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Les Tableaux de Bord Du Manager Innovant by Thegreatelibrary
Les Tableaux de Bord Du Manager Innovant by Thegreatelibrary
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Table of Contents
Page de titre
Copyright
Sommaire
Introduction
Avant-Propos
Première partie Pourquoi le management de la performance freine l’innovation
1. Mesurer pour piloter, c’est encore de la théorie. Dans les faits, sur le terrain, la
mesure ne sert qu’au contrôle systématique des individus… Pourquoi ?
La méfiance règne…
L’entreprise est passée de Taylor à cyber, mais on contrôle toujours
La schizophrénie des entreprises
2. Les fanatiques du contrôle systématique affichent la modeste ambition de vouloir
tout mesurer. Mais ils ne savent que compter… et encore, uniquement ce qui est facile
à compter… Démonstration
Le reporting n’est qu’une lucarne translucide, on distingue vaguement quelques
formes mais on ne voit pas les détails
En attendant le tout-numérique
Mesurer, c’est résumer
Avec le big data, va-t-on enfin tout savoir ?
Le principe de l’analyse big data en quelques mots
Le big data nous promet monts et merveilles, mais qu’en est-il réellement ?
Quantité et qualité ne sont pas synonymes
Homo Œconomicus, le retour !
Les limites de la « chiffromanie », tout ne se compte pas…
Grandeurs qualitatives et subjectivité
De toute façon, on ne compte que ce qui est facile à compter
En complément pour enfoncer le clou : l’évaluation individuelle à l’épreuve de la
réalité du travail
3. Dominer, c’est aussi savoir manipuler l’information. Ou comment démontrer que le
verre à moitié vide est à moitié plein et vice versa… Quelques cas typiques
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La démarche
8. Tout commence (normalement) par l’élaboration d’une stratégie raisonnable et
raisonnée, et donc pertinente
Mais qu’est-ce donc que la stratégie ?
La stratégie, ce n’est pas se préparer à la guerre…
La stratégie, ce n’est pas suivre les leaders médiatiques…
Corollaire évident : la stratégie ce n’est pas copier les autres
La stratégie, ce n’est pas cocher une check-list pour ressembler au modèle
idéal…
La stratégie, ce n’est pas adorer les gourous…
La stratégie, ce n’est pas une chasse gardée de la direction
La stratégie, ce n’est pas que la conception, c’est aussi le déploiement
En fait, une bonne stratégie est le fruit d’une démarche coopérative
L’analyse SWOT, un outil aussi essentiel que mal utilisé
La technologie est à notre service
Un cas pratique : le démarrage d’une SCOP
Synthèse : les avantages incommensurables d’une approche participative
Une fois la stratégie déployée… on reste aux aguets, prêts à tout bouleverser
s’il le faut
9. De la stratégie aux tactiques, ou comment le choix des objectifs de performance
conditionne la réussite du déploiement stratégique
Qui est concerné ?
La pierre d’achoppement : décliner la stratégie en objectifs de terrain
Et le management par les objectifs ?
La démarche en pratique
Qu’est-ce qu’un bon objectif de performance ?
Les six caractéristiques d’un bon objectif de performance
Le bon objectif exprime des ambitions raisonnables
Le bon objectif est univoque et explicite
Comment s’assurer que les objectifs tactiques sont bien au service de la stratégie ?
La cohérence globale : marcher sur deux jambes permet d’avancer
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Comment répondre aux nouveaux besoins de pilotage des entreprises ? L’auteur propose une démarche en 7 étapes pour
mettre en place les tableaux de bord du manager innovant. Cette démarche pratique permet de bâtir un système de
mesure de la performance qui remplit pleinement sa fonction d’assistance au pilotage, dans une logique de coopération et
de prise de décision en équipe.
La première partie développe une analyse critique de la mesure de la performance telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui.
Elle apporte notamment des réponses aux questions : pourquoi la mesure de la performance est-elle encore un outil de
coercition ? Comment démasquer les mesures maquillées ? Comment éviter les indicateurs inadaptés et donc trompeurs ?
La seconde partie détaille, exemples à l’appui, les sept étapes de la démarche pour bâtir les tableaux de bord de
l’organisation innovante : concevoir des stratégies coopératives ; identifier collectivement les objectifs tactiques ;
instaurer un climat de confiance, premier pivot de la démarche ; pratiquer la reconnaissance, second pivot de la démarche
; sélectionner les indicateurs pertinents ; construire l’aide à la décision ; développer la prise de décision en équipe.
Alain Fernandez est depuis plus de trente ans consultant indépendant spécialiste de la mesure de la performance. Il conçoit
pour les entreprises, en France comme à l’étranger, des systèmes de tableaux de bord de pilotage et d’aide à la décision, en
utilisant la démarche décrite dans cet ouvrage. Enseignant et formateur, il est aussi l’auteur de plusieurs livres de référence
sur le thème du management de la performance vendus à plusieurs milliers d’exemplaires.
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Alain Fernandez
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Groupe Eyrolles
61, bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com
Les Nouveaux Tableaux de bord des managers (1998, 2000, 2003, 2008, 2011, 2013)
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage,
sur quelque support que ce soit, sans l’autorisation de l’Éditeur ou du Centre Français d’exploitation du droit de copie, 20,
rue des Grands Augustins, 75006 Paris.
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REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier toutes les directions d’entreprise sans exception qui depuis 25 ans
m’ont permis d’affiner la démarche présentée au fil de ces pages. Quels que soient leur
domaine d’activité ou le type de management pratiqué, elles ont toutes contribué à leur
manière à ce livre qui synthétise quelque part ces multiples expériences. Je remercie
chaleureusement Marguerite Cardoso, responsable éditoriale chez Eyrolles, qui entre
autres, a pris le temps de commenter méthodiquement la toute première mouture de cet
ouvrage. Je remercie aussi Clotilde de Royer qui a adroitement amélioré le confort de
lecture d’un écrit un peu trop monolithique dans sa version initiale. Et bien sûr, je n’oublie
pas dans cette courte liste de remerciements Marie-Claude Sonzini, fidèle lectrice attentive
des premières ébauches.
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SOMMAIRE
Introduction
Avant-Propos
Première partie
Pourquoi le management de la performance freine l’innovation
1.Mesurer pour piloter, c’est encore de la théorie. Dans les faits, sur le terrain, la mesure
ne sert qu’au contrôle systématique des individus… Pourquoi ?
La méfiance règne…
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Le big data nous promet monts et merveilles, mais qu’en est-il réellement ?
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Comparez l’incomparable
Profitez des outils statistiques
Abusez de l’hystérésis
Confondez stock et flux…
5.La majorité des indicateurs de performance sont faux, cela dit, quelques-uns sont
utiles… Explication
Définition et principe des indicateurs de performance
L’indicateur de performance est une aide à la prise de décision
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Deuxième partie
Comment y remédier : la démarche
7.Tout bien réfléchi, ce n’est pas bien compliqué : pour suivre un indicateur de
performance, encore faut-il en avoir envie…
Bâtir le système de mesure de la performance, une démarche typique
Qu’est-ce que la performance ?
La démarche
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La stratégie, ce n’est pas cocher une check-list pour ressembler au modèle idéal…
La démarche en pratique
Comment s’assurer que les objectifs tactiques sont bien au service de la stratégie ?
La cohérence globale : marcher sur deux jambes permet d’avancer
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11.Mais qui dit « action » doit aussi entendre « reconnaissance », seconde clé de voûte de
la démarche
De l’exactitude des fiches d’action découle la définition des responsabilités
Je veux bien me défoncer, encore faut-il me dire pourquoi !
Le management, c’est aussi parvenir à conjuguer les motivations personnelles de chacun avec celles de l’entreprise
Rafraîchi : la fréquence de rafraîchissement de toutes les composantes de l’indicateur est compatible avec le cycle
de prise de décision
Coût acceptable : l’indicateur est obtenu à un coût compatible avec l’enveloppe budgétaire
Un peu de pragmatisme
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13.Les indicateurs de performance ne sont utiles que si l’on s’en sert pour prendre des
décisions
Qu’est-ce qu’une décision ?
La démarche de progrès
Quelles initiatives peut-on prendre sans risquer les coups de règle sur les doigts ?
Coordination et coopération
Une question demeure toutefois : les divergences de vues visent-elles la résolution du problème ou, plus
insidieusement, s’agit-il de conflits de pouvoir ?
Le rôle du modérateur
Arbitrer
Synthétiser
S’abstenir
Aiguillonner
Encourager : si jamais le groupe est un peu coincé et ne démarre pas, comment le dérider ?
Conclure
Se sentent-ils concernés ?
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Décoder les termes du langage, les mots n’ont pas toujours la même signification
L’implicite et l’explicite
Les trublions
À l’attention des plus curieux : un peu de théorie à propos des univers continu et discontinu
Indicateurs de performance et logique floue, une expérience à télécharger
Troisième partie
Pour conclure…
16.Au XXIe siècle, c’était encore des humains qui faisaient fonctionner les entreprises.
Vous savez, ces êtres dotés de raison, de sentiments et de passions…
Ils appellent cela « Le facteur humain… »
La SCOP
La start-up
Bibliographie
Index
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INTRODUCTION
La course à la performance n’aura jamais été autant encensée que ces dernières années.
Élevée au rang de culte national, elle semble être désormais l’unique planche de salut pour
nos sociétés vieillissantes, engluées dans une crise qui n’en finit pas… de finir. Chaque
entreprise, ou plus généralement chaque organisation publique ou privée en mal de
compétitivité, tente de dénicher les sources d’amélioration de la performance globale au
sein même de toutes ses activités. Le couperet bien en main, les cost killers professionnels
ou improvisés sont prêts à trancher pour éliminer ce qui, en apparence, ne serait qu’un
générateur de coûts. Mais comme nous ne savons pas toujours très bien définir la notion de
performance, et encore moins la mesurer, on se contente de compter. Et l’on compte à peu
près tout ce qui peut être compté sans trop d’effort : des minutes, des quantités, des euros.
C’est une appréciation de la performance incomplète. Toutes les formes de valeurs ne
s’expriment pas en unités triviales. La coopération naturelle entre les membres de
l’entreprise, qu’ils soient de la même équipe ou pas, l’indispensable partage d’informations
et des tours de main sans lesquels aucune organisation ne fonctionnerait, restent invisibles
pour celui qui ne sait pas les chercher. Pourtant, c’est avec une grille de lecture aussi
grossière que s’opèrent les réorganisations. Toutes les activités dont la contribution à la
performance globale n’est pas nécessairement perceptible sur le bilan comptable sont
éliminées sans regret. La recherche et le développement, les actions d’amélioration du
bien-être des salariés, ou encore les actions de formation à long terme passent ainsi à la
trappe. Mais ce n’est pas là le seul effet pervers engendré par cette vision simpliste et donc
nécessairement partielle de la mesure de la performance.
Avec les technologies de l’information, le contrôle systématique et généralisé de l’ensemble
des salariés est aujourd’hui entré encore plus profondément dans les mœurs managériales.
Maintes fois dénoncée, cette dérive est en passe de devenir une norme de fait, tant les
moyens de la contrecarrer sont illusoires. Pratiquer ainsi la mesure de la performance
garantit la survivance d’un management de la soumission par la crainte, vestige des débuts
de l’ère industrielle où il s’agissait de transformer de braves laboureurs en ouvriers
automates. Il ne faut donc pas être surpris si la créativité et l’innovation, tant invoquées
pour un réveil de la compétitivité, restent bloquées dans les tréfonds des cerveaux des
salariés aussi brillants soient-ils. Le management, non pas le vertueux décrit par les
gourous auteurs d’ouvrages à succès, mais bien celui actuellement pratiqué dans les
entreprises, ne laisse guère de place à l’indispensable prise d’initiative, unique clé de
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AVANT-PROPOS
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PREMIÈRE PARTIE
POURQUOI LE MANAGEMENT DE LA PERFORMANCE FREINE
L’INNOVATION
Où l’on comprend les origines d’un management pris au piège de la frénésie du contrôle
systématique et de ses dérives pernicieuses.
Nous étudierons alors le moyen de déjouer les mesures fallacieuses et d’esquiver les
indicateurs farfelus.
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1.
Mesurer pour piloter, c’est encore de la théorie. Dans
les faits, sur le terrain, la mesure ne sert qu’au contrôle
systématique des individus… Pourquoi ?
Depuis déjà bien des années, les auteurs de management « mainstream » vantent à juste
titre l’importance d’une mesure efficace de la performance pour conduire une démarche de
progrès stratégique. Dans son principe, le schéma est simple et logique. Une fois la stratégie
soigneusement formalisée, elle est déclinée au sein de l’entreprise afin que chaque salarié
contribue au progrès ainsi défini. En fait, ce sont les femmes et les hommes de l’entreprise
qui portent la stratégie et agissent en conséquence pour la rendre réalisable. Chacune et
chacun, à son niveau et dans son métier, se doit d’atteindre des objectifs réalistes et précis,
en parfaite cohérence avec la stratégie poursuivie. Pour prendre les bonnes décisions de
terrain, il est donc impératif que chaque manager, que chaque équipe, dispose d’un
instrument de mesure de la performance adapté.
En résumé, la mesure de la performance n’a donc d’autre but que celui de guider la mise en
œuvre d’une stratégie et de faciliter la prise de décision de l’ensemble des acteurs de
l’entreprise. Tout cela est parfaitement clair aujourd’hui.
En théorie.
Parce qu’en pratique, c’est tout à fait autre chose que l’on trouve sur le terrain. Le principe
de mesure est totalement détourné de sa mission initiale. Les évaluations individuelles à
répétition, les objectifs flous, les stratégies jalousement tenues secrètes par la direction, les
reportings répétitifs et fastidieux aux finalités incompréhensibles pour ceux qui doivent les
produire, sont le quotidien des salariés de la très large majorité des organisations privées
ou publiques aujourd’hui. Pourquoi ? Tout simplement pour mieux les contrôler. Collecter
un maximum d’information confère l’impression d’être à même de tout surveiller et de
s’assurer que tout sera exécuté selon les règles prescrites. Bref, la méfiance règne. Pour une
large majorité d’entreprises, il n’est pas question de déléguer un quelconque pouvoir de
décision, et donc d’initiative, sans un contrôle de tous les instants. C’est la principale raison
de cette multiplication des mesures déployées tous azimuts sans pour autant être
nécessairement reliée à une stratégie bien définie.
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La méfiance règne…
Depuis les débuts de l’industrialisation, l’humain a toujours été considéré comme la partie
subsidiaire du processus. On aimerait bien s’en passer, mais ce n’est pas possible, donc il
faut faire avec. En revanche, il faut s’assurer que les salariés ne s’approprient pas un espace
de pouvoir non prévu par les strictes nécessités de la tâche allouée. Frederick Winslow
Taylor, initiateur de l’organisation scientifique du travail, n’avait guère d’autres ambitions.
Il affichait ouvertement son manque total de confiance envers les employés qui, d’après lui,
cherchaient toujours le moyen d’en faire le moins possible.
La citation qui interpelle
« Si un ouvrier américain joue au base-ball ou un Anglais au cricket, il emploie toutes ses facultés pour assurer la victoire à son
camp et gagner le plus grand nombre possible de points (…) Quand ce même ouvrier retourne à l’usine le lendemain, loin de
s’efforcer de travailler de son mieux, il s’arrange le plus souvent, pour faire délibérément le moins de travail possible. »
Sous prétexte d’améliorer les processus de production, Taylor s’est efforcé de capter la
connaissance des professionnels afin de les priver d’un pouvoir jugé inacceptable par la
direction des entreprises. Avant qu’il impose ses lois d’organisation industrielle, un
mécanicien tourneur par exemple, définissait lui-même la méthode à employer et le temps
nécessaire pour réaliser une pièce précise. Il disposait d’un pouvoir sur les temps, les
modes de réalisation et donc sur les coûts. La direction était bien contrainte de se
soumettre. Pour Taylor, la solution était simple. Il suffisait de s’approprier la connaissance
détenue par les professionnels de terrain en charge de l’exécution proprement dite. Une
fois les connaissances liées à un métier donné formalisées par le bureau des méthodes, il
est alors aisé de diviser le métier en tâches suffisamment élémentaires pour être exécutées
par des salariés ne disposant d’aucune compétence particulière. Ces derniers sont
dépourvus du pouvoir de résistance que confère la parfaite maîtrise de son métier. Ils ne
peuvent donc rechigner à subir la pression des chronométreurs et autres contrôleurs. La
division du travail était née. Ceux qui ont la maîtrise des techniques de production ne sont
pas ceux qui sont tenus de les appliquer, les bras sont isolés des cerveaux. Il suffisait
ensuite que Henry Ford récupère l’idée pour généraliser le travail à la chaîne et « inventer »
les premiers processus2.
On pourrait penser que dans l’entreprise moderne, le taylorisme tout comme le fordisme
ne sont plus d’actualité. Il faudrait pour cela faire abstraction de toutes les entreprises
industrielles qui appliquent le Lean management sans l’avoir vraiment compris et avec plus
ou moins de succès, ou encore toutes celles qui, comme Amazon, dépendent de la
performance de la logistique.
La citation qui interpelle
« Les salariés et leur production sont observés en temps réel. Leurs temps de travail et de pause sont encadrés à la minute près.
Au “pack”, où l’on emballe les petits articles, l’objectif est récemment passé de 110 à 115 colis par heure. “Beaucoup faisaient un
geste inutile en attrapant le carton avec la main droite, explique Ronan Bolé, directeur du site. En utilisant la gauche, ils évitent
une torsion du buste et gagnent en productivité.” »
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Cela dit, il est vrai que nous ne sommes plus exactement dans la même dimension. Il ne
s’agit plus de transformer de braves laboureurs en ouvriers à la chaîne, comme ce fut le cas
durant toute la première moitié du XXe siècle.
Et aujourd’hui ?
On prône l’autonomisation et la prise de responsabilités. Pour faire face à la complexification des métiers et à l’incertitude des
marchés, il n’existe guère d’autres solutions que de se reposer sur la capacité des femmes et des hommes à affronter de telles
situations.
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En résumé
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Ce modèle d’efficacité, multipliant les centres de décision au plus près du terrain, est par définition le mieux adapté aux
exigences actuelles d’organisation flexible et réactive en environnement complexe et incertain. Il répond aussi aux aspirations
des salariés qui ont soif de responsabilité, d’une hiérarchie allégée et de relations horizontales plus aisées.
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Et aujourd’hui ?
Comme le note Vineet Nayar auteur de Les Employés d’abord, les clients ensuite5, ceux qui créent la valeur rendent des
comptes à ceux qui n’en créent pas. Là est le paradoxe de la dérive bureaucratique des entreprises actuelles.
Avec la course à la rentabilité maximale que l’on nomme par euphémisme « l’efficacité », le
pouvoir des gestionnaires est sérieusement renforcé aux dépens des opérationnels. Le
succès de l’entreprise semble aussi passer par une automatisation et une standardisation
absolues. Au cours des dernières décennies, les outils de gestion informatisés se sont
généralisés et systématisés. Dotée du pouvoir d’imposer le rythme et les modes de travail,
cette gestion instrumentalisée joue un rôle de premier plan toujours plus contraignant6.
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Poursuivons cette approche critique en traitant maintenant les dérives de la mesure dans
l’entreprise. C’est le sujet des trois prochains chapitres.
• l’illusion qu’il suffit de tout mesurer pour tout maîtriser ;
• la manipulation des mesures pour justifier l’injustifiable ;
• l’inutilité et le côté trompeur de nombre d’indicateurs dits de performance.
1« Principe d’organisation scientifique des usines », publié par H. Dunod et E. Pinat Éditeurs, préface de Henry Le
Chatelier, 1912.
2Bon, ce n’est pas tout à fait vrai. Henry Ford s’est en fait inspiré des abattoirs de Chicago qui pratiquaient déjà la
division du travail et l’organisation des travailleurs en poste fixe devant une chaîne en mouvement. Ce principe
est bien décrit dans le roman La Jungle de Upton Sinclair, Le Livre de Poche, 2011.
3Extrait de Les Nouveaux Tableaux de bord des managers, Alain Fernandez, Eyrolles, 6e édition 2013.
4Bien évidemment, toutes les entreprises ne se comportent pas ainsi. Cette première partie est une indispensable
critique pour bien comprendre ce qu’il faut éviter dans les principes de mesure de la performance. Au cours de
la seconde partie, nous nous appuierons sur les modèles organisationnels et managériaux des entreprises (bien
trop rares) qui ont profité justement de cette intelligence collective, offerte par les organisations autorégulées,
pour bâtir le système d’aide à la décision pour tous.
5Vineet Nayar, Les Employés d’abord, les clients ensuite, Diateino, 2011.
6Les Enterprise Resource Planning (ERP), traduit en français par « progiciel de gestion intégrée » (PGI) sont un bon
exemple de l’emprise de la technologie sur les modes de fonctionnement de l’entreprise. Les ERP, outils
particulièrement complexes, ont plus pour vocation d’imposer un fonctionnement organisationnel standardisé
que de fluidifier les processus existants sans dénaturer l’entreprise. La mise en place (souvent pénible) d’un tel
« bazar », comme disent nos amis belges, se traduit toujours par une avalanche de nouvelles contraintes pour
les opérationnels.
7On ne compte plus les entreprises qui profitent, voire abusent, du droit de contrôle des salariés et limitent l’accès
aux réseaux sociaux, surveillent les mails et les pages Web visitées ou encore pistent les déplacements des
salariés.
francetvinfo.fr Sanofi : « Des employés pistés à l’aide de puces » (15-04-2016).
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2.
Les fanatiques du contrôle systématique affichent la
modeste ambition de vouloir tout mesurer. Mais ils ne
savent que compter… et encore, uniquement ce qui est
facile à compter… Démonstration
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L’esprit start-up, c’est innover, c’est prendre plaisir à créer, c’est le stress positif qui vous stimule pour aller vite,
toujours plus vite ! C’est aussi une compétition, ne nous le cachons pas. Vous êtes en compétition avec les autres
business units, c’est juste. Mais nous participons tous quelque part à la même aventure.
Nous nous reverrons dans trois mois, et nous aviserons alors si notre coopération est réellement viable. Je sais
que vous avez des capacités. Je vous conseille de vous impliquer un peu plus, et de développer au sein même de
l’entreprise votre potentiel de passion. Faites donc comme vos collègues, soyez motivé et prenez plaisir à
construire notre projet. C’est cela que l’on attend de vous. C’est aussi cela qu’attendent vos clients. J’ai vos
chiffres sous les yeux, si vous ne vous motivez pas un peu plus, j’ai bien peur que vous n’atteigniez pas vos
objectifs. »
Fin de l’entretien.
Bref, business as usual. Pour conclure, j’aurais peut-être dû effectivement faire comme les collègues, fermer ma grande
gueule et reporter ma colère sur les miens, sur mes voisins, sur mon chien, ou tout garder en moi quitte à développer les
pathologies du stress… « Have fun » qu’ils nous disent…
Commentaire
L’importance prise par la loi du chiffre dans la société actuelle conduit irrémédiablement à une occultation de la notion de
compétence, de l’expertise du professionnel et du sens du travail bien fait. Chacun se doit de devenir individuellement un
centre de profit dont la valeur ajoutée est directement perceptible en espèces sonnantes et trébuchantes. Les cost killers
occupent le terrain, et les « normalisateurs », trop loin des réalités du terrain pour les comprendre, disposent d’un pouvoir
absolu pour imposer des modes de travail standardisés. C’est là toute la difficulté du salarié pris au piège comme dans un
étau entre des règles imposées aussi rigoureuses qu’inadaptées, des objectifs trop flous, des indicateurs astreignants et la
nécessité d’accomplir la tâche dévolue dans les meilleures conditions1. Dans cette entreprise, comme dans bien d’autres, la
mesure semble avoir pris le pas sur toutes les autres préoccupations.
La collecte de « contrôle » repose essentiellement sur les reportings, ces comptes rendus
que remplissent à échéances fixes la majorité des managers et responsables d’une activité.
Ces reportings ne sont pas toujours remplis avec la méticulosité qui serait nécessaire pour
que l’on puisse en extraire un quelconque enseignement. Pressés par le temps et par la
culture du résultat, des managers se laissent tenter par des « corrections » des mesures,
sachant bien que ces « rectifications » des nombres seront noyées parmi bien d’autres
mesures une fois parvenues à destination. Enfin, le fonctionnement d’une activité ne peut
pas s’exprimer aussi simplement par quelques ratios, aussi judicieusement choisis soient-
ils. De toute façon, ils ont toutes les chances d’être ensuite amalgamés avec d’autres
mesures jugées de la même famille. « Le diable est dans les détails », dit-on. Mais le détail
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C’est aussi un moyen de contrôle de l’activité des managers et des équipes, non ?
Évidemment, chez nous, on ne veut que les meilleurs, ceux qui en veulent, ceux qui ont la niaque, ceux qui ne
comptent pas leurs heures, ceux qui n’ont que le client en ligne de mire.
???
On sait que le reporting est un véritable cauchemar des managers opérationnels. Ceux qui n’ont pas le temps les
font un peu à l’estimation. Il y a aussi tous ceux qui enjolivent un tant soit peu les résultats afin qu’ils soient un
peu plus conformes aux attentes de la direction…
À mon avis, ces dérives sont encore très minimes. De toute façon, avec le développement du tout-numérique,
on finira par tout connecter directement, il n’y aura pratiquement plus de saisies humaines, donc le risque
d’erreurs sera proche du zéro absolu.
En attendant le tout-numérique
Cet échange a réellement eu lieu, pas tout à fait en ces termes mais en substance, le sens du
propos est bien respecté. Cela dit, ce contrôleur de gestion n’a pas tout à fait tort. Les outils
de production, machines, ordinateurs, tablettes et smartphones sont déjà connectés. D’ici
peu, on finira par connecter et centraliser tous les objets. Les puces RFID (Radio Frequency
IDentification ou la lecture d’étiquettes à distance) sont déjà là et l’Internet des Objets
(IdO)3 se déploie à vitesse grandissante. Les rapports seront donc tous générés
automatiquement afin de tenter de tout chiffrer avec un taux d’intervention humaine quasi
nul. Comme nous l’avons déjà brièvement évoqué, dans le monde de l’entreprise, nous
sommes entrés depuis déjà quelques décennies dans un modèle managérial de type
cybernétique.
Le modèle cybernétique qui pêchait jusqu’alors par le manque de fiabilité de sa boucle de
rétroaction atteindrait ainsi son apogée pour servir au mieux l’amélioration continue de la
productivité. C’est bien par l’avènement de ce modèle parfait au sens de ses concepteurs
que l’on s’autorise aujourd’hui à imaginer remplacer l’humain par des robots pour une
large majorité de fonctions. C’est une pure fiction. Les promoteurs de ces prospectives
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n’ont vraiment aucune idée de la réalité du travail sur le terrain, des ajustements des
procédures que chaque acteur réalise au quotidien, des indispensables décisions ad hoc
prises au pied levé, sans lesquelles toutes les tâches un peu complexes, et elles le sont
pratiquement toutes aujourd’hui, seraient impossibles à réaliser.
L’idée derrière tout cela est particulièrement claire : diminuer encore et plus les coûts en
réduisant l’exigence de compétences par un recours systématique à la technologie. C’est
aussi cela l’objectif du tout-numérique. En tout cas, pour le moment et selon l’enquête
Tagetik citée en exergue de ce paragraphe, 95 % des répondants utilisent Microsoft Excel
pour rédiger leurs rapports toujours plus chronophages. Les directions sont en effet
friandes d’annotations pour expliquer les chiffres transmis. On les comprend !
Parfois, les anagrammes révèlent bien plus que l’on ne pourrait le supposer. « Résumer »
est la parfaite anagramme de « Mesurer », et cela tombe bien, une mesure est toujours
réductrice. Aussi bien choisie soit-elle, elle ne présente qu’une seule dimension d’un objet,
d’un phénomène ou d’une activité. Cette information est utile lorsqu’elle est judicieusement
choisie et étalonnée en étroite relation avec l’objectif poursuivi. Elle apporte alors une
information essentielle sur le déroulement des actions engagées, et offre ainsi une
précieuse aide à la décision. Sortie de ce contexte, son utilité est plus que limitée. Dans bien
des cas, elle est même trompeuse. Une mesure peut être un indicateur de performance
pour celui qui l’a sélectionnée. Il vise un objectif bien précis, et un seul aspect de l’activité
sous contrôle l’intéresse. Cette mesure ne reflète en rien une imaginaire performance
globale de l’activité ou du processus, si tant est qu’elle puisse exister. Il est inutile, voire
parfois néfaste, de la collecter pour tenter de l’intégrer dans quelque chose de plus général,
loin des préoccupations de ceux qui l’utilisent au quotidien.
Exemple : le cas des fusions d’entreprises
De nombreuses données issues de chacune des deux entreprises rapprochées portent un même libellé sans pour autant se
référer à la même entité. Il existe de multiples façons de calculer un chiffre d’affaires, un coût de revient ou un coût de
production. Les consolider sans prendre la précaution de vérifier les modes de calcul est plutôt risqué. Pourtant bien des
entreprises procèdent innocemment ainsi, et ne découvrent que trop tardivement ces différences de calcul qui faussent les
résultats et donc les appréciations.
Pour généraliser, les données de l’entreprise ne peuvent ainsi être prélevées en faisant fi
des consignes et recommandations que pourrait préciser celui qui les génère ou les utilise
régulièrement. Les collectes aveugles et systématiques introduisent ainsi dans les systèmes
décisionnels des données jugées comme standards alors qu’elles ne le sont pas. C’est une
source d’erreurs récurrentes en entreprise. Quoi qu’il en soit, erreur ou pas erreur, il est de
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toute façon impossible d’interpréter le sens profond des informations si l’on n’est pas
concerné au premier plan par lesdites informations. Sans l’expertise de celui qui les utilise
au quotidien, on ne peut que constater les variations avec la période précédente. La collecte
systématique des mesures est aussi un appauvrissement de la connaissance.
On peut généraliser cette remarque à bien des mesures de l’entreprise collectées sans
discernement. L’utilisateur averti connaît et assume les limites de la mesure qu’il a
sélectionnée pour ses besoins propres.
Quand petit arrangement rime avec falsification
Un responsable data warehouse en charge de la collecte des données devait fournir mensuellement un état précis des
résultats des multiples succursales. C’était là sa mission. Mais plusieurs de ces succursales étaient un peu laxistes pour
fournir les renseignements demandés, jugeant, on imagine, cette quête périodique pour le moins fastidieuse. Malgré les
relances, elles ne transmettaient pas en temps et en heure les reportings attendus. Ce responsable pris entre deux feux
avait donc choisi la solution la plus simple. Il estimait au jugé les résultats des succursales retardataires et les publiait.
Ensuite, lorsque les reportings demandés lui parvenaient, il les modifiait pour correspondre à ses estimations. La
supercherie a fonctionné durant de longs mois jusqu’au jour où une série de ventes exceptionnelles opérées par une filiale
étrangère est totalement passée inaperçue, et pour cause4…
L’aberration actuelle consiste à s’imaginer qu’il suffirait de cumuler des mesures non
étalonnées et des données non vérifiées pour embrasser l’ensemble de la connaissance
d’une activité, d’un processus, d’une entreprise… Passer de la mesure à la démesure donc.
Le big data, c’est un peu cela qu’il nous promet.
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de sondages. Finalement, ce sont ces derniers qui ont vu juste et ont gagné haut la main le duel des prédictions. Aucune
prévision du big data ne s’est réalisée10.
Dès 2008, Chris Anderson, médiatique rédacteur en chef de la revue Wired à cette époque,
avait annoncé rien de moins que « la fin de la théorie » dans un article éponyme qui secoua
la communauté scientifique11. Selon l’auteur, avec le big data, on pouvait pratiquement
oublier le célèbre adage : « Corrélation n’est pas causalité ». Sous-entendu que ce n’est pas
parce que deux phénomènes évoluent en synchronisme qu’il existe nécessairement un lien
évident de causalité. Pour Chris Anderson, les petabytes (1015) de données se suffisent à
eux-mêmes pour révéler des connaissances qui ne correspondent pas nécessairement à des
hypothèses de recherche. Cette théorie est intéressante, mais en pratique elle n’est pas si
simple. On peut aussi faire dire tout ce que l’on veut aux corrélations à partir du moment
où l’on ne recherche pas un solide lien de causalité. Les manipulateurs que nous verrons au
chapitre suivant maîtrisent à la perfection cette falsification.
Quantité et qualité ne sont pas synonymes
Il est prudent de garder les pieds sur terre si l’on souhaite profiter de cet outil dans les
limites de ce qu’il peut nous offrir. La découverte de corrélations est évidemment un
enrichissement des connaissances lorsqu’elles sont démontrées et expliquées. Encore faut-
il que les techniques d’extraction répondent aux règles les plus élémentaires, c’est-à-dire
que le data scientist12 en charge de domestiquer le big data soit un vrai professionnel et que
les données de l’étude soient de qualité, et c’est là que bien souvent le bât blesse.
Lorsqu’il s’agit de collecter des clics sur des pages comme le font Google, Facebook ou les
majors du e-commerce, les erreurs de données sont assez insignifiantes au vu de la
quantité collectée. Si Google se trompe un peu dans son classement sur un mot recherché,
si Facebook commet une erreur dans l’ordre d’affichage de son fil d’actualité, si Amazon
propose une recommandation peu adaptée au visiteur, on ne leur en tiendra pas rigueur.
En revanche, dans l’entreprise, la moindre donnée défaillante peut entraîner des
conséquences pour le moins fâcheuses. Une donnée erronée peut induire, si ce n’est une
mauvaise décision, une erreur de modélisation aux conséquences tout autant dramatiques,
puisque l’interprétation de la réalité qu’est censé représenter le modèle proposé sera
sensiblement faussée.
Exemple
Un pour cent d’erreurs sur un million de clics de visiteurs sur une boutique en ligne, ce sont dix mille clics qui risquent de fausser
notre interprétation. Le risque est insignifiant puisqu’il nous reste tout de même neuf cent quatre-vingt-dix mille clics justes
pour modéliser les comportements. En revanche, un pour cent d’erreurs sur dix mille fiches produit, ce sont tout de même cent
fiches produit erronées. Le risque et ses conséquences sont tout autres.
Et ce n’est pas en multipliant les données disponibles que l’on remédie à la médiocrité de la
collecte. Le nombre n’efface pas l’erreur, la quantité ne remplace pas la qualité. Bref, ce
n’est pas si simple.
Et aujourd’hui ?
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La préparation des données représente une part plus que conséquente d’un projet d’aide à la décision de business intelligence.
Il s’agit en effet, de vérifier chaque donnée afin d´éliminer les valeurs aberrantes, de mettre au même format les données issues
de sources hétérogènes, voire de combler les données absentes afin que le modèle ait un sens. Une tâche titanesque et donc
très coûteuse. Gare à celui qui ne la juge pas à sa valeur !
Toute la connaissance n’est pas formalisable et encore moins quantifiable. Ce que l’on
dénomme les données « socioculturelles » sont par définition non quantifiables et non
structurées15. Nous, les humains, nous raisonnons bien peu avec des données quantifiées et
supposément objectives. Nous préférons très nettement les mesures qualitatives et très
nettement subjectives. On parlera d’un problème difficile, d’une personne sympathique,
d’une bonne ambiance, d’une température agréable. On peut toujours tenter de traduire en
une grandeur discrète des mesures qui relèvent plus du subjectif. Cette grandeur sera
difficilement consensuelle puisque chacun a sa propre échelle de valeur et, de toute façon,
elle n’expliquera pas le ressenti réel16.
Grandeurs qualitatives et subjectivité
Pourtant, c’est ainsi que nous décidons en univers complexe, non pas avec des mesures
quantitatives et discrètes, mais bien avec des notions qualitatives bien plus riches en sens.
Exemple : la conduite automobile
Lorsque l’on s’apprête à dépasser un véhicule qui nous précède sur une route à deux voies, en instantané notre cerveau procède
à de multiples estimations : l’espace nous séparant dudit véhicule, sa vitesse, notre réserve de puissance, la distance à parcourir
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pour achever ce dépassement en toute sécurité, ainsi que l’éloignement du véhicule que l’on discerne en sens contraire. Sans
vraiment réfléchir, on construit notre décision de dépasser en se fondant sur des postulats du type : « Le véhicule me
précédant est assez lent, j’ai suffisamment de puissance pour le dépasser 17, le véhicule qui vient en face est suffisamment
éloigné, j’ai donc le temps de réaliser ce dépassement sans prendre de risques inconsidérés. ». Imaginez si vous deviez
effectuer le même dépassement uniquement avec des valeurs discrètes. Mission impossible. La problématique ressemblerait à
un problème d’arithmétique pour le moins ardu : le camion qui circule sur la voie contraire se situe au moment de la décision à
443 mètres et roule à 85 kilomètres/heure. Le véhicule devant vous à une distance de 27 mètres roule à 83 km/heure. Vous-
même, vous pouvez rouler durant un temps limité à 125 kilomètres/heure. Pouvez-vous doubler ce véhicule sans prendre de
risque ? Impossible de répondre en instantané à ce problème.
La prise de décision en entreprise en univers complexe et incertain est parfois bien plus
délicate que cela.
Poursuivons avec l’exemple d’un parcours en automobile. Il est aisé de quantifier et donc
de mesurer la distance parcourue, la vitesse moyenne ou la consommation de carburant. Il
sera en revanche plus difficile de quantifier et donc de mesurer la beauté du paysage ou les
difficultés de circulation. Aucune des trois mesures précédentes, la distance parcourue en
kilomètres, la vitesse moyenne en kilomètres/heure et la consommation en litres, ne
sauraient exprimer toutes les caractéristiques du parcours. En revanche, subjectivement et
en termes qualitatifs, on saura partager ses impressions de voyage : « le paysage était
extraordinaire, la circulation fluide, la météo clémente… » Le constat est tout à fait identique
dans l’entreprise.
Les dimensions quantitatives et donc mesurables, telles que les temps, les coûts et les
quantités ne révèlent pas grand-chose sur les difficultés rencontrées, sur le plaisir ou
l’ennui à exécuter la tâche assignée. Le goût du travail bien fait, vraisemblablement la seule
et unique clé de la réussite et donc de la performance, ne s’exprime pas non plus en temps,
en coûts ou en quantité.
De toute façon, on ne compte que ce qui est facile à compter
Cela dit, les données quantitatives, si elles sont de qualité et judicieusement choisies sont
d’une grande utilité pour assister les décideurs que sont désormais tous les membres de
l’entreprise du haut de la pyramide jusqu’à sa base. Mais elles sont nécessairement
partielles. De nombreuses données quantitatives présentes dans l’entreprise ne sont pas
intégrées dans les systèmes décisionnels au vu de la difficulté technique et du coût
qu’engendrerait cette collecte. Les budgets sont toujours serrés et les équipes en charge du
projet sont bien souvent contraintes de faire l’impasse sur des collectes exigeant une
infrastructure technologique spécifique ou sur des standardisations de formats délicates. 18
Et ne parlons pas des données externes à l’entreprise tout autant indispensables à la prise
de décision. L’information est en effet aussi en grande partie à l’extérieur, chez les clients,
les partenaires, les concurrents, les pouvoirs publics… Mais tout n’est pas perdu, il reste
encore l’humain « ordinaire », celui qui sait quitter son écran des yeux pour nouer des
relations, s’informer à droite à gauche et prendre le temps de regarder autour de lui. Il est
encore incontournable, heureusement pour le devenir de notre humanité.
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DE LA CHAIRE DE PSYCHANALYSE-SANTÉ-TRAVAIL.
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comparativement aux autres chiffres, c’est-à-dire les résultats des collègues devenus
concurrents pour l’occasion.
Et aujourd’hui ?
Tout rapporter à des données chiffrées, c’est le moyen de dépersonnaliser les humains de l’entreprise afin de mieux les rendre
interchangeables, un rêve de dirigeant aussi ancien que l’entreprise. L’outil : l’évaluation.
Quelle que soit la technique, chaque individu est ainsi transcrit en une série de données
chiffrées censées exprimer sa valeur selon une grille bien spécifique. Cette grille n’est
jamais assez fine pour noter les compétences mises en œuvre, entre autres pour toutes les
raisons que nous avons énoncées dans le paragraphe précédent. Au mieux et vraiment au
mieux, comme l’exprime Christophe Dejours, on ne mesure que le résultat du travail
réalisé. Toutes les difficultés pour accomplir une tâche particulièrement ardue sont
masquées, tout comme la qualité du travail réalisé.
Dans une société idéale, l’évaluation ne devrait exister que pour fournir à chacun un
feedback sur ses propres performances. C’est l’occasion de faire un point précis sur ses
compétences, savoir-faire et savoir-être, afin de mieux progresser ou se réorienter le cas
échéant. C’est là où l’évaluation du type 360º trouve toute sa substance. Elle propose en
effet un éclairage à large spectre des performances personnelles en collectant l’avis de
l’ensemble des relations professionnelles. L’évaluation est un instrument indispensable de
l’aide au développement professionnel. Elle n’est en rien le mécanisme de la machine à trier
de l’entreprise. Mais nous ne sommes pas dans une société idéale.
Une dérive de l’individualisation de l’évaluation
En 2012, la Caisse d’Épargne Rhône-Alpes a été condamnée par le tribunal de grande instance de Lyon pour un usage abusif
d’un principe de mise en concurrence des agences du réseau. La performance de chaque agence, suivie informatiquement,
est évaluée heure par heure et confrontée aux autres agences. Les salariés, eux-mêmes en concurrence avec tous les autres
salariés, ne disposent d’aucun objectif, si ce n’est celui de faire mieux que les autres. Une part variable du salaire dépend de
la performance ainsi mesurée. Ce principe de mise en concurrence imposé de manière autoritaire ne prend absolument pas
en compte le contexte particulier de chaque agence, sa clientèle ou son environnement. Le tribunal a jugé que le stress
permanent et l’ambiance particulièrement détestable générée par ce type de management étaient une atteinte à la dignité
des personnes et une mise en danger de la santé des salariés par un accroissement des risques psychosociaux.
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Il est intéressant de comparer ce jugement avec cet extrait de La Jungle écrit en 1905 :
« L’entreprise Durham appartenait à un homme dont le seul but était de s’enrichir autant qu’il le pouvait quels que soient les
moyens. Au-dessous de lui, on trouvait les cadres, organisés selon une hiérarchie toute militaire, avec en tête les directeurs
suivis des chefs de service puis des contremaîtres, chacun commandant celui qui était à l’échelon directement inférieur et
essayant de tirer de lui le maximum. Tous les salariés d’un même grade étaient mis en concurrence : comme on tenait une
comptabilité séparée pour chacun, ils vivaient dans la terreur d’être renvoyés si l’un de leurs collègues obtenait de meilleurs
résultats. Du haut jusqu’en bas de l’échelle, l’usine était un véritable chaudron, bouillonnant de jalousies et de haines. Il n’y avait
place ni pour la loyauté ni pour le respect : ici un dollar avait plus de valeur qu’un être humain. »
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7Même source du Wall Street Journal que la note numéro 1 de la page précédente.
8Il est intéressant de noter que, à quelques variantes près, ce sont toujours les mêmes exemples qui sont répétés
pour ne pas dire ressassés dans la presse et par les vendeurs de solutions. Il y a une bonne vingtaine d’années,
lorsque le Data Mining était alors la solution miracle, les promoteurs utilisaient aussi un même exemple traduit
dans toutes les langues : « Les acheteurs de couches-culottes sont aussi les principaux consommateurs de bière.
»
9Sciences et Avenir : « Google arrête de prévoir (mal) les épidémies de grippe » (10-09-2015).
10http://lemde.fr/2p9soBP Le Monde : « Filteris, Enigma… Face aux instituts de sondage, la défaite des prévisions
“alternatives” » (24-04-2017) Nous reviendrons sur ce cas au chapitre suivant.
11Wired : « The End of Theory: The Data Deluge Makes the Scientific Method Obsolete »,
https://www.wired.com/2008/06/pb-theory/
12Spécialiste du big data, le data scientist cumule de nombreuses compétences : analyses statistiques, modélisations
spécifiques, technologies, langages et algorithmes spécialisés. Il est aussi au fait des réalités et des attentes de
l’entreprise pour mieux servir les besoins de modélisation des différents métiers. Ce sont des spécialistes très
recherchés, on s’en doute.
13Nous sommes toujours prêts à adopter un comportement rationnel, mais comme notre sphère informative et
notre connaissance ne seront jamais exhaustives, notre rationalité est limitée et, finalement, on se contente du
premier choix satisfaisant…
14« Not everything that can be counted counts and not everything that counts can be counted. » Albert Einstein.
15Dans la littérature américaine on utilise le terme de « Thick Data » pour désigner les grandeurs qualitatives en
opposition aux big data qui ne gèrent que des grandeurs quantitatives.
16Il existe toutefois des solutions simplificatrices mais suffisantes pour bâtir un indicateur de performance, nous y
reviendrons au terme de la deuxième partie.
17Après un coup d’œil rapide à votre tableau de bord pour vérifier votre vitesse et estimer votre réserve de
puissance. Là on intègre une mesure quantitative dans son raisonnement.
18C’est un sujet important, nous y reviendrons au cours d’un prochain chapitre consacré à l’étude de la pertinence
et donc de l’utilité des indicateurs de performances, et nous étudierons avec attention l’enchaînement : si l’on ne
pilote que ce que l’on mesure, et que l’on ne mesure que ce qui est facile à mesurer alors…
19Comme Christophe Dejours le signale régulièrement au fil de ses écrits et conférences, il n’existe pas de travail
d’exécution où il suffit de suivre les procédures. La réalité du terrain est tout autre : il faut faire face à de
nombreux imprévisibles.
20« Il n’y a pas de proportionnalité entre le travail et les résultats du travail, si vous prenez un travail très difficile, si
vous prenez un patient, un malade qui est particulièrement difficile à soigner, vous allez travailler beaucoup et
vos résultats seront de piètres résultats. » Christophe Dejours, L’Évaluation du travail à l’épreuve du réel, Inra,
2003.
21www.miroirsocial.com/uploads/documents/c92a901e008a.pdf. Repéré par Alain Supiot, La Gouvernance par les
nombres, Fayard, 2015.
22Op. cit. Cet ouvrage utilise pour toile de fond les fameux abattoirs de Chicago qui ont inspiré Henry Ford pour la
fabrication des voitures à la chaîne.
23« Le suffixe “manie”, du grec mania, folie désigne un état pathologique caractérisé par un comportement pulsionnel
ou un délire limité à un thème particulier. » (Le Robert)
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3.
Dominer, c’est aussi savoir manipuler l’information.
Ou comment démontrer que le verre à moitié vide est à
moitié plein et vice versa … Quelques cas typiques
Un peu d’espoir…
On peut tromper tout le monde durant un temps,
on peut tromper quelques-uns tout le temps,
mais on ne peut pas tromper tout le monde tout le temps.
Il n’est pas bien difficile de faire dire tout et son contraire aux indicateurs. Mais où s’arrête
l’information et où commence la manipulation pour un parfait enfumage ?
« Ce sont les indicateurs », me dit-elle. « Ils sont tous dans le rouge, et comme je suis la dernière arrivée… En
tout cas, c’est ce que l’on m’a expliqué lors de mon entretien express ce matin. Il n’y a pas d’autre solution
m’ont-ils confirmé. »
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Il est vrai que les indicateurs ont envahi notre quotidien. Dévoyés de leur rôle initial, ils
sont bien pratiques pour servir d’explication incontestable à un peu tout et n’importe quoi.
Ainsi, il devient coutumier dans l’entreprise, comme dans la vie publique, de justifier les
décisions prises ou à prendre par la publication d’un indicateur, à l’intitulé ronflant,
appuyant l’argumentation et coupant court à toutes objections : « Vous voyez bien que j’ai
raison d’agir ainsi, c’est l’indicateur qui le dit, il n’y a pas d’alternative. »
En fait, tout est dans l’intitulé de l’indicateur et le discours l’accompagnant. C’est un peu
l’histoire du verre à moitié vide et du verre à moitié plein. Étudions deux interprétations
trompeuses d’un même groupe d’indicateurs de performance selon l’intérêt poursuivi par
le manipulateur.
Exemples
Premier cas
« Voyez nos indicateurs, nos résultats ne sont pas au niveau de nos prévisions, et nous n’avons pas atteint les objectifs
fixés. Il faut aussi reconnaître que la concurrence est rude. Pour sauver l’entreprise, nous devons recentrer nos activités sur
notre cœur de métier… »
Second cas
« Depuis que je suis aux commandes, la barre est maintenant redressée. Voyez donc les indicateurs ! Nous venons de loin !
Mais attention, la route est encore longue, unissons nos efforts pour franchir ce cap difficile… »
Bref, c’est de la manipulation classique, un vrai tour de passe-passe. Le prestidigitateur du moment attire notre attention vers
l’objet visible, l’indicateur, afin de masquer la réalité de l’entourloupe.
L’idée étant d’éviter que notre capacité de réflexion entre en action, et de ne s’adresser qu’à notre cerveau limbique, voire
reptilien, qui lui ne réagit qu’en émotion primaire, comme la peur notamment qui entraîne la soumission.
Cet exemple est assez révélateur de la dissymétrie d’informations entre la direction, ceux
qui décident, et les salariés, ceux qui exécutent.
Un indicateur déconnecté de son contexte ne veut rien dire.
Les questions à se poser pour interpréter la valeur portée à un indicateur
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sommes des êtres humains, êtres logiques et raisonnables. Exigeons que l’on s’adresse à
notre néocortex en répondant aux questions ci-dessus.
LE PETIT ROBERT.
Une mesure, quelle qu’elle soit, s’exprime toujours en référence à une unité. Bien
évidemment, dans l’entreprise, on pourra se référer à des unités qui ne sont pas
nécessairement définies par le système international. Le choix de l’unité est directement lié
à l’objectif poursuivi.
Exemple
Si l’on cherche à gagner quelques minutes sur un processus, c’est bien en mesurant des temps que l’on y parviendra. En
revanche, si l’on vise à améliorer la conformité des livraisons, ce ne sera pas en comptant des quantités produites ou en
évaluant des variations de coûts unitaires que l’on atteindra le but fixé. Il faudra trouver une autre unité.
Si A obtient de meilleurs résultats que B, on ne pourra que constater que A est plus performant que B, et l’on déduira
abusivement que A est donc meilleur que B. Le jugement de valeur est immédiatement formulé en conséquence de ce constat.
Les limites de la mesure sur la définition du travail réel que nous avons évoquées au
chapitre précédent sont déjà plongées bien au fond des oubliettes de la raison. On oublie
les difficultés rencontrées qui justifient un résultat plus modeste. Seule la mesure affichée
compte. Comme le chronomètre pour un coureur de vitesse, le chiffre est devenu loi. Il ne
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s’agit plus d’une mesure de progrès mais bien d’une évaluation, c’est-à-dire l’action
d’exprimer par un nombre la valeur de quelque chose ou de quelqu’un.
Et aujourd’hui ?
C’est là le fondement de la course à la performance que nous vivons d’une manière outrancière depuis déjà plusieurs décennies.
La compétition est désormais la principale composante du management tel qu’il est pratiqué au sein de l’entreprise et de
toutes les organisations publiques actuelles.
Sans pour autant les approuver, on peut comprendre aisément les raisons qui poussent les
moins scrupuleux à manipuler un tant soit peu les résultats afin de mieux servir leurs
intérêts.
CONSEIL
Ne jamais perdre de vue que même au sein de la meilleure ambiance d’entreprise, chacun poursuit ses propres intérêts 3.
Une manipulation n’est pas toujours volontaire. Bien des contresens ne sont que la
conséquence d’erreurs involontaires autant lors de la sélection des données que du mode
de calcul ou du choix de présentation.
C’est dit !
Comme partout ailleurs, la bêtise chronique sévit en entreprise, mais on préfère utiliser l’euphémisme d’incompétence pour la
désigner.
L’incompétence étant un sujet bien trop vaste, nous limiterons cette courte étude aux seuls
vrais manipulateurs qui savent très bien ce qu’ils font, et pourquoi ils agissent ainsi.
Procédons dès à présent à un inventaire des techniques de manipulation. Bien qu’il ne
puisse être exhaustif, l’ingéniosité des manipulateurs étant sans limites, cet inventaire est
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bien suffisant pour comprendre et prévenir les chausse-trappes qui guettent les plus
candides d’entre nous.
Les indicateurs alibis
Ma décision était juste !
Ce sont les événements qui ne se sont pas déroulés comme prévu !4
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Il suffit bien souvent d’omettre d’inclure dans le calcul d’un indicateur les composantes qui
fâchent, autrement dit de ne sélectionner, sans le dire évidemment, que les éléments qui
tendent à afficher un joli score. On oublie par exemple d’inclure dans l’indicateur évaluant
l’occupation d’un atelier, une unité de production régulièrement en panne que l’on se
refuse à changer pour ne pas pénaliser… un autre indicateur de mesure de coût de
production !
Les indicateurs « écrans »
Une technique plus malicieuse est d’user d’un indicateur « écran ». On multiplie le nombre
d’indicateurs, et l’on ne met en évidence que ceux qui affichent une belle progression.
C’est une technique réservée aux as de la rhétorique qui sauront captiver leur public pour
qu’il ne tente pas de découvrir les indicateurs que l’on conserve en retrait. On met ainsi en
avant avec force emphase les ventes des magasins qui ont affiché les meilleurs résultats sur
le trimestre, et on oublie les moins performants.
Les chiffres officiels du chômage
La catégorie A ne comporte que les demandeurs d’emploi n’ayant pas du tout travaillé le mois précédent. La
catégorie B inclut les demandeurs d’emploi ayant travaillé moins de 78 heures. Et ainsi de suite pour
parvenir à un classement en cinq catégories distinctes. Il est bien évident que les individus classés ainsi sont
tous demandeurs d’un emploi stable et durable. Le chômeur qui n’a travaillé que quelques heures dans le
mois ne vit pas de son salaire. Pourtant, classé dans la catégorie B, il sort du taux de chômage calculé par
Pôle emploi, celui qui est généralement présenté aux médias. En effet, celui-ci ne mesure que la catégorie
A6.
On peut aussi tromper son auditoire en comparant des catégories différentes. C’est ce que fit François
Hollande en mai 2016 quand il annonçait une hausse de six cent mille chômeurs sous son mandat
comparativement au million de chômeurs en plus sous celui de son prédécesseur. Sauf, que le nombre de «
six cent mille » concernait l’augmentation uniquement de la catégorie A, tandis que celui d’un « million »
incluait les trois catégories A, B et C cumulées7.
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Une entreprise qui souhaite montrer auprès de ses clients et de ses concurrents son dynamisme et son carnet de
commandes bien rempli affichera ostensiblement son besoin de recrutement en publiant le nombre de postes
vacants et d’offres d’emploi proposées. Elle prendra soin d’oublier d’indiquer le nombre de démissions, de
ruptures conventionnelles, de licenciements bruts et de départs à la retraite. Les entreprises à fort turnover
telles que les sociétés de services informatiques utilisent ce subterfuge.
Un directeur commercial peut présenter fièrement un indicateur affichant les ventes records d’un nouveau
produit sans pour autant préciser que ledit nouveau produit remplace une gamme plus ancienne dont les ventes
étaient déjà au même niveau.
Une ministre de l’Éducation nationale peut annoncer la création de 500 nouvelles formations professionnelles
sans préciser le nombre de sections plus anciennes fermées pour l’occasion9.
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Le calcul de la moyenne est fort simple. Il suffit de cumuler l’ensemble des valeurs, puis de
diviser cette somme par le nombre de valeurs, et l’on obtient la moyenne arithmétique. Ce
ratio est en fait assez peu expressif. Il élimine toutes les disparités de la distribution.
Exemples
Imaginez un bar de quartier fréquenté par des salariés des entreprises environnantes à l’heure du café, et Bill
Gates entre dans ce même bar. Par le calcul de la moyenne, toutes les personnes présentes sont devenues
milliardaires !11
Lorsqu’on annonce le salaire moyen net mensuel des Français, 2 225 euros en 2017 12, et que l’on se flatte de sa
progression d’une année sur l’autre, on ne procède guère différemment. Ce chiffre n’apporte aucune
information. Il masque la distribution particulièrement étendue des salaires.
Une entreprise augmente ses tarifs de 2,5 % par an depuis dix ans, sauf cette année où les prix de vente ont fait
un bond de 18 %. Il est évidemment préférable de présenter la moyenne des augmentations sur dix ans, soit 4,05
% pour faire passer la pilule.
Pour bien des situations, le calcul de la médiane est bien plus porteur d’information. La
médiane marque le juste milieu de la distribution. Cinquante pour cent des valeurs sont
inférieures à la médiane et 50 % des valeurs sont supérieures. Le salaire médian français
en 2017 est de 1 770 euros. Donc 50 % des salariés gagnent moins que cette somme et 50
% gagnent plus. On comprend aisément que si l’on veut modérer un tant soit peu le
sentiment d’inégalité, il est préférable d’annoncer publiquement le salaire moyen.
La valeur modale est aussi intéressante pour mieux saisir le déséquilibre d’une
distribution. Pour mémoire la valeur modale pointe sur la valeur la plus fréquente d’une
distribution.
En exemple, la table des salaires d’une entreprise fictive :
Employés 23 145 65 34 21
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Employés 23 25 24 19 18
La moyenne des salaires proposés dans cette entreprise est de 3 021 euros.
Pourtant, on constate à la lecture de ce tableau que 2 000 euros sont le salaire le plus
couramment versé.
Vous gérez une boutique en ligne et une entreprise marketing vous propose un outil miracle, fruit de longues
recherches, qui augmentera sans coup férir le taux de clics d’un produit précis de… 100 % ! Incroyable ! Bon, si le
taux de clics n’était que de 0,1 %, on risque de beaucoup dépenser pour le voir seulement passer à… 0,2 % ! 13
En 2015, la plupart des grands organes de presse publiaient un article particulièrement anxiogène ainsi titré : «
La consommation de viande rouge ou de viande transformée (charcuterie) augmente le risque de cancer !! 14
»
Le lecteur inquiet cherche rapidement des éléments chiffrés. De combien le risque est-il donc augmenté, quel est le taux ? Et là,
le couperet tombe : 18 % d’augmentation du risque de cancer colorectal ! Ces articles sont sourcés. Il s’agit des résultats d’une
enquête officielle conduite par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) 15. Comme la plupart des articles
n’approfondissent pas plus avant l’analyse des chiffres, ces résultats sont particulièrement angoissants. En fait, cet
accroissement du risque ne concerne que les gros mangeurs de viande. Soit 25 % de la population tout de même. Ensuite le taux
de 18 % ainsi présenté ne signifie pas grand-chose. On parle d’un accroissement du risque pour une population donnée. Encore
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faut-il connaître le taux de risque de cancer auquel est soumise la population concernée. Ainsi, si cas d’école, pour une
population adulte donnée le risque est de 0,002 %, les gros consommateurs de viande rouge ou de charcuterie, soit 25 % de la
population, sont, eux, soumis au même risque augmenté de 18 % soit : 0,00236 %. Nous sommes loin de la panique et on peut
continuer à déguster les plaisirs de la table16.
Les valeurs exprimées en pourcentage sont également commodes pour éviter de citer des
chiffres trop significatifs.
Exemple
Il vaut mieux parler d’un taux de pauvreté de 14,3 % plutôt que d’annoncer le nombre de 9 millions de personnes contraintes de
vivre avec moins de 1 000 euros par mois.
Compte rendu commercial de fin de mois : « Ce mois-ci, j’ai doublé mes ventes ! » Bravo ! Enfin, si le mois
précédent vous n’avez réalisé qu’une seule vente, ce mois-ci vous en avez donc réalisé deux. Si ce sont des usines
clés en main, on peut féliciter le commercial. En revanche s’il s’agit de stylos-billes…
En décembre 2015, l’Agence France-Presse (AFP) transmet l’information suivante : « Dans le cadre de la
solidarité européenne, le grand-duché du Luxembourg a décidé de doubler son effectif militaire au Mali. Ils
dépêcheront donc un second militaire.17 »
Il est vrai que les nombres trop ronds ont quelque chose d’irréel pour le sens commun. Un
commercial qui annonce que ce mois-ci il a concrétisé les ventes de 1 000 produits risque
de croiser quelques regards sceptiques. Mille ? Ce n’est pas possible. Ne serait-ce pas plutôt
987 par hasard ou quelque chose comme cela ? Pourtant d’un point de vue arithmétique
rien ne différencie ces deux nombres. Ils ont la même probabilité de correspondre au
nombre de ventes du mois réalisées par ce vendeur. Mais voilà, un chiffre bien rond ça ne
semble pas assez réel, c’est trop vague. Un chiffre trop rond ressemble plus à un chiffre
volontairement arrondi pour améliorer l’effet sur son public. Il est donc tout à fait judicieux
pour le manipulateur de profiter à son avantage de cette idée reçue. Plutôt que de faciliter
la compréhension d’une mesure en arrondissant le nombre, il va au contraire ajouter les
caractéristiques de la précision : des décimales.
Jusqu’à maintenant, on accusait les instituts de sondage de pécher par excès de précision
en proposant un classement ordonné des résultats, sans tenir compte de la marge d’erreur
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théorique qui est tout de même d’environ 3 points en moyenne. Si le premier du classement
bénéficie d’un score de 22 % et le second de 21 %, on peut aisément les inverser sans pour
autant fausser le résultat du sondage18.
Exemple : le plantage retentissant des analyses big data pour les présidentielles
Peu avant le premier tour des élections présidentielles françaises de 2017, quelques instituts ont même poussé le vice dans ses
limites en proposant des estimations à un demi-point près. Depuis, les frontières de l’honnêteté intellectuelle ont été
pulvérisées par quelques sociétés exploitant le big data. S’appuyant sur l’intelligence artificielle et une parfaite connaissance
des réseaux sociaux (dixit), ces sociétés high-tech prétendaient narguer les instituts de sondage plus classiques. Elles affichaient
la modeste ambition de mettre purement et simplement un terme aux techniques sondagières jugées imprécises et donc
obsolètes. Crânement, elles publient juste avant le premier tour de l’élection des estimations fermes et validées avec une
précision défiant toute concurrence. Pas moins de 2 chiffres après la virgule ! Sans vergogne et sûres d’elles, elles annoncent les
résultats suivants le 21 avril, soit deux jours avant le premier tour du scrutin : 1 er François Fillon : 22,09 %. Les autres candidats
suivent avec des scores tout aussi précis : 21,75 %, 21,11 % et 19,92 % pour Emmanuel Macron qui ferme la marche du quatuor de
tête. Les résultats sont publiés sans préciser pour autant la marge d’erreur. Relayés par une presse fascinée par les big data19, on
pouvait alors se poser la question de l’utilité de procéder au scrutin puisque l’on disposait déjà de résultats fermes et précis !
Comique de l’histoire, comme chacun le sait désormais, les prévisions de ces nouveaux oracles se sont toutes révélées
totalement fausses tandis que les instituts de sondage avaient plutôt bien anticipé les résultats. Ces sociétés à la pointe des
analyses big data venaient de confirmer malgré elles l’aphorisme d’Alfred Sauvy cité en exergue de ce paragraphe.
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Bien des sondés affichent systématiquement leur opinion, même s’ils n’ont qu’une idée assez vague de la question. Ils
réagissent sans analyse en se fiant à leur propre système de valeurs Lors de la campagne électorale américaine de 2016, la
question suivante était glissée dans un sondage destiné à un panel de Républicains : « Soutiendrez-vous un bombardement
de la ville d’Agrabah ? » 57 % des personnes sondées ont fait part de leur indécision, 30 % étaient prêtes à soutenir le
bombardement, et seulement 13 % y étaient opposées. En conclusion, un tiers des personnes sondées étaient ainsi tout à
fait d’accord pour détruire la ville d’Aladdin du célèbre dessin animé des studios Disney 20!
Les questions à choix multiples sont particulièrement adéquates lorsqu’il s’agit d’orienter
un tant soit peu les réponses. Il suffit d’éviter de proposer comme choix possible la ou les
réponses qui gênent. Une vague question ouverte pour achever le questionnaire est
suffisante pour servir d’exutoire à tous ceux qui n’apprécient pas le principe des questions
fermées et bien verrouillées. La case « ne se prononce pas » est aussi assez pratique. Il suffit
d’oublier d’intégrer ce cas lors de la publication des résultats.
Exemple
Oui 40 %
Non 25 %
Ne se prononce pas 35 %
Si l’on espère une réponse positive franche et massive, autant omettre de citer tous ceux qui ne se sont pas prononcés. Il est
ainsi assez courant de rétablir par une simple règle de trois les proportions en ne considérant que les deux premiers cas. Le « oui
», 61,5 % des votes exprimés, est alors très nettement majoritaire, ni vu ni connu21. C’est d’ailleurs le principe retenu pour traiter
les bulletins blancs lors des consultations électorales22.
Cas pratique
Un sondage proposé par l’institut Odoxa (26-27 mai 2016) révèle que 67 % des Français ont une mauvaise opinion du
secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez. La presse relaie l’information en citant parfois même 7 Français sur 10. Or,
ce n’est pas tout à fait cela que révèlent les chiffres de ce sondage. Les 67 % représentent uniquement le pourcentage d’avis
négatif des personnes qui se sont exprimées. 32 % des Français sondés ont précisé ne pas le connaître suffisamment pour
formuler une opinion. Si l’on intègre cette catégorie, les Français qui ont une mauvaise opinion de Philippe Martinez ne sont
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21Pierre Bourdieu avait présenté une étude des sondages dans le cadre de ses travaux sur l’opinion publique dont
s’inspire ce court paragraphe adapté au monde de l’entreprise : http://www.acrimed.org/L-opinion-publique-
n-existe-pas
22Entendu sur une chaîne d’info (mai 2017) : « Au premier tour de l’élection présidentielle, 24,1 % des Français ont
choisi Emmanuel Macron ». En fait, il ne s’agit que des suffrages exprimés (ni blancs, ni nuls, ni abstentions), soit
75,8 % des inscrits qui ne représentent d’ailleurs que 88,6 % des Français en âge de voter (Insee 02/2017).
Donc 24,1 % de 75,8 % de 88,6 %. En fait, ce sont en réalité 16,1 % des Français qui ont exprimé clairement ce
choix au premier tour de l’élection présidentielle 2017. Cet abus des chiffres et de leur interprétation est
systématique à chaque élection.
23« 67 % des Francais ont une mauvaise opinion de Philippe Martinez, vraiment ? » http://www.la-bas.org (03-06-
2016).
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4.
C’est si facile de leurrer son auditoire avec les
présentations graphiques !
Un bon schéma vaut mieux qu’un long discours dit-on, cela tombe bien
je n’ai pas du tout envie d’expliquer à quoi correspondent ces chiffres…
L’art de la manipulation est à son zénith avec les présentations graphiques. Il existe tant de
manières de tromper son auditoire en exploitant les possibilités graphiques qu’il serait
dommage de se gêner. D’ailleurs les manipulateurs professionnels ne s’en privent pas.
Figure 7 : Un exemple de graphique manipulé pour laisser croire à une progression continue
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Figure 8 : Un exemple de discordance entre la taille des barres et les valeurs représentées
Un petit 2 % seulement sépare les deux candidats. Pourtant la différence de taille entre les deux barres laisse supposer un
écart bien plus important. Le procédé est particulièrement efficace. Tout naturellement le lecteur du graphique se focalise
sur la différence de longueur des barres et ne prend pas en compte la faible différence entre les deux scores. L’échelle n’est
d’ailleurs pas affichée2.
Imaginons un service commercial qui a sensiblement augmenté ses ventes d’un trimestre à l’autre, et qui cherche à faire bonne
impression auprès de sa direction. il affiche donc le graphe suivant sur son tableau de bord :
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En réalité l’accroissement des ventes est relativement modeste. Mais en choisissant une échelle ne débutant pas à 0, un effet de
loupe amplifie la différence.
Figure 10 : la différence entre les chiffres est minime malgré le message porté par les deux barres
Avec une échelle démarrant à 0, l’augmentation des ventes est très nettement moins impressionnante.
Figure 11 : Avec une échelle commençant à zéro, les proportions sont rétablies
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Plus vicieux, mais moins courant toutefois, on utilise une échelle logarithmique. Plus les
nombres sont importants et plus ils sont comprimés. La perception de la réalité est donc
totalement faussée.
Exemple
Un responsable d’atelier, ne souhaite pas que l’augmentation drastique du nombre de défauts enregistrés au cours de la
fabrication soit mise en évidence. Il utilise donc une échelle logarithmique de ce type :
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Les graphiques illustrés, et par extension les infographies, sont un excellent instrument
pour transmettre un message sans pour autant encombrer le lecteur de détails inutiles.
C’est aussi l’outil parfait pour fausser la perception de l’information chiffrée et tromper
ainsi son auditoire. Il suffit de ne pas respecter les volumes des représentations
graphiques.
Exemple
Imaginons un chef des ventes régional d’un réseau de succursales automobiles qui aimerait bien que son action à ce poste ne
passe pas inaperçue auprès de la direction générale lors de la présentation annuelle. Il propose donc les images suivantes pour
bien visualiser l’augmentation significative des ventes d’une année sur l’autre.
Figure 14 : la taille des véhicules n’est pas proportionnelle aux chiffres annoncés
Mais ce graphique est totalement faux. La surface des images matérialisant les ventes de 2016 et de 2017 est fortement
exagérée. En réalité, si l’on respecte les chiffres annoncés, la représentation fidèle ressemble plutôt à ceci :
Figure 15 : La surface des représentations de véhicules est maintenant proportionnelle aux nombres affichés
Comparez l’incomparable
Comparaison n’est pas raison, dit-on…
Le manipulateur peut aussi focaliser l’attention sur un détail de la courbe qu’il a pris soin
d’extraire d’une présentation plus globale.
Cas pratiques
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Pourtant, lorsque l’on observe la courbe dans la durée, on constate que la croissance espagnole, ainsi mise en exergue,
n’est qu’un moindre mal après la chute vertigineuse des années précédentes. En revanche, l’emploi en France s’est
nettement mieux comporté durant la même période4. « Pour éclaircir une situation, ajoutez des données. » conseille Edward
Tufte5. Pour l’obscurcir et tromper son auditoire, il suffit donc de faire l’inverse. Réduire le nombre de données à visualiser
est en effet l’un des meilleurs stratagèmes pour leurrer son public.
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s’agissait que d’un produit en fin de vie. Les prises de marché tant vantées étaient tout simplement le résultat d’un retard
de la concurrence dans le lancement du nouveau produit de remplacement. Ça n’allait pas durer…
Les moyennes mobiles sont un outil intéressant pour suivre les tendances à condition qu’il ne masque pas la réalité de la
courbe. Il est notamment utilisé en analyse boursière pour éliminer les fluctuations les moins significatives du cours d’une
action.
Figure 18 : Un exemple de graphiques du type « moyennes mobiles ». Est-ce réellement le plus adapté pour
présenter les chiffres du chômage ?
Le graphique est juste, mais il présente une image trompeuse du taux de chômage 6. En effet, le chiffre du chômage est en
hausse de 2,5 % pour l’année 2015. Le lecteur du schéma, non initié aux outils statistiques, voit pourtant une baisse. Dans ce
cas précis, cet outil est vraisemblablement utilisé pour donner l’impression d’une tendance à la baisse bien que la courbe
soit en hausse quasi continue.
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Figure 19 : Les mêmes chiffres du chômage présentés sur une courbe linéaire
Il importe que l’auditoire soit focalisé sur la tendance baissière et ne cherche pas à visualiser une représentation linéaire
telle que ci-dessus…
Le procédé fonctionne nettement mieux si le manipulateur prend soin d’enfumer un peu son public à l’aide d’un bla-bla
adapté riche en termes positifs : « stabilisation, progression, amélioration, reprise, favorable, croissance etc. ». C’est
exactement le procédé exploité par le ministère du Travail dans ce cas précis7 !
Bien entendu, en utilisant à contre-emploi les outils statistiques, il devient aussi aisé de
masquer une hausse indésirable (nombre de défauts de fabrication, hausse de dépenses…)
qu’une baisse malvenue (chute des ventes, perte d’un contrat…). L’outil marche dans les
deux sens.
Seul le sens de la flèche importe
Pour justifier un résultat décevant, à la baisse comme à la hausse, on peut toujours tenter
de se lancer dans de grandes explications, évoquer la complexité des marchés, invoquer la
conjoncture, en vain. Quel que soit votre auditoire, ce qu’il retient, ce ne sont pas les
chiffres mais bien la tendance de la courbe, le sens de la flèche. C’est bien pour cela que les
plus malins n’hésitent pas à se lancer dans des manipulations pour le moins acrobatiques.
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Comme nous l’avons vu à propos du big data, l’adage : « Corrélation n’est pas causalité »
semble passer au second plan. Pour les plus fervents adeptes du big data et de l’intelligence
artificielle, il suffit de profiter du résultat sans se poser plus de questions. L’analyse révèle
une corrélation, l’on profite de cet enseignement sans chercher plus avant. « Ils » vous
expliqueront qu’il s’agit de tendances bien utiles pour anticiper les événements. Quant à la
causalité, en creusant un peu, on finira bien par la trouver mais ce n’est pas le plus utile.
Attention toutefois, les corrélations sont trompeuses. Face à deux événements
concomitants, on perd un peu notre rationalité, persuadé au fond de nous qu’ils sont
quelque part liés.
Exemple
Vous pensez à votre ami Laurent, le téléphone sonne… C’est Laurent ! Incroyable ! Transmission de pensée, télépathie
involontaire, le destin ? Ou plus prosaïquement des probabilités mal comprises ? Les deux événements ont chacun leur propre
causalité, ils sont totalement indépendants l’un de l’autre. C’est le pur hasard qui les a fait se rencontrer. Mais les coïncidences
sont toujours troublantes et le pur hasard est bien la dernière explication que l’on considérera.
Pour le manipulateur averti, il est alors aisé de faire passer des corrélations pour de pures
causalités. Un outil de choix pour justifier ses décisions.
Il existe tout même quelques règles, théoriquement on ne peut pas tout faire dire à propos
des corrélations.
Le calcul de l’indice de Pearson8 permet de juger de la vraisemblance de la corrélation. Si ce
coefficient est proche de la valeur « 1 », les deux phénomènes sont dits « fortement corrélés
».
Google propose un outil, « Trends/Correlate » pour explorer son big data et rechercher les
corrélations. C’est ce dernier outil que nous allons utiliser ici :
https://www.google.com/trends/correlate
Exemples
Commençons par une première corrélation, assez évidente, d’ailleurs l’indice est très proche de la valeur maximale 1.
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Poursuivons avec deux corrélations assez logiques qui confirment d’ailleurs les deux premiers chapitres de cette étude. L’indice
de corrélation est là aussi quasi au maximum.
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Il est tout à fait possible de trouver un lien de causalité entre ces deux recherches.
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Ou encore celle-là totalement surréaliste ? Pourtant l’indice de corrélation est suffisamment élevé pour que l’on soit tenté de
faire confiance à ce résultat.
Puisqu’il existe ce type de corrélations sans queue ni tête, on peut imaginer qu’un
manipulateur saura trouver les données pour expliquer un peu tout et n’importe quoi dans
la mesure où la démonstration sert ses intérêts. Avec un échantillon de données assez
réduit, on trouve assez aisément une corrélation qui, à défaut d’être digne d’intérêt, cause
toujours son petit effet9.
Abusez de l’hystérésis
L’hystérésis est un principe bien connu des sciences physiques. On appelle « hystérésis », le
retard entre l’effet et la cause d’un phénomène. L’hystérésis s’applique aussi aux sciences
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Une entreprise d’équipements industriels recrute un nouveau responsable de l’organisation. Ce dernier, issu du
monde de la grande distribution, est un grand « fan » des méthodes de Jack Welch, et plus particulièrement du
« destaffing », une technique bien connue qui consiste à éliminer toutes les personnes qui ne sont pas jugées «
nécessaires »10. Ce n’est pas pour rien que durant les années 1980, Jack Welch était surnommé « Neutron Jack »
en référence à la bombe à neutrons qui élimine tous les humains sans toucher aux constructions. Bref, notre
nouveau responsable décide de réduire drastiquement le personnel de la plupart des services, notamment de
l’administratif, des études et du commercial. Cette entreprise travaille sur des contrats assez conséquents et les
commandes sont enregistrées plusieurs mois à l’avance. Les projets d’innovation sont à longue échéance et, de
surcroît, le carnet de commandes est bien rempli. Durant plusieurs mois, cet adepte des méthodes radicales
peut pavoiser en affichant des résultats records : une activité équivalente et des frais drastiquement réduits. Ce
n’est que l’hystérésis. L’entreprise est sur sa lancée. Les effets négatifs de ses décisions draconiennes ne sont
pas encore perceptibles11.
Hystérésis numéro 1 : les dépenses chutent sérieusement après la première action de réduction des frais, tandis
que l’activité continue durant un temps sur sa lancée dans la même dynamique.
Hystérésis numéro 2 : seconde action, prise de conscience, l’on tente de retrouver un niveau de dépenses
compatibles, mais là, l’activité poursuit sa chute et mettra un temps plus ou moins conséquent avant que l’on
puisse espérer la voir revenir, au mieux, aux niveaux antérieurs.
Une banque privée avait décidé de supprimer la majorité des services au client qu’elle jugeait peu rentables, tels
que les coffres privés. La rentabilité fut nettement améliorée et elle ne constata que peu de défections des
clients. En effet, il n’est pas facile de quitter une banque du jour au lendemain. Il faut prendre son temps. Mais
dans la durée, nombre de clients avec de multiples comptes bien approvisionnés ont préféré passer à la
concurrence.
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Un responsable commercial pourra se vanter auprès de sa direction du chiffre d’affaires réalisé auprès de ses
clients fidèles, le stock, tout en évitant d’aborder la question du piètre taux du nombre de prospects
transformés en clients sur la même période, le flux.
Un chef d’entreprise pourra se féliciter de la rentabilité de ses produits phares, véritables « vaches à lait », le
stock, sans pour autant aborder la question de la pauvreté du portefeuille de nouveaux produits en cours de
développement, le flux.
Cas pratique
En France, en matière d’emploi, le contrat à durée indéterminée (CDI) est « la forme normale et générale de la relation de
travail » pour reprendre l’assertion du gouvernement.
Si l’on raisonne en logique « stock », un ministère du Travail et de l’Emploi peut s’enorgueillir du nombre de
CDI. En effet 85 % des salariés sont liés à leur employeur par un contrat de ce type.
Si, en revanche, on raisonne en termes de « flux », 86 % des nouvelles embauches sont réalisées sous contrat
à durée déterminée (CDD) dont 70 % sont des contrats d’une durée inférieure à un mois12. Le bilan est alors
moins glorieux et laisse présager un avenir un peu plus sombre.
Pour justifier le bien-fondé d’une mesure de réduction drastique mais temporaire des cotisations sociales, un
gouvernement se targuera d ’un accroissement significatif du nombre d’embauches de salariés d’une certaine
catégorie socio-économique. Il prendra soin d’éviter d’aborder la question de l’estimation du nombre de chefs
d’entreprise qui auront judicieusement choisi de précipiter une embauche déjà planifiée afin de bénéficier de la
réduction, de l’effet d’aubaine. Au cours de la période suivante, bien évidemment, ces embauches déjà
effectives ne seront pas comptabilisées.
Un chef des ventes pourra mettre en avant les bienfaits sur le chiffre d’affaires mensuel d’une remise
commerciale temporaire, tout en prenant soin d’éviter de décompter les clients réguliers qui ont
opportunément augmenté le volume d’achats sur la même période pour bénéficier de la remise. C’est aussi
l’effet d’aubaine. Les produits achetés à l’avance sont déjà stockés chez le client, le chiffre d’affaires de la
prochaine période sera vraisemblablement inférieur à celui réalisé habituellement.
Après avoir utilisé au cours du premier chapitre un premier néologisme « chiffromanie » ou
le suffixe « manie » rappelle le côté obsessionnel de cette fascination pour les chiffres, nous
aborderons le prochain chapitre sous l’influence d’un second néologisme « perfomanie », un
chapitre que nous aurions aussi pu baptiser « Lorsque la course à la performance fait
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perdre la raison ». Nous en profiterons pour recentrer le débat sur la question des
indicateurs de performance.
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5.
La majorité des indicateurs de performance sont faux,
cela dit, quelques-uns sont utiles1… Explication
Il n’y a rien de plus inutile que de faire avec efficacité quelque chose
qui ne doit pas du tout être fait.
Depuis déjà bien des années, la généralisation des normes qualité ISO au sein des
entreprises s’est traduite par une profusion d’indicateurs de performance. Les normes ISO
recommandent avec raison une mise sous contrôle systématique des processus clés de
l’entreprise. Mais dans un mouvement de cause à effet, les indicateurs de performance se
sont alors multipliés comme des petits pains. Il semble que nous soyons passés d’une
logique : « Je poursuis un objectif de performance et je choisis soigneusement un indicateur
pour baliser le chemin » à la logique plus discutable : « Je place des indicateurs dits de
performance pour être en conformité avec la norme et je m’imagine ainsi ou, en tout cas, je
donne l’impression que tout est sous contrôle. »
Les entreprises qui ont privilégié la conformité aux normes qualité ISO, aux dépens des
démarches stratégiques plus originales exploitant la nature même de l’organisation, sont
les principales victimes de cette dérive.
Vite, des indicateurs, voilà l’auditeur...
Lors d’une mission de conseil, l’équipe dirigeante me fait part des difficultés qu’elle rencontre depuis quelques mois. La
concurrence exacerbée du secteur est la principale préoccupation du moment, et l’entreprise a donc lancé plusieurs
mesures en direction de ses clients, notamment l’éradication des erreurs de livraison, un mal récurrent dans l’entreprise. Au
fil de l’échange, on en vient naturellement à la question du choix des indicateurs de performance et donc des tableaux de
bord. Justement, la première tranche d’un projet d’envergure est quasi achevée. Après un rapide audit, il faut bien
constater qu’aucun des tableaux de bord réalisés n’affiche le moindre indicateur lié à la stratégie engagée. Les indicateurs
de durée de production, de quantités produites, de taux de rebut ou de coûts unitaires, foisonnent mais quasiment aucun
retour sur la fiabilité des livraisons et le suivi des sous-traitants, principales voies d’amélioration au sens de la direction de
l’entreprise. Les tableaux de bord conçus et réalisés sous la direction du responsable qualité, par ailleurs rattaché à la
production, ne semblent refléter que les préoccupations de ce dernier. Un indicateur de satisfaction client est tout de
même présenté sur le tableau de bord destiné au contrôleur de gestion, mais comme celui-ci n’a aucune idée de son mode
de calcul, il me confie qu’il n’en tient pas compte. Sage décision. Lorsque l’on ne connaît pas le contenu d’un indicateur
autant éviter de l’utiliser. En conclusion, aucun indicateur digne de ce nom ne peut aider les décideurs de l’entreprise à
accomplir leurs plans. Lorsque l’on cherche à améliorer la conformité des commandes clients, souhait maintes fois répété
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en comité de direction, ce n’est pas en s’assurant que machines et personnel sont occupés à temps plein. C’est pourtant ce
que mesurent en priorité les tableaux de bord présentés.
Commentaire
Si une hirondelle ne fait pas le printemps, l’indicateur ne fait pas le pilotage. L’indicateur, c’est l’instrument de navigation. Si
vous ne savez pas où vous souhaitez aller, l’indicateur ne sert à rien. Si vous n’avez pas la volonté d’atteindre le but fixé,
l’indicateur n’est guère plus utile. Il faut commencer par définir avec précision des objectifs réalistes. C’est-à-dire en parfait
accord avec la stratégie poursuivie et les actions que l’on peut réellement engager à ce niveau d’intervention. Ensuite, on
peut choisir et fabriquer les indicateurs. En suivant ce déroulement, on est sûr de définir de vrais indicateurs. Cela dit, si
comme dans ce cas précis, le chef du projet tableau de bord est tenu à l’écart de l’élaboration des plans stratégiques, il ne
peut deviner les ambitions de sa direction. Il n’est pas responsable de l’excès de discrétion de sa hiérarchie.
Cette brève définition sous-entend bien qu’un indicateur est spécifique à un besoin
d’amélioration bien précis. Si l’on mesure un aspect de la performance, critique de surcroît,
c’est bien pour l’améliorer. C’est là l’objectif de performance du manager ou de l’équipe
chargée de suivre cet indicateur. Si l’on replace la problématique dans l’ordre, avant de
préciser un indicateur, encore faut-il bien cerner l’objectif visé et donc le type de
performance que l’on cherche à maximiser. L’indicateur de performance remplit ensuite
son office, canalise et oriente les actions dans le sens de l’objectif. C’est un instrument de
mesure qui intègre plusieurs types d’informations toutes essentielles pour le pilotage : il
indique le sens de l’effort, il mesure le progrès réalisé, ainsi que le chemin restant à
accomplir. On peut alors en déduire la valeur de l’allure suivie et juger de sa pertinence.
L’indicateur de performance est une aide à la prise de décision
Un indicateur de performance ne laisse jamais le décideur indifférent.
Lorsque le décideur n’agit pas, c’est en toute conscience.
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Les indicateurs bien choisis sont les instruments de mesure du progrès mais quand ils sont
mal choisis, c’est un peu le grand n’importe quoi qui pervertit la mesure de la performance
et son rôle de soutien stratégique. Passons en revue les dérives les plus courantes afin de
mieux les prévenir. Au cours de cet inventaire de « ce que l’on ne devrait pas faire », on
abordera autant la question des indicateurs que celle des objectifs. Elles sont étroitement
liées et toutes deux particulièrement sensibles aux funestes dérives si l’on n’y prend garde.
Plusieurs de ces dérives ne sont pas uniquement des erreurs de conception, mais bien des
actes volontaires visant des desseins inavouables et généralement inavoués mais que l’on
devine assez aisément. Quoi qu’il en soit, tout cela ne simplifie pas la tâche du concepteur
de système de performance.
Les indicateurs de performance « orphelins »
Pour bien des concepteurs amateurs, le lien avec l’objectif de performance poursuivi n’est
pas une évidence. Ils pensent qu’il suffit de construire un bel indicateur pour placer sous «
contrôle » une activité ou un processus sans chercher plus avant.
Indicateurs « qualité »
On retrouve cette dérive dans la lignée des démarches qualité comme le rappelle le
témoignage ci-dessus. Des indicateurs sont placés un peu à la va-comme-je-te-pousse,
supposément pour améliorer un processus dans une optique qualité normalisée4, sans pour
autant toujours évaluer la criticité dudit processus vis-à-vis de la stratégie poursuivie. Pour
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bon nombre de responsables qualité peu ou pas formés, les indicateurs de performance ne
sont utiles que pour remplir les cases correspondantes des fiches de description des
processus5.
Nota : le paragraphe contenu entre les deux mots « spoiler » révèle le dénouement d’une scène du film.
« SPOILER ON »
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L’équipe d’inspecteurs « planquait » depuis déjà pas mal de jours pour arrêter un gros fournisseur et démanteler ainsi un
réseau de trafic de stupéfiants. Ils avaient pris en filature un petit dealer en quête de ravitaillement et attendaient que la
transaction se réalise. Mais le chef de groupe, joué par Jean-Paul Comart, ne poursuit qu’un seul but : être bien noté par ses
supérieurs. Il n’hésite pas à interrompre la planque et à la surprise de l’équipe, il procède à l’arrestation du petit dealer
saccageant ainsi un long travail de repérage et anéantissant les ambitions de détruire le réseau en totalité. Son argument
est simple : que ce soit un petit ou un gros dealer, de toute façon, c’est une barre en plus sur mon rapport mensuel.
On comprend alors que les équipes sont notées selon le nombre d’arrestations réalisées sans tenir compte de l’importance
du délit. On peut pourtant deviner que l’objectif initial poursuivi n’est autre que de freiner l’expansion du trafic de
stupéfiants. Mais le système de mesure inadaptée conduit à ce type de comportement totalement contre-productif.
« SPOILER OFF »
Un tel comportement existe aussi dans l’entreprise. Un manager peut être ainsi convaincu
de devoir boucler un dossier sans aucun intérêt ou d’achever un projet devenu inutile
uniquement pour servir son indicateur de dossiers ou de projets achevés.
La citation qui interpelle
« Dites-moi comment vous me mesurez, et je vous dirai comment je me comporterai. Si vous me mesurez d’une manière
illogique, ne vous plaignez pas si mon comportement est illogique. »8
Ce sont là les effets pervers d’une « culture du résultat » pour qui seul le chiffre compte. Et
selon la valeur de ce chiffre, ce sera une récompense ou une punition, la carotte ou le bâton.
Chercher à améliorer le chiffre tout en respectant les règles établies pour décrocher la
récompense et éviter la punition semble tomber sous le sens. Toute règle a une faille et il ne
faut guère de temps à un cerveau humain pour se l’approprier. Ce sont les conséquences
d’une méthode de management infantilisante, fondée sur la déresponsabilisation des
femmes et des hommes. Ce phénomène est d’ailleurs fortement amplifié dans une société
qui prône le « mérite » comme seule clé d’incitation à la performance. Pourquoi consacrer
du temps et de l’énergie à soigner l’exécution de tâches dont le résultat n’est pas perçu à sa
juste valeur par le système de mesure ?
Les conséquences sur la qualité du travail en équipe ne sont pas non plus anodines. Dans
un système de mesures parcellaires, la carte de l’individualisme est toujours la plus
payante.
En résumé
La mesure oriente les comportements. Si l’on veut changer les comportements, il faut donc changer la manière dont on mesure
la performance.
Le classement de Shanghai
L’influence prise par le classement des universités mondiales en termes d’efficacité, dit classement de Shanghai, est assez
troublante. Depuis quelques années ce classement, officiel de fait, incite les organisations universitaires mondiales à se
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structurer afin de mieux correspondre aux critères un peu arbitraires choisis pour ce classement 9. Si sur le plan éthique, ces
adaptations sont discutables, elles sont pourtant indispensables sur le plan pratique afin d’être mieux classées, et attirer
ainsi les meilleurs étudiants tout comme les sources de financement les plus profitables.
Il est aussi évident que si la valeur de l’action d’une entreprise cotée en Bourse a autant
d’importance au sein des comités de direction, c’est bien parce que c’est cette mesure-là
que l’on rend publique. Quel que soit l’ordre du jour, la question du cours boursier sera
toujours le thème principal. Par conséquent, les décisions prises seront fortement
influencées par cette mesure.
Ensuite, on peut généraliser à de multiples champs d’activité. Quel que soit le domaine ou
le métier, on cherchera toujours à maximiser la valeur mesurée, c’est humain tout
simplement.
Les indicateurs de performance choisis pour leur facilité de mise en œuvre
On ne pilote que ce que l’on mesure, dit-on…
Mais en sommes-nous certains ? Cet aphorisme est bien connu. Si l’on ne mesure pas un
aspect précis de la performance, on est bien mal placé pour l’améliorer. C’est simple comme
une vérité de La Palice. Dans la vraie vie de l’entreprise, les faits sont un peu différents. Les
concepteurs n’ont pas toujours le temps, l’énergie et les budgets pour choisir et bâtir les
justes indicateurs pour mesurer les finesses du chemin vers l’objectif de performance fixé.
La force de l’habitude aidant, on se contente bien souvent des indicateurs productivistes les
plus triviaux : des délais, des quantités et des coûts unitaires. Les concepteurs vous diront
qu’ils ne mesurent que ce qui est mesurable. En réalité, ils mesurent ce qui est facilement
mesurable.
Bien des grandeurs quantitatives qui seraient fort utiles pour le pilotage sont difficiles à
intégrer. C’est toujours au final pour des raisons de coût. Mettre des données au bon
format, les rendre cohérentes avec l’ensemble du système, voire bâtir une infrastructure
spécifique représentent des coûts conséquents qui pourraient faire exploser les budgets
consacrés au projet d’aide au pilotage10. Les grandeurs plus qualitatives sont aussi loin
d’être évidentes à intégrer. Pourtant, toutes les formes de progrès ne s’évaluent pas
systématiquement en données quantifiées.
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L’entreprise a bien compris que l’amélioration du « bien-être » des salariés était une voie
de progrès. C’est une préoccupation récurrente depuis déjà quelques années. Mais
comment s’y prendre ? Comment bâtir une échelle fiable et consensuelle ? Ce n’est
sûrement pas en cherchant des réponses à une question commençant par « Combien ? »
que l’on parviendra à apprécier la notion de « bien-être ». La mesure sera sûrement plus
fine et précise en étudiant les réponses aux questions commençant par d’autres adverbes
interrogatifs tels que « Comment ? ». La vraie difficulté vient ensuite. Par quel moyen
traduire en données quantitatives les réponses données ? Si les questions ont été bien
formulées, elles seront nécessairement de l’ordre du subjectif. Comment rapprocher les
résultats, comment les combiner, comment choisir les facteurs correctifs pour obtenir un
unique indicateur synthétique ? En quelque sorte, il s’agit de parvenir à étalonner le
qualitatif11.
On comprend mieux pourquoi les concepteurs privilégient les grandeurs faciles à mesurer
pour bâtir des indicateurs de performance.
En résumé
Si l’on ne pilote que ce que l’on mesure, on ne mesure que ce qui est facile à mesurer. De là à dire que l’on ne pilote que ce qui
est facile à mesurer, ce n’est que boucler le syllogisme.
Si les objectifs que la direction met en pleine lumière ne sont pas ceux qui importent vraiment pour l’entreprise, nous
n’aurons aucune chance de comprendre pourquoi le fait de les avoir atteints ne résout nullement le problème initial 12.
Toutes les entreprises n’ont pas une stratégie bien définie. Elles ont des ambitions, mais ne
prennent pas le temps de bâtir des plans concrets afin de les rendre réalisables. Elles se
contentent de définir des objectifs de performance afin, s’imaginent-elles, de motiver les
troupes. D’autres entreprises bâtissent une stratégie mais appliquent la loi du secret. Les
objectifs de performance proposés aux exécutants ne sont pas réellement ceux qui
permettraient d’atteindre les buts stratégiques. Pour ces deux cas, il ne faut pas rêver. Les
objectifs seront peut-être atteints, mais les ambitions initiales ne seront jamais
accomplies… Et on ne comprendra pas pourquoi.
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Sous prétexte d’émulation, les objectifs totalement détachés de toute stratégie sont fixés à
des niveaux quasi inatteignables. Dans l’esprit du toujours « plus », il s’agira de faire mieux
que l’an passé, peu importe que ce fût une année exceptionnelle. Ne pas avoir rempli « ses
objectifs » est en effet éliminatoire le jour de l’entretien annuel.
Le système a été poussé au-delà de ses limites avec les multiples formes du management
par le stress. Le salarié ne connaît pas exactement les objectifs à atteindre, et ne peut se
référer qu’aux remarques de son supérieur. Sans repère, il cherche à se dépasser au
maximum et cumule les heures de travail sans être sûr d’être plus apprécié pour autant. La
crainte de la sanction qui peut tomber au moment où l’on s’y attend le moins est un mode
de soumission vieux comme le monde. Une telle violence n’est pas évidente à canaliser. Les
plus fragiles la reportent sur leurs subordonnées ou sur leur entourage familial. Pour les
cas les plus tragiques, l’extériorisation de la violence reçue ne suffit pas toujours. Saisis par
un sentiment insondable d’impuissance et d’inutilité, ils retournent alors leur colère contre
eux-mêmes. « Ce n’est pas si grave, la fin justifie les moyens et de toute façon personne n’est
irremplaçable ! » semble être la morale de ce mode de management cynique à l’extrême13.
Lorsque l’objectif devient une obsession de tous les instants…
La conjoncture est fluctuante. Un objectif tout à fait réalisable au moment de sa fixation
peut devenir plus difficile à atteindre dès que l’entreprise est aux prises avec des difficultés.
La démission d’un salarié clé, la perte d’un marché important, le retrait d’un partenaire de
premier plan, l’arrivée d’un concurrent qui cherche à bousculer l’ordre établi, ce ne sont là
que quelques exemples d’événements totalement imprévisibles qui, en toute logique,
devraient inciter à réviser les plans et à fixer de nouveaux objectifs. Pourtant, bien des
directions se cramponnent contre vents et marées aux objectifs fixés à l’origine, sans
remettre en question leur bien-fondé bien qu’ils ne soient plus légitimes.
Cas pratique
Depuis déjà deux décennies, les États européens sont astreints à réduire drastiquement leurs dépenses afin de ne pas
dépasser le seuil limite de 3 % du PIB. L’objectif n’a pas évolué d’un centième en dépit du coup et des contrecoups de la
crise de 2008 qui ont mis à mal la majorité des économies nationales. Même si l’on peut comprendre l’importance de limiter
les déficits, l’origine de cet objectif immuable fixé à 3 % par décret explique mal cette opiniâtreté à toute épreuve.
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Guy Abeille, l’un des économistes à l’origine de la fixation de cet objectif à 3 % au début des années 1980, explique sans
détour dans un long article du périodique La Tribune sa construction totalement artificielle. Il précise que ne pouvant
rechercher le soutien d’aucune théorie économique, ils ont choisi arbitrairement cette valeur de 3 % : « Deux pour cent
seraient, en ces heures ardentes, “inacceptablement” contraignant, et donc vain ; et puis, comment dire, on sent que ce chiffre,
2 % du PIB, aurait quelque chose de plat, et presque de fabriqué. Tandis que trois est un chiffre solide ; il a derrière lui d’illustres
précédents (dont certains qu’on vénère). »
LA TRIBUNE, 1ER
OCTOBRE 201014
Avec le temps, les origines sont oubliées et l’objectif devient une loi divine qu’il s’agit de ne
pas transgresser au risque de s’attirer les foudres des dieux, c’est-à-dire l’endettement sans
fin, la récession, la déflation, et tous les maux dont nous menacent les cassandres de
l’économie. Il est intéressant de noter qu’un objectif suffisamment rabâché devient
indiscutable. Gare à celui qui s’aventurerait à le contester en évoquant les opportunités
insaisissables avec un objectif aussi rigoureux, la vox populi aura tôt fait de le ranger dans la
catégorie des béotiens et des inconscients. Ce peut aussi être le cas en entreprise avec des
objectifs imposés par la direction, dont on n’indique ni la raison, ni le mode de fixation, et
que l’encadrement ressasse à l’envi, afin que tout un chacun l’intègre dans son système de
valeurs. « Cette année, il faut tout faire pour augmenter les ventes du produit alpha de 34 % !
» Pourquoi celui-ci et pas un autre ? Comment ce taux a-t-il été choisi ? On n’en saura pas
plus. Avec le temps et le rabâchage, on oubliera ces questions essentielles et la cible
unanime sera bien l’objectif fixé. Les inévitables conséquences néfastes sur les ventes des
autres produits et l’insatisfaction de leurs acheteurs passeront au second plan.
Poursuivons ce thème en restant au niveau des normes européennes avec une seconde
règle dogmatique aux origines fallacieuses : la définition du seuil limite d’endettement fixé
à 90 % du PIB.
Cas pratique
En 2010, deux professeurs d’économie de renom, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, ont démontré, modèle à l’appui, que
plus la dette publique s’accroît, moins il y a de croissance. Par la même occasion, ils ont aussi identifié le seuil fatidique : 90
%. À partir d’un taux d’endettement de 90 % du PIB, nous basculons dans la récession, autrement dit, l’enfer pour nos
économies de marché dont le salut ne repose que sur une croissance significative et constante. Les commissaires
européens se sont d’ailleurs appuyés sur cette étude pour exhorter les gouvernements à l’intensification des politiques
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d’austérité, que nous subissons depuis le début de la crise financière de 2008. En 2013, Thomas Herndon, un étudiant de
l’université du Massachusetts, a mis en évidence des erreurs grossières dans les formules Excel® de cette étude, dévoyant
totalement la conclusion. Michael Ash et Robert Pollin, professeurs et tuteurs de l’étudiant, ont démontré à leur tour que
les deux économistes, à l’origine de la règle, avaient sciemment omis d’intégrer, dans leur modélisation, des cellules du
tableur pour parvenir à un résultat de croissance négative. Une fois l’étude corrigée, en considérant le même panel de
données, mais en totalité, Michael Ash et Robert Pollin ont conclu qu’un déficit de 90 % entraînait une croissance positive
de 2,2 %. Ce qui n’a pas empêché Olivier Blanchard, alors le chef économiste du Fonds monétaire international (FMI),
d’estimer que le seuil de 90 % d’endettement maximal était un bon objectif. Arbitraire quand tu nous tiens ! 15
1Le titre de chapitre est librement inspiré du constat de George Box (1919-2013) statisticien britannique : « Tous les
modèles sont faux mais certains sont utiles », une formule bien connue des statisticiens et maintenant des data
scientists.
2Nous reviendrons sur ce thème lors de la phase de sélection des indicateurs au chapitre 12.
3Nous développerons un peu plus avant le thème de la stratégie au prochain chapitre.
4En pratique, il s’agit surtout d’éliminer les écarts à la norme.
5De toute façon, comme le rappelle justement Vincent de Gaulejac, la pratique de la qualité en entreprise n’a plus
rien à voir avec l’idéal que pourrait laisser entendre son intitulé « La qualité apparaît non pas comme un outil
d’amélioration des conditions de production mais comme un outil de pression pour renforcer la productivité et la
rentabilité de l’entreprise », issu de son ouvrage La Société malade de la gestion, Points, 2014.
6Citation inspirée de Charles Goodhart : « Once a social or economic indicator or other surrogate measure is made a
target for the purpose of conducting social or economic policy, then it will lose the information content that would
qualify it to play such a role. »
7C’est d’autant plus vrai si les indicateurs ne sont pas trop bien choisis ou ne sont pas équilibrés comme nous
l’avons vu au chapitre précédent.
8« Tell me how you measure me, and I will tell you how I will behave. If you measure me in an illogical way… do not
complain about illogical behavior. »
9http://lemde.fr/2aYj5fv, Le Monde : « Universités : pourquoi le classement de Shanghai n’est pas un exercice
sérieux » (16-08-2016). « J’ai rencontré à Shanghai le monsieur qui avait inventé ce ridicule classement des
universités. Il était seul, dans un petit bureau. Je lui ai dit : vous nous avez pourri la vie » Bruno Latour dans
l’émission La suite dans les idées France culture 21/10/17.
10Il est aussi vrai que l’on ne tranche pas toujours aisément face à une dépense non prévue lors de la phase de
collecte des données. Le coût d’accession à la mesure est-il justifié au vu de l’importance de ladite mesure pour
l’aide au pilotage selon l’objectif poursuivi ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Oui ou non. Voilà la vraie question à
se poser.
11C’est un peu plus difficile, mais c’est loin d’être impossible, Nous étudierons une méthode efficace au terme de la
deuxième partie.
12Il s’agit d’une adaptation à l’entreprise du théorème du lampadaire proposé par Jean-Paul Fitoussi : « Si les
objectifs que la politique économique met en pleine lumière ne sont pas ceux qui importent vraiment pour les
sociétés, nous n’aurons aucune chance de comprendre pourquoi le fait de les avoir atteints ne résout nullement le
problème initial. » Ce théorème est inspiré de l’historiette humoristique : « Une nuit un homme en état d’ébriété
avancé cherche ses clés sous un lampadaire. Un passant serviable se propose de l’aider : vous êtes sûr de les avoir
perdues ici ? Ah bien sûr que non, c’est près de ma porte que je les ai perdues, mais là-bas il n’y a pas de lumière. »
http://lemde.fr/2xntkFr
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13Les vagues de suicides au Technopôle de Renault et à France Télécom ont marqué les esprits, tout autant que
l’infâme commentaire de Didier Lombard alors PDG de France Télécom après le suicide de 23 salariés en 18
mois : « Il faut marquer un point d’arrêt à cette mode du suicide qui évidemment choque tout le monde. »
(septembre 2009). Voir aussi le film Corporate de Nicolas Silhol (2017). Cette fiction, véritable thriller, cerne
assez justement la question des modes de management par le harcèlement.
14La Tribune : « À l’origine du déficit à 3 % du PIB, une invention 100 % française » (01-10-2010). Un peu
cyniquement, l’auteur avoue s’amuser que ce ratio totalement arbitraire, élaboré sur un coin de table, soit
devenu le mantra de tous les politiques. Ce plaisir n’est pas vraiment partagé par les habitants des pays
d’Europe du Sud (le nôtre y compris) contraints à des coupes budgétaires, notamment dans les services sociaux,
en respect du sacro-saint 3 %.
15Aucun jugement de valeur sur la question de l’endettement dans ce paragraphe. C’est le processus pour parvenir
à un objectif arbitraire et erroné qui est ici mis en évidence. « The Economist: Revisiting Reinhart-Rogoff » (17-
04-2013), L’Expansion :« Reinhart et Rogoff corrigent leurs erreurs de calcul sur l’austérité » (10-05-2013).
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6.
Mais alors, qu’est-ce donc qu’un indicateur de
performance « utile » ?
C’est un indicateur qui a été soigneusement choisi pour mesurer la progression vers
l’accession à un objectif de performance, lui-même minutieusement sélectionné pour servir
au mieux le projet stratégique. Il est parfaitement adapté aux besoins de l’activité à laquelle
il est destiné. Le manager ou l’équipe qui l’utilisent ont une totale confiance dans
l’information portée par cet indicateur. Ils comprennent cette information bien au-delà de
la seule valeur affichée, et sont donc capables de porter un avis plus complet. C’est cette
connaissance qui leur permettra de prendre les décisions avec une estimation raisonnable
du risque encouru1.
Un exemple trivial pour bien comprendre ce point essentiel de la définition de l’indicateur
de performance utile.
Exemple
Vous écoutez les cours de la Bourse, et le journaliste vous informe que l’action de la société Gamma a grimpé de cinq points
dans la journée. Si la Bourse ne vous intéresse pas, le message a juste traversé vos oreilles sans passer par le cerveau. Il est
oublié à peine entendu. En revanche, si vous êtes un amateur éclairé, boursicoteur à vos heures, vous vous dites peut-être : «
Tiens j’aurais dû m’intéresser à cette valeur, il n’est peut-être pas trop tard. » Enfin, si vous êtes un spécialiste des marchés
financiers, un trader, vous avez lu le dernier rapport financier de l’entreprise Gamma et vous savez que ses perspectives de
développement sont très limitées. Elle risque de rencontrer des difficultés à court terme, et il est temps de vendre cette valeur,
cette hausse n’est qu’artificielle. Les décideurs qui utilisent un indicateur de performance judicieusement choisi sont dans cette
dernière situation. Pour eux, l’indicateur est révélateur d’un sens bien plus complet que ne pourrait le saisir un étranger à
l’activité.
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pour bien d’autres raisons. L’interprétation de la cause et de ses solutions est du domaine
de l’humain. L’indicateur ne révèle qu’un fait précis, et encore dans un contexte bien
particulier. Rien de plus. À sa lecture, le décideur, ou le groupe de décideurs, juge des
actions les plus opportunes à mettre en œuvre à courte ou moyenne échéance.
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Pour être efficace, un indicateur de performance mérite d’être plus simple, afin non plus de
masquer l’information des mesures le composant, mais bien d’être un révélateur, un
amplificateur du sens. Un indicateur de performance se suffit rarement à lui-même. La
performance n’est pas unidimensionnelle. Pour cela, un indicateur, ou un groupe
d’indicateurs de la même famille, sera contrebalancé par un autre aspect de la
performance, afin de ne pas risquer de piloter avec des œillères. Il s’agit d’adopter un
regard plus large et plus équilibré pour éviter de favoriser un unique aspect de l’activité,
aux dépens des autres aspects ou des autres activités de l’entreprise et de ses partenaires,
ou de ne viser qu’une amélioration de la performance à court terme aux dépens du long
terme.
Un exemple typique : l’indicateur du PIB
Le PIB augmenterait si la cathédrale Notre-Dame
devait être détruite et remplacée par un parking2.
L’indicateur du PIB mesure la richesse d’un pays4. Controversé à juste titre, ses faiblesses et
ses limites sont en effet de notoriété publique aujourd’hui. Pourtant, c’est toujours le seul
indicateur de référence pour évaluer la santé économique d’un pays. Pour le PIB, la
richesse d’un pays est égale à la valeur ajoutée de sa production globale. Il s’agit donc de
produire, et non de préserver le futur et la qualité de vie. Le calcul du PIB encourage toutes
les actions destinées à accroître la valeur ajoutée. Il défavorise par conséquent la quasi-
totalité des mesures environnementales.
Exemple
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Déboiser une forêt primaire pour planter des palmiers à huile, donne des couleurs à cet indicateur unidimensionnel.
Financièrement parlant, la forêt primaire ne rapporte rien. Elle occupe inutilement un terrain que l’on peut mieux rentabiliser
en cultivant des palmiers à huile, une valeur marchande en pleine expansion, et créer ainsi de la valeur ajoutée.
Déjà en 1971, Herbert Simon, prix Nobel d’économie 1978 et spécialiste de la décision,
mettait en garde sur les méfaits de l’abondance d’informations comme dévoreuse de
l’attention7. Plus on a accès à de l’information moins on dispose d’un capital d’attention à
accorder à chacune. C’est donc bien d’une raréfaction de l’attention que nous sommes les
victimes, et non d’un manque d’informations. Donc non, cent fois non, il ne faut surtout pas
surcharger nos tableaux de bord d’indicateurs sans rapport avec la stratégie poursuivie.
Ces indicateurs superfétatoires n’apportent pas d’informations complémentaires. Ils ne
font que consommer inutilement une attention, qui serait bien mieux utilisée, en étant
totalement focalisée sur les quelques indicateurs étroitement liés aux objectifs tactiques. Ils
risquent d’ailleurs de nous détourner de nos préoccupations, c’est-à-dire des objectifs
poursuivis.
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Pour réussir dans les délais les projets dont il a la charge, un manager pourrait être tenté de recourir
abusivement à la sous-traitance. Il risque alors de faire exploser le budget consacré aux projets. Sur son tableau
de bord, l’indicateur des dépenses est alors utilisé pour rééquilibrer les indicateurs d’avancement des projets. Ce
premier exemple est un classique, on ose espérer que tous les managers de projets procèdent ainsi.
Le manager pourrait aussi être tenté de mettre la pression sur ses équipes, en les poussant à produire sans cesse
et sans jamais observer un moment de repos, quitte à multiplier les heures supplémentaires. Ce n’est efficace
qu’un temps. La fatigue aura tôt fait de substituer la lassitude à l’enthousiasme. Sur le tableau de bord de ce
manager, il sera ainsi utile d’associer, à l’indicateur d’avancement des projets, un indicateur évaluant le moral et
l’enthousiasme des membres de l’équipe. Ce second indicateur est moins facile à réaliser. Les retards, les
absences justifiées ou non justifiées, la multiplication des erreurs, les velléités de changement d’équipe, sont
déjà une première série d’informations de premier choix. La capacité à trouver de bonnes idées, et à résoudre
les problèmes du quotidien, les simplifications opportunes, et le sens du partage et de la communication au sein
de l’équipe, sont une seconde série d’informations, là aussi de premier choix, pour bâtir cet indicateur.
En tout cas, c’est ainsi que l’on mesure la performance. On suit l’avancement vers un
objectif, un objectif de délai de réalisation des projets dans ce cas, tout en prenant garde
aux conditions de son accession, les budgets et le moral des équipes pour cet exemple.
Aide-mémoire pour les managers de projet8
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Trop de précision tue l’indicateur, dit-on. Il est vrai qu’un indicateur s’apprécie
généralement en termes plutôt subjectifs. L’indication portée est en écho avec notre propre
échelle de valeurs concernant le thème de mesure. Un chiffre bien trop précis risque plus
de nous perturber que de nous informer. En revanche, ce raisonnement n’est pas applicable
dans toutes les situations. Par conséquent, il ne s’agit pas d’arrondir toutes les mesures,
toutes les données avant de les agréger. On risque dans ce cas de fausser totalement
l’information synthétique résultante.
Voyons dès à présent trois anecdotes pour redonner un peu de lustre aux décimales :
L’escroquerie des centimes
Supprimer toutes les décimales des nombres utilisées dans un calcul, plutôt que se
contenter de n’arrondir que le résultat final, est une technique d’escroquerie assez
classique. Un employé comptable peut ainsi avoir l’idée, malhonnête bien sûr, de virer sur
son compte personnel tous les centimes des paiements lui passant entre les mains. Le bilan
final est présenté uniquement avec des résultats arrondis à l’euro près, donc sans aucune
décimale. Il ne prend pas le risque de voir sa manipulation indélicate éventée trop
rapidement, et s’enrichit à bon compte. C’est un cas d’école. Cette technique d’entourloupe
est appelée « salami slicing ».
L’orbite circulaire des planètes
Au XVIe siècle, il était de notoriété publique que toutes les planètes avaient nécessairement
une orbite circulaire autour du soleil. Comment pourrait-il en être autrement ? De création
divine, les astres étaient ainsi conformes au modèle circulaire et à la sphère, symbole de la
perfection depuis Aristote. Selon les astronomes de l’époque, les quelques minutes d’arc
d’erreur relevées lors de l’observation de l’orbite de Mars, notamment par l’astronome
danois Tycho Brahe (1546-1601), étaient vraisemblablement dues à l’imprécision des
instruments et des techniques de mesure. Johannes Kepler (1571-1630) étudia à son tour
l’orbite de Mars en exploitant les mesures relevées par Tycho Brahe. Il ne put que parvenir
à la seule conclusion qui s’imposait : cette erreur n’en était pas une. Dans ce cas, les
planètes n’adoptent pas une orbite circulaire, mais bien elliptique dont le soleil est l’un des
foyers. C’est la première loi de Kepler. « Scire est mensurare », Savoir c’est mesurer était la
devise de Johannes Kepler. Qui pourrait affirmer le contraire ?
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La question de la précision des mesures est aussi une question de bon sens. Chacun dans
son métier connaît en général suffisamment la « chose » mesurée, pour estimer la précision
nécessaire, afin d’en apprécier toute la substance. C’est aussi une question de tolérance
d’acceptabilité. Quel degré de variation de la mesure peut-on qualifier de négligeable ? Si
pour une mesure donnée, les décimales ne modifient en rien le sens porté par la valeur, on
peut effectivement les supprimer à l’affichage. Pour mémoire, une mesure est toujours une
comparaison à un étalon servant d’unité avec une précision fixée et connue.
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Ils ne peuvent en aucun cas être considérés comme universels et utilisés à d’autres fins que
la poursuite des objectifs de performance fixés. Il s’agit effectivement d’une vision partielle
et réductrice de la réalité, mais parfaitement orientée pour les besoins bien spécifiques du
manager ou de l’équipe. Ainsi pour reprendre le titre de ce chapitre, les quelques
indicateurs utiles sont ceux qui ont été minutieusement choisis, tels que décrits ici 11 et
comme nous l’approfondirons au prochain chapitre.
1Le choix des objectifs et des indicateurs de performance sera le sujet du prochain chapitre.
2Cette citation et la suivante ont été rapportées par Patrick Viveret et Olivier Pastrée au cours d’une émission assez
ancienne de la série « l’Économie en questions » sur France Culture.
3Source : Revue Bilan (21-01-2016). Le PIB est désormais obsolète, selon Joseph Stiglitz.
4Désormais, le trafic de drogue est intégré dans le calcul du PIB français. D’autres pays européens intègrent aussi la
prostitution (source La tribune 31-01-2018). Même si ces formes de « création de richesse » bien peu éthiques
redonnent des couleurs à l’indicateur phare, on peut sérieusement douter de la précision de la mesure.
5Éloi Laurent, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), co-auteur en 2015 de
l’ouvrage Un nouveau monde économique, Mesurer le bien-être et la soutenabilité au XXIe siècle, chez Odile Jacob.
6Pour le lecteur intéressé par cette étude qui déborde un peu de notre sujet, l’Insee a publié un rapport à
télécharger : https://www.insee.fr/fr/statistiques/1372481?sommaire=1372485. Lire aussi l’excellent petit
guide de la collection Repères des éditions La Découverte : Les Nouveaux Indicateurs de richesse de Jean Gadrey
et Florence Jany-Catrice, 4e édition 2016.
7« Designing Organizations for an Information-Rich World » in : Martin Greenberger, Computers, Communications,
and the Public Interest, Baltimore. MD : The Johns Hopkins Press, 1971, pp. 40–41
http://en.wikiquote.org/wiki/Herbert_A._Simon. Une récente étude menée auprès de 32 000 salariés révèle que
« Devoir traiter des informations complexes et nombreuses » est un facteur majeur de stress voire d’hyperstress
(sic). http://www.stimulus-conseil.com/wp-content/uploads/2017/11/Observatoire-Stress-novembre-
2017.pdf
8Un principe classique, repris d’ailleurs par les techniques de management de projet agiles.
9http://tb2.eu/p1
10https://en.wikipedia.org/wiki/Indiana_Pi_Bill
11Un modèle est une tentative de représentation partielle d’un environnement complexe afin de mieux le
comprendre. Un modèle est nécessairement simplificateur. Il est donc faux vis-à-vis de la réalité. En revanche, il
est utile pour étudier des aspects bien précis de cette même réalité. D’où la pertinence de la formule de George
Box déjà mentionnée au chapitre précédent ; « Tous les modèles sont faux mais certains sont utiles. », Un tableau
de bord bien conçu, composé d’indicateurs judicieusement choisis, est une modélisation bien utile pour évaluer
la performance selon les orientations choisies.
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DEUXIÈME PARTIE
COMMENT Y REMÉDIER : LA DÉMARCHE
Où l’on déroule chacune des sept étapes depuis la conception de la stratégie jusqu’à la prise de
décision en traitant en particulier les points délicats comme le choix des objectifs de
performance, la pratique de la confiance et de la reconnaissance et les spécificités de la
décision en équipe.
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7.
Tout bien réfléchi, ce n’est pas bien compliqué : pour
suivre un indicateur de performance, encore faut-il en
avoir envie…
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La performance n’est pas une notion universelle. Son expression même est étroitement liée
au but poursuivi.
Exemples
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Pour un coureur de fond, la performance s’exprime en dixièmes de seconde, pour un sauteur à la perche, elle se
traduit en centimètres.
Pour une entreprise de ventes en ligne, qui fait le pari de la livraison en 24 heures chrono, la performance
prendra alors plusieurs aspects. Le temps évidemment, depuis la prise de commande jusqu’à la livraison client,
mais aussi la précision et le soin de la préparation des commandes, la juste optimisation de la gestion des
approvisionnements, tout comme l’harmonie des relations avec l’ensemble des partenaires et sous-traitants
intervenant dans la chaîne vue dans sa globalité. Le confort d’utilisation du site Web et la qualité du service de
réclamations sont aussi à prendre en compte.
En creusant un peu, on trouvera vraisemblablement bien d’autres formes que prend la
performance pour servir cette finalité stratégique. La performance est le pur produit de la
stratégie, dans le sens où, plus on l’améliore, plus on accroît ses chances d’accomplir ladite
stratégie, et donc d’en récolter les fruits.
Pour être plus complet et plus théorique à la fois, précisons s’il était nécessaire, que la
notion de performance se décline aussi selon les intérêts spécifiques de l’ensemble des
parties prenantes que sont : les actionnaires, les clients, les salariés, les partenaires et les
sous-traitants, le public et sans oublier toutes les questions liées à l’environnement et au
développement durable. Voilà pour la dimension idéale et vertueuse de la performance, le
but à atteindre sans aucun doute. Mais la réalité est encore tout autre et bien du chemin
reste à parcourir.
Nul besoin de longues démonstrations pour noter, que, hormis quelques cas exceptionnels
toujours cités en exemple dans la presse spécialisée, la large majorité des entreprises
considèrent encore aujourd’hui la question de la création de valeur uniquement dans sa
dimension la plus sommaire, celle susceptible de générer un profit immédiat. La
performance au sens de l’actionnaire est la raison d’être de bien des entreprises. Hormis les
clients, source directe de rentabilité, l’intérêt spécifique des autres parties prenantes, y
compris les salariés et les partenaires, est encore jugé comme négligeable.
C’est dit !
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Bien qu’il semble aujourd’ui évident qu’une éthique responsable et respectueuse de l’environnement et de la société soit
désormais un enjeu stratégique, les dirigeants sont encore bien trop peu nombreux à envisager l’avenir de leur entreprise en ce
sens2. Les opérations marketing de « greenwashing » et les falsifications des plus grands fabricants automobiles sont là pour
nous rappeler que ces questions essentielles aux yeux du public ne sont pas des priorités pour tout le monde 3.
La démarche
Il existe plusieurs méthodes pour bâtir un système de tableaux de bord avec suffisamment
de singularités, pour que chacun puisse effectuer un choix raisonnable, selon son besoin et
son approche de la problématique. La démarche proposée ici présente l’intérêt d’être
totalement orientée vers la prise de décision effective sur le terrain. C’est bien là la finalité
d’un système de mesure de la performance conçu pour une organisation réactive4.
Figure 32 : La démarche pour bâtir le système de mesure de la performance pour un pilotage réparti
1Interview donnée à la BBC en décembre 2014 : « El problema es la realidad porque no hacemos lo que queremos,
hacemos lo que podemos dentro del margen de la realidad. »
2Selon le sondage Medef/Viavoice du 28 août 2017, seulement 12 % des chefs d’entreprise et 10 % des salariés
consultés imaginent que l’entreprise d’après demain sera : responsable, soucieuse de l’environnement,
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transparente et à l’écoute de ses clients et des différentes parties prenantes. Baromètre Les chefs d’entreprise et
l’avenir (www.medef.com).
3Sans être trop cynique pour autant, on peut effectivement douter que les questions de non-respect de
l’environnement ou de la plus simple éthique soient vraiment gênantes du strict point de vue économique. Au
cours de l’année 2016, les ventes de véhicules de la marque Volkswagen ont battu des records malgré le «
dieselgate » pourtant dénoncé à la fin de l’année 2015. Capital : « Ventes de VW au niveau record de 10,3 millions
d’unités en 2016 » (10-01-2017).
4Cette étude s’inspire de la méthode Gimsi, une démarche de conception des tableaux de bord de pilotage qui
privilégie les acteurs de terrain. Elle est d’une portée suffisamment généraliste pour être utilisée dans la plupart
des secteurs privés ou publics. Voir http://tb2.eu/p9
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8.
Tout commence (normalement) par l’élaboration
d’une stratégie raisonnable et raisonnée, et donc
pertinente
Sans pour autant proposer un traité de conception de la stratégie qui dépasserait les
ambitions de cette étude, attardons-nous à détruire quelques-unes des principales idées
reçues. Elles risquent en effet de détourner les dirigeants peu initiés à cette science de la
réelle problématique du devenir de l’entreprise. Pour mémoire, une large majorité
d’entreprises ne prennent pas le temps de construire une stratégie durable, et se
contentent de fonctionner au jour le jour, de copier les quelques leaders du secteur
concerné et, parfois même plus grave encore, de se fourvoyer dans des investissements peu
réfléchis. Puis, nous étudierons un cas pratique, et nous recentrerons notre étude sur la
question du déploiement qui est étroitement liée à celle de la prise de décision sur le
terrain.
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connaît pas les obstacles qu’elle a rencontrés, on ne sait pas comment elle a adapté son
plan d’origine.
En résumé
Le plus important est dans les détails, et comme on ne connaît pas les détails on ne voit pas ce qui est important. Ce qui a réussi
chez l’un ne fonctionnera pas nécessairement chez un autre.
La stratégie, ce n’est pas cocher une check-list pour ressembler au modèle
idéal…
De toute façon, la stratégie est une affaire très personnelle et, malgré la croyance durable
dans le monde du management, il est préférable d’éviter de se fier aux listes de critères
qu’il suffirait de remplir pour réussir immanquablement. Il n’existe pas de modèle
d’entreprise parfait à copier en tout point pour réussir sans coup férir. Les prix Qualité de
type EFQM, Malcolm Baldrige, ainsi que toutes les déclinaisons régionales, sont très «
modestement » dénommés « modèles d’excellence » par leurs promoteurs. Ils colportent
cette légende de l’organisation idéale.
Le prix de l’excellence ou le miroir aux alouettes ?
S’il existe un ouvrage qui a marqué l’univers du management durant les décennies 1980 et 1990, c’est bien Le Prix de
l’excellence de Tom Peters et Robert Waterman. Ce livre est très rapidement devenu un des best-sellers internationaux les
plus importants du management. L’ouvrage, traduit en différentes langues, a été vendu à plusieurs millions d’exemplaires.
Les deux auteurs étaient alors consultants chez Mac Kinsey. Après avoir étudié une multitude d’entreprises leaders de leur
secteur, ils ont identifié les huit règles de management stratégique qui font la différence. C’est là le thème de ce livre. Bien
que bon nombre d’entreprises citées comme exemples à suivre aient connu des déboires (Delta Airline, IBM…), voire des
faillites, le livre a tout de même perduré durant des années comme ouvrage incontournable, un « must-read » pour des
générations de managers en herbe. En 2001, pour le vingtième anniversaire de la publication, Tom Peters a fait quelques
confidences. Il a révélé avoir inventé une bonne part des données recueillies, contraint quelque part par son cabinet qui
exigeait impérativement des données quantifiées. Il a aussi avoué avoir rédigé les huit principes du livre sur un coin de table
quelques heures avant de les présenter au cours d’un séminaire commercial pour lequel il n’avait rien préparé de
suffisamment concis. Il est bon de reconnaître à la décharge des deux auteurs que les huit règles sont portées par le bon
sens, et c’est vraiment là la recette du succès du livre !4
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Bien que datant des années 1980, la théorie de l’avantage compétitif de Michael Porter, maître à penser de la stratégie, est
toujours un incontournable des formations en management. Le modèle des cinq forces 6, notamment, synthétise la
problématique concurrentielle d’une entreprise. Le succès de ce graphique est vraisemblablement dû à sa simplicité. Farce
de l’histoire, la société de conseil Monitor Group, fondée par Michael Porter et un aréopage de professeurs émérites de
Harvard, a fait faillite en 20127. C’est au pied du mur que l’on reconnaît le maçon, dit-on…
Le schéma typique est assez simple sans pour autant être caricatural. D’un côté les
opérationnels sont tenus d’atteindre des résultats toujours plus ambitieux, tout en
respectant une avalanche de procédures, de règles et de normes souvent inapplicables.
Contraints par des objectifs flous et productivistes, ils ne voient pas toujours le lien avec la
stratégie de l’entreprise. De l’autre côté du fossé, les tenants du pouvoir trop loin des
réalités sont méfiants. Ils multiplient alors les reportings, s’imaginant récupérer ainsi les
informations essentielles pour s’assurer de la parfaite exécution des plans. Peine perdue.
Le sandwich à « rien du tout »
Pour décrire de façon imagée ce fossé isolant la direction de l’exécution, Nilofer Merchant 9, spécialiste de stratégies
collaboratives, utilise la métaphore de « l’air sandwich ». Un air sandwich, c’est un sandwich à « l’air », fourré au « vide ». La
tranche de pain supérieure, ce sont les décideurs. Ils sont dans la stratosphère. Leur altimètre ne descend jamais en
dessous de 20 000 pieds. Ce sont eux qui choisissent les orientations et bâtissent les plans. La tranche de pain inférieure, ce
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sont les exécutants confrontés aux réalités du terrain. Entre les deux, une couche d’air, le vide. Tout ce qui fait un sandwich
est inexistant. La tranche de jambon, la salade, la rondelle de tomate, la mayonnaise, les cornichons, bref la consistance et
la saveur du sandwich, ce sont les échanges, les retours les rencontres pour partager l’expérience. Les organisations
manquent cruellement d’une compréhension partagée indispensable pour atteindre les résultats nécessaires.
Une personne totalement étrangère au monde de l’entreprise, peu au fait de ses pratiques
et de ses conventions, sera vraisemblablement étonnée de constater cette appropriation
unilatérale du pouvoir aboutissant au paradoxe suivant : « Ceux qui sont chargés
d’appliquer le plan stratégique ne sont pas censés participer activement à son élaboration, ne
serait-ce que pour préciser les subtilités du déploiement. »
Et aujourd’hui ?
Dans un contexte économique aux mutations rapides tel que le nôtre, on peut aisément prendre conscience que les
opérationnels sont justement les plus qualifiés pour ajuster au mieux si ce ne sont les grandes lignes ce sera au moins les détails
de mise en œuvre de la stratégie.
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En pratique, la technique n’est pas d’une difficulté insurmontable. Il suffit d’organiser des
rencontres croisées, où l’on invite les salariés à confronter leur point de vue depuis
l’exercice de leur métier. Au cours de ces séances, on les incite chaudement à écouter leurs
collègues s’exprimer. Puis, l’on réfléchit et l’on analyse en commun les avis et suggestions.
C’est dans ce contexte que l’on exploite au mieux de leurs possibilités les outils de la
stratégie. Les membres du service commercial, du support technique et du service client,
sont les mieux placés pour indiquer au reste de l’assemblée les attentes des clients. Dès que
l’on traite de la qualité des produits, il vaut mieux s’informer auprès des responsables de
production et des techniciens du service après-vente, cela tombe sous le sens. Enfin, qui
connaît mieux les offres de la concurrence, si ce ne sont les agents commerciaux sur le
terrain ?
Nous pourrions continuer cette liste, et passer ainsi toutes les activités de l’entreprise pour
bâtir une matrice SWOT12.
L’analyse SWOT, un outil aussi essentiel que mal utilisé
La matrice SWOT propose d’identifier les forces et les faiblesses de l’entreprise, tout
comme les menaces et les opportunités potentielles. C’est l’un des outils les plus connus de
la panoplie du concepteur de stratégie, mais c’est aussi l’un des plus mal utilisés. Simple en
apparence, l’analyse SWOT ne fonctionne qu’à la condition d’être quasi exhaustif pour
chacun des quatre axes. C’est à cette condition que l’on pourra tirer des conclusions
suffisamment solides pour servir de fondamental à la stratégie à engager. C’est dire
l’importance de procéder à une large et minutieuse consultation, au sein de l’entreprise et
de ses partenaires, afin d’explorer toutes les pistes. C’est d’ailleurs dans cet esprit de
coopération étendue que l’on parviendra à extraire la quintessence de la plupart des outils
de la conception stratégique.
La technologie est à notre service
Bien des questions posées ici nécessitent une enquête approfondie. Un simple forum
thématique permet d’exposer les premières idées et de recueillir les commentaires. Les
idées sont alors reformulées et discutées en réunion.
Le fait à suivre
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Avec les outils technologiques de communication disponibles aujourd’hui, comme les réseaux sociaux déployés dans
l’entreprise, il est encore plus simple d’étendre cet échange à l’ensemble du personnel. C’est d’ailleurs ce que démontre Vineet
Nayar dirigeant de HCL Technologies, une importante société de services informatiques de plus de 70 000 salariés répartis dans
plusieurs pays13. Il utilise en effet le réseau interne de l’entreprise pour présenter les plans stratégiques dans un premier temps
aux 8 000 managers puis à l’ensemble du personnel de l’entreprise. L’idée étant de se rapprocher au plus près de la zone de
création de valeur afin de se confronter avec la réalité du terrain dans un esprit « peer to peer », ce sont ses termes. Les
résultats sont évidemment positifs. Les employés se sentent considérés, ils discutent plus librement des stratégies proposées et
n’hésitent pas à soumettre suggestions et critiques pertinentes pour le bien de la communauté.
L’entreprise Alpha
Alpha est une entreprise spécialisée dans la conception et la fabrication d’instrumentation scientifique. Depuis peu, Alpha
est devenue une SCOP (Société COopérative et Participative). L’ancien dirigeant a choisi de céder son entreprise à ses
salariés qui se sont constitués en coopérative. Au cours des deux dernières années, l’entreprise a bien périclité. La retraite
approchant, l’ancien dirigeant avait délaissé la conduite des affaires à son fils peu motivé, et donc peu compétent.
Aujourd’hui, les caisses sont quasiment vides et il est urgent de relancer l’entreprise. Mais quelle voie choisir ? Doit-on
lancer en toute urgence une nouvelle gamme de produits, ou peut-on encore exploiter l’ancienne ? Faut-il explorer de
nouveaux marchés ? Qu’en est-il des clients actuels ? Pour répondre à ces questions essentielles, nous avons choisi d’utiliser
un outil assez simple en apparence : la matrice d’Ansoff14.
La matrice d’Ansoff est avant tout un cadre de travail. Elle va nous aider à trouver les voies de croissance les mieux
adaptées.
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Sommes-nous sûrs d’exploiter correctement notre secteur de marché ? Les clients fidèles à l’entreprise sont peut-être
intéressés par d’autres produits du catalogue. D’autres segments de ce marché sont peut-être encore inexplorés.
Diversification
Est-il possible de se développer en prospectant de nouveaux marchés avec une nouvelle gamme adaptée ? C’est une
démarche généralement plus risquée.
Cette matrice a permis de cadrer les échanges lors des multiples réunions nécessaires pour choisir la bonne direction de
développement.
La stratégie de diversification, qualifiée « le grand saut dans l’inconnu », a été assez vite évacuée des pistes possibles. Tenter
de pénétrer de nouveaux marchés avec de nouveaux produits est une stratégie profitable, à condition d’avoir les reins
solides, et donc d’être déjà bien installé sur son secteur de marché. Ce qui n’est plus le cas de l’entreprise Alpha.
En revanche, le lancement d’une nouvelle gamme de produits, plus sophistiquée que celles existantes, était déjà une option
étudiée depuis quelques mois. C’est aussi une stratégie bien plus risquée. En matière d’instrumentation scientifique, la
sophistication est rapidement synonyme de complexité. La conception d’un produit trop complexe est bien souvent source
de multiples déconvenues. Les budgets sont systématiquement dépassés, les délais ne sont plus tenus, et les clients sont
mécontents. Bref, le risque de travailler à fonds perdu est présent. Cette option n’a pas pour autant été rejetée. Quelle que
soit l’activité, il est désormais essentiel de monter en gamme. Elle sera reprise dès que l’entreprise aura retrouvé une base
solide. Il sera alors temps de réfléchir concrètement aux possibilités de lancer une nouvelle gamme innovante à budgets
maîtrisés.
Bien évidemment, vu la situation financière de l’entreprise, c’est bien la stratégie de meilleure pénétration des marchés qui
est retenue. Dans son principe, cette stratégie de croissance est assez simple. Elle consiste à soumettre aux clients fidèles
des offres commerciales ponctuelles, afin qu’ils s’intéressent aux produits ou services qu’ils n’ont pas coutume d’acheter.
On parle alors de « cross-selling ». Une autre technique, l’« up-selling », invite les clients à monter en gamme. C’est une
technique assez efficace si le catalogue s’y prête. Enfin, sur une part de marché donnée, il existe peut-être des clients
potentiels d’autres secteurs professionnels qui méritent d’être approchés. Sommes-nous certains d’exploiter tous les
segments du marché ?
Mais ne perdons jamais de vue que le but d’une stratégie est bien de se différencier de la concurrence, en mieux de
préférence. Si ce n’est par les prix bas, ce qui est difficile actuellement pour l’entreprise Alpha, ce sera en proposant une
meilleure offre de services. La réactivité et les délais courts sont une voie à privilégier 15. C’est bien un travail de fond qu’il
s’agit d’entreprendre. Plusieurs processus sont concernés, et il faudra impérativement inclure dans la démarche de progrès
l’ensemble des fournisseurs et sous-traitants. Bref une lourde tâche, même si les ambitions peuvent sembler modestes aux
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lecteurs habitués des récits de stratégies révolutionnaires. C’est en tout cas ainsi que l’on parvient le mieux à un résultat
positif.
Les approches par petits pas, en s’appuyant quasi exclusivement sur les moyens
rapidement disponibles, sont vraisemblablement plus profitables qu’un grand
chamboulement qui met l’entreprise cul par-dessus tête. D’expérience, les virages trop
brusques sont toujours périlleux. L’entreprise se retrouve en effet sur un parcours inconnu
parsemé de nouvelles embûches qui désorientent les salariés, troublent les partenaires et
sèment la confusion parmi les clients et les prospects.
Et aujourd’hui ?
En matière de stratégie, il ne s’agit pas de gagner le gros lot en découvrant le business model disruptif qui générera une
croissance fulgurante et sera ensuite relaté dans les livres de management (« Waouh ! ») 16, mais bien d’assurer une viabilité
pérenne en plaçant le maximum de garanties de son côté. Les risques d’échecs sont toujours bien plus imprévisibles qu’on ne
l’imagine. Cela dit, toute stratégie, aussi mesurée soit-elle, comporte toujours un risque de perte financière.
Une stratégie dite « délibérée », pour reprendre la terminologie d’Henry Mintzberg17, n’est autre que la planification de la
formulation des objectifs visés par les dirigeants. C’est l’approche la plus classique. Au contraire, la stratégie dite «
émergente » naît du terrain pour profiter des opportunités au moment où elles se présentent, tout en tenant compte des
contraintes. C’est une approche de la stratégie bien plus réactive. Les deux approches ne sont pas nécessairement
incompatibles. Encore faut-il connaître les plans détaillés et être au fait des données financières pour bien saisir le rôle
stratégique d’une opportunité. Pour une large majorité des entreprises, ce n’est pas à la portée du salarié lambda, fut-il
manager d’équipe.
D’expérience, les stratégies conçues exclusivement au sein du cercle fermé des exécutifs
avec un nombre d’incursions limité dans le vrai monde de l’entreprise, conduisent
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nécessairement à une focalisation exagérée sur les données chiffrées. C’est logique. Sans
trop forcer le trait, il faut bien admettre que pour une large majorité de dirigeants, les
processus de l’entreprise aussi complexes soient-ils se résument à des séries de nombres,
des statistiques et des ratios. La suite est claire. La réalisation de la stratégie devient
rapidement une course aux résultats avec tous les travers et toutes les dérives que nous
avons listés et expliqués dans la première partie de cet ouvrage.
C’est dit !
Un spécialiste de la performance publique évoque le « syndrome du mirage » pour définir le comportement des acteurs
institutionnels, qui se contentent de leur propre production de statistiques, sans s’intéresser à la réalité vécue dans les
administrations. À leur sens, ces données sont la réalité, et ils se complaisent ainsi isolés dans leur tour d’ivoire… Ils n’ont pas
tort, leur monde fictif est tellement plus simple !
Une stratégie plus participative, impliquant dans sa conception une majorité d’acteurs de
terrain, sera plus concrète, orientée sur les métiers de l’entreprise, et conduite en accord
avec leurs attentes. Avec le premier type de conception stratégique, il ne sera pas
nécessaire de déployer de grands efforts pour comprendre que la motivation des femmes
et des hommes chargés de la mettre en action s’émoussera rapidement. Avec le second type
de conception, on peut espérer une implication plus franche sur le terrain, et donc une
prise de décision plus opportune en phase avec les objectifs stratégiques ainsi fixés.
1Stratégie Océan Bleu, Pearson Village Mondial, 2e édition 2015. Voir aussi : http://tb2.eu/p11
2Carl von Clausewitz (1780-1831), théoricien prussien de la stratégie militaire.
3Bien évidemment, il faudrait aussi considérer la part de chance ou encore le talent des innovateurs anonymes qui
ont construit ce succès dans l’ombre du leader médiatique.
4https://www.fastcompany.com/44077/tom-peterss-true-confessions. Le livre est toujours réédité en français
sous le titre : Le Prix de l’excellence - Les 8 principes fondamentaux de la performance, Dunod, 2012.
5https://www.economie.gouv.fr/cedef/chiffres-cles-des-pme
6Voir l’ouvrage de Michael Porter, L’Avantage concurrentiel, Dunod, 2003, et aussi http://tb2.eu/p2
7www.reuters.com : « UPDATE 1-Monitor Company files for Chapter 11; Deloitte to buy assets » 8-11-2012. Voir
aussi : Alternatives Économiques 9-2013 « Quand les gourous se gourent ».
8Robert S. Kaplan et David P. Norton, Le Tableau de bord prospectif, Éditions d’Organisation, 2e édition, 2003.
9Nilofer Merchant auteur de l’ouvrage The New How: Creating Business Solutions through Collaborative Strategy.
O’Reilly, 2014, et aussi ici : http://tb2.eu/p3
10Comme pour tous les métiers, il s’agit de maîtriser l’utilisation et de bien connaître les limites des outils utilisés.
11Administration industrielle et générale, op. cit., page 68.
12Strengths Forces, Weaknesses Faiblesses, Opportunities Opportunités, Threats Menaces. Une rapide présentation
pour le lecteur intéressé http://tb2.eu/p4
13Lire Vineet Nayar, Les Employés d’abord, les clients ensuite, Diateino, 2011.
14Igor Ansoff (1918-2002) est un mathématicien, homme d’affaires russo-américain, précurseur du management
stratégique.
15En fait rien n’a bien changé depuis l’ouvrage Vaincre le temps de George Stalk et Thomas Hout édité il y a plus de
deux décennies. Sur un secteur de marché et une gamme de produits donnés, on se différencie toujours par la
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rapidité de réaction. La qualité et les coûts maîtrisés sont des incontournables, ne pas les respecter est
éliminatoire. En revanche, on peut se différencier des concurrents par une meilleure réactivité aux demandes
des donneurs d’ordre et plus généralement des clients. Le livre en version française : Vaincre le temps.
Reconcevoir l’entreprise pour un nouveau seuil de performance, Dunod, 1993.
16Dans la littérature managériale anglo-saxonne, on parle d’une courbe de croissance de type « hockey stick curve »,
c’est-à-dire en forme de canne de hockey, plate durant une courte période puis se dressant quasiment à la
verticale… De quoi faire rêver plus d’un dirigeant…
17Henry Mintzberg (1939-) est un universitaire canadien, auteur de nombreux ouvrages et une référence
incontournable du management stratégique.
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9.
De la stratégie aux tactiques, ou comment le choix des
objectifs de performance conditionne la réussite du
déploiement stratégique
Une stratégie ne prend vie qu’au moment où elle se transforme en actes. Tant que l’on n’a
pas franchi le cap de l’action de terrain, les orientations stratégiques, les plans, ne sont
qu’une vue de l’esprit. Une fois déclinée sur le terrain auprès des opérationnels chargés de
la mettre en œuvre, elle prendra corps. Ce sont donc les femmes et les hommes de
l’entreprise qui portent la lourde responsabilité de la mise en action de ces plans
stratégiques. Sa réussite est directement liée au talent des acteurs de terrain pour affronter
les aléas du réel. À moins de rêver aux grâces d’un joyeux concours de circonstances, le «
prévu » ne se transformera en « un réalisé acceptable » qu’à force d’efforts et de corrections
de la trajectoire. Des corrections qui parfois sont radicales. C’est bien pour cela qu’il est
nécessaire d’accorder tous les moyens possibles aux femmes et aux hommes de
l’entreprise, afin qu’ils puissent affronter la part d’imprévu. Encore faut-il que le «
souhaitable », choisi lors de la phase de conception de la stratégie, puisse être compris dans
le sens de « possible » sur le terrain. Autrement dit, les stratégies trop ambitieuses ou trop
éloignées du concret actuel ont bien peu de chance de trouver des supporters dans
l’entreprise.
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activités sont donc en charge de mettre en action les tactiques les plus adéquates, selon le
contexte et la stratégie poursuivie. Une batterie d’objectifs de terrain, soigneusement
sélectionnés, canalise et oriente les plans d’actions « tactiques » dans la bonne direction,
c’est-à-dire dans le sens où ils contribuent à accomplir la stratégie choisie. Une batterie
d’indicateurs de performance mesure le progrès sous l’angle desdits objectifs. Les
informations portées par les indicateurs de performance et les mesures associées orientent
les décisions prises par l’équipe. Faut-il réorienter les actions programmées, renforcer
celles qui sont en cours de réalisation, en engager de nouvelles ? Cela se passe sur le terrain
dans le feu de l’action. Toutes ces décisions ad hoc ne sont par définition, ni prévisibles ni
planifiables. C’est cela le pilotage de la performance.
La pierre d’achoppement : décliner la stratégie en objectifs de terrain
Lorsque l’on expose auprès d’une assemblée de dirigeants la problématique de la mesure
de la performance, en choisissant les bons arguments, l’on parvient sans effort
insurmontable à les convaincre de l’importance de laisser les salariés choisir eux-mêmes
les indicateurs. Ces femmes et ces hommes sont sur le terrain, ils sont responsables des
actions à engager, il semble donc logique qu’ils définissent eux-mêmes l’instrument de
mesure de progrès le mieux adapté. Hormis une poignée d’irréductibles de la vieille école
qui n’objectent que des convictions à défaut d’arguments, le constat est quasi unanime et
l’adhésion aux principes coule de source. En revanche, dès que l’on aborde la question de la
liberté de choix des objectifs tactiques, l’opposition est bien plus vigoureuse.
Il s’agit là en effet de partager avec l’ensemble des équipes le détail des orientations
stratégiques. Cette réaction d’hostilité est prévisible. Lorsque l’on s’adresse à un aréopage
de dirigeants, éduqués dans un univers de management traditionnel fondé sur la méfiance
envers les subalternes, on peut en effet douter d’une adhésion spontanée. Tant que l’on ne
parvient pas à franchir cet obstacle, il ne faut pas rêver, l’on ne réussira pas à bâtir un
système de mesure de la performance facilitant l’aide à la décision pour un juste
déploiement de la stratégie sur le terrain. Il n’est guère envisageable d’imaginer les salariés
de l’entreprise s’investir plus que de raison pour atteindre des objectifs imposés par une
direction distante. Ce n’est pas une question de mauvaise volonté que l’on éradiquera avec
une série de séances de motivation de groupe. Agir sur le terrain, ce n’est pas uniquement
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appliquer à la lettre une procédure, une méthode ou une technique. Agir sur le terrain, c’est
décider en un univers incertain, c’est prendre le risque d’effectuer des choix dont on ne
peut garantir une issue heureuse à cent pour cent. Nous ne sommes plus dans le
conceptuel, dans l’abstrait, dans l’imaginaire utopique, où tout se passe nécessairement
bien, mais au cœur même du principe de réalité. Attardons-nous un instant sur les origines
du management par les objectifs pour mieux comprendre les réticences, puis nous
passerons à la phase de choix des objectifs en nous appuyant, comme nous l’avons évoqué
au début de ce chapitre, sur les entreprises qui ont tout compris.
Et le management par les objectifs ?
Dès les années 1950, Peter Drucker, maître à penser incontesté des sciences du
management moderne, propose une méthode originale de management par objectifs
(MPO). Drucker voyait la fixation des objectifs comme la colonne vertébrale d’une
organisation, où toutes les contributions de chaque département de l’entreprise sont
orientées dans le même sens.
La citation qui interpelle
« Le cadre doit savoir et comprendre ce que les objectifs de l’entreprise exigent de lui en termes de performance, son supérieur
doit savoir quelle contribution attendre et exiger de lui et le juger en conséquence. »
Il envisage alors la relation entre les cadres exécutants et les dirigeants sur le plan de
l’intelligence partagée, et non sur celui de l’autorité et de l’obéissance aveugle. Drucker
anticipe en effet l’entreprise actuelle où les spécialistes occupent une place prépondérante
au sein des processus. Le management par les objectifs serait alors l’outil de coordination
pour conduire toutes les actions engagées vers un même et unique but. C’est aussi avant
tout un outil de responsabilisation. Chaque salarié, quel que soit son échelon, ne se
contente pas uniquement de réaliser la tâche qui lui est assignée. Il est désormais tenu de
considérer l’entreprise dans son ensemble, et de comprendre ce qu’elle attend de lui. C’est
aussi une démarche contractuelle établie entre le salarié et sa direction. Chacun doit donc
respecter sa part de contrat.
Dès 1968, cette étude a été poursuivie par Octave Gélinier3, à laquelle il ajoute la notion
essentielle de participation : DPPO, direction participative par objectifs. Il ouvre ainsi la
porte à une véritable négociation des objectifs entre la direction et les managers chargés de
les poursuivre.
Malheureusement, au lieu d’être adaptée à notre environnement toujours en évolution la
démarche a été ensuite dévoyée. Pour les entreprises adeptes des pratiques d’un autre
temps, le management par les objectifs est devenu un instrument de coercition. Essayez
donc d’aborder le thème des objectifs dans une entreprise, où équipes et managers sont
tenus d’accomplir leur tâche respective, sous la contrainte conjuguée d’une batterie
d’objectifs productivistes hors de propos et d’une évaluation périodique inquisitoire ! Bien
peu d’entre eux sauront dissimuler une moue de rejet. Nul besoin de lancer une nouvelle
étude sur le phénomène du stress en entreprise, l’explication est claire dans ce cas. On peut
supposer sans prendre trop de risques que les dirigeants de ces entreprises n’ont guère
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évolué depuis la vision du salariat des débuts de l’ère industrielle. Voici comment Taylor
envisageait les relations entre les exécutants et les dirigeants :
La citation qui interpelle
« Pour notre projet, nous ne demandons pas que nos hommes fassent preuve d’initiatives. On ne veut aucune initiative. La
seule chose que l’on attend d’eux, c’est qu’ils obéissent aux ordres qu’on leur donne, fassent ce que l’on dit et le fassent
vite. »4
Nul besoin d’être un visionnaire pour se rendre à l’évidence que ce ne sera pas par les prix
bas et la déflation salariale que l’on assurera un niveau de compétitivité acceptable et
durable. C’est plutôt en améliorant significativement le niveau de qualité et de
sophistication des fonctionnalités des produits proposés que l’on parviendra à ce légitime
objectif. Mais monter en gamme, c’est entrer dans un monde de produits plus complexes
donc plus difficiles à concevoir, à fabriquer et à vendre. Les imprévus sont alors au rendez-
vous et la rapidité de décision fait toute la différence. La première innovation est donc
organisationnelle. C’est aussi là le sujet de cet ouvrage.
La démarche en pratique
La question du choix des objectifs de performance est la plus délicate du projet. Il s’agit en
effet de concrétiser la perception de la stratégie afin que les salariés, déjà aux prises avec
leur mission, puissent la rendre réalisable. Les menaces tout comme les opportunités ne
s’annoncent jamais en tonitruant. Elles se matérialisent bien plus silencieusement d’une
façon à peine sensible, quasiment en catimini. Les microsignaux sont généralement plus
facilement détectables par tous ceux qui sont sur le terrain. Encore faut-il que les salariés
soient suffisamment impliqués et écoutés par la direction pour échanger leurs inquiétudes
et leurs intuitions sans craindre d’être les sujets d’un jugement négatif. Bref, c’est une
indispensable coopération. Le ciment de cette coopération commence à être coulé dès
l’étape de choix des objectifs. Voyons dans un premier temps les caractéristiques d’un bon
objectif de performance
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Un bon objectif s’exprime donc impérativement par un verbe d’action que l’on peut
quantifier précisément et avec une échéance ferme. « Réduire les erreurs de livraison de 15
% d’ici six mois » est un objectif qui remplit ces premières exigences. On connaît l’échéance,
et l’on peut mesurer notre progrès tout au long du parcours. Le manager ou l’équipe en
charge des activités concernées par la réalisation de cet objectif définissent une série
d’actions à engager pour parvenir à l’atteindre dans le délai imparti. Encore faut-il qu’il soit
réaliste et accessible, c’est-à-dire que les acteurs en charge de l’atteindre disposent des
moyens pour y accéder.
Les six caractéristiques d’un bon objectif de performance
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Une date d’achèvement raisonnable a priori, mais ferme, est précisée impérativement.
Borné
L’objectif s’exprime selon une unité de mesure, il est quantifié. Il est alors possible d’estimer le chemin restant à parcourir avant de l’atteindre. On mesure ainsi son
Mesurable
progrès, et l’on juge de la justesse des efforts déployés et de la pertinence des actions mises en œuvre. On est mieux armé pour prendre les bonnes décisions
d’orientation.
Les moyens sont disponibles, les contraintes sont surmontables et les risques d’échec estimés sont limités et maîtrisables. Selon les cas, une rapide étude des risques
Accessible
potentiels, de leur probabilité de survenance et de leur pouvoir de nuisance pour l’accession à l’objectif fixé offre une sécurité supplémentaire8.
Il est ancré dans le concret, univoque et bien ciblé. La méthode pour y accéder est tout à fait plausible, les indispensables actions à mettre en œuvre pour l’atteindre
Réaliste
sont réalistes. Traverser la Manche à la nage n’est pas un objectif réaliste, même si ce record a déjà été réalisé à plusieurs reprises. S’imaginer supprimer tous les
rebuts d’une fabrication, particulièrement complexe et délicate en un temps record, n’est peut-être pas non plus réaliste.
La large majorité de tous ceux qui sont chargés de suivre l’objectif y adhèrent sans réserve. Ils sont aussi tout à fait d’accord du choix de la méthode retenue pour y
Fédérateur
accéder.
Pour trouver les objectifs de performance les plus pertinents, la meilleure méthode est
encore d’étudier les suggestions de chacun et de les valoriser selon ces six critères. Seuls
ceux dont on peut maximiser l’ensemble des critères seront conservés. N’en retenir qu’un
est déjà un bon début. À quelques exceptions près, au-delà de deux objectifs fixés, le pari
devient difficile.
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Tableau 3 : Exemple de crible pour sélectionner en commun les objectifs les mieux adaptés
Chaque critère est valorisé d’une note comprise entre 0 et 3. La note attribuée est le fruit
d’une appréciation subjective. Mais si l’on s’est donné le temps de la réflexion, elle est
d’autant plus significative. La note évolue au fil de l’échange. Chacun apporte son point de
vue et l’on parvient à un consensus satisfaisant.
CONSEIL
Éviter les échelles avec un nombre impair de positions possibles. La position centrale, qui permet de s’abstenir de s’engager
ni totalement pour, ni totalement contre, ne facilite pas le choix final.
L’objectif de la première ligne du tableau-exemple ci-dessus (tableau 3) est bien trop vague
pour être retenu. Celui de la deuxième ligne présente bien des caractéristiques positives,
mais il est trop ambitieux. En revanche, la troisième ligne du tableau est
vraisemblablement un bon objectif, si l’on parvient à lever les quelques doutes sur son
accessibilité. S’agit-il d’une question de moyens disponibles, de contraintes difficiles à
dépasser ou de risques qu’il s’agirait de couvrir par anticipation ? Cette question sera
impérativement résolue avant de le sélectionner officiellement comme objectif de
performance9.
Le bon objectif exprime des ambitions raisonnables
Un objectif « réaliste » et « accessible » est nécessairement raisonnable. C’est-à-dire, qu’au
moment de son choix, l’on n’envisage pas de déployer des efforts inconsidérés pour
l’atteindre. Les objectifs plus modestes présentent de multiples avantages. Le progrès est
plus facile à mesurer, et ils sont bien plus motivants. On parvient plus rapidement aux
résultats et les efforts sont ainsi récompensés. Les objectifs plus ambitieux sont bien plus
contraignants. Le progrès est plus lent et les difficultés, non prévues à l’origine, sont autant
de handicaps qui pénalisent les chances de réussite. Un objectif présenté comme un
challenge peut être stimulant. Mais s’il engendre trop de pression il sera franchement
démotivant. Notons qu’un objectif que l’on jugeait modéré à l’origine peut se révéler
comme un générateur de stress au fil du temps si les événements ne se déroulent pas
comme prévu. Dès qu’il s’agit de raccourcir les délais et d’accélérer les cycles, même si a
priori les gains envisagés semblent raisonnables, la fatigue et le découragement auront le
dernier mot sur les ambitions initiales.
CONSEIL
Un objectif très ambitieux est bien plus efficace s’il est fractionné en deux ou trois autres objectifs successifs plus
raisonnables.
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On en profitera aussi pour documenter soigneusement l’objectif afin qu’il soit univoque et
explicite pour tout le monde. Ce n’est pas toujours aussi évident. Tous ceux qui pratiquent
un même métier dans un contexte précis se comprennent à demi-mot. Les explications sont
superflues. Mais un objectif décrit sommairement, de manière implicite, peut générer un
contresens et sembler ainsi équivoque pour celui qui n’est pas dans le feu de l’action.
Imaginons un processus aux multiples activités, un processus de fabrication à la commande par exemple. On cherche à réduire
significativement la durée d’un processus depuis la prise de commande jusqu’à la livraison client. Il ne sera peut-être pas trop
difficile de réorganiser une activité A, comme la préparation de la commande, afin de l’accélérer. En revanche, l’activité B,
l’assemblage, est nettement plus complexe, et les voies d’amélioration sont nettement moins radicales. Une fois l’activité A
optimisée, les lots traités s’empilent à l’entrée de l’activité B bien plus lente. En conséquence, les efforts déployés pour
accélérer l’activité A ajoutent une pression supplémentaire et inutile sur l’activité B. Le processus global n’a pas gagné une
seconde10.
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Enjeu de l’échange : parvenir à une cohérence satisfaisante pour chacune des parties. C’est
une discussion, mais qui dit discussion dit négociation. Chacun défend aussi ce qu’il juge
profitable pour ses propres intérêts. Ce n’est pas toujours évident. Comme le note à juste
titre Debra Smith12, chaque département, chaque professionnel a ses propres priorités qui
se télescopent et entrent parfois en concurrence deux à deux. Ainsi, le responsable des
achats cherche le fournisseur moins-disant, tandis que le directeur de production doit
assumer les exigences de fiabilité et de qualité. Le commercial exige des délais ultra-courts
et s’oppose au responsable de la planification qui doit gérer sa charge de travail. Le
contrôleur de gestion est persuadé que la soustraitance est la solution, au contraire du
reste de l’entreprise qui souhaite continuer à produire en interne ; le même rêve d’éliminer
tous les stocks, tandis que le responsable logistique est bien obligé de les maintenir à
niveau pour assurer une disponibilité de tous les instants auprès de ses clients. Enfin, le
chef du bureau d’études recherche la standardisation des produits et s’oppose au
responsable des ventes qui aimerait, lui, proposer des produits personnalisés à ses clients.
Aucune entreprise n’est exempte de comportements contradictoires de ce type. Ils
apparaissent au grand jour au moment de la définition des objectifs. Chaque responsable,
chaque équipe a sa vision personnelle du juste accord entre sa mission au sein de son
service et son rôle pour l’accomplissement de la stratégie globale. Bref, il va falloir négocier
sérieusement pour glisser un peu d’harmonie et contenter chacune des parties. La question
n’est pas neuve. Pour Mary Parker Follett13, il ne s’agit pas d’adhérer étroitement à la
stratégie, mais bien d’y contribuer du mieux possible, tout en respectant les enjeux locaux
au niveau du service ou du département. En substance, on perçoit dans le propos de cette
pionnière mythique du management moderne, la subtile différence entre la subordination
aveugle et la contribution.
La sous-traitance et la chaîne de valeur globale
L’entreprise éclatée, thème majeur des années 1990, est un modèle effectif aujourd’hui.
Que ce soit pour des raisons de coûts, de compétences spécifiques ou de capacité de
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1Tolstoï s’appuie vraisemblablement sur son expérience de jeune lieutenant au siège de Sébastopol (1854-1855).
2Traduit en français en 1957 aux Éditions d’Organisation sous le titre La Pratique de la direction des entreprises. Ce
livre n’a pas été réédité depuis.
3Ancien président de la Cegos décédé en 2004. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de management de référence.
4« In our scheme, we do not ask the initiative of our men. We do not want any initiative. All we want of them is to obey
the order we give them, do what we say and do it quick. »
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5Les multiples textes publiés par la Commission européenne dans le cadre du programme « Horizon 2020 » sont
pour la plupart focalisés sur « l’innovation ». Ne serait-ce que pour cet extrait du Journal officiel de l’Union
européenne, le terme est répété plusieurs centaines de fois en seulement une soixantaine de pages :
RÈGLEMENT (UE) L347/104 n° 1291/2013 du 11 décembre 2013.
6D’ailleurs les défections ont déjà commencé, comme chacun sait, en mai 2017, les États-Unis se sont retirés de
l’accord.
7Ce sont les caractéristiques d’un bon objectif selon la méthode Gimsi®. Il est préférable d’utiliser cette grille de
critères plutôt que la plus classique fondée sur l’acronyme mnémotechnique : SMART. Cette dernière omet les
critères essentiels de Fédérateur et de Constructif. Voir ici la différence entre les deux méthodes :
http://tb2.eu/p6
8Nous reviendrons sur le thème de l’identification et la valorisation des risques potentiels et prévisibles au chapitre
13 consacré à la prise de décision.
9Nous étudierons au chapitre 14 la question de la prise de décision en équipe.
10C’est un cas d’école. Les spécialistes de l’organisation industrielle savent très bien que la question des interfaces
est toujours à traiter en priorité.
11Cet échange est plus délicat lorsque les dirigeants ou leurs représentants chargés de la coordination ne
connaissent pas le métier des exécutants. Par exemple, la généralisation des gestionnaires au poste de direction
des entités de la santé publique est assez représentative des difficultés de la négociation par manque de culture
du métier et de l’institution.
12Coauteur de l’ouvrage collectif The Theory of Constraints and its Implications for Management Accounting, North
River Press, 1995.
13Mary Parker Follett (1868-1933), conseil en management et spécialiste des organisations, proposait une
approche du management humaniste fondé sur la responsabilité, l’art du conflit et les accords gagnant-gagnant.
Malheureusement, pour les générations de salariés qui ont suivi, elle fut écartée pour laisser passer le rouleau
compresseur des méthodes de rationalisation ultra-mécanistes pilotées par Frederick Taylor et Henry Ford et
tous leurs disciples. Oubliée durant plusieurs décennies, on prend conscience aujourd’hui de ses apports
fondamentaux à la science du management. Les éditions Village Mondial ont publié un recueil en français de ses
conférences sous la direction de Marc Mousli : Mary Parker Follett, pionnière du management, Diriger au-delà du
conflit, 2002.
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10.
La question de la confiance, première clé de voûte de
la démarche
Le critère « fédérateur » du tableau numéro 21 est tout aussi essentiel. Sans une motivation
largement partagée, les objectifs de performance ne seront jamais atteints. Les contraintes
sont toujours insurmontables pour celui qui n’a aucune envie de déployer des efforts outre
mesure.
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Il suffirait de bien asseoir le leadership pour instaurer un climat de confiance naturel. Cette
question est pourtant bien plus complexe que cela. D’autant plus que le modèle
d’organisation fondé sur le leadership n’est pas du tout adapté à l’ère de l’économie de la
connaissance. Il n’est que temps de changer de paradigme. Aujourd’hui, les salariés ne sont
pas des exécutants interchangeables mais bien des spécialistes. Chacun dispose d’un
domaine d’expertise bien défini, un domaine que ne connaît pas nécessairement celui qui
est officiellement chargé de conduire la « troupe ». La question doit donc être abordée
différemment en adoptant un modèle organisationnel de type « égal à égal » et instaurant le
respect réciproque de la compétence de l’autre.
Et aujourd’hui ?
Il ne s’agit plus d’entretenir un culte de la personnalité d’un leader charismatique, mais bien de dynamiser la prise d’initiative de
tout un chacun. C’est cela dont on a besoin dans un monde où l’innovation fait la différence, c’est en ce sens que l’on peut
découvrir l’avantage concurrentiel.
Cela dit, donner des directives et veiller au respect des procédures est bien plus aisé à
mettre en œuvre que de bâtir un environnement de travail, où chacun se sent libre de
prendre les initiatives qui s’imposent. C’est bien pour cela que le management évolue bien
peu dans les faits. Depuis déjà de nombreuses années l’on nous annonce l’avènement d’une
ère nouvelle, une révolution managériale où l’on instaurerait « l’empowerment » comme
disent les Anglo-Saxons, c’est-à-dire l’autonomie et la délégation d’une part de pouvoir et
de responsabilité aux équipes opérationnelles. Il ne s’agit pas uniquement de répondre aux
aspirations de salariés qui souhaitent légitimement sortir du carcan des règles pour gagner
quelques degrés d’autonomie.
Et aujourd’hui ?
Déporter les centres de décisions au plus près du terrain est bien l’unique moyen de maîtriser un tant soit peu la complexité et
l’incertitude du contexte économique. Le besoin est là, aucun doute à ce sujet. Mais la délégation de pouvoir ne se décrète pas
aussi simplement.
Confiance et poka-yoke2
L’une des toutes premières fois où j’ai animé une prise de décision en équipe, à la question :
« Pour vous, qu’est-ce qu’une bonne décision ? » un participant un peu espiègle me répondit :
« C’est la décision qu’aurait prise le patron s’il avait été à notre place ». J’appris ensuite que
ce trait d’humour était récurrent en entreprise. Il révèle en tout cas la réalité du transfert
de pouvoir. Le principe de délégation en vigueur au sein de la majorité des entreprises
n’accepte qu’une prise d’initiative ultra-contrôlée. Ce contrôle passe par des
comportements bien formatés. Si intuitivement, prendre une décision dans le cadre d’une
délégation de pouvoir c’est penser qu’il faudra agir comme le leader l’aurait fait, nous
sommes bien dans le cadre de la méfiance déjà présentée au début de cette étude.
Ainsi, dès que l’on juge indispensable de placer des garde-fous une fois la délégation mise
en place, on affiche un signe évident de manque de confiance envers ses subordonnés.
Établir des procédures ultra-précises, destinées à parer à toutes les erreurs possibles, en
est le meilleur exemple. C’est en fait une extension de la supervision. Comme on ne peut
pas tout contrôler on installe des ridelles afin que les exécutants ne puissent pas se
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tromper et suivent le chemin prescrit. Effet pervers, comme le note David Marquet dans
son excellent ouvrage Turn the Ship Around !3, plus on limite la réflexion des employés, plus
le nombre d’erreurs s’accroît et l’on doit donc ajouter de nouveaux garde-fous. Si l’on
pousse plus avant le raisonnement, les « bonnes pratiques » imposées, sans laisser aucune
latitude aux opérationnels, sont aussi par définition des freins à la réflexion. Une délégation
sans confiance, ce n’est pas une délégation.
Et aujourd’hui ?
L’extension des procédures détaillées ultra-rigoureuses et le principe du poka-yoke étendu au-delà du raisonnable obéissent à
de nouveaux impératifs. Avec la mobilité et la multiplication des emplois temporaires, les opérationnels n’ont pas toujours le
temps de bien se former et d’intégrer les subtilités de leurs tâches. On leur demande donc de s’en tenir à suivre les procédures
sans autoriser le moindre écart pour parer à tout risque d’erreur.
Pour se faire une idée du degré de confiance que l’on accorde à son interlocuteur, il suffit de
confirmer ou d’infirmer chacune des quatre assertions suivantes. Cet outil fonctionne aussi
bien du point de vue de la direction que de celui des salariés.
• Fiabilité
Vous êtes parfaitement d’accord avec la proposition suivante :
Il n’a jamais failli par le passé, lorsqu’il s’engage, il respecte son engagement et
agit comme nous avions convenu, aucun doute à ce sujet.
• Crédibilité
Vous êtes parfaitement d’accord avec la proposition suivante :
L’interlocuteur mérite d’être cru, il sait de quoi il parle, on peut se fier à son
expertise professionnelle, il est parfaitement compétent sur ce sujet.
• Intimité
Vous êtes parfaitement d’accord avec la proposition suivante :
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Il n’a jamais trompé ma confiance par le passé et je sais que je peux aborder
avec lui des sujets précis sans aucun risque d’embarras. La discussion sera
constructive.
• Motivations personnelles
Vous êtes parfaitement d’accord avec la formulation suivante :
Il accorde la priorité à l’accomplissement des objectifs fixés pour le bien de
l’équipe et de l’entreprise. Je ne lui connais pas d’ambitions personnelles
contraires à cette finalité.
Les ambitions personnelles réduisent le potentiel de confiance, c’est pour cela qu’elles sont
placées au dénominateur. Évidemment, si l’on sait que l’interlocuteur accorde la priorité à
son intérêt personnel, la confiance s’érode quelque peu.
Cela dit, dans une société où la mobilité est devenue la règle, cette formule mérite d’être
sensiblement adaptée. Les femmes et les hommes de l’entreprise ont aussi une carrière à
construire. Ils cherchent donc naturellement à accomplir leurs propres ambitions. Tant
qu’ils s’efforcent de conjuguer leurs intérêts personnels avec ceux de l’équipe et de
l’entreprise pour réaliser la tâche assignée du mieux possible, ce n’est pas en soi un
problème. C’est d’ailleurs un facteur de motivation positif. En revanche, dès que l’on
commence à mettre en doute la franchise de son interlocuteur en lui prêtant des
motivations dissimulées contraires au bien commun, la confiance est définitivement
rompue quelle que soit la valeur assignée aux trois critères précédemment évoqués. C’est
Disposer d’un outil pour mesurer la confiance est nécessaire mais ce n’est pas suffisant. La
confiance ne se gagne pas sans quelques efforts préalables. Chaque critère précédemment
cité mérite d’être développé c’est évident. Mais la confiance en entreprise ne sera jamais
acquise si l’on n’instaure pas au préalable un principe de transparence en communiquant
les informations essentielles sans aucune réticence ni rétention.
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On commence par donner si l’on souhaite recevoir. Ce principe évident fonctionne aussi
pour la question de la confiance. Le partage de l’information en toute transparence est
l’étape fondamentale. Encore faut-il opter pour un mode de communication débarrassé de
son formalisme et des oripeaux officiels. Communiquer en toute franchise c’est aussi ne pas
hésiter à faire part de ses doutes et ne pas se contenter d’exprimer des certitudes. Il s’agit
en effet de parvenir à lever les préjugés sur la communication interne de l’entreprise.
Et aujourd’hui ?
Combien de chefs d’entreprise et de politiques ont perdu toute crédibilité en jouant avec les mots pour tenter de duper leur
auditoire ! Mais vos interlocuteurs ne sont pas plus bêtes que vous. Ils vont rapidement décoder le principe et une fois trompés,
ils mettront en doute tous vos propos quelle que soit leur véracité. Le lien est définitivement cassé.
La communication c’est aussi l’écoute. Il ne s’agit pas de prêter une attention faussement
intéressée aux propos de l’autre comme par bienveillance, tout en espérant qu’il termine au
plus vite pour enfin clore l’entretien à l’aide de propos convenus : « Je vous ai bien compris,
j’en prends bonne note, ne vous en faites pas, on réglera tout cela au plus vite, etc. » Chacun
d’entre nous connaît ces réponses toutes faites et vides de sens, révélatrices quelque part
de l’inanité de notre intervention. L’écoute attentive au contraire, c’est justement profiter
des remarques, commentaires et retours d’expériences de tout un chacun pour enrichir le
capital d’intelligence collective de l’entreprise. Une bonne écoute n’est pas uniquement
attentive, elle est aussi active. C’est alors une discussion. Celui qui écoute commente et, le
cas échéant, invite son interlocuteur à préciser son propos. Le questionnement ne doit pas
non plus être perçu comme une enquête policière, mais bien comme la volonté de
comprendre le point de vue, l’idée ou la récrimination de son interlocuteur. Il faut aussi
comprendre les difficultés, les peurs et les angoisses.
Les limites de la transparence et donc de la confiance
Instaurer un accès à l’information ouvert à tous n’est pas une règle fondamentale de
l’entreprise, tant s’en faut. Les informations qui confèrent un pouvoir de domination pour
celui qui les détient sont jalousement gardées. Elles marquent la limite entre une
transparence ouverte et assumée, et une transparence de façade destinée aux
communiqués marketing. Les difficultés d’instauration de la transparence de l’information,
et donc de la confiance, ne concernent pas uniquement les relations entre l’exécutif et les
opérationnels. Mises en concurrence au sein même de l’entreprise, les différentes unités,
divisions ou équipes projet, sont tout aussi réticentes à partager les informations,
financières notamment. Il est un peu risqué dans ce cas de se reposer uniquement sur un
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esprit de loyauté réciproque pour bâtir un système complexe de pilotage réparti. Aussi est-
il plus prudent de verrouiller la question de la confiance à l’aide d’un filet de secours. Pour
rassurer chacune des parties, on redécouvrira les avantages indéniables d’un contrat
formalisant des engagements fermes et définitifs.
Il est aussi vrai que nous sommes actuellement dans une phase de mutation de la société.
Les nouvelles générations sont vraisemblablement plus sensibles à cette notion
contractuelle des relations entre la direction et les salariés. Ce changement de
comportement s’explique aisément. Il n’est plus guère possible de réaliser toute sa carrière
dans une même entreprise. D’ailleurs, ce n’est plus vraiment une ambition. Les salariés
d’aujourd’hui ont plus soif de changement et d’évolution rapide, d’une certaine forme de
liberté. Il faut, dit-on, construire son « employabilité ». D’où un intérêt croissant pour les
approches de type contractuel, où la relation avec l’employeur et l’ensemble des
partenaires de l’entreprise est du type « donnant-donnant », une expression moins
galvaudée, plus concrète et moins trompeuse que le sempiternel « gagnant-gagnant ».
En résumé
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Un contrat, c’est un filet de sécurité. Bien préparé, il peut devenir l’instrument du renforcement de la confiance. Chaque partie
se sent liée par cet accord. Chacune est alors assurée que l’autre partie respectera ses responsabilités ainsi précisées 8. On peut
donc s’engager. Le contrat ne remplace pas la culture du travail bien fait et la satisfaction de la mission accomplie, il la
complète.
1Page 178.
2Le poka-yoke est un terme japonais que l’on peut traduire en français par « prévention d’erreur » ou plus
simplement « détrompeur ». La disposition des broches d’une prise électrique qui impose un seul mode de
branchement est un bon exemple. Le poka-yoke est parfaitement utile dans ce type d’utilisation simple.
3David Marquet, Turn the Ship Around ! A True Story of Turning Followers into Leaders, Portfolio Penguin, 2013.
4David H. Maister, Charles H. Green, Robert M. Galford, The Trusted Advisor, Free Press, 2001. À noter, Vineet Nayar
auteur de Les Employés d’abord, les clients ensuite, déjà mentionné, utilise la même formule pour établir un
climat de confiance dans l’entreprise HCL Technologies.
5Op. cit.
6Philippe d’Iribarne, La Logique de l’honneur, Seuil, 1989.
7Les Français sont adeptes du système D, dit-on. Une pratique bien utile pour combler l’écart entre le prescrit et le
réalisable. Pour la bonne cause, bien entendu. La satisfaction du travail bien fait et de la mission accomplie en
dépit des impondérables est toujours une source de motivation, même si la folie de la normalisation limite
drastiquement les degrés de liberté.
8Toutes les entreprises ne respectent pas les accords passés avec les salariés. Continental à Clairoix (Oise) ou plus
récemment Whirlpool à Amiens (Somme), pour ne citer que celles-ci, ont rompu unilatéralement les
engagements contractuels avec les conséquences que l’on connaît pour un bassin d’emplois déjà fort sinistré.
Avec ces précédents, l’on peut comprendre les réticences des salariés à signer des accords contraignants. Ce
n’est pas avec des pratiques de ce type que l’on accédera à des relations plus saines et donc plus productives.
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11.
Mais qui dit « action » doit aussi entendre «
reconnaissance », seconde clé de voûte de la démarche
Responsable 20 %
Exécution 15 %
Exécution 15 %
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Exécution 20 %
Conseil 10 %
Être responsable n’est pas un vain mot. Il s’agit de répondre de ses actes ainsi que de ceux
de toute personne placée sous son autorité. Autant s’assurer de disposer de toutes les
cartes en main. Selon la complexité des actions à mettre en œuvre, il est parfois prudent de
se livrer à une courte analyse des risques et des menaces potentielles pour éviter de se
lancer sans filet. Le responsable avisé prendra le temps d’enquêter afin de lister les
éléments de réponse à la question : « Qui ou quoi pourrait me gêner ou m’empêcher de
conduire à son terme l’action dont j’ai la responsabilité ? »
Mais il ne suffit pas de définir des objectifs et d’établir des fiches d’action précises et
réalistes. Encore faut-il que la volonté d’atteindre ces objectifs soit suffisamment
entretenue pour que les salariés trouvent l’énergie de dépasser les obstacles et de vaincre
les moments de découragement. Autrement dit :
Je veux bien me défoncer, encore faut-il me dire pourquoi !
Le fonctionnement de l’entreprise ne repose pas que sur des normes et des procédures,
tout n’est pas programmable. L’entreprise produit, s’améliore et devient plus efficace
uniquement grâce à la volonté des femmes et des hommes d’accomplir au mieux leur tâche
assignée. Il n’y a guère besoin de passer trop de temps au cœur d’une entreprise pour
comprendre comment elle fonctionne. La large majorité des acteurs de l’entreprise
s’efforcent, lorsqu’il le faut, de transgresser leur fiche de fonction. Ils communiquent des
informations essentielles, échangent des analyses, partagent leur expérience et leurs tours
de main. On connaît bien les méfaits de la grève du zèle. Dès que les salariés d’une
entreprise, ou plus généralement d’une organisation, appliquent les règles et procédures à
la lettre, au mieux le taux d’efficacité plonge, au pire l’organisation est paralysée. Pas de
vision idyllique pour autant. Les tire-au-flanc, les incompétents, les râleurs, les fraudeurs,
les profiteurs et autres opportunistes, sont bien présents au sein de toutes les
organisations. C’est un fait. La rumeur existe aussi et elle circule fort bien. On n’échappe pas
si facilement à la médiocrité. Mais toute organisation fonctionne ainsi.
Les salariés les plus constructifs apprennent rapidement à reconnaître et à se méfier des
éléments perturbateurs. C’est d’autant plus vrai au sein d’une entreprise qui pratique un
management moins distant et donc plus humain, et qui de surcroît connaît la valeur du mot
« reconnaissance ».
Dites-moi que vous aimez ce que je fais
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En fait, ce n’est pas bien compliqué. Vous aimez vous sentir considéré ? Vous êtes
exactement comme tout le monde. Le besoin de considération est justement un des ciments
de la vie sociale.
La citation qui interpelle
« La notion de reconnaissance permet de mieux rendre compte de la manière dont se résolvent les conflits individuels et
sociaux que ne le feraient les notions d’intérêt, d’appétit de pouvoir ou les principes abstraits comme l’amour, l’égalité ou
la liberté. »
Pour se construire une image positive de soi-même, on se fie au regard que les autres
portent sur nous. Les jugements flatteurs nous ennoblissent, les dénigrements nous
mortifient, l’indifférence nous obsède. Elle nous laisse dans le doute, elle peut parfois même
être interprétée comme une forme de mépris. Chaque individu d’un collectif éprouve le
besoin de se sentir utile, de comprendre que sa contribution est considérée à sa juste
valeur, en tout cas celle que lui estime intimement.
Et aujourd’hui ?
L’indifférence, trop courante dans l’entreprise, engendre des frustrations, des résignations, des résistances, voire des rejets.
La reconnaissance des autres, de la hiérarchie bien sûr, mais aussi des collègues du groupe
et des partenaires de travail, est une brique essentielle pour construire une estime de soi
digne de nos attentes. Reconnus, nous avons conscience d’accomplir un travail utile et nous
nous sentons valorisés par notre entourage.
C’est dit !
L’estime de soi renforce la confiance en soi.
C’est une clé de la survie en entreprise. Elle est indispensable pour résister aux
influenceurs persuasifs et défendre son point de vue, sans trop subir la pression du groupe
dans le cas d’un débat ou d’une prise de décision collective. Il est clair que les individus qui
ont une faible estime d’eux-mêmes sont rarement les premiers à s’engager en terrain
inconnu. Ils sont généralement réticents à sortir du quotidien et craignent les changements
d’habitudes. D’où l’importance de développer la question de la reconnaissance en
entreprise pour dynamiser la prise d’initiative, sans laquelle aucune innovation n’est
envisageable et donc aucune démarche de progrès n’est concevable 2.
Mais quelle reconnaissance ?
La reconnaissance des résultats n’est pas suffisante. L’effort fourni et les compétences
déployées méritent tout autant d’être reconnus à leur juste valeur. La reconnaissance est
un tout. Les vrais professionnels affichent une certaine fierté à bien faire leur travail, quitte
à aller au-delà du rôle qui leur est assigné et à transgresser (un peu) les procédures. C’est
cela qu’il s’agit de reconnaître, de valoriser, de renvoyer une image positive et donc
encourageante envers tous ceux qui se démènent, et donnent toute leur énergie pour
remplir du mieux possible leur mission. Ce ne sont pas les mesures aussi précises soient-
elles qui renverront une image exacte de cet effort au quotidien.
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Témoignage
Il y a déjà quelques années, j’intervenais sur un projet en déroute au sein d’un atelier de mécanique de précision. Le
manager en poste avait développé une « chiffromanie aiguë » pour le moins pathologique. Il ne faisait confiance qu’à la
mesure et à ses deux corollaires, la pression du temps et la course aux prix bas, sans tenir compte du professionnalisme de
ces vrais artisans et de la qualité du travail réalisé. Il est vrai que l’atelier concerné méritait une sérieuse réorganisation.
Mais il n’était pas envisageable de l’aborder sans discernement.
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Au cours de l’entretien d’évaluation, le manager n’hésitera pas à montrer franchement qu’il considère son subordonné.
Sans se focaliser exclusivement sur la performance, il s’intéresse attentivement à sa contribution dans le processus de
création de valeur et écoute ses remarques et suggestions, notamment sur les améliorations à apporter telles que les
moyens nécessaires ou encore les tâches inutiles.
Attention, si dans la foulée il n’y a pas de changement perceptible, ce questionnement sera perçu comme un jeu de dupes !
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Une communication simple et informelle bien conduite pour rétablir la confiance lèvera la plupart des incompréhensions et des
malentendus, sans pour autant que l’on soit certain de satisfaire tout le monde. Les humains sont ainsi.
Sans un droit à l’erreur bien défini, aucune personne sensée ne se risquera à affronter
l’éventualité de ne pas réussir. Elle rechignera à prendre des initiatives, et évitera
d’expérimenter d’elle-même de nouveaux procédés, de nouvelles méthodes ou de
nouveaux outils pour ne pas endosser la responsabilité d’un possible échec. L’autonomie
n’est alors qu’une dénomination vide de sens. Si le droit à l’erreur est livré à l’arbitraire
d’un manager, lui-même dans le doute et l’incertitude, les plus intrépides se
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Les innovateurs ne démarrent pas le processus avec une idée bien arrêtée. Ils privilégient plutôt le principe des « petites
expériences » et progressent selon un principe d’essais/erreurs. Chacune de ces expériences est un petit pari. On se lance,
on essaie puis on juge ensuite si l’idée est bonne ou pas. Les échecs ne sont pas considérés comme des fautes. Au contraire,
c’est l’occasion de mieux saisir les subtilités du contexte et de se réorienter en connaissance de cause. Les échecs sont un
facteur de rebond, parfois le déclencheur d’une bien meilleure idée. Un principe encore mal perçu en entreprise.
Malheureusement.
1Une fiche d’action type est disponible avec les compléments de l’ouvrage L’Essentiel du tableau de bord, Eyrolles, 5e
édition, 2018. Ces compléments sont en accès libre et téléchargeables à cette adresse : http://tb2.eu/p7
2Le lecteur intéressé par la question de la reconnaissance profitera de la lecture du petit fascicule La
Reconnaissance. Des revendications collectives à l’estime de soi, Sciences Humaines, collection La Petite
Bibliothèque de Sciences Humaines, 2013 et disponible en version e-book sur le site de l’éditeur.
3Les logiciels open source non plus n’auraient jamais vu le jour. La majorité des serveurs Web reposent sur des
outils open source, comme Linux et Apache, développés en premier lieu par des passionnés bénévoles. Le
catalogue d’outils open source est aujourd’hui particulièrement étoffé et les entreprises utilisatrices,
parfaitement conscientes de la qualité des développements originaux, ne s’y trompent pas.
4Cela dit, Taylor pensait satisfaire les intérêts des ouvriers en versant des salaires significativement plus élevés en
échange d’une disponibilité maximale aux limites du possible. Il explique que sans ces augmentations (60 à 90
% tout de même), il sera difficile d’obtenir le rendement demandé. Les ouvriers sont donc a priori heureux de
gagner un salaire très supérieur à la moyenne. Il est assez symptomatique de noter que le préfacier de la
traduction française de 1912, le célèbre chimiste Henry Le Chatelier, l’un des principaux supporters français de
la méthode scientifique, juge que cette augmentation de salaire est une erreur. Voici son raisonnement : en
appliquant cette méthode révolutionnaire, la productivité augmente significativement. Grâce aux économies
d’échelle ainsi réalisées, les prix des produits vont sérieusement chuter et les ouvriers en profiteront. À salaire
égal leur pouvoir d’achat sera donc plus important… Le patronat français a bien sûr unanimement salué cette
explication opportune. Comme quoi il y avait nettement pire que la méthode scientifique de Taylor : ses
supporters français.
5Douglas McGregor, The Human Side of Enterprise, Annotated Edition McGraw-Hill Professional, 2006.
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6Cindy Ventrice, auteur de l’ouvrage Make their Day!, précise toutefois qu’accompagnée d’un commentaire flatteur
(« bravo, c’était difficile, votre talent mérite d’être récompensé ») et d’un sincère « merci », la prime est alors
effectivement considérée comme une marque de reconnaissance. Dans une entreprise où la confiance est déjà
bien établie, ces quelques compliments auront certainement un effet positif sur les performances à venir.
7Le livre de Bob Nelson, 1501 Ways to Reward Employees (Workman Publishing, 2012), est une mine d’exemples
illustrés pour les managers un peu à court d’idées.
8Lire à ce sujet, La Vérité sur ce qui nous motive, Daniel Pink, Flammarion, 2016.
9Voir notamment l’ouvrage de Tony Hsieh, fondateur de Zappos, L’Entreprise du bonheur, Leduc, 2011.
10Les formations proposées ne sont pas uniquement dans l’intérêt immédiat de l’entreprise, comme une formation
au nouveau logiciel de gestion maison, mais bien en priorité pour l’intérêt du salarié et de sa carrière. La
question de la promotion est une option plus délicate pour nombre de PME : les postes à responsabilité sont
déjà occupés…
11Nous développerons ce thème au chapitre 14.
12En revanche, le droit à l’erreur ne doit pas permettre de ne pas apprendre de ses erreurs. Si commettre une
erreur alors que toutes les précautions ont été prises est tout à fait admissible, réitérer les mêmes erreurs est a
priori une faute impardonnable.
13Peter Sims est l’auteur de Little Bets: How Breakthrough Ideas Emerge from Small Discoveries, Simon & Schuster,
2013.
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12.
Choisir les bons indicateurs de performance
L’indicateur est loin d’être neutre, il est même quelque part performatif. Non seulement il
reflète l’état d’une situation, mais il structure aussi notre cadre de pensée et oriente
l’action. C’est d’ailleurs là son rôle. Les voies d’amélioration ont été soigneusement
identifiées, elles sont matérialisées par les objectifs tactiques choisis à l’étape précédente.
Les indicateurs canalisent notre perception sur les seuls aspects de la performance ainsi
ciblés. Ils font abstraction de tout ce qui pourrait risquer de nous dérouter de notre
mission. C’est dire s’ils doivent être bien sélectionnés. Ainsi, choisir un indicateur
générique parce qu’il est habituellement utilisé par la profession n’est pas la décision la
plus judicieuse. Il peut être tentant pour un responsable logistique d’adopter sans plus de
réflexion un indicateur incitant à réduire drastiquement les stocks. C’est un indicateur
classique de la profession. Cependant, si la stratégie choisie vise à fidéliser ses clients par
une disponibilité à toute épreuve et des livraisons sans délai d’attente, ce n’est peut-être
pas un choix très astucieux. Il est évidemment important de limiter les stocks, ils
représentent un coût conséquent. Mais sans un stock raisonnable, l’objectif stratégique est
impossible à atteindre. Un indicateur oriente toujours l’action. Cet indicateur choisi par
habitude risque de détourner ce responsable de sa mission. Il ne sera plus question d’agir
pour fidéliser les clients, mais bien de réduire les stocks par tous les moyens disponibles.
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Taux de réclamations 3 3 3 3 3 3
La procédure est en tout point similaire à celle que nous avons utilisée pour choisir les
objectifs les plus pertinents. Les suggestions des membres de l’équipe chargés de suivre les
indicateurs et d’atteindre les objectifs sont ventilées selon les six critères que nous allons
détailler un peu plus avant.
Seules les propositions d’indicateurs maximisant l’ensemble des critères sont retenues. Là
encore, une échelle à quatre niveaux s’impose. Un indicateur doit être suffisamment précis
et univoque pour que chacun puisse s’y référer sans qu’il existe la moindre opportunité de
quiproquo. Le premier indicateur en exemple sur ce tableau est bien trop vague pour être
retenu. Il fut un temps pourtant, où c’était un incontournable des tableaux de bord des
entreprises, conçus sans une véritable réflexion, et donc totalement inutiles1.
Orienté : l’indicateur est orienté selon l’objectif choisi
L’indicateur de performance est un instrument de mesure. Il doit impérativement
s’exprimer dans une unité en accord avec l’objectif choisi. L’indicateur mesure la
progression et oriente les efforts dans le bon sens, c’est-à-dire dans le sens de l’objectif
sélectionné.
Constructible : l’indicateur est relativement facile à construire
Toutes les informations nécessaires à sa construction sont disponibles ou le seront à court
terme. L’algorithme de calcul n’est pas trop complexe et ne fait pas appel à des fonctions un
peu absconses. Tout un chacun peut comprendre la manière dont cet indicateur est
construit. C’est aussi une question de confiance. Dès que le décideur commence à douter
des éléments utilisés pour construire cet indicateur, il ne lui accordera aucune confiance.
La question de la consolidation des données intervient aussi à ce stade. Les données en
provenance d’autres activités, ou d’entités extérieures, méritent d’être considérées avec un
minimum de précautions. Il est en effet essentiel de bien comprendre à quoi se rapportent
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précisément ces données si l’on souhaite en tirer profit. Ceux qui produisent ou utilisent
régulièrement ces données en connaissent les limites.
Exemple
Une information en provenance d’une filiale régionale est ainsi libellée « Chiffre d’affaires global ». Ce libellé est en fait erroné.
L’information remontée n’intègre pas les résultats d’une ou de plusieurs boutiques récemment intégrées dans le réseau. La
direction régionale est au courant et en tient compte. Elle sait qu’elle doit la cumuler avec les résultats de chacune des
boutiques. Cette information transmise au siège telle quelle, sans plus de précaution, sera globalisée avec d’autres résultats
pour bâtir un indicateur faux.
Exemple
Décider du bon moment pour une opération boursière, un acte d’achat ou de vente, ce peut être une question de minutes, voire
de secondes2. S’il s’agit d’exploiter le chiffre d’affaires réalisé par une filiale, on pourra se contenter du dernier rapport mensuel.
Les cycles financiers sont des cycles plus lents. Avec l’intensification du numérique, la production de rapports s’est
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sérieusement accélérée sans pour autant apporter plus d’informations. Les résultats financiers sont donc publiés
impérativement à une échéance plus longue, afin d’intégrer toutes les informations qui mettent parfois plus de temps à
parvenir (cycles de ventes, délais de paiement, remboursements, crédits…).
Il est assez tendance d’inclure sous le vocable péjoratif « d’indicateurs rétroviseurs » les
informations issues des rapports comptables. « On ne pilote pas l’avenir en regardant le
passé » affirment quelques radicaux un peu excessifs en matière de pilotage d’entreprise.
C’est partiellement juste. Une donnée de résultat échu est orientée sur le temps passé, et
révèle, a priori, bien peu d’information sur le futur. Mais elle est porteuse d’une information
utile pour des démarches d’amélioration à plus long terme. Si le cycle de rafraîchissement
de l’information est en phase avec le cycle de décision, elle peut être intégrée au sein d’un
indicateur plus global si besoin est. Elle sera aussi pertinente pour équilibrer des
indicateurs plus dynamiques. À voir au cas par cas.
À titre d’analogie, les économistes utilisent les notions d’indicateurs avancés, d’indicateurs
retardés et d’indicateurs coïncidents.
• Les indicateurs avancés sont tournés vers l’avenir afin de mieux anticiper les tendances à
plus long terme.
La mesure du moral des ménages est un indicateur avancé du taux de consommation à
venir. Si les ménages ont le moral, ils augmentent leur consommation et vice versa. Ce ne
sont pas les indicateurs les plus faciles à interpréter. Et les raccourcis ne servent pas la
science. Ainsi l’information sur le moral des ménages mérite d’être corrélée avec le taux
d’inflation ou l’accès au crédit, ou encore l’indice des prix à la consommation, avant d’en
déduire des généralités. Il n’est pas aisé d’offrir une juste interprétation des tendances
économiques sans se fourvoyer en des conjectures plus ou moins bien étayées.
• Les indicateurs retardés apportent un regard sur le passé, ce sont des éléments concrets
de la réalité des tendances des marchés.
Le produit intérieur brut (PIB) ou le taux de chômage sont des indicateurs retardés.
• Les indicateurs coïncidents mesurent l’activité économique, ils sont en phase avec les
marchés.
L’indice de la production industrielle est mis à jour chaque mois par l’Insee, c’est un
indicateur coïncident.
Les trois types d’indicateur sont tout autant indispensables pour étudier avec précision les
tendances des marchés dans la continuité et faciliter la prise de décision3.
Coût acceptable : l’indicateur est obtenu à un coût compatible avec l’enveloppe
budgétaire
Pour construire un indicateur, il peut être nécessaire d’engager des travaux qui parfois
s’avéreront bien plus coûteux que prévu. Les exigences de qualité des données utilisées à
des fins décisionnelles sont en effet sans commune mesure avec celles généralement
admises pour un usage de production. Le nombre de données erronées contenues dans un
système d’information quel qu’il soit dépasse très largement les pires prévisions. La
correction des erreurs et des incohérences a un coût loin d’être négligeable. S’il s’avère
indispensable d’envisager la construction d’une infrastructure technologique spécifique
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pour récupérer des informations qui ne sont pas encore intégrées dans le système
d’information, le budget risque d’être dépassé avant même d’avoir commencé le projet
proprement dit. Ces coûts ne sont jamais prévus à leur juste valeur dans l’enveloppe
budgétaire du projet. C’est d’ailleurs l’une des principales causes d’échec des projets
décisionnels.
CONSEIL
Le mieux est de lancer une sérieuse réflexion collective pour juger de la nécessité des indicateurs les plus difficiles à
construire. Il peut parfois être ainsi utile de faire l’impasse sur des indicateurs dont l’apport au processus décisionnel ne
justifie pas le coût de construction.
Le soupçon peut, par exemple, porter sur les chiffres transmis par une filiale, dont le gestionnaire, à tort ou à raison, ne
bénéficie pas d’une renommée d’intégrité et de loyauté à toute épreuve. Si le décideur sait qu’un indicateur de performance
essentiel est construit avec les données transmises par cette filiale, on peut facilement comprendre qu’il n’accorde pas toute
confiance à l’information indiquée.
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La jauge
La jauge de type tachymètre est incontournable. C’est le graphique idéal pour évaluer la
progression vers un objectif quelle que soit l’unité de mesure choisie (durée, coût, quantité,
etc.). L’information est claire, riche de sens et compréhensible pour tout un chacun. On
réservera ce type de graphique pour représenter exclusivement les indicateurs dont on
doit suivre précisément la progression. Il ne s’agit pas de singer le cockpit d’un Boeing 747.
Le feu de signalisation
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Les indicateurs de type « alerte », souvent représentés par un feu de signalisation ou feu
tricolore, sont tout aussi indispensables pour indiquer un dysfonctionnement tel qu’un
problème de trésorerie, une chute du volume des ventes ou une augmentation du nombre
de retours client, bref toutes informations qui exigent une réaction immédiate. Il est
toutefois prudent de ne pas multiplier le nombre d’indicateurs d’alertes de ce type sur un
tableau de bord au risque de le dénaturer et de le réduire à un simple concentrateur
d’alarmes. En toute logique, pour une équipe de décideurs donnée, le nombre d’alarmes
exigeant une réaction immédiate doit être limité.
La courbe
Pour suivre l’évolution d’une ou plusieurs valeurs dans le temps, la courbe s’impose. La
représentation sous forme de courbe donne aussi une bonne idée des tendances pour
mieux anticiper. Pour éviter les incompréhensions et les falsifications, l’échelle et les
valeurs d’axes sont parfaitement visibles.
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Le diagramme en aires empilées est un bon outil pour comparer les variations de plusieurs
grandeurs dans le temps.
D’un simple coup d’œil, on perçoit les différences au fil du temps entre les grandeurs
présentées. Par exemple, un responsable commercial l’utilisera pour suivre
comparativement l’évolution des ventes par produit.
L’histogramme
L’histogramme, comme son intitulé l’indique clairement, permet de bien visualiser dans le
temps les variations d’une grandeur. Toujours en poursuivant avec l’exemple du
responsable commercial, c’est un graphe simple et fort utile pour suivre les variations des
ventes au fil des mois.
Le graphique secteur
Le graphique par secteur est destiné à l’étude des proportions des composantes d’une
grandeur particulière. Le responsable commercial visualise ainsi les proportions de chacun
des produits dans le chiffre des ventes mensuels global pour une région donnée.
Le graphique en anneaux
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Le graphique en anneaux est particulièrement adapté pour comparer les valeurs prises par
des entités équivalentes, comme les ventes réalisées par deux succursales par exemple. Il
est aussi utile pour comparer d’un simple coup d’œil les résultats par rapport aux
prévisions. Le cercle intérieur présente les résultats et le cercle extérieur matérialise les
prévisions.
Le graphique à bulles
Le graphique radar
Le graphique type radar est bien pratique pour visualiser les multiples caractéristiques
d’une grandeur donnée. La toile d’araignée ainsi tracée est la signature en cet instant de
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cette grandeur que l’on souhaite mieux identifier. Les forces et faiblesses apparaissent
clairement.
Ce ne sont là que des exemples parmi les plus connus. En règle générale, on évite d’afficher
des tableaux de données. On préfèrera toujours les graphiques qui assurent une
compréhension plus synthétique et plus rapide de l’information.
Règle numéro 3 : Informer les utilisateurs
Il ne faut jamais oublier d’informer les utilisateurs du tableau de bord des particularités
d’un indicateur donné. La fonction commentaire, disponible sur bien des outils y compris le
tableur Excel de Microsoft, est justement prévue pour cela. Autant l’utiliser pour éviter les
contresens. Ainsi, il peut être tout à fait opportun d’utiliser l’effet loupe en ne démarrant
pas l’échelle à zéro d’un diagramme pour mieux visualiser les différences. La fonction
commentaire informera l’utilisateur que cet artifice est utilisé à dessein, et qu’il ne s’agit
pas dans ce cas de tromper son auditoire comme nous l’avons vu au chapitre 4, avec les
figures 9, 10, 11.
Règle numéro 4 : Éliminer le bruit
La recherche d’esthétique ne doit en aucune manière empiéter sur l’ergonomie et le confort
d’utilisation de l’outil. Éviter autant que possible tous les gadgets et fioritures pauvres en
information. Ils surchargent le tableau de bord et affaiblissent le rôle des indicateurs qui de
ce fait sont moins en évidence. Simplifier au maximum est bien la règle la plus précieuse du
concepteur de tableaux de bord, elle n’est malheureusement pas toujours suivie.
Edward Tufte, statisticien et professeur émérite américain déjà mentionné dans cet
ouvrage, recommande de calculer le « data-ink ratio » afin de bien évaluer le taux
d’informations utiles par rapport au bruit de fond qui perturbe la compréhension du
message. Edward Tufte recommande ainsi de supprimer le quadrillage sur les graphiques,
tout comme les couleurs de fond, quand ils ne facilitent pas la compréhension de
l’information.
Pour ne pas troubler les utilisateurs, il est impératif de respecter les règles intuitives du
code des couleurs. Ainsi, la couleur verte est impérativement réservée pour représenter les
valeurs porteuses d’un sens positif. La couleur rouge sera utilisée pour les valeurs
négatives ou de danger. La couleur orange ou jaune servira pour signaler une dérive
comme dans le cas du feu tricolore vu ci-dessus.
Règle numéro 5 : Équilibrer le tableau de bord
Comme nous l’avons vu au cours de cette étude, un indicateur se suffit rarement à lui-
même. Pour que l’information soit complète, il mérite dans bien des cas d’être
contrebalancé par un autre indicateur. Ainsi, pour reprendre un exemple trivial déjà cité,
un manager de projet qui souhaite accomplir dans les meilleures conditions sa mission ne
se contentera pas du seul indicateur d’avancement du projet. Il le complètera dans la même
vue d’autres indicateurs comme une mesure des dépenses et de la consommation du
budget et d’une évaluation du moral de l’équipe.
Ces cinq premières règles visent un seul et même objectif : concevoir un outil où il suffit
d’un seul coup d’œil pour saisir les informations essentielles.
Règle numéro 6 : Élaborer les vues de détail
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Le tableau de bord ne sert pas qu’au constat. Il doit aussi offrir des pistes pour mieux
comprendre une situation précise. Avec un tableau de bord bien conçu, l’utilisateur accède
à une vue de détail d’un simple clic sur un indicateur. Cette vue de détail présente des
éléments d’explication du phénomène constaté sur la vue principale.
Dans cette phase d’utilisation de l’outil, le décideur est alors plus attentif pour analyser les
données composant l’indicateur. Ces données sont présentées sous forme de graphiques,
mais aussi structurés en tableaux.
Pour enrichir les tableaux et mettre en évidence les données significatives, le concepteur
exploitera avec profit les « sparklines », une géniale invention de Edward Tufte déjà
mentionnée ci-dessus. Les sparklines sont des micro-graphiques qui tiennent en une cellule
du tableau. Ils reflètent la tendance des données chiffrées, soit sous forme de barres, de
courbes ou d’une simple signalisation des valeurs positives et négatives. Ils sont
particulièrement utiles pour saisir rapidement l’information portée par une série de
données4. S’il est hautement recommandé de ne prévoir qu’une seule vue de signalisation,
le nombre de pages de détail n’est pas limité tant qu’elles fournissent le maximum
d’éléments concrets pour analyser un disfonctionnement.
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d’utilisation, puis répété tous les six mois, est une bonne base de travail. Au cours de cet
audit, on se posera la question de la fréquence d’utilisation du tableau de bord, de son
adéquation avec les attentes, et du degré de confiance que les décideurs accordent à cet
outil essentiel.
Un peu de pragmatisme
Si en France, on aime bien théoriser et mathématiser les problèmes, les Anglo-Saxons, et
surtout les Américains, privilégient l’expérimentation rapide. Le pragmatisme n’est pas la
solution universelle. En revanche, pour une recherche de solutions aux risques limités, il
est bien plus judicieux d’expérimenter sans tarder trop longtemps. L’indicateur n’est pas
parfait ? Essayons-le tout de même ! On apprendra, on progressera, et si ça ne marche pas,
nous saurons pourquoi. Nous serons alors plus instruits pour trouver une meilleure
solution.
Désormais, le décideur ou l’équipe de décideurs est en mesure d’orienter son action et
dispose d’un tableau de bord de référence, pour évaluer le progrès et donc la performance.
Nous sommes maintenant parfaitement armés pour aborder la question de la prise de
décision.
1Tous les indicateurs sont impérativement répertoriés : une fiche « indicateur » type est disponible avec les
compléments de l’ouvrage, L’Essentiel du tableau de bord, op. cit. Ces compléments sont en accès libre et
téléchargeables à cette adresse : http://tb2.eu/p7
2… ou de microsecondes pour le trading haute fréquence, mais qui ne fait pas intervenir d’humains.
3L’économie n’est pas une science exacte. Les indicateurs ne sont pas tous univoques. Les interprétations du sens
porté par lesdits indicateurs animent les débats entre économistes, chacun convaincu d’avoir opté pour la
bonne école de pensée et donc d’être au fait de la vérité. Le management n’est pas non plus une science exacte.
Les indicateurs ne sont pas des informations universelles. C’est bien pour cela que les indicateurs doivent être
utilisés uniquement par ceux qui sont tenus de prendre les décisions de terrain.
4Pour plus d’informations sur les sparklines, consultez la page : http://tb2.eu/p13
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13.
Les indicateurs de performance ne sont utiles que si
l’on s’en sert pour prendre des décisions
Les automates remplacent une bonne part du travail manuel depuis déjà quelques
décennies. Les « algorithmes1 » s’apprêtent à remplacer à leur tour, à plus ou moins long
terme, toutes les tâches intellectuelles répétitives et automatisables. Il existe pourtant deux
domaines qui seront toujours inaccessibles aux machines aussi sophistiquées soient-elles.
Le premier, c’est celui de la prise de décision. Non pas le calcul que l’on peut résoudre avec
des arbres de décision ou des algorithmes d’autoapprentissage, mais la vraie décision, celle
que l’on doit prendre en un contexte aussi complexe qu’incertain. Décider, c’est s’engager
en un territoire qui n’est que très partiellement balisé. On ne sait pas ce que l’avenir nous
réserve, et l’on ne dispose pas non plus de la totalité des informations pour mieux cerner la
situation présente. La décision est une prise de risques. Et ce n’est pas le big data qui
changera quoi que ce soit à cet état de fait. Nous ne serons jamais pleinement informés,
c’est ainsi. Seulement, nous les humains, nous sommes bien mieux équipés que les
machines pour décider. C’est, en effet, en nous appuyant sur notre sphère émotionnelle et
notre sensibilité affûtée par notre expérience acquise au fil des années, que l’on sait
discerner une voie possible dans un brouillard entropique généralisé. Bref, on anticipe.
La citation qui interpelle
« Anticiper, ce n’est pas seulement prévoir ; c’est beaucoup plus que prédire ce que sera le prochain événement. C’est plus
que faire face au prochain événement, c’est créer le prochain événement. »
Le second thème inaccessible aux machines, un thème qui rejoint quelque part le premier,
c’est notre capacité à échanger et à partager naturellement des informations. Il ne s’agit pas
d’informations bien formatées comme deux unités centrales peuvent en échanger, mais des
suppositions, des sentiments ou des émotions. C’est ainsi que depuis l’origine des temps,
les humains mènent leur barque en environnement complexe et incertain.
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Décider, c’est effectuer un choix qui nous engage dans une direction donnée et nous
contraint à l’action. Décider n’est pas toujours facile. Il ne suffira pas de peser le pour et le
contre pour ne pas se tromper. Décider, c’est aussi parfois devoir choisir entre plusieurs
alternatives alors qu’aucune ne se distingue réellement. Ce dilemme est encore plus
exacerbé en temps d’incertitude. Les éléments disponibles pour juger de l’opportunité de
l’une ou l’autre option sont insuffisants pour décider sans coup férir. Pour pimenter un peu
plus s’il était nécessaire, ajoutons que la décision n’est possible que dans une certaine unité
de temps. Il faut donc savoir exploiter au mieux les seules informations disponibles durant
la fenêtre de décision. Exploiter une information confidentielle pour profiter d’une
opportunité boursière ne dure qu’un temps. Une fois l’information connue de tous, il est
trop tard pour s’engager, la fenêtre de décision est déjà fermée.
En résumé
Pour décider, il faut savoir trancher, c’est-à-dire opter pour une alternative et faire son deuil des autres possibilités.
L’étymologie de « décider » est justement le verbe « trancher » (Le Robert).
Cela dit, fort heureusement d’ailleurs, toutes les prises de décision en entreprise
n’atteignent pas un stade paroxystique. Les professionnels dans l’entreprise prennent de
nombreuses décisions au quotidien. Vues de l’extérieur, elles peuvent parfois sembler
délicates alors qu’elles sont le plus souvent ce que l’on pourrait dénommer de la routine.
Rien de péjoratif dans ce terme. Prendre les décisions qui s’imposent, c’est justement ce qui
caractérise un professionnel qui maîtrise bien son métier. Il a suffisamment d’expérience
pour recomposer les informations manquantes et effectuer un bon choix. S’assurer que la
livraison sera faite à temps dans une logique de flux tendus, en gérant à l’optimum les
processus d’approvisionnement et de fabrication, ce sont des décisions assez courantes
pour les gestionnaires chargés de la bonne marche d’une chaîne logistique. Ce ne sont pas
nécessairement non plus des décisions de type « procédurales ». Il ne suffit pas de suivre le
mode d’emploi pour faire fonctionner une chaîne logistique complexe. Non, c’est tout de
même un peu plus compliqué que cela. Au quotidien, les gestionnaires affrontent des
décisions imprévues, et sont tenus de prendre les décisions de type ad hoc qui s’imposent.
Ils exercent leur métier, remplissent leur rôle dans la chaîne de production et assument
leurs responsabilités.
La démarche de progrès
La situation se complique sensiblement dès qu’il s’agit de sortir du quotidien pour
s’inscrire dans une démarche de progrès. Une fois les objectifs de performance choisis et
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pied du mur. Une non-décision n’est jamais sans conséquence : « Et alors, vous l’aviez bien
vu venir, vous vous doutiez bien que notre principal fournisseur allait nous lâcher, vous ne
pouviez pas basculer sur la seconde source d’approvisionnement en temps et en heure ? On
livre comment maintenant ? »
La décision est une prise de risque
Si le décideur mentionné à la ligne ci-dessus ne s’est pas engagé à changer de fournisseurs,
c’est peut-être aussi parce qu’il ne disposait pas de suffisamment de garanties de fiabilité
de cette seconde source d’approvisionnement. Face à l’incertitude, il n’a pas su estimer les
risques de ce choix et s’est donc abstenu. Il subit aujourd’hui les conséquences de sa
dérobade.
Les risques potentiels d’une décision ne sont pas toujours faciles à estimer. C’est pourtant
bien souvent cette estimation qui fait pencher la balance au moment de décider entre
plusieurs alternatives. Le risque n’est pas le danger. Le danger c’est ce qui nous menace, le
risque c’est la probabilité que le danger survienne. En entreprise, le risque de la décision se
mesure selon une double échelle qui évalue la probabilité de survenance du danger et la
gravité des conséquences dudit danger s’il se réalisait.
Un danger potentiel peut aussi être prévenu en prenant une assurance (cases (3,1), (2,2),
(1,3) par exemple). Un manager de projet choisira de renforcer son équipe par anticipation
s’il craint des complications à venir. Mais une assurance a un coût qu’il s’agira de
considérer au moment de prendre la décision. Le décideur avisé sait qu’il ne peut pas se
contenter de promesse : « Ne vous inquiétez pas, s’il le faut on fera intervenir quelques
spécialistes pour vous appuyer le moment venu. ». Le désir de réussir ne doit pas se
transformer en une confiance inconsidérée.
CONSEIL
Se souvenir du classique dicton régulièrement vérifié : « Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. »5
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Henri Fayol est le père putatif du management « moderne ». Bien que nous traversions
actuellement un moment difficile, il semblerait que les entreprises qui consentent à laisser
à leurs salariés une plus grande latitude que cette définition prise stricto sensu, ne sont pas
les plus nombreuses, tant s’en faut. Le contrat est vraisemblablement la meilleure solution
pour établir durablement un climat de confiance entre les salariés et leur direction. Mais il
y a bien peu de chance qu’il balise suffisamment la notion de liberté d’initiative, pour que
chacun apprécie les risques pris à sortir un tant soit peu des ridelles de la discipline.
Cas pratique
Une entreprise sous-traitante de l’industrie aéronautique a adopté une organisation en ateliers autogérés par les
opérationnels eux-mêmes. Un premier pas vers l’holacratie6 selon le cabinet d’organisation à l’origine de la restructuration
de l’entreprise. Cette courte étude porte sur la réalité du degré de liberté accordé à un atelier de presse à injection,
autonome selon la nouvelle organisation. Nous avons proposé un questionnaire aux membres de l’équipe et à l’ensemble
du management afin de tenter d’apporter une définition à la notion d’initiative pour cette entreprise.
2) Modifier l’ordre des lots de la journée de fabrication pour limiter les opérations de nettoyage et de réglage, est-ce aussi
une initiative acceptable ?
3) Réviser en profondeur le processus de production afin d’en améliorer l’efficacité en local, est-ce également une initiative
acceptable ?
4) Contacter directement son correspondant à la production chez un partenaire sous-traitant pour rechercher le moyen
d’améliorer le processus global, est-ce de même une initiative acceptable ?
5) Contacter son alter ego à la production chez un concurrent pour partager les subtilités des processus, est-ce toujours une
initiative acceptable ?
6) Exercer son droit de retrait en cas d’utilisation de produits toxiques ou considérés comme tels par l’OMS (Organisation
mondiale de la santé), est-ce encore une initiative acceptable ?
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7) Refuser d’exécuter un lot de pièces que l’on sait nécessaires à la fabrication d’un armement destiné à un pays en guerre
et dénoncé par Amnesty International, la ligue des droits de l’homme et une majorité d’ONG (organisations non
gouvernementales), sommes-nous toujours dans la liberté d’initiative ?7
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« Quand un agent se trouve dans l’obligation de choisir entre la voie hiérarchique ou l’accès direct et qu’il ne lui est pas possible
de prendre l’avis de son chef, il doit avoir assez de courage et se sentir assez de liberté pour adopter celui que l’intérêt général
impose. »
L’auteur précise que l’intérêt général est bien celui de l’entreprise comme on pourrait s’en
douter. Quoi qu’il en soit, la question du décloisonnement est bien posée. Aujourd’hui, les
entreprises sont éclatées et la chaîne de valeur intègre nécessairement plusieurs
entreprises indépendantes, autant sur le plan juridique qu’économique. On se retrouve peu
ou prou dans une situation similaire à celle décrite par Henri Fayol. En son temps, en effet,
une même entreprise gérait pratiquement la totalité de la chaîne de valeur, mais les
services et les départements étaient fortement cloisonnés. Une équipe, qu’elle soit
autonome ou pas, contribue à la création de valeur en se synchronisant avec les autres
équipes du même processus ou des processus connexes. La question du principe
d’ajustement se pose alors :
• soit les conditions de l’échange entre les équipes internes comme externes sont prévues à
l’aide d’une série de procédures, les exceptions étant gérées au cas par cas par le
management. On parle alors de coordination ;
• soit on laisse plus de liberté aux acteurs de terrain pour gérer, en autonome et en
dialogue direct, les aléas comme le recommande Henri Fayol, et on parlera alors de
coopération.
Il semblerait que les managers de l’entreprise qui ont répondu au questionnaire ci-dessus
n’aient pas encore franchi le pas de la coopération9. Ce sont là des points importants pour la
question de la prise de décision en équipe.
Ce thème soulève aussi la question de l’usage des réseaux sociaux en entreprise. Ils sont la
solution clé pour simplifier à l’extrême les échanges, et partager les idées en interne
comme en externe, au sein d’un forum professionnel tel qu’une communauté de pratiques10.
Et aujourd’hui ?
Les réseaux sociaux rendent possible l’entreprise horizontale tant invoquée mais bien rarement réalisée. Les outils sont
disponibles, les obstacles technologiques sont levés, ne subsistent donc que l’archaïsme des organisations, en total décalage
avec les besoins de notre époque, et les aspirations des salariés qui créent la valeur et « font » l’entreprise.
1Tout comme celui de « big data », le terme « d’algorithme » est passé dans le langage courant. Selon la presse
généraliste, l’algorithme semble désigner aujourd’hui d’énigmatiques systèmes informatiques d’ultime
génération, dotés d’une capacité d’apprentissage infinie qui leur conféreraient un pouvoir omniscient quasi
magique. Ces « algorithmes » au fonctionnement ésotérique pour le commun des mortels, véritables entités
pensantes, seraient en passe de nous dominer et de nous reléguer, nous autres insignifiantes créatures
humaines, à quelque chose d’anachronique dans une cyber société ultralibérale régnante… Espérons que tout
cela s’achève mieux pour nous que pour les personnages des dystopies ! Cela dit, la crainte d’accorder un
pouvoir inconsidéré aux systèmes d’intelligence artificielle toujours plus autonomes, sans régulation ni débat
éthique officiel est aujourd’hui pleinement justifiée ! Sinon, pour mémoire, le terme « d’algorithme » désigne à
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l’origine un enchaînement d’opérations pour exécuter un calcul et par extension une tâche précise, informatisée
ou non. L’algorithme d’Euclide pour trouver le plus grand commun diviseur (PGCD) en est l’exemple le plus
classique.
2Cité par Marc Mousli, dans Mary Parker Follett, pionnière du management, Cahier du Lipsor, octobre 2000.
3Une petite variante humoristique de la citation de Bertrand Russell : « The trouble with the world is that the stupid
are cocksure and the intelligent are full of doubt. » Le problème avec le monde, c’est que les gens stupides sont
sûrs d’eux et arrogants tandis que les gens intelligents sont emplis de doutes.
4Source : dictionnaire Le Robert.
5Prêtée à Henri Queuille (1884-1970) qui fut ministre de multiples fois au cours la IIIe République et président du
Conseil sous la IVe République.
6Le néologisme holacratie (de holos : entier et kratos : pouvoir) désigne un mode d’organisation autorégulé de
l’entreprise, prônant l’élimination du management intermédiaire et la responsabilisation des équipes
autonomes habilitées à prendre seules les décisions, et donc à s’auto-organiser. Ce mode d’organisation est
censé, théoriquement en tout cas, promouvoir l’intelligence collective… Lire l’ouvrage de Brian J. Robertson, La
Révolution Holacracy, (Leduc, 2016). En France, depuis l’ouvrage d’Isaac Getz et de Brian M. Carney, Liberté &
Cie (Flammarion, 2016), on parle d’entreprise « libérée » pour désigner un concept connexe. Nous reviendrons
sur ce modèle organisationnel au cours de la troisième et dernière partie.
7Selon l’activité de l’entreprise cette question peut être remplacée par un autre sujet d’interrogation éthique comme
le risque de pollution (le dieselgate par exemple), la mise en danger de la santé publique (l’affaire des prothèses
mammaires PIP), la sous-traitance et le travail des enfants (la confection notamment) ou encore le respect du
bien-être animal (le scandale des abattoirs).
8Article L.4131 du Code du travail.
9Comme quoi, l’ouvrage Administration industrielle et générale est encore à lire aujourd’hui pour mieux saisir le côté
intemporel des points de blocage rencontrés par une organisation productive, sans s’arrêter aux seuls principes
de hiérarchie et de commandement. On constate alors que la confrontation entre les invocations à la prise
d’initiative et le respect du périmètre de la soumission puise ses origines dans les fondements du management.
Il est donc insoluble sans réformer en profondeur le style de management des entreprises.
10Voir http://tb2.eu/p12, une expérience réussie de communauté de pratiques.
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14.
La décision en équipe
L’homme ne pourra plus accepter de travailler sans créer ni participer aux décisions.
La prise de décision à plusieurs n’est pas innée. Une prise de décision autoritaire dans une
structure hiérarchique est bien plus rapide, n’en doutons pas. Mais la rapidité n’est pas un
synonyme d’efficacité. Rappelons qu’une décision n’existe qu’au moment où elle se
matérialise en une série d’actions. Si les responsables de la mise en œuvre des décisions
prises au sommet ne cernent pas bien la finalité, s’ils exécutent les directives au strict
minimum avec les chaussures chargées de plomb, la décision prise aura bien peu de chance
d’aboutir. À la décharge de ces derniers, il est aussi vrai que les décisions prises loin du
terrain semblent élaborées dans un monde imaginaire et merveilleux où les aléas
n’existeraient pas. Les opérationnels, qui eux agissent dans la vraie vie, sont contraints
d’assumer les impondérables pour répondre au mieux selon ce qu’ils ont compris de la
décision. C’est aussi pour cela que bien des décisions prises autoritairement ont peu de
chance d’aboutir en l’état.
C’est dit !
Une loi peut être dénaturée au moment de la publication des décrets d’application. Une décision peut aussi être détournée lors
de sa mise en action pour mieux servir les intérêts de celui qui la met en œuvre. Ne nous le cachons pas, c’est un cas très
courant.
Dans une organisation moins autoritaire et pratiquant une réelle délégation, on peut
espérer qu’une décision collective soit plus efficace, ne serait-ce que sur le plan de la
motivation et de l’engagement. Encore faut-il maîtriser le processus de prise de décision en
équipe.
Les 4 clés de la réussite de la décision en équipe :
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Au cours d’une session de décision collective, la négociation doit viser un objectif plus
vertueux, et parvenir à ce qui semble la meilleure décision pour chacun des membres pris
un à un. Ce n’est pas nécessairement l’idée de l’un ou de l’autre qui l’emporte. Ce peut être
une « troisième voie » qui profite des apports des uns et des autres, et que l’on construit
ensemble. C’est avant tout de la théorie mais, avec un peu de méthode et de patience, cela
peut devenir aussi de la pratique. On sent que l’on y parvient dès que les oppositions
frontales s’émoussent, et que les protagonistes délaissent l’affrontement direct pour
écouter leurs adversaires du moment.
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Règle 2 : Toute thèse défendue doit être argumentée. Les arguments sont aisément vérifiables. Les arguments sont
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Règle 3 : Si vous soutenez une thèse que vous n’avez pas proposée, vous devez aussi la défendre et donc l’argumenter.
Règle 4 : Toute thèse avancée peut et doit être critiquée. Mais la critique ne doit porter que sur la thèse, et non sur celui qui
la défend. La critique doit être soigneusement argumentée. Les arguments sont aisément vérifiables.
Règle 5 : Corollaire de la précédente : toute critique est recevable, à partir du moment où elle est correctement argumentée
et ne déforme pas le propos initial. La critique doit relancer le débat et l’enrichir. Nous ne sommes pas sur le Web où la
critique est réduite aujourd’hui à de simples commentaires aussi sommaires que définitifs.
Règle 6 : Une thèse qui ne peut plus être défendue doit être retirée. Les doutes et critiques sont justifiés au sens de
l’assemblée.
Règle 7 : Une thèse, qui ne peut plus être attaquée, se doit d’être unanimement acceptée. Les doutes ont été combattus,
ceux qui les ont avancés les rétractent d’eux-mêmes.
Pour un meilleur usage, ces quelques règles sont complétées de sept recommandations
pour les participants à la session.
Recommandation 1 : Les arguments, dont la seule solidité est de se référer à des personnes reconnues comme autorités de
la profession, ne sont pas recevables. Les autorités se trompent elles aussi. Les propos supposés des absents ne sont pas
non plus recevables.
Recommandation 2 : Plus généralement, les évidences et les lieux communs ainsi que tous les arguments ne se rapportant
pas directement à la thèse débattue sont à bannir. Ce n’est pas parce que l’assemblée semble unanimement d’accord avec
l’argument avancé que celui-ci justifie la thèse en cours d’analyse.
Recommandation 3 : Référez-vous toujours en priorité aux indicateurs de performance et aux mesures retenus par
l’équipe.
Recommandation 4 : Profitez du temps de préparation pour essayer de considérer plusieurs hypothèses, au moins deux.
Dans tous les cas, il faut dépasser la première idée qui vous vient à l’esprit.
Recommandation 5 : Gardez toujours l’objectif en ligne de mire, et assurez-vous que votre idée va bien en son sens.
Recommandation 6 :Même si votre idée vous semble intéressante, évitez de vous cramponner à la défendre contre vents
et marées, uniquement parce que c’est la vôtre. Prenez le temps d’analyser ses points faibles comparativement aux autres
suggestions proposées.
Recommandation 7 : Dans le cas probable où deux hypothèses expliquent les données, aussi bien l’une que l’autre, il faut
toujours préférer la plus simple
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Tableau 7 : Les sept recommandations pour les participants à la prise de décision en équipe3
Comme pour toutes les réunions de travail, la présence d’un modérateur est la seule
solution pour accéder à une conclusion constructive. Il n’y a rien de moins naturel dans
notre culture d’entreprise que de décider en équipe. Le rôle du modérateur est multiple, et
sa mission exige une personnalité particulière conjuguant le goût de la méthode, le sens du
dialogue et donc de la tolérance, ainsi qu’une bonne dose de pragmatisme, pour parvenir à
un résultat concret.
Rapidement résumée, une session de décision en équipe se déroule en toute logique selon
le schéma suivant.
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Voyons, dès à présent, sept conseils de bon sens pour animer une session de prise de
décision en équipe réellement productive. Nous nous attarderons ensuite sur les subtilités
de la modération.
Une séance de décision en équipe se prépare à l’avance
Toute réunion de travail se prépare. Il en est de même pour une prise de décision en
équipe. Une fois que l’on s’est mis d’accord sur l’ordre du jour, il est impératif que chacun
des participants prenne le temps nécessaire pour étudier le problème, élaborer des
hypothèses viables, et affûter ses arguments pour les défendre. Les éternels « touristes »
qui fréquentent les réunions, sans y apporter rien de concret, ne sont pas les bienvenus. Les
rencontres sont parfois difficiles et les participants perdent vite leur patience s’ils sont
tenus d’écouter les interventions improvisées des laxistes qui n’ont rien préparé.
Sans diversité de points de vue, il n’y a pas de décision efficace
Que les protagonistes soient d’avis différents, voire opposés, c’est une chance, ce n’est en
rien un obstacle à la construction des débats. La diversité est une richesse pour qui sait
l’exploiter. Le modérateur s’emploiera à créer un climat propice, afin que chacun se sente
en droit d’affirmer sa différence et puisse s’exprimer librement, en tout cas, le temps
d’argumenter son point de vue.
La polémique est une situation normale du débat d’idées
Tant que la polémique se tient dans les limites du différend d’opinions, c’est-à-dire sans
agressivité gratuite ni violence inconsidérée, il est préférable de ne pas intervenir trop tôt
pour calmer les esprits. L’expression libérée des passions est un révélateur des sentiments
profonds. Le conflit sous contrôle permet d’avancer à grands pas pour passer de
l’opposition d’idées à une solution fédératrice. Un débat d’opinions bien organisé et
suffisamment actif est le meilleur terreau pour parvenir à la « meilleure décision », c’est-à-
dire celle qui est jugée comme la plus efficace par tous les participants. Les relations
humaines sont aussi fondées sur la polémique. C’est une réalité, même si dans l’entreprise
on s’efforce de la masquer4.
CONSEIL
Ne pas confondre la cohésion d’équipe avec la courtoisie de salon.
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Dans une société qui consacre l’individualisme et la réussite sociale, l’opportunisme n’est plus vraiment un défaut.
C’est à ce stade qu’il s’agit de bien faire passer le sens de la citation de Jacques Attali en
exergue de cette section. Dans le cadre de la décision en équipe, gagner ensemble, c’est
aussi gagner pour soi. Il est aussi utile de s’interroger sur le mode de reconnaissance
pratiqué dans l’entreprise, un sujet que nous avons évoqué au cours du chapitre 11. La
certitude que son effort de coopération sera reconnu est bien plus motivante que bien des
techniques absurdes de cohésion d’équipes, qui ne sont profitables que pour ceux qui les
organisent.
Convaincre, ce n’est pas expliquer plus que de raison
Ce n’est pas en répétant le même propos, sans varier d’un iota, que l’on parvient à
convaincre ses interlocuteurs les plus sceptiques. Décider en équipe, et donc négocier, ce
n’est pas chercher à persuader par tous les moyens possibles les autres membres de
l’équipe, sans écouter les arguments opposés. Ceux qui agissent ainsi, sans modestie
aucune, et même avec une bonne dose d’arrogance, sont simplement persuadés d’être les
seuls à avoir compris. C’est aussi la technique employée par bon nombre de manipulateurs,
qui tentent de faire passer pour de la négociation ce qui n’est que de la communication.
Bien des acteurs de la conduite du changement utilisent cette technique. Leur démarche est
simple : retourner les opposants un par un s’il le faut, afin de gagner une majorité et
emporter ainsi le morceau. Bon courage pour la suite du projet… Dans le cadre de la
décision en équipe, on rappellera au participant entêté les règles 2 et 6. Elles sont
suffisantes pour stopper les excès d’opiniâtreté qui, s’ils persistent, risquent de mettre en
péril l’issue positive de la réunion.
Avant de boucler, on réfléchit aux conséquences de la décision
La question des responsabilités est le corollaire de la prise de décision. Si la décision est
une prise de risque, elle peut être un succès tout comme un échec. Qui en porte la
responsabilité ? Comment est-on jugé dans ce cas ? Ces deux questions risquent de rester
sans réponse satisfaisante. Elles posent en effet en substance la notion du droit à l’erreur
accordé par l’entreprise. Comme nous l’avons déjà vu, la définition de ce droit est quasi
inexistante dans la plupart des entreprises. C’est pourtant un point qui ne peut être laissé à
la seule discrétion du management, sans que les acteurs de terrain en connaissent les
limites. C’est aussi pour cela que les décisions prises individuellement, ou en équipe,
flirtent généralement avec un taux de risque tendant vers le zéro absolu. Il est vrai que les
décisions les plus ambitieuses ne sont pas nécessairement les plus risquées. Il n’existe
aucune règle en ce sens, mais on comprendra aisément que l’obsession du risque zéro
métamorphose rapidement les plus audacieux en simples velléitaires. Voilà une difficulté
de plus pour une prise de décision efficace, et une raison supplémentaire de réformer le
management, sans se contenter d’aménagements cosmétiques.
Ce qui importe, c’est l’adhésion mais comment y parvenir ?
La décision prise en équipe sera qualifiée de « bonne décision » si, et seulement si, tous les
membres jugent la résolution choisie réaliste, efficace et pertinente pour le problème posé.
C’est à cette seule condition qu’ils seront prêts à s’engager pour la soutenir tout au long du
processus de mise en action. Pour parvenir à une telle unanimité, but de la démarche, la
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meilleure solution sera d’établir une liste de critères consensuelle et objective au sens des
membres de l’équipe. C’est ainsi que nous avons procédé pour sélectionner les objectifs et
les indicateurs de performance. Dans le cas d’une décision commune, il s’agit alors
d’apporter une définition aux termes « réaliste » « efficace » et « pertinente », au sens des
besoins de l’équipe. Toutes les décisions candidates sont passées au tamis de cette grille de
critères et notées en commun.
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Cette liste est modifiée et complétée selon les besoins du groupe et le type de problème à
résoudre. Une grille de critères précis est toujours préférable à un vote à main levée. La
grille de critères est bien plus objective et fédératrice. Le consensus ainsi validé peut être
qualifié d’intégrateur, puisqu’il satisfait toutes les parties et ne laisse personne en retrait
avec ses réserves. La décision collective ainsi obtenue présente de multiples avantages.
Chacun des membres de l’équipe a intériorisé le choix collectif, c’est désormais sa décision.
On ne peut plus revenir sur les choix entérinés, sans proposer de solides arguments. Cette
décision aura donc toutes les chances d’être mise en œuvre.
Le rôle du modérateur
Le rôle du modérateur est assez complexe et comporte de multiples facettes. Il ne s’agit pas
uniquement d’animer la réunion, et encore moins de la présider. Son rôle est plus
socratique que dirigiste. Il aide les participants à exprimer ce qui leur tient à cœur. Même
s’il faut parfois être dirigiste pour placer les participants sur les rails d’un échange riche, et
surtout constructif, puisque c’est cela la finalité : parvenir à une décision collective qui
Le modérateur s’assure que les règles sont bien respectées, et il démonte les sophismes
involontaires ou volontaires, si jamais l’assemblée devait affronter un maître de la
rhétorique5. Il gère aussi les temps de parole afin que les plus extravertis ne mobilisent pas
le débat. La règle est simple. Tous les participants disposent du même droit de s’exprimer
et d’un même temps de parole, si nécessaire. Sans généraliser, les personnalités les moins
expressives, les plus introverties, sont parfois les plus réfléchies, les plus sensibles et les
plus intuitives aussi. Il serait dommage de ne pas profiter de leur point de vue pour un
thème tel que la prise de décision.
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Arbitrer
Un débat a tôt fait de s’enliser si personne ne surveille les déraillements intempestifs. Le
modérateur est aussi un médiateur. Il arbitre les débats, interrompt ceux qui digressent
trop et s’éloignent du sujet sans aucune chance d’y revenir. En revanche, il protège des
interruptions intempestives les interventions de ceux qui proposent des solutions, afin
qu’ils expriment clairement leurs idées avant d’ouvrir le champ aux critiques.
Synthétiser
Le bon modérateur profite de son esprit de synthèse pour reformuler les propositions, s’il y
a lieu. Il s’assure auprès de l’auteur de la proposition que la synthèse proposée ne dénature
pas le propos initial. C’est une excellente technique pour donner une bonne assise au débat
et le relancer dans la bonne direction.
S’abstenir
Le modérateur s’efforce d’être neutre, et ce n’est pas le plus facile. Il est impératif de
s’abstenir de prendre parti pour l’un ou l’autre des protagonistes, ou pour les thèses
défendues. C’est le groupe qui décide. Ce sont les membres du groupe qui sont chargés de
trouver la solution. Le modérateur affiche une ignorance de façade et se contente de
recentrer le débat, sans pour autant empêcher les participants d’explorer ce qu’il juge
comme de fausses pistes. D’expérience, il faut aussi savoir déroger de temps en temps à son
rôle de neutralité pour aider les participants à donner les bons coups de volant. Sans
intervenir directement sur le fond, il y a toujours moyen de les inciter à creuser une idée, si
l’on sent qu’ils ne font que l’effleurer, alors que la solution semble être dans cette voie. Bien
évidemment, des participants chercheront à se référer à votre expérience.
CONSEIL
Bien préciser que chaque cas est singulier, que chaque groupe de décideurs est unique et que toute entreprise l’est aussi,
même si intimement on n’en est pas totalement convaincu. C’est toujours un plaisir de se sentir un cas à part et le sujet est
rapidement clos.
Aiguillonner
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Pour relancer un débat un peu laborieux ou mal engagé, le modérateur n’hésitera pas à
conter une ou plusieurs anecdotes bien choisies, pour détendre l’atmosphère et remettre le
débat sur les rails. La technique a souvent de bons résultats. La reformulation que nous
avons déjà abordée, tout comme les synthèses intermédiaires, sont aussi de bons outils
pour mettre en évidence les invraisemblances, et recadrer en douceur un débat qui
s’éloigne d’une solution viable… Avec modération, bien entendu, seuls les membres de
l’équipe de travail connaissent leur contexte et savent en apprécier les contraintes. C’est à
eux de trouver les solutions et d’identifier le champ des possibles. Il est aussi vrai que
lorsque l’on est aux prises avec un problème, il est difficile de bien apprécier la situation et
ses solutions.
CONSEIL
Un regard extérieur avisé est toujours salutaire.
Bien sûr, tout cela n’est pas toujours très « académique » mais sur le terrain, on a d’autres
impératifs que de suivre les règles à la lettre. C’est justement l’expérience d’avoir vécu des
situations similaires qui permet d’anticiper les comportements et les situations, pour
prévenir les risques d’échec et augmenter ainsi les chances de succès. Le but est simple :
parvenir à un consensus clair et unanime.
Encourager : si jamais le groupe est un peu coincé et ne démarre pas, comment
le dérider ?
Les modérateurs qui maîtrisent bien les outils de créativité y recourront pour chauffer
l’auditoire et dérouiller la machine à produire les idées. Il existe en effet des jeux assez
simples et particulièrement efficaces.
Exemple
Pour inciter chaque participant à parler au moins une fois, on peut proposer une manière de jeu inspiré de la patate chaude.
L’animateur interpelle un membre de l’assemblée, au hasard, et lui demande à brûle-pourpoint de dire en un mot ce que le
thème du jour lui inspire. La règle est simple : on ne peut pas passer son tour, et on peut dire des âneries, ça n’a aucune
importance. On note le mot au tableau et le membre interpelle à son tour un autre participant, qui agit de même, jusqu’à ce
que chacun des participants se soit exprimé en évitant d’abuser des synonymes. L’animateur liste les mots et lance la même
opération pour une seconde liste, voire une troisième, si l’élan n’est pas retombé. Ce petit exercice a bien des avantages. Non
seulement, il a déridé l’atmosphère et débloqué un peu les plus timides, mais le groupe dispose maintenant d’une liste de mots-
clés pour mieux cerner le sujet, et orienter le débat proprement dit dans la bonne direction.
Cette liste de mots ne reste pas en l’état, on l’organise alors collectivement avec un diagramme d’affinités6 ou une Mindmap,
par exemple. Ce classement final de la liste génère un effet de bord positif : les participants perdent alors la paternité des mots
qu’ils ont sélectionnés. C’est important, c’est le groupe qui produit, ce ne sont pas des individualités. Comme le précise la règle
6, il ne faut pas s’accrocher à sa thèse plus que de raison.
Cet exercice est une préparation à la production en groupe. Il existe bien d’autres jeux pour dérider une assemblée dans
l’expectative ou sur la défensive, mais il vaut mieux en réserver l’usage aux experts qui sauront juger de l’opportunité.
Conclure
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Quelques salariés donnent leur sentiment à propos des membres du service voisin : « Ils sont trop nuls dans l’équipe d’à côté, il
faut toujours que l’on rattrape leurs erreurs et en plus ce sont eux qui nous imposent le rythme de travail ! ». Ce n’est pas
uniquement une plainte, ce propos sous-entend : « Ils sont mauvais et nous sommes bons. » Mais aussi : « C’est nous qui
devrions prendre l’avantage sur eux et décider. »
Inviter les différents interlocuteurs à prendre le temps de bien préciser ce qu’ils imaginent
évident pour tout le monde est au final… un gain de temps !
L’échelle de valeur: qu’est-ce qui est normal, juste ou bien ?
Toutes les équipes intervenant sur un même processus ou sur des processus connexes ne
partagent pas toujours la même échelle de valeur. À un maillon de la chaîne, à une étape du
processus, ce qui est considéré comme « normal », « juste » ou « bien » n’est pas
nécessairement qualifié de la même notion de valeur par une autre équipe intervenant à un
autre stade du processus. Ce constat est flagrant comme on s’en doute au sein même de la
chaîne de sous-traitance composée d’entités indépendantes, chacune avec ses pratiques,
ses références, son histoire et sa propre culture. Il est aussi vrai au sein même de
l’entreprise, notamment durant les premiers temps d’une fusion ou encore sur des sites de
production différents.
Et aujourd’hui ?
Si les démarches de standardisation qualité ont tenté de résoudre cette difficulté en proposant une échelle de référence
commune, bien des thèmes indirectement liés à la production sont encore sujets à des discussions… stériles la plupart du
temps.
Les trublions
Au sein d’un groupe, on ne rencontre pas que des individus constructifs au sens de la
communauté. On y croise également des gens très peu coopératifs, des carrément passifs,
des angoissés, des convaincus de détenir toujours la meilleure solution, des questionneurs
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sans fin, des pinailleurs, mais aussi des opportunistes, des ambitieux et, plus rarement il est
vrai, des désenchantés qui nourrissent leur frustration d’une jalousie irrationnelle. Et
comme rien n’est simple dans les relations humaines, le même individu peut adopter un
comportement distinct selon le moment, la situation ou les interlocuteurs auxquels il
s’adresse.
À la décharge des personnalités un peu décalées avec les exigences de la performance
collective, il est aussi vrai que les modes de management actuels, qui font et défont les
groupes de travail au gré des affectations, ne facilitent pas le développement de solides
relations. À l’époque où la mobilité est élevée au rang de règle managériale suprême, du
mode projet, de la soustraitance généralisée, de l’entreprise éclatée et internationalisée et
de la tendance renforcée à la mesure de la performance individuelle, il est prudent de ne
pas s’appuyer sur des rêves de société parfaite où tout le monde s’entendrait
naturellement. C’est un défi de tous les instants, autant pour le modérateur que pour tous
ceux qui souhaitent progresser dans le bon sens, c’est-à-dire celui des objectifs fixés. Sans
passer en revue tous les types de comportements déviants au sens de notre démarche,
attardons-nous toutefois sur deux caractéristiques que l’on rencontre quasi
systématiquement : la norme de groupe et le narcissisme des petites différences.
La norme de groupe
Au sein d’un groupe constitué, le réflexe naturel est de montrer son intégration. Être en
accord avec les autres membres du groupe est alors bien plus important que d’afficher ses
différences. D’ailleurs, le membre qui, par hasard, nourrirait des idées un peu dissonantes
avec le collectif supposera qu’il n’a sûrement pas bien compris, puisque le groupe a
forcément raison. C’est une difficulté que rencontrent tous les modérateurs dès qu’il s’agit
d’inciter les membres d’un groupe, en phase de « cohésion » au sens du team building, à
s’exprimer individuellement et sans retenue. Un phénomène connexe aux conséquences
similaires est aussi très courant au sein d’un groupe dont la cohésion n’est qu’apparente.
Dans un tel groupe, les leaders de fait imposent leur charisme et bénéficient d’une aura
incontestable et incontestée. Les membres plus effacés se conforment sans rechigner à la
pensée officielle dictée par les plus influents.
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Ce cas est assez fréquent dans le cadre de rapprochement d’entreprises ou lorsque l’on
fusionne des groupes de travail différents pour décloisonner et mieux fluidifier les
processus.
Les manipulateurs sont là
Dans une négociation, celui qui a déjà bien exploré le terrain et qui prend l’initiative peut
orienter l’échange dans le sens qu’il juge le plus favorable. Si l’on se réfère à une métaphore
guerrière en s’inspirant de Sun Tzu, le choix du terrain, le choix des armes et le choix du
moment sont toujours décisifs pour l’issue de l’affrontement. C’est dire l’importance
d’inviter tous les membres à bien préparer la session au cas, pas si improbable, où un
membre privilégierait sa carrière personnelle aux dépens des intérêts du groupe. C’est
aussi le rôle du modérateur de veiller à ce que les débats ne soient pas trop orientés vers
une direction qui ne satisfait pas nécessairement tous les membres. Les manipulateurs ont
de nombreuses cordes à leur arc. Parcourons quelques pièges de l’argumentation que l’on
rencontre de temps en temps.
Si je pose un grain de blé sur le sol, ai-je obtenu un tas de blé ? Non.
Si j’ajoute encore et encore un grain ai-je enfin un tas ? Eh bien toujours pas.
Le paradoxe de la flèche de Zénon8 est aussi un sophisme typique. Selon Zénon, si l’on
échantillonne le temps en unités suffisamment courtes, une flèche tirée vers une cible est
immobile durant cet instant. Le temps de parcours de la flèche étant égal à la somme de ces
instants, la flèche est donc toujours immobile. Le raisonnement semble juste. Le piège est
de ne pas considérer le temps comme un continuum et de le fractionner en instants très
courts.
Tous les sophismes ne sont pas aussi paradoxaux.
Il n’en demeure pas moins qu’ils sont bien utiles pour manipuler l’argumentation. Voyons
quelques exemples en entreprise :
Exemples
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Depuis que l’on a multiplié le nombre de contrôles, nous avons évité bien des vols importants !
Si le carnet de commandes est bien rempli, l’unité de production tourne à plein régime.
Puisque l’unité de production tourne à plein régime, le carnet de commandes est donc bien rempli.
Bien sûr, c’est faux, on peut aussi produire sur stock.
Si l’unité fonctionne quand même, l’employé absent n’est donc pas nécessaire.
Et encore :
On a toujours fonctionné ainsi et ça marche très bien, ce nouvel outil ne nous apportera que des ennuis…
Sur quoi se fonde notre affirmateur pour être aussi définitif ? « On a toujours fonctionné ainsi » n’est pas un
argument recevable. Les pratiques du passé ne sont pas nécessairement des recettes d’avenir. Ce n’est pas
parce que l’on a toujours fait ainsi qu’il faut continuer à le faire9.
Je ne suis pas sûr que ce soit un bon outil informatique, j’ai un ami qui a rencontré beaucoup de problèmes
avec cet outil. Quel ami ? Quel contexte ? Quels problèmes ? On n’en saura pas plus.
À ce que l’on m’a dit, depuis qu’ils ont installé ce nouvel outil informatique, notre concurrent a augmenté
ses ventes de près de 20 %, véridique ! C’est de source sûre ! Autrement dit, je n’en dirai pas plus, je ne le
prouverai pas, je ne dévoilerai pas mes sources, mais faites-moi confiance…
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Un dirigeant d’une entreprise de services en solutions technologiques était persuadé d’être un détecteur de talents. « Je ne
me trompe jamais lorsque je choisis un collaborateur. » aimait-il répéter. Il s’était personnellement engagé dans le choix d’un
manager pour piloter la réalisation d’une partie assez délicate d’un projet complexe. Au fil de l’avancement, ledit manager
s’est révélé un assez piètre chef de projet, et son équipe peu performante retardait l’ensemble de la réalisation. Les
indicateurs du tableau de bord de suivi du projet affichaient franchement les signes annonciateurs d’une dérive, comme le
dépassement des délais et des budgets, et la lassitude manifeste des membres de l’équipe. Le dirigeant refusait pourtant
d’en tenir compte pour anticiper l’échec. Il s’entêtait à justifier son choix en évoquant les faits d’armes passés de ce
manager et l’excellence de son jugement en matière d’hommes. Il fallut attendre l’intervention excédée du client final et les
menaces de pénalités de retard, pour contraindre ce dirigeant obstiné à décharger le manager controversé des parties les
plus critiques de sa tâche, afin de les confier à une autre équipe mieux pilotée. C’était bien la seule solution envisageable
pour éviter la déroute11.
Nous sommes tous sensibles à l’effet de halo. Nous avons tous connu à un moment de notre
vie l’inconfort du conflit entre la réalité et nos convictions. Rien de grave si l’on ne s’obstine
pas dans ses certitudes. Ce biais pervers se produit quasiment chaque fois que l’on pense
avoir pris une excellente décision que les faits contredisent. Plutôt que de remettre en
cause la qualité de notre décision, nous recherchons dans un premier temps des
échappatoires rassurantes en abusant d’expressions toutes faites : « il faut laisser du temps
au temps ». Mais les faits sont entêtés. Notre rationalité reprend alors le dessus et nous
acceptons le constat. Mais les plus opiniâtres n’en resteront pas là. Ils laisseront la
mauvaise foi prendre le relais à l’aide de formules du type « les faits sont parfois trompeurs
», « les indicateurs sont mal choisis ». Enfin, les incurables jetteront la faute sur la fatalité,
une explication bien pratique pour justifier tout et n’importe quoi. La volonté de préserver
l’estime de soi est bien la seule motivation d’une telle obstination.
C’est dit !
S’accorder le droit de faire parfois des erreurs et de les corriger au plus vite est une qualité dont bien des managers d’entreprise
sont dépourvus… Pour le plus grand malheur de leurs subordonnés.
Il ne faudra donc pas hésiter à recadrer le débat sur la problématique qui préoccupe
l’équipe de décideurs, en invitant les participants à considérer à sa juste valeur l’ensemble
des informations disponibles (règle 2). C’est là, où l’on saisit mieux l’importance de se
reporter en permanence aux indicateurs de performance et aux mesures associées choisies
et reconnues comme référence par tous les participants (recommandation 3).
Comment devient-on un « bon » modérateur-animateur ?
Évidemment, si le modérateur ne parvient pas à se faire accepter et reconnaître comme tel,
la tâche sera plus difficile. Avec la pratique répétée, on finit toujours par se construire une
posture acceptable pour toutes les situations. La clé de la réussite est assez simple. Il suffit
de bien aimer endosser ce rôle, apprécier de se tenir à distance tout en étant au cœur du
débat, prendre plaisir à voir se construire un projet à partir d’un échange d’idées, être
attentif à chacun sans aucun a priori. Quelle que soit la position sociale au sein de
l’organisation, nous sommes tous dotés d’un cerveau en état en fonctionnement, prêt à
donner le meilleur de lui-même si l’on oublie durant un temps les rapports de classe.
Autant en profiter pour construire des solutions viables et satisfaisantes pour tous les
participants.
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1« The challenge is not to get people to talk, but to get them to listen. »
2Ces règles et recommandations sélectionnées, adaptées et complétées par l’auteur pour les besoins de la décision
en équipe, s’inspirent de plusieurs sources notamment Petit cours d’autodéfense intellectuelle, excellent ouvrage
de Normand Baillargeon (Lux, 2006), A Systematic Theory of Argumentation, the Pragma-Dialectical Approach de
Frans H. van Eemeren et Rob Grootendorst, https://en.wikipedia.org/wiki/Pragma-dialectics,
http://www.ditext.com/eemeren/pd.html. Elles sont très efficaces, et à utiliser sans modération.
Quelques recommandations s’inspirent aussi de Carl Sagan, un scientifique américain doublé d’un exceptionnel
vulgarisateur.
3La septième recommandation est aussi appelée le « Rasoir d’Ockham » en référence au philosophe Guillaume
d’Ockham (1285-1349) : la simplicité est toujours plus proche de la vérité que la complication.
4Même au sein d’un groupe ayant accédé au stade ultime du team building, on a tout de même le droit de ne pas être
d’accord et de l’affirmer. On peut encore légitimement ne pas avoir nécessairement envie de partager son
capital d’enthousiasme avec chacun des membres du groupe.
5Nous reviendrons sur les sophismes plus avant.
6http://tb2.eu/p8
7Un concept freudien à l’origine.
8Zénon d’Élée (v. 490 av. J.-C., v. 430 av. J.-C.), un philosophe grec, est aussi l’auteur du paradoxe d’Achille où par un
principe similaire de découpage du temps, il démontre qu’Achille ne peut pas battre à la course une tortue.
9« La plupart des gens pensent que puisque quelque chose a fonctionné par le passé, et continue à fonctionner
aujourd’hui, cela fonctionnera demain. C’est faux. » Garry Kasparov (1963-), ancien champion du monde
d’échecs (« Many people think that if something worked yesterday, and is still working today, it will work
tomorrow, that wrong. »).
10Un biais cognitif est une erreur de jugement produite par notre cerveau. Il peut perturber notre capacité de
décision.
11Pour assurer son confort mental et éviter de remettre en cause sa capacité de jugement, ce dirigeant est
vraisemblablement parvenu durant un temps à occulter les informations portées par les indicateurs pour
réduire la dissonance cognitive entre les données qui révélaient l’incompétence du manager et la certitude dans
la fiabilité de son jugement. Il a sûrement trouvé ensuite une explication satisfaisante pour justifier son choix
initial.
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15.
Apprenons à mesurer quelques grandeurs qualitatives
pour en finir avec l’obscurantisme doctrinal des
compteurs de petits pois
Un ensemble de mesures regroupées sur un même tableau de bord n’a d’autre fin que
d’offrir une représentation de la réalité d’une situation pour mieux la comprendre. Un
modèle est réducteur par définition. Il est utile pour saisir un aspect précis de la
performance, comme nous l’avons fait jusqu’à présent. Mais un modèle peut aussi être
trompeur si l’on évite d’inclure les mesures les plus délicates à intégrer.
C’est là tout le problème de ne raisonner qu’en termes quantitatifs. Bien des facettes d’une
situation donnée restent dans l’ombre dès que l’on traite des thèmes qui ne peuvent être
réduits à une modélisation exclusivement quantitative. Nous avons abordé succinctement
cette question au paragraphe « Les indicateurs de performance choisis pour leur facilité de
mise en œuvre »1. Maintenant que nous avons constitué un groupe de travail en mesure de
prendre des décisions, il est temps d’apporter quelques réponses aux questions restées en
suspens dans ce même paragraphe.
Imaginons un manager exécutif qui a décidé de réduire drastiquement les temps de réalisation d’une commande client, tout
simplement parce qu’il dispose des moyens pour le faire. Il sera évidemment tenté d’orienter à son avantage le questionnaire
destiné à évaluer la satisfaction des clients. En ciblant essentiellement les questions sur le paramètre résolu des temps de
réalisation d’une commande, il parviendra sans difficulté à une mesure positive de la satisfaction des clients. Avec un
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questionnaire aussi partial, l’entreprise ne saura jamais qu’en réalité les clients sont peut-être majoritairement mécontents des
erreurs de livraison, de la qualité déplorable des produits ou de la politique tarifaire pratiquée.
Tous les questionnaires de mesures qualitatives sont sensibles à toutes les formes de
détournements, qu’ils soient volontaires ou involontaires. Pour cela, la conception d’un
questionnaire ne peut être improvisée. Sondeur, c’est aussi un métier.
Échelle de Likert
Pour exploiter les résultats de l’enquête et bâtir un indicateur de performance, le plus
simple reste encore d’utiliser une échelle de Likert2. Elle est un outil de la psychométrie
très utilisé, notamment en marketing, pour formaliser le sentiment intime des personnes
sondées.
Pour chacune des questions posées, les participants à l’enquête choisissent une réponse
dans une liste prédéfinie de modalités du type :
• Je suis tout à fait d’accord.
• Je suis d’accord.
• Je n’ai pas d’avis.
• Je ne suis pas d’accord.
• Je ne suis pas du tout d’accord.
Bien d’autres types de modalités sont envisageables : « J’adore/Je déteste », « Je
préfère/J’évite », « Extrêmement probable/Totalement improbable », « Très satisfait/Pas
du tout satisfait », etc.
L’exemple suivant présente les cinq premières propositions d’une enquête consacrée à la
mesure de la qualité de la communication d’une équipe en interne et en externe.
Je suis tout à fait Je suis Je n’ai pas Je ne suis pas Je ne suis pas du tout
Propositions
d’accord d’accord d’avis d’accord d’accord
membres
3 2 4 0 0
5 1
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1 5
aisée
0 1 1 3 4
5 1
suffisamment
7 1 1 0 0
1 5
Tableau 9: Un exemple (partiel) d’utilisation d’une échelle de Likert pour une mesure qualitative de la
communication en entreprise
Nombre de modalités
Selon les cas, on utilisera une échelle avec un nombre pair de modalités, pour éviter la
position de refuge du milieu qui évite de s’engager. Dans l’exemple ci-dessus, l’échelle
comporte cinq modalités, et le « Je n’ai pas d’avis » central n’aide pas vraiment à résoudre la
question. Si les participants à l’enquête sont réticents à s’engager et à afficher leur
préférence, il sera judicieux de supprimer cette option afin de les contraindre à choisir.
C’est ainsi que nous avons procédé pour le choix des objectifs et des indicateurs de
performance. En revanche, si le participant n’a vraiment pas d’avis tranché sur une
question précise, il est contraint d’opter au hasard pour l’un ou l’autre choix et fausse les
résultats. Chaque médaille a son revers. C’est bien pour cela que le questionnaire mérite
d’être soigneusement élaboré.
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CONSEIL
Pour plus de précision, l’échelle de mesure peut comporter plus de modalités, sept étant le maximum généralement admis.
Pondération de l’échelle
Les choix sont ensuite pondérés, de 1 à 5 par exemple pour l’échelle ci-dessus. On accorde
généralement la valeur « 5 » au choix « Tout à fait d’accord » et la valeur « 1 » au choix « Je
ne suis pas du tout d’accord ». La valorisation peut être totalement inversée selon la
question posée. La valeur « 5 » correspond alors au choix « Je ne suis pas du tout d’accord »,
telle la troisième proposition de l’exemple de mesure de la qualité de communication.
Il est utile de mixer les propositions positives et négatives, comme pour la troisième ligne
de l’exemple ci-dessus, de manière à éviter les réponses systématiques inscrites sans
vraiment réfléchir. C’est là aussi une conséquence du biais cognitif « effet de halo » que
nous avons évoqué au cours du paragraphe précédent. Le participant, qui a une idée déjà
bien arrêtée sur le sujet, aura tendance à accorder une note similaire aux propositions de
même nature, sans pour autant vraiment la lire et réfléchir plus avant. Glisser des
questions inversées contraint à bien relire l’énoncé. C’est une bonne solution pour limiter
les effets pervers d’un tel comportement.
Pour augmenter l’impact des réponses négatives sur le résultat, il suffit de les affecter d’une
valeur négative. L’échelle de valorisation devient alors : 2, 1, 0, -1, -2 en lieu et place 5, 4, 3,
2, 1.
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Figure 49 : Présentation des résultats (partiels) de l’étude de motivation au sein d’un groupe de travail
Figure 50 : Comparaison des résultats avec ceux relevés pour un autre groupe de travail
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Bien qu’elle soit relativement simple, l’échelle de Likert convient parfaitement pour bâtir
un indicateur de performance fiable, au sens de ceux qui sont chargés de l’utiliser, tant que
l’on respecte la transparence tout au long du processus de réalisation du questionnaire.
En accord avec tous les salariés concernés, une entreprise peut établir une échelle de ce type :
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Le point faible d’une telle méthode saute aux yeux à la lecture de l’échelle en exemple. Pourquoi suffit-il d’une seule unité
vendue de plus pour changer de catégorie ? Cela peut paraître injuste. Un résultat mensuel de 500 unités vendues est qualifié de
« résultat moyen », tandis que 501 unités vendues sont un « bon résultat ». C’est là où l’on met le doigt sur la vraie difficulté de
quantifier notre environnement. Une solution assez simple consiste à rajouter une ou deux catégories intermédiaires pour les
bornes les plus sensibles. On trouverait alors les catégories : « résultat moyen », « résultat moyen++ », puis « bon résultat » etc.
C’est un peu du bricolage, mais cela fonctionne dans la majorité des cas.
…
…
Nous sommes tous d’accord pour reconnaître qu’il n’est pas logique que 500 unités vendues correspondent à un résultat
mensuel moyen, tandis que 501 unités seraient un bon résultat. Si l’on se livre à un rapide sondage, on constatera que les avis
sont pour le moins partagés. Pour les uns, dès 480 unités, on sera dans le domaine du bon résultat, pour les autres, il faudra
peut-être attendre 520 ventes.
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1Page 117.
2Rensis Likert (1903-1981), psychologue américain spécialiste de psychométrie.
3Op. cit.
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TROISIÈME PARTIE
POUR CONCLURE…
Où l’on achève notre étude en prenant soin d’adapter la méthode aux réalités du management
pratiqué dans les entreprises sans se laisser leurrer par les déclarations d’humanisme et
d’autonomie quand il ne s’agit que d’un vernis pour masquer la perpétuation d’un
autoritarisme sans concession.
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16.
Au XXIe siècle, c’était encore des humains qui faisaient
fonctionner les entreprises. Vous savez, ces êtres dotés
de raison, de sentiments et de passions…
Je ne m’appuyais que sur mon expérience d’ingénieur et je n’ai pas apprécié à sa juste valeur la dimension humaine. J’ai
appris depuis qu’elle était décisive1.
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même quotidien et produire ensemble. Mais ce n’est pas aussi simple. Il ne suffit pas
d’évoquer le « facteur humain », et de ressasser des slogans du type « Mettre l’humain au
cœur de l’entreprise », pour redynamiser la motivation, l’esprit d’équipe et le goût de la
performance. Comme le précise fort justement Danièle Linhart4, ce ne sont pas de psys, de
coaches ou d’ateliers de gestion du stress que les femmes et les hommes de l’entreprise ont
besoin, mais bien que l’on reconnaisse les valeurs de leur profession, et qu’on les laisse
libres de s’organiser et de s’exprimer.
C’est dit !
Il est peut-être temps aussi de réformer le vocabulaire de l’entreprise, et de substituer au vocable de « salarié », celui qui touche
un salaire5, le terme de « professionnel », celui qui met ses compétences, son savoir-faire et son savoir être au service de la
création de valeur.
C’est en tout cas sous cet éclairage, que l’on peut envisager de concevoir, si ce n’est une
coopération stricto sensu, ce sera en tout cas un partenariat, un coengagement en toute
intelligence entre le management et les professionnels de l’entreprise. C’est d’ailleurs en
s’appuyant sur un modèle managérial de ce type, qu’au fil de ces pages, nous avons conçu
un système de mesure de la performance facilitant la prise de décision en équipe.
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attention à la phase de choix des indicateurs, pour autant que ceux-ci soient pertinents,
même si les objectifs sont fixés unilatéralement. Il pourra ensuite accorder le temps
nécessaire à la phase de prise de décision en équipe avec les limites imposées par le
principe de management.
• Les entreprises classées dans la case numéro 2 sont parmi les plus courantes
actuellement. Aucune règle n’est véritablement connue. L’entreprise fonctionne ainsi et le
management ne cherche pas à savoir pourquoi. En toute logique, les salariés qui savent
naviguer dans un tel marigot seront félicités s’ils accèdent aux objectifs fixés par l’échelon
supérieur de la hiérarchie. C’est la loi du mérite prise dans son acception la plus stricte où
seule l’accession aux résultats fixés à l’avance importe. C’est ainsi que s’exprime la
reconnaissance. Toutefois, comme les règles sont inexistantes ou totalement floues, une
bonne part d’arbitraire dénature un peu plus les relations entre les exécutants et la
direction. Les soupçons de favoritisme et de mise à l’écart sont les thèmes favoris discutés
autour de la machine à café. Les objectifs sont nécessairement fixés et, comme pour la
classe 1, il vaut mieux réserver son temps et son énergie pour traiter du mieux possible la
phase de choix des indicateurs et celle de la prise de décision en équipe.
• Les entreprises classées dans la case numéro 3 considèrent leurs employés comme des
prestataires de services. Leurs efforts ne méritent pas une reconnaissance particulière
puisque c’est là leur mission. Il sera difficile de les motiver à se dépasser, car ils savent très
bien que leurs efforts ne seront en aucune manière reconnus. Quoi qu’il en soit, dans une
entreprise adoptant ce type de management, on peut dérouler le processus complet, tel
qu’il est décrit au chapitre 5, en prenant soin de ne choisir que des objectifs très
raisonnables.
• Les entreprises classées dans la case numéro 4 pratiquent un management plus
responsable et plus respectueux des compétences. La démarche de réalisation d’un
système de mesure de la performance, favorisant l’aide à la décision et la prise d’initiative
décrites au cours de la deuxième partie, s’appuie sur les entreprises pratiquant ce type de
management.
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Le « pour »
Le principe fondamental de ce mode d’organisation consiste essentiellement à supprimer
les échelons de management intermédiaires et fonctionnels pour accroître l’autonomie des
opérationnels, et donc mieux les responsabiliser.
Comme le relève Vineet Nayar6, c’est en effet au niveau opérationnel que se crée la valeur
dans une entreprise. C’est donc là qu’il s’agit de transférer une partie du pouvoir. Les
managers, qui en fait ne managent pas grand-chose, tout comme les fonctionnels qui ne
sont que des poulies de transmission de l’information sont des handicaps à la fluidité des
processus et des freins à la création de valeur.
Cas pratiques
L’entreprise Delta
Pour accompagner son développement, Delta, une société conceptrice de jeux vidéo et d’animations graphiques
particulièrement dynamique, a cru utile de multiplier les niveaux intermédiaires et les postes de fonctionnels. Converti aux
vertus des programmes de normalisation, le dirigeant était persuadé que la performance était le fruit d’une mise en
conformité à tous les échelons selon les bonnes pratiques standardisées. Pour cela, il fallait cadrer les activités à l’aide de
règles et multiplier les procédures de contrôle. Les activités de création de valeur directe ou indirecte, c’est-à-dire celles des
développeurs, des commerciaux, des responsables du marketing et des techniciens de maintenance pour ne citer que ceux-
ci, ont mal vécu cette dérive bureaucratique et le flicage systématique qui en découle naturellement. Bien évidemment, la
productivité a chuté et l’innovation est restée en panne. Comme la masse salariale comptait toujours plus de personnes
étrangères au processus de création de valeur, le bénéfice s’en est fortement ressenti. Face à ce constat, la direction a
curieusement préféré opter pour la solution la plus irrationnelle. Plutôt que de revenir sur de bonnes bases et renforcer le
pôle création de valeur en soulageant la pression sur les développeurs et les commerciaux chargés de débusquer de
nouveaux marchés, la direction a préféré renforcer les contrôles et les reportings7 ; seule clé selon elle de l’amélioration de
la performance… Les entreprises du même secteur d’activité ont dû être enchantées d’engager les meilleurs éléments
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démissionnaires. La suite de l’histoire est sans surprise. Une entreprise de nouvelles technologies qui n’innove plus ne peut
perdurer. Pour faire face à ses obligations financières, l’entreprise a été contrainte de céder ses activités de développement
à son principal concurrent. Elle se contente désormais de la distribution des produits à effectif réduit.
L’usine Fralib
Dans l’ouvrage Bureaucratie, David Graeber8 relate en quelques lignes les péripéties de l’usine Fralib (conditionnement de
thé, groupe Unilever) reprise en SCOP par ses salariés après une dure et longue lutte. À l’origine, l’entreprise ne comportait
que deux cadres dont le dirigeant lui-même et un responsable des ressources humaines. Durant des années, les salariés ont
d’eux-mêmes amélioré les processus de production et l’usine était très nettement profitable. La direction bien loin du
terrain a alors choisi d’exploiter ces profits pour engager une douzaine de cadres intermédiaires aux titres prestigieux en
charge du contrôle, de la mesure et de l’élaboration de rapports et procédures. « Finalement, ils ont flashé sur l’idée de
délocaliser l’usine en Pologne. (…) Ce plan justifiait rétrospectivement leur existence », précise l’auteur. Ce qui, en toute
logique, a mis le feu aux poudres…
Et aujourd’hui ?
Réduire l’emprise de la bureaucratie et ses lourdeurs, alléger les contrôles pour laisser plus de liberté aux opérationnels, faciliter
la circulation naturelle de l’information, ce ne sont pas des pistes de recherche expérimentale, mais bien une obligation
aujourd’hui pour toutes les organisations.
Le « contre »
Mais il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain. Pour être réactif et mieux en
phase avec les attentes des marchés, les entreprises ont bien compris qu’il fallait se
rapprocher au plus près du client quitte à l’intégrer dès le processus de conception. Pour
autant, il vaut mieux prendre garde de ne pas ajouter une pression supplémentaire sur les
opérationnels déjà aux prises avec la complexité de leur mission. D’expérience, le client
n’est pas toujours à sa place au sein des équipes de conception ou de production. C’est là où
le manager intermédiaire remplit un rôle absolument indispensable d’interface avec les
clients qui ne sont pas tous naturellement rationnels et pragmatiques. Les individus
versatiles, fantasques mais cependant exigeants, sont aussi à l’occasion vos clients. Le
manager anticipe les besoins et assure aussi les relations avec la hiérarchie, les divers
services de l’entreprise et les équipes en charge d’un autre aspect du projet. Le
management joue alors le rôle de filtre protecteur destiné à laisser les opérationnels
accomplir leurs missions dans les meilleures conditions. Remplacer ce manager par un
leader de fait comme le suggèrent les supporters de l’entreprise libérée, c’est courir le
risque de recréer des petits chefaillons obsédés par la conformité des résultats et la stricte
application des règles et des procédures. Comme nous l’avons vu avec le principe
d’hystérésis (page 101), il est bien plus aisé de couper dans le « gras » sans discernement
que d’évaluer la contribution indirecte à la création de valeur des managers et des
fonctionnels pris dans le collimateur des réorganisations.
Il est prudent de ne pas trop se fier aux dithyrambes dont abusent quelques médias pour
décrire ce modèle dit « révolutionnaire », et de gratter un peu la cosmétique pour mettre à
nu la réalité du management pratiqué. Il n’est pas dit que toutes les entreprises qui
s’affichent comme « libérées » aient radicalement rompu avec les pratiques ancestrales du
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La synthèse
Il ne suffit pas de constater que « Nous sommes tous sur le même bateau »10 pour que du jour
au lendemain, comme après une révélation mystique, salariés et classe dirigeante décident
de marcher main dans la main. Il est donc recommandé de s’assurer que l’autonomie est
réelle, qu’il ne s’agit pas uniquement d’une démarche opportuniste pour profiter des
légitimes souhaits d’émancipation des salariés, et accroître ainsi les profits grâce à la
réduction de la masse salariale sans perdre pour autant une once de pouvoir. Bref, tout
changer pour que rien ne change11. Pour cela, il suffit de se livrer à une analyse critique de la
pratique de la mesure de la performance et de s’intéresser ensuite au pouvoir décisionnel
accordé aux opérationnels12. Enfin, le principe de confiance et de reconnaissance pratiqué
dans l’entreprise est un bon crible pour séparer le bon grain de l’ivraie, les entreprises qui
cherchent réellement à déléguer le pouvoir et celles qui ne font que semblant.
La SCOP
Toute entreprise se doit de réaliser un profit si elle veut survivre.
L’entreprise dite libérée semble réfléchir
à la question du « comment » on réalise le profit.
La coopérative de type SCOP va plus loin et donne aussi les réponses
au « pourquoi et pour qui » on réalise le profit.
Au sein d’une coopérative de type SCOP, les salariés sont associés, collectivement
propriétaires de l’entreprise et donc responsables de la réussite. Ils sont parfaitement au
fait des questions de concurrence et de compétitivité durable. Ils comprennent aisément
l’importance d’entrer dans un cycle de progrès continu pour assurer la pérennité de
l’entreprise. Ces échanges se déroulent généralement sans problème. Habitués à prendre
des décisions collectives, ils sont généralement déjà rodés à l’exercice. Mais ce n’est pas
vrai pour toutes les coopératives.
Cas pratique
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il décidait seul quel que soit le sujet. Les nouveaux salariés associés n’ont pas encore parfaitement intégré le pouvoir de
décision et la responsabilité qui leur incombe désormais.
Cette situation n’est pas difficile à régler. Il existe des cas bien plus délicats où les principes
de la coopérative ont été dévoyés.
Cas pratique
L’entreprise Bêta
L’entreprise Bêta, spécialiste de la mécanique de précision, a été rachetée par ses salariés faute de repreneurs. Les cadres
ont pris en charge la formation de la coopérative et se sont approprié la majorité des pouvoirs. Les autres salariés, trop
contents de conserver leur emploi, n’ont pas protesté et acceptent docilement ce dévoiement des principes fondamentaux
de la coopérative et de l’autogestion. Il est quasi impossible de les faire participer.
La start-up
Les start-up ne sont pas non plus par principe la solution miracle de la coopération et de la
participation, tant s’en faut. Bien des start-up ne sont « cools » qu’en façade. On se tutoie,
on s’appelle par le prénom, on fait une partie de baby-foot à l’occasion, mais l’autoritarisme
et le culte du chef sont toujours en vigueur14. Là encore, on étudiera de près le mode de
management pratiqué.
Et… les entreprises plus traditionnelles
En revanche, l’on peut obtenir de bons résultats auprès d’entreprises plus traditionnelles,
des entreprises où le dirigeant respecte le professionnalisme de ses subalternes.
Cas pratique
L’entreprise Gamma
L’entreprise Gamma est une société de développement informatique. Rachetée et intégrée à un groupe plus important, elle
conserve encore une certaine indépendance. Son directeur, lui-même développeur informatique de talent, dispose d’une
véritable autorité de compétence, la seule acceptable comme le rappelle Michel Serres15. Les questions de la confiance et de
la reconnaissance sont pour lui tout à fait naturelles tant que les salariés sont eux-mêmes compétents. Toujours en quête
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d’efficacité, il a parfaitement compris les avantages qu’il tirera d’une prise de décision facilitée à tous les niveaux de son
unité dans un esprit de « coopération »16.
Ces quelques cas rapidement résumés démontrent bien qu’il est avisé de ne pas se fier au
type de structure de l’entreprise pour en déduire la répartition des pouvoirs. Seule une
observation attentive du management permet de tirer des conclusions pour aborder la
démarche avec les précautions qui s’imposent. La direction privilégie-t-elle l’efficacité ou
est-elle encore fortement attachée aux valeurs hiérarchiques traditionnelles ? Voilà la
question qu’il s’agit de résoudre.
Et aujourd’hui ?
Il est bien évident que dans un monde de complexité croissante, où l’innovation est devenue un impératif, les structures
archaïques finiront par tomber.
Pour l’instant, il est prudent de bien observer l’envers du décor afin d’entreprendre la
démarche la mieux adaptée… Tout ce qui brille n’est pas or, et une pépite encore prise dans
sa gangue est bien terne en apparence.
1« I was reflecting my engineering background and was insufficiently appreciative of the human dimension. I’ve
learned that’s critical. »
2Michael Hammer et James Champy, Reengineering the Corporation: A Manifesto for Business Revolution, Nicholas
Brealey Publishing, 1993. Ce livre fut traduit en français sous le titre « Le Reengineering » et publié aux éditions
Dunod. L’auteur avait fait précéder la publication de ce livre, paru en 1993, d’un article culte dans la Harvard
Business Review sobrement intitulé : « N’automatisez pas, éliminez ! ». Pour l’auteur, il était inutile de perdre son
temps à chercher à automatiser les tâches qui, en apparence, ne contribuaient pas au processus de création de
valeur. Il valait mieux les supprimer purement et simplement. L’article est toujours en ligne :
https://hbr.org/1990/07/reengineering-work-dont-automate-obliterate. Aujourd’hui, les communicants ont
mieux compris les avantages de la novlangue façon George Orwell, et ont substitué le terme de « flexibilité » à
celui de « dégraissage ». Si l’on y réfléchit un instant, il est tout autant péjoratif pour les femmes et les hommes
concernés.
3Notamment avec la mythique expérience de la Western Electric à Hawthorne, où Elton Mayo (1880-1949) et son
équipe se rendirent compte que l’intérêt qu’ils portaient aux travailleurs au cours d’une expérience était un
booster de la performance. Voir aussi la présentation des travaux de Mac Gregor page 206.
4La Comédie humaine du travail, Érès, 2015.
5Comme le relève Alain Supiot dans son ouvrage La Gouvernance par les nombres, op. cit., les salaires sont une
charge sur le plan comptable et la contribution à la création de valeur n’est pas visible. Selon l’auteur, c’est ce
principe comptable qui explique les licenciements boursiers.
6Les Employés d’abord, les clients ensuite, op.cit.
7Voir notamment la figure 4 page 33. Sans le savoir, ce dirigeant met rigoureusement en application le principe
taylorien ainsi dénoncé par Émile Pouget en 1914 dans son ouvrage L’Organisation du surmenage (le système
Taylor) : « Parce qu’il (Taylor) choisit scientifiquement l’homme qu’il faut, sur 75 hommes il en élimine 71. En
même temps que vous éliminez l’ouvrier moyen, vous augmentez le nombre de chefs et la paperasserie, vous
compliquez l’administration (pensez au reporting). Et chaque ouvrier restant, un ouvrier de choix, doit faire le
travail de quatre. » (Librairie des Sciences Politiques et Sociales)
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INDEX
A
Abeille Guy 122
adhésion 258
Anderson Chris 49
autoapprentissage 47
automatisation 34
B
benchmark 65, 134
C
causalité 49, 96, 99
chaîne
- de valeur 184
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- définition 191
COP21 176
corrélation 96
cross-selling 164
D
data scientist 50, 107
décision
downsizing 292
E
échelle
- de Likert 279
- de valeur 268
- logarithmique 89
- manipulation 86
effet
- d’aubaine 104
- de halo 274
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efficience 142
empowerment 189
F
Fayol Henri 149, 158, 307
G
Galford Robert 191, 311
graphiques 85, 90
H
Hammer Michael 291, 292
holacratie 297
Homo Œconomicus 51
I
incertitude 189
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- choix 215
- définition 109
- suivre 141
indicateurs 62
- alibis 68
- artificiels 69
- écrans 70
- faussement équilibrés 73
- globaux 71
- incomplets 70
- insignifiants 69
- volontairement déséquilibrés 72
infographies 90
initiative 213
K
Kepler Johannes 136
L
lampadaire (théorème du) 119
loi El Khomri 92
M
Maister David 191, 311
manipulation 67, 96
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médiane 75
méfiance 26
- définition 64
modale (valeur) 76
- extrinsèque 209
- intrinsèque 209
moyenne 74
- mobile 94
N
Nayar Vineet 34, 160, 191, 194, 297, 312
- de groupe 269
O
objectif 113, 119, 169, 200
opérationnel 29, 34, 110, 156, 157, 188, 191, 195, 297, 300
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P
paradoxe de Zénon 272
- définition 142
- objectif 176
poka-yoke 190
polémique 255
pourcentages 77
pouvoir 156, 189, 195, 231, 241, 256, 297, 300, 301
- d'innovation 214
Q
quadrature du cercle 136
R
reconnaissance 199, 204, 296, 308, 311
règles 56
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S
salami slicing 135
start-up 304
- définition 150
T
Tableau de bord 72, 88, 108, 132, 134, 138, 274, 277
tactique 169
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Taylor Frederick W. 26
U
up-selling 164
V
valeur
- chaîne de 184
- échelle de 268
- médiane et modale 74
W
Waterman Robert 152, 309
Z
Zadeh Lofti 288
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