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La théorie subjective et objective des intérêts juridiques

Azelarabe Lahkim Bennani


Introduction :

Lorsque les philosophes travaillent sur les systèmes du code pénal respectifs de
manière comparative, ils ne focalisent pas sur les questions de détail, mais
cherchent à élaborer une structure idéale, dans laquelle les détails peuvent
être insérés. La théorie subjectiviste (Westen , Larry Alexander) propose le
concept de l’intention comme fondement de la structure idéale, alors que les
objectivistes (Moore Hurd)proposent la « causalité » des faits juridiques
comme fondement de la responsabilité pénale (liability). 1

Je vais présenter la notion de risque ou mise en danger des intérêts protégés


par le droit, puis je vais présenter le problème que pose le conflit des intérêts
dans le cadre contraire de la protection des intérêts de la famille, de la
personne et de l’associé. Je montrerai succinctement comment les structures
familiales des affaires présentent un terrain favorable pour le surgissement des
conflits d’intérêt.

Intérêt et mise en danger :

La théorie morale étudie la substance des dommages qu’on porte aux autres,
en mettant en danger leurs intérêts juridiques protégés par la loi et en les
exposant à des risques justifiés ou non justifiés. La morale cherche à savoir
dans quelles conditions il est moralement « permis » de mettre les autres en
danger.

En cherchant son propre intérêt, ce qui est légitime, on peut interférer avec
d’autres intérêts protégés.

On peut justifier les types d’intérêts qu’on veut assurer, même lorsqu’on met
en danger les intérêts protégés. On peut mettre les intérêts d’autrui en
danger, sans aucune justification, à savoir sans aucune considération, sans prise
en compte des intérêts des autres. Parfois on peut endommager les biens
juridiques ou matériels d’autrui au nom de ses propres intérêts, en proférant

1
Rowan Cruft, Matthew H. Kramer , Mark R. Reiff : Crime, Punishment, and responsability. The Jurisprudence
of Antony Duff. Oxford, 2011

1
des « excuses » non des « justifications » convaincantes. On estime que ce qui
caractérise l’intégrité morale de l’acteur n’a rien à voir avec l’éventualité de
mettre les intérêts d’autrui en danger. En cherchant notre intérêt individuel, ce
qui est légitime, nous devenons de facto une source de risque pour les intérêts
des autres. L’intégrité morale se manifeste plus précisément dans la
présentation d’excuses ou d’une justification raisonnable. Par contre, le
comportement ne répondant pas aux exigences de la morale se manifeste dans
le « peu de considération », ou dans l « ’indifférence » qu’on porte aux intérêts
d’autrui protégés par le droit. La responsabilité morale prend en considération
le fait que :

- Chacun de nous devient tous les jours une source de risques, voire de
dangers pour les autres, du fait que la recherche d’un intérêt personnel
interfère avec l’intérêt d’autrui. Lorsque je conduis ma voiture, je
deviens un risque probable ou éventuel pour les autres, en écartant le
principe du risque zéro. Je pourrais par la suite apporter une
« justification », une « excuse », pour mieux rendre compte de mon acte.

On passe de la responsabilité morale à la responsabilité juridique qui se


demande dans quel sens la justification subjective et l’excuse peuvent disculper
un état de choses avéré qui concerne une atteinte portée aux intérêts des
individus.

Théorie subjective et théorie objective.

Nous avons en face deux doctrines différentes. La théorie « subjective » se


fonde à la fois sur la disposition de l’acteur à présenter une justification
subjective de la vitesse non autorisée par une urgence sanitaire ou une excuse
par l’oubli, et se fonde ainsi sur des hypothèses concernant le caractère
subjectif de la responsabilité morale et pénale de l’acteur, à savoir dans les
limites de sa connaissance personnelle, de ses intentions et de ses états
cognitifs. La théorie subjective ne se pose pas de questions concernant la
causalité, le tord ou dommage en soi, ou comme états de choses avérés,
comme faits juridiques.

La théorie subjective s’interroge sur les représentations subjectives qui


mènent l’acteur à mettre les intérêts d’autrui en danger concernant la

2
causalité et les dommages. 2 Il n’existe pas de lien intrinsèque et automatique,
du point de vue subjectif, entre le fait de causer un crime et le fait de mériter la
réprimande morale et la sanction pénale. Il suffit pour s’attribuer la
responsabilité de l’acte pénal de la prise de conscience qu’on est en train
d’exposer les gens à un danger, la prise de conscience des probabilités de
l’arrivée du danger, des circonstances qui justifient la mise en danger des gens.
3
L’acteur est jugé coupable lorsqu’il n’arrive pas à justifier de manière
rationnelle les risques et dangers qu’il fait courir aux intérêts juridiques
d’autrui. Il est donc responsable des degrés de probabilités du danger dont il
est conscient, sans qu’il soit responsable des « dommages en soi ».

le problème est que la doctrine subjective ne juge pas les faits en soi que
lorsqu’ils sont considérés du point de vue cognitif. La « tentative » est
considérée comme un fait pénal avéré, alors que le coupable peut être
disculpé, lorsqu’on se rend compte que l’acte suspecté n’était intentionnel au
moment de sa commission.

La théorie « objective » par contre est fondée sur la notion de faits avérés et
sur l’assomption que nul n’est censé ignorer la loi. En plus, on n’exclut pas
qu’on se rende responsable de prises de risques qu’on fait courir aux autres, a
fortiori des « dommages réels ». Celui qui se sent responsable des risques se
sentira également responsable des conséquences des risques, à l’opposé de la
théorie subjectiviste. On ne doit pas dissocier l’acte de mise en danger des
intérêts juridiques et les conséquences de la mise en danger, sous prétexte que
la mise en danger est un choix délibéré pénalisé, alors que les conséquences de
l’acte volontaire ne sont qu’accidentelles, car elles ne sont pas maitrisées par la
volonté de l’acteur ou sous son « contrôle ». Pour la théorie objective, nous
sommes conscients de l’existence d’une liaison entre le danger et le dommage ;
à savoir entre l’acte et la conséquence, à la lumière des expériences du
passé. «  Le suspect est coupable d’avoir perpétré un dommage injustifié s’il

2
Larry Alexander & Kimbeley Kessler Ferzan : Reflections on Crime and Culpability. Cambridge University Press,
2018, p. 53.

3
Larry Alexander & Kimbeley Kessler Ferzan : Reflections on Crime and Culpability. Cambridge University Press,
2018, p. 17

3
avait l’intention de causer le dommage, s’il savait que le dommage allait avoir
lie et s’il était conscient du risque qu’il allait avoir lieu. »4

La mise en danger des intérêts juridiques d’autrui devient un sujet de plus en


plus sérieux lorsque les interférences éventuelles entre les intérêts personnels
et l’intérêt général revettent un caractère culturel.

Le conflit d’intérêt au sein des entreprises.

Lorsqu’on parle de conflit d’intérêt au sein des entreprises, j’attire l’attention


du lecteur sur l’aspect spécifique des conflits d’intérêt. On doit chercher ce
problème dans le rapport entre l’entreprise ou les sociétés et la famille. Nous
avons hérité d’une conception négative de la notion de l’économie familiale ou
plus généralement de l’entreprise familiale. La notion de l’économie familiale
est stigmatisée à cause de l’entrelacement entre l’intérêt des associés et
l’intérêt familial. A l’origine, l’ancrage familial de l’échange des biens est
attesté par l’importance accordée à la famille dans la philosophie pénale en
Islam, en raison de la notion des circonstances « aggravantes ». On voit que la
famille était le fief de la solidarité, du fait que le tissu familial se reproduit dans
le tissu économique. La solidarité exige que la famille soit prioritaire par
rapport au reste des citoyens, ce qui fait que la stratification des relations
familiale contredit la vision égalitaire de l’économie du marché moderne. En
plus, les délits et les crimes admettent des conditions atténuantes ou des
circonstances aggravantes, punis ou disculpés, d’après le type des relations
parentales. L’entreprise est considérée comme acte de solidarité qui conduit au
conflit entre les intérêts protégés par la famille et les intérêts protégés par le
droit.

Conclusion :

Il me semble que l’influence des valeurs du tissu familial se manifeste dans


certaines dispositions du code pénal, comme dans l’organisation du tissu
économique. Je me demande si la théorie subjective ne serait pas beaucoup

4
A defendant is culpable for an unjustified harm if he positively intended to cause the harm,
knew that it would happen, was consciously aware of a risk that it would happen, or should
have been consciously aware of a risk that it would happen. Michael S.Moore: Causation
and responsibility, Oxford 2009, p. 201.

4
plus en mesure, dans sa forme idéale, de rendre compte des conflits d’intérêt
(eu égard à l’impact de la protection de l’intérêt des siens, en mettant en
danger l’intérêt des autres). Le point faible ou peut être le point fort de la
théorie subjective consiste dans le fait de construire la responsabilité sur la
conception cognitive qui nous amène à mettre certains intérêts en danger, tout
en protégeant d’autres. Le fait de disposer d’une théorie fausse de la morale
ou d’ignorer les textes de la loi s’y rapportant ne doivent pas aggraver la gravité
du forfait. Le travail de fond n’est pas de punir pour des actes provenant d’une
conception fausse de la solidarité, mais également de chercher du point de vue
culturel un meilleur consensus entre l’économie de solidarité et celle du
marché.

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