Vous êtes sur la page 1sur 209

http://thegreatelibrary.blogspot.

com/

http://thegreatelibrary.blogspot.com/

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Table of Contents
Page de titre
Copyright
Sommaire
Introduction
Avant-Propos
Première partie Pourquoi le management de la performance freine l’innovation
1. Mesurer pour piloter, c’est encore de la théorie. Dans les faits, sur le terrain, la
mesure ne sert qu’au contrôle systématique des individus… Pourquoi ?
La méfiance règne…
L’entreprise est passée de Taylor à cyber, mais on contrôle toujours
La schizophrénie des entreprises
2. Les fanatiques du contrôle systématique affichent la modeste ambition de vouloir
tout mesurer. Mais ils ne savent que compter… et encore, uniquement ce qui est facile
à compter… Démonstration
Le reporting n’est qu’une lucarne translucide, on distingue vaguement quelques
formes mais on ne voit pas les détails
En attendant le tout-numérique
Mesurer, c’est résumer
Avec le big data, va-t-on enfin tout savoir ?
Le principe de l’analyse big data en quelques mots
Le big data nous promet monts et merveilles, mais qu’en est-il réellement ?
Quantité et qualité ne sont pas synonymes
Homo Œconomicus, le retour !
Les limites de la « chiffromanie », tout ne se compte pas…
Grandeurs qualitatives et subjectivité
De toute façon, on ne compte que ce qui est facile à compter
En complément pour enfoncer le clou : l’évaluation individuelle à l’épreuve de la
réalité du travail
3. Dominer, c’est aussi savoir manipuler l’information. Ou comment démontrer que le
verre à moitié vide est à moitié plein et vice versa… Quelques cas typiques

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Ce sont les indicateurs ! Ou comment changer la réalité en manipulant les


indicateurs de performance
Mesurer, c’est comparer
Mesurer, c’est donc évaluer
Les principales techniques de manipulation
Les indicateurs alibis
Les indicateurs artificiels
Les indicateurs insignifiants
Les indicateurs incomplets
Les indicateurs « écrans »
Les indicateurs « globaux »
Les indicateurs volontairement déséquilibrés
Les indicateurs faussement équilibrés
Leurrez votre entourage en ne choisissant pas le meilleur format d’affichage de la
mesure
N’affichez que les moyennes et masquez les valeurs médianes et modales
Adoptez les pourcentages pour exprimer les progressions
Doublez, triplez, quadruplez, pourquoi pas…
Abusez sans retenue de la précision des nombres proposés
Commencez à tromper votre entourage dès la collecte d’informations
Les sondages d’opinion
4. C’est si facile de leurrer son auditoire avec les présentations graphiques !
Les faux graphiques
Jouez avec les échelles
Et maintenant sans tricher…
Exploitez les graphiques illustrés et les infographies
Comparez l’incomparable
Profitez des outils statistiques
Seul le sens de la flèche importe
Les corrélations abusives sont un excellent outil de manipulation des esprits
Abusez de l’hystérésis

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Confondez stock et flux…


… Et profitez de l’effet d’aubaine
5. La majorité des indicateurs de performance sont faux, cela dit, quelques-uns sont
utiles… Explication
Définition et principe des indicateurs de performance
L’indicateur de performance est une aide à la prise de décision
En fait, l’indicateur de performance est la clé du déploiement stratégique
Les dérives de la mesure de la performance
Les indicateurs de performance « orphelins »
Quand l’indicateur devient l’objectif
Les indicateurs de performance choisis pour leur facilité de mise en œuvre
L’objectif suivi n’est pas lié à la stratégie
Lorsque l’objectif devient une obsession de tous les instants…
… et de surcroît est totalement arbitraire…
6. Mais alors, qu’est-ce donc qu’un indicateur de performance « utile » ?
Un indicateur n’est pas une marionnette pour ventriloque
L’indicateur unique est un mythe
Un exemple typique : l’indicateur du PIB
Il ne s’agit pas pour autant de multiplier les indicateurs inconsidérément
À moins qu’il ne s’agisse d’indicateurs « équilibrés »
Il ne s’agit pas non plus de fuir tous les indicateurs globalisés
Quelle précision choisir ? Affiche-t-on ou n’affiche-t-on pas les décimales ?
L’escroquerie des centimes
L’orbite circulaire des planètes
L’énigme de la quadrature du cercle enfin résolue
Un tableau de bord n’offre qu’une vision réductrice de la réalité
Deuxième partie Comment y remédier : la démarche
7. Tout bien réfléchi, ce n’est pas bien compliqué : pour suivre un indicateur de
performance, encore faut-il en avoir envie…
Bâtir le système de mesure de la performance, une démarche typique
Qu’est-ce que la performance ?

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

La démarche
8. Tout commence (normalement) par l’élaboration d’une stratégie raisonnable et
raisonnée, et donc pertinente
Mais qu’est-ce donc que la stratégie ?
La stratégie, ce n’est pas se préparer à la guerre…
La stratégie, ce n’est pas suivre les leaders médiatiques…
Corollaire évident : la stratégie ce n’est pas copier les autres
La stratégie, ce n’est pas cocher une check-list pour ressembler au modèle
idéal…
La stratégie, ce n’est pas adorer les gourous…
La stratégie, ce n’est pas une chasse gardée de la direction
La stratégie, ce n’est pas que la conception, c’est aussi le déploiement
En fait, une bonne stratégie est le fruit d’une démarche coopérative
L’analyse SWOT, un outil aussi essentiel que mal utilisé
La technologie est à notre service
Un cas pratique : le démarrage d’une SCOP
Synthèse : les avantages incommensurables d’une approche participative
Une fois la stratégie déployée… on reste aux aguets, prêts à tout bouleverser
s’il le faut
9. De la stratégie aux tactiques, ou comment le choix des objectifs de performance
conditionne la réussite du déploiement stratégique
Qui est concerné ?
La pierre d’achoppement : décliner la stratégie en objectifs de terrain
Et le management par les objectifs ?
La démarche en pratique
Qu’est-ce qu’un bon objectif de performance ?
Les six caractéristiques d’un bon objectif de performance
Le bon objectif exprime des ambitions raisonnables
Le bon objectif est univoque et explicite
Comment s’assurer que les objectifs tactiques sont bien au service de la stratégie ?
La cohérence globale : marcher sur deux jambes permet d’avancer

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

La sous-traitance et la chaîne de valeur globale


10. La question de la confiance, première clé de voûte de la démarche
On ne participe pas, on s’engage…
… Mais sans confiance on ne s’engage pas
Pourquoi la question de la confiance n’est-elle pas traitée à sa juste valeur en
entreprise ?
Confiance et poka-yoke
Mais alors qu’est-ce donc que la confiance ?
Pour gagner la confiance on commence par instaurer la transparence
Les limites de la transparence et donc de la confiance
(Re)découvrir les avantages d’un contrat d’engagement
Les conditions d’obtention d’un objectif
11. Mais qui dit « action » doit aussi entendre « reconnaissance », seconde clé de voûte
de la démarche
De l’exactitude des fiches d’action découle la définition des responsabilités
Je veux bien me défoncer, encore faut-il me dire pourquoi !
Dites-moi que vous aimez ce que je fais
Mais quelle reconnaissance ?
La reconnaissance comme moteur d’un management responsable
Le principe de la carotte et du bâton est encore aujourd’hui l’instrument
privilégié de la reconnaissance en entreprise
La reconnaissance, ce n’est pas uniquement récompenser les résultats
obtenus…
La reconnaissance, c’est aussi le moyen de délivrer un feedback positif…
Mais la reconnaissance, c’est surtout le moyen de montrer sa considération
Le management, c’est aussi parvenir à conjuguer les motivations personnelles de
chacun avec celles de l’entreprise
Reconnaissance de l’individu ou de l’équipe ?
Le droit à l’erreur conditionne la prise d’initiative
Et pourtant, on apprend de ses erreurs… Et parfois on innove !
12. Choisir les bons indicateurs de performance
Les critères de choix d’un bon indicateur de performance

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Orienté : l’indicateur est orienté selon l’objectif choisi


Constructible : l’indicateur est relativement facile à construire
Rafraîchi : la fréquence de rafraîchissement de toutes les composantes de
l’indicateur est compatible avec le cycle de prise de décision
Coût acceptable : l’indicateur est obtenu à un coût compatible avec
l’enveloppe budgétaire
Fiable : l’indicateur est fiable au sens des décideurs
Décisif : l’indicateur incite à la prise de décision
Présentation des indicateurs : Le tableau de bord
Règle numéro 1 : Limiter le nombre d’indicateurs
Règle numéro 2 : Choisir la représentation graphique la plus adéquate
Règle numéro 3 : Informer les utilisateurs
Règle numéro 4 : Éliminer le bruit
Règle numéro 5 : Équilibrer le tableau de bord
Règle numéro 6 : Élaborer les vues de détail
Règle numéro 7 : S’approprier le tableau de bord
Un peu de pragmatisme
13. Les indicateurs de performance ne sont utiles que si l’on s’en sert pour prendre des
décisions
Qu’est-ce qu’une décision ?
La démarche de progrès
L’incertitude, le risque et la décision
La décision est une prise de risque
La décision, c’est impérativement l’action
Nous sommes toujours seuls face à la décision
Quelles initiatives peut-on prendre sans risquer les coups de règle sur les doigts ?
Coordination et coopération
14. La décision en équipe
Décider en équipe, ce n’est rien d’autre que négocier pour mieux coopérer
Pour bien négocier encore faut-il disposer d’un référentiel commun… C’est là la
finalité des indicateurs et des objectifs de performance bien choisis

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Des règles de cadrage pour une démarche « contractuelle »


Le guide pratique du modérateur averti
Une séance de décision en équipe se prépare à l’avance
Sans diversité de points de vue, il n’y a pas de décision efficace
La polémique est une situation normale du débat d’idées
Une question demeure toutefois : les divergences de vues visent-elles la
résolution du problème ou, plus insidieusement, s’agit-il de conflits de
pouvoir ?
Convaincre, ce n’est pas expliquer plus que de raison
Avant de boucler, on réfléchit aux conséquences de la décision
Ce qui importe c’est l’adhésion, mais comment y parvenir ?
Le rôle du modérateur
Arbitrer
Synthétiser
S’abstenir
Aiguillonner
Encourager : si jamais le groupe est un peu coincé et ne démarre pas,
comment le dérider ?
Conclure
Les difficultés de la modération
Absence de confiance
Se sentent-ils concernés ?
Décoder les termes du langage, les mots n’ont pas toujours la même
signification
Écouter les doubles sens
L’implicite et l’explicite
L’échelle de valeur: qu’est-ce qui est normal, juste ou bien ?
Les trublions
Les manipulateurs sont là
Les paradoxes de l’expérience et les biais cognitifs
Comment devient-on un « bon » modérateur-animateur ?

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

15. Apprenons à mesurer quelques grandeurs qualitatives pour en finir avec


l’obscurantisme doctrinal des compteurs de petits pois
Comment passer du qualitatif au quantitatif
Échelle de Likert
Comment passer du quantitatif au qualitatif
À l’attention des plus curieux : un peu de théorie à propos des univers continu et
discontinu
Indicateurs de performance et logique floue, une expérience à télécharger
Troisième partie Pour conclure…
16. Au XXIe siècle, c’était encore des humains qui faisaient fonctionner les entreprises.
Vous savez, ces êtres dotés de raison, de sentiments et de passions…
Ils appellent cela « Le facteur humain… »
Un système de mesure de la performance adapté pour chaque type de
management
Mais alors quelles sont donc ces entreprises qui favorisent la coopération pour
une meilleure prise de décision sur le terrain ?
L’holacratie et l’entreprise dite « libérée »
La SCOP
La start-up
Et… les entreprises plus traditionnelles
Bibliographie
Index

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Comment répondre aux nouveaux besoins de pilotage des entreprises ? L’auteur propose une démarche en 7 étapes pour
mettre en place les tableaux de bord du manager innovant. Cette démarche pratique permet de bâtir un système de
mesure de la performance qui remplit pleinement sa fonction d’assistance au pilotage, dans une logique de coopération et
de prise de décision en équipe.

La première partie développe une analyse critique de la mesure de la performance telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui.
Elle apporte notamment des réponses aux questions : pourquoi la mesure de la performance est-elle encore un outil de
coercition ? Comment démasquer les mesures maquillées ? Comment éviter les indicateurs inadaptés et donc trompeurs ?

La seconde partie détaille, exemples à l’appui, les sept étapes de la démarche pour bâtir les tableaux de bord de
l’organisation innovante : concevoir des stratégies coopératives ; identifier collectivement les objectifs tactiques ;
instaurer un climat de confiance, premier pivot de la démarche ; pratiquer la reconnaissance, second pivot de la démarche
; sélectionner les indicateurs pertinents ; construire l’aide à la décision ; développer la prise de décision en équipe.

Alain Fernandez est depuis plus de trente ans consultant indépendant spécialiste de la mesure de la performance. Il conçoit
pour les entreprises, en France comme à l’étranger, des systèmes de tableaux de bord de pilotage et d’aide à la décision, en
utilisant la démarche décrite dans cet ouvrage. Enseignant et formateur, il est aussi l’auteur de plusieurs livres de référence
sur le thème du management de la performance vendus à plusieurs milliers d’exemplaires.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Alain Fernandez

Les tableaux de bord du manager innovant


Une démarche en 7 étapes pour faciliter la prise de décision en équipe

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Groupe Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com

Du même auteur chez le même éditeur

L’essentiel du tableau de bord (2005, 2008, 2011, 2013, 2018)

44 astuces pour démarrer votre business (2013)

Le Chef de projet efficace (2003, 2005, 2011, 2013)

Les Nouveaux Tableaux de bord des managers (1998, 2000, 2003, 2008, 2011, 2013)

À son compte (2012)

Le Bon Usage des technologies expliqué aux managers (2001)

Les Systèmes d’information : Art et pratiques (collectif, 2002)

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage,
sur quelque support que ce soit, sans l’autorisation de l’Éditeur ou du Centre Français d’exploitation du droit de copie, 20,
rue des Grands Augustins, 75006 Paris.

© Groupe Eyrolles, 2018


ISBN : 978-2-212-56928-5

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier toutes les directions d’entreprise sans exception qui depuis 25 ans
m’ont permis d’affiner la démarche présentée au fil de ces pages. Quels que soient leur
domaine d’activité ou le type de management pratiqué, elles ont toutes contribué à leur
manière à ce livre qui synthétise quelque part ces multiples expériences. Je remercie
chaleureusement Marguerite Cardoso, responsable éditoriale chez Eyrolles, qui entre
autres, a pris le temps de commenter méthodiquement la toute première mouture de cet
ouvrage. Je remercie aussi Clotilde de Royer qui a adroitement amélioré le confort de
lecture d’un écrit un peu trop monolithique dans sa version initiale. Et bien sûr, je n’oublie
pas dans cette courte liste de remerciements Marie-Claude Sonzini, fidèle lectrice attentive
des premières ébauches.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

SOMMAIRE
Introduction

Avant-Propos

Première partie
Pourquoi le management de la performance freine l’innovation

1.Mesurer pour piloter, c’est encore de la théorie. Dans les faits, sur le terrain, la mesure
ne sert qu’au contrôle systématique des individus… Pourquoi ?
La méfiance règne…
L’entreprise est passée de Taylor à cyber, mais on contrôle toujours

La schizophrénie des entreprises

2.Les fanatiques du contrôle systématique affichent la modeste ambition de vouloir tout


mesurer. Mais ils ne savent que compter… et encore, uniquement ce qui est facile à
compter… Démonstration
Le reporting n’est qu’une lucarne translucide, on distingue vaguement quelques formes mais on ne voit pas les
détails
En attendant le tout-numérique

Mesurer, c’est résumer

Avec le big data, va-t-on enfin tout savoir ?


Le principe de l’analyse big data en quelques mots

Le big data nous promet monts et merveilles, mais qu’en est-il réellement ?

Quantité et qualité ne sont pas synonymes

Homo Œconomicus, le retour !

Les limites de la « chiffromanie », tout ne se compte pas…


Grandeurs qualitatives et subjectivité

De toute façon, on ne compte que ce qui est facile à compter

En complément pour enfoncer le clou : l’évaluation individuelle à l’épreuve de la réalité du travail

3.Dominer, c’est aussi savoir manipuler l’information. Ou comment démontrer que le


verre à moitié vide est à moitié plein et vice versa… Quelques cas typiques
Ce sont les indicateurs ! Ou comment changer la réalité en manipulant les indicateurs de performance

Mesurer, c’est comparer


Mesurer, c’est donc évaluer

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Les principales techniques de manipulation


Les indicateurs alibis

Les indicateurs artificiels

Les indicateurs insignifiants

Les indicateurs incomplets

Les indicateurs « écrans »

Les indicateurs « globaux »

Les indicateurs volontairement déséquilibrés

Les indicateurs faussement équilibrés

Leurrez votre entourage en ne choisissant pas le meilleur format d’affichage de la mesure


N’affichez que les moyennes et masquez les valeurs médianes et modales

Adoptez les pourcentages pour exprimer les progressions

Doublez, triplez, quadruplez, pourquoi pas…

Abusez sans retenue de la précision des nombres proposés

Commencez à tromper votre entourage dès la collecte d’informations


Les sondages d’opinion

4.C’est si facile de leurrer son auditoire avec les présentations graphiques !


Les faux graphiques

Jouez avec les échelles


Et maintenant sans tricher…

Exploitez les graphiques illustrés et les infographies

Comparez l’incomparable
Profitez des outils statistiques

Seul le sens de la flèche importe

Les corrélations abusives sont un excellent outil de manipulation des esprits

Abusez de l’hystérésis
Confondez stock et flux…

… Et profitez de l’effet d’aubaine

5.La majorité des indicateurs de performance sont faux, cela dit, quelques-uns sont
utiles… Explication
Définition et principe des indicateurs de performance
L’indicateur de performance est une aide à la prise de décision

En fait, l’indicateur de performance est la clé du déploiement stratégique

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Les dérives de la mesure de la performance


Les indicateurs de performance « orphelins »

Quand l’indicateur devient l’objectif

Les indicateurs de performance choisis pour leur facilité de mise en œuvre

L’objectif suivi n’est pas lié à la stratégie

Lorsque l’objectif devient une obsession de tous les instants…

… et de surcroît est totalement arbitraire…

6.Mais alors, qu’est-ce donc qu’un indicateur de performance « utile » ?


Un indicateur n’est pas une marionnette pour ventriloque

L’indicateur unique est un mythe


Un exemple typique : l’indicateur du PIB

Il ne s’agit pas pour autant de multiplier les indicateurs inconsidérément

À moins qu’il ne s’agisse d’indicateurs « équilibrés »

Il ne s’agit pas non plus de fuir tous les indicateurs globalisés

Quelle précision choisir ? Affiche-t-on ou n’affiche-t-on pas les décimales ?


L’escroquerie des centimes

L’orbite circulaire des planètes

L’énigme de la quadrature du cercle enfin résolue

Un tableau de bord n’offre qu’une vision réductrice de la réalité

Deuxième partie
Comment y remédier : la démarche

7.Tout bien réfléchi, ce n’est pas bien compliqué : pour suivre un indicateur de
performance, encore faut-il en avoir envie…
Bâtir le système de mesure de la performance, une démarche typique
Qu’est-ce que la performance ?

La démarche

8.Tout commence (normalement) par l’élaboration d’une stratégie raisonnable et


raisonnée, et donc pertinente
Mais qu’est-ce donc que la stratégie ?
La stratégie, ce n’est pas se préparer à la guerre…

La stratégie, ce n’est pas suivre les leaders médiatiques…

Corollaire évident : la stratégie ce n’est pas copier les autres

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

La stratégie, ce n’est pas cocher une check-list pour ressembler au modèle idéal…

La stratégie, ce n’est pas adorer les gourous…

La stratégie, ce n’est pas une chasse gardée de la direction

La stratégie, ce n’est pas que la conception, c’est aussi le déploiement

En fait, une bonne stratégie est le fruit d’une démarche coopérative


L’analyse SWOT, un outil aussi essentiel que mal utilisé

La technologie est à notre service

Un cas pratique : le démarrage d’une SCOP

Synthèse : les avantages incommensurables d’une approche participative


Une fois la stratégie déployée… on reste aux aguets, prêts à tout bouleverser s’il le faut

9.De la stratégie aux tactiques, ou comment le choix des objectifs de performance


conditionne la réussite du déploiement stratégique
Qui est concerné ?
La pierre d’achoppement : décliner la stratégie en objectifs de terrain

Et le management par les objectifs ?

La démarche en pratique

Qu’est-ce qu’un bon objectif de performance ?


Les six caractéristiques d’un bon objectif de performance

Le bon objectif exprime des ambitions raisonnables

Le bon objectif est univoque et explicite

Comment s’assurer que les objectifs tactiques sont bien au service de la stratégie ?
La cohérence globale : marcher sur deux jambes permet d’avancer

La sous-traitance et la chaîne de valeur globale

10.La question de la confiance, première clé de voûte de la démarche


On ne participe pas, on s’engage…
… Mais sans confiance on ne s’engage pas

Pourquoi la question de la confiance n’est-elle pas traitée à sa juste valeur en entreprise ?


Confiance et poka-yoke

Mais alors qu’est-ce donc que la confiance ?

Pour gagner la confiance on commence par instaurer la transparence


Les limites de la transparence et donc de la confiance

(Re)découvrir les avantages d’un contrat d’engagement


Les conditions d’obtention d’un objectif

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

11.Mais qui dit « action » doit aussi entendre « reconnaissance », seconde clé de voûte de
la démarche
De l’exactitude des fiches d’action découle la définition des responsabilités
Je veux bien me défoncer, encore faut-il me dire pourquoi !

Dites-moi que vous aimez ce que je fais

Mais quelle reconnaissance ?

La reconnaissance comme moteur d’un management responsable


Le principe de la carotte et du bâton est encore aujourd’hui l’instrument privilégié de la reconnaissance en
entreprise

La reconnaissance, ce n’est pas uniquement récompenser les résultats obtenus…

La reconnaissance, c’est aussi le moyen de délivrer un feedback positif…

Mais la reconnaissance, c’est surtout le moyen de montrer sa considération

Le management, c’est aussi parvenir à conjuguer les motivations personnelles de chacun avec celles de l’entreprise

Reconnaissance de l’individu ou de l’équipe ?

Le droit à l’erreur conditionne la prise d’initiative


Et pourtant, on apprend de ses erreurs… Et parfois on innove !

12.Choisir les bons indicateurs de performance


Les critères de choix d’un bon indicateur de performance
Orienté : l’indicateur est orienté selon l’objectif choisi

Constructible : l’indicateur est relativement facile à construire

Rafraîchi : la fréquence de rafraîchissement de toutes les composantes de l’indicateur est compatible avec le cycle
de prise de décision

Coût acceptable : l’indicateur est obtenu à un coût compatible avec l’enveloppe budgétaire

Fiable : l’indicateur est fiable au sens des décideurs

Décisif : l’indicateur incite à la prise de décision

Présentation des indicateurs : Le tableau de bord


Règle numéro 1 : Limiter le nombre d’indicateurs

Règle numéro 2 : Choisir la représentation graphique la plus adéquate

Règle numéro 3 : Informer les utilisateurs

Règle numéro 4 : Éliminer le bruit

Règle numéro 5 : Équilibrer le tableau de bord

Règle numéro 6 : Élaborer les vues de détail

Règle numéro 7 : S’approprier le tableau de bord

Un peu de pragmatisme

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

13.Les indicateurs de performance ne sont utiles que si l’on s’en sert pour prendre des
décisions
Qu’est-ce qu’une décision ?
La démarche de progrès

L’incertitude, le risque et la décision

La décision est une prise de risque

La décision, c’est impérativement l’action

Nous sommes toujours seuls face à la décision

Quelles initiatives peut-on prendre sans risquer les coups de règle sur les doigts ?
Coordination et coopération

14.La décision en équipe


Décider en équipe, ce n’est rien d’autre que négocier pour mieux coopérer
Pour bien négocier encore faut-il disposer d’un référentiel commun… C’est là la finalité des indicateurs et des
objectifs de performance bien choisis

Des règles de cadrage pour une démarche « contractuelle »

Le guide pratique du modérateur averti


Une séance de décision en équipe se prépare à l’avance

Sans diversité de points de vue, il n’y a pas de décision efficace

La polémique est une situation normale du débat d’idées

Une question demeure toutefois : les divergences de vues visent-elles la résolution du problème ou, plus
insidieusement, s’agit-il de conflits de pouvoir ?

Convaincre, ce n’est pas expliquer plus que de raison

Avant de boucler, on réfléchit aux conséquences de la décision

Ce qui importe c’est l’adhésion, mais comment y parvenir ?

Le rôle du modérateur
Arbitrer

Synthétiser

S’abstenir

Aiguillonner

Encourager : si jamais le groupe est un peu coincé et ne démarre pas, comment le dérider ?

Conclure

Les difficultés de la modération


Absence de confiance

Se sentent-ils concernés ?

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Décoder les termes du langage, les mots n’ont pas toujours la même signification

Écouter les doubles sens

L’implicite et l’explicite

L’échelle de valeur: qu’est-ce qui est normal, juste ou bien ?

Les trublions

Les manipulateurs sont là

Les paradoxes de l’expérience et les biais cognitifs

Comment devient-on un « bon » modérateur-animateur ?

15.Apprenons à mesurer quelques grandeurs qualitatives pour en finir avec


l’obscurantisme doctrinal des compteurs de petits pois
Comment passer du qualitatif au quantitatif
Échelle de Likert

Comment passer du quantitatif au qualitatif

À l’attention des plus curieux : un peu de théorie à propos des univers continu et discontinu
Indicateurs de performance et logique floue, une expérience à télécharger

Troisième partie
Pour conclure…

16.Au XXIe siècle, c’était encore des humains qui faisaient fonctionner les entreprises.
Vous savez, ces êtres dotés de raison, de sentiments et de passions…
Ils appellent cela « Le facteur humain… »

Un système de mesure de la performance adapté pour chaque type de management


Mais alors quelles sont donc ces entreprises qui favorisent la coopération pour une meilleure prise de décision sur
le terrain ?
L’holacratie et l’entreprise dite « libérée »

La SCOP

La start-up

Et… les entreprises plus traditionnelles

Bibliographie

Index

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

INTRODUCTION

La mesure de la performance a été dévoyée de sa finalité d’aide au pilotage pour ne servir


qu’au contrôle systématisé. Elle est pourtant l’indispensable catalyseur d’un mode de
management qui favorise la coopération et l’innovation.
Un management « responsable » en quelque sorte…

La course à la performance n’aura jamais été autant encensée que ces dernières années.
Élevée au rang de culte national, elle semble être désormais l’unique planche de salut pour
nos sociétés vieillissantes, engluées dans une crise qui n’en finit pas… de finir. Chaque
entreprise, ou plus généralement chaque organisation publique ou privée en mal de
compétitivité, tente de dénicher les sources d’amélioration de la performance globale au
sein même de toutes ses activités. Le couperet bien en main, les cost killers professionnels
ou improvisés sont prêts à trancher pour éliminer ce qui, en apparence, ne serait qu’un
générateur de coûts. Mais comme nous ne savons pas toujours très bien définir la notion de
performance, et encore moins la mesurer, on se contente de compter. Et l’on compte à peu
près tout ce qui peut être compté sans trop d’effort : des minutes, des quantités, des euros.
C’est une appréciation de la performance incomplète. Toutes les formes de valeurs ne
s’expriment pas en unités triviales. La coopération naturelle entre les membres de
l’entreprise, qu’ils soient de la même équipe ou pas, l’indispensable partage d’informations
et des tours de main sans lesquels aucune organisation ne fonctionnerait, restent invisibles
pour celui qui ne sait pas les chercher. Pourtant, c’est avec une grille de lecture aussi
grossière que s’opèrent les réorganisations. Toutes les activités dont la contribution à la
performance globale n’est pas nécessairement perceptible sur le bilan comptable sont
éliminées sans regret. La recherche et le développement, les actions d’amélioration du
bien-être des salariés, ou encore les actions de formation à long terme passent ainsi à la
trappe. Mais ce n’est pas là le seul effet pervers engendré par cette vision simpliste et donc
nécessairement partielle de la mesure de la performance.
Avec les technologies de l’information, le contrôle systématique et généralisé de l’ensemble
des salariés est aujourd’hui entré encore plus profondément dans les mœurs managériales.
Maintes fois dénoncée, cette dérive est en passe de devenir une norme de fait, tant les
moyens de la contrecarrer sont illusoires. Pratiquer ainsi la mesure de la performance
garantit la survivance d’un management de la soumission par la crainte, vestige des débuts
de l’ère industrielle où il s’agissait de transformer de braves laboureurs en ouvriers
automates. Il ne faut donc pas être surpris si la créativité et l’innovation, tant invoquées
pour un réveil de la compétitivité, restent bloquées dans les tréfonds des cerveaux des
salariés aussi brillants soient-ils. Le management, non pas le vertueux décrit par les
gourous auteurs d’ouvrages à succès, mais bien celui actuellement pratiqué dans les
entreprises, ne laisse guère de place à l’indispensable prise d’initiative, unique clé de

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

l’innovation. Et ce ne sont ni les réseaux sociaux, ni le big data, ni plus globalement le


mythe de l’entreprise numérique, qui changeront quoi que ce soit à cet état de fait. Ces
principes managériaux anachroniques sont encore foncièrement ancrés dans les modes de
fonctionnement de nombre d’organisations privées ou publiques.
Pourtant, nous ne sommes plus à l’époque où l’efficacité d’une organisation était
proportionnelle à la rigidité de ses structures et processus. La radicalisation excessive et
imposée unilatéralement, comme le suggèrent bien des méthodes de management
lorsqu’elles sont appliquées à la lettre, est à terme contre-productive. Le « Lean
management » en est l’exemple le plus récent. D’expérience, la recherche de l’amélioration
de la performance ne peut fonctionner si l’on ne prend pas soin d’instaurer un climat de
confiance et de reconnaissance dans un esprit coopératif digne de ce nom.
Coopérer signifie que l’on décide et que l’on agit en commun, c’est-à-dire avec l’ensemble
des employés, partenaires pour l’occasion. Cette définition ainsi formulée ne se suffit pas à
elle seule. Encore faut-il la préciser concrètement pour prendre ses distances avec les
gesticulations verbales des communicants d’entreprise. Coopérer, c’est évaluer ensemble
les objectifs possibles et opportuns, estimer les gains réciproques, et préciser les mesures
optimales balisant le progrès. Coopérer, c’est tout mettre en œuvre pour faciliter la prise de
décision sur le terrain, seule approche possible pour un pilotage au plus près des
événements, qu’il s’agisse des menaces comme des opportunités. Encore faut-il que chacun
connaisse bien le sens et la portée de sa mission, et que celle-ci soit tout à fait en phase avec
ses possibilités et ses ambitions. C’est là la règle de la réussite d’un système de mesure de la
performance utile, utilisable et utilisé.
Enfin, pour cerner une notion aussi complexe que la performance, on ne peut se contenter
des seules grandeurs quantitatives aussi bien choisies soient-elles. Pour mieux exprimer
toute la subtilité des multiples facettes de la notion de performance, la mesure se doit
d’intégrer une juste appréciation des grandeurs qualitatives. Ces dernières sont
particulièrement délicates à formaliser. Elles sont étroitement liées à la subjectivité de
chacun. C’est justement cet aspect qui mérite d’être développé. Pour y parvenir, il est grand
temps de changer de paradigme et de remplacer le mode de management autoritaire, fondé
sur un contrôle systématique permanent, par un management responsable et émancipateur
des individualités, véritable terreau de l’innovation collective.
Au fil de cet ouvrage, nous étudierons le lien étroit entre le management et la mesure de la
performance, avant de proposer une démarche de conception facilitant le pilotage et la
prise de décision en équipe.
Au cours de la première partie, nous adopterons un indispensable regard critique, afin de
donner une explication aux dérives de la mesure de la performance vécues au quotidien
par les femmes et les hommes de l’entreprise. Nous consacrerons ensuite le temps
nécessaire pour passer en revue les principaux types de manipulations des mesures afin de
mieux les déjouer. Puis, nous poursuivrons par l’étude des cas les plus courants de
mésusage des indicateurs de performance en entreprise.
Au cours de la deuxième partie, nous développerons chacune des phases d’une démarche
pratique pour bâtir un système de mesure de la performance qui remplit pleinement sa

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

fonction d’assistance au pilotage, de la stratégie aux indicateurs de performance, en


passant par le choix délicat des objectifs tactiques dans une logique de coopération. Piloter,
c’est prendre des décisions. Nous étudierons une méthode pour faciliter la prise de décision
en équipe. Enfin, nous ébaucherons quelques techniques simples pour intégrer les mesures
qualitatives dans notre système de mesure de la performance et d’aide au pilotage.
Enfin, la troisième et dernière partie conclut cette étude en proposant un outil pratique
pour mieux comprendre le mode de management pratiqué au sein des entreprises, et
choisir ainsi le système de mesure de la performance et de pilotage le plus adéquat.
Site associé : www.piloter.org

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

AVANT-PROPOS

Il est désormais notoire que le développement de l’esprit d’innovation en entreprise ne se


fera pas sans adopter de nouveaux modèles organisationnels plus flexibles et plus réactifs.
Ces nouveaux modèles sont fondés sur une délégation étendue du pouvoir de décision
auprès des équipes opérationnelles. Plus autonomes, les femmes et les hommes de
l’entreprise prennent alors les décisions d’orientation qui s’imposent, sans être contraints
d’en référer systématiquement à une hiérarchie loin des réalités du terrain. Encore faut-il
que chaque équipe dispose d’un système de mesure de la performance et d’aide au pilotage
en parfaite adéquation avec les exigences du poste de travail, la stratégie poursuivie et les
aspirations de chacun. Cette dernière phrase révèle en substance la mutation à
entreprendre pour bâtir les tableaux de bord d’un management innovant. Ce ne sera
sûrement pas en recopiant des exemples de tableaux de bord types de la profession
proposés « prêts à l’emploi » sans aucun lien avec le contexte précis de l’organisation. Un
indicateur de performance oriente les décisions. C’est là son rôle. Son choix ne peut être
arbitraire. La sélection de chaque indicateur doit être le fruit d’un processus précis qui tend
à orienter dans le sens de la stratégie choisie les décisions effectivement prises. C’est ce
processus que nous allons étudier dans ce livre et nous bâtirons concrètement les tableaux
de bord qui favorisent la prise de décision en équipe, véritable terreau de l’innovation en
entreprise.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

PREMIÈRE PARTIE
POURQUOI LE MANAGEMENT DE LA PERFORMANCE FREINE
L’INNOVATION

Où l’on comprend les origines d’un management pris au piège de la frénésie du contrôle
systématique et de ses dérives pernicieuses.
Nous étudierons alors le moyen de déjouer les mesures fallacieuses et d’esquiver les
indicateurs farfelus.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

1.
Mesurer pour piloter, c’est encore de la théorie. Dans
les faits, sur le terrain, la mesure ne sert qu’au contrôle
systématique des individus… Pourquoi ?

Le paradoxe du management moderne :


systématiser le contrôle
pour s’assurer d’aucun écart à la règle,
et s’étonner ensuite du manque d’initiative…

Depuis déjà bien des années, les auteurs de management « mainstream » vantent à juste
titre l’importance d’une mesure efficace de la performance pour conduire une démarche de
progrès stratégique. Dans son principe, le schéma est simple et logique. Une fois la stratégie
soigneusement formalisée, elle est déclinée au sein de l’entreprise afin que chaque salarié
contribue au progrès ainsi défini. En fait, ce sont les femmes et les hommes de l’entreprise
qui portent la stratégie et agissent en conséquence pour la rendre réalisable. Chacune et
chacun, à son niveau et dans son métier, se doit d’atteindre des objectifs réalistes et précis,
en parfaite cohérence avec la stratégie poursuivie. Pour prendre les bonnes décisions de
terrain, il est donc impératif que chaque manager, que chaque équipe, dispose d’un
instrument de mesure de la performance adapté.
En résumé, la mesure de la performance n’a donc d’autre but que celui de guider la mise en
œuvre d’une stratégie et de faciliter la prise de décision de l’ensemble des acteurs de
l’entreprise. Tout cela est parfaitement clair aujourd’hui.
En théorie.
Parce qu’en pratique, c’est tout à fait autre chose que l’on trouve sur le terrain. Le principe
de mesure est totalement détourné de sa mission initiale. Les évaluations individuelles à
répétition, les objectifs flous, les stratégies jalousement tenues secrètes par la direction, les
reportings répétitifs et fastidieux aux finalités incompréhensibles pour ceux qui doivent les
produire, sont le quotidien des salariés de la très large majorité des organisations privées
ou publiques aujourd’hui. Pourquoi ? Tout simplement pour mieux les contrôler. Collecter
un maximum d’information confère l’impression d’être à même de tout surveiller et de
s’assurer que tout sera exécuté selon les règles prescrites. Bref, la méfiance règne. Pour une
large majorité d’entreprises, il n’est pas question de déléguer un quelconque pouvoir de
décision, et donc d’initiative, sans un contrôle de tous les instants. C’est la principale raison
de cette multiplication des mesures déployées tous azimuts sans pour autant être
nécessairement reliée à une stratégie bien définie.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

La méfiance règne…
Depuis les débuts de l’industrialisation, l’humain a toujours été considéré comme la partie
subsidiaire du processus. On aimerait bien s’en passer, mais ce n’est pas possible, donc il
faut faire avec. En revanche, il faut s’assurer que les salariés ne s’approprient pas un espace
de pouvoir non prévu par les strictes nécessités de la tâche allouée. Frederick Winslow
Taylor, initiateur de l’organisation scientifique du travail, n’avait guère d’autres ambitions.
Il affichait ouvertement son manque total de confiance envers les employés qui, d’après lui,
cherchaient toujours le moyen d’en faire le moins possible.
La citation qui interpelle
« Si un ouvrier américain joue au base-ball ou un Anglais au cricket, il emploie toutes ses facultés pour assurer la victoire à son
camp et gagner le plus grand nombre possible de points (…) Quand ce même ouvrier retourne à l’usine le lendemain, loin de
s’efforcer de travailler de son mieux, il s’arrange le plus souvent, pour faire délibérément le moins de travail possible. »

FREDERICK W. TAYLOR (1856-1915)1.

Sous prétexte d’améliorer les processus de production, Taylor s’est efforcé de capter la
connaissance des professionnels afin de les priver d’un pouvoir jugé inacceptable par la
direction des entreprises. Avant qu’il impose ses lois d’organisation industrielle, un
mécanicien tourneur par exemple, définissait lui-même la méthode à employer et le temps
nécessaire pour réaliser une pièce précise. Il disposait d’un pouvoir sur les temps, les
modes de réalisation et donc sur les coûts. La direction était bien contrainte de se
soumettre. Pour Taylor, la solution était simple. Il suffisait de s’approprier la connaissance
détenue par les professionnels de terrain en charge de l’exécution proprement dite. Une
fois les connaissances liées à un métier donné formalisées par le bureau des méthodes, il
est alors aisé de diviser le métier en tâches suffisamment élémentaires pour être exécutées
par des salariés ne disposant d’aucune compétence particulière. Ces derniers sont
dépourvus du pouvoir de résistance que confère la parfaite maîtrise de son métier. Ils ne
peuvent donc rechigner à subir la pression des chronométreurs et autres contrôleurs. La
division du travail était née. Ceux qui ont la maîtrise des techniques de production ne sont
pas ceux qui sont tenus de les appliquer, les bras sont isolés des cerveaux. Il suffisait
ensuite que Henry Ford récupère l’idée pour généraliser le travail à la chaîne et « inventer »
les premiers processus2.
On pourrait penser que dans l’entreprise moderne, le taylorisme tout comme le fordisme
ne sont plus d’actualité. Il faudrait pour cela faire abstraction de toutes les entreprises
industrielles qui appliquent le Lean management sans l’avoir vraiment compris et avec plus
ou moins de succès, ou encore toutes celles qui, comme Amazon, dépendent de la
performance de la logistique.
La citation qui interpelle
« Les salariés et leur production sont observés en temps réel. Leurs temps de travail et de pause sont encadrés à la minute près.
Au “pack”, où l’on emballe les petits articles, l’objectif est récemment passé de 110 à 115 colis par heure. “Beaucoup faisaient un
geste inutile en attrapant le carton avec la main droite, explique Ronan Bolé, directeur du site. En utilisant la gauche, ils évitent
une torsion du buste et gagnent en productivité.” »

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

LE MONDE, « DANS LES ENTREPÔTS,


LA FOLLE CADENCE DES OUVRIERS DE LA LOGISTIQUE », 7 JUIN 2016.

Cela dit, il est vrai que nous ne sommes plus exactement dans la même dimension. Il ne
s’agit plus de transformer de braves laboureurs en ouvriers à la chaîne, comme ce fut le cas
durant toute la première moitié du XXe siècle.
Et aujourd’hui ?
On prône l’autonomisation et la prise de responsabilités. Pour faire face à la complexification des métiers et à l’incertitude des
marchés, il n’existe guère d’autres solutions que de se reposer sur la capacité des femmes et des hommes à affronter de telles
situations.

 L’entreprise est passée de Taylor à cyber, mais on contrôle toujours


Une organisation actuelle ne peut fonctionner sans déléguer aux opérationnels sur le
terrain quelques bribes de pouvoir et une bonne dose de responsabilité afin qu’ils puissent
prendre les indispensables décisions ad hoc le plus rapidement possible. Nous avons
rapidement évoqué le modèle taylorien pour bien préciser notre héritage. Le management
s’inspire d’avantage aujourd’hui d’un modèle de type cybernétique que taylorien.
Les opérationnels sont qualifiés et compétents. Ils ont reçu la formation adéquate et
connaissent suffisamment bien leur métier pour accomplir la tâche qui leur est dévolue
dans les règles de l’art. La mesure agit alors comme la boucle de contreréaction afin de
réguler le « système » sous pilotage dans un pur principe d’autocontrôle.
Les opérationnels (« Pilote ») exploitent directement la mesure de la performance («
Mesure ») afin de réguler eux-mêmes l’activité sous contrôle (« Système ») et parvenir ainsi
à l’objectif fixé (« Consigne ») (figure 1).

Figure 1 : Modèle théorique de pilotage d’un système3

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 2 : Modèle de pilotage d’un système décliné dans l’entreprise

La figure 2 décline plus précisément ce modèle théorique au sein de l’entreprise. Les


membres de l’équipe connaissent l’objectif. Ils possèdent les qualifications et les
compétences pour piloter l’activité malgré les inévitables aléas qui perturbent la bonne
marche du système global. Ils disposent d’un instrument de mesure précis, un tableau de
bord donc, afin de prendre les bonnes décisions pour atteindre le résultat le plus conforme
aux attentes. Les « pilotes » en charge de l’activité ne sont pas isolés. Ils se coordonnent
mutuellement et directement avec les autres responsables d’activité du même processus ou
des processus connexes, sans être contraints de passer par la hiérarchie (figure 3). Ils
bénéficient donc d’une délégation de responsabilité et de pouvoir décisionnel suffisante
pour accomplir leur mission. En principe, seul le résultat importe.

Figure 3 Modèle de pilotage de terrain, schéma de principe

En résumé

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Ce modèle d’efficacité, multipliant les centres de décision au plus près du terrain, est par définition le mieux adapté aux
exigences actuelles d’organisation flexible et réactive en environnement complexe et incertain. Il répond aussi aux aspirations
des salariés qui ont soif de responsabilité, d’une hiérarchie allégée et de relations horizontales plus aisées.

Mais malheureusement, pour encore bon nombre d’organisations publiques ou privées, ce


modèle vertueux, c’est (encore) de la théorie4.
Dans la vraie vie de l’entreprise, comme nous l’avons constaté à la section précédente, la
méfiance règne, même dans un modèle « cybernétique ». Les dirigeants de l’exécutif
souhaitent s’assurer qu’ils conservent malgré tout le contrôle sur les opérationnels. À
quelques exceptions près, les entreprises et les organisations publiques ont conservé l’état
d’esprit de l’époque taylorienne et son organisation scientifique. Elles se méfient de leurs
salariés, et cherchent par tous les moyens à cadrer l’action des professionnels à l’aide de
normes rigoureuses, d’outils de gestion contraignants et de mesures systématiques. Elles
collectent donc un maximum d’informations pour s’assurer notamment que les procédures
sont bien suivies, espérant ainsi qu’au final les résultats seront nécessairement tels
qu’attendus (figure 4). Elles ne prennent pas le risque de laisser la totale autonomie aux
acteurs de terrain. D’ailleurs, si ces derniers sont régulièrement contrôlés, ils n’ont pas non
plus le choix des moyens pour réaliser au mieux leur tâche. Ce ne sont que des délégations
sur le papier. Nous sommes donc toujours dans une division du travail entre les exécutifs
qui définissent les buts et attendent les résultats, les gestionnaires qui fixent et vérifient les
modes de travail, et les opérationnels qui réalisent et créent donc la valeur.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 4 : La réalité du pilotage de terrain en entreprise

Et aujourd’hui ?
Comme le note Vineet Nayar auteur de Les Employés d’abord, les clients ensuite5, ceux qui créent la valeur rendent des
comptes à ceux qui n’en créent pas. Là est le paradoxe de la dérive bureaucratique des entreprises actuelles.

Avec la course à la rentabilité maximale que l’on nomme par euphémisme « l’efficacité », le
pouvoir des gestionnaires est sérieusement renforcé aux dépens des opérationnels. Le
succès de l’entreprise semble aussi passer par une automatisation et une standardisation
absolues. Au cours des dernières décennies, les outils de gestion informatisés se sont
généralisés et systématisés. Dotée du pouvoir d’imposer le rythme et les modes de travail,
cette gestion instrumentalisée joue un rôle de premier plan toujours plus contraignant6.

La schizophrénie des entreprises


Vue de l’extérieur, le management de l’entreprise actuelle semble plutôt paradoxal. D’un
côté, on incite les salariés à faire preuve d’initiative et d’un autre côté, on les assujettit au
carcan des normes et procédures. On rêve d’innovation comme seule démarche de progrès,

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

et on limite les prérogatives des acteurs de terrain7. On cherche à stimuler la participation,


mais on fixe unilatéralement les objectifs des salariés. On sait que la coopération est la
seule voie de succès dans un monde complexe, et l’on maintient fermement la division du
travail à l’aide d’évaluation de la performance individuelle. De plus, toutes les suggestions
effleurant le thème de la stratégie sont considérées comme crime de lèse-majesté.
Et aujourd’hui ?
La stratégie est et restera la chasse gardée de la direction. C’est un résumé sans concession, mais qui reflète bien le
comportement totalement schizophrénique d’une large majorité d’entreprises contemporaines.

Poursuivons cette approche critique en traitant maintenant les dérives de la mesure dans
l’entreprise. C’est le sujet des trois prochains chapitres.
• l’illusion qu’il suffit de tout mesurer pour tout maîtriser ;
• la manipulation des mesures pour justifier l’injustifiable ;
• l’inutilité et le côté trompeur de nombre d’indicateurs dits de performance.

1« Principe d’organisation scientifique des usines », publié par H. Dunod et E. Pinat Éditeurs, préface de Henry Le
Chatelier, 1912.
2Bon, ce n’est pas tout à fait vrai. Henry Ford s’est en fait inspiré des abattoirs de Chicago qui pratiquaient déjà la
division du travail et l’organisation des travailleurs en poste fixe devant une chaîne en mouvement. Ce principe
est bien décrit dans le roman La Jungle de Upton Sinclair, Le Livre de Poche, 2011.
3Extrait de Les Nouveaux Tableaux de bord des managers, Alain Fernandez, Eyrolles, 6e édition 2013.
4Bien évidemment, toutes les entreprises ne se comportent pas ainsi. Cette première partie est une indispensable
critique pour bien comprendre ce qu’il faut éviter dans les principes de mesure de la performance. Au cours de
la seconde partie, nous nous appuierons sur les modèles organisationnels et managériaux des entreprises (bien
trop rares) qui ont profité justement de cette intelligence collective, offerte par les organisations autorégulées,
pour bâtir le système d’aide à la décision pour tous.
5Vineet Nayar, Les Employés d’abord, les clients ensuite, Diateino, 2011.
6Les Enterprise Resource Planning (ERP), traduit en français par « progiciel de gestion intégrée » (PGI) sont un bon
exemple de l’emprise de la technologie sur les modes de fonctionnement de l’entreprise. Les ERP, outils
particulièrement complexes, ont plus pour vocation d’imposer un fonctionnement organisationnel standardisé
que de fluidifier les processus existants sans dénaturer l’entreprise. La mise en place (souvent pénible) d’un tel
« bazar », comme disent nos amis belges, se traduit toujours par une avalanche de nouvelles contraintes pour
les opérationnels.
7On ne compte plus les entreprises qui profitent, voire abusent, du droit de contrôle des salariés et limitent l’accès
aux réseaux sociaux, surveillent les mails et les pages Web visitées ou encore pistent les déplacements des
salariés.
francetvinfo.fr Sanofi : « Des employés pistés à l’aide de puces » (15-04-2016).

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

2.
Les fanatiques du contrôle systématique affichent la
modeste ambition de vouloir tout mesurer. Mais ils ne
savent que compter… et encore, uniquement ce qui est
facile à compter… Démonstration

Chaque homme prend les limites de son champ de vision


pour les limites du monde.

ARTHUR SCHOPENHAUER (1788-1860), PHILOSOPHE ALLEMAND.

C’est pour le big data !

Témoignage de Mario, ingénieur dans une société de services informatiques


« Dans ma boîte, on est passé à un mode de fonctionnement de type “Lean start-up”, dixit la direction, et nous sommes
désormais organisés en équipes autonomes et responsables. Il faut tout mettre en œuvre pour satisfaire nos clients, nous
dit-on, ils ont soif d’innovations. Nous en sommes convaincus, aucun doute à ce sujet. Mais si nous n’avons plus de manager
direct, nous perdons beaucoup de temps à préparer des reportings. Je me suis plaint de cet état de fait lors de mon
évaluation :

 Pourquoi toujours autant de reportings ?


 Vous travaillez tous en mode business unit en contact direct avec les clients. C’est une grande responsabilité. Il
faut bien qu’au siège nous puissions suivre de près comment cela se passe au sein même de chaque activité.
 Mais, on perd du temps à collecter et à mettre en forme toutes ces données. Nous sommes déjà sous pression
avec toujours de nouveaux projets, de nouvelles procédures à intégrer, et on n’a pas le temps de faire notre
travail correctement.
 Je veux bien croire que certaines informations peuvent vous sembler inutiles ou insignifiantes, mais sachez
qu’elles nourrissent le big data. Plus il y a d’informations, plus nos algorithmes d’optimisation sont
performants. C’est ainsi que l’on découvre des opportunités cachées, que l’on prend l’avantage sur la
concurrence, que l’on perfectionne les méthodes de travail. Vous, votre rôle, c’est de suivre les indicateurs de
performance afin de toujours satisfaire vos clients, ceux qui sont sous la responsabilité de votre business unit.
 Effectivement, je suis d’accord, mais il nous faut toujours aller plus vite et les objectifs de performance
changent tout le temps, on n’y comprend rien et je ne suis même pas sûr de leur rôle stratégique.
 Vous n’êtes pas sans savoir que nous vivons dans un environnement hyperconcurrentiel. Les bons clients sont
rares, il faut savoir les attirer et les conserver. C’est pour cela que les objectifs évoluent ! Ne vous inquiétez pas,
ils sont choisis avec soin. Et quant à leur rôle stratégique, c’est de la responsabilité de la direction générale.
Votre rôle à vous consiste à atteindre, voire à dépasser, les objectifs qui vous sont assignés.
J’ai l’impression que vous êtes encore un peu ancré dans le passé, et que vous ne comprenez pas le changement.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

L’esprit start-up, c’est innover, c’est prendre plaisir à créer, c’est le stress positif qui vous stimule pour aller vite,
toujours plus vite ! C’est aussi une compétition, ne nous le cachons pas. Vous êtes en compétition avec les autres
business units, c’est juste. Mais nous participons tous quelque part à la même aventure.
Nous nous reverrons dans trois mois, et nous aviserons alors si notre coopération est réellement viable. Je sais
que vous avez des capacités. Je vous conseille de vous impliquer un peu plus, et de développer au sein même de
l’entreprise votre potentiel de passion. Faites donc comme vos collègues, soyez motivé et prenez plaisir à
construire notre projet. C’est cela que l’on attend de vous. C’est aussi cela qu’attendent vos clients. J’ai vos
chiffres sous les yeux, si vous ne vous motivez pas un peu plus, j’ai bien peur que vous n’atteigniez pas vos
objectifs. »

Fin de l’entretien.

Bref, business as usual. Pour conclure, j’aurais peut-être dû effectivement faire comme les collègues, fermer ma grande
gueule et reporter ma colère sur les miens, sur mes voisins, sur mon chien, ou tout garder en moi quitte à développer les
pathologies du stress… « Have fun » qu’ils nous disent…

Commentaire
L’importance prise par la loi du chiffre dans la société actuelle conduit irrémédiablement à une occultation de la notion de
compétence, de l’expertise du professionnel et du sens du travail bien fait. Chacun se doit de devenir individuellement un
centre de profit dont la valeur ajoutée est directement perceptible en espèces sonnantes et trébuchantes. Les cost killers
occupent le terrain, et les « normalisateurs », trop loin des réalités du terrain pour les comprendre, disposent d’un pouvoir
absolu pour imposer des modes de travail standardisés. C’est là toute la difficulté du salarié pris au piège comme dans un
étau entre des règles imposées aussi rigoureuses qu’inadaptées, des objectifs trop flous, des indicateurs astreignants et la
nécessité d’accomplir la tâche dévolue dans les meilleures conditions1. Dans cette entreprise, comme dans bien d’autres, la
mesure semble avoir pris le pas sur toutes les autres préoccupations.

Le reporting n’est qu’une lucarne translucide, on distingue


vaguement quelques formes mais on ne voit pas les détails
Le processus de reporting empêche
60 % des acteurs de la finance de dormir.

ENQUÊTE TAGETIK, FÉVRIER 20172

La collecte de « contrôle » repose essentiellement sur les reportings, ces comptes rendus
que remplissent à échéances fixes la majorité des managers et responsables d’une activité.
Ces reportings ne sont pas toujours remplis avec la méticulosité qui serait nécessaire pour
que l’on puisse en extraire un quelconque enseignement. Pressés par le temps et par la
culture du résultat, des managers se laissent tenter par des « corrections » des mesures,
sachant bien que ces « rectifications » des nombres seront noyées parmi bien d’autres
mesures une fois parvenues à destination. Enfin, le fonctionnement d’une activité ne peut
pas s’exprimer aussi simplement par quelques ratios, aussi judicieusement choisis soient-
ils. De toute façon, ils ont toutes les chances d’être ensuite amalgamés avec d’autres
mesures jugées de la même famille. « Le diable est dans les détails », dit-on. Mais le détail

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

est alors invisible, et on ne verra ni le diable, ni sa queue, ni le signe avant-coureur d’une


menace, que ce soit la fin de vie d’un produit ou la perte d’un gros client, pas plus que
l’opportunité qui s’annonce toujours par des signaux faibles. L’information est aussi et
surtout dans le détail. Lisser une irrégularité, c’est peut-être effacer un signal faible bien
utile à une veille active.
Le reporting, à quoi ça sert ?

Le reporting vu par l’un de ses fervents soutiens, contrôleur de gestion de métier


 Une fois collectés, vous en faites quoi des reportings ?
 Ce qu’on en fait ensuite des reportings ? Eh bien, on les analyse, on les « agglomérise », on les « amalgamise », on
les synthétise, on les « bigdatamise », bref, on les pressurise afin d’en extraire la substantifique moelle, celle qui
nous indiquera comment améliorer notre efficacité pour vaincre nos concurrents et satisfaire nos clients.

 C’est aussi un moyen de contrôle de l’activité des managers et des équipes, non ?
 Évidemment, chez nous, on ne veut que les meilleurs, ceux qui en veulent, ceux qui ont la niaque, ceux qui ne
comptent pas leurs heures, ceux qui n’ont que le client en ligne de mire.

 Et avec les reportings, vous voyez tout cela ?

 Bien sûr, il suffit de bien les analyser, et on sait absolument tout !

 Et connaissez-vous le pourcentage d’erreurs dans vos reportings ?

 ???
 On sait que le reporting est un véritable cauchemar des managers opérationnels. Ceux qui n’ont pas le temps les
font un peu à l’estimation. Il y a aussi tous ceux qui enjolivent un tant soit peu les résultats afin qu’ils soient un
peu plus conformes aux attentes de la direction…
 À mon avis, ces dérives sont encore très minimes. De toute façon, avec le développement du tout-numérique,
on finira par tout connecter directement, il n’y aura pratiquement plus de saisies humaines, donc le risque
d’erreurs sera proche du zéro absolu.

 En attendant le tout-numérique
Cet échange a réellement eu lieu, pas tout à fait en ces termes mais en substance, le sens du
propos est bien respecté. Cela dit, ce contrôleur de gestion n’a pas tout à fait tort. Les outils
de production, machines, ordinateurs, tablettes et smartphones sont déjà connectés. D’ici
peu, on finira par connecter et centraliser tous les objets. Les puces RFID (Radio Frequency
IDentification ou la lecture d’étiquettes à distance) sont déjà là et l’Internet des Objets
(IdO)3 se déploie à vitesse grandissante. Les rapports seront donc tous générés
automatiquement afin de tenter de tout chiffrer avec un taux d’intervention humaine quasi
nul. Comme nous l’avons déjà brièvement évoqué, dans le monde de l’entreprise, nous
sommes entrés depuis déjà quelques décennies dans un modèle managérial de type
cybernétique.
Le modèle cybernétique qui pêchait jusqu’alors par le manque de fiabilité de sa boucle de
rétroaction atteindrait ainsi son apogée pour servir au mieux l’amélioration continue de la
productivité. C’est bien par l’avènement de ce modèle parfait au sens de ses concepteurs
que l’on s’autorise aujourd’hui à imaginer remplacer l’humain par des robots pour une
large majorité de fonctions. C’est une pure fiction. Les promoteurs de ces prospectives

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

n’ont vraiment aucune idée de la réalité du travail sur le terrain, des ajustements des
procédures que chaque acteur réalise au quotidien, des indispensables décisions ad hoc
prises au pied levé, sans lesquelles toutes les tâches un peu complexes, et elles le sont
pratiquement toutes aujourd’hui, seraient impossibles à réaliser.
L’idée derrière tout cela est particulièrement claire : diminuer encore et plus les coûts en
réduisant l’exigence de compétences par un recours systématique à la technologie. C’est
aussi cela l’objectif du tout-numérique. En tout cas, pour le moment et selon l’enquête
Tagetik citée en exergue de ce paragraphe, 95 % des répondants utilisent Microsoft Excel
pour rédiger leurs rapports toujours plus chronophages. Les directions sont en effet
friandes d’annotations pour expliquer les chiffres transmis. On les comprend !

Mesurer, c’est résumer


On ne peut mesurer que ce qui est unidimensionnel.

ALBERT JACQUARD (1925-2013), CHERCHEUR ET ESSAYISTE.

Parfois, les anagrammes révèlent bien plus que l’on ne pourrait le supposer. « Résumer »
est la parfaite anagramme de « Mesurer », et cela tombe bien, une mesure est toujours
réductrice. Aussi bien choisie soit-elle, elle ne présente qu’une seule dimension d’un objet,
d’un phénomène ou d’une activité. Cette information est utile lorsqu’elle est judicieusement
choisie et étalonnée en étroite relation avec l’objectif poursuivi. Elle apporte alors une
information essentielle sur le déroulement des actions engagées, et offre ainsi une
précieuse aide à la décision. Sortie de ce contexte, son utilité est plus que limitée. Dans bien
des cas, elle est même trompeuse. Une mesure peut être un indicateur de performance
pour celui qui l’a sélectionnée. Il vise un objectif bien précis, et un seul aspect de l’activité
sous contrôle l’intéresse. Cette mesure ne reflète en rien une imaginaire performance
globale de l’activité ou du processus, si tant est qu’elle puisse exister. Il est inutile, voire
parfois néfaste, de la collecter pour tenter de l’intégrer dans quelque chose de plus général,
loin des préoccupations de ceux qui l’utilisent au quotidien.
Exemple : le cas des fusions d’entreprises

De nombreuses données issues de chacune des deux entreprises rapprochées portent un même libellé sans pour autant se
référer à la même entité. Il existe de multiples façons de calculer un chiffre d’affaires, un coût de revient ou un coût de
production. Les consolider sans prendre la précaution de vérifier les modes de calcul est plutôt risqué. Pourtant bien des
entreprises procèdent innocemment ainsi, et ne découvrent que trop tardivement ces différences de calcul qui faussent les
résultats et donc les appréciations.

Pour généraliser, les données de l’entreprise ne peuvent ainsi être prélevées en faisant fi
des consignes et recommandations que pourrait préciser celui qui les génère ou les utilise
régulièrement. Les collectes aveugles et systématiques introduisent ainsi dans les systèmes
décisionnels des données jugées comme standards alors qu’elles ne le sont pas. C’est une
source d’erreurs récurrentes en entreprise. Quoi qu’il en soit, erreur ou pas erreur, il est de

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

toute façon impossible d’interpréter le sens profond des informations si l’on n’est pas
concerné au premier plan par lesdites informations. Sans l’expertise de celui qui les utilise
au quotidien, on ne peut que constater les variations avec la période précédente. La collecte
systématique des mesures est aussi un appauvrissement de la connaissance.
On peut généraliser cette remarque à bien des mesures de l’entreprise collectées sans
discernement. L’utilisateur averti connaît et assume les limites de la mesure qu’il a
sélectionnée pour ses besoins propres.
Quand petit arrangement rime avec falsification
Un responsable data warehouse en charge de la collecte des données devait fournir mensuellement un état précis des
résultats des multiples succursales. C’était là sa mission. Mais plusieurs de ces succursales étaient un peu laxistes pour
fournir les renseignements demandés, jugeant, on imagine, cette quête périodique pour le moins fastidieuse. Malgré les
relances, elles ne transmettaient pas en temps et en heure les reportings attendus. Ce responsable pris entre deux feux
avait donc choisi la solution la plus simple. Il estimait au jugé les résultats des succursales retardataires et les publiait.
Ensuite, lorsque les reportings demandés lui parvenaient, il les modifiait pour correspondre à ses estimations. La
supercherie a fonctionné durant de longs mois jusqu’au jour où une série de ventes exceptionnelles opérées par une filiale
étrangère est totalement passée inaperçue, et pour cause4…

L’aberration actuelle consiste à s’imaginer qu’il suffirait de cumuler des mesures non
étalonnées et des données non vérifiées pour embrasser l’ensemble de la connaissance
d’une activité, d’un processus, d’une entreprise… Passer de la mesure à la démesure donc.
Le big data, c’est un peu cela qu’il nous promet.

Avec le big data, va-t-on enfin tout savoir ?


Les chiffres sont des êtres fragiles qui, à force d’être torturés,
finissent par avouer tout ce qu’on veut leur faire dire.

ALFRED SAUVY (1898-1990),


ÉCONOMISTE ET DÉMOGRAPHE FRANÇAIS.

Le big data désigne un ensemble d’outils technologiques et de méthodes pour traiter de


très grandes quantités de données afin d’établir des modèles originaux. Ces nouveaux
modèles sont censés nous offrir une vision plus fine de la réalité afin que nous puissions
prendre des décisions plus pertinentes. Le big data, c’est la possibilité de stocker un très
grand nombre de données de type non structuré, c’est-à-dire des données qui ne sont pas
nécessairement formatées pour être incluses au sein des traditionnelles bases de données
relationnelles organisées en colonnes. Le big data, c’est aussi le moyen de procéder à des
analyses sur de très grandes quantités de données inconcevables jusqu’à présent. Le big
data, sur le plan technologique, est une avancée spectaculaire. Il réforme en profondeur la
notion de traitement parallèle, tout comme les règles du stockage des données pour
favoriser la vitesse de traitement. Maintenant que les limites à la capacité de stockage et de

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

traitement ont été pulvérisées, il n’y a plus vraiment de restriction à l’exploitation de


l’Internet des Objets.
Et aujourd’hui ?
Avec le big data, nous sommes prêts, technologiquement parlant, pour l’entrée dans un monde ultraconnecté où tout est
identifié, pisté et mémorisé pour des analyses toujours plus pointues.

 Le principe de l’analyse big data en quelques mots


Les statisticiens partent d’hypothèses et tentent de les vérifier par l’analyse des données.
Ils travaillent sur un échantillon, et extrapolent ensuite à une population plus large afin
d’en tirer des conclusions d’intérêt. Avec le big data, la modélisation beaucoup plus
complexe profite des outils technologiques pour extraire du « sens » directement en
travaillant sur une très large population. Les algorithmes d’autoapprentissage sont de
précieux outils pour tester un grand nombre de schémas avant d’identifier un réseau de
relations significatif susceptible d’être utile à la prise de décision selon le thème de
recherche. Seul le résultat compte, il est quasi impossible de disséquer le mécanisme ayant
conduit au résultat. Le raisonnement est au cœur d’une boîte noire. Personne ne vous
expliquera pourquoi les voitures de couleur orange du marché de l’occasion sont plus
fiables que leurs équivalentes d’une autre couleur5.
 Le big data nous promet monts et merveilles, mais qu’en est-il réellement ?
Là encore nous pouvons jouer avec les anagrammes. L’anagramme de « Promet », verbe du
titre de ce paragraphe, est « Trompe ». Sans chercher à (trop) renier les avantages du big
data, il faut bien admettre que les promoteurs, en chasse d’une nouvelle vache à lait pour
l’industrie informatique, n’hésitent pas à force de légendes et de contes fantastiques à parer
la « belle » des plus beaux atours. Avec le big data, nous entrons de plain-pied dans le
monde du merveilleux et donc de l’invraisemblable. C’est l’oracle qui répondrait aux
questions avant qu’on ne les pose. Et plus on le nourrira de données, et plus il nous
apportera de réponses à des questions dont on ne se doute même pas de l’existence. Ainsi,
grâce à la modélisation, on découvre de surprenantes corrélations qui seraient, en théorie,
riches de sens. Nous venons de citer la curieuse relation de cause à effet entre la couleur
d’une voiture et sa fiabilité. Le big data nous enseigne aussi que les femmes à la poitrine
avantageuse dépensent plus en ligne6. Ou encore, que ceux qui remplissent leurs demandes
de prêt en majuscules font plus défaut que ceux qui utilisent correctement majuscules et
minuscules7. Le big data aurait aussi révélé qu’une jeune fille était enceinte uniquement en
étudiant ses achats8. Durant un temps, Google se faisait fort d’annoncer les épidémies de
grippe avant qu’elles ne soient perceptibles par les moyens plus classiques. Après quelques
fausses alertes, ils ont préféré refréner leurs prétentions à la divination9.
Contre-performance du big data
Durant la campagne de l’élection présidentielle française 2017, sous prétexte d’avoir prévu la victoire de Donald Trump, le
big data, ou en tout cas les sociétés l’exploitant, se faisait fort d’être un bien meilleur oracle que les traditionnels sondages
d’opinion. À l’aide d’intelligence artificielle et d’exploitation des tendances discernables sur le Web et les réseaux sociaux,
ces sociétés « high-tech » prévoyaient un résultat du premier tour radicalement différent de celui proposé par les instituts

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

de sondages. Finalement, ce sont ces derniers qui ont vu juste et ont gagné haut la main le duel des prédictions. Aucune
prévision du big data ne s’est réalisée10.

Dès 2008, Chris Anderson, médiatique rédacteur en chef de la revue Wired à cette époque,
avait annoncé rien de moins que « la fin de la théorie » dans un article éponyme qui secoua
la communauté scientifique11. Selon l’auteur, avec le big data, on pouvait pratiquement
oublier le célèbre adage : « Corrélation n’est pas causalité ». Sous-entendu que ce n’est pas
parce que deux phénomènes évoluent en synchronisme qu’il existe nécessairement un lien
évident de causalité. Pour Chris Anderson, les petabytes (1015) de données se suffisent à
eux-mêmes pour révéler des connaissances qui ne correspondent pas nécessairement à des
hypothèses de recherche. Cette théorie est intéressante, mais en pratique elle n’est pas si
simple. On peut aussi faire dire tout ce que l’on veut aux corrélations à partir du moment
où l’on ne recherche pas un solide lien de causalité. Les manipulateurs que nous verrons au
chapitre suivant maîtrisent à la perfection cette falsification.
 Quantité et qualité ne sont pas synonymes
Il est prudent de garder les pieds sur terre si l’on souhaite profiter de cet outil dans les
limites de ce qu’il peut nous offrir. La découverte de corrélations est évidemment un
enrichissement des connaissances lorsqu’elles sont démontrées et expliquées. Encore faut-
il que les techniques d’extraction répondent aux règles les plus élémentaires, c’est-à-dire
que le data scientist12 en charge de domestiquer le big data soit un vrai professionnel et que
les données de l’étude soient de qualité, et c’est là que bien souvent le bât blesse.
Lorsqu’il s’agit de collecter des clics sur des pages comme le font Google, Facebook ou les
majors du e-commerce, les erreurs de données sont assez insignifiantes au vu de la
quantité collectée. Si Google se trompe un peu dans son classement sur un mot recherché,
si Facebook commet une erreur dans l’ordre d’affichage de son fil d’actualité, si Amazon
propose une recommandation peu adaptée au visiteur, on ne leur en tiendra pas rigueur.
En revanche, dans l’entreprise, la moindre donnée défaillante peut entraîner des
conséquences pour le moins fâcheuses. Une donnée erronée peut induire, si ce n’est une
mauvaise décision, une erreur de modélisation aux conséquences tout autant dramatiques,
puisque l’interprétation de la réalité qu’est censé représenter le modèle proposé sera
sensiblement faussée.
Exemple

Un pour cent d’erreurs sur un million de clics de visiteurs sur une boutique en ligne, ce sont dix mille clics qui risquent de fausser
notre interprétation. Le risque est insignifiant puisqu’il nous reste tout de même neuf cent quatre-vingt-dix mille clics justes
pour modéliser les comportements. En revanche, un pour cent d’erreurs sur dix mille fiches produit, ce sont tout de même cent
fiches produit erronées. Le risque et ses conséquences sont tout autres.

Et ce n’est pas en multipliant les données disponibles que l’on remédie à la médiocrité de la
collecte. Le nombre n’efface pas l’erreur, la quantité ne remplace pas la qualité. Bref, ce
n’est pas si simple.
Et aujourd’hui ?

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

La préparation des données représente une part plus que conséquente d’un projet d’aide à la décision de business intelligence.
Il s’agit en effet, de vérifier chaque donnée afin d´éliminer les valeurs aberrantes, de mettre au même format les données issues
de sources hétérogènes, voire de combler les données absentes afin que le modèle ait un sens. Une tâche titanesque et donc
très coûteuse. Gare à celui qui ne la juge pas à sa valeur !

 Homo Œconomicus, le retour !


Le big data est fondé sur le principe que la clé de la connaissance absolue résiderait dans
l’étude de myriades de données. Pour vaincre l’incertitude que l’on pensait inhérente à
notre monde actuel, il suffirait donc de disposer de toujours plus de données. Avec la chute
drastique des coûts de stockage et d’acquisition des données, on en aurait fini avec le doute.
Les modélisations du big data, parfaites par définition, ont réponse à quasiment tout, rien
de moins. Le trait est à peine forcé. Avec le big data, on déterre une nouvelle fois le mythe
ultra-rationnel de l’Homo Œconomicus. Cet individu tout-puissant prend toujours la bonne
décision puisqu’il est pleinement informé. Au diable Herbert Simon, prix Nobel d’économie
1978, la rationalité limitée13 et tous les chercheurs en psychologie de la décision qui ont
enrichi cette voie ! Bien entendu, on peut extraire des enseignements de données bien
choisies, de surcroît lorsqu’elles sont en grand nombre. De là à imaginer que le big data
puisse être le « puits de la vérité », il y a un pas qu’il serait avisé de ne pas franchir.

Les limites de la « chiffromanie », tout ne se compte pas…


Tout ce qui peut être compté ne compte pas nécessairement
et ce qui compte réellement ne peut pas toujours être compté14.

ALBERT EINSTEIN (1879-1955), PHYSICIEN THÉORICIEN.

Toute la connaissance n’est pas formalisable et encore moins quantifiable. Ce que l’on
dénomme les données « socioculturelles » sont par définition non quantifiables et non
structurées15. Nous, les humains, nous raisonnons bien peu avec des données quantifiées et
supposément objectives. Nous préférons très nettement les mesures qualitatives et très
nettement subjectives. On parlera d’un problème difficile, d’une personne sympathique,
d’une bonne ambiance, d’une température agréable. On peut toujours tenter de traduire en
une grandeur discrète des mesures qui relèvent plus du subjectif. Cette grandeur sera
difficilement consensuelle puisque chacun a sa propre échelle de valeur et, de toute façon,
elle n’expliquera pas le ressenti réel16.
 Grandeurs qualitatives et subjectivité
Pourtant, c’est ainsi que nous décidons en univers complexe, non pas avec des mesures
quantitatives et discrètes, mais bien avec des notions qualitatives bien plus riches en sens.
Exemple : la conduite automobile

Lorsque l’on s’apprête à dépasser un véhicule qui nous précède sur une route à deux voies, en instantané notre cerveau procède
à de multiples estimations : l’espace nous séparant dudit véhicule, sa vitesse, notre réserve de puissance, la distance à parcourir

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

pour achever ce dépassement en toute sécurité, ainsi que l’éloignement du véhicule que l’on discerne en sens contraire. Sans
vraiment réfléchir, on construit notre décision de dépasser en se fondant sur des postulats du type : « Le véhicule me
précédant est assez lent, j’ai suffisamment de puissance pour le dépasser 17, le véhicule qui vient en face est suffisamment
éloigné, j’ai donc le temps de réaliser ce dépassement sans prendre de risques inconsidérés. ». Imaginez si vous deviez
effectuer le même dépassement uniquement avec des valeurs discrètes. Mission impossible. La problématique ressemblerait à
un problème d’arithmétique pour le moins ardu : le camion qui circule sur la voie contraire se situe au moment de la décision à
443 mètres et roule à 85 kilomètres/heure. Le véhicule devant vous à une distance de 27 mètres roule à 83 km/heure. Vous-
même, vous pouvez rouler durant un temps limité à 125 kilomètres/heure. Pouvez-vous doubler ce véhicule sans prendre de
risque ? Impossible de répondre en instantané à ce problème.

La prise de décision en entreprise en univers complexe et incertain est parfois bien plus
délicate que cela.
Poursuivons avec l’exemple d’un parcours en automobile. Il est aisé de quantifier et donc
de mesurer la distance parcourue, la vitesse moyenne ou la consommation de carburant. Il
sera en revanche plus difficile de quantifier et donc de mesurer la beauté du paysage ou les
difficultés de circulation. Aucune des trois mesures précédentes, la distance parcourue en
kilomètres, la vitesse moyenne en kilomètres/heure et la consommation en litres, ne
sauraient exprimer toutes les caractéristiques du parcours. En revanche, subjectivement et
en termes qualitatifs, on saura partager ses impressions de voyage : « le paysage était
extraordinaire, la circulation fluide, la météo clémente… » Le constat est tout à fait identique
dans l’entreprise.
Les dimensions quantitatives et donc mesurables, telles que les temps, les coûts et les
quantités ne révèlent pas grand-chose sur les difficultés rencontrées, sur le plaisir ou
l’ennui à exécuter la tâche assignée. Le goût du travail bien fait, vraisemblablement la seule
et unique clé de la réussite et donc de la performance, ne s’exprime pas non plus en temps,
en coûts ou en quantité.
 De toute façon, on ne compte que ce qui est facile à compter
Cela dit, les données quantitatives, si elles sont de qualité et judicieusement choisies sont
d’une grande utilité pour assister les décideurs que sont désormais tous les membres de
l’entreprise du haut de la pyramide jusqu’à sa base. Mais elles sont nécessairement
partielles. De nombreuses données quantitatives présentes dans l’entreprise ne sont pas
intégrées dans les systèmes décisionnels au vu de la difficulté technique et du coût
qu’engendrerait cette collecte. Les budgets sont toujours serrés et les équipes en charge du
projet sont bien souvent contraintes de faire l’impasse sur des collectes exigeant une
infrastructure technologique spécifique ou sur des standardisations de formats délicates. 18
Et ne parlons pas des données externes à l’entreprise tout autant indispensables à la prise
de décision. L’information est en effet aussi en grande partie à l’extérieur, chez les clients,
les partenaires, les concurrents, les pouvoirs publics… Mais tout n’est pas perdu, il reste
encore l’humain « ordinaire », celui qui sait quitter son écran des yeux pour nouer des
relations, s’informer à droite à gauche et prendre le temps de regarder autour de lui. Il est
encore incontournable, heureusement pour le devenir de notre humanité.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

En complément pour enfoncer le clou : l’évaluation individuelle à


l’épreuve de la réalité du travail
Travailler, c’est combler l’écart entre le prescrit et l’effectif.

CHRISTOPHE DEJOURS, PROFESSEUR TITULAIRE

DE LA CHAIRE DE PSYCHANALYSE-SANTÉ-TRAVAIL.

Tout rapporter à des données chiffrées permet de se déconnecter du concret, de se


détacher de la réalité du terrain. Pour ceux qui se tiennent loin de l’exécution, le modèle
construit à l’aide des mesures est parfait par excellence. Ils s’imaginent ainsi assurer, par le
contrôle, la standardisation des comportements. Ils ne perçoivent pas les luttes
permanentes et quotidiennes des employés pour accomplir au mieux leur tâche sous la
contrainte des règles, des procédures et des contingences. Ils n’ont aucune notion des
risques pris, ni des difficultés résolues sans bruit et sans vagues, tout simplement parce
qu’il était indispensable de prendre ces risques et de résoudre ces difficultés pour parvenir
à accomplir la tâche assignée.
Comme elles ne sont pas mentionnées sur la fiche de fonction, ils ne voient pas non plus les
indispensables compétences « cachées » pour naviguer dans un monde complexe et
incertain. En vrac, on peut citer la capacité à tisser des réseaux d’entraide, la volonté
d’assurer le transfert de connaissance de manière informelle, le sens de la responsabilité
pour assurer l’intégration à l’équipe des derniers arrivés, ou encore le subtil talent pour
trouver la bonne idée qui débloque une situation inextricable en apparence19.
Ceux qui sont loin de tout cela, derrière leurs écrans de chiffres, ne jugent de la
performance de chaque employé qu’en surveillant l’accession aux objectifs fixés. Les faits
s’estompent, les détails n’existent plus, les difficultés pour l’obtention de ces chiffres
disparaissent, et on ne retient que le résultat20. Seul le chiffre parle et impose sa vérité

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

comparativement aux autres chiffres, c’est-à-dire les résultats des collègues devenus
concurrents pour l’occasion.

Et aujourd’hui ?
Tout rapporter à des données chiffrées, c’est le moyen de dépersonnaliser les humains de l’entreprise afin de mieux les rendre
interchangeables, un rêve de dirigeant aussi ancien que l’entreprise. L’outil : l’évaluation.

Quelle que soit la technique, chaque individu est ainsi transcrit en une série de données
chiffrées censées exprimer sa valeur selon une grille bien spécifique. Cette grille n’est
jamais assez fine pour noter les compétences mises en œuvre, entre autres pour toutes les
raisons que nous avons énoncées dans le paragraphe précédent. Au mieux et vraiment au
mieux, comme l’exprime Christophe Dejours, on ne mesure que le résultat du travail
réalisé. Toutes les difficultés pour accomplir une tâche particulièrement ardue sont
masquées, tout comme la qualité du travail réalisé.
Dans une société idéale, l’évaluation ne devrait exister que pour fournir à chacun un
feedback sur ses propres performances. C’est l’occasion de faire un point précis sur ses
compétences, savoir-faire et savoir-être, afin de mieux progresser ou se réorienter le cas
échéant. C’est là où l’évaluation du type 360º trouve toute sa substance. Elle propose en
effet un éclairage à large spectre des performances personnelles en collectant l’avis de
l’ensemble des relations professionnelles. L’évaluation est un instrument indispensable de
l’aide au développement professionnel. Elle n’est en rien le mécanisme de la machine à trier
de l’entreprise. Mais nous ne sommes pas dans une société idéale.
Une dérive de l’individualisation de l’évaluation
En 2012, la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes a été condamnée par le tribunal de grande instance de Lyon pour un usage abusif
d’un principe de mise en concurrence des agences du réseau. La performance de chaque agence, suivie informatiquement,
est évaluée heure par heure et confrontée aux autres agences. Les salariés, eux-mêmes en concurrence avec tous les autres
salariés, ne disposent d’aucun objectif, si ce n’est celui de faire mieux que les autres. Une part variable du salaire dépend de
la performance ainsi mesurée. Ce principe de mise en concurrence imposé de manière autoritaire ne prend absolument pas
en compte le contexte particulier de chaque agence, sa clientèle ou son environnement. Le tribunal a jugé que le stress
permanent et l’ambiance particulièrement détestable générée par ce type de management étaient une atteinte à la dignité
des personnes et une mise en danger de la santé des salariés par un accroissement des risques psychosociaux.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

JUGEMENT DU 4 SEPTEMBRE 201221

Il est intéressant de comparer ce jugement avec cet extrait de La Jungle écrit en 1905 :

« L’entreprise Durham appartenait à un homme dont le seul but était de s’enrichir autant qu’il le pouvait quels que soient les
moyens. Au-dessous de lui, on trouvait les cadres, organisés selon une hiérarchie toute militaire, avec en tête les directeurs
suivis des chefs de service puis des contremaîtres, chacun commandant celui qui était à l’échelon directement inférieur et
essayant de tirer de lui le maximum. Tous les salariés d’un même grade étaient mis en concurrence : comme on tenait une
comptabilité séparée pour chacun, ils vivaient dans la terreur d’être renvoyés si l’un de leurs collègues obtenait de meilleurs
résultats. Du haut jusqu’en bas de l’échelle, l’usine était un véritable chaudron, bouillonnant de jalousies et de haines. Il n’y avait
place ni pour la loyauté ni pour le respect : ici un dollar avait plus de valeur qu’un être humain. »

LA JUNGLE22, UPTON SINCLAIR

La mesure de la performance est nécessairement réductrice. Elle survalorise les


composantes servant à son calcul. Elle dévalorise tous les autres aspects. En connaissant
ces limites on peut bâtir un système de mesure de la performance utile et efficace
circonscrit à un besoin bien précis et se soustraire ainsi à la chiffromanie23, véritable
pandémie dans les entreprises et les organisations publiques actuelles. Mais avant d’aller
plus avant voyons déjà comment déjouer les manipulateurs qui profitent du manque de
clarté de la notion de performance pour biaiser notre perception du sens porté par les
mesures et les indicateurs. Il existe bien des techniques pour influencer son auditoire et
mieux servir ses intérêts personnels à l’aide d’une présentation altérée des mesures. Il vaut
mieux bien les connaître, c’est une règle de survie en entreprise…

1http://www.fabriquedesens.net/ « Le nouvel âge du travail » (10-09-2009) de Christophe Dejours, pour mieux


comprendre ce thème.
2Courrier cadres : « Qu’est-ce qui empêche les cadres de la finance de dormir ? » (20-02-2017).
3Ou en anglais, IoT = Internet of Things. Chaque objet dispose de sa propre adresse Internet et est connecté au
réseau. Passeports, cartes de paiement et diverses cartes d’accès contiennent aussi un marqueur RFID qui
permet l’identification individuelle. Cette course à l’identification des humains n’en est qu’à ses balbutiements.
Quelques « précurseurs », encouragent les salariés à se faire greffer une puce de type RFID dans la main pour «
simplifier » l’identification. Voir notamment l’exemple de l’Epicenter, un immeuble de bureaux au cœur de
Stockholm (Suède). Depuis, l’idée a été reprise et les expérimentations se multiplient…
4Rien d’exceptionnel, un sondage relativement récent (novembre 2015, CareersinAudit.com) révèle que la moitié
des comptables interrogés ont subi des pressions pour truquer les comptes de l’entreprise : Alternatives
Économiques « Les mauvais comptes des entreprises » (30-11-2015). D’une manière plus policée on parle de «
Windows dressing » quand il s’agit juste « d’arranger » les comptes pour les rendre plus présentables et de «
comptabilité créative » pour de réelles falsifications. L’affaire Enron en est l’exemple le plus représentatif
(http://tb2.eu/p10).
5http://on.wsj.com/2hTu1UN The Wall Street Journal : « Big Data Uncovers Some Weird Correlations » (23-03-
2014).
6En tout cas sur alibaba.com https://qz.com/295370/how-alibaba-is-using-bra-sizes-to-predict-online-shopping-
habits/ Quartz : « How Alibaba Is Using Bra Sizes to Predict Online Shopping Habits » (12-11-2014).

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

7Même source du Wall Street Journal que la note numéro 1 de la page précédente.
8Il est intéressant de noter que, à quelques variantes près, ce sont toujours les mêmes exemples qui sont répétés
pour ne pas dire ressassés dans la presse et par les vendeurs de solutions. Il y a une bonne vingtaine d’années,
lorsque le Data Mining était alors la solution miracle, les promoteurs utilisaient aussi un même exemple traduit
dans toutes les langues : « Les acheteurs de couches-culottes sont aussi les principaux consommateurs de bière.
»
9Sciences et Avenir : « Google arrête de prévoir (mal) les épidémies de grippe » (10-09-2015).
10http://lemde.fr/2p9soBP Le Monde : « Filteris, Enigma… Face aux instituts de sondage, la défaite des prévisions
“alternatives” » (24-04-2017) Nous reviendrons sur ce cas au chapitre suivant.
11Wired : « The End of Theory: The Data Deluge Makes the Scientific Method Obsolete »,
https://www.wired.com/2008/06/pb-theory/
12Spécialiste du big data, le data scientist cumule de nombreuses compétences : analyses statistiques, modélisations
spécifiques, technologies, langages et algorithmes spécialisés. Il est aussi au fait des réalités et des attentes de
l’entreprise pour mieux servir les besoins de modélisation des différents métiers. Ce sont des spécialistes très
recherchés, on s’en doute.
13Nous sommes toujours prêts à adopter un comportement rationnel, mais comme notre sphère informative et
notre connaissance ne seront jamais exhaustives, notre rationalité est limitée et, finalement, on se contente du
premier choix satisfaisant…
14« Not everything that can be counted counts and not everything that counts can be counted. » Albert Einstein.
15Dans la littérature américaine on utilise le terme de « Thick Data » pour désigner les grandeurs qualitatives en
opposition aux big data qui ne gèrent que des grandeurs quantitatives.
16Il existe toutefois des solutions simplificatrices mais suffisantes pour bâtir un indicateur de performance, nous y
reviendrons au terme de la deuxième partie.
17Après un coup d’œil rapide à votre tableau de bord pour vérifier votre vitesse et estimer votre réserve de
puissance. Là on intègre une mesure quantitative dans son raisonnement.
18C’est un sujet important, nous y reviendrons au cours d’un prochain chapitre consacré à l’étude de la pertinence
et donc de l’utilité des indicateurs de performances, et nous étudierons avec attention l’enchaînement : si l’on ne
pilote que ce que l’on mesure, et que l’on ne mesure que ce qui est facile à mesurer alors…
19Comme Christophe Dejours le signale régulièrement au fil de ses écrits et conférences, il n’existe pas de travail
d’exécution où il suffit de suivre les procédures. La réalité du terrain est tout autre : il faut faire face à de
nombreux imprévisibles.
20« Il n’y a pas de proportionnalité entre le travail et les résultats du travail, si vous prenez un travail très difficile, si
vous prenez un patient, un malade qui est particulièrement difficile à soigner, vous allez travailler beaucoup et
vos résultats seront de piètres résultats. » Christophe Dejours, L’Évaluation du travail à l’épreuve du réel, Inra,
2003.
21www.miroirsocial.com/uploads/documents/c92a901e008a.pdf. Repéré par Alain Supiot, La Gouvernance par les
nombres, Fayard, 2015.
22Op. cit. Cet ouvrage utilise pour toile de fond les fameux abattoirs de Chicago qui ont inspiré Henry Ford pour la
fabrication des voitures à la chaîne.
23« Le suffixe “manie”, du grec mania, folie désigne un état pathologique caractérisé par un comportement pulsionnel
ou un délire limité à un thème particulier. » (Le Robert)

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

3.
Dominer, c’est aussi savoir manipuler l’information.
Ou comment démontrer que le verre à moitié vide est à
moitié plein et vice versa … Quelques cas typiques

Il y a trois sortes de mensonges : les mensonges,


les sacrés mensonges et les statistiques.

BENJAMIN DISRAELI (1804-1881), HOMME POLITIQUE BRITANNIQUE.

Un peu d’espoir…
On peut tromper tout le monde durant un temps,
on peut tromper quelques-uns tout le temps,
mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps.

ABRAHAM LINCOLN, PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS (1809-1865).

Il n’est pas bien difficile de faire dire tout et son contraire aux indicateurs. Mais où s’arrête
l’information et où commence la manipulation pour un parfait enfumage ?

Ce sont les indicateurs ! Ou comment changer la réalité en


manipulant les indicateurs de performance
Ce sont les indicateurs...1
Le week-end dernier, j’ai croisé une ancienne voisine. Elle n’était pas vraiment au meilleur de sa forme. Elle venait juste
d’apprendre la veille qu’elle faisait partie de la prochaine charrette. Licenciée donc.

 « Ce sont les indicateurs », me dit-elle. « Ils sont tous dans le rouge, et comme je suis la dernière arrivée… En
tout cas, c’est ce que l’on m’a expliqué lors de mon entretien express ce matin. Il n’y a pas d’autre solution
m’ont-ils confirmé. »

 « Ce sont les indicateurs », cette phrase résonne encore dans ma tête.


Moi, qui consacre une bonne part de mon temps à promouvoir l’usage des indicateurs de
performance, je me sens un peu mal à l’aise lorsque j’entends ce type de discours.
Il est temps de faire une mise au point.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Il est vrai que les indicateurs ont envahi notre quotidien. Dévoyés de leur rôle initial, ils
sont bien pratiques pour servir d’explication incontestable à un peu tout et n’importe quoi.
Ainsi, il devient coutumier dans l’entreprise, comme dans la vie publique, de justifier les
décisions prises ou à prendre par la publication d’un indicateur, à l’intitulé ronflant,
appuyant l’argumentation et coupant court à toutes objections : « Vous voyez bien que j’ai
raison d’agir ainsi, c’est l’indicateur qui le dit, il n’y a pas d’alternative. »
En fait, tout est dans l’intitulé de l’indicateur et le discours l’accompagnant. C’est un peu
l’histoire du verre à moitié vide et du verre à moitié plein. Étudions deux interprétations
trompeuses d’un même groupe d’indicateurs de performance selon l’intérêt poursuivi par
le manipulateur.
Exemples

Premier cas
« Voyez nos indicateurs, nos résultats ne sont pas au niveau de nos prévisions, et nous n’avons pas atteint les objectifs
fixés. Il faut aussi reconnaître que la concurrence est rude. Pour sauver l’entreprise, nous devons recentrer nos activités sur
notre cœur de métier… »

En d’autres termes, celui-ci veut licencier…

Second cas
« Depuis que je suis aux commandes, la barre est maintenant redressée. Voyez donc les indicateurs ! Nous venons de loin !
Mais attention, la route est encore longue, unissons nos efforts pour franchir ce cap difficile… »

En revanche, celui-là tient à garder sa place.

Bref, c’est de la manipulation classique, un vrai tour de passe-passe. Le prestidigitateur du moment attire notre attention vers
l’objet visible, l’indicateur, afin de masquer la réalité de l’entourloupe.

L’idée étant d’éviter que notre capacité de réflexion entre en action, et de ne s’adresser qu’à notre cerveau limbique, voire
reptilien, qui lui ne réagit qu’en émotion primaire, comme la peur notamment qui entraîne la soumission.

Cet exemple est assez révélateur de la dissymétrie d’informations entre la direction, ceux
qui décident, et les salariés, ceux qui exécutent.
Un indicateur déconnecté de son contexte ne veut rien dire.
Les questions à se poser pour interpréter la valeur portée à un indicateur

 Comment est calculé l’indicateur ?

 Quelles sont les données utilisées pour son calcul ?

 Que mesure-t-il exactement ?

 Quel était l’objectif initial ?

 À quelle échéance devait-il être atteint ?

 Quelles actions ont été mises en place ?

 Avec quel résultat ?


Nous disposons tous d’un QI moyen largement suffisant pour saisir en substance la valeur
d’un indicateur, et en décoder le sens porté lorsqu’il nous concerne au premier chef. Nous

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

sommes des êtres humains, êtres logiques et raisonnables. Exigeons que l’on s’adresse à
notre néocortex en répondant aux questions ci-dessus.

Mesurer, c’est comparer


Le principe de la mesure est simple. Il s’agit de comparer une grandeur par rapport à un
mètre étalon.
Mesurer : « Action de déterminer la valeur de certaines grandeurs
par comparaison avec une grandeur constante de même espèce prise
comme terme de référence (étalon, unité). »

LE PETIT ROBERT.

Une mesure, quelle qu’elle soit, s’exprime toujours en référence à une unité. Bien
évidemment, dans l’entreprise, on pourra se référer à des unités qui ne sont pas
nécessairement définies par le système international. Le choix de l’unité est directement lié
à l’objectif poursuivi.
Exemple

Si l’on cherche à gagner quelques minutes sur un processus, c’est bien en mesurant des temps que l’on y parviendra. En
revanche, si l’on vise à améliorer la conformité des livraisons, ce ne sera pas en comptant des quantités produites ou en
évaluant des variations de coûts unitaires que l’on atteindra le but fixé. Il faudra trouver une autre unité.

 Mesurer, c’est donc évaluer2


La mesure en entreprise vise de multiples finalités :
• On mesure pour comparer la valeur actuelle d’une grandeur avec une valeur antérieure
afin d’apprécier le progrès réalisé. C’est l’usage le plus simple.
• On mesure encore pour mettre en balance la valeur du jour d’une grandeur avec un
objectif, et estimer ainsi le chemin restant à parcourir. La mesure est ainsi une aide à la
prospective.
• On mesure aussi pour confronter la performance d’une activité ou d’un individu avec
d’autres activités, ou d’autres individus, afin de juger de leur efficacité. On pratique alors un
benchmark. Dans ce cas, la mesure introduit une notion d’ordre, de hiérarchie.
Exemple

Si A obtient de meilleurs résultats que B, on ne pourra que constater que A est plus performant que B, et l’on déduira
abusivement que A est donc meilleur que B. Le jugement de valeur est immédiatement formulé en conséquence de ce constat.

Les limites de la mesure sur la définition du travail réel que nous avons évoquées au
chapitre précédent sont déjà plongées bien au fond des oubliettes de la raison. On oublie
les difficultés rencontrées qui justifient un résultat plus modeste. Seule la mesure affichée
compte. Comme le chronomètre pour un coureur de vitesse, le chiffre est devenu loi. Il ne

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

s’agit plus d’une mesure de progrès mais bien d’une évaluation, c’est-à-dire l’action
d’exprimer par un nombre la valeur de quelque chose ou de quelqu’un.
Et aujourd’hui ?
C’est là le fondement de la course à la performance que nous vivons d’une manière outrancière depuis déjà plusieurs décennies.
La compétition est désormais la principale composante du management tel qu’il est pratiqué au sein de l’entreprise et de
toutes les organisations publiques actuelles.

Sans pour autant les approuver, on peut comprendre aisément les raisons qui poussent les
moins scrupuleux à manipuler un tant soit peu les résultats afin de mieux servir leurs
intérêts.
CONSEIL
Ne jamais perdre de vue que même au sein de la meilleure ambiance d’entreprise, chacun poursuit ses propres intérêts 3.

Les principales techniques de manipulation


Les indicateurs ne sont pas nécessairement un instrument de progrès.
Ils sont aussi utilisés pour justifier les décisions politiques
prises ou à prendre.

Une manipulation n’est pas toujours volontaire. Bien des contresens ne sont que la
conséquence d’erreurs involontaires autant lors de la sélection des données que du mode
de calcul ou du choix de présentation.
C’est dit !
Comme partout ailleurs, la bêtise chronique sévit en entreprise, mais on préfère utiliser l’euphémisme d’incompétence pour la
désigner.

L’incompétence étant un sujet bien trop vaste, nous limiterons cette courte étude aux seuls
vrais manipulateurs qui savent très bien ce qu’ils font, et pourquoi ils agissent ainsi.
Procédons dès à présent à un inventaire des techniques de manipulation. Bien qu’il ne
puisse être exhaustif, l’ingéniosité des manipulateurs étant sans limites, cet inventaire est

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

bien suffisant pour comprendre et prévenir les chausse-trappes qui guettent les plus
candides d’entre nous.
 Les indicateurs alibis
Ma décision était juste !
Ce sont les événements qui ne se sont pas déroulés comme prévu !4

Un indicateur peut s’avérer être un excellent instrument pour justifier auprès de sa


hiérarchie, de ses collègues ou de ses subalternes, voire de soi-même, de la pertinence des
décisions prises. Si jamais l’effet attendu n’était pas au rendez-vous, le décideur pourra
toujours argumenter en s’appuyant sur une sélection d’indicateurs « alibis »
judicieusement choisis pour expliquer qu’il n’existait pas d’alternatives. À la décharge de
ces décideurs, il faut aussi reconnaître qu’il n’est pas toujours aisé, et le mot est faible, de
justifier des conséquences d’une décision prise en se fondant uniquement sur son
sentiment ou des impressions, même si celles-ci étaient solides. « Prendre les décisions avec
ses tripes » est un bon slogan pour illustrer la détermination d’un décideur de génie. Mais
seulement si les résultats sont au rendez-vous. Dans le cas contraire, le décideur risque de
se retrouver sur la sellette face à des juges improvisés qui exigent des explications. Aussi,
pour éviter de se retrouver en une position aussi peu enviable, les décideurs limitent leurs
ambitions5. Les plus malins d’entre eux, pour ne pas dire les moins scrupuleux, préfèrent se
garantir des éventuels retours de bâton à l’aide justement d’indicateurs incontestables, en
apparence en tout cas.
Ensuite, si l’on extrapole, un indicateur de performance est aussi un bon instrument pour
justifier du caractère inéluctable des politiques engagées, pour le moins déplaisantes pour
tous ceux contraints d’en subir les conséquences.
Il existe une multitude de techniques pour choisir les indicateurs de performance adéquats,
en phase avec ses ambitions et leur faire dire tout et n’importe quoi. Voyons les plus
courantes.
 Les indicateurs artificiels
La manipulation la plus grossière consiste évidemment à présenter des indicateurs
totalement artificiels qui ne reposent sur rien de concret. Ce n’est pas la pratique la plus
courante, la supercherie est bien vite éventée. Les manipulateurs ont bien d’autres tours
dans leur sac pour enfumer leur public, leur hiérarchie ou leurs subordonnés.
 Les indicateurs insignifiants
Lorsque l’entourage est moins porté à l’investigation, la solution la plus simple reste encore
de ne présenter comme indicateur que les données qui n’engagent pas grand-chose, mais
présentent l’immense avantage d’être orientées dans la bonne direction. Imaginons un
responsable, en charge d’un projet délicat et important, qui choisit de présenter comme
indicateur de performance les dépenses en consommables qu’il a justement choisi de
contrôler minutieusement. L’indicateur est positif, n’en doutons pas, mais il révèle bien peu
de la capacité de ce manager à conduire avec succès les projets dont il a la charge.
 Les indicateurs incomplets

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Il suffit bien souvent d’omettre d’inclure dans le calcul d’un indicateur les composantes qui
fâchent, autrement dit de ne sélectionner, sans le dire évidemment, que les éléments qui
tendent à afficher un joli score. On oublie par exemple d’inclure dans l’indicateur évaluant
l’occupation d’un atelier, une unité de production régulièrement en panne que l’on se
refuse à changer pour ne pas pénaliser… un autre indicateur de mesure de coût de
production !
 Les indicateurs « écrans »
Une technique plus malicieuse est d’user d’un indicateur « écran ». On multiplie le nombre
d’indicateurs, et l’on ne met en évidence que ceux qui affichent une belle progression.
C’est une technique réservée aux as de la rhétorique qui sauront captiver leur public pour
qu’il ne tente pas de découvrir les indicateurs que l’on conserve en retrait. On met ainsi en
avant avec force emphase les ventes des magasins qui ont affiché les meilleurs résultats sur
le trimestre, et on oublie les moins performants.
Les chiffres officiels du chômage
 La catégorie A ne comporte que les demandeurs d’emploi n’ayant pas du tout travaillé le mois précédent. La
catégorie B inclut les demandeurs d’emploi ayant travaillé moins de 78 heures. Et ainsi de suite pour
parvenir à un classement en cinq catégories distinctes. Il est bien évident que les individus classés ainsi sont
tous demandeurs d’un emploi stable et durable. Le chômeur qui n’a travaillé que quelques heures dans le
mois ne vit pas de son salaire. Pourtant, classé dans la catégorie B, il sort du taux de chômage calculé par
Pôle emploi, celui qui est généralement présenté aux médias. En effet, celui-ci ne mesure que la catégorie
A6.
 On peut aussi tromper son auditoire en comparant des catégories différentes. C’est ce que fit François
Hollande en mai 2016 quand il annonçait une hausse de six cent mille chômeurs sous son mandat
comparativement au million de chômeurs en plus sous celui de son prédécesseur. Sauf, que le nombre de «
six cent mille » concernait l’augmentation uniquement de la catégorie A, tandis que celui d’un « million »
incluait les trois catégories A, B et C cumulées7.

 Les indicateurs « globaux »


Et pourquoi ne pas tout regrouper sous un même indicateur ? Le PIB, produit intérieur
brut, le plus célèbre des indicateurs économiques est bien unique non ? En tout cas, c’est
ainsi qu’il est largement diffusé. Qui a déjà cherché à savoir comment était calculé cet
indicateur ? Hormis les étudiants en économie, bien peu d’entre nous se sont livrés à cette
enquête. On nous l’impose ainsi et on le prend tel quel. Le directeur commercial d’une
entreprise peut procéder de la même manière en regroupant sans détailler toutes les
entités d’un réseau commercial sous un même indicateur. Tant que les commerces qui
fonctionnent le mieux comblent le déficit généré par tous ceux qui enregistrent une faible
performance, il est certain d’afficher un résultat positif.
La publication des chiffres de la délinquance
Un ministre de l’Intérieur avait regroupé sous un même indicateur unique toutes les formes de délinquance. Il pouvait ainsi
afficher une baisse globale de la délinquance sans être tenu de préciser s’il s’agissait de la diminution des crimes et
assassinats ou de la dégradation des abribus8.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

 Les indicateurs volontairement déséquilibrés


Un indicateur de performance se suffit rarement à lui-même. Dans la plupart des cas, il doit
être équilibré par au moins un autre indicateur afin de s’assurer que l’accession à la
performance se déroule dans les meilleures conditions. Un tableau de bord utile est
impérativement conçu ainsi. Ainsi, s’efforcer de respecter les délais de réalisation d’un
projet ou d’un chantier par un appel massif à la sous-traitance sera sûrement bénéfique
pour l’indicateur de durée de réalisation qui affichera vraisemblablement un joli vert
printanier. En revanche, les indicateurs de coût réel et de retour sur investissement dans le
cadre d’un projet interne risquent de flirter avec le rouge intense. Il suffit donc de montrer
le premier et d’oublier les seconds. Rien de plus simple.
Exemples

 Une entreprise qui souhaite montrer auprès de ses clients et de ses concurrents son dynamisme et son carnet de
commandes bien rempli affichera ostensiblement son besoin de recrutement en publiant le nombre de postes
vacants et d’offres d’emploi proposées. Elle prendra soin d’oublier d’indiquer le nombre de démissions, de
ruptures conventionnelles, de licenciements bruts et de départs à la retraite. Les entreprises à fort turnover
telles que les sociétés de services informatiques utilisent ce subterfuge.
 Un directeur commercial peut présenter fièrement un indicateur affichant les ventes records d’un nouveau
produit sans pour autant préciser que ledit nouveau produit remplace une gamme plus ancienne dont les ventes
étaient déjà au même niveau.
 Une ministre de l’Éducation nationale peut annoncer la création de 500 nouvelles formations professionnelles
sans préciser le nombre de sections plus anciennes fermées pour l’occasion9.

 Les indicateurs faussement équilibrés


Si l’on reprend l’exemple précédent du management de projet, le prestidigitateur improvisé
peut aussi équilibrer son indicateur de performance, mesurant la durée de réalisation, avec
le taux de recours aux heures supplémentaires des salariés affectés au projet. S’il a
essentiellement fait appel à la sous-traitance, il peut en effet présenter un indicateur «
heures supplémentaires » proche de zéro, donc au beau fixe.
Là encore, toute la supercherie repose sur le talent oratoire du manipulateur du moment.
Lorsque l’orateur dispose d’une autorité bien assise, il est toujours utile de glisser un voile
de flou en utilisant des phrases, tarabiscotées peut-être, mais riches en oxymores comme
une croissance négative ou la baisse de l’augmentation. Les sciences de la neurolinguistique
nous enseignent que notre cerveau ne retient que la valeur positive et élimine l’aspect
négatif de l’information.
Le nombre de chômeurs
« Les chiffres de ce soir manifesteront une amélioration de la situation, avec une baisse tendancielle de l’augmentation du
nombre de chômeurs. Cette augmentation sera assez modérée. » affirmait ainsi Nicolas Sarkozy tentant de masquer les
chiffres catastrophiques du chômage en 2012. Le geste à l’appui cinq fois répété renforçait l’idée de baisse et donc
d’amélioration alors que les chiffres portaient une tout autre information 10.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Leurrez votre entourage en ne choisissant pas le meilleur format


d’affichage de la mesure
Sans pour autant maquiller les nombres, il y a toujours moyen de présenter les résultats
d’une manière plus avantageuse, quitte à en détourner le message.
 N’affichez que les moyennes et masquez les valeurs médianes et modales
Si la moyenne est la seule information à retenir,
alors tous les zèbres sont gris.

Le calcul de la moyenne est fort simple. Il suffit de cumuler l’ensemble des valeurs, puis de
diviser cette somme par le nombre de valeurs, et l’on obtient la moyenne arithmétique. Ce
ratio est en fait assez peu expressif. Il élimine toutes les disparités de la distribution.
Exemples

 Imaginez un bar de quartier fréquenté par des salariés des entreprises environnantes à l’heure du café, et Bill
Gates entre dans ce même bar. Par le calcul de la moyenne, toutes les personnes présentes sont devenues
milliardaires !11
 Lorsqu’on annonce le salaire moyen net mensuel des Français, 2 225 euros en 2017 12, et que l’on se flatte de sa
progression d’une année sur l’autre, on ne procède guère différemment. Ce chiffre n’apporte aucune
information. Il masque la distribution particulièrement étendue des salaires.
 Une entreprise augmente ses tarifs de 2,5 % par an depuis dix ans, sauf cette année où les prix de vente ont fait
un bond de 18 %. Il est évidemment préférable de présenter la moyenne des augmentations sur dix ans, soit 4,05
% pour faire passer la pilule.
Pour bien des situations, le calcul de la médiane est bien plus porteur d’information. La
médiane marque le juste milieu de la distribution. Cinquante pour cent des valeurs sont
inférieures à la médiane et 50 % des valeurs sont supérieures. Le salaire médian français
en 2017 est de 1 770 euros. Donc 50 % des salariés gagnent moins que cette somme et 50
% gagnent plus. On comprend aisément que si l’on veut modérer un tant soit peu le
sentiment d’inégalité, il est préférable d’annoncer publiquement le salaire moyen.
La valeur modale est aussi intéressante pour mieux saisir le déséquilibre d’une
distribution. Pour mémoire la valeur modale pointe sur la valeur la plus fréquente d’une
distribution.
En exemple, la table des salaires d’une entreprise fictive :

Salaires 1 500 2 000 2 500 3 000 3 500

Employés 23 145 65 34 21

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Salaires 4 000 4 500 5 000 5 500 6 000

Employés 23 25 24 19 18

Tableau 1 : Table de répartition des salaires

La moyenne des salaires proposés dans cette entreprise est de 3 021 euros.
Pourtant, on constate à la lecture de ce tableau que 2 000 euros sont le salaire le plus
couramment versé.

Figure 5 : Représentation graphique de la répartition des salaires

 Adoptez les pourcentages pour exprimer les progressions


Les pourcentages sont aussi bien utiles pour abuser son auditoire.
Exemples

 Vous gérez une boutique en ligne et une entreprise marketing vous propose un outil miracle, fruit de longues
recherches, qui augmentera sans coup férir le taux de clics d’un produit précis de… 100 % ! Incroyable ! Bon, si le
taux de clics n’était que de 0,1 %, on risque de beaucoup dépenser pour le voir seulement passer à… 0,2 % ! 13
 En 2015, la plupart des grands organes de presse publiaient un article particulièrement anxiogène ainsi titré : «
La consommation de viande rouge ou de viande transformée (charcuterie) augmente le risque de cancer !! 14
»
Le lecteur inquiet cherche rapidement des éléments chiffrés. De combien le risque est-il donc augmenté, quel est le taux ? Et là,
le couperet tombe : 18 % d’augmentation du risque de cancer colorectal ! Ces articles sont sourcés. Il s’agit des résultats d’une
enquête officielle conduite par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) 15. Comme la plupart des articles
n’approfondissent pas plus avant l’analyse des chiffres, ces résultats sont particulièrement angoissants. En fait, cet
accroissement du risque ne concerne que les gros mangeurs de viande. Soit 25 % de la population tout de même. Ensuite le taux
de 18 % ainsi présenté ne signifie pas grand-chose. On parle d’un accroissement du risque pour une population donnée. Encore

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

faut-il connaître le taux de risque de cancer auquel est soumise la population concernée. Ainsi, si cas d’école, pour une
population adulte donnée le risque est de 0,002 %, les gros consommateurs de viande rouge ou de charcuterie, soit 25 % de la
population, sont, eux, soumis au même risque augmenté de 18 % soit : 0,00236 %. Nous sommes loin de la panique et on peut
continuer à déguster les plaisirs de la table16.

Les valeurs exprimées en pourcentage sont également commodes pour éviter de citer des
chiffres trop significatifs.
Exemple

Il vaut mieux parler d’un taux de pauvreté de 14,3 % plutôt que d’annoncer le nombre de 9 millions de personnes contraintes de
vivre avec moins de 1 000 euros par mois.

 Doublez, triplez, quadruplez, pourquoi pas…


Dans le même ordre d’idées, intuitivement, les verbes tels que « doubler », « tripler » ou «
quadrupler » sont fortement connotés dans la langue courante. Ils laissent entendre une
progression radicale. Il est toutefois prudent de revenir aux chiffres bruts.
Exemples

 Compte rendu commercial de fin de mois : « Ce mois-ci, j’ai doublé mes ventes ! » Bravo ! Enfin, si le mois
précédent vous n’avez réalisé qu’une seule vente, ce mois-ci vous en avez donc réalisé deux. Si ce sont des usines
clés en main, on peut féliciter le commercial. En revanche s’il s’agit de stylos-billes…
 En décembre 2015, l’Agence France-Presse (AFP) transmet l’information suivante : « Dans le cadre de la
solidarité européenne, le grand-duché du Luxembourg a décidé de doubler son effectif militaire au Mali. Ils
dépêcheront donc un second militaire.17 »

 Abusez sans retenue de la précision des nombres proposés


Dans toutes statistiques, l’inexactitude du nombre
est compensée par la précision des décimales.

ALFRED SAUVY, (1898-1990), ÉCONOMISTE ET DÉMOGRAPHE FRANÇAIS.

Il est vrai que les nombres trop ronds ont quelque chose d’irréel pour le sens commun. Un
commercial qui annonce que ce mois-ci il a concrétisé les ventes de 1 000 produits risque
de croiser quelques regards sceptiques. Mille ? Ce n’est pas possible. Ne serait-ce pas plutôt
987 par hasard ou quelque chose comme cela ? Pourtant d’un point de vue arithmétique
rien ne différencie ces deux nombres. Ils ont la même probabilité de correspondre au
nombre de ventes du mois réalisées par ce vendeur. Mais voilà, un chiffre bien rond ça ne
semble pas assez réel, c’est trop vague. Un chiffre trop rond ressemble plus à un chiffre
volontairement arrondi pour améliorer l’effet sur son public. Il est donc tout à fait judicieux
pour le manipulateur de profiter à son avantage de cette idée reçue. Plutôt que de faciliter
la compréhension d’une mesure en arrondissant le nombre, il va au contraire ajouter les
caractéristiques de la précision : des décimales.
Jusqu’à maintenant, on accusait les instituts de sondage de pécher par excès de précision
en proposant un classement ordonné des résultats, sans tenir compte de la marge d’erreur

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

théorique qui est tout de même d’environ 3 points en moyenne. Si le premier du classement
bénéficie d’un score de 22 % et le second de 21 %, on peut aisément les inverser sans pour
autant fausser le résultat du sondage18.
Exemple : le plantage retentissant des analyses big data pour les présidentielles

Peu avant le premier tour des élections présidentielles françaises de 2017, quelques instituts ont même poussé le vice dans ses
limites en proposant des estimations à un demi-point près. Depuis, les frontières de l’honnêteté intellectuelle ont été
pulvérisées par quelques sociétés exploitant le big data. S’appuyant sur l’intelligence artificielle et une parfaite connaissance
des réseaux sociaux (dixit), ces sociétés high-tech prétendaient narguer les instituts de sondage plus classiques. Elles affichaient
la modeste ambition de mettre purement et simplement un terme aux techniques sondagières jugées imprécises et donc
obsolètes. Crânement, elles publient juste avant le premier tour de l’élection des estimations fermes et validées avec une
précision défiant toute concurrence. Pas moins de 2 chiffres après la virgule ! Sans vergogne et sûres d’elles, elles annoncent les
résultats suivants le 21 avril, soit deux jours avant le premier tour du scrutin : 1 er François Fillon : 22,09 %. Les autres candidats
suivent avec des scores tout aussi précis : 21,75 %, 21,11 % et 19,92 % pour Emmanuel Macron qui ferme la marche du quatuor de
tête. Les résultats sont publiés sans préciser pour autant la marge d’erreur. Relayés par une presse fascinée par les big data19, on
pouvait alors se poser la question de l’utilité de procéder au scrutin puisque l’on disposait déjà de résultats fermes et précis !

Comique de l’histoire, comme chacun le sait désormais, les prévisions de ces nouveaux oracles se sont toutes révélées
totalement fausses tandis que les instituts de sondage avaient plutôt bien anticipé les résultats. Ces sociétés à la pointe des
analyses big data venaient de confirmer malgré elles l’aphorisme d’Alfred Sauvy cité en exergue de ce paragraphe.

Commencez à tromper votre entourage dès la collecte


d’informations
La mesure se veut objective.
Pourtant, celui qui choisit les objets à mesurer
effectue un choix orienté qui peut servir à la manipulation.

 Les sondages d’opinion


Le déroulement des sondages d’opinion est toujours sujet à discussion si ce n’est à
polémique. En effet, pour qu’un sondage soit valide encore faut-il que l’échantillon soit
représentatif. Le choix de la cible est donc un bon moyen d’orienter les résultats du
sondage. En entreprise, que l’enquête soit externe auprès des clients ou interne auprès du
personnel, il est toujours possible d’établir l’échantillon adéquat en fonction de ce que l’on
souhaite mettre en évidence. On prendra soin d’éviter de calculer la marge d’erreur et bien
sûr de la publier.
Mais pour orienter un sondage, le meilleur moyen reste encore de préparer
minutieusement le questionnaire en ne sélectionnant que les questions qui contraignent à
des réponses bien précises. La réponse attendue peut-être contenue dans la formulation
même de la question. Elle ne laisse donc aucune ouverture de réponse alternative.
La question piège

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Bien des sondés affichent systématiquement leur opinion, même s’ils n’ont qu’une idée assez vague de la question. Ils
réagissent sans analyse en se fiant à leur propre système de valeurs Lors de la campagne électorale américaine de 2016, la
question suivante était glissée dans un sondage destiné à un panel de Républicains : « Soutiendrez-vous un bombardement
de la ville d’Agrabah ? » 57 % des personnes sondées ont fait part de leur indécision, 30 % étaient prêtes à soutenir le
bombardement, et seulement 13 % y étaient opposées. En conclusion, un tiers des personnes sondées étaient ainsi tout à
fait d’accord pour détruire la ville d’Aladdin du célèbre dessin animé des studios Disney 20!

Les questions à choix multiples sont particulièrement adéquates lorsqu’il s’agit d’orienter
un tant soit peu les réponses. Il suffit d’éviter de proposer comme choix possible la ou les
réponses qui gênent. Une vague question ouverte pour achever le questionnaire est
suffisante pour servir d’exutoire à tous ceux qui n’apprécient pas le principe des questions
fermées et bien verrouillées. La case « ne se prononce pas » est aussi assez pratique. Il suffit
d’oublier d’intégrer ce cas lors de la publication des résultats.
Exemple
Oui 40 %

Non 25 %

Ne se prononce pas 35 %

Si l’on espère une réponse positive franche et massive, autant omettre de citer tous ceux qui ne se sont pas prononcés. Il est
ainsi assez courant de rétablir par une simple règle de trois les proportions en ne considérant que les deux premiers cas. Le « oui
», 61,5 % des votes exprimés, est alors très nettement majoritaire, ni vu ni connu21. C’est d’ailleurs le principe retenu pour traiter
les bulletins blancs lors des consultations électorales22.

Cas pratique
Un sondage proposé par l’institut Odoxa (26-27 mai 2016) révèle que 67 % des Français ont une mauvaise opinion du
secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez. La presse relaie l’information en citant parfois même 7 Français sur 10. Or,
ce n’est pas tout à fait cela que révèlent les chiffres de ce sondage. Les 67 % représentent uniquement le pourcentage d’avis
négatif des personnes qui se sont exprimées. 32 % des Français sondés ont précisé ne pas le connaître suffisamment pour
formuler une opinion. Si l’on intègre cette catégorie, les Français qui ont une mauvaise opinion de Philippe Martinez ne sont

en réalité que : 45 %23.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 6 : L’art et la manière d’ajuster les résultats des sondages

1Témoignage antérieurement publié sur le site https://www.piloter.org


2Évaluer : porter un jugement sur la valeur, Le Petit Robert.
3L’art du management n’est autre que de parvenir à conjuguer les intérêts personnels de chaque individu avec les
intérêts de l’entreprise… Il est aussi vrai que si elle a le choix, une personne normalement sensée n’est pas
suffisamment masochiste pour choisir des indicateurs de « performance » qui n’évoluent pas dans le bon sens et
au rythme souhaité.
4Les explications des économistes à la suite de la crise financière de 2008 qu’ils n’avaient pas vu venir étaient de
cette teneur, justifiant la citation de Jacques Attali : « L’économiste, c’est celui qui est toujours capable d’expliquer
le lendemain pourquoi la veille il disait le contraire de ce qui s’est produit aujourd’hui. » cité par Bernard Maris
dans son ouvrage Lettre ouverte aux gourous de l’économie qui nous prennent pour des imbéciles, Points
Économie, 2003.
5Peter Drucker notait que toutes les décisions d’importance étaient fondées en priorité sur des opinions et non sur
des faits. On cherche ensuite les faits qui justifient les opinions et non l’inverse. Il suffit de réfléchir un peu aux
quelques décisions d’importance que l’on a pu prendre au cours de sa vie pour bien saisir la pertinence de cette
remarque.
6En 2017 : l’INSEE et le BIT utilisent une méthode différente mais qui n’intègre pas non plus toutes les personnes
sans emploi fixe et durable.
7http://lemde.fr/2yuM6zB le Monde : « Augmentation du nombre de chômeurs : l’erreur de calcul de François
Hollande » (17-05-2016).
8Libération : « Au secours, les sarkozystes ressuscitent le chiffre imbécile de la délinquance globale » (31-10-2016).
9Le Canard enchaîné du 12 avril 2017 « Formation pro : des chiffres et des miettes » et SNUEP : « 500 nouvelles
formations : la manipulation par les chiffres » (22-03-2017).
10La vidéo est disponible au moment de ces lignes : https://www.youtube.com/watch?v=Qr7z2BNLztA
11Un trait d’humour d’économistes.
12Le Figaro : « Les Français gagnent en moyenne 2 225 euros nets » (28-01-2017).
13Exemple inspiré par Dominique Cardon, À quoi rêvent les algorithmes, Seuil 2015.
14Le Point : « OMS : charcuterie, viande rouge et porc accusés de favoriser le cancer » (26-10-2015).
15https://www.iarc.fr/fr/media-centre/pr/2015/pdfs/pr240_F.pdf
16Par ailleurs, en poursuivant la lecture de l’étude, on apprend aussi que ce risque est annulé si le repas est
équilibré, c’est-à-dire composé de légumes et de fruits pour leurs effets antioxydants.
17La Libre Belgique : « Le Luxembourg double sa présence militaire au Mali… avec un deuxième soldat » (11-12-
2015).
18La marge d’erreur est directement liée à la taille de l’échantillon, en partant du principe que ce dernier est
suffisamment représentatif de la population à étudier pour ne pas fausser les résultats. Dans tous les cas, plus
l’échantillon est étroit, plus la marge est élevée. « Prendre pour argent comptant un écart de 2 points, c’est
presque de la naïveté. », explique Emmanuel Rivière, de la Sofres, sur Europe 1 le 24 février 2017. Avant de
considérer les résultats d’un sondage, il est plus prudent de vérifier les conditions de réalisation sur le site de
l’institut l’ayant réalisé que de se contenter des titres chocs relayés sans discernement par la presse généraliste.
19… Et par le premier de la liste pour certains médias franchement orientés politiquement.
20The Guardian : « Poll : 30 % of GOP Voters Support Bombing Agrabah, The City from Aladdin » (18-12-2015).

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

21Pierre Bourdieu avait présenté une étude des sondages dans le cadre de ses travaux sur l’opinion publique dont
s’inspire ce court paragraphe adapté au monde de l’entreprise : http://www.acrimed.org/L-opinion-publique-
n-existe-pas
22Entendu sur une chaîne d’info (mai 2017) : « Au premier tour de l’élection présidentielle, 24,1 % des Français ont
choisi Emmanuel Macron ». En fait, il ne s’agit que des suffrages exprimés (ni blancs, ni nuls, ni abstentions), soit
75,8 % des inscrits qui ne représentent d’ailleurs que 88,6 % des Français en âge de voter (Insee 02/2017).
Donc 24,1 % de 75,8 % de 88,6 %. En fait, ce sont en réalité 16,1 % des Français qui ont exprimé clairement ce
choix au premier tour de l’élection présidentielle 2017. Cet abus des chiffres et de leur interprétation est
systématique à chaque élection.
23« 67 % des Francais ont une mauvaise opinion de Philippe Martinez, vraiment ? » http://www.la-bas.org (03-06-
2016).

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

4.
C’est si facile de leurrer son auditoire avec les
présentations graphiques !

Un bon schéma vaut mieux qu’un long discours dit-on, cela tombe bien
je n’ai pas du tout envie d’expliquer à quoi correspondent ces chiffres…

SIGNÉ : LE MANIPULATEUR ANONYME

L’art de la manipulation est à son zénith avec les présentations graphiques. Il existe tant de
manières de tromper son auditoire en exploitant les possibilités graphiques qu’il serait
dommage de se gêner. D’ailleurs les manipulateurs professionnels ne s’en privent pas.

Les faux graphiques


C’est la tromperie la plus grossière. Le graphe proposé est en total désaccord avec les
données utilisées pour le réaliser. La supercherie est rapidement éventée.
Cas pratique
Durant la campagne électorale espagnole de 2016, un porte-parole du Partido Popular (Parti populaire) n’avait pas hésité à
présenter dans une émission de télévision et sur Twitter le graphique suivant des dépenses sociales annuelles :

Figure 7 : Un exemple de graphique manipulé pour laisser croire à une progression continue

Cette grossière manipulation n’est pas passée inaperçue, on s’en doute1.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Jouez avec les échelles


Un graphique selon la définition du Robert est : « la représentation du rapport de deux
variables par une ligne joignant des points caractéristiques (les abscisses représentant une
grandeur, par ex. le temps, les ordonnées l’autre, par ex. l’espace). »
La manipulation la plus simple sera de ne pas afficher les axes de référence, ni abscisses, ni
ordonnées. Le manipulateur a donc toute liberté pour donner la valeur qu’il souhaite à
l’écart entre deux barres du graphe.
Cas pratique
Durant la campagne des élections présidentielles américaines, Donald Trump avait publié sur Twitter le graphe suivant :

Figure 8 : Un exemple de discordance entre la taille des barres et les valeurs représentées

Un petit 2 % seulement sépare les deux candidats. Pourtant la différence de taille entre les deux barres laisse supposer un
écart bien plus important. Le procédé est particulièrement efficace. Tout naturellement le lecteur du graphique se focalise
sur la différence de longueur des barres et ne prend pas en compte la faible différence entre les deux scores. L’échelle n’est
d’ailleurs pas affichée2.

 Et maintenant sans tricher…


Sans tricher sur la longueur des barres, il est tout à fait possible de parvenir à un tel
résultat. Il suffit de prendre soin de ne pas faire démarrer l’échelle à zéro.
Exemple

Imaginons un service commercial qui a sensiblement augmenté ses ventes d’un trimestre à l’autre, et qui cherche à faire bonne
impression auprès de sa direction. il affiche donc le graphe suivant sur son tableau de bord :

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 9 : En décalant l’origine de l’échelle, la progression semble particulièrement conséquente

En réalité l’accroissement des ventes est relativement modeste. Mais en choisissant une échelle ne débutant pas à 0, un effet de
loupe amplifie la différence.

Figure 10 : la différence entre les chiffres est minime malgré le message porté par les deux barres

Avec une échelle démarrant à 0, l’augmentation des ventes est très nettement moins impressionnante.

Figure 11 : Avec une échelle commençant à zéro, les proportions sont rétablies

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Plus vicieux, mais moins courant toutefois, on utilise une échelle logarithmique. Plus les
nombres sont importants et plus ils sont comprimés. La perception de la réalité est donc
totalement faussée.
Exemple

Un responsable d’atelier, ne souhaite pas que l’augmentation drastique du nombre de défauts enregistrés au cours de la
fabrication soit mise en évidence. Il utilise donc une échelle logarithmique de ce type :

Figure 12 : Un exemple d’échelle logarithmique pour fausser la perception des résultats

Pourtant l’accroissement du nombre de défauts est plutôt significatif !

Les mêmes données, mais représentées avec une échelle linéaire :

Figure 13 : Les mêmes chiffres mais avec une échelle linéaire

Exploitez les graphiques illustrés et les infographies


La surface de l’image devrait être proportionnelle
à la différence entre les valeurs.
Sinon, c’est une tromperie.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

D’APRÈS EDWARD TUFTE (1942- ), STATISTICIEN


ET PROFESSEUR ÉMÉRITE AMÉRICAIN.

Les graphiques illustrés, et par extension les infographies, sont un excellent instrument
pour transmettre un message sans pour autant encombrer le lecteur de détails inutiles.
C’est aussi l’outil parfait pour fausser la perception de l’information chiffrée et tromper
ainsi son auditoire. Il suffit de ne pas respecter les volumes des représentations
graphiques.
Exemple

Imaginons un chef des ventes régional d’un réseau de succursales automobiles qui aimerait bien que son action à ce poste ne
passe pas inaperçue auprès de la direction générale lors de la présentation annuelle. Il propose donc les images suivantes pour
bien visualiser l’augmentation significative des ventes d’une année sur l’autre.

Figure 14 : la taille des véhicules n’est pas proportionnelle aux chiffres annoncés

Mais ce graphique est totalement faux. La surface des images matérialisant les ventes de 2016 et de 2017 est fortement
exagérée. En réalité, si l’on respecte les chiffres annoncés, la représentation fidèle ressemble plutôt à ceci :

Figure 15 : La surface des représentations de véhicules est maintenant proportionnelle aux nombres affichés

Nettement moins impressionnant, n’est-ce pas3 ?

Comparez l’incomparable
Comparaison n’est pas raison, dit-on…

Le manipulateur peut aussi focaliser l’attention sur un détail de la courbe qu’il a pris soin
d’extraire d’une présentation plus globale.
Cas pratiques

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

L’évolution du marché de l’emploi


En 2016, lors de la promulgation de la loi El Khomri, le ministère du Travail alors en exercice vantait la croissance du marché
de l’emploi en Espagne depuis que son gouvernement avait procédé à des réformes du même type.

Figure 16 : Présentation partielle d’un graphique pour fausser l’information

Pourtant, lorsque l’on observe la courbe dans la durée, on constate que la croissance espagnole, ainsi mise en exergue,
n’est qu’un moindre mal après la chute vertigineuse des années précédentes. En revanche, l’emploi en France s’est
nettement mieux comporté durant la même période4. « Pour éclaircir une situation, ajoutez des données. » conseille Edward
Tufte5. Pour l’obscurcir et tromper son auditoire, il suffit donc de faire l’inverse. Réduire le nombre de données à visualiser
est en effet l’un des meilleurs stratagèmes pour leurrer son public.

Figure 17 : En présentant le graphique en totalité, l’information est tout autre

Les parts de marché prises à la concurrence d’un produit


Pour exposer le dynamisme d’un nouveau produit auprès de ses partenaires, une entreprise, développant des produits
informatiques de gestion, avait utilisé le même stratagème. Elle présentait un premier fragment de courbe qui tendait à la
baisse, c’était les ventes du produit de la concurrence, et un second fragment de courbe en pleine croissance, c’était les
ventes du produit maison. Le dirigeant de cette entreprise avait soigneusement pris soin de ne pas présenter la courbe de
la concurrence en totalité. Le public aurait alors pris conscience que la courbe de la concurrence était en cloche, et qu’il ne

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

s’agissait que d’un produit en fin de vie. Les prises de marché tant vantées étaient tout simplement le résultat d’un retard
de la concurrence dans le lancement du nouveau produit de remplacement. Ça n’allait pas durer…

 Profitez des outils statistiques


Quelle que soit la représentation choisie, l’important c’est le sens de la progression. C’est
cela que mémorise le lecteur du graphique.
Cas pratique

Les chiffres du chômage


Fin 2015, le ministère du Travail n’a pas hésité à présenter la progression du chômage à l’aide des « moyennes mobiles ».

Les moyennes mobiles sont un outil intéressant pour suivre les tendances à condition qu’il ne masque pas la réalité de la
courbe. Il est notamment utilisé en analyse boursière pour éliminer les fluctuations les moins significatives du cours d’une
action.

Figure 18 : Un exemple de graphiques du type « moyennes mobiles ». Est-ce réellement le plus adapté pour
présenter les chiffres du chômage ?

Le graphique est juste, mais il présente une image trompeuse du taux de chômage 6. En effet, le chiffre du chômage est en
hausse de 2,5 % pour l’année 2015. Le lecteur du schéma, non initié aux outils statistiques, voit pourtant une baisse. Dans ce
cas précis, cet outil est vraisemblablement utilisé pour donner l’impression d’une tendance à la baisse bien que la courbe
soit en hausse quasi continue.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 19 : Les mêmes chiffres du chômage présentés sur une courbe linéaire

Il importe que l’auditoire soit focalisé sur la tendance baissière et ne cherche pas à visualiser une représentation linéaire
telle que ci-dessus…

Le procédé fonctionne nettement mieux si le manipulateur prend soin d’enfumer un peu son public à l’aide d’un bla-bla
adapté riche en termes positifs : « stabilisation, progression, amélioration, reprise, favorable, croissance etc. ». C’est
exactement le procédé exploité par le ministère du Travail dans ce cas précis7 !

Bien entendu, en utilisant à contre-emploi les outils statistiques, il devient aussi aisé de
masquer une hausse indésirable (nombre de défauts de fabrication, hausse de dépenses…)
qu’une baisse malvenue (chute des ventes, perte d’un contrat…). L’outil marche dans les
deux sens.
 Seul le sens de la flèche importe
Pour justifier un résultat décevant, à la baisse comme à la hausse, on peut toujours tenter
de se lancer dans de grandes explications, évoquer la complexité des marchés, invoquer la
conjoncture, en vain. Quel que soit votre auditoire, ce qu’il retient, ce ne sont pas les
chiffres mais bien la tendance de la courbe, le sens de la flèche. C’est bien pour cela que les
plus malins n’hésitent pas à se lancer dans des manipulations pour le moins acrobatiques.

Les corrélations abusives sont un excellent outil de manipulation


des esprits
Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être l’organisateur.

JEAN COCTEAU (1889-1963), LES MARIÉS DE LA TOUR EIFFEL.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Comme nous l’avons vu à propos du big data, l’adage : « Corrélation n’est pas causalité »
semble passer au second plan. Pour les plus fervents adeptes du big data et de l’intelligence
artificielle, il suffit de profiter du résultat sans se poser plus de questions. L’analyse révèle
une corrélation, l’on profite de cet enseignement sans chercher plus avant. « Ils » vous
expliqueront qu’il s’agit de tendances bien utiles pour anticiper les événements. Quant à la
causalité, en creusant un peu, on finira bien par la trouver mais ce n’est pas le plus utile.
Attention toutefois, les corrélations sont trompeuses. Face à deux événements
concomitants, on perd un peu notre rationalité, persuadé au fond de nous qu’ils sont
quelque part liés.
Exemple

Vous pensez à votre ami Laurent, le téléphone sonne… C’est Laurent ! Incroyable ! Transmission de pensée, télépathie
involontaire, le destin ? Ou plus prosaïquement des probabilités mal comprises ? Les deux événements ont chacun leur propre
causalité, ils sont totalement indépendants l’un de l’autre. C’est le pur hasard qui les a fait se rencontrer. Mais les coïncidences
sont toujours troublantes et le pur hasard est bien la dernière explication que l’on considérera.

Pour le manipulateur averti, il est alors aisé de faire passer des corrélations pour de pures
causalités. Un outil de choix pour justifier ses décisions.
Il existe tout même quelques règles, théoriquement on ne peut pas tout faire dire à propos
des corrélations.
Le calcul de l’indice de Pearson8 permet de juger de la vraisemblance de la corrélation. Si ce
coefficient est proche de la valeur « 1 », les deux phénomènes sont dits « fortement corrélés
».
Google propose un outil, « Trends/Correlate » pour explorer son big data et rechercher les
corrélations. C’est ce dernier outil que nous allons utiliser ici :
https://www.google.com/trends/correlate
Exemples

Commençons par une première corrélation, assez évidente, d’ailleurs l’indice est très proche de la valeur maximale 1.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 20 : Corrélation entre les termes : « été » et « Juan-les-Pins »

Poursuivons avec deux corrélations assez logiques qui confirment d’ailleurs les deux premiers chapitres de cette étude. L’indice
de corrélation est là aussi quasi au maximum.

Figure 21 : Corrélation entre « norme » et « management »

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 22 : Corrélation entre « management » et « procédures »

Jusqu’ici, rien de bien surprenant. Voyons maintenant quelques corrélations étonnantes.

Figure 23 : Corrélation entre « pizza » et « mal au ventre »

Il est tout à fait possible de trouver un lien de causalité entre ces deux recherches.

Mais que dire de celle-ci ?

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 24 : Corrélation (curieuse) entre « frites » et « après-shampooing »

Ou encore celle-là totalement surréaliste ? Pourtant l’indice de corrélation est suffisamment élevé pour que l’on soit tenté de
faire confiance à ce résultat.

Figure 25 : Corrélation aberrante entre « salaire » et « chocolat en poudre »

Puisqu’il existe ce type de corrélations sans queue ni tête, on peut imaginer qu’un
manipulateur saura trouver les données pour expliquer un peu tout et n’importe quoi dans
la mesure où la démonstration sert ses intérêts. Avec un échantillon de données assez
réduit, on trouve assez aisément une corrélation qui, à défaut d’être digne d’intérêt, cause
toujours son petit effet9.

Abusez de l’hystérésis
L’hystérésis est un principe bien connu des sciences physiques. On appelle « hystérésis », le
retard entre l’effet et la cause d’un phénomène. L’hystérésis s’applique aussi aux sciences

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

économiques et donc au monde de l’entreprise. Dans ce cas l’hystérésis peut être


caractérisée par la continuité d’un effet bien que la cause ait disparu.
Exemples

 Une entreprise d’équipements industriels recrute un nouveau responsable de l’organisation. Ce dernier, issu du
monde de la grande distribution, est un grand « fan » des méthodes de Jack Welch, et plus particulièrement du
« destaffing », une technique bien connue qui consiste à éliminer toutes les personnes qui ne sont pas jugées «
nécessaires »10. Ce n’est pas pour rien que durant les années 1980, Jack Welch était surnommé « Neutron Jack »
en référence à la bombe à neutrons qui élimine tous les humains sans toucher aux constructions. Bref, notre
nouveau responsable décide de réduire drastiquement le personnel de la plupart des services, notamment de
l’administratif, des études et du commercial. Cette entreprise travaille sur des contrats assez conséquents et les
commandes sont enregistrées plusieurs mois à l’avance. Les projets d’innovation sont à longue échéance et, de
surcroît, le carnet de commandes est bien rempli. Durant plusieurs mois, cet adepte des méthodes radicales
peut pavoiser en affichant des résultats records : une activité équivalente et des frais drastiquement réduits. Ce
n’est que l’hystérésis. L’entreprise est sur sa lancée. Les effets négatifs de ses décisions draconiennes ne sont
pas encore perceptibles11.

Figure 26 : La double hystérésis du premier exemple

 Hystérésis numéro 1 : les dépenses chutent sérieusement après la première action de réduction des frais, tandis
que l’activité continue durant un temps sur sa lancée dans la même dynamique.
 Hystérésis numéro 2 : seconde action, prise de conscience, l’on tente de retrouver un niveau de dépenses
compatibles, mais là, l’activité poursuit sa chute et mettra un temps plus ou moins conséquent avant que l’on
puisse espérer la voir revenir, au mieux, aux niveaux antérieurs.
 Une banque privée avait décidé de supprimer la majorité des services au client qu’elle jugeait peu rentables, tels
que les coffres privés. La rentabilité fut nettement améliorée et elle ne constata que peu de défections des
clients. En effet, il n’est pas facile de quitter une banque du jour au lendemain. Il faut prendre son temps. Mais
dans la durée, nombre de clients avec de multiples comptes bien approvisionnés ont préféré passer à la
concurrence.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Il existe de bien nombreuses situations dans l’entreprise où les conséquences d’une


décision (ou d’une non-décision) ne sont pas perceptibles immédiatement. Il est donc assez
facile d’en profiter pour leurrer son auditoire.
 Confondez stock et flux…
Assez proche de l’hystérésis, ne pas dissocier le stock du flux est aussi un bon moyen de
manipuler son auditoire.
Exemples

 Un responsable commercial pourra se vanter auprès de sa direction du chiffre d’affaires réalisé auprès de ses
clients fidèles, le stock, tout en évitant d’aborder la question du piètre taux du nombre de prospects
transformés en clients sur la même période, le flux.
 Un chef d’entreprise pourra se féliciter de la rentabilité de ses produits phares, véritables « vaches à lait », le
stock, sans pour autant aborder la question de la pauvreté du portefeuille de nouveaux produits en cours de
développement, le flux.
Cas pratique
En France, en matière d’emploi, le contrat à durée indéterminée (CDI) est « la forme normale et générale de la relation de
travail » pour reprendre l’assertion du gouvernement.

 Si l’on raisonne en logique « stock », un ministère du Travail et de l’Emploi peut s’enorgueillir du nombre de
CDI. En effet 85 % des salariés sont liés à leur employeur par un contrat de ce type.
 Si, en revanche, on raisonne en termes de « flux », 86 % des nouvelles embauches sont réalisées sous contrat
à durée déterminée (CDD) dont 70 % sont des contrats d’une durée inférieure à un mois12. Le bilan est alors
moins glorieux et laisse présager un avenir un peu plus sombre.

 … Et profitez de l’effet d’aubaine


Exemples

 Pour justifier le bien-fondé d’une mesure de réduction drastique mais temporaire des cotisations sociales, un
gouvernement se targuera d ’un accroissement significatif du nombre d’embauches de salariés d’une certaine
catégorie socio-économique. Il prendra soin d’éviter d’aborder la question de l’estimation du nombre de chefs
d’entreprise qui auront judicieusement choisi de précipiter une embauche déjà planifiée afin de bénéficier de la
réduction, de l’effet d’aubaine. Au cours de la période suivante, bien évidemment, ces embauches déjà
effectives ne seront pas comptabilisées.
 Un chef des ventes pourra mettre en avant les bienfaits sur le chiffre d’affaires mensuel d’une remise
commerciale temporaire, tout en prenant soin d’éviter de décompter les clients réguliers qui ont
opportunément augmenté le volume d’achats sur la même période pour bénéficier de la remise. C’est aussi
l’effet d’aubaine. Les produits achetés à l’avance sont déjà stockés chez le client, le chiffre d’affaires de la
prochaine période sera vraisemblablement inférieur à celui réalisé habituellement.
Après avoir utilisé au cours du premier chapitre un premier néologisme « chiffromanie » ou
le suffixe « manie » rappelle le côté obsessionnel de cette fascination pour les chiffres, nous
aborderons le prochain chapitre sous l’influence d’un second néologisme « perfomanie », un
chapitre que nous aurions aussi pu baptiser « Lorsque la course à la performance fait

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

perdre la raison ». Nous en profiterons pour recentrer le débat sur la question des
indicateurs de performance.

1Eldiario.es, « El curioso gráfico del PP sobre el gasto social » (21-06-2016).


2https://twitter.com/realDonaldTrump/status/783808918824681472
3C’est un exemple fictif. Dans la vraie vie, un responsable des ventes peut se livrer à des falsifications bien plus
osées. Durant sept ans, de 2010 à 2017, la filiale française de Volkswagen transmettait à la maison mère des
chiffres de vente maquillés. Près de 800 000 véhicules ont ainsi été abusivement déclarés comme vendus. Les
Échos : « Volkswagen France aurait embelli ses chiffres de vente » (01-07-2017).
4Alternatives Économiques : « INTOX Un miracle de l’emploi en Espagne et en Italie ? Ah bon ! Où ça ? » (10-03-
2016). D’autant plus que les emplois créés en Espagne ne sont que des emplois précaires, des contrats
temporaires de très courte durée…
5Edward Tufte est une référence incontournable de l’art de la présentation des données et de la datavisualisation.
6Source : ainsi qu’une analyse L’Expansion : Pour faire baisser le chômage, le gouvernement joue avec des
graphiques (24-12-2015).
7Lire la courte note accompagnant le graphique sur le site gouvernemental http://travail-emploi.gouv.fr/ à
l’adresse suivante http://bit.ly/2wBFPgT.
8https://fr.wikipedia.org/wiki/Corr%C3%A9lation_(statistiques). Ce coefficient de corrélation est aussi disponible
sous Excel Microsoft.
9Au XIXe siècle, on constate que l’arrivée des cigognes en Hollande coïncide avec de nombreuses naissances dans les
foyers. Fallait-il impérativement en déduire un lien de causalité ? Le site suivant a répertorié un grand nombre
de corrélations aussi curieuses que farfelues : http://www.tylervigen.com/spurious-correlations
10Par la suite, on a préféré remplacer ce néologisme de « destaffing » qui ne cachait pas son sens par celui plus
politiquement correct de « Management Lean et Agile ».
11Ce militant des méthodes radicales a ensuite compris qu’une expérience dans la grande distribution nécessitait
quelques aménagements avant d’être appliquée telle quelle dans un contexte totalement différent.
12Le Figaro : « Un marché du travail de plus en plus instable » (10-10-2016).

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

5.
La majorité des indicateurs de performance sont faux,
cela dit, quelques-uns sont utiles1… Explication

Il n’y a rien de plus inutile que de faire avec efficacité quelque chose
qui ne doit pas du tout être fait.

PETER DRUCKER (1909-2005), PROFESSEUR, CONSULTANT AMÉRICAIN


EN MANAGEMENT D’ENTREPRISE, AUTEUR ET THÉORICIEN.

Depuis déjà bien des années, la généralisation des normes qualité ISO au sein des
entreprises s’est traduite par une profusion d’indicateurs de performance. Les normes ISO
recommandent avec raison une mise sous contrôle systématique des processus clés de
l’entreprise. Mais dans un mouvement de cause à effet, les indicateurs de performance se
sont alors multipliés comme des petits pains. Il semble que nous soyons passés d’une
logique : « Je poursuis un objectif de performance et je choisis soigneusement un indicateur
pour baliser le chemin » à la logique plus discutable : « Je place des indicateurs dits de
performance pour être en conformité avec la norme et je m’imagine ainsi ou, en tout cas, je
donne l’impression que tout est sous contrôle. »
Les entreprises qui ont privilégié la conformité aux normes qualité ISO, aux dépens des
démarches stratégiques plus originales exploitant la nature même de l’organisation, sont
les principales victimes de cette dérive.
Vite, des indicateurs, voilà l’auditeur...
Lors d’une mission de conseil, l’équipe dirigeante me fait part des difficultés qu’elle rencontre depuis quelques mois. La
concurrence exacerbée du secteur est la principale préoccupation du moment, et l’entreprise a donc lancé plusieurs
mesures en direction de ses clients, notamment l’éradication des erreurs de livraison, un mal récurrent dans l’entreprise. Au
fil de l’échange, on en vient naturellement à la question du choix des indicateurs de performance et donc des tableaux de
bord. Justement, la première tranche d’un projet d’envergure est quasi achevée. Après un rapide audit, il faut bien
constater qu’aucun des tableaux de bord réalisés n’affiche le moindre indicateur lié à la stratégie engagée. Les indicateurs
de durée de production, de quantités produites, de taux de rebut ou de coûts unitaires, foisonnent mais quasiment aucun
retour sur la fiabilité des livraisons et le suivi des sous-traitants, principales voies d’amélioration au sens de la direction de
l’entreprise. Les tableaux de bord conçus et réalisés sous la direction du responsable qualité, par ailleurs rattaché à la
production, ne semblent refléter que les préoccupations de ce dernier. Un indicateur de satisfaction client est tout de
même présenté sur le tableau de bord destiné au contrôleur de gestion, mais comme celui-ci n’a aucune idée de son mode
de calcul, il me confie qu’il n’en tient pas compte. Sage décision. Lorsque l’on ne connaît pas le contenu d’un indicateur
autant éviter de l’utiliser. En conclusion, aucun indicateur digne de ce nom ne peut aider les décideurs de l’entreprise à
accomplir leurs plans. Lorsque l’on cherche à améliorer la conformité des commandes clients, souhait maintes fois répété

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

en comité de direction, ce n’est pas en s’assurant que machines et personnel sont occupés à temps plein. C’est pourtant ce
que mesurent en priorité les tableaux de bord présentés.

Commentaire
Si une hirondelle ne fait pas le printemps, l’indicateur ne fait pas le pilotage. L’indicateur, c’est l’instrument de navigation. Si
vous ne savez pas où vous souhaitez aller, l’indicateur ne sert à rien. Si vous n’avez pas la volonté d’atteindre le but fixé,
l’indicateur n’est guère plus utile. Il faut commencer par définir avec précision des objectifs réalistes. C’est-à-dire en parfait
accord avec la stratégie poursuivie et les actions que l’on peut réellement engager à ce niveau d’intervention. Ensuite, on
peut choisir et fabriquer les indicateurs. En suivant ce déroulement, on est sûr de définir de vrais indicateurs. Cela dit, si
comme dans ce cas précis, le chef du projet tableau de bord est tenu à l’écart de l’élaboration des plans stratégiques, il ne
peut deviner les ambitions de sa direction. Il n’est pas responsable de l’excès de discrétion de sa hiérarchie.

Définition et principe des indicateurs de performance


Par définition, un indicateur de performance est une mesure
ou un ensemble de mesures braquées sur un aspect critique
de la performance globale de l’organisation.

Cette brève définition sous-entend bien qu’un indicateur est spécifique à un besoin
d’amélioration bien précis. Si l’on mesure un aspect de la performance, critique de surcroît,
c’est bien pour l’améliorer. C’est là l’objectif de performance du manager ou de l’équipe
chargée de suivre cet indicateur. Si l’on replace la problématique dans l’ordre, avant de
préciser un indicateur, encore faut-il bien cerner l’objectif visé et donc le type de
performance que l’on cherche à maximiser. L’indicateur de performance remplit ensuite
son office, canalise et oriente les actions dans le sens de l’objectif. C’est un instrument de
mesure qui intègre plusieurs types d’informations toutes essentielles pour le pilotage : il
indique le sens de l’effort, il mesure le progrès réalisé, ainsi que le chemin restant à
accomplir. On peut alors en déduire la valeur de l’allure suivie et juger de sa pertinence.
 L’indicateur de performance est une aide à la prise de décision
Un indicateur de performance ne laisse jamais le décideur indifférent.
Lorsque le décideur n’agit pas, c’est en toute conscience.

Il est alors temps d’identifier les actions à lancer :


• Tout va bien, on est sur la bonne voie et au bon rythme, on ne touche à rien.
• On ne va pas assez vite, il est peut-être nécessaire de renforcer les moyens.
• De nouvelles actions doivent être engagées sans délai.
• On n’y parviendra pas, il est indispensable de réviser toute la tactique2.
Il s’agit de décider et donc d’agir, l’indicateur de performance est un instrument d’aide à la
décision.
 En fait, l’indicateur de performance est la clé du déploiement stratégique

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Pour progresser significativement, une entreprise commence par se fixer un but à


atteindre. Ensuite, elle établit le plan du parcours à suivre pour accéder à ce but, se fixe des
contraintes temporelles et se donne les moyens de ses ambitions. C’est un peu cela une
stratégie3. Pour passer au stade opérationnel, la stratégie est ensuite déclinée en objectifs
de performance bien spécifiques et adaptée à la réalité du terrain, aux besoins et aux
capacités des femmes et des hommes chargés de la mettre en œuvre. Pour atteindre ces
objectifs, ils devront lancer des actions et prendre de multiples décisions. Les indicateurs
de performance bien choisis offrent une perception orientée de la situation selon les
objectifs à atteindre afin d’assister les décideurs dans la prise des décisions.
C’est là la théorie que l’on enseigne dans les formations, ou que l’on peut lire dans les bons
ouvrages traitant du sujet. Ensuite, il faut passer à la pratique et là les vieilles croyances et
les anciennes habitudes ressurgissent.

Les dérives de la mesure de la performance


Les indicateurs de performance
sont comme les objets de pacotille vendus dans les bazars discount.
On en trouve de toutes les formes, de toutes les couleurs,
du plus ordinaire au plus insolite,
mais il faudra chercher longtemps pour en trouver un
bien conçu et réellement utile.

Les indicateurs bien choisis sont les instruments de mesure du progrès mais quand ils sont
mal choisis, c’est un peu le grand n’importe quoi qui pervertit la mesure de la performance
et son rôle de soutien stratégique. Passons en revue les dérives les plus courantes afin de
mieux les prévenir. Au cours de cet inventaire de « ce que l’on ne devrait pas faire », on
abordera autant la question des indicateurs que celle des objectifs. Elles sont étroitement
liées et toutes deux particulièrement sensibles aux funestes dérives si l’on n’y prend garde.
Plusieurs de ces dérives ne sont pas uniquement des erreurs de conception, mais bien des
actes volontaires visant des desseins inavouables et généralement inavoués mais que l’on
devine assez aisément. Quoi qu’il en soit, tout cela ne simplifie pas la tâche du concepteur
de système de performance.
 Les indicateurs de performance « orphelins »
Pour bien des concepteurs amateurs, le lien avec l’objectif de performance poursuivi n’est
pas une évidence. Ils pensent qu’il suffit de construire un bel indicateur pour placer sous «
contrôle » une activité ou un processus sans chercher plus avant.

Indicateurs « qualité »
On retrouve cette dérive dans la lignée des démarches qualité comme le rappelle le
témoignage ci-dessus. Des indicateurs sont placés un peu à la va-comme-je-te-pousse,
supposément pour améliorer un processus dans une optique qualité normalisée4, sans pour
autant toujours évaluer la criticité dudit processus vis-à-vis de la stratégie poursuivie. Pour

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

bon nombre de responsables qualité peu ou pas formés, les indicateurs de performance ne
sont utiles que pour remplir les cases correspondantes des fiches de description des
processus5.

Les indicateurs que l’on pourrait baptiser « La force de l’habitude »


Les habitudes aussi sont trompeuses.
 On a toujours utilisé ces indicateurs, pourquoi aujourd’hui faudrait-il en changer ?
 Parce que l’on ne suit pas la même stratégie !

Les indicateurs promotionnels


Enfin, on voit aussi quelquefois des indicateurs de performance uniquement destinés à la
promotion publicitaire. Là on perd totalement tout sens commun, il s’agit de montrer des
indicateurs au vert, histoire d’assurer son marketing. C’est vraisemblablement l’un des
principaux facteurs qui ruinent les politiques d’amélioration de la performance. Tous ces
indicateurs sont au mieux inutiles au pire néfastes, voire désastreux. Ils risquent en effet de
motiver des prises de décision irraisonnées.
 Quand l’indicateur devient l’objectif
Lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une mesure6.

D’APRÈS CHARLES GOODHART (1936-),


ÉCONOMISTE BRITANNIQUE.

La pression des indicateurs de performance conduit à des comportements pour le moins


inattendus. Il est bien évident que si votre performance et, par voie de conséquence, votre
carrière, dépend de la valeur d’un nombre, il semble naturel de tout mettre en œuvre pour
s’assurer que ce nombre évolue dans le bon sens. Il ne s’agit plus d’atteindre un objectif
bien précis mais d’afficher un indicateur au beau fixe. Aussi, on sélectionnera non pas les
actions qui contribuent au mieux à l’accession à l’objectif, mais bien celles qui font évoluer
rapidement l’indicateur dans le bon sens. Il existe bien des cas où l’on peut agir
directement sur la mesure en lieu et place de la cause à l’origine de l’effet7.
Cas pratique
Dans le film L.627 (1992) coécrit avec un ancien enquêteur judiciaire, Bertrand Tavernier décrit le quotidien d’une brigade de
police aux prises avec la délinquance et les trafics de stupéfiants. Il cherche avant tout à dénoncer le manque de moyens, la
lourdeur bureaucratique et une administration obsédée par les statistiques. Une scène de ce film est assez caractéristique
de la dérive de la mesure de la performance.

Nota : le paragraphe contenu entre les deux mots « spoiler » révèle le dénouement d’une scène du film.

« SPOILER ON »

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

L’équipe d’inspecteurs « planquait » depuis déjà pas mal de jours pour arrêter un gros fournisseur et démanteler ainsi un
réseau de trafic de stupéfiants. Ils avaient pris en filature un petit dealer en quête de ravitaillement et attendaient que la
transaction se réalise. Mais le chef de groupe, joué par Jean-Paul Comart, ne poursuit qu’un seul but : être bien noté par ses
supérieurs. Il n’hésite pas à interrompre la planque et à la surprise de l’équipe, il procède à l’arrestation du petit dealer
saccageant ainsi un long travail de repérage et anéantissant les ambitions de détruire le réseau en totalité. Son argument
est simple : que ce soit un petit ou un gros dealer, de toute façon, c’est une barre en plus sur mon rapport mensuel.

On comprend alors que les équipes sont notées selon le nombre d’arrestations réalisées sans tenir compte de l’importance
du délit. On peut pourtant deviner que l’objectif initial poursuivi n’est autre que de freiner l’expansion du trafic de
stupéfiants. Mais le système de mesure inadaptée conduit à ce type de comportement totalement contre-productif.

« SPOILER OFF »

Un tel comportement existe aussi dans l’entreprise. Un manager peut être ainsi convaincu
de devoir boucler un dossier sans aucun intérêt ou d’achever un projet devenu inutile
uniquement pour servir son indicateur de dossiers ou de projets achevés.
La citation qui interpelle
« Dites-moi comment vous me mesurez, et je vous dirai comment je me comporterai. Si vous me mesurez d’une manière
illogique, ne vous plaignez pas si mon comportement est illogique. »8

ELIYAHU M. GOLDRATT (1947-2011), SPÉCIALISTE DU MANAGEMENT INDUSTRIEL,


DE LA CHAÎNE CRITIQUE ET CRÉATEUR DE LA THÉORIE DES CONTRAINTES.

Ce sont là les effets pervers d’une « culture du résultat » pour qui seul le chiffre compte. Et
selon la valeur de ce chiffre, ce sera une récompense ou une punition, la carotte ou le bâton.
Chercher à améliorer le chiffre tout en respectant les règles établies pour décrocher la
récompense et éviter la punition semble tomber sous le sens. Toute règle a une faille et il ne
faut guère de temps à un cerveau humain pour se l’approprier. Ce sont les conséquences
d’une méthode de management infantilisante, fondée sur la déresponsabilisation des
femmes et des hommes. Ce phénomène est d’ailleurs fortement amplifié dans une société
qui prône le « mérite » comme seule clé d’incitation à la performance. Pourquoi consacrer
du temps et de l’énergie à soigner l’exécution de tâches dont le résultat n’est pas perçu à sa
juste valeur par le système de mesure ?
Les conséquences sur la qualité du travail en équipe ne sont pas non plus anodines. Dans
un système de mesures parcellaires, la carte de l’individualisme est toujours la plus
payante.
En résumé

La mesure oriente les comportements. Si l’on veut changer les comportements, il faut donc changer la manière dont on mesure
la performance.

Le classement de Shanghai
L’influence prise par le classement des universités mondiales en termes d’efficacité, dit classement de Shanghai, est assez
troublante. Depuis quelques années ce classement, officiel de fait, incite les organisations universitaires mondiales à se

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

structurer afin de mieux correspondre aux critères un peu arbitraires choisis pour ce classement 9. Si sur le plan éthique, ces
adaptations sont discutables, elles sont pourtant indispensables sur le plan pratique afin d’être mieux classées, et attirer
ainsi les meilleurs étudiants tout comme les sources de financement les plus profitables.

Il est aussi évident que si la valeur de l’action d’une entreprise cotée en Bourse a autant
d’importance au sein des comités de direction, c’est bien parce que c’est cette mesure-là
que l’on rend publique. Quel que soit l’ordre du jour, la question du cours boursier sera
toujours le thème principal. Par conséquent, les décisions prises seront fortement
influencées par cette mesure.
Ensuite, on peut généraliser à de multiples champs d’activité. Quel que soit le domaine ou
le métier, on cherchera toujours à maximiser la valeur mesurée, c’est humain tout
simplement.
 Les indicateurs de performance choisis pour leur facilité de mise en œuvre
On ne pilote que ce que l’on mesure, dit-on…

Mais en sommes-nous certains ? Cet aphorisme est bien connu. Si l’on ne mesure pas un
aspect précis de la performance, on est bien mal placé pour l’améliorer. C’est simple comme
une vérité de La Palice. Dans la vraie vie de l’entreprise, les faits sont un peu différents. Les
concepteurs n’ont pas toujours le temps, l’énergie et les budgets pour choisir et bâtir les
justes indicateurs pour mesurer les finesses du chemin vers l’objectif de performance fixé.
La force de l’habitude aidant, on se contente bien souvent des indicateurs productivistes les
plus triviaux : des délais, des quantités et des coûts unitaires. Les concepteurs vous diront
qu’ils ne mesurent que ce qui est mesurable. En réalité, ils mesurent ce qui est facilement
mesurable.

Figure 27 : On ne pilote que ce que l’on mesure…

Bien des grandeurs quantitatives qui seraient fort utiles pour le pilotage sont difficiles à
intégrer. C’est toujours au final pour des raisons de coût. Mettre des données au bon
format, les rendre cohérentes avec l’ensemble du système, voire bâtir une infrastructure
spécifique représentent des coûts conséquents qui pourraient faire exploser les budgets
consacrés au projet d’aide au pilotage10. Les grandeurs plus qualitatives sont aussi loin
d’être évidentes à intégrer. Pourtant, toutes les formes de progrès ne s’évaluent pas
systématiquement en données quantifiées.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

L’entreprise a bien compris que l’amélioration du « bien-être » des salariés était une voie
de progrès. C’est une préoccupation récurrente depuis déjà quelques années. Mais
comment s’y prendre ? Comment bâtir une échelle fiable et consensuelle ? Ce n’est
sûrement pas en cherchant des réponses à une question commençant par « Combien ? »
que l’on parviendra à apprécier la notion de « bien-être ». La mesure sera sûrement plus
fine et précise en étudiant les réponses aux questions commençant par d’autres adverbes
interrogatifs tels que « Comment ? ». La vraie difficulté vient ensuite. Par quel moyen
traduire en données quantitatives les réponses données ? Si les questions ont été bien
formulées, elles seront nécessairement de l’ordre du subjectif. Comment rapprocher les
résultats, comment les combiner, comment choisir les facteurs correctifs pour obtenir un
unique indicateur synthétique ? En quelque sorte, il s’agit de parvenir à étalonner le
qualitatif11.
On comprend mieux pourquoi les concepteurs privilégient les grandeurs faciles à mesurer
pour bâtir des indicateurs de performance.
En résumé

Si l’on ne pilote que ce que l’on mesure, on ne mesure que ce qui est facile à mesurer. De là à dire que l’on ne pilote que ce qui
est facile à mesurer, ce n’est que boucler le syllogisme.

 L’objectif suivi n’est pas lié à la stratégie


Le théorème du lampadaire

Si les objectifs que la direction met en pleine lumière ne sont pas ceux qui importent vraiment pour l’entreprise, nous
n’aurons aucune chance de comprendre pourquoi le fait de les avoir atteints ne résout nullement le problème initial 12.

Toutes les entreprises n’ont pas une stratégie bien définie. Elles ont des ambitions, mais ne
prennent pas le temps de bâtir des plans concrets afin de les rendre réalisables. Elles se
contentent de définir des objectifs de performance afin, s’imaginent-elles, de motiver les
troupes. D’autres entreprises bâtissent une stratégie mais appliquent la loi du secret. Les
objectifs de performance proposés aux exécutants ne sont pas réellement ceux qui
permettraient d’atteindre les buts stratégiques. Pour ces deux cas, il ne faut pas rêver. Les
objectifs seront peut-être atteints, mais les ambitions initiales ne seront jamais
accomplies… Et on ne comprendra pas pourquoi.

Les objectifs « sportifs »


Pour bien des dirigeants, un objectif de performance doit être équivalent à un challenge
sportif. Ils ont d’ailleurs trouvé sans effort la définition tant recherchée en entreprise de
l’adverbe « mieux ». Pour eux « mieux » serait le synonyme de « plus ». Que ce soit des
quantités d’articles vendus, des clients contactés, des quantités de produits fabriqués, ou
des lignes de code écrites, l’objectif sera toujours d’en faire « plus » pour la période
suivante. La stratégie ? Quelle stratégie ?

L’objectif comme instrument de coercition

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Sous prétexte d’émulation, les objectifs totalement détachés de toute stratégie sont fixés à
des niveaux quasi inatteignables. Dans l’esprit du toujours « plus », il s’agira de faire mieux
que l’an passé, peu importe que ce fût une année exceptionnelle. Ne pas avoir rempli « ses
objectifs » est en effet éliminatoire le jour de l’entretien annuel.
Le système a été poussé au-delà de ses limites avec les multiples formes du management
par le stress. Le salarié ne connaît pas exactement les objectifs à atteindre, et ne peut se
référer qu’aux remarques de son supérieur. Sans repère, il cherche à se dépasser au
maximum et cumule les heures de travail sans être sûr d’être plus apprécié pour autant. La
crainte de la sanction qui peut tomber au moment où l’on s’y attend le moins est un mode
de soumission vieux comme le monde. Une telle violence n’est pas évidente à canaliser. Les
plus fragiles la reportent sur leurs subordonnées ou sur leur entourage familial. Pour les
cas les plus tragiques, l’extériorisation de la violence reçue ne suffit pas toujours. Saisis par
un sentiment insondable d’impuissance et d’inutilité, ils retournent alors leur colère contre
eux-mêmes. « Ce n’est pas si grave, la fin justifie les moyens et de toute façon personne n’est
irremplaçable ! » semble être la morale de ce mode de management cynique à l’extrême13.
 Lorsque l’objectif devient une obsession de tous les instants…
La conjoncture est fluctuante. Un objectif tout à fait réalisable au moment de sa fixation
peut devenir plus difficile à atteindre dès que l’entreprise est aux prises avec des difficultés.
La démission d’un salarié clé, la perte d’un marché important, le retrait d’un partenaire de
premier plan, l’arrivée d’un concurrent qui cherche à bousculer l’ordre établi, ce ne sont là
que quelques exemples d’événements totalement imprévisibles qui, en toute logique,
devraient inciter à réviser les plans et à fixer de nouveaux objectifs. Pourtant, bien des
directions se cramponnent contre vents et marées aux objectifs fixés à l’origine, sans
remettre en question leur bien-fondé bien qu’ils ne soient plus légitimes.
Cas pratique
Depuis déjà deux décennies, les États européens sont astreints à réduire drastiquement leurs dépenses afin de ne pas
dépasser le seuil limite de 3 % du PIB. L’objectif n’a pas évolué d’un centième en dépit du coup et des contrecoups de la
crise de 2008 qui ont mis à mal la majorité des économies nationales. Même si l’on peut comprendre l’importance de limiter
les déficits, l’origine de cet objectif immuable fixé à 3 % par décret explique mal cette opiniâtreté à toute épreuve.

 … et de surcroît est totalement arbitraire…


Et c’est là le plus surprenant. Cet objectif qui organise et structure notre vie économique a
été fixé d’une manière totalement arbitraire, et ne repose sur aucun fondement
économique.
Cas pratique (suite)

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Guy Abeille, l’un des économistes à l’origine de la fixation de cet objectif à 3 % au début des années 1980, explique sans
détour dans un long article du périodique La Tribune sa construction totalement artificielle. Il précise que ne pouvant
rechercher le soutien d’aucune théorie économique, ils ont choisi arbitrairement cette valeur de 3 % : « Deux pour cent
seraient, en ces heures ardentes, “inacceptablement” contraignant, et donc vain ; et puis, comment dire, on sent que ce chiffre,
2 % du PIB, aurait quelque chose de plat, et presque de fabriqué. Tandis que trois est un chiffre solide ; il a derrière lui d’illustres
précédents (dont certains qu’on vénère). »

LA TRIBUNE, 1ER
OCTOBRE 201014

Avec le temps, les origines sont oubliées et l’objectif devient une loi divine qu’il s’agit de ne
pas transgresser au risque de s’attirer les foudres des dieux, c’est-à-dire l’endettement sans
fin, la récession, la déflation, et tous les maux dont nous menacent les cassandres de
l’économie. Il est intéressant de noter qu’un objectif suffisamment rabâché devient
indiscutable. Gare à celui qui s’aventurerait à le contester en évoquant les opportunités
insaisissables avec un objectif aussi rigoureux, la vox populi aura tôt fait de le ranger dans la
catégorie des béotiens et des inconscients. Ce peut aussi être le cas en entreprise avec des
objectifs imposés par la direction, dont on n’indique ni la raison, ni le mode de fixation, et
que l’encadrement ressasse à l’envi, afin que tout un chacun l’intègre dans son système de
valeurs. « Cette année, il faut tout faire pour augmenter les ventes du produit alpha de 34 % !
» Pourquoi celui-ci et pas un autre ? Comment ce taux a-t-il été choisi ? On n’en saura pas
plus. Avec le temps et le rabâchage, on oubliera ces questions essentielles et la cible
unanime sera bien l’objectif fixé. Les inévitables conséquences néfastes sur les ventes des
autres produits et l’insatisfaction de leurs acheteurs passeront au second plan.
Poursuivons ce thème en restant au niveau des normes européennes avec une seconde
règle dogmatique aux origines fallacieuses : la définition du seuil limite d’endettement fixé
à 90 % du PIB.
Cas pratique
En 2010, deux professeurs d’économie de renom, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, ont démontré, modèle à l’appui, que
plus la dette publique s’accroît, moins il y a de croissance. Par la même occasion, ils ont aussi identifié le seuil fatidique : 90
%. À partir d’un taux d’endettement de 90 % du PIB, nous basculons dans la récession, autrement dit, l’enfer pour nos
économies de marché dont le salut ne repose que sur une croissance significative et constante. Les commissaires
européens se sont d’ailleurs appuyés sur cette étude pour exhorter les gouvernements à l’intensification des politiques

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

d’austérité, que nous subissons depuis le début de la crise financière de 2008. En 2013, Thomas Herndon, un étudiant de
l’université du Massachusetts, a mis en évidence des erreurs grossières dans les formules Excel® de cette étude, dévoyant
totalement la conclusion. Michael Ash et Robert Pollin, professeurs et tuteurs de l’étudiant, ont démontré à leur tour que
les deux économistes, à l’origine de la règle, avaient sciemment omis d’intégrer, dans leur modélisation, des cellules du
tableur pour parvenir à un résultat de croissance négative. Une fois l’étude corrigée, en considérant le même panel de
données, mais en totalité, Michael Ash et Robert Pollin ont conclu qu’un déficit de 90 % entraînait une croissance positive
de 2,2 %. Ce qui n’a pas empêché Olivier Blanchard, alors le chef économiste du Fonds monétaire international (FMI),
d’estimer que le seuil de 90 % d’endettement maximal était un bon objectif. Arbitraire quand tu nous tiens ! 15

1Le titre de chapitre est librement inspiré du constat de George Box (1919-2013) statisticien britannique : « Tous les
modèles sont faux mais certains sont utiles », une formule bien connue des statisticiens et maintenant des data
scientists.
2Nous reviendrons sur ce thème lors de la phase de sélection des indicateurs au chapitre 12.
3Nous développerons un peu plus avant le thème de la stratégie au prochain chapitre.
4En pratique, il s’agit surtout d’éliminer les écarts à la norme.
5De toute façon, comme le rappelle justement Vincent de Gaulejac, la pratique de la qualité en entreprise n’a plus
rien à voir avec l’idéal que pourrait laisser entendre son intitulé « La qualité apparaît non pas comme un outil
d’amélioration des conditions de production mais comme un outil de pression pour renforcer la productivité et la
rentabilité de l’entreprise », issu de son ouvrage La Société malade de la gestion, Points, 2014.
6Citation inspirée de Charles Goodhart : « Once a social or economic indicator or other surrogate measure is made a
target for the purpose of conducting social or economic policy, then it will lose the information content that would
qualify it to play such a role. »
7C’est d’autant plus vrai si les indicateurs ne sont pas trop bien choisis ou ne sont pas équilibrés comme nous
l’avons vu au chapitre précédent.
8« Tell me how you measure me, and I will tell you how I will behave. If you measure me in an illogical way… do not
complain about illogical behavior. »
9http://lemde.fr/2aYj5fv, Le Monde : « Universités : pourquoi le classement de Shanghai n’est pas un exercice
sérieux » (16-08-2016). « J’ai rencontré à Shanghai le monsieur qui avait inventé ce ridicule classement des
universités. Il était seul, dans un petit bureau. Je lui ai dit : vous nous avez pourri la vie » Bruno Latour dans
l’émission La suite dans les idées France culture 21/10/17.
10Il est aussi vrai que l’on ne tranche pas toujours aisément face à une dépense non prévue lors de la phase de
collecte des données. Le coût d’accession à la mesure est-il justifié au vu de l’importance de ladite mesure pour
l’aide au pilotage selon l’objectif poursuivi ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Oui ou non. Voilà la vraie question à
se poser.
11C’est un peu plus difficile, mais c’est loin d’être impossible, Nous étudierons une méthode efficace au terme de la
deuxième partie.
12Il s’agit d’une adaptation à l’entreprise du théorème du lampadaire proposé par Jean-Paul Fitoussi : « Si les
objectifs que la politique économique met en pleine lumière ne sont pas ceux qui importent vraiment pour les
sociétés, nous n’aurons aucune chance de comprendre pourquoi le fait de les avoir atteints ne résout nullement le
problème initial. » Ce théorème est inspiré de l’historiette humoristique : « Une nuit un homme en état d’ébriété
avancé cherche ses clés sous un lampadaire. Un passant serviable se propose de l’aider : vous êtes sûr de les avoir
perdues ici ? Ah bien sûr que non, c’est près de ma porte que je les ai perdues, mais là-bas il n’y a pas de lumière. »
http://lemde.fr/2xntkFr

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

13Les vagues de suicides au Technopôle de Renault et à France Télécom ont marqué les esprits, tout autant que
l’infâme commentaire de Didier Lombard alors PDG de France Télécom après le suicide de 23 salariés en 18
mois : « Il faut marquer un point d’arrêt à cette mode du suicide qui évidemment choque tout le monde. »
(septembre 2009). Voir aussi le film Corporate de Nicolas Silhol (2017). Cette fiction, véritable thriller, cerne
assez justement la question des modes de management par le harcèlement.
14La Tribune : « À l’origine du déficit à 3 % du PIB, une invention 100 % française » (01-10-2010). Un peu
cyniquement, l’auteur avoue s’amuser que ce ratio totalement arbitraire, élaboré sur un coin de table, soit
devenu le mantra de tous les politiques. Ce plaisir n’est pas vraiment partagé par les habitants des pays
d’Europe du Sud (le nôtre y compris) contraints à des coupes budgétaires, notamment dans les services sociaux,
en respect du sacro-saint 3 %.
15Aucun jugement de valeur sur la question de l’endettement dans ce paragraphe. C’est le processus pour parvenir
à un objectif arbitraire et erroné qui est ici mis en évidence. « The Economist: Revisiting Reinhart-Rogoff » (17-
04-2013), L’Expansion :« Reinhart et Rogoff corrigent leurs erreurs de calcul sur l’austérité » (10-05-2013).

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

6.
Mais alors, qu’est-ce donc qu’un indicateur de
performance « utile » ?
C’est un indicateur qui a été soigneusement choisi pour mesurer la progression vers
l’accession à un objectif de performance, lui-même minutieusement sélectionné pour servir
au mieux le projet stratégique. Il est parfaitement adapté aux besoins de l’activité à laquelle
il est destiné. Le manager ou l’équipe qui l’utilisent ont une totale confiance dans
l’information portée par cet indicateur. Ils comprennent cette information bien au-delà de
la seule valeur affichée, et sont donc capables de porter un avis plus complet. C’est cette
connaissance qui leur permettra de prendre les décisions avec une estimation raisonnable
du risque encouru1.
Un exemple trivial pour bien comprendre ce point essentiel de la définition de l’indicateur
de performance utile.
Exemple

Vous écoutez les cours de la Bourse, et le journaliste vous informe que l’action de la société Gamma a grimpé de cinq points
dans la journée. Si la Bourse ne vous intéresse pas, le message a juste traversé vos oreilles sans passer par le cerveau. Il est
oublié à peine entendu. En revanche, si vous êtes un amateur éclairé, boursicoteur à vos heures, vous vous dites peut-être : «
Tiens j’aurais dû m’intéresser à cette valeur, il n’est peut-être pas trop tard. » Enfin, si vous êtes un spécialiste des marchés
financiers, un trader, vous avez lu le dernier rapport financier de l’entreprise Gamma et vous savez que ses perspectives de
développement sont très limitées. Elle risque de rencontrer des difficultés à court terme, et il est temps de vendre cette valeur,
cette hausse n’est qu’artificielle. Les décideurs qui utilisent un indicateur de performance judicieusement choisi sont dans cette
dernière situation. Pour eux, l’indicateur est révélateur d’un sens bien plus complet que ne pourrait le saisir un étranger à
l’activité.

Voyons maintenant encore quelques recommandations pour bien utiliser un indicateur de


performance.

Un indicateur n’est pas une marionnette pour ventriloque


Il est toujours tentant de faire dire à un indicateur de performance ce qu’il ne dit pas. Même
sans chercher à manipuler l’auditoire, on confond facilement l’information donnée par
l’indicateur et l’interprétation qu’on lui prête. Imaginons un indicateur de performance qui
évolue fort peu malgré les actions engagées. En déduire que les membres de l’équipe sont
laxistes ou incompétents est un raccourci un peu rapide. Ce n’est qu’une interprétation
possible. Ce n’est pas en tout cas le message de l’indicateur. D’autres interprétations sont
tout à fait envisageables. Il s’agit peut-être plus prosaïquement d’un manque de moyens,
d’un objectif impossible à atteindre, ou de l’une de ces entreprises aux décisions
stratégiques instables au sein desquelles les objectifs changent en permanence, ou encore

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

pour bien d’autres raisons. L’interprétation de la cause et de ses solutions est du domaine
de l’humain. L’indicateur ne révèle qu’un fait précis, et encore dans un contexte bien
particulier. Rien de plus. À sa lecture, le décideur, ou le groupe de décideurs, juge des
actions les plus opportunes à mettre en œuvre à courte ou moyenne échéance.

L’indicateur unique est un mythe


Je n’ai jamais cru que la grandeur d’un ensemble,
l’ampleur d’une synthèse
puissent dispenser de la vue aiguë et infiniment particulière du détail.

JULES ROMAINS (1885-1972), LES HOMMES DE BONNE VOLONTÉ.

Il est toujours tentant d’intégrer en un unique indicateur de multiples mesures toutes


porteuses d’une information primordiale. On parle alors d’indicateur « synthétique », sous-
entendant ainsi qu’aucune valeur informationnelle ne serait perdue. Il suffirait ensuite de
lire la valeur de cet indicateur pour prendre une décision sans faille. C’est surtout de la
théorie. En réalité un indicateur dit « synthétique » n’est qu’un agrégat de mesures.
Évidemment, l’information de détail portée par les mesures le composant est noyée dans ce
conglomérat nébuleux. Il est difficile d’extraire un quelconque enseignement d’un
indicateur globalisé, si ce n’est à titre de comparaison avec la valeur de l’échéance
précédente. Mais même dans ce cas, il faudra chercher ailleurs les raisons de l’éventuelle
différence constatée.
Et aujourd’hui ?
C’est là le principal défaut de la multiplication des reportings dans les entreprises fortement stratifiées, où les informations, à
force d’être globalisées, ne révèlent plus grand-chose de la réalité d’une situation, une fois présentées sur le tableau de bord
des dirigeants.

Figure 28 : L’indicateur unique : synthèse ou perte de sens ?

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Pour être efficace, un indicateur de performance mérite d’être plus simple, afin non plus de
masquer l’information des mesures le composant, mais bien d’être un révélateur, un
amplificateur du sens. Un indicateur de performance se suffit rarement à lui-même. La
performance n’est pas unidimensionnelle. Pour cela, un indicateur, ou un groupe
d’indicateurs de la même famille, sera contrebalancé par un autre aspect de la
performance, afin de ne pas risquer de piloter avec des œillères. Il s’agit d’adopter un
regard plus large et plus équilibré pour éviter de favoriser un unique aspect de l’activité,
aux dépens des autres aspects ou des autres activités de l’entreprise et de ses partenaires,
ou de ne viser qu’une amélioration de la performance à court terme aux dépens du long
terme.
 Un exemple typique : l’indicateur du PIB
Le PIB augmenterait si la cathédrale Notre-Dame
devait être détruite et remplacée par un parking2.

BERTRAND DE JOUVENEL (1903-1987), ÉCRIVAIN ET POLITOLOGUE.

Un autre point de vue :


Épousez votre femme de ménage et vous ferez baisser le PIB.

ALFRED SAUVY, (1898-1990), ÉCONOMISTE ET DÉMOGRAPHE FRANÇAIS.

Enfin, plus radical :


Le produit intérieur brut (PIB) ne constitue pas un bon outil
pour calculer la croissance et la qualité de vie.
En considérant les mauvais facteurs, nous prenons les mauvaises décisions.

JOSEPH STIGLITZ (1943-), ÉCONOMISTE AMÉRICAIN,


PRIX NOBEL D’ÉCONOMIE 20013.

L’indicateur du PIB mesure la richesse d’un pays4. Controversé à juste titre, ses faiblesses et
ses limites sont en effet de notoriété publique aujourd’hui. Pourtant, c’est toujours le seul
indicateur de référence pour évaluer la santé économique d’un pays. Pour le PIB, la
richesse d’un pays est égale à la valeur ajoutée de sa production globale. Il s’agit donc de
produire, et non de préserver le futur et la qualité de vie. Le calcul du PIB encourage toutes
les actions destinées à accroître la valeur ajoutée. Il défavorise par conséquent la quasi-
totalité des mesures environnementales.
Exemple

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Déboiser une forêt primaire pour planter des palmiers à huile, donne des couleurs à cet indicateur unidimensionnel.
Financièrement parlant, la forêt primaire ne rapporte rien. Elle occupe inutilement un terrain que l’on peut mieux rentabiliser
en cultivant des palmiers à huile, une valeur marchande en pleine expansion, et créer ainsi de la valeur ajoutée.

Si le PIB n’est pas vraiment orienté vers la soutenabilité environnementale, il ne s’intéresse


pas non plus au bien-être des citoyens. D’ailleurs, il n’est pas corrélé avec le revenu moyen
des ménages. Lorsque le PIB croît, le revenu des ménages ne suit pas nécessairement la
même tendance. Dans leur ouvrage Un nouveau monde économique, Éloi Laurent5 et Jacques
Le Cacheux montrent que depuis 2009 le PIB des États-Unis a connu une croissance
significative de 12 %, tandis que le revenu moyen des ménages a décru de 3 % sur la même
période.
En 2008, pour tenter de remédier à ces dysfonctionnements, Nicolas Sarkozy a commandé
un rapport à une commission créée pour l’occasion, et chargée de trouver de nouveaux
indicateurs de mesure de la richesse nationale. Cette commission est pilotée par trois
économistes de renom : Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi. En conclusion, le
rapport préconise justement de multiplier les indicateurs de mesure de la richesse, afin de
compléter et d’équilibrer la mesure de la performance économique, avec une sélection
d’indicateurs de mesure du bien-être et de la soutenabilité du développement6.
 Il ne s’agit pas pour autant de multiplier les indicateurs inconsidérément
Il n’y a rien de plus facile que de construire un indicateur de performance qui ne mesure
pas grand-chose, en tout cas sans grand rapport avec la stratégie. On ne manque pas de
sources d’inspiration, c’est peu dire. Le réflexe le plus courant sera de piocher dans des
listes d’indicateurs types, elles circulent sur l’internet, et d’intégrer les plus faciles à
construire. Plus simple encore, depuis deux bonnes décennies, les outils informatiques de
gestion ont pris une telle place dans le quotidien de nos entreprises, qu’ils s’insèrent même
dans la construction de notre système de pilotage de la performance et fournissent, sans
qu’on leur demande quoi que ce soit, des indicateurs de performance « prêts à l’emploi ».
Pourquoi ne pas en profiter ? Ce sont des informations utiles, non ? Eh bien, non.
Et aujourd’hui ?
Partir du postulat généralement admis que nous ne sommes jamais trop informés est une grave erreur. L’excès d’informations
tue l’information.

Déjà en 1971, Herbert Simon, prix Nobel d’économie 1978 et spécialiste de la décision,
mettait en garde sur les méfaits de l’abondance d’informations comme dévoreuse de
l’attention7. Plus on a accès à de l’information moins on dispose d’un capital d’attention à
accorder à chacune. C’est donc bien d’une raréfaction de l’attention que nous sommes les
victimes, et non d’un manque d’informations. Donc non, cent fois non, il ne faut surtout pas
surcharger nos tableaux de bord d’indicateurs sans rapport avec la stratégie poursuivie.
Ces indicateurs superfétatoires n’apportent pas d’informations complémentaires. Ils ne
font que consommer inutilement une attention, qui serait bien mieux utilisée, en étant
totalement focalisée sur les quelques indicateurs étroitement liés aux objectifs tactiques. Ils
risquent d’ailleurs de nous détourner de nos préoccupations, c’est-à-dire des objectifs
poursuivis.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

 À moins qu’il ne s’agisse d’indicateurs « équilibrés »


Il est toutefois utile d’ajouter des indicateurs lorsque ceux-ci complètent et enrichissent la
compréhension de la performance au sens des objectifs fixés. Deux exemples triviaux.
Exemples

 Pour réussir dans les délais les projets dont il a la charge, un manager pourrait être tenté de recourir
abusivement à la sous-traitance. Il risque alors de faire exploser le budget consacré aux projets. Sur son tableau
de bord, l’indicateur des dépenses est alors utilisé pour rééquilibrer les indicateurs d’avancement des projets. Ce
premier exemple est un classique, on ose espérer que tous les managers de projets procèdent ainsi.
 Le manager pourrait aussi être tenté de mettre la pression sur ses équipes, en les poussant à produire sans cesse
et sans jamais observer un moment de repos, quitte à multiplier les heures supplémentaires. Ce n’est efficace
qu’un temps. La fatigue aura tôt fait de substituer la lassitude à l’enthousiasme. Sur le tableau de bord de ce
manager, il sera ainsi utile d’associer, à l’indicateur d’avancement des projets, un indicateur évaluant le moral et
l’enthousiasme des membres de l’équipe. Ce second indicateur est moins facile à réaliser. Les retards, les
absences justifiées ou non justifiées, la multiplication des erreurs, les velléités de changement d’équipe, sont
déjà une première série d’informations de premier choix. La capacité à trouver de bonnes idées, et à résoudre
les problèmes du quotidien, les simplifications opportunes, et le sens du partage et de la communication au sein
de l’équipe, sont une seconde série d’informations, là aussi de premier choix, pour bâtir cet indicateur.
En tout cas, c’est ainsi que l’on mesure la performance. On suit l’avancement vers un
objectif, un objectif de délai de réalisation des projets dans ce cas, tout en prenant garde
aux conditions de son accession, les budgets et le moral des équipes pour cet exemple.
Aide-mémoire pour les managers de projet8

 Si vous voulez être plus productif (indicateur de productivité),

 respectez vos délais (indicateur d’avancement),

 tout en prenant soin de bien faire (indicateur qualité),

 assurez-vous de maîtriser vos dépenses (indicateur de coûts),


 et que tout le monde y prenne plaisir (indicateur de satisfaction des membres de l’équipe), c’est le minimum
à suivre.

 Il ne s’agit pas non plus de fuir tous les indicateurs globalisés


Un indicateur globalisé est utile lorsqu’il est parfaitement ciblé sur un aspect précis de la
performance, et que sa composition est connue et accessible. L’indicateur TRS, (taux de
rendement synthétique) utilisé dans la production industrielle, mesure le taux d’utilisation
d’une unité de production. C’est un bon outil de benchmark pour se comparer à d’autres
équipements de même nature ou à des périodes antérieures. On connaît parfaitement la
composition de cet indicateur. Il est en effet construit à partir de trois autres ratios, chacun
ciblé sur un aspect précis de la production : taux de pannes, temps d’arrêt, problème
qualité, baisse de rendement etc. C’est pourquoi, si l’on note une variation significative de
l’indicateur global TRS, l’explication est immédiatement disponible9. Le tableau de bord est
conçu en conséquence et offre d’un simple clic, un accès à la vue de détail. Mais pour

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

qualifier une variation significative, encore faut-il éclaircir la question du degré de


précision acceptable de l’indicateur.

Quelle précision choisir ? Affiche-t-on ou n’affiche-t-on pas les


décimales ?
Les nombres arrondis
sont toujours faux.

SAMUEL JOHNSON (1709-1784), ÉCRIVAIN BRITANNIQUE.

Trop de précision tue l’indicateur, dit-on. Il est vrai qu’un indicateur s’apprécie
généralement en termes plutôt subjectifs. L’indication portée est en écho avec notre propre
échelle de valeurs concernant le thème de mesure. Un chiffre bien trop précis risque plus
de nous perturber que de nous informer. En revanche, ce raisonnement n’est pas applicable
dans toutes les situations. Par conséquent, il ne s’agit pas d’arrondir toutes les mesures,
toutes les données avant de les agréger. On risque dans ce cas de fausser totalement
l’information synthétique résultante.
Voyons dès à présent trois anecdotes pour redonner un peu de lustre aux décimales :
 L’escroquerie des centimes
Supprimer toutes les décimales des nombres utilisées dans un calcul, plutôt que se
contenter de n’arrondir que le résultat final, est une technique d’escroquerie assez
classique. Un employé comptable peut ainsi avoir l’idée, malhonnête bien sûr, de virer sur
son compte personnel tous les centimes des paiements lui passant entre les mains. Le bilan
final est présenté uniquement avec des résultats arrondis à l’euro près, donc sans aucune
décimale. Il ne prend pas le risque de voir sa manipulation indélicate éventée trop
rapidement, et s’enrichit à bon compte. C’est un cas d’école. Cette technique d’entourloupe
est appelée « salami slicing ».
 L’orbite circulaire des planètes
Au XVIe siècle, il était de notoriété publique que toutes les planètes avaient nécessairement
une orbite circulaire autour du soleil. Comment pourrait-il en être autrement ? De création
divine, les astres étaient ainsi conformes au modèle circulaire et à la sphère, symbole de la
perfection depuis Aristote. Selon les astronomes de l’époque, les quelques minutes d’arc
d’erreur relevées lors de l’observation de l’orbite de Mars, notamment par l’astronome
danois Tycho Brahe (1546-1601), étaient vraisemblablement dues à l’imprécision des
instruments et des techniques de mesure. Johannes Kepler (1571-1630) étudia à son tour
l’orbite de Mars en exploitant les mesures relevées par Tycho Brahe. Il ne put que parvenir
à la seule conclusion qui s’imposait : cette erreur n’en était pas une. Dans ce cas, les
planètes n’adoptent pas une orbite circulaire, mais bien elliptique dont le soleil est l’un des
foyers. C’est la première loi de Kepler. « Scire est mensurare », Savoir c’est mesurer était la
devise de Johannes Kepler. Qui pourrait affirmer le contraire ?

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

 L’énigme de la quadrature du cercle enfin résolue


Le nombre π est par définition le rapport entre la circonférence d’un cercle et son diamètre.
Irrationnel de nature, il comporte donc un nombre de décimales infinies, ce qui ne facilite
pas les calculs. La question de la quadrature du cercle a longtemps occupé les esprits
scientifiques avant d’admettre son insolubilité. Il est donc impossible de trouver un carré
occupant la même surface qu’un cercle donné. Pourtant, en 1897, un mathématicien
amateur de l’État d’Indiana (États-Unis) a tout de même trouvé la solution. Il suffit d’utiliser
une valeur de π arrondie. Pourquoi s’embêter avec des décimales sans fin alors que, par la
loi, on peut fort bien fixer une valeur de π parfaitement utilisable ? Il a donc été décidé que
la loi de l’Indiana fixerait dorénavant la valeur de π à 3,2. Cette solution présente en effet
une multitude d’avantages. Les collégiens auraient sûrement apprécié la simplification des
calculs de trigonométrie. La loi a été officiellement soumise au sénat. Sans l’intervention
salutaire d’un vrai mathématicien, elle était votée10.

Figure 29: L’énigme de la quadrature du cercle… résolue ?

La question de la précision des mesures est aussi une question de bon sens. Chacun dans
son métier connaît en général suffisamment la « chose » mesurée, pour estimer la précision
nécessaire, afin d’en apprécier toute la substance. C’est aussi une question de tolérance
d’acceptabilité. Quel degré de variation de la mesure peut-on qualifier de négligeable ? Si
pour une mesure donnée, les décimales ne modifient en rien le sens porté par la valeur, on
peut effectivement les supprimer à l’affichage. Pour mémoire, une mesure est toujours une
comparaison à un étalon servant d’unité avec une précision fixée et connue.

Un tableau de bord n’offre qu’une vision réductrice de la réalité


Comme l’indique la définition mentionnée en introduction du chapitre précédent, un
indicateur de performance pointe sur un aspect précis de la performance. Un tableau de
bord bien conçu présente un ensemble cohérent d’indicateurs équilibrés. Ces indicateurs
sont soigneusement choisis en fonction des objectifs de performance poursuivis, du
contexte de l’activité et des besoins du manager, ou de l’équipe chargée de les atteindre.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme universels et utilisés à d’autres fins que
la poursuite des objectifs de performance fixés. Il s’agit effectivement d’une vision partielle
et réductrice de la réalité, mais parfaitement orientée pour les besoins bien spécifiques du
manager ou de l’équipe. Ainsi pour reprendre le titre de ce chapitre, les quelques
indicateurs utiles sont ceux qui ont été minutieusement choisis, tels que décrits ici 11 et
comme nous l’approfondirons au prochain chapitre.

1Le choix des objectifs et des indicateurs de performance sera le sujet du prochain chapitre.
2Cette citation et la suivante ont été rapportées par Patrick Viveret et Olivier Pastrée au cours d’une émission assez
ancienne de la série « l’Économie en questions » sur France Culture.
3Source : Revue Bilan (21-01-2016). Le PIB est désormais obsolète, selon Joseph Stiglitz.
4Désormais, le trafic de drogue est intégré dans le calcul du PIB français. D’autres pays européens intègrent aussi la
prostitution (source La tribune 31-01-2018). Même si ces formes de « création de richesse » bien peu éthiques
redonnent des couleurs à l’indicateur phare, on peut sérieusement douter de la précision de la mesure.
5Éloi Laurent, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), co-auteur en 2015 de
l’ouvrage Un nouveau monde économique, Mesurer le bien-être et la soutenabilité au XXIe siècle, chez Odile Jacob.
6Pour le lecteur intéressé par cette étude qui déborde un peu de notre sujet, l’Insee a publié un rapport à
télécharger : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1372481?sommaire=1372485. Lire aussi l’excellent petit
guide de la collection Repères des éditions La Découverte : Les Nouveaux Indicateurs de richesse de Jean Gadrey
et Florence Jany-Catrice, 4e édition 2016.
7« Designing Organizations for an Information-Rich World » in : Martin Greenberger, Computers, Communications,
and the Public Interest, Baltimore. MD : The Johns Hopkins Press, 1971, pp. 40–41
http://en.wikiquote.org/wiki/Herbert_A._Simon. Une récente étude menée auprès de 32 000 salariés révèle que
« Devoir traiter des informations complexes et nombreuses » est un facteur majeur de stress voire d’hyperstress
(sic). http://www.stimulus-conseil.com/wp-content/uploads/2017/11/Observatoire-Stress-novembre-
2017.pdf
8Un principe classique, repris d’ailleurs par les techniques de management de projet agiles.
9http://tb2.eu/p1
10https://en.wikipedia.org/wiki/Indiana_Pi_Bill
11Un modèle est une tentative de représentation partielle d’un environnement complexe afin de mieux le
comprendre. Un modèle est nécessairement simplificateur. Il est donc faux vis-à-vis de la réalité. En revanche, il
est utile pour étudier des aspects bien précis de cette même réalité. D’où la pertinence de la formule de George
Box déjà mentionnée au chapitre précédent ; « Tous les modèles sont faux mais certains sont utiles. », Un tableau
de bord bien conçu, composé d’indicateurs judicieusement choisis, est une modélisation bien utile pour évaluer
la performance selon les orientations choisies.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

DEUXIÈME PARTIE
COMMENT Y REMÉDIER : LA DÉMARCHE

Où l’on déroule chacune des sept étapes depuis la conception de la stratégie jusqu’à la prise de
décision en traitant en particulier les points délicats comme le choix des objectifs de
performance, la pratique de la confiance et de la reconnaissance et les spécificités de la
décision en équipe.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

7.
Tout bien réfléchi, ce n’est pas bien compliqué : pour
suivre un indicateur de performance, encore faut-il en
avoir envie…

« Ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités,


sont ceux qui croient à la réalité de leurs désirs. »

SLOGAN DE MAI 68.

Une vision d’avenir qui mérite d’être rééquilibrée :


« Le problème est la réalité,
parce que nous ne faisons pas ce que nous voulons,
nous faisons ce que nous pouvons dans les limites de la réalité. »

JOSÉ MUJICA (1935-), EX-PRÉSIDENT DE L’URUGUAY1.

Pour développer la démarche de conception et de mise en œuvre d’un système de mesure


de la performance, nous nous appuierons sur l’expérience acquise auprès des entreprises
les plus finaudes, celles qui ont bien compris que l’intelligence cumulée était bien plus
profitable que la compétition individuelle. La réussite du projet repose sur les deux notions
essentielles que sont la confiance et la reconnaissance. Sans instaurer un climat de
confiance et une culture de la reconnaissance, on ne parviendra pas à dynamiser la prise de
décision seul ou en équipe. C’est pourtant bien là la finalité d’un système de mesure de la
performance. Dans un environnement complexe et incertain, il vaut mieux être armé pour
prendre sans attendre les décisions ad hoc au plus près du terrain, là où est l’information, là
où se déroule l’action. Les systèmes ultra-centralisés considérant les humains de
l’entreprise comme des automates bien programmés, qu’il s’agit toutefois de contrôler, sont
totalement inadaptés. Même en un environnement plus paisible, l’entreprise traditionnelle
ne fonctionne pas uniquement grâce à ses rouages bien huilés de procédures et de normes.
De multiples problèmes apparaissent au quotidien. Ils sont résolus en silence par ceux qui
prennent les initiatives qui s’imposent. Dans un contexte plus chahuté, soumis en
permanence à la dictature de l’aléa, les salariés sont contraints de prendre le risque d’aller
au-delà des normes, des procédures et des méthodes, pour accomplir leurs missions dans
les meilleures conditions. Autant simplifier leur tâche en bâtissant un système de mesure
de la performance facilitant l’appréciation des risques pris. Une décision en un contexte
incertain est toujours une prise de risques.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Bâtir le système de mesure de la performance, une démarche


typique
Étudions dès à présent, étape après étape, les principes de la construction d’un système de
mesure de la performance exclusivement conçu pour faciliter l’aide à la décision. Mais
commençons par une mise au point avant d’entrer dans le vif du sujet.
 Qu’est-ce que la performance ?
Théoriquement, la performance s’exprime selon deux dimensions spécifiques : l’efficience
et l’efficacité. L’efficience, c’est exploiter du mieux possible les moyens disponibles. Tandis
que l’efficacité, c’est agir pour atteindre les objectifs fixés. L’un ne va pas sans l’autre, même
s’il est vrai que dans les entreprises et les organisations publiques l’on a tendance à
privilégier l’efficience aux dépens de l’efficacité.

Figure 30 : Le triangle théorique de la performance

Plus concrètement, le ratio service rendu/coûts semble la définition la plus couramment


utilisée aujourd’hui pour exprimer la performance. Le dénominateur coût étant plus facile à
travailler que le numérateur service rendu, il ne faut pas être surpris de ne plus être
surpris. Cette manière d’aborder la question de la performance, satisfaisante sur le plan
économique à court terme, est un véritable castrateur de l’inventivité et de l’innovation. Le
petit brin de folie, qui fait de nous des humains créateurs, se trouve ainsi mis à mal par une
rationalisation extrême.
Et aujourd’hui ?
C’est le principal danger actuellement. Il vaudrait mieux éviter de laisser le monde passer aux mains des dévots de la
rationalisation et autres pisse-froid.

La performance n’est pas une notion universelle. Son expression même est étroitement liée
au but poursuivi.
Exemples

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

 Pour un coureur de fond, la performance s’exprime en dixièmes de seconde, pour un sauteur à la perche, elle se
traduit en centimètres.
 Pour une entreprise de ventes en ligne, qui fait le pari de la livraison en 24 heures chrono, la performance
prendra alors plusieurs aspects. Le temps évidemment, depuis la prise de commande jusqu’à la livraison client,
mais aussi la précision et le soin de la préparation des commandes, la juste optimisation de la gestion des
approvisionnements, tout comme l’harmonie des relations avec l’ensemble des partenaires et sous-traitants
intervenant dans la chaîne vue dans sa globalité. Le confort d’utilisation du site Web et la qualité du service de
réclamations sont aussi à prendre en compte.
En creusant un peu, on trouvera vraisemblablement bien d’autres formes que prend la
performance pour servir cette finalité stratégique. La performance est le pur produit de la
stratégie, dans le sens où, plus on l’améliore, plus on accroît ses chances d’accomplir ladite
stratégie, et donc d’en récolter les fruits.
Pour être plus complet et plus théorique à la fois, précisons s’il était nécessaire, que la
notion de performance se décline aussi selon les intérêts spécifiques de l’ensemble des
parties prenantes que sont : les actionnaires, les clients, les salariés, les partenaires et les
sous-traitants, le public et sans oublier toutes les questions liées à l’environnement et au
développement durable. Voilà pour la dimension idéale et vertueuse de la performance, le
but à atteindre sans aucun doute. Mais la réalité est encore tout autre et bien du chemin
reste à parcourir.

Figure 31 : Les axes de performance théorique

Nul besoin de longues démonstrations pour noter, que, hormis quelques cas exceptionnels
toujours cités en exemple dans la presse spécialisée, la large majorité des entreprises
considèrent encore aujourd’hui la question de la création de valeur uniquement dans sa
dimension la plus sommaire, celle susceptible de générer un profit immédiat. La
performance au sens de l’actionnaire est la raison d’être de bien des entreprises. Hormis les
clients, source directe de rentabilité, l’intérêt spécifique des autres parties prenantes, y
compris les salariés et les partenaires, est encore jugé comme négligeable.
C’est dit !

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Bien qu’il semble aujourd’ui évident qu’une éthique responsable et respectueuse de l’environnement et de la société soit
désormais un enjeu stratégique, les dirigeants sont encore bien trop peu nombreux à envisager l’avenir de leur entreprise en ce
sens2. Les opérations marketing de « greenwashing » et les falsifications des plus grands fabricants automobiles sont là pour
nous rappeler que ces questions essentielles aux yeux du public ne sont pas des priorités pour tout le monde 3.

 La démarche
Il existe plusieurs méthodes pour bâtir un système de tableaux de bord avec suffisamment
de singularités, pour que chacun puisse effectuer un choix raisonnable, selon son besoin et
son approche de la problématique. La démarche proposée ici présente l’intérêt d’être
totalement orientée vers la prise de décision effective sur le terrain. C’est bien là la finalité
d’un système de mesure de la performance conçu pour une organisation réactive4.

Figure 32 : La démarche pour bâtir le système de mesure de la performance pour un pilotage réparti

• S comme Stratégie « Où souhaite-t-on aller ? »


Définition d’une stratégie raisonnable et raisonnée.
• O comme Objectif tactique « Comment agir sur le terrain ? »
Déploiement de la stratégie et donc choix des objectifs tactiques.
• C comme Confiance « Si je m’engage, est-ce que la direction et le management s’engagent
aussi ? »
C’est la première condition de réussite du projet qui mérite d’être traitée comme une étape
fondamentale du projet.
• R comme Reconnaissance « Mais qu’est-ce que je gagne à me défoncer ? »
C’est la seconde condition de réussite du projet.
• I Comme Indicateur de performance « Quel outil de mesure de la performance choisir
pour une aide au pilotage ? »
Sélection des mesures et construction des indicateurs de performance.
• D comme Décision « Comment prend-on les décisions en entreprise ? »
Un point sur la prise de décision, l’appréciation du risque et le droit à l’initiative.
• E comme décision en Équipe « La prise de décision en équipe est-elle toujours
consensuelle ? »
Une démarche pratique pour parvenir à une décision collective construite.

Ce chapitre suit un déroulement méthodique et donc didactique et nous traiterons dans


l’ordre chronologique chacun de ces sept temps.

1Interview donnée à la BBC en décembre 2014 : « El problema es la realidad porque no hacemos lo que queremos,
hacemos lo que podemos dentro del margen de la realidad. »
2Selon le sondage Medef/Viavoice du 28 août 2017, seulement 12 % des chefs d’entreprise et 10 % des salariés
consultés imaginent que l’entreprise d’après demain sera : responsable, soucieuse de l’environnement,

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

transparente et à l’écoute de ses clients et des différentes parties prenantes. Baromètre Les chefs d’entreprise et
l’avenir (www.medef.com).
3Sans être trop cynique pour autant, on peut effectivement douter que les questions de non-respect de
l’environnement ou de la plus simple éthique soient vraiment gênantes du strict point de vue économique. Au
cours de l’année 2016, les ventes de véhicules de la marque Volkswagen ont battu des records malgré le «
dieselgate » pourtant dénoncé à la fin de l’année 2015. Capital : « Ventes de VW au niveau record de 10,3 millions
d’unités en 2016 » (10-01-2017).
4Cette étude s’inspire de la méthode Gimsi, une démarche de conception des tableaux de bord de pilotage qui
privilégie les acteurs de terrain. Elle est d’une portée suffisamment généraliste pour être utilisée dans la plupart
des secteurs privés ou publics. Voir http://tb2.eu/p9

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

8.
Tout commence (normalement) par l’élaboration
d’une stratégie raisonnable et raisonnée, et donc
pertinente

« On sait bien que le programme le mieux étudié


ne se réalisera jamais exactement !
Les prévisions ne sont point des prophéties.
Elles ont pour but de réduire la part de l’imprévu. »

HENRI FAYOL (1841-1925), ADMINISTRATION INDUSTRIELLE


ET GÉNÉRALE, 1916.

Sans pour autant proposer un traité de conception de la stratégie qui dépasserait les
ambitions de cette étude, attardons-nous à détruire quelques-unes des principales idées
reçues. Elles risquent en effet de détourner les dirigeants peu initiés à cette science de la
réelle problématique du devenir de l’entreprise. Pour mémoire, une large majorité
d’entreprises ne prennent pas le temps de construire une stratégie durable, et se
contentent de fonctionner au jour le jour, de copier les quelques leaders du secteur
concerné et, parfois même plus grave encore, de se fourvoyer dans des investissements peu
réfléchis. Puis, nous étudierons un cas pratique, et nous recentrerons notre étude sur la
question du déploiement qui est étroitement liée à celle de la prise de décision sur le
terrain.

Mais qu’est-ce donc que la stratégie ?


Pour Alfred Chandler, économiste, « La stratégie, c’est l’acte de déterminer les finalités et les
objectifs fondamentaux à long terme de l’entreprise, de mettre en place les actions et d’allouer
les ressources nécessaires pour atteindre lesdites finalités » (1962).

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 33 : Qu’est-ce que la stratégie ?

 La stratégie, ce n’est pas se préparer à la guerre…


Ce n’est donc pas en abordant la question de la stratégie comme une déclaration de guerre
à la concurrence que l’on parviendra à élaborer un programme de développement
profitable. Les salariés ne sont pas des fantassins, la main sur la couture du pantalon,
attendant d’exécuter les ordres reçus sans discuter, prêts à donner leur vie pour la bonne
cause. Dans un monde complexe et changeant, ce n’est pas vraiment le modèle
organisationnel à suivre. La solution sera plutôt du côté du développement de l’intelligence
collective que de l’obéissance aveugle à un chef de guerre ainsi désigné. Par ailleurs, la
stratégie ne se résume pas à la seule dimension belliqueuse. La stratégie, c’est aussi
construire des alliances, rechercher des complémentarités ou encore découvrir des
marchés libres de concurrence comme le démontrent W. Chan Kim et Renée Mauborgne,
auteurs du livre Stratégie Océan Bleu1. On va donc laisser les mémoires de Clausewitz aux
amateurs de l’histoire militaire et de ses grandes batailles2.
 La stratégie, ce n’est pas suivre les leaders médiatiques…
On peut aussi être tenté de s’inspirer des leaders du marché, ceux qui ont déjà atteint le
haut du podium et se parent de la couronne de laurier des vainqueurs. Ces cas méritent
d’être étudiés. Il y a vraisemblablement des pistes à creuser, mais sans trop perdre de
temps. Les récits épiques de leurs réussites sont truffés d’omissions. Aussi grands stratèges
que soient leurs dirigeants médiatiques, ils ont fatalement fait bien des erreurs et leur
parcours est un peu plus chaotique que ce que cherchent à nous en dire les chansons de
gestes relatant leur légende. Les sagas Amazon, Ikea, Apple, Google, Zara ou Free, contées à
l’envi, seraient intéressantes si les inévitables écueils et la manière de les surpasser étaient
détaillés. Ce n’est jamais le cas3.
 Corollaire évident : la stratégie ce n’est pas copier les autres
Ce n’est pas parce que l’entreprise « THE BEST » a réussi qu’il suffit de la copier pour
réussir à son tour. Une stratégie gagnante fonctionne dans un contexte bien spécifique.
Chaque entreprise est unique, elle s’est construite selon une histoire qui lui est propre. Ses
collaborateurs, chargés de concevoir et de déployer la stratégie, ont développé une culture
originale qui s’est concrétisée en une volonté de réussir largement partagée. Et enfin, on ne

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

connaît pas les obstacles qu’elle a rencontrés, on ne sait pas comment elle a adapté son
plan d’origine.
En résumé

Le plus important est dans les détails, et comme on ne connaît pas les détails on ne voit pas ce qui est important. Ce qui a réussi
chez l’un ne fonctionnera pas nécessairement chez un autre.

La stratégie, ce n’est pas cocher une check-list pour ressembler au modèle
idéal…
De toute façon, la stratégie est une affaire très personnelle et, malgré la croyance durable
dans le monde du management, il est préférable d’éviter de se fier aux listes de critères
qu’il suffirait de remplir pour réussir immanquablement. Il n’existe pas de modèle
d’entreprise parfait à copier en tout point pour réussir sans coup férir. Les prix Qualité de
type EFQM, Malcolm Baldrige, ainsi que toutes les déclinaisons régionales, sont très «
modestement » dénommés « modèles d’excellence » par leurs promoteurs. Ils colportent
cette légende de l’organisation idéale.
Le prix de l’excellence ou le miroir aux alouettes ?

S’il existe un ouvrage qui a marqué l’univers du management durant les décennies 1980 et 1990, c’est bien Le Prix de
l’excellence de Tom Peters et Robert Waterman. Ce livre est très rapidement devenu un des best-sellers internationaux les
plus importants du management. L’ouvrage, traduit en différentes langues, a été vendu à plusieurs millions d’exemplaires.
Les deux auteurs étaient alors consultants chez Mac Kinsey. Après avoir étudié une multitude d’entreprises leaders de leur
secteur, ils ont identifié les huit règles de management stratégique qui font la différence. C’est là le thème de ce livre. Bien
que bon nombre d’entreprises citées comme exemples à suivre aient connu des déboires (Delta Airline, IBM…), voire des
faillites, le livre a tout de même perduré durant des années comme ouvrage incontournable, un « must-read » pour des
générations de managers en herbe. En 2001, pour le vingtième anniversaire de la publication, Tom Peters a fait quelques
confidences. Il a révélé avoir inventé une bonne part des données recueillies, contraint quelque part par son cabinet qui
exigeait impérativement des données quantifiées. Il a aussi avoué avoir rédigé les huit principes du livre sur un coin de table
quelques heures avant de les présenter au cours d’un séminaire commercial pour lequel il n’avait rien préparé de
suffisamment concis. Il est bon de reconnaître à la décharge des deux auteurs que les huit règles sont portées par le bon
sens, et c’est vraiment là la recette du succès du livre !4

 La stratégie, ce n’est pas adorer les gourous…


La stratégie a aussi ses « gourous » dont la moindre parole fait loi. Il est vrai qu’ils
détiennent le talent de réduire la complexité à une formulation en quelques points de bon
sens, résumés à l’aide de schémas d’une simplicité enfantine. Leurs travaux et réflexions
sont de bons instruments d’initiation et de formation tant que l’on ne prête pas des vertus
magiques aux outils ainsi exposés. Par ailleurs, la plupart des études s’appuient sur
l’expérience d’entreprises de taille respectable, multinationales pour la plupart. Rien ne
démontre que les méthodes, outils et approches, sont déclinables au niveau de la PME. Pour
mémoire, 99,9 % des entreprises françaises sont des PME5.
Enfin, les conseilleurs ne sont jamais les payeurs…
Lorsque les gourous appliquent leur recette miracle...

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Bien que datant des années 1980, la théorie de l’avantage compétitif de Michael Porter, maître à penser de la stratégie, est
toujours un incontournable des formations en management. Le modèle des cinq forces 6, notamment, synthétise la
problématique concurrentielle d’une entreprise. Le succès de ce graphique est vraisemblablement dû à sa simplicité. Farce
de l’histoire, la société de conseil Monitor Group, fondée par Michael Porter et un aréopage de professeurs émérites de
Harvard, a fait faillite en 20127. C’est au pied du mur que l’on reconnaît le maçon, dit-on…

 La stratégie, ce n’est pas une chasse gardée de la direction


L’approche de la conception de la stratégie, habituellement préconisée par une large
majorité d’ouvrages, réserve son élaboration à un étroit cénacle de dirigeants qui, tels les
dieux de l’Olympe, décident du devenir de l’ensemble des salariés-sujets. Des techniques
d’accompagnement du changement pour le moins aléatoires et l’autoritarisme d’une
organisation pyramidale séculaire seront ensuite suffisants pour faire avaler la pilule,
lorsque les objectifs stratégiques trop ambitieux s’avéreront peu mobilisants. Les salariés
ne sont pas toujours informés de la stratégie suivie. Ils se contentent de grands principes
tels que : « le sens du service client, l’esprit d’équipe, l’initiative, l’innovation, l’intégrité, la
transparence, le respect, l’honnêteté etc. ». Ces valeurs ainsi claironnées ne prêtent pas à
discussion tant elles sont triviales. Elles ne sont choisies que dans un esprit de propagande,
aux fins de motivation des équipes et de promotion auprès des clients. Mais personne n’est
dupe.
 La stratégie, ce n’est pas que la conception, c’est aussi le déploiement
Il ne faut pas s’étonner si la plupart des stratégies, aussi soigneusement élaborées soient-
elles, échouent lamentablement lors du déploiement. Il y a déjà quelques années, Robert S.
Kaplan, cocréateur du Balanced Scorecard, tableau de bord prospectif en français8, estimait
que 90 % des stratégies ne passaient pas la phase de déploiement. Il se fondait sur une
large étude internationale réalisée par la Harvard Business School. Il y a peu de chances
que le constat soit très différent aujourd’hui.
Et aujourd’hui ?
Pour la très large majorité des entreprises, un fossé d’une profondeur insondable maintient une frontière infranchissable entre
les dirigeants qui définissent et planifient la stratégie, et les femmes et les hommes de terrain chargés de la mettre en œuvre.

Le schéma typique est assez simple sans pour autant être caricatural. D’un côté les
opérationnels sont tenus d’atteindre des résultats toujours plus ambitieux, tout en
respectant une avalanche de procédures, de règles et de normes souvent inapplicables.
Contraints par des objectifs flous et productivistes, ils ne voient pas toujours le lien avec la
stratégie de l’entreprise. De l’autre côté du fossé, les tenants du pouvoir trop loin des
réalités sont méfiants. Ils multiplient alors les reportings, s’imaginant récupérer ainsi les
informations essentielles pour s’assurer de la parfaite exécution des plans. Peine perdue.
Le sandwich à « rien du tout »

Pour décrire de façon imagée ce fossé isolant la direction de l’exécution, Nilofer Merchant 9, spécialiste de stratégies
collaboratives, utilise la métaphore de « l’air sandwich ». Un air sandwich, c’est un sandwich à « l’air », fourré au « vide ». La
tranche de pain supérieure, ce sont les décideurs. Ils sont dans la stratosphère. Leur altimètre ne descend jamais en
dessous de 20 000 pieds. Ce sont eux qui choisissent les orientations et bâtissent les plans. La tranche de pain inférieure, ce

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

sont les exécutants confrontés aux réalités du terrain. Entre les deux, une couche d’air, le vide. Tout ce qui fait un sandwich
est inexistant. La tranche de jambon, la salade, la rondelle de tomate, la mayonnaise, les cornichons, bref la consistance et
la saveur du sandwich, ce sont les échanges, les retours les rencontres pour partager l’expérience. Les organisations
manquent cruellement d’une compréhension partagée indispensable pour atteindre les résultats nécessaires.

Une personne totalement étrangère au monde de l’entreprise, peu au fait de ses pratiques
et de ses conventions, sera vraisemblablement étonnée de constater cette appropriation
unilatérale du pouvoir aboutissant au paradoxe suivant : « Ceux qui sont chargés
d’appliquer le plan stratégique ne sont pas censés participer activement à son élaboration, ne
serait-ce que pour préciser les subtilités du déploiement. »
Et aujourd’hui ?
Dans un contexte économique aux mutations rapides tel que le nôtre, on peut aisément prendre conscience que les
opérationnels sont justement les plus qualifiés pour ajuster au mieux si ce ne sont les grandes lignes ce sera au moins les détails
de mise en œuvre de la stratégie.

Les déploiements stratégiques ultra-dirigistes où la direction distribue les consignes, fixe


les objectifs et contrôle régulièrement pour s’assurer que tout se déroule comme prévu,
devraient en toute logique avoir fait leur temps. Les avalanches d’imprévus sont désormais
le quotidien des entreprises et le pouvoir égocentrique des directions absolutistes est
difficilement accepté par des salariés demandeurs de relations plus simples et plus
égalitaires. On exige qu’ils s’engagent, ils demandent donc de participer. Quoi de plus
naturel ?

En fait, une bonne stratégie est le fruit d’une démarche


coopérative
Sans rejeter en bloc la théorie et les outils, ce qui serait une pure absurdité10, il est prudent
de recadrer la démarche stratégique selon un principe de coopération largement étendue.
Autant profiter à fond du capital d’expérience et d’idées disponibles au sein même de
l’entreprise. Confronter les approches et les points de vue des salariés de l’entreprise est en
effet le meilleur moyen de dénicher les pistes les plus porteuses.
L’idée n’a rien de révolutionnaire. Henri Fayol dans son ouvrage de référence propose déjà
une ébauche de démarche coopérative11 :
La citation qui interpelle
« L’étude des ressources, des possibilités d’avenir et des moyens à employer pour atteindre le but, appelle l’intervention de
tous les chefs de service dans le cadre de leurs attributions ; chacun apporte dans cette étude le concours de son
expérience avec le sentiment de la responsabilité qui lui incombera dans la réalisation du programme. Ce sont là
d’excellentes conditions pour qu’aucunes ressources ne soient négligées, pour que les possibilités d’avenir soient évaluées
avec courage et prudence, et pour que les moyens soient bien adaptés au but. »

HENRI FAYOL, ADMINISTRATION INDUSTRIELLE ET GÉNÉRALE, 1916.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

En pratique, la technique n’est pas d’une difficulté insurmontable. Il suffit d’organiser des
rencontres croisées, où l’on invite les salariés à confronter leur point de vue depuis
l’exercice de leur métier. Au cours de ces séances, on les incite chaudement à écouter leurs
collègues s’exprimer. Puis, l’on réfléchit et l’on analyse en commun les avis et suggestions.
C’est dans ce contexte que l’on exploite au mieux de leurs possibilités les outils de la
stratégie. Les membres du service commercial, du support technique et du service client,
sont les mieux placés pour indiquer au reste de l’assemblée les attentes des clients. Dès que
l’on traite de la qualité des produits, il vaut mieux s’informer auprès des responsables de
production et des techniciens du service après-vente, cela tombe sous le sens. Enfin, qui
connaît mieux les offres de la concurrence, si ce ne sont les agents commerciaux sur le
terrain ?
Nous pourrions continuer cette liste, et passer ainsi toutes les activités de l’entreprise pour
bâtir une matrice SWOT12.
 L’analyse SWOT, un outil aussi essentiel que mal utilisé

Figure 34 : Un exemple de matrice SWOT

La matrice SWOT propose d’identifier les forces et les faiblesses de l’entreprise, tout
comme les menaces et les opportunités potentielles. C’est l’un des outils les plus connus de
la panoplie du concepteur de stratégie, mais c’est aussi l’un des plus mal utilisés. Simple en
apparence, l’analyse SWOT ne fonctionne qu’à la condition d’être quasi exhaustif pour
chacun des quatre axes. C’est à cette condition que l’on pourra tirer des conclusions
suffisamment solides pour servir de fondamental à la stratégie à engager. C’est dire
l’importance de procéder à une large et minutieuse consultation, au sein de l’entreprise et
de ses partenaires, afin d’explorer toutes les pistes. C’est d’ailleurs dans cet esprit de
coopération étendue que l’on parviendra à extraire la quintessence de la plupart des outils
de la conception stratégique.
 La technologie est à notre service
Bien des questions posées ici nécessitent une enquête approfondie. Un simple forum
thématique permet d’exposer les premières idées et de recueillir les commentaires. Les
idées sont alors reformulées et discutées en réunion.
Le fait à suivre

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Avec les outils technologiques de communication disponibles aujourd’hui, comme les réseaux sociaux déployés dans
l’entreprise, il est encore plus simple d’étendre cet échange à l’ensemble du personnel. C’est d’ailleurs ce que démontre Vineet
Nayar dirigeant de HCL Technologies, une importante société de services informatiques de plus de 70 000 salariés répartis dans
plusieurs pays13. Il utilise en effet le réseau interne de l’entreprise pour présenter les plans stratégiques dans un premier temps
aux 8 000 managers puis à l’ensemble du personnel de l’entreprise. L’idée étant de se rapprocher au plus près de la zone de
création de valeur afin de se confronter avec la réalité du terrain dans un esprit « peer to peer », ce sont ses termes. Les
résultats sont évidemment positifs. Les employés se sentent considérés, ils discutent plus librement des stratégies proposées et
n’hésitent pas à soumettre suggestions et critiques pertinentes pour le bien de la communauté.

 Un cas pratique : le démarrage d’une SCOP


Cas pratique

L’entreprise Alpha
Alpha est une entreprise spécialisée dans la conception et la fabrication d’instrumentation scientifique. Depuis peu, Alpha
est devenue une SCOP (Société COopérative et Participative). L’ancien dirigeant a choisi de céder son entreprise à ses
salariés qui se sont constitués en coopérative. Au cours des deux dernières années, l’entreprise a bien périclité. La retraite
approchant, l’ancien dirigeant avait délaissé la conduite des affaires à son fils peu motivé, et donc peu compétent.
Aujourd’hui, les caisses sont quasiment vides et il est urgent de relancer l’entreprise. Mais quelle voie choisir ? Doit-on
lancer en toute urgence une nouvelle gamme de produits, ou peut-on encore exploiter l’ancienne ? Faut-il explorer de
nouveaux marchés ? Qu’en est-il des clients actuels ? Pour répondre à ces questions essentielles, nous avons choisi d’utiliser
un outil assez simple en apparence : la matrice d’Ansoff14.

La matrice d’Ansoff est avant tout un cadre de travail. Elle va nous aider à trouver les voies de croissance les mieux
adaptées.

Figure 35 : Un exemple de matrice d’Ansoff

Quatre types de stratégie nous sont proposés. Passons-les rapidement en revue.

Meilleure pénétration des marchés existants

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Sommes-nous sûrs d’exploiter correctement notre secteur de marché ? Les clients fidèles à l’entreprise sont peut-être
intéressés par d’autres produits du catalogue. D’autres segments de ce marché sont peut-être encore inexplorés.

Développement de nouveaux marchés


Comme l’intitulé l’indique, il s’agit de prospecter avec la gamme existante des « terres inconnues ». Ce peut être de
nouvelles régions ou de nouveaux acheteurs locaux, mais d’un secteur d’activité encore jamais exploré.

Développement de nouveaux produits


Une entreprise quelle qu’elle soit a toujours intérêt à avoir en portefeuille des projets de nouveaux produits, ou des
améliorations significatives de la gamme existante, tant le besoin en renouvellement et en innovation est devenu une
condition de survie.

Diversification
Est-il possible de se développer en prospectant de nouveaux marchés avec une nouvelle gamme adaptée ? C’est une
démarche généralement plus risquée.

Alors, quelle stratégie pour Alpha ?

Cette matrice a permis de cadrer les échanges lors des multiples réunions nécessaires pour choisir la bonne direction de
développement.

La stratégie de diversification, qualifiée « le grand saut dans l’inconnu », a été assez vite évacuée des pistes possibles. Tenter
de pénétrer de nouveaux marchés avec de nouveaux produits est une stratégie profitable, à condition d’avoir les reins
solides, et donc d’être déjà bien installé sur son secteur de marché. Ce qui n’est plus le cas de l’entreprise Alpha.

En revanche, le lancement d’une nouvelle gamme de produits, plus sophistiquée que celles existantes, était déjà une option
étudiée depuis quelques mois. C’est aussi une stratégie bien plus risquée. En matière d’instrumentation scientifique, la
sophistication est rapidement synonyme de complexité. La conception d’un produit trop complexe est bien souvent source
de multiples déconvenues. Les budgets sont systématiquement dépassés, les délais ne sont plus tenus, et les clients sont
mécontents. Bref, le risque de travailler à fonds perdu est présent. Cette option n’a pas pour autant été rejetée. Quelle que
soit l’activité, il est désormais essentiel de monter en gamme. Elle sera reprise dès que l’entreprise aura retrouvé une base
solide. Il sera alors temps de réfléchir concrètement aux possibilités de lancer une nouvelle gamme innovante à budgets
maîtrisés.

Bien évidemment, vu la situation financière de l’entreprise, c’est bien la stratégie de meilleure pénétration des marchés qui
est retenue. Dans son principe, cette stratégie de croissance est assez simple. Elle consiste à soumettre aux clients fidèles
des offres commerciales ponctuelles, afin qu’ils s’intéressent aux produits ou services qu’ils n’ont pas coutume d’acheter.
On parle alors de « cross-selling ». Une autre technique, l’« up-selling », invite les clients à monter en gamme. C’est une
technique assez efficace si le catalogue s’y prête. Enfin, sur une part de marché donnée, il existe peut-être des clients
potentiels d’autres secteurs professionnels qui méritent d’être approchés. Sommes-nous certains d’exploiter tous les
segments du marché ?

Mais ne perdons jamais de vue que le but d’une stratégie est bien de se différencier de la concurrence, en mieux de
préférence. Si ce n’est par les prix bas, ce qui est difficile actuellement pour l’entreprise Alpha, ce sera en proposant une
meilleure offre de services. La réactivité et les délais courts sont une voie à privilégier 15. C’est bien un travail de fond qu’il
s’agit d’entreprendre. Plusieurs processus sont concernés, et il faudra impérativement inclure dans la démarche de progrès
l’ensemble des fournisseurs et sous-traitants. Bref une lourde tâche, même si les ambitions peuvent sembler modestes aux

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

lecteurs habitués des récits de stratégies révolutionnaires. C’est en tout cas ainsi que l’on parvient le mieux à un résultat
positif.

Les approches par petits pas, en s’appuyant quasi exclusivement sur les moyens
rapidement disponibles, sont vraisemblablement plus profitables qu’un grand
chamboulement qui met l’entreprise cul par-dessus tête. D’expérience, les virages trop
brusques sont toujours périlleux. L’entreprise se retrouve en effet sur un parcours inconnu
parsemé de nouvelles embûches qui désorientent les salariés, troublent les partenaires et
sèment la confusion parmi les clients et les prospects.
Et aujourd’hui ?
En matière de stratégie, il ne s’agit pas de gagner le gros lot en découvrant le business model disruptif qui générera une
croissance fulgurante et sera ensuite relaté dans les livres de management (« Waouh ! ») 16, mais bien d’assurer une viabilité
pérenne en plaçant le maximum de garanties de son côté. Les risques d’échecs sont toujours bien plus imprévisibles qu’on ne
l’imagine. Cela dit, toute stratégie, aussi mesurée soit-elle, comporte toujours un risque de perte financière.

Synthèse : les avantages incommensurables d’une approche


participative
L’approche participative étendue à l’ensemble du personnel présente un double intérêt. En
consultant très largement, on accroît les chances d’explorer la plupart des pistes. Comme
l’ensemble des salariés a participé au choix, une large majorité s’engage donc
naturellement à porter la stratégie choisie.
Une fois la stratégie déployée… on reste aux aguets, prêts à tout bouleverser
s’il le faut
Une fois la stratégie déployée, on ne baisse pas les bras pour autant. Les plans méritent
d’être ajustés afin de saisir les opportunités. On demeure donc aux aguets, on écoute les
retours du terrain, et on n’hésite pas à ajuster, à réviser ou à bouleverser les plans. Pour y
parvenir, on range aux oubliettes l’approche militaire et dirigiste, et on écoute avec
attention dans une relation d’égal à égal les points de vue et les impressions des femmes et
des hommes de terrain en contact avec la réalité. Ce peut être l’occasion de découvrir une
nouvelle stratégie originale, On parle alors de stratégie émergente.
Stratégie délibérée versus stratégie émergente

Une stratégie dite « délibérée », pour reprendre la terminologie d’Henry Mintzberg17, n’est autre que la planification de la
formulation des objectifs visés par les dirigeants. C’est l’approche la plus classique. Au contraire, la stratégie dite «
émergente » naît du terrain pour profiter des opportunités au moment où elles se présentent, tout en tenant compte des
contraintes. C’est une approche de la stratégie bien plus réactive. Les deux approches ne sont pas nécessairement
incompatibles. Encore faut-il connaître les plans détaillés et être au fait des données financières pour bien saisir le rôle
stratégique d’une opportunité. Pour une large majorité des entreprises, ce n’est pas à la portée du salarié lambda, fut-il
manager d’équipe.

D’expérience, les stratégies conçues exclusivement au sein du cercle fermé des exécutifs
avec un nombre d’incursions limité dans le vrai monde de l’entreprise, conduisent

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

nécessairement à une focalisation exagérée sur les données chiffrées. C’est logique. Sans
trop forcer le trait, il faut bien admettre que pour une large majorité de dirigeants, les
processus de l’entreprise aussi complexes soient-ils se résument à des séries de nombres,
des statistiques et des ratios. La suite est claire. La réalisation de la stratégie devient
rapidement une course aux résultats avec tous les travers et toutes les dérives que nous
avons listés et expliqués dans la première partie de cet ouvrage.
C’est dit !
Un spécialiste de la performance publique évoque le « syndrome du mirage » pour définir le comportement des acteurs
institutionnels, qui se contentent de leur propre production de statistiques, sans s’intéresser à la réalité vécue dans les
administrations. À leur sens, ces données sont la réalité, et ils se complaisent ainsi isolés dans leur tour d’ivoire… Ils n’ont pas
tort, leur monde fictif est tellement plus simple !

Une stratégie plus participative, impliquant dans sa conception une majorité d’acteurs de
terrain, sera plus concrète, orientée sur les métiers de l’entreprise, et conduite en accord
avec leurs attentes. Avec le premier type de conception stratégique, il ne sera pas
nécessaire de déployer de grands efforts pour comprendre que la motivation des femmes
et des hommes chargés de la mettre en action s’émoussera rapidement. Avec le second type
de conception, on peut espérer une implication plus franche sur le terrain, et donc une
prise de décision plus opportune en phase avec les objectifs stratégiques ainsi fixés.

1Stratégie Océan Bleu, Pearson Village Mondial, 2e édition 2015. Voir aussi : http://tb2.eu/p11
2Carl von Clausewitz (1780-1831), théoricien prussien de la stratégie militaire.
3Bien évidemment, il faudrait aussi considérer la part de chance ou encore le talent des innovateurs anonymes qui
ont construit ce succès dans l’ombre du leader médiatique.
4https://www.fastcompany.com/44077/tom-peterss-true-confessions. Le livre est toujours réédité en français
sous le titre : Le Prix de l’excellence - Les 8 principes fondamentaux de la performance, Dunod, 2012.
5https://www.economie.gouv.fr/cedef/chiffres-cles-des-pme
6Voir l’ouvrage de Michael Porter, L’Avantage concurrentiel, Dunod, 2003, et aussi http://tb2.eu/p2
7www.reuters.com : « UPDATE 1-Monitor Company files for Chapter 11; Deloitte to buy assets » 8-11-2012. Voir
aussi : Alternatives Économiques 9-2013 « Quand les gourous se gourent ».
8Robert S. Kaplan et David P. Norton, Le Tableau de bord prospectif, Éditions d’Organisation, 2e édition, 2003.
9Nilofer Merchant auteur de l’ouvrage The New How: Creating Business Solutions through Collaborative Strategy.
O’Reilly, 2014, et aussi ici : http://tb2.eu/p3
10Comme pour tous les métiers, il s’agit de maîtriser l’utilisation et de bien connaître les limites des outils utilisés.
11Administration industrielle et générale, op. cit., page 68.
12Strengths Forces, Weaknesses Faiblesses, Opportunities Opportunités, Threats Menaces. Une rapide présentation
pour le lecteur intéressé http://tb2.eu/p4
13Lire Vineet Nayar, Les Employés d’abord, les clients ensuite, Diateino, 2011.
14Igor Ansoff (1918-2002) est un mathématicien, homme d’affaires russo-américain, précurseur du management
stratégique.
15En fait rien n’a bien changé depuis l’ouvrage Vaincre le temps de George Stalk et Thomas Hout édité il y a plus de
deux décennies. Sur un secteur de marché et une gamme de produits donnés, on se différencie toujours par la

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

rapidité de réaction. La qualité et les coûts maîtrisés sont des incontournables, ne pas les respecter est
éliminatoire. En revanche, on peut se différencier des concurrents par une meilleure réactivité aux demandes
des donneurs d’ordre et plus généralement des clients. Le livre en version française : Vaincre le temps.
Reconcevoir l’entreprise pour un nouveau seuil de performance, Dunod, 1993.
16Dans la littérature managériale anglo-saxonne, on parle d’une courbe de croissance de type « hockey stick curve »,
c’est-à-dire en forme de canne de hockey, plate durant une courte période puis se dressant quasiment à la
verticale… De quoi faire rêver plus d’un dirigeant…
17Henry Mintzberg (1939-) est un universitaire canadien, auteur de nombreux ouvrages et une référence
incontournable du management stratégique.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

9.
De la stratégie aux tactiques, ou comment le choix des
objectifs de performance conditionne la réussite du
déploiement stratégique

« …Son expérience lui avait déjà appris qu’à la guerre


les plans les plus savamment élaborés n’avaient pas d’importance ;
que tout dépend de la façon dont on pare les coups inattendus et imprévisibles de l’ennemi,
que tout dépend de la conduite même des opérations
et de ceux qui les conduisent. »

LÉON TOLSTOÏ (1828-1910), GUERRE ET PAIX, LIVRE III, 1RE PARTIE.1.

Une stratégie ne prend vie qu’au moment où elle se transforme en actes. Tant que l’on n’a
pas franchi le cap de l’action de terrain, les orientations stratégiques, les plans, ne sont
qu’une vue de l’esprit. Une fois déclinée sur le terrain auprès des opérationnels chargés de
la mettre en œuvre, elle prendra corps. Ce sont donc les femmes et les hommes de
l’entreprise qui portent la lourde responsabilité de la mise en action de ces plans
stratégiques. Sa réussite est directement liée au talent des acteurs de terrain pour affronter
les aléas du réel. À moins de rêver aux grâces d’un joyeux concours de circonstances, le «
prévu » ne se transformera en « un réalisé acceptable » qu’à force d’efforts et de corrections
de la trajectoire. Des corrections qui parfois sont radicales. C’est bien pour cela qu’il est
nécessaire d’accorder tous les moyens possibles aux femmes et aux hommes de
l’entreprise, afin qu’ils puissent affronter la part d’imprévu. Encore faut-il que le «
souhaitable », choisi lors de la phase de conception de la stratégie, puisse être compris dans
le sens de « possible » sur le terrain. Autrement dit, les stratégies trop ambitieuses ou trop
éloignées du concret actuel ont bien peu de chance de trouver des supporters dans
l’entreprise.

Qui est concerné ?


La mise en œuvre d’une stratégie réaliste ne va pas chambouler l’entreprise de la cave au
grenier. En tout cas pas en un temps unique. Seules des activités bien précises s’inscriront
dans une dynamique de changement et de progrès. Les équipes responsables desdites

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

activités sont donc en charge de mettre en action les tactiques les plus adéquates, selon le
contexte et la stratégie poursuivie. Une batterie d’objectifs de terrain, soigneusement
sélectionnés, canalise et oriente les plans d’actions « tactiques » dans la bonne direction,
c’est-à-dire dans le sens où ils contribuent à accomplir la stratégie choisie. Une batterie
d’indicateurs de performance mesure le progrès sous l’angle desdits objectifs. Les
informations portées par les indicateurs de performance et les mesures associées orientent
les décisions prises par l’équipe. Faut-il réorienter les actions programmées, renforcer
celles qui sont en cours de réalisation, en engager de nouvelles ? Cela se passe sur le terrain
dans le feu de l’action. Toutes ces décisions ad hoc ne sont par définition, ni prévisibles ni
planifiables. C’est cela le pilotage de la performance.
 La pierre d’achoppement : décliner la stratégie en objectifs de terrain
Lorsque l’on expose auprès d’une assemblée de dirigeants la problématique de la mesure
de la performance, en choisissant les bons arguments, l’on parvient sans effort
insurmontable à les convaincre de l’importance de laisser les salariés choisir eux-mêmes
les indicateurs. Ces femmes et ces hommes sont sur le terrain, ils sont responsables des
actions à engager, il semble donc logique qu’ils définissent eux-mêmes l’instrument de
mesure de progrès le mieux adapté. Hormis une poignée d’irréductibles de la vieille école
qui n’objectent que des convictions à défaut d’arguments, le constat est quasi unanime et
l’adhésion aux principes coule de source. En revanche, dès que l’on aborde la question de la
liberté de choix des objectifs tactiques, l’opposition est bien plus vigoureuse.

Figure 36 : De la conception de la stratégie à sa mise en action

Il s’agit là en effet de partager avec l’ensemble des équipes le détail des orientations
stratégiques. Cette réaction d’hostilité est prévisible. Lorsque l’on s’adresse à un aréopage
de dirigeants, éduqués dans un univers de management traditionnel fondé sur la méfiance
envers les subalternes, on peut en effet douter d’une adhésion spontanée. Tant que l’on ne
parvient pas à franchir cet obstacle, il ne faut pas rêver, l’on ne réussira pas à bâtir un
système de mesure de la performance facilitant l’aide à la décision pour un juste
déploiement de la stratégie sur le terrain. Il n’est guère envisageable d’imaginer les salariés
de l’entreprise s’investir plus que de raison pour atteindre des objectifs imposés par une
direction distante. Ce n’est pas une question de mauvaise volonté que l’on éradiquera avec
une série de séances de motivation de groupe. Agir sur le terrain, ce n’est pas uniquement

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

appliquer à la lettre une procédure, une méthode ou une technique. Agir sur le terrain, c’est
décider en un univers incertain, c’est prendre le risque d’effectuer des choix dont on ne
peut garantir une issue heureuse à cent pour cent. Nous ne sommes plus dans le
conceptuel, dans l’abstrait, dans l’imaginaire utopique, où tout se passe nécessairement
bien, mais au cœur même du principe de réalité. Attardons-nous un instant sur les origines
du management par les objectifs pour mieux comprendre les réticences, puis nous
passerons à la phase de choix des objectifs en nous appuyant, comme nous l’avons évoqué
au début de ce chapitre, sur les entreprises qui ont tout compris.
 Et le management par les objectifs ?
Dès les années 1950, Peter Drucker, maître à penser incontesté des sciences du
management moderne, propose une méthode originale de management par objectifs
(MPO). Drucker voyait la fixation des objectifs comme la colonne vertébrale d’une
organisation, où toutes les contributions de chaque département de l’entreprise sont
orientées dans le même sens.
La citation qui interpelle
« Le cadre doit savoir et comprendre ce que les objectifs de l’entreprise exigent de lui en termes de performance, son supérieur
doit savoir quelle contribution attendre et exiger de lui et le juger en conséquence. »

PETER DRUCKER, THE PRACTICE OF MANAGEMENT2, 1954.

Il envisage alors la relation entre les cadres exécutants et les dirigeants sur le plan de
l’intelligence partagée, et non sur celui de l’autorité et de l’obéissance aveugle. Drucker
anticipe en effet l’entreprise actuelle où les spécialistes occupent une place prépondérante
au sein des processus. Le management par les objectifs serait alors l’outil de coordination
pour conduire toutes les actions engagées vers un même et unique but. C’est aussi avant
tout un outil de responsabilisation. Chaque salarié, quel que soit son échelon, ne se
contente pas uniquement de réaliser la tâche qui lui est assignée. Il est désormais tenu de
considérer l’entreprise dans son ensemble, et de comprendre ce qu’elle attend de lui. C’est
aussi une démarche contractuelle établie entre le salarié et sa direction. Chacun doit donc
respecter sa part de contrat.
Dès 1968, cette étude a été poursuivie par Octave Gélinier3, à laquelle il ajoute la notion
essentielle de participation : DPPO, direction participative par objectifs. Il ouvre ainsi la
porte à une véritable négociation des objectifs entre la direction et les managers chargés de
les poursuivre.
Malheureusement, au lieu d’être adaptée à notre environnement toujours en évolution la
démarche a été ensuite dévoyée. Pour les entreprises adeptes des pratiques d’un autre
temps, le management par les objectifs est devenu un instrument de coercition. Essayez
donc d’aborder le thème des objectifs dans une entreprise, où équipes et managers sont
tenus d’accomplir leur tâche respective, sous la contrainte conjuguée d’une batterie
d’objectifs productivistes hors de propos et d’une évaluation périodique inquisitoire ! Bien
peu d’entre eux sauront dissimuler une moue de rejet. Nul besoin de lancer une nouvelle
étude sur le phénomène du stress en entreprise, l’explication est claire dans ce cas. On peut
supposer sans prendre trop de risques que les dirigeants de ces entreprises n’ont guère

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

évolué depuis la vision du salariat des débuts de l’ère industrielle. Voici comment Taylor
envisageait les relations entre les exécutants et les dirigeants :
La citation qui interpelle
« Pour notre projet, nous ne demandons pas que nos hommes fassent preuve d’initiatives. On ne veut aucune initiative. La
seule chose que l’on attend d’eux, c’est qu’ils obéissent aux ordres qu’on leur donne, fassent ce que l’on dit et le fassent
vite. »4

FREDERICK WINSLOW TAYLOR, THE PRINCIPLES OF SCIENTIFIC MANAGEMENT, 1911.

Bref, réfléchir, c’est déjà désobéir.


Ce n’est en tout cas pas ainsi que l’on dynamisera l’esprit d’innovation, tant invoqué comme
ultime bouée de sauvetage de notre croissance nationale durablement en berne5.
La société a effectivement changé, et ces dirigeants s’efforcent de ne pas s’en rendre
compte. Ils persistent à agir en comptables, et ne jurent que par le quantitatif. Tout doit
être contrôlé, tout doit être mesuré, tout doit être jaugé à l’aune d’un étalon
impérativement quantifiable.
Et aujourd’hui ?
Au XXIe siècle, il ne s’agit plus de gagner des parts de marché en exploitant jusque dans ses derniers retranchements les
économies d’échelle, mais bien d’avoir un léger temps d’avance sur les marchés et la concurrence. Nous sommes désormais de
plain-pied dans l’ère de l’innovation sans cesse renouvelée, il n’y a plus à en douter.

Nul besoin d’être un visionnaire pour se rendre à l’évidence que ce ne sera pas par les prix
bas et la déflation salariale que l’on assurera un niveau de compétitivité acceptable et
durable. C’est plutôt en améliorant significativement le niveau de qualité et de
sophistication des fonctionnalités des produits proposés que l’on parviendra à ce légitime
objectif. Mais monter en gamme, c’est entrer dans un monde de produits plus complexes
donc plus difficiles à concevoir, à fabriquer et à vendre. Les imprévus sont alors au rendez-
vous et la rapidité de décision fait toute la différence. La première innovation est donc
organisationnelle. C’est aussi là le sujet de cet ouvrage.
 La démarche en pratique
La question du choix des objectifs de performance est la plus délicate du projet. Il s’agit en
effet de concrétiser la perception de la stratégie afin que les salariés, déjà aux prises avec
leur mission, puissent la rendre réalisable. Les menaces tout comme les opportunités ne
s’annoncent jamais en tonitruant. Elles se matérialisent bien plus silencieusement d’une
façon à peine sensible, quasiment en catimini. Les microsignaux sont généralement plus
facilement détectables par tous ceux qui sont sur le terrain. Encore faut-il que les salariés
soient suffisamment impliqués et écoutés par la direction pour échanger leurs inquiétudes
et leurs intuitions sans craindre d’être les sujets d’un jugement négatif. Bref, c’est une
indispensable coopération. Le ciment de cette coopération commence à être coulé dès
l’étape de choix des objectifs. Voyons dans un premier temps les caractéristiques d’un bon
objectif de performance

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Qu’est-ce qu’un bon objectif de performance ?


Un bon objectif de performance répond à des caractéristiques bien précises. Il est
nécessairement quantifié. Aussi, il ne peut s’exprimer par un verbe qui laisse toute liberté à
l’appréciation. « Améliorer le service au client » ne veut strictement rien dire. De quel type
d’amélioration parle-t-on ? S’agit-il d’accélérer les délais ? De soigner la préparation des
commandes ? D’accroître l’efficacité du service après-vente ? Ensuite comment peut-on
évaluer cette amélioration pour s’assurer que l’on suit bien la voie du progrès ? Et quand
donc en tirerons-nous le bilan ? Un objectif doit aussi être borné avec une date butoir.
Soyons plus précis.
La COP21 de Paris 2015 a été un succès...
Le consensus à 195 pays quasi inaccessible en apparence a pourtant été atteint. La prise de conscience des causes humaines
du réchauffement climatique est effective et partagée par tous les participants. Cela semblait inconcevable il y a encore
peu, tant les climato-sceptiques profitaient de la faiblesse des modèles pour diffuser leurs doutes, en évoquant des causes
naturelles ou en minimisant les conséquences. L’accord est très ambitieux… Mais il ne contient pratiquement aucune
contrainte ! Un balisage particulièrement flou et des objectifs laissés à la totale discrétion de chacun des pays, qui bien que
conscients de la réalité, cherchent à conjuguer leurs intérêts personnels respectifs. Aucune échéance sérieuse fixée, si ce
n’est celle de la prochaine rencontre. Il y a bien peu de chance d’observer une amélioration significative à courte échéance6.
C’est bien cela dont il faut se méfier au cours de la définition des objectifs. La prise de conscience est déjà un point très
important, mais il est loin d’être suffisant. Il faut s’engager sur des objectifs précis et des actions réalistes pour y parvenir.

Un bon objectif s’exprime donc impérativement par un verbe d’action que l’on peut
quantifier précisément et avec une échéance ferme. « Réduire les erreurs de livraison de 15
% d’ici six mois » est un objectif qui remplit ces premières exigences. On connaît l’échéance,
et l’on peut mesurer notre progrès tout au long du parcours. Le manager ou l’équipe en
charge des activités concernées par la réalisation de cet objectif définissent une série
d’actions à engager pour parvenir à l’atteindre dans le délai imparti. Encore faut-il qu’il soit
réaliste et accessible, c’est-à-dire que les acteurs en charge de l’atteindre disposent des
moyens pour y accéder.
 Les six caractéristiques d’un bon objectif de performance

Figure 37 : Qu’est-ce qu’un bon objectif de performance ?

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Un bon objectif se doit donc d’être7 :

Une date d’achèvement raisonnable a priori, mais ferme, est précisée impérativement.
Borné

L’objectif s’exprime selon une unité de mesure, il est quantifié. Il est alors possible d’estimer le chemin restant à parcourir avant de l’atteindre. On mesure ainsi son
Mesurable
progrès, et l’on juge de la justesse des efforts déployés et de la pertinence des actions mises en œuvre. On est mieux armé pour prendre les bonnes décisions

d’orientation.

Les moyens sont disponibles, les contraintes sont surmontables et les risques d’échec estimés sont limités et maîtrisables. Selon les cas, une rapide étude des risques
Accessible
potentiels, de leur probabilité de survenance et de leur pouvoir de nuisance pour l’accession à l’objectif fixé offre une sécurité supplémentaire8.

Il est ancré dans le concret, univoque et bien ciblé. La méthode pour y accéder est tout à fait plausible, les indispensables actions à mettre en œuvre pour l’atteindre
Réaliste
sont réalistes. Traverser la Manche à la nage n’est pas un objectif réaliste, même si ce record a déjà été réalisé à plusieurs reprises. S’imaginer supprimer tous les

rebuts d’une fabrication, particulièrement complexe et délicate en un temps record, n’est peut-être pas non plus réaliste.

La large majorité de tous ceux qui sont chargés de suivre l’objectif y adhèrent sans réserve. Ils sont aussi tout à fait d’accord du choix de la méthode retenue pour y
Fédérateur
accéder.

C’est un objectif tactique, il sert les intérêts de la stratégie sélectionnée.


Constructif

Tableau 2 : Les six critères d’un objectif de performance

Pour trouver les objectifs de performance les plus pertinents, la meilleure méthode est
encore d’étudier les suggestions de chacun et de les valoriser selon ces six critères. Seuls
ceux dont on peut maximiser l’ensemble des critères seront conservés. N’en retenir qu’un
est déjà un bon début. À quelques exceptions près, au-delà de deux objectifs fixés, le pari
devient difficile.

Objectifs Borné Mesurable Accessible Réaliste Fédérateur Constructif

Améliorer le service au client 0 0 0 0 2 2

Supprimer tous les défauts d’ici 3 mois 3 3 0 0 2 3

Éliminer 15 % du nombre d’erreurs de livraison d’ici 6 mois 3 3 2 3 3 3

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Tableau 3 : Exemple de crible pour sélectionner en commun les objectifs les mieux adaptés

Chaque critère est valorisé d’une note comprise entre 0 et 3. La note attribuée est le fruit
d’une appréciation subjective. Mais si l’on s’est donné le temps de la réflexion, elle est
d’autant plus significative. La note évolue au fil de l’échange. Chacun apporte son point de
vue et l’on parvient à un consensus satisfaisant.
CONSEIL
Éviter les échelles avec un nombre impair de positions possibles. La position centrale, qui permet de s’abstenir de s’engager
ni totalement pour, ni totalement contre, ne facilite pas le choix final.

L’objectif de la première ligne du tableau-exemple ci-dessus (tableau 3) est bien trop vague
pour être retenu. Celui de la deuxième ligne présente bien des caractéristiques positives,
mais il est trop ambitieux. En revanche, la troisième ligne du tableau est
vraisemblablement un bon objectif, si l’on parvient à lever les quelques doutes sur son
accessibilité. S’agit-il d’une question de moyens disponibles, de contraintes difficiles à
dépasser ou de risques qu’il s’agirait de couvrir par anticipation ? Cette question sera
impérativement résolue avant de le sélectionner officiellement comme objectif de
performance9.
 Le bon objectif exprime des ambitions raisonnables
Un objectif « réaliste » et « accessible » est nécessairement raisonnable. C’est-à-dire, qu’au
moment de son choix, l’on n’envisage pas de déployer des efforts inconsidérés pour
l’atteindre. Les objectifs plus modestes présentent de multiples avantages. Le progrès est
plus facile à mesurer, et ils sont bien plus motivants. On parvient plus rapidement aux
résultats et les efforts sont ainsi récompensés. Les objectifs plus ambitieux sont bien plus
contraignants. Le progrès est plus lent et les difficultés, non prévues à l’origine, sont autant
de handicaps qui pénalisent les chances de réussite. Un objectif présenté comme un
challenge peut être stimulant. Mais s’il engendre trop de pression il sera franchement
démotivant. Notons qu’un objectif que l’on jugeait modéré à l’origine peut se révéler
comme un générateur de stress au fil du temps si les événements ne se déroulent pas
comme prévu. Dès qu’il s’agit de raccourcir les délais et d’accélérer les cycles, même si a
priori les gains envisagés semblent raisonnables, la fatigue et le découragement auront le
dernier mot sur les ambitions initiales.
CONSEIL
Un objectif très ambitieux est bien plus efficace s’il est fractionné en deux ou trois autres objectifs successifs plus
raisonnables.

 Le bon objectif est univoque et explicite

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

On en profitera aussi pour documenter soigneusement l’objectif afin qu’il soit univoque et
explicite pour tout le monde. Ce n’est pas toujours aussi évident. Tous ceux qui pratiquent
un même métier dans un contexte précis se comprennent à demi-mot. Les explications sont
superflues. Mais un objectif décrit sommairement, de manière implicite, peut générer un
contresens et sembler ainsi équivoque pour celui qui n’est pas dans le feu de l’action.

Comment s’assurer que les objectifs tactiques sont bien au


service de la stratégie ?
Le dernier critère « Constructif » est vraisemblablement le plus délicat à traiter. Pour juger
du degré de contribution de l’objectif choisi au processus stratégique de l’entreprise,
encore faut-il connaître suffisamment ce dernier. Autrement, il est évident qu’il ne sera
guère possible de choisir un objectif qui oriente toutes les actions engagées dans le sens de
l’accomplissement de la stratégie. Cet objectif ne doit pas non plus s’avérer pénalisant pour
les autres services.
Exemple

Imaginons un processus aux multiples activités, un processus de fabrication à la commande par exemple. On cherche à réduire
significativement la durée d’un processus depuis la prise de commande jusqu’à la livraison client. Il ne sera peut-être pas trop
difficile de réorganiser une activité A, comme la préparation de la commande, afin de l’accélérer. En revanche, l’activité B,
l’assemblage, est nettement plus complexe, et les voies d’amélioration sont nettement moins radicales. Une fois l’activité A
optimisée, les lots traités s’empilent à l’entrée de l’activité B bien plus lente. En conséquence, les efforts déployés pour
accélérer l’activité A ajoutent une pression supplémentaire et inutile sur l’activité B. Le processus global n’a pas gagné une
seconde10.

 La cohérence globale : marcher sur deux jambes permet d’avancer


C’est à ce stade que se doit d’intervenir le management de l’entreprise. Son rôle attendu
n’est pas d’ordonner des directives, mais bien de coordonner les objectifs choisis par les
différentes unités concernées par le déploiement stratégique. C’est un échange, une
discussion entre deux parties, non pas en opposition mais bien complémentaires. Les
exécutants ont établi un premier choix. Ils sont parfaitement conscients des enjeux
stratégiques, ils connaissent le terrain, et savent très bien ce qu’il est envisageable
d’améliorer à leur niveau d’intervention.
La direction ou ses représentants disposent nécessairement d’une vision plus globale de la
situation. Elle remplit alors le rôle de coordinatrice et maintient le contact avec les autres
équipes engagées au sein du processus de déploiement stratégique11.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 38 : Mettre en cohérence les objectifs de terrain

Enjeu de l’échange : parvenir à une cohérence satisfaisante pour chacune des parties. C’est
une discussion, mais qui dit discussion dit négociation. Chacun défend aussi ce qu’il juge
profitable pour ses propres intérêts. Ce n’est pas toujours évident. Comme le note à juste
titre Debra Smith12, chaque département, chaque professionnel a ses propres priorités qui
se télescopent et entrent parfois en concurrence deux à deux. Ainsi, le responsable des
achats cherche le fournisseur moins-disant, tandis que le directeur de production doit
assumer les exigences de fiabilité et de qualité. Le commercial exige des délais ultra-courts
et s’oppose au responsable de la planification qui doit gérer sa charge de travail. Le
contrôleur de gestion est persuadé que la soustraitance est la solution, au contraire du
reste de l’entreprise qui souhaite continuer à produire en interne ; le même rêve d’éliminer
tous les stocks, tandis que le responsable logistique est bien obligé de les maintenir à
niveau pour assurer une disponibilité de tous les instants auprès de ses clients. Enfin, le
chef du bureau d’études recherche la standardisation des produits et s’oppose au
responsable des ventes qui aimerait, lui, proposer des produits personnalisés à ses clients.
Aucune entreprise n’est exempte de comportements contradictoires de ce type. Ils
apparaissent au grand jour au moment de la définition des objectifs. Chaque responsable,
chaque équipe a sa vision personnelle du juste accord entre sa mission au sein de son
service et son rôle pour l’accomplissement de la stratégie globale. Bref, il va falloir négocier
sérieusement pour glisser un peu d’harmonie et contenter chacune des parties. La question
n’est pas neuve. Pour Mary Parker Follett13, il ne s’agit pas d’adhérer étroitement à la
stratégie, mais bien d’y contribuer du mieux possible, tout en respectant les enjeux locaux
au niveau du service ou du département. En substance, on perçoit dans le propos de cette
pionnière mythique du management moderne, la subtile différence entre la subordination
aveugle et la contribution.
 La sous-traitance et la chaîne de valeur globale
L’entreprise éclatée, thème majeur des années 1990, est un modèle effectif aujourd’hui.
Que ce soit pour des raisons de coûts, de compétences spécifiques ou de capacité de

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

production, les entreprises de taille raisonnable privilégient la sous-traitance généralisée.


Les processus de fabrication, d’assemblage ou de conception, intègrent désormais des
entités extérieures totalement indépendantes.
La réflexion sur la cohérence des objectifs tactiques choisis se doit d’intégrer cette
dimension. La chaîne de valeur de l’entreprise comporte ainsi de multiples sous-traitants et
partenaires, parfois au sein même d’activités clés. Leur rôle dans le processus de création
de valeur est donc effectif, et leur participation à la stratégie globale semble tomber sous le
sens, mais ce n’est pas si simple d’intégrer des entités différentes dans un projet commun.
Chacune de ces entreprises sous-traitantes poursuit des ambitions personnelles et se débat
au quotidien avec ses propres contraintes. C’est là toute la difficulté de préciser les objectifs
tactiques cohérents au sein d’un processus comportant des entités externes et
indépendantes à l’entreprise. On comprend mieux le maintien du rapport dominant-
dominé dans les relations donneur d’ordre/sous-traitants.
Depuis bien des années, Il est pourtant recommandé d’établir de solides liens de
partenariats « gagnant-gagnant » régis par des contrats à long terme avec les sous-traitants
et fournisseurs. Dans les faits, cette démarche vertueuse n’est pas si aisée que cela à mettre
en place, et il est rare d’ailleurs qu’elle tienne dans la durée. Selon le pouvoir financier que
l’une ou l’autre partie exerce sur son « partenaire », un rapport de force s’instaure quasi
naturellement. Depuis la nuit des temps, ou en tout cas depuis les débuts de l’industrie, les
donneurs d’ordre d’importance s’arrogent le droit de s’immiscer dans l’organisation des
sous-traitants. Avec l’essor du juste-à-temps, et plus généralement du Lean management
qui tend vers l’universalité des techniques d’organisation industrielle, les sous-traitants
sont toujours plus soumis aux règles imposées par leurs donneurs d’ordre. S’ils souhaitent
conserver le statut de source principale d’approvisionnement, ils n’ont d’autre choix que
celui de répondre du mieux possible aux exigences répétées des principaux clients. Les
solutions de partenariats plus vertueuses, évoquées ci-dessus, sont toujours envisageables.
Mais si en théorie les différents acteurs sont toujours de bonne volonté et tout est possible,
en pratique, la réponse est loin d’être simple. Il est bien plus facile d’imposer ses desiderata
que de réfléchir à une synergie viable pour chacune des parties.
CONSEIL
Au cours de cette étape de mise en cohérence des objectifs tactiques, il faut tenir compte de la nature des relations avec les
sous-traitants, l’harmonie n’est peut-être qu’une façade. Si l’on gratte un peu on découvrira que sous la bienséance de
rigueur, l’obséquiosité des uns répond à l’arrogance des autres.

1Tolstoï s’appuie vraisemblablement sur son expérience de jeune lieutenant au siège de Sébastopol (1854-1855).
2Traduit en français en 1957 aux Éditions d’Organisation sous le titre La Pratique de la direction des entreprises. Ce
livre n’a pas été réédité depuis.
3Ancien président de la Cegos décédé en 2004. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de management de référence.
4« In our scheme, we do not ask the initiative of our men. We do not want any initiative. All we want of them is to obey
the order we give them, do what we say and do it quick. »

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

5Les multiples textes publiés par la Commission européenne dans le cadre du programme « Horizon 2020 » sont
pour la plupart focalisés sur « l’innovation ». Ne serait-ce que pour cet extrait du Journal officiel de l’Union
européenne, le terme est répété plusieurs centaines de fois en seulement une soixantaine de pages :
RÈGLEMENT (UE) L347/104 n° 1291/2013 du 11 décembre 2013.
6D’ailleurs les défections ont déjà commencé, comme chacun sait, en mai 2017, les États-Unis se sont retirés de
l’accord.
7Ce sont les caractéristiques d’un bon objectif selon la méthode Gimsi®. Il est préférable d’utiliser cette grille de
critères plutôt que la plus classique fondée sur l’acronyme mnémotechnique : SMART. Cette dernière omet les
critères essentiels de Fédérateur et de Constructif. Voir ici la différence entre les deux méthodes :
http://tb2.eu/p6
8Nous reviendrons sur le thème de l’identification et la valorisation des risques potentiels et prévisibles au chapitre
13 consacré à la prise de décision.
9Nous étudierons au chapitre 14 la question de la prise de décision en équipe.
10C’est un cas d’école. Les spécialistes de l’organisation industrielle savent très bien que la question des interfaces
est toujours à traiter en priorité.
11Cet échange est plus délicat lorsque les dirigeants ou leurs représentants chargés de la coordination ne
connaissent pas le métier des exécutants. Par exemple, la généralisation des gestionnaires au poste de direction
des entités de la santé publique est assez représentative des difficultés de la négociation par manque de culture
du métier et de l’institution.
12Coauteur de l’ouvrage collectif The Theory of Constraints and its Implications for Management Accounting, North
River Press, 1995.
13Mary Parker Follett (1868-1933), conseil en management et spécialiste des organisations, proposait une
approche du management humaniste fondé sur la responsabilité, l’art du conflit et les accords gagnant-gagnant.
Malheureusement, pour les générations de salariés qui ont suivi, elle fut écartée pour laisser passer le rouleau
compresseur des méthodes de rationalisation ultra-mécanistes pilotées par Frederick Taylor et Henry Ford et
tous leurs disciples. Oubliée durant plusieurs décennies, on prend conscience aujourd’hui de ses apports
fondamentaux à la science du management. Les éditions Village Mondial ont publié un recueil en français de ses
conférences sous la direction de Marc Mousli : Mary Parker Follett, pionnière du management, Diriger au-delà du
conflit, 2002.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

10.
La question de la confiance, première clé de voûte de
la démarche

Le critère « fédérateur » du tableau numéro 21 est tout aussi essentiel. Sans une motivation
largement partagée, les objectifs de performance ne seront jamais atteints. Les contraintes
sont toujours insurmontables pour celui qui n’a aucune envie de déployer des efforts outre
mesure.

On ne participe pas, on s’engage…


Il est toutefois avisé de mettre en évidence la différence entre la participation et
l’engagement. Il ne s’agit pas de participer au choix des objectifs, mais bien de s’engager
une fois ceux-ci sélectionnés. La nuance change tout. « Participer » a perdu son sens en
entreprise et se résume trop souvent à être informé des décisions prises et, dans le
meilleur des cas, à donner son avis sans être sûr que l’on en tienne compte pour autant.
Engager sa responsabilité implique au contraire de bien soupeser le pour et le contre,
d’évaluer la portée et les risques de son choix. C’est un choix volontaire pour un consensus
actif.
 … Mais sans confiance on ne s’engage pas
Nous avons introduit le chapitre précédent en évoquant les réticences de la direction à
confier une quelconque responsabilité stratégique aux opérationnels. Les exécutants ne
sont pas non plus toujours enthousiastes à l’idée de s’engager sur la base d’objectifs même
si ceux-ci ont été correctement négociés.
Tant qu’ils ne disposent pas de la certitude que la direction leur donnera les moyens d’agir
et respectera les objectifs choisis, ils hésitent à s’engager. Bref, le climat de confiance est
des plus fragiles. Et sans confiance, on n’avancera pas plus avant. Chacune des parties
campera sur ses positions.

Pourquoi la question de la confiance n’est-elle pas traitée à sa


juste valeur en entreprise ?
Dans l’entreprise, la question de la confiance est souvent évoquée mais elle est rarement
approfondie. On préfère généralement se reposer sur le mythe du leader suivi aveuglément
par l’ensemble des salariés. La confiance semble alors quelque chose de simple et d’évident.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Il suffirait de bien asseoir le leadership pour instaurer un climat de confiance naturel. Cette
question est pourtant bien plus complexe que cela. D’autant plus que le modèle
d’organisation fondé sur le leadership n’est pas du tout adapté à l’ère de l’économie de la
connaissance. Il n’est que temps de changer de paradigme. Aujourd’hui, les salariés ne sont
pas des exécutants interchangeables mais bien des spécialistes. Chacun dispose d’un
domaine d’expertise bien défini, un domaine que ne connaît pas nécessairement celui qui
est officiellement chargé de conduire la « troupe ». La question doit donc être abordée
différemment en adoptant un modèle organisationnel de type « égal à égal » et instaurant le
respect réciproque de la compétence de l’autre.
Et aujourd’hui ?
Il ne s’agit plus d’entretenir un culte de la personnalité d’un leader charismatique, mais bien de dynamiser la prise d’initiative de
tout un chacun. C’est cela dont on a besoin dans un monde où l’innovation fait la différence, c’est en ce sens que l’on peut
découvrir l’avantage concurrentiel.

Cela dit, donner des directives et veiller au respect des procédures est bien plus aisé à
mettre en œuvre que de bâtir un environnement de travail, où chacun se sent libre de
prendre les initiatives qui s’imposent. C’est bien pour cela que le management évolue bien
peu dans les faits. Depuis déjà de nombreuses années l’on nous annonce l’avènement d’une
ère nouvelle, une révolution managériale où l’on instaurerait « l’empowerment » comme
disent les Anglo-Saxons, c’est-à-dire l’autonomie et la délégation d’une part de pouvoir et
de responsabilité aux équipes opérationnelles. Il ne s’agit pas uniquement de répondre aux
aspirations de salariés qui souhaitent légitimement sortir du carcan des règles pour gagner
quelques degrés d’autonomie.
Et aujourd’hui ?
Déporter les centres de décisions au plus près du terrain est bien l’unique moyen de maîtriser un tant soit peu la complexité et
l’incertitude du contexte économique. Le besoin est là, aucun doute à ce sujet. Mais la délégation de pouvoir ne se décrète pas
aussi simplement.

 Confiance et poka-yoke2
L’une des toutes premières fois où j’ai animé une prise de décision en équipe, à la question :
« Pour vous, qu’est-ce qu’une bonne décision ? » un participant un peu espiègle me répondit :
« C’est la décision qu’aurait prise le patron s’il avait été à notre place ». J’appris ensuite que
ce trait d’humour était récurrent en entreprise. Il révèle en tout cas la réalité du transfert
de pouvoir. Le principe de délégation en vigueur au sein de la majorité des entreprises
n’accepte qu’une prise d’initiative ultra-contrôlée. Ce contrôle passe par des
comportements bien formatés. Si intuitivement, prendre une décision dans le cadre d’une
délégation de pouvoir c’est penser qu’il faudra agir comme le leader l’aurait fait, nous
sommes bien dans le cadre de la méfiance déjà présentée au début de cette étude.
Ainsi, dès que l’on juge indispensable de placer des garde-fous une fois la délégation mise
en place, on affiche un signe évident de manque de confiance envers ses subordonnés.
Établir des procédures ultra-précises, destinées à parer à toutes les erreurs possibles, en
est le meilleur exemple. C’est en fait une extension de la supervision. Comme on ne peut
pas tout contrôler on installe des ridelles afin que les exécutants ne puissent pas se

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

tromper et suivent le chemin prescrit. Effet pervers, comme le note David Marquet dans
son excellent ouvrage Turn the Ship Around !3, plus on limite la réflexion des employés, plus
le nombre d’erreurs s’accroît et l’on doit donc ajouter de nouveaux garde-fous. Si l’on
pousse plus avant le raisonnement, les « bonnes pratiques » imposées, sans laisser aucune
latitude aux opérationnels, sont aussi par définition des freins à la réflexion. Une délégation
sans confiance, ce n’est pas une délégation.
Et aujourd’hui ?
L’extension des procédures détaillées ultra-rigoureuses et le principe du poka-yoke étendu au-delà du raisonnable obéissent à
de nouveaux impératifs. Avec la mobilité et la multiplication des emplois temporaires, les opérationnels n’ont pas toujours le
temps de bien se former et d’intégrer les subtilités de leurs tâches. On leur demande donc de s’en tenir à suivre les procédures
sans autoriser le moindre écart pour parer à tout risque d’erreur.

 Mais alors qu’est-ce donc que la confiance ?


Imaginez un trapéziste voltigeur qui n’accorderait qu’une confiance limitée à son
partenaire chargé de le réceptionner. Pensez-vous franchement qu’il s’élancerait dans le
vide pour effectuer un saut périlleux ?
La confiance, c’est étymologiquement avoir foi en l’autre, être certain qu’il sera fidèle à sa
parole et qu’il accomplira ses promesses. La confiance sous-entend la loyauté.
Pour mieux cerner cette notion essentielle, David H. Maister, Charles H. Green et Robert M.
Galford, auteurs de l’ouvrage The Trusted Advisor 4 proposent de calculer un coefficient de
confiance à l’aide du ratio suivant :

Pour se faire une idée du degré de confiance que l’on accorde à son interlocuteur, il suffit de
confirmer ou d’infirmer chacune des quatre assertions suivantes. Cet outil fonctionne aussi
bien du point de vue de la direction que de celui des salariés.
• Fiabilité
Vous êtes parfaitement d’accord avec la proposition suivante :

Il n’a jamais failli par le passé, lorsqu’il s’engage, il respecte son engagement et
agit comme nous avions convenu, aucun doute à ce sujet.
• Crédibilité
Vous êtes parfaitement d’accord avec la proposition suivante :

L’interlocuteur mérite d’être cru, il sait de quoi il parle, on peut se fier à son
expertise professionnelle, il est parfaitement compétent sur ce sujet.
• Intimité
Vous êtes parfaitement d’accord avec la proposition suivante :

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

 Il n’a jamais trompé ma confiance par le passé et je sais que je peux aborder
avec lui des sujets précis sans aucun risque d’embarras. La discussion sera
constructive.
• Motivations personnelles
Vous êtes parfaitement d’accord avec la formulation suivante :
 Il accorde la priorité à l’accomplissement des objectifs fixés pour le bien de
l’équipe et de l’entreprise. Je ne lui connais pas d’ambitions personnelles
contraires à cette finalité.
Les ambitions personnelles réduisent le potentiel de confiance, c’est pour cela qu’elles sont
placées au dénominateur. Évidemment, si l’on sait que l’interlocuteur accorde la priorité à
son intérêt personnel, la confiance s’érode quelque peu.
Cela dit, dans une société où la mobilité est devenue la règle, cette formule mérite d’être
sensiblement adaptée. Les femmes et les hommes de l’entreprise ont aussi une carrière à
construire. Ils cherchent donc naturellement à accomplir leurs propres ambitions. Tant
qu’ils s’efforcent de conjuguer leurs intérêts personnels avec ceux de l’équipe et de
l’entreprise pour réaliser la tâche assignée du mieux possible, ce n’est pas en soi un
problème. C’est d’ailleurs un facteur de motivation positif. En revanche, dès que l’on
commence à mettre en doute la franchise de son interlocuteur en lui prêtant des
motivations dissimulées contraires au bien commun, la confiance est définitivement
rompue quelle que soit la valeur assignée aux trois critères précédemment évoqués. C’est

ce que vise à représenter ce schéma adapté de la formule de Green et Maister :

Figure 39 : L’équation de la confiance adaptée à l’entreprise

Disposer d’un outil pour mesurer la confiance est nécessaire mais ce n’est pas suffisant. La
confiance ne se gagne pas sans quelques efforts préalables. Chaque critère précédemment
cité mérite d’être développé c’est évident. Mais la confiance en entreprise ne sera jamais
acquise si l’on n’instaure pas au préalable un principe de transparence en communiquant
les informations essentielles sans aucune réticence ni rétention.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Pour gagner la confiance on commence par instaurer la


transparence
Travailler dans un environnement sans transparence
revient à tenter de résoudre un puzzle sans connaître l’image à obtenir.

VINEET NAYAR, LES EMPLOYÉS D’ABORD, LES CLIENTS ENSUITE5.

On commence par donner si l’on souhaite recevoir. Ce principe évident fonctionne aussi
pour la question de la confiance. Le partage de l’information en toute transparence est
l’étape fondamentale. Encore faut-il opter pour un mode de communication débarrassé de
son formalisme et des oripeaux officiels. Communiquer en toute franchise c’est aussi ne pas
hésiter à faire part de ses doutes et ne pas se contenter d’exprimer des certitudes. Il s’agit
en effet de parvenir à lever les préjugés sur la communication interne de l’entreprise.
Et aujourd’hui ?
Combien de chefs d’entreprise et de politiques ont perdu toute crédibilité en jouant avec les mots pour tenter de duper leur
auditoire ! Mais vos interlocuteurs ne sont pas plus bêtes que vous. Ils vont rapidement décoder le principe et une fois trompés,
ils mettront en doute tous vos propos quelle que soit leur véracité. Le lien est définitivement cassé.

La communication c’est aussi l’écoute. Il ne s’agit pas de prêter une attention faussement
intéressée aux propos de l’autre comme par bienveillance, tout en espérant qu’il termine au
plus vite pour enfin clore l’entretien à l’aide de propos convenus : « Je vous ai bien compris,
j’en prends bonne note, ne vous en faites pas, on réglera tout cela au plus vite, etc. » Chacun
d’entre nous connaît ces réponses toutes faites et vides de sens, révélatrices quelque part
de l’inanité de notre intervention. L’écoute attentive au contraire, c’est justement profiter
des remarques, commentaires et retours d’expériences de tout un chacun pour enrichir le
capital d’intelligence collective de l’entreprise. Une bonne écoute n’est pas uniquement
attentive, elle est aussi active. C’est alors une discussion. Celui qui écoute commente et, le
cas échéant, invite son interlocuteur à préciser son propos. Le questionnement ne doit pas
non plus être perçu comme une enquête policière, mais bien comme la volonté de
comprendre le point de vue, l’idée ou la récrimination de son interlocuteur. Il faut aussi
comprendre les difficultés, les peurs et les angoisses.
 Les limites de la transparence et donc de la confiance
Instaurer un accès à l’information ouvert à tous n’est pas une règle fondamentale de
l’entreprise, tant s’en faut. Les informations qui confèrent un pouvoir de domination pour
celui qui les détient sont jalousement gardées. Elles marquent la limite entre une
transparence ouverte et assumée, et une transparence de façade destinée aux
communiqués marketing. Les difficultés d’instauration de la transparence de l’information,
et donc de la confiance, ne concernent pas uniquement les relations entre l’exécutif et les
opérationnels. Mises en concurrence au sein même de l’entreprise, les différentes unités,
divisions ou équipes projet, sont tout aussi réticentes à partager les informations,
financières notamment. Il est un peu risqué dans ce cas de se reposer uniquement sur un

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

esprit de loyauté réciproque pour bâtir un système complexe de pilotage réparti. Aussi est-
il plus prudent de verrouiller la question de la confiance à l’aide d’un filet de secours. Pour
rassurer chacune des parties, on redécouvrira les avantages indéniables d’un contrat
formalisant des engagements fermes et définitifs.

(Re)découvrir les avantages d’un contrat d’engagement


Il est vrai que la logique du contrat n’est pas totalement entrée dans les mœurs des
entreprises françaises. C’est ce qu’explique fort justement Philippe d’Iribarne avec
l’ouvrage La Logique de l’honneur6, ce best-seller écrit il y a déjà de nombreuses années et
toujours d’actualité. C’est ainsi que l’on peut expliquer la cause de l’échec du management
par objectifs (MPO) évoqué ci-dessus. La cause de cet échec est avant tout culturelle.
Comme l’indique Philippe d’Iribarne, les États-Unis et les pays latins, à plus forte raison la
France, n’adoptent pas du tout la même approche des relations entre salariés et dirigeants.
Si aux États-Unis, la mise en place d’un contrat de performance ne pose pas de problèmes
en soi, tant qu’il est accepté et respecté par les deux parties, en France, comme dans la
plupart des pays latins, nous n’abordons pas la question de la même façon. Nous
raisonnons plus en termes de respect des valeurs qu’en termes d’engagement contractuel.
C’est bien cette différence culturelle qui, toujours d’après Philippe d’Iribarne, explique
l’échec de bon nombre de méthodes de management d’origine outreAtlantique, déployées
en France sans prendre la précaution de les adapter. Si les Anglo-Saxons sont plutôt dans
une vision de type « utilitariste » du travail, où chacun remplit sa fonction selon ce qui lui
est assigné contractuellement, les Français sont enclins à préférer un modèle de type «
intégration » où l’assimilation au sein du groupe, de l’équipe, de l’entreprise, est
primordiale7.
La citation qui interpelle
« Lorsque chacun considère que ses devoirs sont largement fixés par la coutume du groupe professionnel auquel il
appartient (et que cette coutume ne peut être modifiée sans l’assentiment du groupe), il acceptera mal que son supérieur
prétende fixer ses objectifs. »

PHILIPPE D’IRIBARNE, LA LOGIQUE DE L’HONNEUR, 1989.

Il est aussi vrai que nous sommes actuellement dans une phase de mutation de la société.
Les nouvelles générations sont vraisemblablement plus sensibles à cette notion
contractuelle des relations entre la direction et les salariés. Ce changement de
comportement s’explique aisément. Il n’est plus guère possible de réaliser toute sa carrière
dans une même entreprise. D’ailleurs, ce n’est plus vraiment une ambition. Les salariés
d’aujourd’hui ont plus soif de changement et d’évolution rapide, d’une certaine forme de
liberté. Il faut, dit-on, construire son « employabilité ». D’où un intérêt croissant pour les
approches de type contractuel, où la relation avec l’employeur et l’ensemble des
partenaires de l’entreprise est du type « donnant-donnant », une expression moins
galvaudée, plus concrète et moins trompeuse que le sempiternel « gagnant-gagnant ».
En résumé

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Un contrat, c’est un filet de sécurité. Bien préparé, il peut devenir l’instrument du renforcement de la confiance. Chaque partie
se sent liée par cet accord. Chacune est alors assurée que l’autre partie respectera ses responsabilités ainsi précisées 8. On peut
donc s’engager. Le contrat ne remplace pas la culture du travail bien fait et la satisfaction de la mission accomplie, il la
complète.

Les conditions d’obtention d’un objectif


C’est aussi le bon moment pour préciser les conditions d’obtention de l’objectif. Si des
moyens supplémentaires sont nécessaires pour y accéder, il est hautement recommandé de
formaliser et de mentionner cette exigence dans le contrat, afin d’éviter les quiproquos sur
le moment et les controverses stériles par la suite dans le feu de l’action, au moment où les
moyens supplémentaires font défaut.

1Page 178.
2Le poka-yoke est un terme japonais que l’on peut traduire en français par « prévention d’erreur » ou plus
simplement « détrompeur ». La disposition des broches d’une prise électrique qui impose un seul mode de
branchement est un bon exemple. Le poka-yoke est parfaitement utile dans ce type d’utilisation simple.
3David Marquet, Turn the Ship Around ! A True Story of Turning Followers into Leaders, Portfolio Penguin, 2013.
4David H. Maister, Charles H. Green, Robert M. Galford, The Trusted Advisor, Free Press, 2001. À noter, Vineet Nayar
auteur de Les Employés d’abord, les clients ensuite, déjà mentionné, utilise la même formule pour établir un
climat de confiance dans l’entreprise HCL Technologies.
5Op. cit.
6Philippe d’Iribarne, La Logique de l’honneur, Seuil, 1989.
7Les Français sont adeptes du système D, dit-on. Une pratique bien utile pour combler l’écart entre le prescrit et le
réalisable. Pour la bonne cause, bien entendu. La satisfaction du travail bien fait et de la mission accomplie en
dépit des impondérables est toujours une source de motivation, même si la folie de la normalisation limite
drastiquement les degrés de liberté.
8Toutes les entreprises ne respectent pas les accords passés avec les salariés. Continental à Clairoix (Oise) ou plus
récemment Whirlpool à Amiens (Somme), pour ne citer que celles-ci, ont rompu unilatéralement les
engagements contractuels avec les conséquences que l’on connaît pour un bassin d’emplois déjà fort sinistré.
Avec ces précédents, l’on peut comprendre les réticences des salariés à signer des accords contraignants. Ce
n’est pas avec des pratiques de ce type que l’on accédera à des relations plus saines et donc plus productives.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

11.
Mais qui dit « action » doit aussi entendre «
reconnaissance », seconde clé de voûte de la démarche

Pour atteindre l’objectif, la méthode choisie implique nécessairement le lancement de


plusieurs actions destinées à l’amélioration de l’activité ou du processus sous contrôle. La
réussite du déploiement stratégique localement dépend de la pertinence des actions
lancées et de leur effectivité. C’est dire l’importance que l’on doit accorder à l’identification
des actions et à leur suivi tout au long du processus d’amélioration.

De l’exactitude des fiches d’action découle la définition des


responsabilités
Toujours dans l’esprit du contrat, tous les moyens humains, financiers, matériels,
nécessaires pour l’accomplissement de chacune des actions, seront soigneusement listés en
précisant les dates ultimes de disponibilité. Le plan d’action précisera aussi les rôles et
responsabilités des femmes et des hommes de l’équipe, mobilisés directement ou
indirectement, pour mener à bien chaque action. L’investissement en temps de chacun à
l’accomplissement de chaque action peut aussi être mentionné, il s’exprime en
pourcentage1.

Nom, prénom Rôle % temps investi Date d’implication Approbation

Responsable 20 %

Exécution 15 %

Exécution 15 %

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Exécution 20 %

Conseil 10 %

Tableau 4 : Un exemple de fiche d’action

Être responsable n’est pas un vain mot. Il s’agit de répondre de ses actes ainsi que de ceux
de toute personne placée sous son autorité. Autant s’assurer de disposer de toutes les
cartes en main. Selon la complexité des actions à mettre en œuvre, il est parfois prudent de
se livrer à une courte analyse des risques et des menaces potentielles pour éviter de se
lancer sans filet. Le responsable avisé prendra le temps d’enquêter afin de lister les
éléments de réponse à la question : « Qui ou quoi pourrait me gêner ou m’empêcher de
conduire à son terme l’action dont j’ai la responsabilité ? »
Mais il ne suffit pas de définir des objectifs et d’établir des fiches d’action précises et
réalistes. Encore faut-il que la volonté d’atteindre ces objectifs soit suffisamment
entretenue pour que les salariés trouvent l’énergie de dépasser les obstacles et de vaincre
les moments de découragement. Autrement dit :
 Je veux bien me défoncer, encore faut-il me dire pourquoi !
Le fonctionnement de l’entreprise ne repose pas que sur des normes et des procédures,
tout n’est pas programmable. L’entreprise produit, s’améliore et devient plus efficace
uniquement grâce à la volonté des femmes et des hommes d’accomplir au mieux leur tâche
assignée. Il n’y a guère besoin de passer trop de temps au cœur d’une entreprise pour
comprendre comment elle fonctionne. La large majorité des acteurs de l’entreprise
s’efforcent, lorsqu’il le faut, de transgresser leur fiche de fonction. Ils communiquent des
informations essentielles, échangent des analyses, partagent leur expérience et leurs tours
de main. On connaît bien les méfaits de la grève du zèle. Dès que les salariés d’une
entreprise, ou plus généralement d’une organisation, appliquent les règles et procédures à
la lettre, au mieux le taux d’efficacité plonge, au pire l’organisation est paralysée. Pas de
vision idyllique pour autant. Les tire-au-flanc, les incompétents, les râleurs, les fraudeurs,
les profiteurs et autres opportunistes, sont bien présents au sein de toutes les
organisations. C’est un fait. La rumeur existe aussi et elle circule fort bien. On n’échappe pas
si facilement à la médiocrité. Mais toute organisation fonctionne ainsi.
Les salariés les plus constructifs apprennent rapidement à reconnaître et à se méfier des
éléments perturbateurs. C’est d’autant plus vrai au sein d’une entreprise qui pratique un
management moins distant et donc plus humain, et qui de surcroît connaît la valeur du mot
« reconnaissance ».
 Dites-moi que vous aimez ce que je fais

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

En fait, ce n’est pas bien compliqué. Vous aimez vous sentir considéré ? Vous êtes
exactement comme tout le monde. Le besoin de considération est justement un des ciments
de la vie sociale.
La citation qui interpelle
« La notion de reconnaissance permet de mieux rendre compte de la manière dont se résolvent les conflits individuels et
sociaux que ne le feraient les notions d’intérêt, d’appétit de pouvoir ou les principes abstraits comme l’amour, l’égalité ou
la liberté. »

AXEL HONNETH (1949-) PHILOSOPHE ALLEMAND, LA LUTTE POUR LA RECONNAISSANCE.

Pour se construire une image positive de soi-même, on se fie au regard que les autres
portent sur nous. Les jugements flatteurs nous ennoblissent, les dénigrements nous
mortifient, l’indifférence nous obsède. Elle nous laisse dans le doute, elle peut parfois même
être interprétée comme une forme de mépris. Chaque individu d’un collectif éprouve le
besoin de se sentir utile, de comprendre que sa contribution est considérée à sa juste
valeur, en tout cas celle que lui estime intimement.
Et aujourd’hui ?
L’indifférence, trop courante dans l’entreprise, engendre des frustrations, des résignations, des résistances, voire des rejets.

La reconnaissance des autres, de la hiérarchie bien sûr, mais aussi des collègues du groupe
et des partenaires de travail, est une brique essentielle pour construire une estime de soi
digne de nos attentes. Reconnus, nous avons conscience d’accomplir un travail utile et nous
nous sentons valorisés par notre entourage.
C’est dit !
L’estime de soi renforce la confiance en soi.

C’est une clé de la survie en entreprise. Elle est indispensable pour résister aux
influenceurs persuasifs et défendre son point de vue, sans trop subir la pression du groupe
dans le cas d’un débat ou d’une prise de décision collective. Il est clair que les individus qui
ont une faible estime d’eux-mêmes sont rarement les premiers à s’engager en terrain
inconnu. Ils sont généralement réticents à sortir du quotidien et craignent les changements
d’habitudes. D’où l’importance de développer la question de la reconnaissance en
entreprise pour dynamiser la prise d’initiative, sans laquelle aucune innovation n’est
envisageable et donc aucune démarche de progrès n’est concevable 2.
 Mais quelle reconnaissance ?
La reconnaissance des résultats n’est pas suffisante. L’effort fourni et les compétences
déployées méritent tout autant d’être reconnus à leur juste valeur. La reconnaissance est
un tout. Les vrais professionnels affichent une certaine fierté à bien faire leur travail, quitte
à aller au-delà du rôle qui leur est assigné et à transgresser (un peu) les procédures. C’est
cela qu’il s’agit de reconnaître, de valoriser, de renvoyer une image positive et donc
encourageante envers tous ceux qui se démènent, et donnent toute leur énergie pour
remplir du mieux possible leur mission. Ce ne sont pas les mesures aussi précises soient-
elles qui renverront une image exacte de cet effort au quotidien.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Témoignage
Il y a déjà quelques années, j’intervenais sur un projet en déroute au sein d’un atelier de mécanique de précision. Le
manager en poste avait développé une « chiffromanie aiguë » pour le moins pathologique. Il ne faisait confiance qu’à la
mesure et à ses deux corollaires, la pression du temps et la course aux prix bas, sans tenir compte du professionnalisme de
ces vrais artisans et de la qualité du travail réalisé. Il est vrai que l’atelier concerné méritait une sérieuse réorganisation.
Mais il n’était pas envisageable de l’aborder sans discernement.

Le respect du métier et de l’amour-propre de ceux qui l’accomplissent est le premier


fondamental. La reconnaissance du travail bien fait est le second. Les impératifs de
productivité et de rentabilité sont une évidence, mais ils ne seront jamais remplis sans la
connaissance intime de ceux qui accomplissent le travail. Après, bien entendu, il s’agit de
convaincre ces professionnels de l’importance d’utiliser des indicateurs de performance,
mais c’est moins difficile qu’il n’y paraît si l’on suit la bonne démarche. C’est là, l’objet de
cette étude. Mais développons au préalable cette question fondamentale de la
reconnaissance.

La reconnaissance comme moteur d’un management


responsable
Avez-vous remarqué ? Ceux qui décrivent ainsi leur emploi : « Je suis parfaitement
autonome dans mon travail et je prends seul(e) mes décisions » éprouvent un plaisir
évident. Tandis que ceux qui confessent : « Je suis contrôlé(e) en permanence, je ne peux
pas faire comme je veux, je dois attendre les directives ou suivre les procédures, ce qui est
du pareil au même » semblent porter la croix de tous les malheurs du monde… N’est-ce pas
révélateur d’un malaise profond et aussi de sa solution ?
 Le principe de la carotte et du bâton est encore aujourd’hui l’instrument
privilégié de la reconnaissance en entreprise
Dans les entreprises appliquant les règles managériales traditionnelles fondées sur le
modèle domination-soumission, on ne jure que par le principe ancestral de la promesse de
la carotte et de la menace du bâton pour motiver les salariés. Comme pour une bête de
somme, ce sera une double ration de picotin si tu as bien travaillé, ou quelques coups de
cravache si tu as un peu musardé au lieu de te consacrer à fond à ta tâche. L’évaluation
annuelle des collaborateurs dans bien des sociétés de conseils ne vise pas d’autres finalités.
La promotion pour les uns, la porte pour les autres.
Adopter la promesse de la prime ou la menace de la punition comme instrument de
motivation, c’est faire totale abstraction de ce qui motive réellement les salariés pour
accomplir leur mission. Bien plus d’activités qu’on ne l’imagine satisfont pleinement ceux
qui les réalisent. Ce n’est pas la seule perspective d’une prime ou la peur d’un blâme qui
motive pour se lever le matin. L’ambiance de travail, les rencontres, la tâche à réaliser ou
les responsabilités à assumer, et toutes combinaisons des éléments de cette courte liste qui
mérite d’être complétée sont autant de facteurs de bien-être au travail. Le salaire et les
primes sont des points essentiels, n’en doutons pas, mais ce ne sont pas les seuls facteurs

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

de motivation. Heureusement d’ailleurs, sinon aucun salarié n’accepterait spontanément


d’aller au-delà de sa fiche de poste pour assumer les inévitables imprévus, et aucune
entreprise ne pourrait fonctionner3. C’est une évidence, mais il fallut tout de même attendre
les années 1960, avec les travaux de Douglas Mac Gregor, pour mesurer à quel point
Frederick Taylor, pour qui tout salarié est un fainéant qui s’ignore, avait tort4.
Douglas McGregor (1906-1964), professeur de management au Massachusetts Institute of
Technology (MIT), est l’auteur en 1960 de l’ouvrage de référence The Human Side of
Enterprise5. Dans cette étude, l’auteur démontre l’aberration managériale de se fier encore
aux vieux concepts tayloriens. Il classe ainsi les modes de management en deux catégories
bien distinctes : X et Y.
• Le management traditionnel de type X part du principe que le salarié moyen déteste le
travail et fera tout ce qu’il faut pour l’éviter. Il n’a pas d’ambition et ne souhaite aucune
responsabilité, et préfère suivre un leader sans se poser de questions. Il se fiche des
objectifs de l’organisation, seul son intérêt personnel l’importe. Tous les principes de
rémunération au mérite et les primes de rendement, que l’on peut apparenter au principe
de la carotte, sont parfaitement adaptés à un mode de management de type X.
• Le management de type Y, au contraire, prône que le travail n’est pas une contrainte par
définition. Les femmes et les hommes aspirent à exprimer leur créativité et ont besoin
d’autonomie pour y parvenir. Ils recherchent les responsabilités et s’engagent à atteindre
les objectifs de travail, d’autant plus que ceux-ci accomplissent aussi leurs ambitions
personnelles.
C’est dit !
Il est tout de même surprenant qu’à notre époque où la différence concurrentielle se joue sur l’économie de la connaissance, les
entreprises qui font le choix d’un mode de management inspiré de ce type Y apparaissent encore comme révolutionnaires.

 La reconnaissance, ce n’est pas uniquement récompenser les résultats


obtenus…

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 40 : les types de reconnaissance en entreprise

La reconnaissance ne s’exprime pas uniquement sous la forme classique d’une récompense


une fois les résultats atteints (cas 1 et 2 de la figure 40).
Il est désormais reconnu que la promesse d’un prix, une prime par exemple si l’on atteint
l’objectif fixé dans les délais, n’est peut-être pas le moyen le plus efficace pour stimuler
l’efficacité individuelle ou collective. En effet, une fois le résultat prévu atteint, la prime est
considérée comme un dû et non comme une félicitation5.
 La reconnaissance, c’est aussi le moyen de délivrer un feedback positif…
La reconnaissance, ça sert à…
Sentir que l’on suit la bonne direction, que l’on adopte la bonne approche, et surtout que cela
vaut le coup de se défoncer !

Figure 41 : Le rôle de la reconnaissance sur la performance individuelle et collective

Avec un mode de management fondé sur la responsabilisation et l’autonomie des équipes,


les marques de reconnaissance favorisent le progrès continu. Elles fonctionnent non
seulement comme un encouragement à progresser, mais aussi comme un feedback positif
destiné à confirmer au salarié ou à l’équipe qu’ils suivent bien la bonne direction (cas 3 et 4
de la figure 40).
 Mais la reconnaissance, c’est surtout le moyen de montrer sa considération
Théoriquement, il existe deux types de motivation : extrinsèque et intrinsèque.
• La motivation extrinsèque caractérise une source extérieure de satisfaction, telles que les
promesses de récompenses, qu’elles soient financières ou plus généralement sous la forme
d’avantages matériels, de promotion ou de formation profitable6.
• En revanche, on qualifie de motivation intrinsèque les stimulateurs internes qui nous
animent, comme le plaisir d’achever la tâche assignée, de se dépasser en acceptant des
missions plus difficiles, le goût de la qualité et celui du travail bien fait que l’on a déjà
abordé (cas 5 de la figure 40). Les motivations intrinsèques sont bien plus puissantes pour
parvenir à un objectif fixé et conforme à ses attentes et à ses possibilités. La
reconnaissance, vue sous l’angle de l’estime et de la considération des qualités et du talent
de l’individu ou de l’équipe, est bien le moyen de renforcer les motivations intrinsèques.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Remarque : les deux modes de motivation ne s’opposent pas mais se complètent.


Les enquêtes le prouvent
Plusieurs enquêtes montrent que les salariés souhaitent une réelle implication au cœur même du processus de décision,
non seulement pour donner leur opinion mais bien pour être écoutés. Ils aspirent aussi à un réel soutien de leur
management dans les moments les plus délicats, notamment en cas d’erreur. Évidemment, si la rémunération n’est pas
jugée suffisante pour les responsabilités et la charge de travail, il ne faut pas trop compter sur les motivations intrinsèques7.

Le management, c’est aussi parvenir à conjuguer les motivations


personnelles de chacun avec celles de l’entreprise
Il est évident que de nos jours, bien rares seront ceux qui passeront toute leur vie dans la
même entreprise. Une carrière se construit justement en changeant régulièrement
d’entreprise et de fonction afin d’enrichir son « employabilité », un terme à la sonorité
détestable mais qui dit ce qu’il veut dire. Nous cherchons tous à acquérir de l’expérience
afin de mieux progresser dans notre carrière personnelle. Ce ne sera pas en prônant la
dévotion pour l’entreprise, sa marque et ses finalités, comme le suggèrent les promoteurs
de l’entreprise libérée8, que l’on parviendra à impliquer plus étroitement les salariés. Le but
n’est pas de se donner corps et âme pour l’entreprise, mais bien de se sentir responsable et
compétent pour accomplir du mieux possible sa mission pour la réussite collective. Pour
cela, encore faut-il être conscient de l’estime en laquelle on nous tient, et savoir que nos
qualités professionnelles sont reconnues à leur juste valeur. Et si les objectifs visés sont à
peu près en phase avec ses motivations personnelles, le pari est gagné (cas 6 de la figure
40).
La reconnaissance ne doit surtout pas faire abstraction des motivations personnelles, bien
au contraire. Le développement de l’employabilité est une préoccupation prioritaire.
Toutes les actions allant dans ce sens, que ce soient des propositions de formations utiles
ou de nouvelles responsabilités conformes aux attentes du salarié, seront autant de
stimulants pour une amélioration continue profitable, autant pour le salarié que pour
l’entreprise9.
Démarche à suivre

Au cours de l’entretien d’évaluation, le manager n’hésitera pas à montrer franchement qu’il considère son subordonné.
Sans se focaliser exclusivement sur la performance, il s’intéresse attentivement à sa contribution dans le processus de
création de valeur et écoute ses remarques et suggestions, notamment sur les améliorations à apporter telles que les
moyens nécessaires ou encore les tâches inutiles.

Attention, si dans la foulée il n’y a pas de changement perceptible, ce questionnement sera perçu comme un jeu de dupes !

Reconnaissance de l’individu ou de l’équipe ?


Pour être efficace, la reconnaissance mérite d’être dosée et raisonnablement distribuée tel
un maître queux assaisonnant ses préparations. Si l’on ne prend pas les précautions

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

d’usage, les marques de reconnaissance adressées à un salarié méritant risquent de devenir


le carburant de la rivalité au sein de l’équipe. Cette dérive perverse est d’autant plus
difficile à contrôler dans un monde où la performance individuelle est encensée. Une
rivalité mal contrôlée entraîne nécessairement une chute de la performance collective de
l’équipe. Il existe déjà suffisamment d’antagonismes au sein d’un groupe de travail, sans
pour autant aviver malgré soi des conflits passionnels latents. Au contraire, il s’agit de
démontrer que la réussite est justement le fruit de la coopération. Une coopération qui
exige l’affirmation de chacune des individualités. C’est là le seul moyen de résoudre les
problèmes complexes auxquels est confrontée l’équipe10. Et c’est bien cela que le
management doit impérativement encourager.
Mais ce n’est pas si aisé. Éviter l’impression d’arbitraire dans la distribution des
récompenses est la principale difficulté et aussi la plus délicate à résoudre. Si le manager ne
prend pas le soin de déminer cette question dans les délais les plus courts, la frustration et
le sentiment d’injustice ressentis par quelques-uns auront tôt fait de saper l’ambiance et de
dévaster la cohésion de l’équipe. Il s’agit en effet de s’assurer que l’on ne peut se poser au
sein de l’équipe des questions telles que : « Quelles sont les règles pour être bien vu ? », «
Pourquoi untel a-t-il touché une prime exceptionnelle, et moi qui me suis défoncé, on ne me dit
même pas merci ? ».
En résumé

Une communication simple et informelle bien conduite pour rétablir la confiance lèvera la plupart des incompréhensions et des
malentendus, sans pour autant que l’on soit certain de satisfaire tout le monde. Les humains sont ainsi.

Le droit à l’erreur conditionne la prise d’initiative

Figure 42 : Qu’est-ce que l’autonomie ?

Sans un droit à l’erreur bien défini, aucune personne sensée ne se risquera à affronter
l’éventualité de ne pas réussir. Elle rechignera à prendre des initiatives, et évitera
d’expérimenter d’elle-même de nouveaux procédés, de nouvelles méthodes ou de
nouveaux outils pour ne pas endosser la responsabilité d’un possible échec. L’autonomie
n’est alors qu’une dénomination vide de sens. Si le droit à l’erreur est livré à l’arbitraire
d’un manager, lui-même dans le doute et l’incertitude, les plus intrépides se

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

métamorphosent rapidement en simples velléitaires. C’est la rançon de l’expérience. Mais


parfois, on n’a pas le choix. Pour accomplir sa mission, la prise d’initiatives s’impose et le
stress devient alors le compagnon du malheureux expérimentateur malgré lui. C’est bien
pour cela que les salariés attendent un réel soutien de leur management en cas de contre-
performance suite à une expérimentation infructueuse. C’est cela que l’on appelle « le droit
à l’erreur ».
 Et pourtant, on apprend de ses erreurs… Et parfois on innove !
En entreprise, on n’est pas très chaud pour l’empirisme. Pourtant, dire que l’on apprend de
ses échecs, ce n’est pas qu’une formule, c’est aussi la recette de l’innovation11. En tout cas,
c’est ainsi que Peter Sims12 décrit le processus de l’innovation après avoir étudié de près les
modes de conception des principaux innovateurs du moment.
Processus d’innovation

Les innovateurs ne démarrent pas le processus avec une idée bien arrêtée. Ils privilégient plutôt le principe des « petites
expériences » et progressent selon un principe d’essais/erreurs. Chacune de ces expériences est un petit pari. On se lance,
on essaie puis on juge ensuite si l’idée est bonne ou pas. Les échecs ne sont pas considérés comme des fautes. Au contraire,
c’est l’occasion de mieux saisir les subtilités du contexte et de se réorienter en connaissance de cause. Les échecs sont un
facteur de rebond, parfois le déclencheur d’une bien meilleure idée. Un principe encore mal perçu en entreprise.
Malheureusement.

1Une fiche d’action type est disponible avec les compléments de l’ouvrage L’Essentiel du tableau de bord, Eyrolles, 5e
édition, 2018. Ces compléments sont en accès libre et téléchargeables à cette adresse : http://tb2.eu/p7
2Le lecteur intéressé par la question de la reconnaissance profitera de la lecture du petit fascicule La
Reconnaissance. Des revendications collectives à l’estime de soi, Sciences Humaines, collection La Petite
Bibliothèque de Sciences Humaines, 2013 et disponible en version e-book sur le site de l’éditeur.
3Les logiciels open source non plus n’auraient jamais vu le jour. La majorité des serveurs Web reposent sur des
outils open source, comme Linux et Apache, développés en premier lieu par des passionnés bénévoles. Le
catalogue d’outils open source est aujourd’hui particulièrement étoffé et les entreprises utilisatrices,
parfaitement conscientes de la qualité des développements originaux, ne s’y trompent pas.
4Cela dit, Taylor pensait satisfaire les intérêts des ouvriers en versant des salaires significativement plus élevés en
échange d’une disponibilité maximale aux limites du possible. Il explique que sans ces augmentations (60 à 90
% tout de même), il sera difficile d’obtenir le rendement demandé. Les ouvriers sont donc a priori heureux de
gagner un salaire très supérieur à la moyenne. Il est assez symptomatique de noter que le préfacier de la
traduction française de 1912, le célèbre chimiste Henry Le Chatelier, l’un des principaux supporters français de
la méthode scientifique, juge que cette augmentation de salaire est une erreur. Voici son raisonnement : en
appliquant cette méthode révolutionnaire, la productivité augmente significativement. Grâce aux économies
d’échelle ainsi réalisées, les prix des produits vont sérieusement chuter et les ouvriers en profiteront. À salaire
égal leur pouvoir d’achat sera donc plus important… Le patronat français a bien sûr unanimement salué cette
explication opportune. Comme quoi il y avait nettement pire que la méthode scientifique de Taylor : ses
supporters français.
5Douglas McGregor, The Human Side of Enterprise, Annotated Edition McGraw-Hill Professional, 2006.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

6Cindy Ventrice, auteur de l’ouvrage Make their Day!, précise toutefois qu’accompagnée d’un commentaire flatteur
(« bravo, c’était difficile, votre talent mérite d’être récompensé ») et d’un sincère « merci », la prime est alors
effectivement considérée comme une marque de reconnaissance. Dans une entreprise où la confiance est déjà
bien établie, ces quelques compliments auront certainement un effet positif sur les performances à venir.
7Le livre de Bob Nelson, 1501 Ways to Reward Employees (Workman Publishing, 2012), est une mine d’exemples
illustrés pour les managers un peu à court d’idées.
8Lire à ce sujet, La Vérité sur ce qui nous motive, Daniel Pink, Flammarion, 2016.
9Voir notamment l’ouvrage de Tony Hsieh, fondateur de Zappos, L’Entreprise du bonheur, Leduc, 2011.
10Les formations proposées ne sont pas uniquement dans l’intérêt immédiat de l’entreprise, comme une formation
au nouveau logiciel de gestion maison, mais bien en priorité pour l’intérêt du salarié et de sa carrière. La
question de la promotion est une option plus délicate pour nombre de PME : les postes à responsabilité sont
déjà occupés…
11Nous développerons ce thème au chapitre 14.
12En revanche, le droit à l’erreur ne doit pas permettre de ne pas apprendre de ses erreurs. Si commettre une
erreur alors que toutes les précautions ont été prises est tout à fait admissible, réitérer les mêmes erreurs est a
priori une faute impardonnable.
13Peter Sims est l’auteur de Little Bets: How Breakthrough Ideas Emerge from Small Discoveries, Simon & Schuster,
2013.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

12.
Choisir les bons indicateurs de performance

L’indicateur est loin d’être neutre, il est même quelque part performatif. Non seulement il
reflète l’état d’une situation, mais il structure aussi notre cadre de pensée et oriente
l’action. C’est d’ailleurs là son rôle. Les voies d’amélioration ont été soigneusement
identifiées, elles sont matérialisées par les objectifs tactiques choisis à l’étape précédente.
Les indicateurs canalisent notre perception sur les seuls aspects de la performance ainsi
ciblés. Ils font abstraction de tout ce qui pourrait risquer de nous dérouter de notre
mission. C’est dire s’ils doivent être bien sélectionnés. Ainsi, choisir un indicateur
générique parce qu’il est habituellement utilisé par la profession n’est pas la décision la
plus judicieuse. Il peut être tentant pour un responsable logistique d’adopter sans plus de
réflexion un indicateur incitant à réduire drastiquement les stocks. C’est un indicateur
classique de la profession. Cependant, si la stratégie choisie vise à fidéliser ses clients par
une disponibilité à toute épreuve et des livraisons sans délai d’attente, ce n’est peut-être
pas un choix très astucieux. Il est évidemment important de limiter les stocks, ils
représentent un coût conséquent. Mais sans un stock raisonnable, l’objectif stratégique est
impossible à atteindre. Un indicateur oriente toujours l’action. Cet indicateur choisi par
habitude risque de détourner ce responsable de sa mission. Il ne sera plus question d’agir
pour fidéliser les clients, mais bien de réduire les stocks par tous les moyens disponibles.

Les critères de choix d’un bon indicateur de performance

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 43 : Qu’est-ce qu’un bon indicateur de performance ?

Indicateurs Orienté Constructible Rafraîchi Budget Fiable Décisif

Qualité service client 3 0 0 0 0 0

Taux de réclamations 3 3 3 3 3 3

Taux d’erreurs de livraisons 3 3 2 3 3 3

Tableau 5 : Le crible de sélection des indicateurs les plus adéquats en commun

La procédure est en tout point similaire à celle que nous avons utilisée pour choisir les
objectifs les plus pertinents. Les suggestions des membres de l’équipe chargés de suivre les
indicateurs et d’atteindre les objectifs sont ventilées selon les six critères que nous allons
détailler un peu plus avant.
Seules les propositions d’indicateurs maximisant l’ensemble des critères sont retenues. Là
encore, une échelle à quatre niveaux s’impose. Un indicateur doit être suffisamment précis
et univoque pour que chacun puisse s’y référer sans qu’il existe la moindre opportunité de
quiproquo. Le premier indicateur en exemple sur ce tableau est bien trop vague pour être
retenu. Il fut un temps pourtant, où c’était un incontournable des tableaux de bord des
entreprises, conçus sans une véritable réflexion, et donc totalement inutiles1.
 Orienté : l’indicateur est orienté selon l’objectif choisi
L’indicateur de performance est un instrument de mesure. Il doit impérativement
s’exprimer dans une unité en accord avec l’objectif choisi. L’indicateur mesure la
progression et oriente les efforts dans le bon sens, c’est-à-dire dans le sens de l’objectif
sélectionné.
 Constructible : l’indicateur est relativement facile à construire
Toutes les informations nécessaires à sa construction sont disponibles ou le seront à court
terme. L’algorithme de calcul n’est pas trop complexe et ne fait pas appel à des fonctions un
peu absconses. Tout un chacun peut comprendre la manière dont cet indicateur est
construit. C’est aussi une question de confiance. Dès que le décideur commence à douter
des éléments utilisés pour construire cet indicateur, il ne lui accordera aucune confiance.
La question de la consolidation des données intervient aussi à ce stade. Les données en
provenance d’autres activités, ou d’entités extérieures, méritent d’être considérées avec un
minimum de précautions. Il est en effet essentiel de bien comprendre à quoi se rapportent

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

précisément ces données si l’on souhaite en tirer profit. Ceux qui produisent ou utilisent
régulièrement ces données en connaissent les limites.
Exemple

Une information en provenance d’une filiale régionale est ainsi libellée « Chiffre d’affaires global ». Ce libellé est en fait erroné.
L’information remontée n’intègre pas les résultats d’une ou de plusieurs boutiques récemment intégrées dans le réseau. La
direction régionale est au courant et en tient compte. Elle sait qu’elle doit la cumuler avec les résultats de chacune des
boutiques. Cette information transmise au siège telle quelle, sans plus de précaution, sera globalisée avec d’autres résultats
pour bâtir un indicateur faux.

Construire un indicateur, c’est aussi prendre le temps de questionner soigneusement tous


ceux qui utilisent les données au quotidien, en espérant ne pas rencontrer de résistance et
de rétention d’information. Un cas bien plus courant qu’on ne le pense.

Rafraîchi : la fréquence de rafraîchissement de toutes les composantes de
l’indicateur est compatible avec le cycle de prise de décision
Une information n’est valable que durant un temps donné. Il vaut mieux ne pas être
contraint de prendre une décision au pied levé avec pour seule aide à la décision un
indicateur obsolète. Le risque sera bien moindre de jouer à pile ou face que de se fier à une
information dépassée. Le cycle de rafraîchissement de l’information doit être en phase avec

le cycle de prise de décision. C’est un impératif.

Figure 44 : La décision en « temps réel »

Exemple

Décider du bon moment pour une opération boursière, un acte d’achat ou de vente, ce peut être une question de minutes, voire
de secondes2. S’il s’agit d’exploiter le chiffre d’affaires réalisé par une filiale, on pourra se contenter du dernier rapport mensuel.
Les cycles financiers sont des cycles plus lents. Avec l’intensification du numérique, la production de rapports s’est

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

sérieusement accélérée sans pour autant apporter plus d’informations. Les résultats financiers sont donc publiés
impérativement à une échéance plus longue, afin d’intégrer toutes les informations qui mettent parfois plus de temps à
parvenir (cycles de ventes, délais de paiement, remboursements, crédits…).

Il est assez tendance d’inclure sous le vocable péjoratif « d’indicateurs rétroviseurs » les
informations issues des rapports comptables. « On ne pilote pas l’avenir en regardant le
passé » affirment quelques radicaux un peu excessifs en matière de pilotage d’entreprise.
C’est partiellement juste. Une donnée de résultat échu est orientée sur le temps passé, et
révèle, a priori, bien peu d’information sur le futur. Mais elle est porteuse d’une information
utile pour des démarches d’amélioration à plus long terme. Si le cycle de rafraîchissement
de l’information est en phase avec le cycle de décision, elle peut être intégrée au sein d’un
indicateur plus global si besoin est. Elle sera aussi pertinente pour équilibrer des
indicateurs plus dynamiques. À voir au cas par cas.
À titre d’analogie, les économistes utilisent les notions d’indicateurs avancés, d’indicateurs
retardés et d’indicateurs coïncidents.
• Les indicateurs avancés sont tournés vers l’avenir afin de mieux anticiper les tendances à
plus long terme.
La mesure du moral des ménages est un indicateur avancé du taux de consommation à
venir. Si les ménages ont le moral, ils augmentent leur consommation et vice versa. Ce ne
sont pas les indicateurs les plus faciles à interpréter. Et les raccourcis ne servent pas la
science. Ainsi l’information sur le moral des ménages mérite d’être corrélée avec le taux
d’inflation ou l’accès au crédit, ou encore l’indice des prix à la consommation, avant d’en
déduire des généralités. Il n’est pas aisé d’offrir une juste interprétation des tendances
économiques sans se fourvoyer en des conjectures plus ou moins bien étayées.
• Les indicateurs retardés apportent un regard sur le passé, ce sont des éléments concrets
de la réalité des tendances des marchés.
Le produit intérieur brut (PIB) ou le taux de chômage sont des indicateurs retardés.
• Les indicateurs coïncidents mesurent l’activité économique, ils sont en phase avec les
marchés.
L’indice de la production industrielle est mis à jour chaque mois par l’Insee, c’est un
indicateur coïncident.
Les trois types d’indicateur sont tout autant indispensables pour étudier avec précision les
tendances des marchés dans la continuité et faciliter la prise de décision3.
Coût acceptable : l’indicateur est obtenu à un coût compatible avec l’enveloppe
budgétaire
Pour construire un indicateur, il peut être nécessaire d’engager des travaux qui parfois
s’avéreront bien plus coûteux que prévu. Les exigences de qualité des données utilisées à
des fins décisionnelles sont en effet sans commune mesure avec celles généralement
admises pour un usage de production. Le nombre de données erronées contenues dans un
système d’information quel qu’il soit dépasse très largement les pires prévisions. La
correction des erreurs et des incohérences a un coût loin d’être négligeable. S’il s’avère
indispensable d’envisager la construction d’une infrastructure technologique spécifique

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

pour récupérer des informations qui ne sont pas encore intégrées dans le système
d’information, le budget risque d’être dépassé avant même d’avoir commencé le projet
proprement dit. Ces coûts ne sont jamais prévus à leur juste valeur dans l’enveloppe
budgétaire du projet. C’est d’ailleurs l’une des principales causes d’échec des projets
décisionnels.
CONSEIL
Le mieux est de lancer une sérieuse réflexion collective pour juger de la nécessité des indicateurs les plus difficiles à
construire. Il peut parfois être ainsi utile de faire l’impasse sur des indicateurs dont l’apport au processus décisionnel ne
justifie pas le coût de construction.

 Fiable : l’indicateur est fiable au sens des décideurs


Si l’on a bien respecté les étapes précédentes, techniquement, l’indicateur est fiable. Les
données servant à sa construction sont de qualité et elles sont rafraîchies en temps et en
heure. En revanche, rien ne dit que les informations ayant servi à la construction de cet
indicateur recueillent toute la confiance des décideurs amenés à l’exploiter. Dès que le
soupçon s’installe, l’indicateur est inutile.
Exemple

Le soupçon peut, par exemple, porter sur les chiffres transmis par une filiale, dont le gestionnaire, à tort ou à raison, ne
bénéficie pas d’une renommée d’intégrité et de loyauté à toute épreuve. Si le décideur sait qu’un indicateur de performance
essentiel est construit avec les données transmises par cette filiale, on peut facilement comprendre qu’il n’accorde pas toute
confiance à l’information indiquée.

 Décisif : l’indicateur incite à la prise de décision


L’indicateur n’a d’autre finalité que d’aider le décideur à se forger un avis sur une situation.
À la lecture de l’indicateur, le manager ou l’équipe disposent d’une information de
confiance et sont prêts à décider. Cette décision peut être :
• « On ne touche à rien, tout va bien, on avance comme prévu. »
Ne rien faire dans ce cas est une décision.
• « On ne va pas assez vite, il faut en savoir un peu plus, investiguons plus avant. »
Tous les éléments qui ont servi à construire l’indicateur sont accessibles afin de faciliter les
analyses plus poussées.
• « Une des actions lancées n’est vraisemblablement pas suffisamment efficace, il faut la
renforcer. »
Il est prudent de prendre le temps d’un rapide audit de l’action pour mieux identifier les
failles.
• « De nouvelles actions doivent être mises en œuvre pour atteindre l’objectif fixé, voyons
lesquelles. »
Bien évidemment, si le décideur ou l’équipe ne dispose pas des moyens d’action, il/elle ne
peut que constater l’information de l’indicateur, et celui-ci ne sert à rien.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

• « On n’y parviendra pas, il est nécessaire de réviser la tactique choisie. »


C’est peut-être l’objectif choisi qui pose problème, le contexte a probablement évolué et
l’objectif s’avère bien plus difficile à atteindre.

Présentation des indicateurs : Le tableau de bord


Une fois les indicateurs soigneusement sélectionnés, la construction du tableau de bord
proprement dite ne pose pas de difficultés majeures. Il suffit de respecter les sept règles
suivantes qui pour la plupart tombent sous le sens. Elles résument et synthétisent les
constatations que nous avons étudiées au fil des pages précédentes.
 Règle numéro 1 : Limiter le nombre d’indicateurs
Il est contre-productif de multiplier sans retenue les indicateurs sur un même écran. Notre
cerveau est incapable de traiter un grand nombre d’informations à la fois. Dix informations
présentes en même temps sur une même vue est le maximum à ne pas dépasser.
 Règle numéro 2 : Choisir la représentation graphique la plus adéquate
Chaque indicateur porte une information. Il s’agit de bien saisir toute la richesse du sens
contenue dans cette information. La représentation graphique utilisée joue un rôle majeur
dans le transfert du sens. Les classiques outils de tableau de bord, ne serait-ce que
Microsoft Excel l’outil préféré d’une large majorité d’utilisateurs, proposent un éventail de
graphiques qui couvrent la majorité des besoins des décideurs les plus exigeants. Passons
ici en revue quelques-unes des principales représentations graphiques habituellement
utilisées pour concevoir un tableau de bord de pilotage opérationnel.

La jauge

La jauge de type tachymètre est incontournable. C’est le graphique idéal pour évaluer la
progression vers un objectif quelle que soit l’unité de mesure choisie (durée, coût, quantité,
etc.). L’information est claire, riche de sens et compréhensible pour tout un chacun. On
réservera ce type de graphique pour représenter exclusivement les indicateurs dont on
doit suivre précisément la progression. Il ne s’agit pas de singer le cockpit d’un Boeing 747.

Le feu de signalisation

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Les indicateurs de type « alerte », souvent représentés par un feu de signalisation ou feu
tricolore, sont tout aussi indispensables pour indiquer un dysfonctionnement tel qu’un
problème de trésorerie, une chute du volume des ventes ou une augmentation du nombre
de retours client, bref toutes informations qui exigent une réaction immédiate. Il est
toutefois prudent de ne pas multiplier le nombre d’indicateurs d’alertes de ce type sur un
tableau de bord au risque de le dénaturer et de le réduire à un simple concentrateur
d’alarmes. En toute logique, pour une équipe de décideurs donnée, le nombre d’alarmes
exigeant une réaction immédiate doit être limité.

La courbe

Pour suivre l’évolution d’une ou plusieurs valeurs dans le temps, la courbe s’impose. La
représentation sous forme de courbe donne aussi une bonne idée des tendances pour
mieux anticiper. Pour éviter les incompréhensions et les falsifications, l’échelle et les
valeurs d’axes sont parfaitement visibles.

Le diagramme en aires empilées

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Le diagramme en aires empilées est un bon outil pour comparer les variations de plusieurs
grandeurs dans le temps.
D’un simple coup d’œil, on perçoit les différences au fil du temps entre les grandeurs
présentées. Par exemple, un responsable commercial l’utilisera pour suivre
comparativement l’évolution des ventes par produit.

L’histogramme

L’histogramme, comme son intitulé l’indique clairement, permet de bien visualiser dans le
temps les variations d’une grandeur. Toujours en poursuivant avec l’exemple du
responsable commercial, c’est un graphe simple et fort utile pour suivre les variations des
ventes au fil des mois.

Le graphique secteur

Le graphique par secteur est destiné à l’étude des proportions des composantes d’une
grandeur particulière. Le responsable commercial visualise ainsi les proportions de chacun
des produits dans le chiffre des ventes mensuels global pour une région donnée.

Le graphique en anneaux

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Le graphique en anneaux est particulièrement adapté pour comparer les valeurs prises par
des entités équivalentes, comme les ventes réalisées par deux succursales par exemple. Il
est aussi utile pour comparer d’un simple coup d’œil les résultats par rapport aux
prévisions. Le cercle intérieur présente les résultats et le cercle extérieur matérialise les
prévisions.

Le graphique à bulles

Les courbes et histogrammes présentent les informations en deux dimensions. Le


graphique à bulles est une solution pour présenter les informations en trois dimensions. En
effet, la taille de la bulle est elle-même une information.

Le graphique radar

Le graphique type radar est bien pratique pour visualiser les multiples caractéristiques
d’une grandeur donnée. La toile d’araignée ainsi tracée est la signature en cet instant de

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

cette grandeur que l’on souhaite mieux identifier. Les forces et faiblesses apparaissent
clairement.
Ce ne sont là que des exemples parmi les plus connus. En règle générale, on évite d’afficher
des tableaux de données. On préfèrera toujours les graphiques qui assurent une
compréhension plus synthétique et plus rapide de l’information.
 Règle numéro 3 : Informer les utilisateurs
Il ne faut jamais oublier d’informer les utilisateurs du tableau de bord des particularités
d’un indicateur donné. La fonction commentaire, disponible sur bien des outils y compris le
tableur Excel de Microsoft, est justement prévue pour cela. Autant l’utiliser pour éviter les
contresens. Ainsi, il peut être tout à fait opportun d’utiliser l’effet loupe en ne démarrant
pas l’échelle à zéro d’un diagramme pour mieux visualiser les différences. La fonction
commentaire informera l’utilisateur que cet artifice est utilisé à dessein, et qu’il ne s’agit
pas dans ce cas de tromper son auditoire comme nous l’avons vu au chapitre 4, avec les
figures 9, 10, 11.
 Règle numéro 4 : Éliminer le bruit
La recherche d’esthétique ne doit en aucune manière empiéter sur l’ergonomie et le confort
d’utilisation de l’outil. Éviter autant que possible tous les gadgets et fioritures pauvres en
information. Ils surchargent le tableau de bord et affaiblissent le rôle des indicateurs qui de
ce fait sont moins en évidence. Simplifier au maximum est bien la règle la plus précieuse du
concepteur de tableaux de bord, elle n’est malheureusement pas toujours suivie.
Edward Tufte, statisticien et professeur émérite américain déjà mentionné dans cet
ouvrage, recommande de calculer le « data-ink ratio » afin de bien évaluer le taux
d’informations utiles par rapport au bruit de fond qui perturbe la compréhension du
message. Edward Tufte recommande ainsi de supprimer le quadrillage sur les graphiques,
tout comme les couleurs de fond, quand ils ne facilitent pas la compréhension de
l’information.
Pour ne pas troubler les utilisateurs, il est impératif de respecter les règles intuitives du
code des couleurs. Ainsi, la couleur verte est impérativement réservée pour représenter les
valeurs porteuses d’un sens positif. La couleur rouge sera utilisée pour les valeurs
négatives ou de danger. La couleur orange ou jaune servira pour signaler une dérive
comme dans le cas du feu tricolore vu ci-dessus.
 Règle numéro 5 : Équilibrer le tableau de bord
Comme nous l’avons vu au cours de cette étude, un indicateur se suffit rarement à lui-
même. Pour que l’information soit complète, il mérite dans bien des cas d’être
contrebalancé par un autre indicateur. Ainsi, pour reprendre un exemple trivial déjà cité,
un manager de projet qui souhaite accomplir dans les meilleures conditions sa mission ne
se contentera pas du seul indicateur d’avancement du projet. Il le complètera dans la même
vue d’autres indicateurs comme une mesure des dépenses et de la consommation du
budget et d’une évaluation du moral de l’équipe.
Ces cinq premières règles visent un seul et même objectif : concevoir un outil où il suffit
d’un seul coup d’œil pour saisir les informations essentielles.
 Règle numéro 6 : Élaborer les vues de détail

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Le tableau de bord ne sert pas qu’au constat. Il doit aussi offrir des pistes pour mieux
comprendre une situation précise. Avec un tableau de bord bien conçu, l’utilisateur accède
à une vue de détail d’un simple clic sur un indicateur. Cette vue de détail présente des
éléments d’explication du phénomène constaté sur la vue principale.
Dans cette phase d’utilisation de l’outil, le décideur est alors plus attentif pour analyser les
données composant l’indicateur. Ces données sont présentées sous forme de graphiques,
mais aussi structurés en tableaux.
Pour enrichir les tableaux et mettre en évidence les données significatives, le concepteur
exploitera avec profit les « sparklines », une géniale invention de Edward Tufte déjà
mentionnée ci-dessus. Les sparklines sont des micro-graphiques qui tiennent en une cellule
du tableau. Ils reflètent la tendance des données chiffrées, soit sous forme de barres, de
courbes ou d’une simple signalisation des valeurs positives et négatives. Ils sont
particulièrement utiles pour saisir rapidement l’information portée par une série de
données4. S’il est hautement recommandé de ne prévoir qu’une seule vue de signalisation,
le nombre de pages de détail n’est pas limité tant qu’elles fournissent le maximum
d’éléments concrets pour analyser un disfonctionnement.

 Règle numéro 7 : S’approprier le tableau de bord


Afin de s’assurer que l’ergonomie globale facilite l’utilisation de l’outil et n’entrave pas le
raisonnement, l’équipe de décideurs participe activement à l’élaboration du tableau de
bord. C’est un impératif.
Un tableau de bord évolue au fil du temps. Les attentes des utilisateurs s’affinent et les
besoins se précisent. Après quelques semaines d’utilisation, il sera vraisemblablement
nécessaire de recomposer le tableau de bord, de modifier des indicateurs et de compléter
des pages de détail. Il ne s’agit pas non plus de le reconstruire en permanence. Le nouvel
outil impose un changement des habitudes de travail, et il vaut mieux prévoir un temps
d’adaptation avant d’apporter de nouvelles modifications. Ce temps d’adaptation ne peut
être fixé à l’avance, il sera plus ou moins long selon les individus et les situations. L’objectif
étant qu’au final les utilisateurs s’approprient le tableau de bord.
Un audit périodique effectué par un intervenant extérieur à l’équipe de décideurs est une
bonne habitude à prendre pour s’assurer de la pertinence du tableau de bord dans le
temps. La périodicité sera ajustée au cas par cas. Un premier audit au bout d’un à deux mois

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

d’utilisation, puis répété tous les six mois, est une bonne base de travail. Au cours de cet
audit, on se posera la question de la fréquence d’utilisation du tableau de bord, de son
adéquation avec les attentes, et du degré de confiance que les décideurs accordent à cet
outil essentiel.

Un peu de pragmatisme
Si en France, on aime bien théoriser et mathématiser les problèmes, les Anglo-Saxons, et
surtout les Américains, privilégient l’expérimentation rapide. Le pragmatisme n’est pas la
solution universelle. En revanche, pour une recherche de solutions aux risques limités, il
est bien plus judicieux d’expérimenter sans tarder trop longtemps. L’indicateur n’est pas
parfait ? Essayons-le tout de même ! On apprendra, on progressera, et si ça ne marche pas,
nous saurons pourquoi. Nous serons alors plus instruits pour trouver une meilleure
solution.
Désormais, le décideur ou l’équipe de décideurs est en mesure d’orienter son action et
dispose d’un tableau de bord de référence, pour évaluer le progrès et donc la performance.
Nous sommes maintenant parfaitement armés pour aborder la question de la prise de
décision.

1Tous les indicateurs sont impérativement répertoriés : une fiche « indicateur » type est disponible avec les
compléments de l’ouvrage, L’Essentiel du tableau de bord, op. cit. Ces compléments sont en accès libre et
téléchargeables à cette adresse : http://tb2.eu/p7
2… ou de microsecondes pour le trading haute fréquence, mais qui ne fait pas intervenir d’humains.
3L’économie n’est pas une science exacte. Les indicateurs ne sont pas tous univoques. Les interprétations du sens
porté par lesdits indicateurs animent les débats entre économistes, chacun convaincu d’avoir opté pour la
bonne école de pensée et donc d’être au fait de la vérité. Le management n’est pas non plus une science exacte.
Les indicateurs ne sont pas des informations universelles. C’est bien pour cela que les indicateurs doivent être
utilisés uniquement par ceux qui sont tenus de prendre les décisions de terrain.
4Pour plus d’informations sur les sparklines, consultez la page : http://tb2.eu/p13

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

13.
Les indicateurs de performance ne sont utiles que si
l’on s’en sert pour prendre des décisions

Dans la politique et dans la vie, les demi-mesures et les hypocrisies


font toujours plus de mal que les décisions nettes et énergiques.

STEFAN ZWEIG (1881-1942), MARY STUART.

Les automates remplacent une bonne part du travail manuel depuis déjà quelques
décennies. Les « algorithmes1 » s’apprêtent à remplacer à leur tour, à plus ou moins long
terme, toutes les tâches intellectuelles répétitives et automatisables. Il existe pourtant deux
domaines qui seront toujours inaccessibles aux machines aussi sophistiquées soient-elles.
Le premier, c’est celui de la prise de décision. Non pas le calcul que l’on peut résoudre avec
des arbres de décision ou des algorithmes d’autoapprentissage, mais la vraie décision, celle
que l’on doit prendre en un contexte aussi complexe qu’incertain. Décider, c’est s’engager
en un territoire qui n’est que très partiellement balisé. On ne sait pas ce que l’avenir nous
réserve, et l’on ne dispose pas non plus de la totalité des informations pour mieux cerner la
situation présente. La décision est une prise de risques. Et ce n’est pas le big data qui
changera quoi que ce soit à cet état de fait. Nous ne serons jamais pleinement informés,
c’est ainsi. Seulement, nous les humains, nous sommes bien mieux équipés que les
machines pour décider. C’est, en effet, en nous appuyant sur notre sphère émotionnelle et
notre sensibilité affûtée par notre expérience acquise au fil des années, que l’on sait
discerner une voie possible dans un brouillard entropique généralisé. Bref, on anticipe.
La citation qui interpelle
« Anticiper, ce n’est pas seulement prévoir ; c’est beaucoup plus que prédire ce que sera le prochain événement. C’est plus
que faire face au prochain événement, c’est créer le prochain événement. »

MARY PARKER FOLLETT, FREEDOM & CO-ORDINATION,


LECTURES IN BUSINESS ORGANIZATION, 19492.

Le second thème inaccessible aux machines, un thème qui rejoint quelque part le premier,
c’est notre capacité à échanger et à partager naturellement des informations. Il ne s’agit pas
d’informations bien formatées comme deux unités centrales peuvent en échanger, mais des
suppositions, des sentiments ou des émotions. C’est ainsi que depuis l’origine des temps,
les humains mènent leur barque en environnement complexe et incertain.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Qu’est-ce qu’une décision ?


Un art difficile : généralement, dès qu’il avait pris une décision,
la décision contraire lui paraissait à partir de ce moment
comme infiniment préférable.

MARCEL PROUST (1871-1922), JEAN SANTEUIL.

Décider, c’est effectuer un choix qui nous engage dans une direction donnée et nous
contraint à l’action. Décider n’est pas toujours facile. Il ne suffira pas de peser le pour et le
contre pour ne pas se tromper. Décider, c’est aussi parfois devoir choisir entre plusieurs
alternatives alors qu’aucune ne se distingue réellement. Ce dilemme est encore plus
exacerbé en temps d’incertitude. Les éléments disponibles pour juger de l’opportunité de
l’une ou l’autre option sont insuffisants pour décider sans coup férir. Pour pimenter un peu
plus s’il était nécessaire, ajoutons que la décision n’est possible que dans une certaine unité
de temps. Il faut donc savoir exploiter au mieux les seules informations disponibles durant
la fenêtre de décision. Exploiter une information confidentielle pour profiter d’une
opportunité boursière ne dure qu’un temps. Une fois l’information connue de tous, il est
trop tard pour s’engager, la fenêtre de décision est déjà fermée.
En résumé

Pour décider, il faut savoir trancher, c’est-à-dire opter pour une alternative et faire son deuil des autres possibilités.
L’étymologie de « décider » est justement le verbe « trancher » (Le Robert).

Cela dit, fort heureusement d’ailleurs, toutes les prises de décision en entreprise
n’atteignent pas un stade paroxystique. Les professionnels dans l’entreprise prennent de
nombreuses décisions au quotidien. Vues de l’extérieur, elles peuvent parfois sembler
délicates alors qu’elles sont le plus souvent ce que l’on pourrait dénommer de la routine.
Rien de péjoratif dans ce terme. Prendre les décisions qui s’imposent, c’est justement ce qui
caractérise un professionnel qui maîtrise bien son métier. Il a suffisamment d’expérience
pour recomposer les informations manquantes et effectuer un bon choix. S’assurer que la
livraison sera faite à temps dans une logique de flux tendus, en gérant à l’optimum les
processus d’approvisionnement et de fabrication, ce sont des décisions assez courantes
pour les gestionnaires chargés de la bonne marche d’une chaîne logistique. Ce ne sont pas
nécessairement non plus des décisions de type « procédurales ». Il ne suffit pas de suivre le
mode d’emploi pour faire fonctionner une chaîne logistique complexe. Non, c’est tout de
même un peu plus compliqué que cela. Au quotidien, les gestionnaires affrontent des
décisions imprévues, et sont tenus de prendre les décisions de type ad hoc qui s’imposent.
Ils exercent leur métier, remplissent leur rôle dans la chaîne de production et assument
leurs responsabilités.
 La démarche de progrès
La situation se complique sensiblement dès qu’il s’agit de sortir du quotidien pour
s’inscrire dans une démarche de progrès. Une fois les objectifs de performance choisis et

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

acceptés, il s’agit de les atteindre. Le nombre de décisions ad hoc à prendre se multiplie


sensiblement tout comme le nombre de situations imprévues. Nous ne sommes plus dans la
routine. Nous entrons dans l’inconnu avec ses risques et ses incertitudes. Conduire son
métier, établir un diagnostic, et prendre une décision pour assurer le bon fonctionnement
d’une activité sous contrôle, ne génère pas nécessairement de stress ni d’angoisse
particulière si le professionnel maîtrise bien son rôle au sein du processus de création de
valeur. S’inscrire dans une démarche d’amélioration implique nécessairement un
changement. Changement d’habitudes et donc changement d’attitudes. Les salariés vont
donc prendre sur eux et s’engager, s’impliquer pour atteindre les objectifs fixés et affronter
l’incertitude.
C’est pour cela que le choix des indicateurs de performance est aussi crucial. Ce sont en
effet ces indicateurs qui informent les décideurs de terrain sur le bien-fondé des actions
lancées. Les indicateurs de performance bien choisis sont donc des réducteurs
d’incertitude. Mais uniquement lorsqu’ils sont bien choisis.
 L’incertitude, le risque et la décision
Les hommes intelligents nourrissent le doute,
seuls les imbéciles n’ont jamais d’incertitudes…
Euh… Vous en êtes sûr ? Absolument certain !

D’APRÈS BERTRAND RUSSELL (1872-1970),


PHILOSOPHE ET MORALISTE BRITANNIQUE3.

L’incertitude ? C’est notre quotidien !


Le mot « incertitude » englobe différentes acceptions4 qui sont toutes recevables pour
décrire le contexte décisionnel en entreprise.
• L’incertitude peut en effet être un manque de précision d’une mesure : « On n’a pas encore
reçu tous les reportings des filiales, essayons d’estimer tout de même le chiffre d’affaires de ce
mois-ci. »
• Ce peut être une inconnue : « D’après vous, il marche si bien que cela le nouveau produit de
notre concurrent ? »
• Ce peut aussi être un hasard, l’incertitude serait alors associée à l’aléa : « Tu y crois toi à la
fusion de nos deux principaux concurrents ? Ça semble pourtant impossible… »
• Voire le doute, l’anxiété : « J’ai bien peur que face à un tel groupe, nous ne puissions plus
lutter. »
• Et pour finir, la perplexité : « De toute façon, il faut bien agir, mais alors on fait comment ?
Il y aurait bien moyen de faire quelque chose, mais ce n’est pas clair. »
Voilà, c’est tout cela l’incertitude à laquelle sont confrontés les femmes et les hommes de
l’entreprise. Mais il faut tout de même décider !
Mais attention, fuir la prise de décision est tout de même une décision. Elle sera prise par
défaut, sans la choisir. Le décideur esquivant ses responsabilités sera mis de toute façon au

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

pied du mur. Une non-décision n’est jamais sans conséquence : « Et alors, vous l’aviez bien
vu venir, vous vous doutiez bien que notre principal fournisseur allait nous lâcher, vous ne
pouviez pas basculer sur la seconde source d’approvisionnement en temps et en heure ? On
livre comment maintenant ? »
 La décision est une prise de risque
Si le décideur mentionné à la ligne ci-dessus ne s’est pas engagé à changer de fournisseurs,
c’est peut-être aussi parce qu’il ne disposait pas de suffisamment de garanties de fiabilité
de cette seconde source d’approvisionnement. Face à l’incertitude, il n’a pas su estimer les
risques de ce choix et s’est donc abstenu. Il subit aujourd’hui les conséquences de sa
dérobade.
Les risques potentiels d’une décision ne sont pas toujours faciles à estimer. C’est pourtant
bien souvent cette estimation qui fait pencher la balance au moment de décider entre
plusieurs alternatives. Le risque n’est pas le danger. Le danger c’est ce qui nous menace, le
risque c’est la probabilité que le danger survienne. En entreprise, le risque de la décision se
mesure selon une double échelle qui évalue la probabilité de survenance du danger et la
gravité des conséquences dudit danger s’il se réalisait.

Figure 45 : Une matrice des risques classique

Un danger potentiel peut aussi être prévenu en prenant une assurance (cases (3,1), (2,2),
(1,3) par exemple). Un manager de projet choisira de renforcer son équipe par anticipation
s’il craint des complications à venir. Mais une assurance a un coût qu’il s’agira de
considérer au moment de prendre la décision. Le décideur avisé sait qu’il ne peut pas se
contenter de promesse : « Ne vous inquiétez pas, s’il le faut on fera intervenir quelques
spécialistes pour vous appuyer le moment venu. ». Le désir de réussir ne doit pas se
transformer en une confiance inconsidérée.
CONSEIL
Se souvenir du classique dicton régulièrement vérifié : « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. »5

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Bref décider, ce n’est pas toujours simple.


 La décision, c’est impérativement l’action
Une décision n’existe qu’au moment où l’intention de passer à l’action est ferme et
définitive. C’est à cet instant qu’elle se concrétise. Annoncer la décision que l’on va prendre,
ce n’est pas prendre une décision. Nous avons tous connu des responsables, tous domaines
confondus et pas uniquement dans le monde politique, qui n’hésitent pas une seconde à
afficher leur engagement, prêts à prendre d’audacieuses décisions. Avec le recul, on
constate que ces décisions n’ont jamais dépassé le stade de la seule formulation. Leur
initiateur, conscient des risques potentiels, évite soigneusement de s’engager. En revanche,
décider de ne pas agir, c’est aussi une décision tant qu’elle est l’expression d’une volonté.
Ne pas agir dans ce cas est tout de même agir : « Non, je ne me rendrai pas à cette
convocation et j’assumerai toutes les conséquences qui s’ensuivront. »
 Nous sommes toujours seuls face à la décision
Ensuite, il faut vivre les conséquences de sa décision. Même si l’on a décidé en groupe,
chacun est responsable individuellement, aussi bien de la réussite que de l’échec. On oublie
toujours d’estimer les dégâts durables causés à sa renommée en cas d’échec ou de réussite
partielle d’une décision. Vos supérieurs vous jugeront peut-être un peu inconséquent. Mais
ce n’est pas tout. Vous risquez d’attirer la réprobation de collègues plus ou moins proches
et pas vraiment sympathiques. Les pires d’entre eux n’hésiteront pas à formuler, plus ou
moins clairement, de vrais reproches où l’on sent percer une insupportable petite pointe de
paternalisme, histoire de marquer leur supériorité : « Tu n’aurais pas dû », « Moi à ta place,
j’aurais agi autrement ». Le conditionnel passé, voilà un temps grammatical bien peu
constructif ! C’est tellement facile de juger après coup. Toutes les informations cachées au
moment de la prise de décision sont visibles, la plupart des incertitudes sont levées. On
juge alors la qualité de la décision uniquement à son résultat. C’est une erreur.
Pour estimer si le décideur ou le groupe de décideurs a décidé justement, il est
indispensable de se replacer dans le contexte informationnel disponible au moment de la
prise de décision. Peut-être aussi que cette décision a été prise trop tôt. Il faut alors
réfléchir aux conséquences si cette décision n’avait pas été prise à ce moment-là. La
situation ne serait-elle pas pire encore ? Les détracteurs ne se fatigueront pas à dérouler ce
raisonnement, bien au contraire, puisqu’ils disposent des arguments, fallacieux c’est
évident, pour se hisser tout en enfonçant le collègue qu’ils n’estiment pas. C’est là qu’est le
principal frein à la prise de décision en entreprise. C’est pour cela que la prise de risques
est toujours très limitée. Ces moralisateurs arrivistes ne sont rien de moins que des
castrateurs d’initiative.

Quelles initiatives peut-on prendre sans risquer les coups de


règle sur les doigts ?
Vous connaissez le mot d’ordre des entreprises : « Prenez des initiatives ! ». C’est une
évidence, il faudra bien en prendre pour accéder aux objectifs fixés. Encore faut-il savoir, au

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

sens de l’entreprise, où s’arrête l’initiative acceptable et ou commence l’insubordination ?


Où placer la frontière ?
La question de la confiance trouve ici son point culminant. Nous avons relevé l’importance
d’établir un contrat ferme entre la direction et les acteurs de l’entreprise. Encore faut-il
bien préciser le périmètre de la liberté d’action. Il ne suffit pas d’être désigné « responsable
», étymologiquement celui qui répond, sans disposer pour autant d’une marge de
manœuvre suffisante pour accomplir sa mission.
La citation qui interpelle
« L’initiative de tous, venant s’ajouter à celle du chef et, au besoin, la suppléer, est une grande force pour les entreprises.
On s’en aperçoit surtout dans les moments difficiles. (…) Il faut beaucoup de tact et une certaine vertu pour exciter et
soutenir l’initiative de tous dans les limites imposées par le respect de l’autorité et de la discipline. »

HENRI FAYOL, ADMINISTRATION INDUSTRIELLE ET GÉNÉRALE, 1916.

Henri Fayol est le père putatif du management « moderne ». Bien que nous traversions
actuellement un moment difficile, il semblerait que les entreprises qui consentent à laisser
à leurs salariés une plus grande latitude que cette définition prise stricto sensu, ne sont pas
les plus nombreuses, tant s’en faut. Le contrat est vraisemblablement la meilleure solution
pour établir durablement un climat de confiance entre les salariés et leur direction. Mais il
y a bien peu de chance qu’il balise suffisamment la notion de liberté d’initiative, pour que
chacun apprécie les risques pris à sortir un tant soit peu des ridelles de la discipline.
Cas pratique
Une entreprise sous-traitante de l’industrie aéronautique a adopté une organisation en ateliers autogérés par les
opérationnels eux-mêmes. Un premier pas vers l’holacratie6 selon le cabinet d’organisation à l’origine de la restructuration
de l’entreprise. Cette courte étude porte sur la réalité du degré de liberté accordé à un atelier de presse à injection,
autonome selon la nouvelle organisation. Nous avons proposé un questionnaire aux membres de l’équipe et à l’ensemble
du management afin de tenter d’apporter une définition à la notion d’initiative pour cette entreprise.

Sept des questions posées


1) Vérifier, nettoyer et changer les buses d’injection si nécessaire, sans attendre l’échéance du carnet d’entretien, est-ce
d’après vous une initiative acceptable ?

2) Modifier l’ordre des lots de la journée de fabrication pour limiter les opérations de nettoyage et de réglage, est-ce aussi
une initiative acceptable ?

3) Réviser en profondeur le processus de production afin d’en améliorer l’efficacité en local, est-ce également une initiative
acceptable ?

4) Contacter directement son correspondant à la production chez un partenaire sous-traitant pour rechercher le moyen
d’améliorer le processus global, est-ce de même une initiative acceptable ?

5) Contacter son alter ego à la production chez un concurrent pour partager les subtilités des processus, est-ce toujours une
initiative acceptable ?

6) Exercer son droit de retrait en cas d’utilisation de produits toxiques ou considérés comme tels par l’OMS (Organisation
mondiale de la santé), est-ce encore une initiative acceptable ?

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

7) Refuser d’exécuter un lot de pièces que l’on sait nécessaires à la fabrication d’un armement destiné à un pays en guerre
et dénoncé par Amnesty International, la ligue des droits de l’homme et une majorité d’ONG (organisations non
gouvernementales), sommes-nous toujours dans la liberté d’initiative ?7

Analyse des réponses


 Les questions 1, 2, et 3 sont jugées comme acceptables à l’unanimité pour les deux parties. Quelques cadres
ont tout de même un peu hésité avant de répondre affirmativement à la question nº2, avant de concéder
que c’était là « le prix de l’autonomie » (sic).
 À la question nº4, si les opérationnels étaient plutôt enthousiastes à l’idée, la plupart des managers
interrogés ont jugé que cet échange devait être limité à un besoin de production ponctuel pour résoudre un
problème d’approvisionnement par exemple. En règle générale, il vaut mieux passer par la voie
hiérarchique.
 La question nº5 a été plus discutée entre les uns qui pensaient « que l’échange de bonnes pratiques avait du
bon » et les autres qui ne voyaient que « divulgation des secrets de fabrication ». Les seconds ont tout de
même fait sourire le reste de l’assemblée, sans que l’on parvienne pour autant à une réponse claire et
franche.
 L’animateur a coupé court à la polémique qui s’instaurait autour de la question nº6 en rappelant que le droit
de retrait était inscrit dans le Code du travail8. Curieusement, plusieurs cadres et non des moindres
l’ignoraient.
 La question nº7 a semblé dans un premier temps hors sujet, l’entreprise ne reçoit pas de commandes
provenant de sociétés d’armement. En poussant plus avant la discussion, il semblerait que la réponse ne soit
pas si simple que cela dès que l’on passe du point de vue moral à celui de la survie financière de
l’entreprise…
Un questionnaire de ce type peut être décliné sans problème pour la totalité des métiers. Il
permet de mesurer le gouffre qui existe entre les bonnes intentions d’accorder des blancs-
seings sans retenue et la réalité sur le terrain. C’est aussi une bonne méthode pour bien
baliser le périmètre des initiatives tolérées, et réduire ainsi les hésitations et réticences que
peut rencontrer un groupe autonome au moment de prendre une décision un peu délicate.
Il est essentiel de savoir à quel moment on s’expose à aller trop loin afin de mieux évaluer
les risques.
 Coordination et coopération
La réponse à la question n° 4 mérite que l’on s’y attarde un peu. Elle est en effet
significative de la différence qui peut exister entre « coordination » et « coopération ».
Toujours en se référant à Henri Fayol et sans commettre le péché d’anachronisme, la
question de l’efficacité des échanges transversaux entre les départements d’une même
entreprise, sans passer par la voie hiérarchique, est déjà bien présente à cette époque en
1916. L’auteur relève justement que le succès de nombreuses opérations repose sur une
exécution rapide. Il préconise donc un échange direct entre les services dépendant des
différentes divisions sans passer par la hiérarchie. Le principe hiérarchique sera
sauvegardé si les chefs ont autorisé leurs agents respectifs à entrer en relation directe.
La citation qui interpelle

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

« Quand un agent se trouve dans l’obligation de choisir entre la voie hiérarchique ou l’accès direct et qu’il ne lui est pas possible
de prendre l’avis de son chef, il doit avoir assez de courage et se sentir assez de liberté pour adopter celui que l’intérêt général
impose. »

HENRI FAYOL, ADMINISTRATION INDUSTRIELLE ET GÉNÉRALE, 1916, PAGE 46.

L’auteur précise que l’intérêt général est bien celui de l’entreprise comme on pourrait s’en
douter. Quoi qu’il en soit, la question du décloisonnement est bien posée. Aujourd’hui, les
entreprises sont éclatées et la chaîne de valeur intègre nécessairement plusieurs
entreprises indépendantes, autant sur le plan juridique qu’économique. On se retrouve peu
ou prou dans une situation similaire à celle décrite par Henri Fayol. En son temps, en effet,
une même entreprise gérait pratiquement la totalité de la chaîne de valeur, mais les
services et les départements étaient fortement cloisonnés. Une équipe, qu’elle soit
autonome ou pas, contribue à la création de valeur en se synchronisant avec les autres
équipes du même processus ou des processus connexes. La question du principe
d’ajustement se pose alors :
• soit les conditions de l’échange entre les équipes internes comme externes sont prévues à
l’aide d’une série de procédures, les exceptions étant gérées au cas par cas par le
management. On parle alors de coordination ;
• soit on laisse plus de liberté aux acteurs de terrain pour gérer, en autonome et en
dialogue direct, les aléas comme le recommande Henri Fayol, et on parlera alors de
coopération.
Il semblerait que les managers de l’entreprise qui ont répondu au questionnaire ci-dessus
n’aient pas encore franchi le pas de la coopération9. Ce sont là des points importants pour la
question de la prise de décision en équipe.
Ce thème soulève aussi la question de l’usage des réseaux sociaux en entreprise. Ils sont la
solution clé pour simplifier à l’extrême les échanges, et partager les idées en interne
comme en externe, au sein d’un forum professionnel tel qu’une communauté de pratiques10.
Et aujourd’hui ?
Les réseaux sociaux rendent possible l’entreprise horizontale tant invoquée mais bien rarement réalisée. Les outils sont
disponibles, les obstacles technologiques sont levés, ne subsistent donc que l’archaïsme des organisations, en total décalage
avec les besoins de notre époque, et les aspirations des salariés qui créent la valeur et « font » l’entreprise.

1Tout comme celui de « big data », le terme « d’algorithme » est passé dans le langage courant. Selon la presse
généraliste, l’algorithme semble désigner aujourd’hui d’énigmatiques systèmes informatiques d’ultime
génération, dotés d’une capacité d’apprentissage infinie qui leur conféreraient un pouvoir omniscient quasi
magique. Ces « algorithmes » au fonctionnement ésotérique pour le commun des mortels, véritables entités
pensantes, seraient en passe de nous dominer et de nous reléguer, nous autres insignifiantes créatures
humaines, à quelque chose d’anachronique dans une cyber société ultralibérale régnante… Espérons que tout
cela s’achève mieux pour nous que pour les personnages des dystopies ! Cela dit, la crainte d’accorder un
pouvoir inconsidéré aux systèmes d’intelligence artificielle toujours plus autonomes, sans régulation ni débat
éthique officiel est aujourd’hui pleinement justifiée ! Sinon, pour mémoire, le terme « d’algorithme » désigne à

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

l’origine un enchaînement d’opérations pour exécuter un calcul et par extension une tâche précise, informatisée
ou non. L’algorithme d’Euclide pour trouver le plus grand commun diviseur (PGCD) en est l’exemple le plus
classique.
2Cité par Marc Mousli, dans Mary Parker Follett, pionnière du management, Cahier du Lipsor, octobre 2000.
3Une petite variante humoristique de la citation de Bertrand Russell : « The trouble with the world is that the stupid
are cocksure and the intelligent are full of doubt. » Le problème avec le monde, c’est que les gens stupides sont
sûrs d’eux et arrogants tandis que les gens intelligents sont emplis de doutes.
4Source : dictionnaire Le Robert.
5Prêtée à Henri Queuille (1884-1970) qui fut ministre de multiples fois au cours la IIIe République et président du
Conseil sous la IVe République.
6Le néologisme holacratie (de holos : entier et kratos : pouvoir) désigne un mode d’organisation autorégulé de
l’entreprise, prônant l’élimination du management intermédiaire et la responsabilisation des équipes
autonomes habilitées à prendre seules les décisions, et donc à s’auto-organiser. Ce mode d’organisation est
censé, théoriquement en tout cas, promouvoir l’intelligence collective… Lire l’ouvrage de Brian J. Robertson, La
Révolution Holacracy, (Leduc, 2016). En France, depuis l’ouvrage d’Isaac Getz et de Brian M. Carney, Liberté &
Cie (Flammarion, 2016), on parle d’entreprise « libérée » pour désigner un concept connexe. Nous reviendrons
sur ce modèle organisationnel au cours de la troisième et dernière partie.
7Selon l’activité de l’entreprise cette question peut être remplacée par un autre sujet d’interrogation éthique comme
le risque de pollution (le dieselgate par exemple), la mise en danger de la santé publique (l’affaire des prothèses
mammaires PIP), la sous-traitance et le travail des enfants (la confection notamment) ou encore le respect du
bien-être animal (le scandale des abattoirs).
8Article L.4131 du Code du travail.
9Comme quoi, l’ouvrage Administration industrielle et générale est encore à lire aujourd’hui pour mieux saisir le côté
intemporel des points de blocage rencontrés par une organisation productive, sans s’arrêter aux seuls principes
de hiérarchie et de commandement. On constate alors que la confrontation entre les invocations à la prise
d’initiative et le respect du périmètre de la soumission puise ses origines dans les fondements du management.
Il est donc insoluble sans réformer en profondeur le style de management des entreprises.
10Voir http://tb2.eu/p12, une expérience réussie de communauté de pratiques.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

14.
La décision en équipe

L’homme ne pourra plus accepter de travailler sans créer ni participer aux décisions.

FRANÇOIS MITTERRAND (1916-1996).

La prise de décision à plusieurs n’est pas innée. Une prise de décision autoritaire dans une
structure hiérarchique est bien plus rapide, n’en doutons pas. Mais la rapidité n’est pas un
synonyme d’efficacité. Rappelons qu’une décision n’existe qu’au moment où elle se
matérialise en une série d’actions. Si les responsables de la mise en œuvre des décisions
prises au sommet ne cernent pas bien la finalité, s’ils exécutent les directives au strict
minimum avec les chaussures chargées de plomb, la décision prise aura bien peu de chance
d’aboutir. À la décharge de ces derniers, il est aussi vrai que les décisions prises loin du
terrain semblent élaborées dans un monde imaginaire et merveilleux où les aléas
n’existeraient pas. Les opérationnels, qui eux agissent dans la vraie vie, sont contraints
d’assumer les impondérables pour répondre au mieux selon ce qu’ils ont compris de la
décision. C’est aussi pour cela que bien des décisions prises autoritairement ont peu de
chance d’aboutir en l’état.
C’est dit !
Une loi peut être dénaturée au moment de la publication des décrets d’application. Une décision peut aussi être détournée lors
de sa mise en action pour mieux servir les intérêts de celui qui la met en œuvre. Ne nous le cachons pas, c’est un cas très
courant.

Dans une organisation moins autoritaire et pratiquant une réelle délégation, on peut
espérer qu’une décision collective soit plus efficace, ne serait-ce que sur le plan de la
motivation et de l’engagement. Encore faut-il maîtriser le processus de prise de décision en
équipe.
Les 4 clés de la réussite de la décision en équipe :

 Maîtriser l’art de la négociation.

 Exploiter le référentiel commun.

 Préciser les règles de cadrage.


 Choisir un modérateur à la hauteur.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Décider en équipe, ce n’est rien d’autre que négocier pour mieux


coopérer
Quel est le but dont vous êtes le plus fier ?
Ce n’est pas un but, c’est une passe…

ÉRIC CANTONA QUESTIONNÉ PAR UN FAN DANS LOOKING FOR ERIC,


UN FILM DE KEN LOACH.

Le verbe « négocier » signifie à l’origine : « faire du négoce », c’est un synonyme de «


commercer », c’est-à-dire vendre ou acheter dans l’espoir d’en tirer un bénéfice. Si une
négociation commerciale comporte toujours une part de concession, le gain doit tout de
même être perceptible pour chacune des parties. La négociation idéale n’est donc pas un
jeu à somme nulle. Le gain de l’un des protagonistes n’est pas proportionnel aux pertes des
autres.
La décision en équipe suit peu ou prou le même principe. Décider en équipe, c’est prendre
le temps de confronter les diverses appréciations du problème afin de trouver une solution
satisfaisante pour chacune des parties. Chaque membre de l’équipe est une individualité à
part entière. Il affirme sa personnalité et défend son point de vue. Travailler en équipe
n’implique pas de devoir se fondre dans le moule. Ce n’est pas ainsi que l’on prend des
décisions pertinentes. Il faut au contraire profiter de la diversité d’opinions. Et ce n’est pas
la tâche la plus aisée. Un groupe peut fonctionner comme un véritable étouffoir d’idées. La
quête obsédée d’un accord amiable à tout prix, afin de tuer dans l’œuf toute forme de
polémique, est le meilleur moyen de parvenir à une décision bien trop raisonnable pour
être efficace. Le consensus « mou » nivelle toujours par le bas et coupe les ailes des idées
les plus ambitieuses. En d’autres mots, le compromis où chacun se sent contraint à se
résoudre à des concessions difficiles, pour parvenir tant bien que mal à un accord, n’est pas
la bonne solution.
La citation qui interpelle
« L’enjeu n’est pas d’amener les participants à parler, mais de les engager à écouter1. »

GEORGE MITCHELL, SÉNATEUR AMÉRICAIN ET NÉGOCIATEUR AU PROCHE-ORIENT.

Au cours d’une session de décision collective, la négociation doit viser un objectif plus
vertueux, et parvenir à ce qui semble la meilleure décision pour chacun des membres pris
un à un. Ce n’est pas nécessairement l’idée de l’un ou de l’autre qui l’emporte. Ce peut être
une « troisième voie » qui profite des apports des uns et des autres, et que l’on construit
ensemble. C’est avant tout de la théorie mais, avec un peu de méthode et de patience, cela
peut devenir aussi de la pratique. On sent que l’on y parvient dès que les oppositions
frontales s’émoussent, et que les protagonistes délaissent l’affrontement direct pour
écouter leurs adversaires du moment.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Pour bien négocier encore faut-il disposer d’un référentiel


commun… C’est là la finalité des indicateurs et des objectifs de
performance bien choisis
Il ne sera guère possible d’envisager la moindre décision collective, tant que les membres
du groupe ne partagent pas une même appréciation de la situation et un objectif commun.
Si chacun a sa propre idée du problème à traiter, tout comme de la direction à suivre, les
échanges seront animés mais malheureusement totalement infructueux. En revanche, dès
que les membres du groupe de prise de décision partagent la même vision du progrès, et
sont d’accord sur le problème à traiter, l’expression des différentes personnalités est alors
le fondement d’un débat fécond. C’est ainsi, et seulement ainsi, que l’on parvient à une
décision consensuelle et constructive. Le plus important, c’est donc bien de disposer d’un
référentiel commun à toute l’équipe. C’est là la finalité de l’étape de choix des objectifs
tactiques et des indicateurs de performance que nous avons déroulée au chapitre
précédent. Avec un système de mesure de la performance bien conçu, la prise de décision
en équipe est alors concevable. La situation présente est claire et précise pour chacun des
membres. Les indicateurs de performance soigneusement sélectionnés offrent une image
univoque de la situation. C’est là le fondamental pour décider en commun. On est d’accord
sur la situation donnée. On est tout autant d’accord sur le but à atteindre. Maintenant il
s’agit de discuter des actions à engager pour accomplir au mieux la mission selon la
dynamique de progrès.

Des règles de cadrage pour une démarche « contractuelle »


Tout n’est pas résolu pour autant. Conduire un débat entre différentes personnalités,
chacune avec son vécu et ses propres ambitions, n’est pas une sinécure, on s’en doute. Pour
éviter que le débat ne se fourvoie sur les deux voies de garage que sont la foire d’empoigne
ou la discussion stérile, nous allons imposer quelques règles de cadrage. Ces règles, une fois
expliquées une à une, sont affichées bien en vue dans la salle où se déroulent les échanges.
Elles sont là pour recentrer les débats, limiter les débordements, et favoriser les
interventions constructives. Si le groupe s’avère un peu difficile d’entrée de jeu, il est utile,
une fois chacune des règles et des recommandations expliquées et acceptées, d’inviter les
participants à s’engager un à un à les suivre à la lettre. Ce sont des règles de bon sens et
cette formalité est toujours bien acceptée puisque c’est bien connu, ce sont toujours les «
autres » qui créent des problèmes2…

Règle 0 : Toute attaque personnelle ajourne la rencontre.

Règle 1 : Il est formellement interdit d’empêcher un participant de développer son opinion.

Règle 2 : Toute thèse défendue doit être argumentée. Les arguments sont aisément vérifiables. Les arguments sont

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

exclusivement relatifs à la thèse défendue.

Règle 3 : Si vous soutenez une thèse que vous n’avez pas proposée, vous devez aussi la défendre et donc l’argumenter.

Règle 4 : Toute thèse avancée peut et doit être critiquée. Mais la critique ne doit porter que sur la thèse, et non sur celui qui
la défend. La critique doit être soigneusement argumentée. Les arguments sont aisément vérifiables.

Règle 5 : Corollaire de la précédente : toute critique est recevable, à partir du moment où elle est correctement argumentée
et ne déforme pas le propos initial. La critique doit relancer le débat et l’enrichir. Nous ne sommes pas sur le Web où la
critique est réduite aujourd’hui à de simples commentaires aussi sommaires que définitifs.

Règle 6 : Une thèse qui ne peut plus être défendue doit être retirée. Les doutes et critiques sont justifiés au sens de
l’assemblée.

Règle 7 : Une thèse, qui ne peut plus être attaquée, se doit d’être unanimement acceptée. Les doutes ont été combattus,
ceux qui les ont avancés les rétractent d’eux-mêmes.

Tableau 6 : Les règles de la prise de décision en équipe

Pour un meilleur usage, ces quelques règles sont complétées de sept recommandations
pour les participants à la session.

Recommandation 1 : Les arguments, dont la seule solidité est de se référer à des personnes reconnues comme autorités de
la profession, ne sont pas recevables. Les autorités se trompent elles aussi. Les propos supposés des absents ne sont pas
non plus recevables.

Recommandation 2 : Plus généralement, les évidences et les lieux communs ainsi que tous les arguments ne se rapportant
pas directement à la thèse débattue sont à bannir. Ce n’est pas parce que l’assemblée semble unanimement d’accord avec
l’argument avancé que celui-ci justifie la thèse en cours d’analyse.

Recommandation 3 : Référez-vous toujours en priorité aux indicateurs de performance et aux mesures retenus par
l’équipe.

Recommandation 4 : Profitez du temps de préparation pour essayer de considérer plusieurs hypothèses, au moins deux.
Dans tous les cas, il faut dépasser la première idée qui vous vient à l’esprit.

Recommandation 5 : Gardez toujours l’objectif en ligne de mire, et assurez-vous que votre idée va bien en son sens.

Recommandation 6 :Même si votre idée vous semble intéressante, évitez de vous cramponner à la défendre contre vents
et marées, uniquement parce que c’est la vôtre. Prenez le temps d’analyser ses points faibles comparativement aux autres
suggestions proposées.

Recommandation 7 : Dans le cas probable où deux hypothèses expliquent les données, aussi bien l’une que l’autre, il faut
toujours préférer la plus simple

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Tableau 7 : Les sept recommandations pour les participants à la prise de décision en équipe3

Le guide pratique du modérateur averti


Nous devons comprendre que l’altruisme est une forme intelligente d’égoïsme,
un choix tout à fait justifié du point de vue rationnel.

JACQUES ATTALI, INTERVIEW DONNÉE À L’OBS EN SEPTEMBRE 2013.

Comme pour toutes les réunions de travail, la présence d’un modérateur est la seule
solution pour accéder à une conclusion constructive. Il n’y a rien de moins naturel dans
notre culture d’entreprise que de décider en équipe. Le rôle du modérateur est multiple, et
sa mission exige une personnalité particulière conjuguant le goût de la méthode, le sens du
dialogue et donc de la tolérance, ainsi qu’une bonne dose de pragmatisme, pour parvenir à
un résultat concret.
Rapidement résumée, une session de décision en équipe se déroule en toute logique selon

le schéma suivant.

Figure 46 : le processus de prise de décision en équipe

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Voyons, dès à présent, sept conseils de bon sens pour animer une session de prise de
décision en équipe réellement productive. Nous nous attarderons ensuite sur les subtilités
de la modération.
 Une séance de décision en équipe se prépare à l’avance
Toute réunion de travail se prépare. Il en est de même pour une prise de décision en
équipe. Une fois que l’on s’est mis d’accord sur l’ordre du jour, il est impératif que chacun
des participants prenne le temps nécessaire pour étudier le problème, élaborer des
hypothèses viables, et affûter ses arguments pour les défendre. Les éternels « touristes »
qui fréquentent les réunions, sans y apporter rien de concret, ne sont pas les bienvenus. Les
rencontres sont parfois difficiles et les participants perdent vite leur patience s’ils sont
tenus d’écouter les interventions improvisées des laxistes qui n’ont rien préparé.
 Sans diversité de points de vue, il n’y a pas de décision efficace
Que les protagonistes soient d’avis différents, voire opposés, c’est une chance, ce n’est en
rien un obstacle à la construction des débats. La diversité est une richesse pour qui sait
l’exploiter. Le modérateur s’emploiera à créer un climat propice, afin que chacun se sente
en droit d’affirmer sa différence et puisse s’exprimer librement, en tout cas, le temps
d’argumenter son point de vue.
 La polémique est une situation normale du débat d’idées
Tant que la polémique se tient dans les limites du différend d’opinions, c’est-à-dire sans
agressivité gratuite ni violence inconsidérée, il est préférable de ne pas intervenir trop tôt
pour calmer les esprits. L’expression libérée des passions est un révélateur des sentiments
profonds. Le conflit sous contrôle permet d’avancer à grands pas pour passer de
l’opposition d’idées à une solution fédératrice. Un débat d’opinions bien organisé et
suffisamment actif est le meilleur terreau pour parvenir à la « meilleure décision », c’est-à-
dire celle qui est jugée comme la plus efficace par tous les participants. Les relations
humaines sont aussi fondées sur la polémique. C’est une réalité, même si dans l’entreprise
on s’efforce de la masquer4.
CONSEIL
Ne pas confondre la cohésion d’équipe avec la courtoisie de salon.

La polémique n’est pas nécessairement un synonyme d’un affrontement nourri par la


violence et le ressentiment. C’est aussi l’affirmation de la diversité de points de vue, des
opinions, des expériences passées, des visions d’avenir, bref, tout ce qui fait la richesse d’un
groupe où chaque membre affiche sa différence.
Une question demeure toutefois : les divergences de vues visent-elles la
résolution du problème ou, plus insidieusement, s’agit-il de conflits de pouvoir ?
Les conflits latents, la rivalité, et tout ce qui crée un climat d’hostilité affiché ou
sournoisement masqué, risquent de sérieusement corrompre la qualité des débats. C’est là
que réside toute la difficulté de la négociation.
C’est dit !

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Dans une société qui consacre l’individualisme et la réussite sociale, l’opportunisme n’est plus vraiment un défaut.

C’est à ce stade qu’il s’agit de bien faire passer le sens de la citation de Jacques Attali en
exergue de cette section. Dans le cadre de la décision en équipe, gagner ensemble, c’est
aussi gagner pour soi. Il est aussi utile de s’interroger sur le mode de reconnaissance
pratiqué dans l’entreprise, un sujet que nous avons évoqué au cours du chapitre 11. La
certitude que son effort de coopération sera reconnu est bien plus motivante que bien des
techniques absurdes de cohésion d’équipes, qui ne sont profitables que pour ceux qui les
organisent.
 Convaincre, ce n’est pas expliquer plus que de raison
Ce n’est pas en répétant le même propos, sans varier d’un iota, que l’on parvient à
convaincre ses interlocuteurs les plus sceptiques. Décider en équipe, et donc négocier, ce
n’est pas chercher à persuader par tous les moyens possibles les autres membres de
l’équipe, sans écouter les arguments opposés. Ceux qui agissent ainsi, sans modestie
aucune, et même avec une bonne dose d’arrogance, sont simplement persuadés d’être les
seuls à avoir compris. C’est aussi la technique employée par bon nombre de manipulateurs,
qui tentent de faire passer pour de la négociation ce qui n’est que de la communication.
Bien des acteurs de la conduite du changement utilisent cette technique. Leur démarche est
simple : retourner les opposants un par un s’il le faut, afin de gagner une majorité et
emporter ainsi le morceau. Bon courage pour la suite du projet… Dans le cadre de la
décision en équipe, on rappellera au participant entêté les règles 2 et 6. Elles sont
suffisantes pour stopper les excès d’opiniâtreté qui, s’ils persistent, risquent de mettre en
péril l’issue positive de la réunion.
 Avant de boucler, on réfléchit aux conséquences de la décision
La question des responsabilités est le corollaire de la prise de décision. Si la décision est
une prise de risque, elle peut être un succès tout comme un échec. Qui en porte la
responsabilité ? Comment est-on jugé dans ce cas ? Ces deux questions risquent de rester
sans réponse satisfaisante. Elles posent en effet en substance la notion du droit à l’erreur
accordé par l’entreprise. Comme nous l’avons déjà vu, la définition de ce droit est quasi
inexistante dans la plupart des entreprises. C’est pourtant un point qui ne peut être laissé à
la seule discrétion du management, sans que les acteurs de terrain en connaissent les
limites. C’est aussi pour cela que les décisions prises individuellement, ou en équipe,
flirtent généralement avec un taux de risque tendant vers le zéro absolu. Il est vrai que les
décisions les plus ambitieuses ne sont pas nécessairement les plus risquées. Il n’existe
aucune règle en ce sens, mais on comprendra aisément que l’obsession du risque zéro
métamorphose rapidement les plus audacieux en simples velléitaires. Voilà une difficulté
de plus pour une prise de décision efficace, et une raison supplémentaire de réformer le
management, sans se contenter d’aménagements cosmétiques.
 Ce qui importe, c’est l’adhésion mais comment y parvenir ?
La décision prise en équipe sera qualifiée de « bonne décision » si, et seulement si, tous les
membres jugent la résolution choisie réaliste, efficace et pertinente pour le problème posé.
C’est à cette seule condition qu’ils seront prêts à s’engager pour la soutenir tout au long du
processus de mise en action. Pour parvenir à une telle unanimité, but de la démarche, la

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

meilleure solution sera d’établir une liste de critères consensuelle et objective au sens des
membres de l’équipe. C’est ainsi que nous avons procédé pour sélectionner les objectifs et
les indicateurs de performance. Dans le cas d’une décision commune, il s’agit alors
d’apporter une définition aux termes « réaliste » « efficace » et « pertinente », au sens des
besoins de l’équipe. Toutes les décisions candidates sont passées au tamis de cette grille de
critères et notées en commun.

Tableau 8 : Crible pour choisir collectivement la « bonne décision »

Les colonnes de cette table de valorisation proposent quelques critères typiques.


Moyens : les moyens et ressources nécessaires sont disponibles.
Délais : les délais seront respectés.
Contribution à la finalité visée : la pertinence est bien là, le problème soulevé sera bien en
voie de résolution.
Responsabilité : les responsabilités de réussite et d’échec seront assumées.
Risques d’échec : le risque d’échec est limité.
Conséquences prévisibles : toutes les conséquences de cette décision sont maîtrisables.
Interdépendances : cette décision est-elle étroitement liée à une décision précédente ou à
venir ? Implique-t-elle d’autres contributions de personnes extérieures à cette assemblée ?
Il vaut mieux s’assurer au préalable que l’option qui recueille l’unanimité ne soit pas
dépendante des choix d’autres acteurs extérieurs à la réunion. Ce cas n’est pas
exceptionnel. Il est en effet difficile de travailler sur une partie d’un processus, sans
envisager ce dernier dans sa totalité. Dans cette situation, il faudra peut-être considérer les
options des autres équipes du même processus avant d’entériner la décision.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Cette liste est modifiée et complétée selon les besoins du groupe et le type de problème à
résoudre. Une grille de critères précis est toujours préférable à un vote à main levée. La
grille de critères est bien plus objective et fédératrice. Le consensus ainsi validé peut être
qualifié d’intégrateur, puisqu’il satisfait toutes les parties et ne laisse personne en retrait
avec ses réserves. La décision collective ainsi obtenue présente de multiples avantages.
Chacun des membres de l’équipe a intériorisé le choix collectif, c’est désormais sa décision.
On ne peut plus revenir sur les choix entérinés, sans proposer de solides arguments. Cette
décision aura donc toutes les chances d’être mise en œuvre.

Le rôle du modérateur
Le rôle du modérateur est assez complexe et comporte de multiples facettes. Il ne s’agit pas
uniquement d’animer la réunion, et encore moins de la présider. Son rôle est plus
socratique que dirigiste. Il aide les participants à exprimer ce qui leur tient à cœur. Même
s’il faut parfois être dirigiste pour placer les participants sur les rails d’un échange riche, et
surtout constructif, puisque c’est cela la finalité : parvenir à une décision collective qui

maximise l’équilibre entre l’efficacité supposée de la décision et l’adhésion des participants.

Figure 47 : Une « bonne » décision collective

Le modérateur s’assure que les règles sont bien respectées, et il démonte les sophismes
involontaires ou volontaires, si jamais l’assemblée devait affronter un maître de la
rhétorique5. Il gère aussi les temps de parole afin que les plus extravertis ne mobilisent pas
le débat. La règle est simple. Tous les participants disposent du même droit de s’exprimer
et d’un même temps de parole, si nécessaire. Sans généraliser, les personnalités les moins
expressives, les plus introverties, sont parfois les plus réfléchies, les plus sensibles et les
plus intuitives aussi. Il serait dommage de ne pas profiter de leur point de vue pour un
thème tel que la prise de décision.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 48 : Les six facettes du rôle du modérateur

 Arbitrer
Un débat a tôt fait de s’enliser si personne ne surveille les déraillements intempestifs. Le
modérateur est aussi un médiateur. Il arbitre les débats, interrompt ceux qui digressent
trop et s’éloignent du sujet sans aucune chance d’y revenir. En revanche, il protège des
interruptions intempestives les interventions de ceux qui proposent des solutions, afin
qu’ils expriment clairement leurs idées avant d’ouvrir le champ aux critiques.
 Synthétiser
Le bon modérateur profite de son esprit de synthèse pour reformuler les propositions, s’il y
a lieu. Il s’assure auprès de l’auteur de la proposition que la synthèse proposée ne dénature
pas le propos initial. C’est une excellente technique pour donner une bonne assise au débat
et le relancer dans la bonne direction.
 S’abstenir
Le modérateur s’efforce d’être neutre, et ce n’est pas le plus facile. Il est impératif de
s’abstenir de prendre parti pour l’un ou l’autre des protagonistes, ou pour les thèses
défendues. C’est le groupe qui décide. Ce sont les membres du groupe qui sont chargés de
trouver la solution. Le modérateur affiche une ignorance de façade et se contente de
recentrer le débat, sans pour autant empêcher les participants d’explorer ce qu’il juge
comme de fausses pistes. D’expérience, il faut aussi savoir déroger de temps en temps à son
rôle de neutralité pour aider les participants à donner les bons coups de volant. Sans
intervenir directement sur le fond, il y a toujours moyen de les inciter à creuser une idée, si
l’on sent qu’ils ne font que l’effleurer, alors que la solution semble être dans cette voie. Bien
évidemment, des participants chercheront à se référer à votre expérience.
CONSEIL
Bien préciser que chaque cas est singulier, que chaque groupe de décideurs est unique et que toute entreprise l’est aussi,
même si intimement on n’en est pas totalement convaincu. C’est toujours un plaisir de se sentir un cas à part et le sujet est
rapidement clos.

 Aiguillonner

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Pour relancer un débat un peu laborieux ou mal engagé, le modérateur n’hésitera pas à
conter une ou plusieurs anecdotes bien choisies, pour détendre l’atmosphère et remettre le
débat sur les rails. La technique a souvent de bons résultats. La reformulation que nous
avons déjà abordée, tout comme les synthèses intermédiaires, sont aussi de bons outils
pour mettre en évidence les invraisemblances, et recadrer en douceur un débat qui
s’éloigne d’une solution viable… Avec modération, bien entendu, seuls les membres de
l’équipe de travail connaissent leur contexte et savent en apprécier les contraintes. C’est à
eux de trouver les solutions et d’identifier le champ des possibles. Il est aussi vrai que
lorsque l’on est aux prises avec un problème, il est difficile de bien apprécier la situation et
ses solutions.
CONSEIL
Un regard extérieur avisé est toujours salutaire.

Bien sûr, tout cela n’est pas toujours très « académique » mais sur le terrain, on a d’autres
impératifs que de suivre les règles à la lettre. C’est justement l’expérience d’avoir vécu des
situations similaires qui permet d’anticiper les comportements et les situations, pour
prévenir les risques d’échec et augmenter ainsi les chances de succès. Le but est simple :
parvenir à un consensus clair et unanime.
Encourager : si jamais le groupe est un peu coincé et ne démarre pas, comment
le dérider ?
Les modérateurs qui maîtrisent bien les outils de créativité y recourront pour chauffer
l’auditoire et dérouiller la machine à produire les idées. Il existe en effet des jeux assez
simples et particulièrement efficaces.
Exemple

Pour inciter chaque participant à parler au moins une fois, on peut proposer une manière de jeu inspiré de la patate chaude.
L’animateur interpelle un membre de l’assemblée, au hasard, et lui demande à brûle-pourpoint de dire en un mot ce que le
thème du jour lui inspire. La règle est simple : on ne peut pas passer son tour, et on peut dire des âneries, ça n’a aucune
importance. On note le mot au tableau et le membre interpelle à son tour un autre participant, qui agit de même, jusqu’à ce
que chacun des participants se soit exprimé en évitant d’abuser des synonymes. L’animateur liste les mots et lance la même
opération pour une seconde liste, voire une troisième, si l’élan n’est pas retombé. Ce petit exercice a bien des avantages. Non
seulement, il a déridé l’atmosphère et débloqué un peu les plus timides, mais le groupe dispose maintenant d’une liste de mots-
clés pour mieux cerner le sujet, et orienter le débat proprement dit dans la bonne direction.

Cette liste de mots ne reste pas en l’état, on l’organise alors collectivement avec un diagramme d’affinités6 ou une Mindmap,
par exemple. Ce classement final de la liste génère un effet de bord positif : les participants perdent alors la paternité des mots
qu’ils ont sélectionnés. C’est important, c’est le groupe qui produit, ce ne sont pas des individualités. Comme le précise la règle
6, il ne faut pas s’accrocher à sa thèse plus que de raison.

Cet exercice est une préparation à la production en groupe. Il existe bien d’autres jeux pour dérider une assemblée dans
l’expectative ou sur la défensive, mais il vaut mieux en réserver l’usage aux experts qui sauront juger de l’opportunité.

 Conclure

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Au terme de la session, on se réserve quelques instants pour prendre la température du


déroulement. A-t-on atteint les objectifs ? Quels ont été les éléments positifs ? Qui n’est pas
totalement satisfait ? Qu’est-ce qui a posé problème ? Que peut-on faire pour améliorer ?
Et enfin on s’assure que le secrétaire de la session dispose de tous les éléments pour
rédiger la synthèse en précisant une date ferme de disponibilité. Il est indispensable d’en
disposer rapidement pour ne pas perdre le bénéfice de la session.

Les difficultés de la modération


 Absence de confiance
Le manque de confiance entre les membres n’est pas toujours systématiquement négatif.
C’est le moyen d’approfondir les thèmes et d’aller au cœur du sujet, sans s’en tenir à l’idée
de surface. Un questionnement un peu insidieux, insistant et donc dérangeant, un
questionnement que l’on pratique seulement lorsque la confiance n’est pas absolue, est un
bon moyen de lever le voile sur les inévitables zones d’ombre et de mettre en évidence les
faiblesses de la thèse défendue. La méfiance systématique est en revanche un tout autre
sujet qui peut conduire à une adversité bien plus délicate à maîtriser.
 Se sentent-ils concernés ?
Si les participants ne se sentent pas vraiment concernés par le problème à traiter il y a peu
de chance que l’on parvienne à une solution viable dans la durée. La question à traiter peut
par exemple concerner un nouvel outil informatique que les décideurs du moment jugent
inutile et contraignant : c’était mieux avant avec l’ancien système. Ils seront peu motivés
pour prendre les décisions.
 Décoder les termes du langage, les mots n’ont pas toujours la même
signification
Chaque profession utilise son propre lexique linguistique. Il est en effet indispensable
d’utiliser un vocabulaire spécifique pour désigner précisément les concepts, les objets ou
les situations caractéristiques du contexte d’exercice de la profession. Ce n’est pas le seul
cas où le vocabulaire mérite d’être décodé. Au sein des entreprises et même des groupes de
travail, au fil du temps, des habitudes langagières s’instaurent et bien des expressions
revêtent alors un sens particulier. Ainsi un échange un peu abrupt entre deux
interlocuteurs n’est pas nécessairement le signe d’un rapport conflictuel. L’hostilité n’est
qu’une façade, une modalité de jeu entre deux complices. Une critique acerbe à l’encontre
d’une autre équipe ou d’un autre service n’est pas non plus l’expression d’un conflit latent.
Ce peut être plus simplement une posture convenue au sein du groupe. A contrario,
l’absence de critique ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas un conflit ou un climat
hostile qui rendra difficile la résolution des problèmes de fluidité des échanges et de la
communication.
 Écouter les doubles sens

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Bien des propos sont polysémiques. Il ne suffit pas de se contenter de l’information


énoncée. Le propos contient peut-être une seconde information. C’est celle-là qu’il s’agit de
saisir au vol.
Exemple

Quelques salariés donnent leur sentiment à propos des membres du service voisin : « Ils sont trop nuls dans l’équipe d’à côté, il
faut toujours que l’on rattrape leurs erreurs et en plus ce sont eux qui nous imposent le rythme de travail ! ». Ce n’est pas
uniquement une plainte, ce propos sous-entend : « Ils sont mauvais et nous sommes bons. » Mais aussi : « C’est nous qui
devrions prendre l’avantage sur eux et décider. »

En règle générale, bien des récriminations récurrentes camouflent d’autres ambitions.


 L’implicite et l’explicite
Tout métier comporte sa part d’implicite. Deux chirurgiens qui discutent d’une technique
spécifique ne vont pas la détailler pour le profane. Deux informaticiens ne s’attarderont pas
non plus à expliquer plus que de raison des concepts connus implicitement par chacun des
deux interlocuteurs. En revanche pour concevoir un logiciel d’aide au diagnostic, il faudra
bien que chacun des spécialistes oublie l’implicite pour passer à l’explicite.
Et aujourd’hui ?
Cette question de l’implicite et de l’explicite est un problème récurrent en entreprise. Elle donne toujours lieu, au mieux à des
incompréhensions, au pire à des quiproquos lors des sessions avec des groupes multi-professionnels.

Inviter les différents interlocuteurs à prendre le temps de bien préciser ce qu’ils imaginent
évident pour tout le monde est au final… un gain de temps !
 L’échelle de valeur: qu’est-ce qui est normal, juste ou bien ?
Toutes les équipes intervenant sur un même processus ou sur des processus connexes ne
partagent pas toujours la même échelle de valeur. À un maillon de la chaîne, à une étape du
processus, ce qui est considéré comme « normal », « juste » ou « bien » n’est pas
nécessairement qualifié de la même notion de valeur par une autre équipe intervenant à un
autre stade du processus. Ce constat est flagrant comme on s’en doute au sein même de la
chaîne de sous-traitance composée d’entités indépendantes, chacune avec ses pratiques,
ses références, son histoire et sa propre culture. Il est aussi vrai au sein même de
l’entreprise, notamment durant les premiers temps d’une fusion ou encore sur des sites de
production différents.
Et aujourd’hui ?
Si les démarches de standardisation qualité ont tenté de résoudre cette difficulté en proposant une échelle de référence
commune, bien des thèmes indirectement liés à la production sont encore sujets à des discussions… stériles la plupart du
temps.

 Les trublions
Au sein d’un groupe, on ne rencontre pas que des individus constructifs au sens de la
communauté. On y croise également des gens très peu coopératifs, des carrément passifs,
des angoissés, des convaincus de détenir toujours la meilleure solution, des questionneurs

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

sans fin, des pinailleurs, mais aussi des opportunistes, des ambitieux et, plus rarement il est
vrai, des désenchantés qui nourrissent leur frustration d’une jalousie irrationnelle. Et
comme rien n’est simple dans les relations humaines, le même individu peut adopter un
comportement distinct selon le moment, la situation ou les interlocuteurs auxquels il
s’adresse.
À la décharge des personnalités un peu décalées avec les exigences de la performance
collective, il est aussi vrai que les modes de management actuels, qui font et défont les
groupes de travail au gré des affectations, ne facilitent pas le développement de solides
relations. À l’époque où la mobilité est élevée au rang de règle managériale suprême, du
mode projet, de la soustraitance généralisée, de l’entreprise éclatée et internationalisée et
de la tendance renforcée à la mesure de la performance individuelle, il est prudent de ne
pas s’appuyer sur des rêves de société parfaite où tout le monde s’entendrait
naturellement. C’est un défi de tous les instants, autant pour le modérateur que pour tous
ceux qui souhaitent progresser dans le bon sens, c’est-à-dire celui des objectifs fixés. Sans
passer en revue tous les types de comportements déviants au sens de notre démarche,
attardons-nous toutefois sur deux caractéristiques que l’on rencontre quasi
systématiquement : la norme de groupe et le narcissisme des petites différences.

La norme de groupe
Au sein d’un groupe constitué, le réflexe naturel est de montrer son intégration. Être en
accord avec les autres membres du groupe est alors bien plus important que d’afficher ses
différences. D’ailleurs, le membre qui, par hasard, nourrirait des idées un peu dissonantes
avec le collectif supposera qu’il n’a sûrement pas bien compris, puisque le groupe a
forcément raison. C’est une difficulté que rencontrent tous les modérateurs dès qu’il s’agit
d’inciter les membres d’un groupe, en phase de « cohésion » au sens du team building, à
s’exprimer individuellement et sans retenue. Un phénomène connexe aux conséquences
similaires est aussi très courant au sein d’un groupe dont la cohésion n’est qu’apparente.
Dans un tel groupe, les leaders de fait imposent leur charisme et bénéficient d’une aura
incontestable et incontestée. Les membres plus effacés se conforment sans rechigner à la
pensée officielle dictée par les plus influents.

Narcissisme des petites différences7


Le comportement inverse existe aussi. Dans un groupe plus hétérogène, composé de
personnalités issues de divers horizons, comme c’est souvent le cas en entreprise, des
oppositions radicales peuvent naître autour de détails bien spécifiques qui semblent
totalement insignifiants pour une personne extérieure. En revanche, celui qui les défend,
arbore ces spécificités comme un symbole de son identité ou de celle de son groupe
d’appartenance. Là encore, ce n’est pas la tâche la plus aisée pour le modérateur que de
tenter d’aplanir lesdites différences, pour mettre en évidence les valeurs communes, au
risque de froisser justement celui qui les exhibe aussi fièrement.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Ce cas est assez fréquent dans le cadre de rapprochement d’entreprises ou lorsque l’on
fusionne des groupes de travail différents pour décloisonner et mieux fluidifier les
processus.
 Les manipulateurs sont là
Dans une négociation, celui qui a déjà bien exploré le terrain et qui prend l’initiative peut
orienter l’échange dans le sens qu’il juge le plus favorable. Si l’on se réfère à une métaphore
guerrière en s’inspirant de Sun Tzu, le choix du terrain, le choix des armes et le choix du
moment sont toujours décisifs pour l’issue de l’affrontement. C’est dire l’importance
d’inviter tous les membres à bien préparer la session au cas, pas si improbable, où un
membre privilégierait sa carrière personnelle aux dépens des intérêts du groupe. C’est
aussi le rôle du modérateur de veiller à ce que les débats ne soient pas trop orientés vers
une direction qui ne satisfait pas nécessairement tous les membres. Les manipulateurs ont
de nombreuses cordes à leur arc. Parcourons quelques pièges de l’argumentation que l’on
rencontre de temps en temps.

Les pièges de l’argumentation


On connaît les sophismes, ces discours trompeurs camouflés sous une apparence de bonne
foi. Le raisonnement semble logique, mais la conclusion est extravagante et l’on ne sait
pourquoi.
Le paradoxe du tas de blé est un bon exemple de raisonnement détourné :
Exemple : le paradoxe du tas de blé

 Si je pose un grain de blé sur le sol, ai-je obtenu un tas de blé ? Non.

 Si je pose un deuxième grain de blé, est-ce que j’ai un tas ? Non.

 Si j’ajoute encore et encore un grain ai-je enfin un tas ? Eh bien toujours pas.

 Conclusion : il est donc impossible de constituer un tas de blé.


Ce paradoxe fonctionne aussi dans l’autre sens : si j’ôte un grain de blé à un tas, ai-je encore un tas de blé ? Si je retire un
deuxième grain ? Etc.

Le paradoxe de la flèche de Zénon8 est aussi un sophisme typique. Selon Zénon, si l’on
échantillonne le temps en unités suffisamment courtes, une flèche tirée vers une cible est
immobile durant cet instant. Le temps de parcours de la flèche étant égal à la somme de ces
instants, la flèche est donc toujours immobile. Le raisonnement semble juste. Le piège est
de ne pas considérer le temps comme un continuum et de le fractionner en instants très
courts.
Tous les sophismes ne sont pas aussi paradoxaux.
Il n’en demeure pas moins qu’ils sont bien utiles pour manipuler l’argumentation. Voyons
quelques exemples en entreprise :
Exemples

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

 Depuis que l’on a multiplié le nombre de contrôles, nous avons évité bien des vols importants !

 Mais on n’a jamais eu de vols importants dans l’entreprise…

 C’est bien pour cela qu’il faut maintenir les contrôles !


Dans le même genre, n’oublions pas les réciproques abusives :

 Si le carnet de commandes est bien rempli, l’unité de production tourne à plein régime.

 Puisque l’unité de production tourne à plein régime, le carnet de commandes est donc bien rempli.
Bien sûr, c’est faux, on peut aussi produire sur stock.

 Si l’un des employés est absent, l’unité fonctionne quand même.

 Si l’unité fonctionne quand même, l’employé absent n’est donc pas nécessaire.
Et encore :

 Si les conditions de travail sont optimales, les employés ne protestent pas.


 Si les employés ne protestent pas, les conditions de travail sont donc optimales.
Les références à l’expérience passée ou à d’illustres inconnus sont aussi à bannir.

 On a toujours fonctionné ainsi et ça marche très bien, ce nouvel outil ne nous apportera que des ennuis…
Sur quoi se fonde notre affirmateur pour être aussi définitif ? « On a toujours fonctionné ainsi » n’est pas un
argument recevable. Les pratiques du passé ne sont pas nécessairement des recettes d’avenir. Ce n’est pas
parce que l’on a toujours fait ainsi qu’il faut continuer à le faire9.
 Je ne suis pas sûr que ce soit un bon outil informatique, j’ai un ami qui a rencontré beaucoup de problèmes
avec cet outil. Quel ami ? Quel contexte ? Quels problèmes ? On n’en saura pas plus.
 À ce que l’on m’a dit, depuis qu’ils ont installé ce nouvel outil informatique, notre concurrent a augmenté
ses ventes de près de 20 %, véridique ! C’est de source sûre ! Autrement dit, je n’en dirai pas plus, je ne le
prouverai pas, je ne dévoilerai pas mes sources, mais faites-moi confiance…

 Les paradoxes de l’expérience et les biais cognitifs


Se souvenir des expériences passées pour éviter de commettre de nouvelles erreurs est une
richesse incommensurable. En revanche, la mémoire n’est pas un ordinateur. Il est difficile
de se rappeler avec précision les faits comme les chiffres et de restituer dans son contexte
exact une situation passée. Le risque de l’anachronisme est réel. On ne pourra expliquer en
détail la situation actuelle en ne se référant qu’au passé. La mémoire est parcellaire et
trompeuse à la fois. Elle oublie certains faits qui se sont produits, et accorde une
importance hors de propos à des événements qui n’étaient pas aussi significatifs sans pour
autant respecter la chronologie.
Dans le même ordre d’idées, on se méfiera au cours des débats de l’effet de halo, un biais
cognitif qui piège les raisonnements les mieux construits10.
Le biais « effet de halo », ainsi dénommé par les spécialistes de la psychologie sociale, limite
notre perception aux seules informations utiles à la thèse que l’on souhaite défendre. Les
informations qui pourraient la contredire sont perçues avec moins d’intensité. Ce travers
est singulièrement courant.
Cas pratique

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Un dirigeant d’une entreprise de services en solutions technologiques était persuadé d’être un détecteur de talents. « Je ne
me trompe jamais lorsque je choisis un collaborateur. » aimait-il répéter. Il s’était personnellement engagé dans le choix d’un
manager pour piloter la réalisation d’une partie assez délicate d’un projet complexe. Au fil de l’avancement, ledit manager
s’est révélé un assez piètre chef de projet, et son équipe peu performante retardait l’ensemble de la réalisation. Les
indicateurs du tableau de bord de suivi du projet affichaient franchement les signes annonciateurs d’une dérive, comme le
dépassement des délais et des budgets, et la lassitude manifeste des membres de l’équipe. Le dirigeant refusait pourtant
d’en tenir compte pour anticiper l’échec. Il s’entêtait à justifier son choix en évoquant les faits d’armes passés de ce
manager et l’excellence de son jugement en matière d’hommes. Il fallut attendre l’intervention excédée du client final et les
menaces de pénalités de retard, pour contraindre ce dirigeant obstiné à décharger le manager controversé des parties les
plus critiques de sa tâche, afin de les confier à une autre équipe mieux pilotée. C’était bien la seule solution envisageable
pour éviter la déroute11.

Nous sommes tous sensibles à l’effet de halo. Nous avons tous connu à un moment de notre
vie l’inconfort du conflit entre la réalité et nos convictions. Rien de grave si l’on ne s’obstine
pas dans ses certitudes. Ce biais pervers se produit quasiment chaque fois que l’on pense
avoir pris une excellente décision que les faits contredisent. Plutôt que de remettre en
cause la qualité de notre décision, nous recherchons dans un premier temps des
échappatoires rassurantes en abusant d’expressions toutes faites : « il faut laisser du temps
au temps ». Mais les faits sont entêtés. Notre rationalité reprend alors le dessus et nous
acceptons le constat. Mais les plus opiniâtres n’en resteront pas là. Ils laisseront la
mauvaise foi prendre le relais à l’aide de formules du type « les faits sont parfois trompeurs
», « les indicateurs sont mal choisis ». Enfin, les incurables jetteront la faute sur la fatalité,
une explication bien pratique pour justifier tout et n’importe quoi. La volonté de préserver
l’estime de soi est bien la seule motivation d’une telle obstination.
C’est dit !
S’accorder le droit de faire parfois des erreurs et de les corriger au plus vite est une qualité dont bien des managers d’entreprise
sont dépourvus… Pour le plus grand malheur de leurs subordonnés.

Il ne faudra donc pas hésiter à recadrer le débat sur la problématique qui préoccupe
l’équipe de décideurs, en invitant les participants à considérer à sa juste valeur l’ensemble
des informations disponibles (règle 2). C’est là, où l’on saisit mieux l’importance de se
reporter en permanence aux indicateurs de performance et aux mesures associées choisies
et reconnues comme référence par tous les participants (recommandation 3).
 Comment devient-on un « bon » modérateur-animateur ?
Évidemment, si le modérateur ne parvient pas à se faire accepter et reconnaître comme tel,
la tâche sera plus difficile. Avec la pratique répétée, on finit toujours par se construire une
posture acceptable pour toutes les situations. La clé de la réussite est assez simple. Il suffit
de bien aimer endosser ce rôle, apprécier de se tenir à distance tout en étant au cœur du
débat, prendre plaisir à voir se construire un projet à partir d’un échange d’idées, être
attentif à chacun sans aucun a priori. Quelle que soit la position sociale au sein de
l’organisation, nous sommes tous dotés d’un cerveau en état en fonctionnement, prêt à
donner le meilleur de lui-même si l’on oublie durant un temps les rapports de classe.
Autant en profiter pour construire des solutions viables et satisfaisantes pour tous les
participants.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

1« The challenge is not to get people to talk, but to get them to listen. »
2Ces règles et recommandations sélectionnées, adaptées et complétées par l’auteur pour les besoins de la décision
en équipe, s’inspirent de plusieurs sources notamment Petit cours d’autodéfense intellectuelle, excellent ouvrage
de Normand Baillargeon (Lux, 2006), A Systematic Theory of Argumentation, the Pragma-Dialectical Approach de
Frans H. van Eemeren et Rob Grootendorst, https://en.wikipedia.org/wiki/Pragma-dialectics,
http://www.ditext.com/eemeren/pd.html. Elles sont très efficaces, et à utiliser sans modération.
Quelques recommandations s’inspirent aussi de Carl Sagan, un scientifique américain doublé d’un exceptionnel
vulgarisateur.
3La septième recommandation est aussi appelée le « Rasoir d’Ockham » en référence au philosophe Guillaume
d’Ockham (1285-1349) : la simplicité est toujours plus proche de la vérité que la complication.
4Même au sein d’un groupe ayant accédé au stade ultime du team building, on a tout de même le droit de ne pas être
d’accord et de l’affirmer. On peut encore légitimement ne pas avoir nécessairement envie de partager son
capital d’enthousiasme avec chacun des membres du groupe.
5Nous reviendrons sur les sophismes plus avant.
6http://tb2.eu/p8
7Un concept freudien à l’origine.
8Zénon d’Élée (v. 490 av. J.-C., v. 430 av. J.-C.), un philosophe grec, est aussi l’auteur du paradoxe d’Achille où par un
principe similaire de découpage du temps, il démontre qu’Achille ne peut pas battre à la course une tortue.
9« La plupart des gens pensent que puisque quelque chose a fonctionné par le passé, et continue à fonctionner
aujourd’hui, cela fonctionnera demain. C’est faux. » Garry Kasparov (1963-), ancien champion du monde
d’échecs (« Many people think that if something worked yesterday, and is still working today, it will work
tomorrow, that wrong. »).
10Un biais cognitif est une erreur de jugement produite par notre cerveau. Il peut perturber notre capacité de
décision.
11Pour assurer son confort mental et éviter de remettre en cause sa capacité de jugement, ce dirigeant est
vraisemblablement parvenu durant un temps à occulter les informations portées par les indicateurs pour
réduire la dissonance cognitive entre les données qui révélaient l’incompétence du manager et la certitude dans
la fiabilité de son jugement. Il a sûrement trouvé ensuite une explication satisfaisante pour justifier son choix
initial.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

15.
Apprenons à mesurer quelques grandeurs qualitatives
pour en finir avec l’obscurantisme doctrinal des
compteurs de petits pois
Un ensemble de mesures regroupées sur un même tableau de bord n’a d’autre fin que
d’offrir une représentation de la réalité d’une situation pour mieux la comprendre. Un
modèle est réducteur par définition. Il est utile pour saisir un aspect précis de la
performance, comme nous l’avons fait jusqu’à présent. Mais un modèle peut aussi être
trompeur si l’on évite d’inclure les mesures les plus délicates à intégrer.
C’est là tout le problème de ne raisonner qu’en termes quantitatifs. Bien des facettes d’une
situation donnée restent dans l’ombre dès que l’on traite des thèmes qui ne peuvent être
réduits à une modélisation exclusivement quantitative. Nous avons abordé succinctement
cette question au paragraphe « Les indicateurs de performance choisis pour leur facilité de
mise en œuvre »1. Maintenant que nous avons constitué un groupe de travail en mesure de
prendre des décisions, il est temps d’apporter quelques réponses aux questions restées en
suspens dans ce même paragraphe.

Comment passer du qualitatif au quantitatif


La question du bien-être au travail, exemple évoqué au cours du paragraphe ci-dessus
référencé, ne peut être résolue par un algorithme aussi sophistiqué soit-il. Seuls un
questionnaire précis et des réponses sincères permettent d’effleurer une appréciation qui,
sans être d’une justesse absolue, sera bien suffisante pour bâtir un indicateur de
performance. C’est aussi vrai pour bien des thèmes qui sont plus d’un ordre qualitatif que
quantitatif. La satisfaction des clients, thème récurrent depuis une bonne vingtaine
d’années, tout comme l’innovation, la qualité perçue ou l’aptitude à la communication,
entrent donc dans cette catégorie.
Ce sont des questionnaires particulièrement délicats à élaborer. L’indispensable objectivité
de l’enquête n’est pas aisée à atteindre. Un manipulateur peut exploiter cette difficulté. Il
est en effet assez facile d’orienter les réponses du questionnaire, de façon à mieux servir les
intérêts de celui qui l’élabore.
Exemple

Imaginons un manager exécutif qui a décidé de réduire drastiquement les temps de réalisation d’une commande client, tout
simplement parce qu’il dispose des moyens pour le faire. Il sera évidemment tenté d’orienter à son avantage le questionnaire
destiné à évaluer la satisfaction des clients. En ciblant essentiellement les questions sur le paramètre résolu des temps de
réalisation d’une commande, il parviendra sans difficulté à une mesure positive de la satisfaction des clients. Avec un

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

questionnaire aussi partial, l’entreprise ne saura jamais qu’en réalité les clients sont peut-être majoritairement mécontents des
erreurs de livraison, de la qualité déplorable des produits ou de la politique tarifaire pratiquée.

Tous les questionnaires de mesures qualitatives sont sensibles à toutes les formes de
détournements, qu’ils soient volontaires ou involontaires. Pour cela, la conception d’un
questionnaire ne peut être improvisée. Sondeur, c’est aussi un métier.
 Échelle de Likert
Pour exploiter les résultats de l’enquête et bâtir un indicateur de performance, le plus
simple reste encore d’utiliser une échelle de Likert2. Elle est un outil de la psychométrie
très utilisé, notamment en marketing, pour formaliser le sentiment intime des personnes
sondées.
Pour chacune des questions posées, les participants à l’enquête choisissent une réponse
dans une liste prédéfinie de modalités du type :
• Je suis tout à fait d’accord.
• Je suis d’accord.
• Je n’ai pas d’avis.
• Je ne suis pas d’accord.
• Je ne suis pas du tout d’accord.
Bien d’autres types de modalités sont envisageables : « J’adore/Je déteste », « Je
préfère/J’évite », « Extrêmement probable/Totalement improbable », « Très satisfait/Pas
du tout satisfait », etc.
L’exemple suivant présente les cinq premières propositions d’une enquête consacrée à la
mesure de la qualité de la communication d’une équipe en interne et en externe.

Je suis tout à fait Je suis Je n’ai pas Je ne suis pas Je ne suis pas du tout
Propositions
d’accord d’accord d’avis d’accord d’accord

Je n’hésite pas à communiquer avec les autres

membres
3 2 4 0 0

5 1

Tous les membres communiquent facilement


3 1 3 2 0
5 1

La communication avec les autres équipes est


2 2 1 1 3
limitée

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

1 5

La communication avec les sous-traitants est

aisée
0 1 1 3 4

5 1

Le management exécutif ne communique pas

suffisamment
7 1 1 0 0

1 5

Tableau 9: Un exemple (partiel) d’utilisation d’une échelle de Likert pour une mesure qualitative de la
communication en entreprise

Quelques recommandations pour laisser toute liberté à la personne sondée


• Les propositions ne sont pas censées orienter les choix.
« Que pensez-vous de disposer de quelques heures par semaine de temps libre pour développer
vos propres projets ? », « Accepteriez-vous volontiers de venir travailler les week-ends et les
jours fériés ? ». Ce ne sont pas des questions neutres, elles contiennent déjà la réponse.
• Les propositions ne sont pas ambiguës.
« Il n’est pas facile d’accéder aux ressources du système d’information, et les outils
bureautiques ne sont pas assez souvent réactualisés. ». À quel membre de la proposition faut-
il répondre ?
• Le questionnaire commence toujours par des questions relativement simples. Les
propositions les plus délicates sont glissées de préférence au centre du questionnaire.
• Le questionnaire gagne à ne pas être trop long, afin de ne pas lasser les sondés et limiter
ainsi le nombre de réponses erronées.

Nombre de modalités
Selon les cas, on utilisera une échelle avec un nombre pair de modalités, pour éviter la
position de refuge du milieu qui évite de s’engager. Dans l’exemple ci-dessus, l’échelle
comporte cinq modalités, et le « Je n’ai pas d’avis » central n’aide pas vraiment à résoudre la
question. Si les participants à l’enquête sont réticents à s’engager et à afficher leur
préférence, il sera judicieux de supprimer cette option afin de les contraindre à choisir.
C’est ainsi que nous avons procédé pour le choix des objectifs et des indicateurs de
performance. En revanche, si le participant n’a vraiment pas d’avis tranché sur une
question précise, il est contraint d’opter au hasard pour l’un ou l’autre choix et fausse les
résultats. Chaque médaille a son revers. C’est bien pour cela que le questionnaire mérite
d’être soigneusement élaboré.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

CONSEIL
Pour plus de précision, l’échelle de mesure peut comporter plus de modalités, sept étant le maximum généralement admis.

Pondération de l’échelle
Les choix sont ensuite pondérés, de 1 à 5 par exemple pour l’échelle ci-dessus. On accorde
généralement la valeur « 5 » au choix « Tout à fait d’accord » et la valeur « 1 » au choix « Je
ne suis pas du tout d’accord ». La valorisation peut être totalement inversée selon la
question posée. La valeur « 5 » correspond alors au choix « Je ne suis pas du tout d’accord »,
telle la troisième proposition de l’exemple de mesure de la qualité de communication.
Il est utile de mixer les propositions positives et négatives, comme pour la troisième ligne
de l’exemple ci-dessus, de manière à éviter les réponses systématiques inscrites sans
vraiment réfléchir. C’est là aussi une conséquence du biais cognitif « effet de halo » que
nous avons évoqué au cours du paragraphe précédent. Le participant, qui a une idée déjà
bien arrêtée sur le sujet, aura tendance à accorder une note similaire aux propositions de
même nature, sans pour autant vraiment la lire et réfléchir plus avant. Glisser des
questions inversées contraint à bien relire l’énoncé. C’est une bonne solution pour limiter
les effets pervers d’un tel comportement.
Pour augmenter l’impact des réponses négatives sur le résultat, il suffit de les affecter d’une
valeur négative. L’échelle de valorisation devient alors : 2, 1, 0, -1, -2 en lieu et place 5, 4, 3,
2, 1.

Exploitation des résultats


Une fois valorisée, l’échelle de Likert devient numérique. On peut donc profiter des outils
statistiques pour analyser les résultats. Dans le cas d’une étude avec un panel limité au
niveau de l’équipe ou d’un processus, on se contentera des outils les plus sommaires,
comme le calcul de moyenne, pour exploiter les résultats.
Les réponses à la première question de ce tableau s’interprètent ainsi :
(3x5+2x4+4x3+0x2+0x1)/9=3,9.
On procède de même pour chacune des questions posées en prenant garde à la troisième
ainsi qu’à la cinquième ligne où le barème est inversé. Les résultats sont ensuite reportés
sur le graphique adéquat selon l’usage attendu. Le diagramme radar de la figure 49 offre un
bon aperçu de la communication au sens de ce groupe de travail. Il est ensuite assez aisé de
comparer les résultats avec ceux d’une autre équipe ou d’une autre période pour la même
équipe, voir la figure 50.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 49 : Présentation des résultats (partiels) de l’étude de motivation au sein d’un groupe de travail

Figure 50 : Comparaison des résultats avec ceux relevés pour un autre groupe de travail

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 51 : Une présentation des mêmes résultats sous forme de courbes

Bien qu’elle soit relativement simple, l’échelle de Likert convient parfaitement pour bâtir
un indicateur de performance fiable, au sens de ceux qui sont chargés de l’utiliser, tant que
l’on respecte la transparence tout au long du processus de réalisation du questionnaire.

Comment passer du quantitatif au qualitatif


Dans la vraie vie, dès qu’il s’agit d’émettre un jugement, nous, les humains, préférons très
nettement les valorisations qualitatives plutôt que quantitatives. Au contraire des
ordinateurs, nous évoluons aisément en nous appuyant uniquement sur des appréciations
de valeurs subjectives qui semblent en apparence totalement floues : « C’est une bonne
performance », « Le résultat de ce mois-ci est insuffisant », « Les ventes en région Paca ont été
exceptionnelles ce trimestre », « Il a perdu près de dix mille euros ce mois-ci, c’est une grosse
somme ! »… Le chiffre annoncé ne semble pas assez expressif, l’interlocuteur se sent alors
obligé de compléter d’un jugement de valeur qualitatif et subjectif pour bien faire passer le
sens de l’information.
Pour des besoins assez simples, il n’est pas bien difficile de définir une échelle qualitative à
partir des données quantitatives. Il suffit de définir en commun ce que l’on entend pour
chacune des appréciations.
Exemple

En accord avec tous les salariés concernés, une entreprise peut établir une échelle de ce type :

 Moins de 50 unités vendues, c’est un très mauvais résultat.

 De 51 à 200 unités vendues, c’est un mauvais résultat.

 De 201 à 500 unités vendues, c’est un résultat moyen.


 De 501 à 700 unités vendues, c’est un bon résultat.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

 De 701 à 900 unités vendues, c’est un très bon résultat.

 Plus de 901 unités vendues, c’est un résultat exceptionnel.


C’est simple, cela fonctionne et l’équipe peut prendre des décisions. C’est bien là le but recherché.

Le point faible d’une telle méthode saute aux yeux à la lecture de l’échelle en exemple. Pourquoi suffit-il d’une seule unité
vendue de plus pour changer de catégorie ? Cela peut paraître injuste. Un résultat mensuel de 500 unités vendues est qualifié de
« résultat moyen », tandis que 501 unités vendues sont un « bon résultat ». C’est là où l’on met le doigt sur la vraie difficulté de
quantifier notre environnement. Une solution assez simple consiste à rajouter une ou deux catégories intermédiaires pour les
bornes les plus sensibles. On trouverait alors les catégories : « résultat moyen », « résultat moyen++ », puis « bon résultat » etc.
C’est un peu du bricolage, mais cela fonctionne dans la majorité des cas.

 …

 De 201 à 440 unités vendues, c’est un résultat moyen.

 De 441 à 500 unités vendues, c’est un résultat moyen++.


 De 501 à 700 unités vendues, c’est un bon résultat.

 …

À l’attention des plus curieux : un peu de théorie à propos des


univers continu et discontinu
La quantification nous contraint à ne travailler qu’avec des valeurs discrètes, des nombres
finis. C’est là l’origine du problème soulevé au paragraphe précédent. Intuitivement, on se
rend bien compte qu’il y a un certain illogisme dans cette représentation chiffrée de la
réalité. Il nous est difficile d’admettre des ruptures aussi franches entre les catégories. C’est
un peu le même principe pour les couleurs. Si l’on évoque un objet de couleur rouge, tout le
monde sait ce que c’est, il n’y a aucune ambiguïté. De même que pour la couleur violette,
nul besoin de réfléchir pour la visualiser mentalement. Mais qu’en est-il d’une teinte qui se
rapproche de la couleur magenta ? À quel moment passe-t-on du rouge au violet ? On sent
bien qu’il est impossible de placer une frontière ferme et franche pour délimiter les
nuances. Les limites sont floues.
CONSEIL
Quel que soit le thème, le changement de catégorie mériterait d’être toujours plus fluide et moins tranché, en passant
nécessairement par une zone un peu plus floue.

Reprenons l’exemple ci-dessus.


Exemple (suite)

Nous sommes tous d’accord pour reconnaître qu’il n’est pas logique que 500 unités vendues correspondent à un résultat
mensuel moyen, tandis que 501 unités seraient un bon résultat. Si l’on se livre à un rapide sondage, on constatera que les avis
sont pour le moins partagés. Pour les uns, dès 480 unités, on sera dans le domaine du bon résultat, pour les autres, il faudra
peut-être attendre 520 ventes.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Figure 52 : Le flou des transitions

 Indicateurs de performance et logique floue, une expérience à télécharger


Pour résoudre ce genre de question insoluble en apparence, Lotfi Zadeh, professeur
émérite de mathématiques à Berkeley (États-Unis), a conçu aux débuts des années 1960
une autre forme de logique mathématique, la logique floue. Cette nouvelle logique est
fondée sur un principe de sous-ensembles flous, où les transitions sont plus douces, plus
fluides, dans un univers non plus discret mais continu, tout à fait comme la réalité de notre
monde. Il existe de nombreux travaux autour de l’usage de la logique floue. Pour le thème
qui nous concerne, une expérience assez simple de construction d’indicateurs de
performance, à l’aide de la logique floue au sein d’une équipe de production, est décrite
dans l’ouvrage Les Nouveaux tableaux de bord des managers3.
En accord avec les éditions Eyrolles, la description de cette expérience est disponible pour
les lecteurs de ce présent ouvrage intéressés par la démarche. Il suffit de télécharger le
dossier complet, accessible en ligne à l’adresse : http://tb2.eu/logiquefloue. Ce dossier est
au format PDF protégé en lecture. Le mot de passe pour ouvrir le document est simplement
: « logiquefloue ».

1Page 117.
2Rensis Likert (1903-1981), psychologue américain spécialiste de psychométrie.
3Op. cit.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

TROISIÈME PARTIE
POUR CONCLURE…

Où l’on achève notre étude en prenant soin d’adapter la méthode aux réalités du management
pratiqué dans les entreprises sans se laisser leurrer par les déclarations d’humanisme et
d’autonomie quand il ne s’agit que d’un vernis pour masquer la perpétuation d’un
autoritarisme sans concession.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

16.
Au XXIe siècle, c’était encore des humains qui faisaient
fonctionner les entreprises. Vous savez, ces êtres dotés
de raison, de sentiments et de passions…

Je ne m’appuyais que sur mon expérience d’ingénieur et je n’ai pas apprécié à sa juste valeur la dimension humaine. J’ai
appris depuis qu’elle était décisive1.

MICHAEL HAMMER, THE WALL STREET JOURNAL, NOVEMBRE 1996.

Ils appellent cela « Le facteur humain… »


Michael Hammer est le coauteur du best-seller Reengineering the Corporation: A Manifesto
for Business Revolution2, un ouvrage qui connut un retentissement international au cours de
la décennie quatre-vingt-dix. Dans cette étude, Michael Hammer et James Champy pressent
les entreprises de se réorganiser radicalement, et d’éliminer toutes les activités qui
semblent superfétatoires, au sens de la création de valeur prise dans son acception la plus
stricte. Il s’agit d’une question de survie, rien de moins. Cet élagage sans aucune concession
des fonctions de l’entreprise a enchanté plus d’un dirigeant privé ou public. Les termes de «
downsizing » et de « dégraissage » étaient des incontournables de tout article de
management ou d’économie. En pratique, la brutalité des restructurations sans aucun
respect pour les acteurs de terrain fut fort mal vécue. Les gains de productivité se
traduisant quasi exclusivement par des licenciements massifs, l’efficacité globale de la
démarche se révéla pour le moins douteuse. Dès novembre 1996, Michael Hammer semble
avoir pris conscience du fonctionnement réel d’une organisation et fait ainsi son mea culpa
(la citation en exergue) dans le Wall Street Journal.
La question de la dimension humaine comme facteur d’amélioration de la performance
n’est pourtant pas récente. Dès les années 1930, Elton Mayo, précurseur de l’École des
relations humaines, a mis en évidence l’importance du relationnel au sein d’un groupe de
travail au service de la performance3. Les collègues aiment à se retrouver entre eux, vivre le

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

même quotidien et produire ensemble. Mais ce n’est pas aussi simple. Il ne suffit pas
d’évoquer le « facteur humain », et de ressasser des slogans du type « Mettre l’humain au
cœur de l’entreprise », pour redynamiser la motivation, l’esprit d’équipe et le goût de la
performance. Comme le précise fort justement Danièle Linhart4, ce ne sont pas de psys, de
coaches ou d’ateliers de gestion du stress que les femmes et les hommes de l’entreprise ont
besoin, mais bien que l’on reconnaisse les valeurs de leur profession, et qu’on les laisse
libres de s’organiser et de s’exprimer.
C’est dit !
Il est peut-être temps aussi de réformer le vocabulaire de l’entreprise, et de substituer au vocable de « salarié », celui qui touche
un salaire5, le terme de « professionnel », celui qui met ses compétences, son savoir-faire et son savoir être au service de la
création de valeur.

C’est en tout cas sous cet éclairage, que l’on peut envisager de concevoir, si ce n’est une
coopération stricto sensu, ce sera en tout cas un partenariat, un coengagement en toute
intelligence entre le management et les professionnels de l’entreprise. C’est d’ailleurs en
s’appuyant sur un modèle managérial de ce type, qu’au fil de ces pages, nous avons conçu
un système de mesure de la performance facilitant la prise de décision en équipe.

Un système de mesure de la performance adapté pour chaque


type de management
Nous avons aussi mis l’accent sur les questions de confiance et de reconnaissance. Ce sont
les deux clés de la réussite de la coopération, ou du partenariat le cas échéant. Pour le
concepteur de système décisionnel, l’évaluation, subjective bien entendu, du niveau de
confiance et du type de reconnaissance est une bonne métrique pour définir le type de
mesure de la performance à mettre en œuvre. Entre les organisations qui se moquent
comme de l’an quarante du sort de leurs salariés, celles qui usent et abusent d’artifices
pour stimuler la motivation, et toutes celles qui ont parfaitement compris l’importance
d’une coopération en toute intelligence, l’inventaire est vaste. Sans une boussole, il n’est
pas facile de se repérer. Il est bien évident que l’on ne bâtira pas le même système de
mesure de la performance pour toutes les organisations, indépendamment du degré de
maturité du management en vigueur.
• Les entreprises classées dans la case numéro 1 sont les héritières des modes de
management traditionnels. Elles maintiennent une logique de castes et entretiennent un
fossé entre les décideurs, l’encadrement et les exécutants. Ces entreprises privilégient
l’ordre à l’efficacité. Le sens du devoir est étroitement lié à la notion de subordination. Le «
facteur humain » importe peu, ou alors d’une manière artificielle vécue par la direction
comme une contrainte de plus. Néanmoins, rien n’est définitif, le rôle du concepteur
expérimenté, c’est aussi d’inviter les managers à bouger un peu les règles. Mais les marges
sont généralement assez étroites. La conception de la stratégie tout comme la phase de
choix des objectifs de performance seront difficilement participatives. La démarche
dirigiste semblera plus naturelle pour la majorité des membres de cette entreprise. Le
concepteur du système de tableaux de bord de pilotage consacrera alors toute son

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

attention à la phase de choix des indicateurs, pour autant que ceux-ci soient pertinents,
même si les objectifs sont fixés unilatéralement. Il pourra ensuite accorder le temps
nécessaire à la phase de prise de décision en équipe avec les limites imposées par le
principe de management.

Figure 53 : Degré de maturité du management

• Les entreprises classées dans la case numéro 2 sont parmi les plus courantes
actuellement. Aucune règle n’est véritablement connue. L’entreprise fonctionne ainsi et le
management ne cherche pas à savoir pourquoi. En toute logique, les salariés qui savent
naviguer dans un tel marigot seront félicités s’ils accèdent aux objectifs fixés par l’échelon
supérieur de la hiérarchie. C’est la loi du mérite prise dans son acception la plus stricte où
seule l’accession aux résultats fixés à l’avance importe. C’est ainsi que s’exprime la
reconnaissance. Toutefois, comme les règles sont inexistantes ou totalement floues, une
bonne part d’arbitraire dénature un peu plus les relations entre les exécutants et la
direction. Les soupçons de favoritisme et de mise à l’écart sont les thèmes favoris discutés
autour de la machine à café. Les objectifs sont nécessairement fixés et, comme pour la
classe 1, il vaut mieux réserver son temps et son énergie pour traiter du mieux possible la
phase de choix des indicateurs et celle de la prise de décision en équipe.
• Les entreprises classées dans la case numéro 3 considèrent leurs employés comme des
prestataires de services. Leurs efforts ne méritent pas une reconnaissance particulière
puisque c’est là leur mission. Il sera difficile de les motiver à se dépasser, car ils savent très
bien que leurs efforts ne seront en aucune manière reconnus. Quoi qu’il en soit, dans une
entreprise adoptant ce type de management, on peut dérouler le processus complet, tel
qu’il est décrit au chapitre 5, en prenant soin de ne choisir que des objectifs très
raisonnables.
• Les entreprises classées dans la case numéro 4 pratiquent un management plus
responsable et plus respectueux des compétences. La démarche de réalisation d’un
système de mesure de la performance, favorisant l’aide à la décision et la prise d’initiative
décrites au cours de la deuxième partie, s’appuie sur les entreprises pratiquant ce type de
management.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Mais alors quelles sont donc ces entreprises qui favorisent la


coopération pour une meilleure prise de décision sur le terrain ?
Paradoxalement, la structure organisationnelle n’est pas toujours représentative du type
de management pratiqué. Pour illustrer ce propos, passons en revue quelques types de
structures d’entreprise parmi les plus connues, et commençons par le fameux modèle
d’organisation de l’holacratie ou de l’entreprise libérée qui semble en apparence le mieux
adapté.
 L’holacratie et l’entreprise dite « libérée »
Ces deux concepts assez proches et largement médiatisés demeurent encore aujourd’hui un
peu l’Arlésienne du management. Tout le monde en parle mais bien peu ont rencontré des
entreprises ainsi organisées si ce n’est au travers de communiqués et de reportages
enthousiastes. Voyons le pour et le contre du modèle tel qu’il est exploité aujourd’hui et
nous achèverons l’étude de ce premier type de structure organisationnelle avec une rapide
synthèse en manière de conseil.

Le « pour »
Le principe fondamental de ce mode d’organisation consiste essentiellement à supprimer
les échelons de management intermédiaires et fonctionnels pour accroître l’autonomie des
opérationnels, et donc mieux les responsabiliser.
Comme le relève Vineet Nayar6, c’est en effet au niveau opérationnel que se crée la valeur
dans une entreprise. C’est donc là qu’il s’agit de transférer une partie du pouvoir. Les
managers, qui en fait ne managent pas grand-chose, tout comme les fonctionnels qui ne
sont que des poulies de transmission de l’information sont des handicaps à la fluidité des
processus et des freins à la création de valeur.
Cas pratiques

L’entreprise Delta
Pour accompagner son développement, Delta, une société conceptrice de jeux vidéo et d’animations graphiques
particulièrement dynamique, a cru utile de multiplier les niveaux intermédiaires et les postes de fonctionnels. Converti aux
vertus des programmes de normalisation, le dirigeant était persuadé que la performance était le fruit d’une mise en
conformité à tous les échelons selon les bonnes pratiques standardisées. Pour cela, il fallait cadrer les activités à l’aide de
règles et multiplier les procédures de contrôle. Les activités de création de valeur directe ou indirecte, c’est-à-dire celles des
développeurs, des commerciaux, des responsables du marketing et des techniciens de maintenance pour ne citer que ceux-
ci, ont mal vécu cette dérive bureaucratique et le flicage systématique qui en découle naturellement. Bien évidemment, la
productivité a chuté et l’innovation est restée en panne. Comme la masse salariale comptait toujours plus de personnes
étrangères au processus de création de valeur, le bénéfice s’en est fortement ressenti. Face à ce constat, la direction a
curieusement préféré opter pour la solution la plus irrationnelle. Plutôt que de revenir sur de bonnes bases et renforcer le
pôle création de valeur en soulageant la pression sur les développeurs et les commerciaux chargés de débusquer de
nouveaux marchés, la direction a préféré renforcer les contrôles et les reportings7 ; seule clé selon elle de l’amélioration de
la performance… Les entreprises du même secteur d’activité ont dû être enchantées d’engager les meilleurs éléments

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

démissionnaires. La suite de l’histoire est sans surprise. Une entreprise de nouvelles technologies qui n’innove plus ne peut
perdurer. Pour faire face à ses obligations financières, l’entreprise a été contrainte de céder ses activités de développement
à son principal concurrent. Elle se contente désormais de la distribution des produits à effectif réduit.

L’usine Fralib
Dans l’ouvrage Bureaucratie, David Graeber8 relate en quelques lignes les péripéties de l’usine Fralib (conditionnement de
thé, groupe Unilever) reprise en SCOP par ses salariés après une dure et longue lutte. À l’origine, l’entreprise ne comportait
que deux cadres dont le dirigeant lui-même et un responsable des ressources humaines. Durant des années, les salariés ont
d’eux-mêmes amélioré les processus de production et l’usine était très nettement profitable. La direction bien loin du
terrain a alors choisi d’exploiter ces profits pour engager une douzaine de cadres intermédiaires aux titres prestigieux en
charge du contrôle, de la mesure et de l’élaboration de rapports et procédures. « Finalement, ils ont flashé sur l’idée de
délocaliser l’usine en Pologne. (…) Ce plan justifiait rétrospectivement leur existence », précise l’auteur. Ce qui, en toute
logique, a mis le feu aux poudres…

Et aujourd’hui ?
Réduire l’emprise de la bureaucratie et ses lourdeurs, alléger les contrôles pour laisser plus de liberté aux opérationnels, faciliter
la circulation naturelle de l’information, ce ne sont pas des pistes de recherche expérimentale, mais bien une obligation
aujourd’hui pour toutes les organisations.

Le « contre »
Mais il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. Pour être réactif et mieux en
phase avec les attentes des marchés, les entreprises ont bien compris qu’il fallait se
rapprocher au plus près du client quitte à l’intégrer dès le processus de conception. Pour
autant, il vaut mieux prendre garde de ne pas ajouter une pression supplémentaire sur les
opérationnels déjà aux prises avec la complexité de leur mission. D’expérience, le client
n’est pas toujours à sa place au sein des équipes de conception ou de production. C’est là où
le manager intermédiaire remplit un rôle absolument indispensable d’interface avec les
clients qui ne sont pas tous naturellement rationnels et pragmatiques. Les individus
versatiles, fantasques mais cependant exigeants, sont aussi à l’occasion vos clients. Le
manager anticipe les besoins et assure aussi les relations avec la hiérarchie, les divers
services de l’entreprise et les équipes en charge d’un autre aspect du projet. Le
management joue alors le rôle de filtre protecteur destiné à laisser les opérationnels
accomplir leurs missions dans les meilleures conditions. Remplacer ce manager par un
leader de fait comme le suggèrent les supporters de l’entreprise libérée, c’est courir le
risque de recréer des petits chefaillons obsédés par la conformité des résultats et la stricte
application des règles et des procédures. Comme nous l’avons vu avec le principe
d’hystérésis (page 101), il est bien plus aisé de couper dans le « gras » sans discernement
que d’évaluer la contribution indirecte à la création de valeur des managers et des
fonctionnels pris dans le collimateur des réorganisations.
Il est prudent de ne pas trop se fier aux dithyrambes dont abusent quelques médias pour
décrire ce modèle dit « révolutionnaire », et de gratter un peu la cosmétique pour mettre à
nu la réalité du management pratiqué. Il n’est pas dit que toutes les entreprises qui
s’affichent comme « libérées » aient radicalement rompu avec les pratiques ancestrales du

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

management traditionnel fondé sur le schéma binaire de domination et de soumission.


Comme le précise Dominique Méda, le chef d’entreprise dispose d’un pouvoir immense : il
donne les ordres, contrôle l’exécution et sanctionne les manquements9. Ce pouvoir ne
semble pas radicalement remis en question dans le cadre de la plupart des modèles
d’entreprise libérée et d’holacratie régulièrement cités en exemple.
Et aujourd’hui ?
Sous les apparences de « liberté » et d’autonomie, la multiplication des règles, la systématisation de l’autocontrôle et la
pression constante du client sont autant de moyens de suppléer aux échelons de hiérarchie supprimés.

La synthèse
Il ne suffit pas de constater que « Nous sommes tous sur le même bateau »10 pour que du jour
au lendemain, comme après une révélation mystique, salariés et classe dirigeante décident
de marcher main dans la main. Il est donc recommandé de s’assurer que l’autonomie est
réelle, qu’il ne s’agit pas uniquement d’une démarche opportuniste pour profiter des
légitimes souhaits d’émancipation des salariés, et accroître ainsi les profits grâce à la
réduction de la masse salariale sans perdre pour autant une once de pouvoir. Bref, tout
changer pour que rien ne change11. Pour cela, il suffit de se livrer à une analyse critique de la
pratique de la mesure de la performance et de s’intéresser ensuite au pouvoir décisionnel
accordé aux opérationnels12. Enfin, le principe de confiance et de reconnaissance pratiqué
dans l’entreprise est un bon crible pour séparer le bon grain de l’ivraie, les entreprises qui
cherchent réellement à déléguer le pouvoir et celles qui ne font que semblant.
 La SCOP
Toute entreprise se doit de réaliser un profit si elle veut survivre.
L’entreprise dite libérée semble réfléchir
à la question du « comment » on réalise le profit.
La coopérative de type SCOP va plus loin et donne aussi les réponses
au « pourquoi et pour qui » on réalise le profit.

Au sein d’une coopérative de type SCOP, les salariés sont associés, collectivement
propriétaires de l’entreprise et donc responsables de la réussite. Ils sont parfaitement au
fait des questions de concurrence et de compétitivité durable. Ils comprennent aisément
l’importance d’entrer dans un cycle de progrès continu pour assurer la pérennité de
l’entreprise. Ces échanges se déroulent généralement sans problème. Habitués à prendre
des décisions collectives, ils sont généralement déjà rodés à l’exercice. Mais ce n’est pas
vrai pour toutes les coopératives.
Cas pratique

L’entreprise Alpha (suite)


Ainsi les salariés de l’entreprise Alpha, que nous avons déjà évoquée (page 161), montrent quelques réticences à exprimer
publiquement leurs idées. C’est une coopérative de formation relativement récente, et les salariés éprouvent encore des
difficultés à changer de comportement. L’ancien dirigeant était un paternaliste de la vieille école. Autoritaire et infantilisant,

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

il décidait seul quel que soit le sujet. Les nouveaux salariés associés n’ont pas encore parfaitement intégré le pouvoir de
décision et la responsabilité qui leur incombe désormais.

Cette situation n’est pas difficile à régler. Il existe des cas bien plus délicats où les principes
de la coopérative ont été dévoyés.
Cas pratique

L’entreprise Bêta
L’entreprise Bêta, spécialiste de la mécanique de précision, a été rachetée par ses salariés faute de repreneurs. Les cadres
ont pris en charge la formation de la coopérative et se sont approprié la majorité des pouvoirs. Les autres salariés, trop
contents de conserver leur emploi, n’ont pas protesté et acceptent docilement ce dévoiement des principes fondamentaux
de la coopérative et de l’autogestion. Il est quasi impossible de les faire participer.

Là encore il est indispensable de bien s’attarder sur le principe de management réellement


pratiqué avant de mettre en place le système de mesure de la performance et d’aide à la
décision répartie13. Par ailleurs, la large majorité des SCOP sont des entreprises de type
PME. Elles rencontrent les mêmes problèmes que toutes les PME que ce soient la gestion de
la trésorerie, les exigences des donneurs d’ordre, la pression de la concurrence, le besoin
d’augmenter le chiffre d’affaires, de renouveler les gammes, de recruter et de conserver les
compétences, d’établir des alliances, de trouver de nouveaux débouchés, et surtout
d’affronter la frilosité des banques qui, telle la fourmi de la fable, ne sont guère prêteuses.
CONSEIL
Avant de lancer le projet, il faut prendre le temps de bien planifier les phases de la démarche en parfait accord avec tous les
protagonistes afin de respecter les impératifs productivistes. Il ne s’agit pas de créer de nouvelles difficultés. Ce conseil
vaut d’ailleurs pour tous les types d’entreprises prêtes à franchir le pas.

 La start-up
Les start-up ne sont pas non plus par principe la solution miracle de la coopération et de la
participation, tant s’en faut. Bien des start-up ne sont « cools » qu’en façade. On se tutoie,
on s’appelle par le prénom, on fait une partie de baby-foot à l’occasion, mais l’autoritarisme
et le culte du chef sont toujours en vigueur14. Là encore, on étudiera de près le mode de
management pratiqué.
 Et… les entreprises plus traditionnelles
En revanche, l’on peut obtenir de bons résultats auprès d’entreprises plus traditionnelles,
des entreprises où le dirigeant respecte le professionnalisme de ses subalternes.
Cas pratique

L’entreprise Gamma
L’entreprise Gamma est une société de développement informatique. Rachetée et intégrée à un groupe plus important, elle
conserve encore une certaine indépendance. Son directeur, lui-même développeur informatique de talent, dispose d’une
véritable autorité de compétence, la seule acceptable comme le rappelle Michel Serres15. Les questions de la confiance et de
la reconnaissance sont pour lui tout à fait naturelles tant que les salariés sont eux-mêmes compétents. Toujours en quête

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

d’efficacité, il a parfaitement compris les avantages qu’il tirera d’une prise de décision facilitée à tous les niveaux de son
unité dans un esprit de « coopération »16.

Ces quelques cas rapidement résumés démontrent bien qu’il est avisé de ne pas se fier au
type de structure de l’entreprise pour en déduire la répartition des pouvoirs. Seule une
observation attentive du management permet de tirer des conclusions pour aborder la
démarche avec les précautions qui s’imposent. La direction privilégie-t-elle l’efficacité ou
est-elle encore fortement attachée aux valeurs hiérarchiques traditionnelles ? Voilà la
question qu’il s’agit de résoudre.
Et aujourd’hui ?
Il est bien évident que dans un monde de complexité croissante, où l’innovation est devenue un impératif, les structures
archaïques finiront par tomber.

Pour l’instant, il est prudent de bien observer l’envers du décor afin d’entreprendre la
démarche la mieux adaptée… Tout ce qui brille n’est pas or, et une pépite encore prise dans
sa gangue est bien terne en apparence.

1« I was reflecting my engineering background and was insufficiently appreciative of the human dimension. I’ve
learned that’s critical. »
2Michael Hammer et James Champy, Reengineering the Corporation: A Manifesto for Business Revolution, Nicholas
Brealey Publishing, 1993. Ce livre fut traduit en français sous le titre « Le Reengineering » et publié aux éditions
Dunod. L’auteur avait fait précéder la publication de ce livre, paru en 1993, d’un article culte dans la Harvard
Business Review sobrement intitulé : « N’automatisez pas, éliminez ! ». Pour l’auteur, il était inutile de perdre son
temps à chercher à automatiser les tâches qui, en apparence, ne contribuaient pas au processus de création de
valeur. Il valait mieux les supprimer purement et simplement. L’article est toujours en ligne :
https://hbr.org/1990/07/reengineering-work-dont-automate-obliterate. Aujourd’hui, les communicants ont
mieux compris les avantages de la novlangue façon George Orwell, et ont substitué le terme de « flexibilité » à
celui de « dégraissage ». Si l’on y réfléchit un instant, il est tout autant péjoratif pour les femmes et les hommes
concernés.
3Notamment avec la mythique expérience de la Western Electric à Hawthorne, où Elton Mayo (1880-1949) et son
équipe se rendirent compte que l’intérêt qu’ils portaient aux travailleurs au cours d’une expérience était un
booster de la performance. Voir aussi la présentation des travaux de Mac Gregor page 206.
4La Comédie humaine du travail, Érès, 2015.
5Comme le relève Alain Supiot dans son ouvrage La Gouvernance par les nombres, op. cit., les salaires sont une
charge sur le plan comptable et la contribution à la création de valeur n’est pas visible. Selon l’auteur, c’est ce
principe comptable qui explique les licenciements boursiers.
6Les Employés d’abord, les clients ensuite, op.cit.
7Voir notamment la figure 4 page 33. Sans le savoir, ce dirigeant met rigoureusement en application le principe
taylorien ainsi dénoncé par Émile Pouget en 1914 dans son ouvrage L’Organisation du surmenage (le système
Taylor) : « Parce qu’il (Taylor) choisit scientifiquement l’homme qu’il faut, sur 75 hommes il en élimine 71. En
même temps que vous éliminez l’ouvrier moyen, vous augmentez le nombre de chefs et la paperasserie, vous
compliquez l’administration (pensez au reporting). Et chaque ouvrier restant, un ouvrier de choix, doit faire le
travail de quatre. » (Librairie des Sciences Politiques et Sociales)

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

8David Graeber, Bureaucratie, Les Liens qui Libèrent, 2015.


9Dominique Méda est philosophe et sociologue, spécialiste des politiques de l’emploi. Elle était l’invitée du 7/9 de
France Inter le 1er septembre 2017. À la décharge des dirigeants, le contrat de travail impose dans son principe
fondamental un lien de subordination. Le salarié est donc contractuellement assujetti à son employeur. Ce
principe anachronique ne facilite pas le développement naturel d’une coopération claire et nette.
10Isaac Getz coauteur de Liberté & Cie, op. cit. emploie cette métaphore. Avant lui, Henry Ford utilisait déjà cette
image pour justifier l’interdiction des syndicats dans ses usines. Plus récemment, Laurence Parisot, ancienne
dirigeante du Medef, a aussi évoqué cette solidarité de façade, copieusement raillée sur le Web.
11Pour mémoire, cette expression passée dans le langage courant est tirée du roman Le Guépard de Giuseppe
Tomasi di Lampedusa (Points, collection Grands Romans, 2017). Au XIX e siècle, un vieux prince sicilien, dernier
représentant d’une aristocratie décadente, craint le changement face à l’avancée des Garibaldiens durant la
révolution italienne. Son neveu, Tancredi qui a rejoint les émeutiers le rassure : « Si nous voulons que tout reste
tel que c’est, il faut que tout change. ». Les Espagnols et les Italiens nomment « Gatopardismo » (gattopardismo en
italien), néologisme construit sur le titre de l’ouvrage (El Gatopardo et Il Gattopardo), ce principe de tout
réformer en apparence pour ne pas changer les principes fondamentaux. C’est un artifice abondamment utilisé
en politique, pourquoi donc les sciences du management seraient-elles en reste ?
12Se reporter notamment aux commentaires du questionnaire de la page 242.
13Fernando Pessoa, auteur de Le Banquier anarchiste (Christian Bourgeois Éditeur, 2017), un savoureux pamphlet
contre le pouvoir de l’argent, explique avec humour qu’à partir du moment où un groupe d’humains se
constitue, une hiérarchie de fait s’instaure. « Certains tendaient insensiblement à devenir des chefs, et les autres
des subordonnés » écrit-il. La constitution d’une coopérative doit donc suivre un processus rigoureux pour ne
pas dévoyer les principes d’autogestion.
14Avec son ouvrage Bienvenue dans le nouveau monde (Premier Parallèle, 2017), Mathilde Ramadier nous offre une
exploration guidée du monde des start-up, sa novlangue et ses rites. Le récit d’une expérience vécue bien moins
rose qu’on ne pourrait l’imaginer.
15Le Point : « La seule autorité possible est fondée sur la compétence » (21/09/2012).
16Pour préciser le propos, il s’agit bien d’une « baronnie », comme les dénomment les consultants en management
qui n’ont foi que dans la rationalisation et la standardisation organisationnelle. Une baronnie gérée par une
autorité de compétence, la seule qui soit naturellement reconnue par l’ensemble du personnel, présente bien
des avantages pour bâtir de véritables coopérations constructives et innovantes. D’expérience et sans
systématiser pour autant, il semble que ceux qui détiennent une autorité de compétences sont aussi dotés de
qualités essentielles, telles que le respect du travail bien fait, la reconnaissance de la compétence d’autrui et une
ouverture d’esprit suffisante pour accueillir les nouvelles idées. Malheureusement, ces dirigeants de filiales,
défenseurs d’une certaine autonomie d’action, sont dans le collimateur des adeptes de la rationalisation sans
mesure et sans discernement. Ils sont immanquablement remplacés à terme par des « courtisans » qui ont tôt
fait de casser la dynamique d’ensemble pour privilégier une recherche absolue de standardisation.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

BIBLIOGRAPHIE

Retour aux sources du management


Ce sont des ouvrages que l’on trouve pour la plupart en ligne en téléchargement libre de
droits. Ils sont d’une lecture assez aisée. Sans faire d’anachronismes acrobatiques, on
retrouve en substance l’origine des maux organisationnels et managériaux de l’entreprise
d’aujourd’hui.
Henri Fayol, Administration industrielle et générale. H. Dunod et E. Pinat, 1917.
Henry Laurence Gantt, Industrial Leadership, Yale University Press, 1916.
Émile Pouget, L’Organisation du surmenage (le système Taylor), Librairie des Sciences
Politiques et Sociales, 1914.
Frederick Winslow Taylor, Shop Management, Plimton Press, États-Unis, 1911.
Frederick Winslow Taylor, « Principes d’organisation scientifique des usines », H. Dunod et
E. Pinat Éditeurs, préface de Henry Le Chatelier, 1912 (en ligne sur Gallica).

En complément, les incontournables


Matthew B. Crawford, Éloge du carburateur, La Découverte, 2016.
Satoshi Kamata, Toyota, l’usine du désespoir, Demopolis, 2008.
Marc Mousli, « Mary Parker Follett, pionnière du management », Cahier du Lipsor, 2000.

Management et performance
Maëlezig Bigi, Olivier Cousin, Dominique Méda, Laetitia Sibaud, Michel Wieviorka,
Travailler au XXIe siècle - Des salariés en quête de reconnaissance, Robert Laffont 2015.
Luc Boltanski, Ève Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Gallimard, 2011.
Dominique Cardon, A quoi rêvent les algorithmes, Seuil. 2015.
Antonio Casilli & Dominique Cardon, Qu’est-ce que le Digital Labor ? INA Éditions, 2015.
Ève Chiapello, Patrick Gilbert, Sociologie des outils de gestion. La Découverte, 2013.
Daniel Cohen, Le monde est clos et le désir infini, Le Livre de Poche, 2017.
Jonathan Crary, 24/7 : Late Capitalism and the Ends of Sleep, Verso, 2014.
Christophe Dejours, La Panne. Repenser le travail et changer la vie, Bayard, 2012.
Christophe Dejours, L’Évaluation du travail à l’épreuve du réel, Éditions Quæ, 2016.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Vincent de Gaulejac, La Société malade de la gestion, Points, 2014.


Béatrice Hibou, La Bureaucratisation du monde à l’ère néolibérale, La Découverte, 2012.
Philippe d’Iribarne, La Logique de l’honneur, Seuil, 1989.
Robert Kaplan, David Norton, L’Alignement stratégique - Créer des synergies par le tableau
de bord prospectif, Eyrolles, 2007.
Robert Kaplan, David Norton, Le Tableau de bord prospectif, Eyrolles, 2e édition, 2003.
Eloi Laurent, Jacques Le Cacheux, Un Nouveau monde économique - Mesurer le bien-être et la
soutenabilité au XXIe siècle, Odile Jacob, 2015.
Eloi Laurent, Nos Mythologies économiques, Les Liens qui Libèrent, 2016.
Danièle Linhart, La Comédie humaine du travail, Érès, 2015.
Renée Mauborgne, W. Chan Kim, Stratégie Océan Bleu, Pearson Village Mondial, 2e édition
2015.
Evgeny Morozov, Le Mirage numérique - Pour une politique des big data, Les Prairies
Ordinaires, 2015.
Tom Peters, Robert H. Waterman, Le Prix de l’excellence - Les 8 Principes fondamentaux de la
performance, Dunod, 2012.
Michael Porter, L’Avantage concurrentiel, Dunod, 2003.
Phil Rosenzweig, Les Mirages du management - Comment éviter de prendre des belles
histoires pour la réalité, Vuibert, 2009.
Pierre Veltz, La Société hyper-industrielle - Le Nouveau Capitalisme productif, Seuil, 2017.

La mesure et ses abus


Normand Baillargeon, Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Lux, 2006.
Isabelle Bruno, Emmanuel Didier, Julien Prévieux (sous la direction de), Stat-activisme -
Comment lutter avec des nombres, Zones, 2014.
Barbara Cassin (sous la direction de), Derrière les grilles - Sortons du tout-évaluation,
Fayard/Mille et une nuits, 2014.
Lorraine Data, Le Grand Truquage, La Découverte, 2009.
Alain Supiot, La Gouvernance par les nombres, Fayard, 2015.

La démarche pour construire le système de pilotage et la prise de décision coopérative


Norbert Alter, Donner et prendre - la coopération en entreprise, La Découverte, 2011.
Lionel Bellenger, La Boîte à outils du négociateur, ESF, 2e édition 2007.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Maurice Bercoff, L’Art de négocier avec la méthode Harvard, Eyrolles, 3e édition 2009.
James F. Cox III et John Schleier (sous la direction de), et préfacé par Eliyahu M. Goldratt,
Theory of Constraints, Handbook, Mac Graw Hill Professional, 2010.
Peter Drucker, Devenez manager !, Pearson Village Mondial, 2006.
Peter Drucker, The Practice of Management, Harper Business : une réédition en 2006 de cet
ouvrage de 1954 où l’auteur expose les fondations du management par les objectifs.
Alain Fernandez, Les Nouveaux Tableaux de bord des managers, Eyrolles, 6e édition 2013.
Alain Fernandez, L’Essentiel du tableau de bord, Eyrolles, 5e édition 2018.
Jean Gadrey et Florence Jany-Catrice, Les Nouveaux Indicateurs de richesse, La Découverte,
collection Repères, 4e édition 2016.
Douglas W. Hubbard, How to Measure Anything: Finding the Value of “Intangibles” in
Business, Wiley & Sons, 3rd edition 2014.
Michel Lallement, L’Âge du faire - Hacking, travail, anarchie, Seuil, 2015.
David Marquet, Turn The Ship Around ! A True Story of Turning Followers into Leaders,
Portfolio Penguin, 2013.
Nilofer Merchant, The New How: Creating Business Solutions through Collaborative Strategy,
O’Reilly, 2014.
Marc Mousli, Négocier, l’art et la manière, Maxima, 2003.
Roger Mucchielli, La Conduite des réunions - Les Fondamentaux du travail en groupe, ESF,
2014.
Roger Mucchielli, Le Travail en équipe – Clés pour une meilleure efficacité collective, ESF 17e
édition 2016.
Richard Sennett, Ensemble – Pour une éthique de la coopération, Albin Michel, 2014.

La confiance et la reconnaissance
Collectif, La Reconnaissance. Des revendications collectives à l’estime de soi, Sciences
Humaines, collection La Petite Bibliothèque de Sciences Humaines, 2013.
Douglas McGregor, The Human Side of Enterprise, Annotated Edition, McGraw-Hill
Professional, 2006.
David H. Maister, Charles H. Green, Robert M. Galford, The Trusted Advisor, Free Press,
2001.
Bob Nelson, 1501 Ways to Reward Employees: Low-Cost and No-Cost Ideas, Best Practices,
Latest Trends, Proven Strategies, Ways to Motivate the Millennial Generation, Workman
Publishing, 2012.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

William G. Ouchi, Theory Z, Avon Books, 1983.


Daniel Pink, La vérité sur ce qui nous motive, Flammarion, 2016.
Peter Sims, Little Bets: How Breakthrough Ideas Emerge from Small Discoveries, Simon &
Schuster, 2013.
Cindy Ventrice, La Remuneración No Es Todo ! Empresa Activa, 2004.
Cindy Ventrice, Make Their Day! Berrett-Koehler, 2009.
Steve Zaffron, Dave Logan, The Three Laws of Performance – Rewriting the Future of Your
Organization and Your Life, Wiley & Sons, 2009.

Les « nouveaux » modèles organisationnels


Arte reportage : « Le bonheur au travail », 2014.
Benoît Borrits, Coopératives contre capitalisme, Syllepse, 2015.
Isaac Getz, Brian M. Carney, Liberté & Cie, Flammarion, 2016.
Gary Hamel, Ce qui compte vraiment, Eyrolles, 2012.
Tony Hsieh, L’Entreprise du bonheur, Leduc, 2011.
Annick Lainé, Coopération et management : L’exemple des Sociétés COopératives et
Participatives (SCOP), L’Harmattan, 2015.
Frédéric Laloux, Reinventing Organizations, Diateino, 2017.
Vineet Nayar, Les Employés d’abord, les clients ensuite, Diateino, 2011.
Mathilde Ramadier, Bienvenue dans le nouveau monde, Premier Parallèle, 2017.
Brian J. Robertson, La Révolution Holacracy - Le Système de management des entreprises
performantes, Leduc. S Éditions, 2016.
Dov Seidman, How ou comment le comportement devient la clé du succès en affaires, Dunod,
2011.

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

INDEX

A
Abeille Guy 122

action (fiche) 199, 200

adhésion 258

algorithme 47, 278

Anderson Chris 49

Ash Michael 124

Attali Jacques 253

autoapprentissage 47

autocontrôle 29, 301

automatisation 34

autonomie 32, 189, 207, 209, 213, 297, 301, 305

B
benchmark 65, 134

biais cognitif 273, 282

bien-être (mesure) 118, 130, 131

big data 16, 37, 46, 80, 81

Box George 107, 138

Brahe Tycho 136

C
causalité 49, 96, 99

chaîne

- de valeur 184

Champy James 292

chômage (chiffres) 70, 74, 94

cohésion 212, 256, 257, 270

collecte 40, 44, 55, 81

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

compétence 39, 57, 293, 296, 305

compétitivité 15, 175

complexité 163, 189, 306

conduite du changement 257

confiance 187, 265, 311

- définition 191

contrat 196, 199

contrôle 29, 37, 56

coopération 296, 310

COP21 176

corrélation 96

cross-selling 164

cybernétique 29, 32, 42

D
data scientist 50, 107

décision

- prise de 110, 296, 310

Dejours Chistophe 40, 56, 57, 58, 308

downsizing 292

DPPO, direction participative par objectifs 173

Drucker Peter 68, 107, 172, 310

E
échelle

- de Likert 279

- de valeur 268

- logarithmique 89

- manipulation 86

effet

- d’aubaine 104

- de halo 274

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

efficacité 31, 34, 142, 295, 311

efficience 142

empowerment 189

entreprise libérée 210, 297

erreur (droit à l’) 213

évaluation 56, 58, 308, 309

F
Fayol Henri 149, 158, 307

Fitoussi Jean-Paul 119, 130

Ford Henry 28, 59, 184, 301

G
Galford Robert 191, 311

Gélinier Olivier 173

Getz Isaac 241, 301, 312

Goldratt Eliyahu 115, 310

Graeber David 299

graphiques 85, 90

Green Charles 191, 193, 311

H
Hammer Michael 291, 292

Herndon Thomas 124

hiérarchie 31, 65, 202, 295, 301, 304

holacratie 297

Homo Œconomicus 51

Honneth Axel 202

Hsieh Tony 210, 312

hystérésis 101, 300

I
incertitude 189

indicateur de performance 125

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

- choix 215

- définition 109

- suivre 141

indicateurs 62

- alibis 68

- artificiels 69

- de performance 62, 107, 141, 215, 288

- écrans 70

- faussement équilibrés 73

- globaux 71

- incomplets 70

- insignifiants 69

- volontairement déséquilibrés 72

infographies 90

initiative 213

innovation 23, 175, 306

Iribarne (d') Philippe 196, 197, 308

K
Kepler Johannes 136

L
lampadaire (théorème du) 119

Laurent Éloi 130, 309

Lean 17, 28, 185

Le Cacheux Jacques 130, 309

Linhart Danièle 293, 309

logique floue 288

loi El Khomri 92

M
Maister David 191, 311

manipulation 67, 96

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

marché 29, 92, 93, 162, 175

Marquet David 190, 310

matrice d’Ansoff 162

Mayo Elton 293

McGregor Douglas 206, 311

Méda Dominique 300, 308

médiane 75

méfiance 26

Merchant Nilofer 156, 311

mesure 25, 43, 65, 111, 277, 294, 309

- définition 64

Mintzberg Henry 166

modale (valeur) 76

modèle 30, 31, 277, 294, 296, 312

modélisation 47, 48, 50, 52, 138, 277

modérateur 253, 260, 276

motivation 187, 192, 193, 197, 205, 210, 283

- extrinsèque 209

- intrinsèque 209

moyenne 74

- mobile 94

MPO, management par objectifs 172, 196, 310

N
Nayar Vineet 34, 160, 191, 194, 297, 312

négociation 182, 183, 256, 257, 270

norme 98, 107, 142, 156, 201

- de groupe 269

O
objectif 113, 119, 169, 200

opérationnel 29, 34, 110, 156, 157, 188, 191, 195, 297, 300

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

P
paradoxe de Zénon 272

Parker Follett Mary 184, 232, 307

participation 35, 173, 187, 304

performance 23, 215, 288, 308

- définition 142

- mesure 59, 294

- objectif 176

Peters Tom 152, 309

PIB, produit intérieur brut 71, 122, 129

poka-yoke 190

polémique 255

Pollin Robert 124

Porter Michael 154, 309

Pouget Émile 298, 307

pourcentages 77

pouvoir 156, 189, 195, 231, 241, 256, 297, 300, 301

précision 79, 135, 282

procédure 43, 56, 99, 142, 172, 191, 201, 300

processus 112, 167, 181, 268

- de création de valeur 185, 211, 292, 293, 297

- d'innovation 214

Q
quadrature du cercle 136

qualitatives (grandeurs, mesures) 53, 277

qualité 50, 107, 112, 216, 268, 279

quantitatives (grandeurs, mesures) 17, 52, 54, 55, 118, 285

R
reconnaissance 199, 204, 296, 308, 311

règles 56

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Reinhart Carmen 124

reporting 40, 127

réseaux sociaux 16, 35, 49, 80, 160

responsabilité 31, 187, 198, 199, 258, 259

RFID, Radio Frequency IDentification 42

risque 142, 165

Rogoff Kenneth 124

S
salami slicing 135

Sauvy Alfred 46, 79, 81, 129

SCOP, Société COopérative et Participative 161, 302

Sen Amartya 130

Shanghai (classement de) 116

Simon Herbert 52, 131

Sims Peter 214, 311

Sinclair Upton 28, 59

Smith Debra 183

sondage 49, 80, 81, 83

sophisme 261, 271

standardisation 34, 56, 268, 305

start-up 304

statistiques 50, 94, 167

Stiglitz Joseph 129, 130

stratégie 119, 149, 169, 309

- définition 150

Supiot Alain 59, 293, 309

SWOT, Strenghts, Weaknesses, Opportunities, Threats 159

T
Tableau de bord 72, 88, 108, 132, 134, 138, 274, 277

tactique 169

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Taylor Frederick W. 26

TRS, taux de rendement synthétique (indicateur) 134

Tufte Edward 90, 93

U
up-selling 164

V
valeur

- chaîne de 184

- échelle de 268

- médiane et modale 74

W
Waterman Robert 152, 309

Welch Jack 101

Z
Zadeh Lofti 288

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Merci d’avoir choisi ce livre Eyrolles. Nous espérons que sa lecture vous a été utile et vous
aidera à mener à bien vos projets.
Nous serions ravis de rester en contact avec vous et de pouvoir vous proposer d’autres
idées de livres à découvrir, des nouveautés, des conseils ou des événements avec nos
auteurs.
Intéressé ? Inscrivez-vous à notre lettre d’information mensuelle.
Pour cela, rendez-vous à l’adresse go.eyrolles.com/newsletter ou flashez ce QR code (votre
adresse électronique sera à l’usage unique des éditions Eyrolles pour vous envoyer les
informations demandées) :

Vous êtes présent sur les réseaux sociaux ? Rejoignez-nous pour suivre d’encore plus près
nos actualités :

Eyrolles Business Eyrolles Business Eyrolles Business

Merci pour votre confiance.


L’équipe Eyrolles.

P.S. : chaque mois, 5 lecteurs sont tirés au sort parmi les nouveaux inscrits à notre lettre
d’information et gagnent chacun 3 livres à choisir dans le catalogue des éditions Eyrolles.
Pour participer au tirage du mois en cours, il vous suffit de vous inscrire dès maintenant
sur go.eyrolles.com/newsletter (règlement du jeu disponible sur le site)

http://thegreatelibrary.blogspot.com/
http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Pour suivre toutes les nouveautés numériques du Groupe Eyrolles, retrouvez-nous sur
Twitter et Facebook

@ebookEyrolles

EbooksEyrolles

Et retrouvez toutes les nouveautés papier sur

@Eyrolles

Eyrolles

http://thegreatelibrary.blogspot.com/

Vous aimerez peut-être aussi