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L’ETAT DE DROIT ET L'INDEPENDANCE JUDICIAIRE Par Gistle Cété-Harper” Toute personne a droit, en pleine égalité ce que sa cause soit entendue quitablement et publiquement par un tibunal éndépendant et impartial, ui décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-ondé de toute accusation en matiére pénae dirigée contre elle. Cet article 10 de la Déctaration universelle des droits de I'Homme! inspira Varticle 14 du Pacte relatif aux droits civils et politiques qui précisait davantage la portée de l'indépendance judiciare. Ces instruments interationaux ont pavé la voie aux principes onusiens de 1985, aux normes de 1990 qui définissent le réle des avocats ainsi qu’aux Principes de Madrid de 1994 concernant les relations entre les ‘médias ct la magistrature, principes visant& trouver un équilibre entre 'indépendance Judiciaire, la liberté de presse t le respect des droits des individus, équilibre on ne Peut plus difficile &atteindre. L'indépendance judiciaire est l'un des pliers de I'organisation d°une socité démocratique régie par le principe de la régle de droit. Les deux valeurs fondamentales que sont I’éat de doit et 'indépendance judiciaire sont interrlies. La régle de droit ainsi que le respect des droits de la personne ne peuvent tre garantis que dans un contexte oi la profession juridique et la magistrature sont libres de toute ingérence. ‘Tel n’est cependant pas le cas dans les Etats ~i les membres de Ia profession font objet de harcélement et d’imtimidation. Certains font méme passer la défense des droits avant leur propre sécurité. Pour leur assurer une protection effective, I’ Assemblée générale des Nations Unies doit adopter une Déclaration sur la protection des défenseurs des drotts de l homme. En 1997, 572 cas de sévices & légard de juges et d’avocats dans I'exercice de leurs fonctions, furent rapportés dans 49 pays. Parmi ceux-ci, notat le 8° rapport ‘annuel du Centre pour I'indépendance des juges et des avocats, 26 furent twés, 2 sont ««disparus», 97 torturés, 91 ont fait V'objet de menaces de’ violence, 32 ont été physiquement agressés alors que 324 furent victimes de sanctions et d’obstruction dans I'exercice de leur profession, * Professeur tla acu de rot de Université Laval "Declaration universe de dots de 'Homme, Rés. AG 217), Doc. ff. AG NU, 3 ses, supp. a? 13, Doe. NU ABO (1948) 71 [chaps Declaration universal. * Pacte relat aux drs else poligues, 19 décembre 1966, 999 REN. 171 at 9-14 152 (1998) 11.2 Revue québécoise de droit international ‘Dans certains Etats, on peut identifier une tension croissante entre les pouvoirs exécutifS et KégislaifS 4 I'égard du pouvoir judiciaire, menagant ainsi Vindépendance institutionnelle qui repose sur la séparation des pouvoirs «L'indépendance institutionnelle de ta cour [...] ressort de ses rapports institutionnels ou administratifs avec les organes exécutif et législatif du gouvernement»® L'indépendance individuelle visant les juges qui composent le tribunal peut également étre réduite par le biais d'interventions et d’interférences de toutes sorte. Cette situation de fait existe en dépit de législations, de politiques et de pratiques ainsi que la création de capacités nationales et de structures régionales telles que l'Organisation des Etats Américains, Y'Organisation pour la Sécurité et la ‘Coopération en Europe ainsi que I’Organisation pour I’Unité Africaine. Liindépendance judiciaire n’en demeure pas moins I'un des piliers de organisation d'une société démocratique. Au Canada, celle-ci résulte de deux principales sources. Dans un premier temps, le préambule de la Lot constitutionnelle de 1867 prévoit l'application des principes du régime consttutionnel britannique, dont celui de indépendance judiciaire La Charte canadienne des droits et libertés est venue consacrer de fagon expresse ce principe constitutionnel, Au Quevec, cette méme exigence d'indépendance se retrouve inscrite dans la Charte des droits et libertés de la personne, Ces textes législaifs n'épuisent cependant pas toutes les facettes de ce concept. Nos tribunaux contribuent ainsi de fagon importante a identifier et & définir les composantes essentielles de I'indépendance du pouvoir judiciaire dont la portée pratique reste souvent imprécise, ‘Nos magistrats subissent influence de plusieurs instruments internationaux ‘en la matiére, Le trés honorable juge Brian Dickson s'exprimait en ces termes ‘Au cours des demiéres années, des documents intemationaux importants ont éubli d'une maniére plus détaillée le contenu des principes de Pindépendance judiciaire dans les sociétés Libres et démocraiques : voir, par exemple, les trente-deux articles du Syracuse Draft Principles on the Independance of the Judiciary, (1981), les quarante-sept normes énoncées dans International Bar Association Code of Minimum Standards of Judicial Independance, (1982), et, particulirement, Ia Déclaration tuniverselle sur Uindépendance de la Justice (..]6 Cette demitre Déclaration fut adoptée Montréal, en 1983, a l'occasion dune conférence convoquée et présidée par honorable juge Jules Deschénes, Le principe de I'indépendance judiciaire s'étend I’ensemble du systéme Judiciaire du pays, Ainsi, des institutions autres que les cours de justice habilitges & * Valente. La Reine, [1985]2 RCS. 673 bap 687 ci-apets Valente]; dans R , Reouregard, (1986) 2RCS.$6Alap. 7, la Cour argh le concep [ck-apres Seonregard) * Beauregard, bid bla p.74. Etat de droit et indépendance judiciaire 153 rendre des décisions pouvant affecter les droits fondamentaux des individus, sont soumises au respect de certaines conditions visant a assurer leur indépendance Pourtany, il n’existe pas un seul modéle d’indépendance judiciaire. Les juges ne sont pas tous assujettis & un statut identique, c’esta-dire aux mémes droits et obligations visant a assurer eur impartialité. Ainsi, le juge d'un tribunal administratif n’aura pas nécessairement a rencontrer les mémes standards d'indépendance judiciaire qu'un Juge de la Cour supréme, Cependant, il devra resp-cter les exigences essemtelles imposées aux juges Le principe consttutionne! de I'indépendance de la magistrature n’exige pas que tous les juges des différents tribunaux soient nécessairement régies par des dispositions analogues bien que cela serait sans doute ’idéal. Le gouvernement peut donc adopter des normes législatives ou réglementaires variables bien que relatives au statut des juges : le processus de nomination, de rémunération et la sécurité d’emploi, Quoiqu’il en soit, lorsque Je législateur décide de confier des fonctions judiciaires es institutions antres que les cours de justice traditionnelles, celles-ci doivent offir les mémes garanties d’indépendance judiciaire bien que formulées différemment, Ainsi, la jurisprudence, autant canadienne que québécoise a reconnu que cette garantie consttutionnelle s‘applique aux tribunaux et organismes exergant des fonctions judiciaires et quasi-judiciaires’, incluant les tribunaux militares’ L’étendue de V'indépendance judiciaire fera stirement encore I'objet de ‘nombreux débats. II revient donc aux tribunaux d’évaluer, dans chaque cas, le degré d'indépendance requis selon la nature des fonctions de l'organisme. En outre, V'indépendance de la magistrature est fondamentale en ce qurelle {...] est Ia piere angulaire, une condition préalabie adcessaire, de P'impartalité udiciaires*. En effet, elle ne consttue pas une fin en soi, mais plust un moyen. Ce ‘moyen est essentiel autant pour assurer la confiance du public dans I'insttution que pour rendre une justice impartiale dans un cas donné par un juge risonnable et bien informé. Une opinion, soitelle favorable ou défavorable, pourra étre teintée de partialité ou de préjugé si elle est injustfige ou excessive”. Le principe de V'indépendance du pouvoir judiciare dans un état de droit est donc un prérequis a 'impartialité et permet ainsi de garanti le respect des droits dela personne, * Re Gindrew,[1992]1 RCS. 299 aux pp. 284-86, " MacKeigan &. Hickman, [1989] 2 RCS. 796, $30 (le cours supércures) ; Remvot rela & la ‘riounératon des jges de a Cour provinciale de Ule-du Prince Edouard, 1997] 3 RCS. 3 {lee ‘ours provincinles) ; Rc. Lippe, [1991] 2 RCS. 114, 155-6 (let Momambreault «. Brezeoy, 1996] CAL. 1795 (C:A) (le wibunaux administra) (autonston ‘apples refuse, [1997] 3 RCS. Xi), Re Justices ofthe Peace At (1985), [1993] 16 COC. F (CA Ont (les jes de pat) ; Valois. Universal Spo Lie, {1987} RQ. 296 (CA) (ls prefers Spcinox exergat des fonctions judi). 7 Valent et Beauregard, pra note 3 "Re Lipps, {1991} 2 RCS, 14a lap. 139. * ReS MD, [I997}3 RCS. 484 154 (1998) 11.2 Revue québécoise de droit international Bien que les approches de ype juridique favorisent Ia protection des droits, cles doivent également progresser en méme temps que examen des tendances sociales et des rélités politiques plus générales. Il sagit, comme certains le dsent, de exéer un espace plt6t que de nouvelles normes juridiques. Le philosophe Dworkin éerivat : empire du droit se déinit par une atte, et non par un teiter, un pouvoir ou des princes de procs. .] C'est une atte interrtation, «autoréflexion, qui s'adresse d la politique dans son sens le plus large" est en effet essentiel que attitude du juge suscite la confiance du public dans Vintégrité de son travail et la dignité de sa profession. Cette confiance dépend elle-méme de la mesure dans laquelle la magistrature observe des normes de conduite élevées. Ces normes de conduite constituent une ‘composante essentielle de I’indépendance judiciaire et vivent en symbiose avec cette demiére" La collectivité doit comprendre le réle des tribunaux et se sentir comprise ‘par cos mémes instances. Lattitude des magistrats et les principes qui guident leurs décisions se font dans le cadre socio-politico-conomique des personnes auxquelles s’adresse un systéme de justice qui souhaite mieux répondre aux préoccupations d’équité. Les questions qui leur sont soumises se doivent donc d’étre envisagées dans le contexte de la réalité sociale, Ce sont 14 quelques défis que nous pouvons relever collectivement dans notre contexte juridique specifique et méme au-dela des frontiéres étatiques, ainsi que solidairement avec ceux et celles qui lutent pour instaurer un régime d'état de droit et dindépendance judiciaire. "© R. Dworkin, L‘empire ddr, Coll, «Recherches politiques ad. parE. Soubrenie, Pais, Presses Universitaires de France, 1994 aux pp. 449-50 "Conseil canadien de la magistrate, Princpes de déomtoogie fuiciaire, tava, 1998 ap. 10

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