent étre valorisées, auquel la société doit pouvoir
faire une place, et qui doit devenir enfin autre chose que
du ¢ capital humain » a valoriser. «