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978-2-10-074802-0
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SOMMAIRE

LES AUTEURS VII

PRÉFACE. LA PAROLE DE L’ENFANT EN JUSTICE IX


JACQUES T OUBON
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DÉFENSEUR DES DROITS

AVANT-PROPOS XI
J OCELYNE DAHAN ET ROLAND C OUTANCEAU

P REMIÈRE PARTIE

R EPÉRAGES

1. Le droit d’être considéré comme une personne à part entière 3


G ENEVIÈVE AVENARD

2. Une loi pour une meilleure protection des enfants et des familles 13
FABIENNE Q UIRIAU

3. La parentalité au cœur des politiques familiales 25


G ÉRARD N EYRAND
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

D EUXIÈME PARTIE

R EGARDS CROISÉS

4. La parole de l’enfant dans la pratique judiciaire 39


O DILE B ARRAL

5. La vérité sort-elle toujours de la bouche des enfants ? 43


JACQUES A RGELÈS

6. Parole et place de l’enfant dans la médiation familiale 49


L ORRAINE F ILION , VANESSA R ICHARD

7. Les investigations en psychiatrie légale 69


C LAUDE A IGUESVIVES
VI S OMMAIRE

T ROISIÈME PARTIE

R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

8. La complexité du recueil de la parole de l’enfant 79


G ÉRARD P OUSSIN

9. Recueillir la parole de l’enfant victime : un exercice complexe 91


H ÉLÈNE ROMANO

10. Expertise et parole de l’enfant : évaluation, analyse


de témoignage ou recueil de données ? 99
ROLAND C OUTANCEAU

Q UATRIÈME PARTIE

L A PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL


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11. Enfant victime d’agression sexuelle : le cheminement
de sa parole dans le cadre pénal 111
Y VES -H IRAM H AESEVOETS

12. L’audition judiciaire du mineur victime d’agression sexuelle :


approche criminologique 127
B ERNARD V ILAMOT , J EAN M ICHEL B RETON ,
M ARC PASSAMAR , O LIVIER T ELLIER

13. Fausses allégations, vérité du sujet 153


J EAN -L UC V IAUX

C INQUIÈME PARTIE

L A PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

14. La parole de l’enfant devant le juge aux affaires familiales 165


M ARC J USTON

15. L’audition du mineur par délégation du juge aux affaires


familiales 173
J OCELYNE DAHAN

16. Syndrome d’aliénation parentale, ou logiques d’influence 185


ROLAND C OUTANCEAU

BIBLIOGRAPHIE 195

TABLE DES MATIÈRES 203


LES AUTEURS

Claude A IGUESVIVES
Psychiatre, expert près la Cour d’Appel de Montpellier.
Jacques A RGELÈS
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Ancien directeur d’associations de protection de l’enfance. Membre du
Conseil scientifique et technique de l’association Docteurs Bru.
Geneviève AVENARD
Défenseure des enfants, adjointe du Défenseur des droits
Odile BARRAL
Juge des enfants à Toulouse. Auteur de Des enfants-otages dans les conflits
d’adulte (Érès, 2013).
Jean Michel B RETON
Officier de police judiciaire, Brigade des recherches Toulouse-Mirail.
Roland C OUTANCEAU
Psychiatre, expert national, président de la Ligue française de la santé
mentale, chargé d’enseignement en psychiatrie et psychologie légales
à l’université Paris V, à la faculté du Kremlin-Bicêtre et à l’École des
psychologues praticiens.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Jocelyne DAHAN
Médiatrice familiale diplômée d’État, formatrice, auteur de plusieurs
ouvrages et nombreux articles relatifs à la médiation, à la famille, membre
du Conseil national consultatif de la médiation familiale, a participé à
l’institutionnalisation de la médiation familiale.
Lorraine F ILION
Travailleuse sociale, médiatrice familiale, coach parental et formatrice,
Québec, Canada. Lorraine Filion a co-fondé l’AIFI (Association franco-
phone des intervenants auprès des familles séparées. www.aifi.info)
Yves-Hiram H AESEVOETS
Psychologue clinicien, psychothérapeute d’orientation psychanalytique,
maître-assistant et chargé de cours des Hautes Écoles, chargé de
recherches et maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles,
VIII L ES AUTEURS

expert près des Tribunaux et du ministère de la Justice, formateur à


l’Institut belge de victimologie.
Marc J USTON
Président de Tribunal honoraire
Gérard N EYRAND
Sociologue, professeur à l’université de Toulouse.
Marc PASSAMAR
Psychiatre, pédopsychiatre, praticien hospitalier.
Gérard P OUSSIN
Professeur honoraire en psychologie.
Fabienne Q UIRIAU
Ancienne conseillère technique auprès du ministre Philippe Bas pour
élaborer la réforme de la protection de l’enfance entre 2005 et 2007 qui
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aboutira au vote de la loi du 5 mars 2007. Depuis cette date, dirigeante de
la Cnape, fédération nationale d’associations investies dans la protection
de l’enfant.
Vanessa R ICHARD
Travailleuse sociale, Québec, Canada.
Hélène ROMANO
Docteur en psychopathologie-HDR, expert près les tribunaux.
Olivier T ELLIER
Psychiatre, praticien hospitalier, Unité pour malades difficiles.
Jacques T OUBON
Défenseur des droits.
Jean-Luc V IAUX
Professeur émérite de psychopathologie, Université de Rouen.
Bernard V ILAMOT
Psychiatre, pédopsychiatre, praticien hospitalier ; expert près la Cour
d’Appel de Toulouse.
Préface

LA PAROLE DE L’ENFANT
EN JUSTICE
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Jacques TOUBON
Défenseur des droits

les missions que lui a attribuées la loi organique de mars 2011,


S ELON
le Défenseur des droits a en charge particulièrement la défense de
l’enfant et de son intérêt. Or, rien n’est plus délicat à mener à bien
que le recueil de la parole des plus jeunes. Même si l’ensemble des
intervenants du monde judiciaire et socio-éducatif fait preuve chaque
jour d’un professionnalisme incontestable, notre Institution, à travers les
milliers de dossiers qu’elle traite tous les ans, a constaté combien ce sujet
était délicat.
Même si des avancées – parfois contradictoires – ont vu le jour depuis
une dizaine d’années, comportant certains dispositifs protecteurs, on doit
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

déplorer encore une forte ignorance de cette réalité et une inadaptation des
procédures dans l’exercice quotidien de la justice familiale, que quelques
affaires médiatisées ont permis de faire connaître.
Ce constat a conduit le Défenseur des droits à choisir le thème de
la parole de l’enfant en justice. Des auditions ont été menées avec
l’ensemble des acteurs qui interviennent lorsque le mineur est confronté
à la justice : magistrats, avocats, associations, policiers, gendarmes ou
encore médecins, enfin et surtout, les enfants eux-mêmes.
Quelle que soit la nature de la participation de l’enfant, quel que soit
le domaine juridique concerné – justice pénale ou justice des affaires
familiales –, des mesures particulières et protectrices doivent être mises en
place par les pouvoirs publics pour le recueil de la parole de ces enfants.
Il est primordial pour notre pays, un des premiers signataires de la
Convention relative aux droits de l’enfant (adoptée à l’ONU en 1989),
X P RÉFACE

que la parole de l’enfant soit entendue et respectée afin de lui offrir les
meilleures garanties dues à son expression.
Entendre un enfant, c’est lui permettre de s’exprimer sur les questions
qui le concernent et de l’intégrer à la prise de décision des adultes. Ce
droit à l’expression, à la parole est un enjeu fondamental qui concerne sa
vie au quotidien et aura des répercussions sur sa vie future.
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AVANT-PROPOS
Jocelyne DAHAN et Roland C OUTANCEAU

à l’écoute de l’enfant s’inscrit dans l’évolution de


L A SENSIBILITÉ
notre société démocratique ; la loi faisant progressivement de l’enfant
une personne à part entière. Mais si tout témoignage d’enfant est précieux,
il doit aussi être évalué.
Dans les plaintes au pénal, il faut en apprécier la « crédibilité ».
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Au civil, l’enfant est parfois « englué » dans le conflit de ses parents.
Il prend parfois partie, par « loyauté » pour le parent avec lequel il vit au
quotidien.
Dans quel cadre entendre sa parole ? Quelle méthodologie pour l’écou-
ter ? Dans des situations de séparation conflictuelle du couple, comment
éviter l’influence de l’un de ses parents ? Comment permettre à l’enfant
de sortir d’une position d’enjeu ? Comment démêler ce qui est de sa
« demande », de ce qui est de son intérêt ?
Ces questions se posent à tous les professionnels de l’accompagnement
familial (juges, avocats, médecins, psychologues, experts, travailleurs
sociaux, médiateurs...).
Pour tenter de répondre aux questions que chacun se pose sur la parole
de l’enfant, ce livre se compose de cinq parties :
• repérages pluridisciplinaires ;
• regards croisés ;
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• questionnements autour du recueil de la parole de l’enfant ;


• la parole de l’enfant au pénal ;
• la parole de l’enfant au civil.

Dans une première partie, Geneviève Avenard, la Défenseure des


enfants, rend compte de l’évolution de la loi, considérant désormais
l’enfant comme une personne à part entière.
Fabienne Quiriau situe le cheminement vers une meilleure protection
des enfants et des familles.
En contrepoint, le sociologue Gérard Neyrand, problématise la parenta-
lité au cœur des politiques familiales.
Dans une seconde partie, des professionnels de champs différents :
Odile Barral (magistrat), Jacques Argelès (consultant), Lorraine Filion
et Vanessa Richard (médiatrices), Claude Aiguesvives (pédopsychiatre
XII A VANT- PROPOS

expert) développent leurs réflexions autour de la parole de l’enfant, dans


leur pratique quotidienne.
Dans la troisième partie, trois auteurs : Gérard Poussin, Hélène Romano
et Roland Coutanceau exposent leurs repères théoriques sur la question
du recueil de la parole.
Dans une quatrième partie, s’inscrivant dans le cadre pénal, Yves-Hiram
Haesevoets rend compte de sa pratique expertale.
Bernard Vilamot, Jean Michel Breton, Marc Passamar et Olivier Tellier
témoignent de leur pratique de l’audition du mineur victime, dans la
pluridisciplinarité.
Enfin, Jean Luc Viaux traite du sujet sensible des fausses allégations.
Dans une cinquième partie portant sur le civil, Marc Juston restitue sa
longue pratique de Juge aux Affaires Familiales.
Jocelyne Dahan précise le contexte d’une pratique innovante : l’audition
du mineur, par délégation du Juges aux affaires familiales.
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Enfin, Roland Coutanceau tente de proposer quelques repères pouvant
être partagés au-delà de débats parfois passionnés, autour du syndrome
d’aliénation parentale.
Les auteurs du livre ont tenté, au-delà de leur positionnement théorique,
de problématiser leurs interrogations, leurs cheminements en faisant
apparaître leurs pratiques, notamment autour de situations pas toujours
simples à éclairer ou à objectiver.
L’esprit du livre est de porter un regard accueillant, sensible, humain,
mais aussi rigoureux et objectif sur la parole de l’enfant, pour, au-delà
d’échanges parfois passionnels, réunir une dynamique pluridisciplinaire
autour de la reconnaissance de l’enfant comme sujet en devenir.
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REPÉRAGES
PARTIE 1
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Chapitre 1

LE DROIT D’ÊTRE
CONSIDÉRÉ COMME UNE
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PERSONNE À PART ENTIÈRE
Geneviève AVENARD

I NTRODUCTION
L’article 12 de la Convention relative droits de l’enfant1 précise que :

« Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement


le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant,
les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à
son âge et à son degré de maturité. À cette fin, on donnera notamment à
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou


administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un
représentant ou d’un organisme approprié... ».

À l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, chaque


20 novembre, le Défenseur des droits remet au Président de la République
et aux Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat un rapport sur les
droits de l’enfant. En 2013, celui-ci a été consacré à « l’enfant et sa parole
en justice ».
Chaque année, des milliers d’enfants sont confrontés à la justice de
notre pays. Il peut s’agir soit de procédures de divorce où l’enfant
devient trop souvent un enjeu pour les parents en conflit, soit il s’agit

1. Votée à l’ONU à New-York en 1989, ratifiée par la France en 1990.


4 R EPÉRAGES

d’enfants victimes, témoins ou auteurs d’actes répréhensibles. Leurs


paroles recueillies deviennent des éléments parfois déterminants dans
la décision judiciaire qui sera finalement prise.
Parfois fragiles ou malhabiles, souvent évolutifs au gré des circons-
tances et des interlocuteurs, les mots des plus jeunes sont une matière
indispensable, précieuse pour que le droit soit dit, mais à manier avec la
plus extrême prudence.
Tout d’abord cela passe par un lieu dédié et non anxiogène, comme
c’est déjà le cas dans certaines juridictions où l’enfant s’exprime dans un
endroit neutre, détaché de l’espace judiciaire ou policier.
En second lieu, la question des interlocuteurs de l’enfant est aussi
primordiale : même si dorénavant des modules de formation existent pour
les forces de sécurité et pour les personnels de justice, il est indispensable
de les renforcer, de les systématiser et surtout de permettre à chacun de
compléter son savoir en la matière. Trop souvent, au cours de nos auditions
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et rencontres, nous avons constaté des pratiques disparates qui fragilisent
la prise en compte de la parole de l’enfant.
Il est nécessaire qu’un ensemble de documents de nature diverse adapté
à leur âge soit mis à disposition des plus jeunes pour leur apporter toutes
les explications nécessaires sur les raisons de leur audition et l’usage
éventuel qui peut en être fait.
Dans une démocratie évoluée, il est indispensable que l’intervention
de l’enfant dans le monde de la justice soit encadrée, audible par les
professionnels et rassurante pour les enfants.
C’est pourquoi à l’issue de ce rapport, dix recommandations sont
formulées à l’ensemble des décideurs publics. La plupart d’entre elles
relèvent du bon sens et du respect fondamental des droits de l’enfant qui
demeure le cœur de notre mission.

U NE LENTE ÉMERGENCE DE L’ ÉCOUTE DE L’ ENFANT


Jusqu’à la révolution française, l’enfant, l’adolescent n’a guère de
marge d’autonomie et d’expression pour faire entendre sa voix : majorité
tardive à 25 ans, possibilité paternelle d’emprisonner le jeune récalcitrant,
droit de correction (mentionné jusqu’en 1958) entre autres. Ce n’est
cependant qu’en 1889, que, choquant certains, et afin de protéger le corps
de ce futur citoyen et travailleur qu’est l’enfant, la loi sur la déchéance
paternelle est votée, pour les cas où le père se montrerait trop violent, trop
négligent, trop maltraitant. De l’écoute de l’enfant, de son opinion sur ses
conditions de vie en famille, sur un éloignement et un placement éventuels,
il n’est alors pas encore question. Et si, en 1912, la spécificité de l’enfance
est reconnue avec la création des tribunaux pour enfants il s’agit d’abord
de définir des classes d’âges relatives aux enfants délinquants ou en danger
et de faire bénéficier les moins de 16 ans de l’excuse de minorité.
LE DROIT D ’ ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UNE PERSONNE À PART ENTIÈRE 5

Une reconnaissance tardive des violences physiques


et sexuelles
La lente mise en lumière des violences physiques et sexuelles dont
l’enfant peut faire l’objet conduit à ce que celui-ci acquiert le statut de
victime reconnue dans la sphère sociale comme judiciaire. Pour le soigner
autant que pour permettre aux tribunaux de sanctionner ces violences il est
considéré opportun de le laisser s’exprimer et de l’écouter. La maltraitance
physique intrafamiliale n’est alors guère identifiée, ni prévenue, ni traitée
comme telle ; la maltraitance sexuelle encore moins.
Les enfants se taisent. À partir des années 1970, en France, sous
l’impulsion du pédiatre Pierre Straus, quelques pédiatres et pédopsy-
chiatres commencent à observer et comprendre les mauvais traitements
physiques : enquêtes, observations d’enfants hospitalisés, placés... De là
naîtront des structures nouvelles, pluridisciplinaires, d’accueil, de soins
et d’accompagnement des parents et des enfants. Des associations se
constituent dont, pionnière en 1979, l’Afirem (Association française
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d’information et de recherche sur l’enfance maltraitée). Ces praticiens
qui soignaient régulièrement de tels enfants évoquent encore aujourd’hui
« un véritable déni, c’est-à-dire voir quelque chose mais ne pas en tenir
compte, des violences sexuelles subies par des enfants ». Marqués par
les travaux canadiens, ils décident de réexaminer des dossiers d’enfants
maltraités qu’ils ont suivis et découvrent alors avec stupéfaction que,
parmi eux, plusieurs enfants ont subi des agressions sexuelles.
Ces médecins se forment eux-mêmes à l’écoute cette parole, au repé-
rage des situations. Quelques adultes viennent leur décrire ce que, enfants,
ils ont subi. Ainsi « s’est bâtie une science clinique », qui a ensuite été
diffusée, en premier lieu chez les médecins afin de protéger les enfants
d’aujourd’hui1.

Une approche pénale


Deux textes de loi concrétisent une approche pénale de ces violences
portées sur le corps et l’esprit de l’enfant.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traite-


ments à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance. La victime
est entendue par le juge ; elle raconte son histoire, les faits. Première
brèche dans le silence, premiers risques de cacophonie sur l’écoute, sur
l’évaluation de la parole par les professionnels. Policiers ou gendarmes,
travailleurs sociaux, magistrats souvent peu formés à interroger des
enfants, parfois très jeunes, sur de tels sujets. L’enfant parviendra-t-il
à dire ce qu’il a à dire ?
Puis vient la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la
répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs.

1. Pierre Strauss et Michel Manciaux, L’enfant maltraité, Fleurus 1982 ; devenu, en


2002, Enfances en danger.
6 R EPÉRAGES

Elle consacre une large place à l’audition des enfants et à leur protection
au cours du processus judiciaire. Le témoignage d’un enfant ne s’organise
pas comme celui d’un adulte. La répétition du récit, devant plusieurs
interlocuteurs différents, est perçue comme un facteur ébranlant l’enfant
car redire c’est revivre. L’enregistrement des auditions se veut une garantie
contre des variations dans les récits et une protection contre la reviviscence
des affects.

L’ ÉCOUTE DE L’ ENFANT S ’ INSTALLE DANS LE DROIT


DE LA FAMILLE
La loi relative à l’autorité parentale
En affirmant que « les parents associent l’enfant aux décisions qui
le concernent selon son âge et son degré de maturité » (art 371-1 al. 3
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du code civil), la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a
marqué une évolution importante dans la prise en compte des droits de
l’enfant notamment en y intégrant la notion d’intérêt de l’enfant. L’autorité
parentale qui est aussi une manière d’organiser les relations entre parents
et enfants ne peut faire l’impasse sur l’écoute de l’enfant, dont les parents
doivent, en fonction de son âge et de sa maturité, prendre son avis, lors
par exemple de la séparation des parents.
Dans ce cas, le juge aux affaires familiales veille spécialement à la
sauvegarde des intérêts des enfants mineurs. Pour déterminer leur intérêt
il s’appuie sur un ensemble d’éléments concrets parmi lesquels l’audition
de l’enfant et les sentiments exprimés par le mineur.
Lorsque surviennent dans la famille des difficultés éducatives pouvant
conduire à des mesures d’assistance éducative ou de placement, l’enfant
qui le demande, considéré comme doté d’un discernement suffisant peut
donner son avis au juge afin d’éclairer sa décision sur son projet de vie
comme l’impose la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance.
L’article 388-1 du code civil est désormais rédigé :

« Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement


peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son
consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le com-
mande, par la personne désignée par le juge à cet effet. »

Une parole sacralisée à l’excès...


À la suite de la tragique affaire judiciaire d’Outreau, la ministre de la
justice de l’époque Marylise Lebranchu charge un groupe d’experts pré-
sidé par le magistrat Jean-Olivier Viout d’analyser les dysfonctionnements
de l’affaire dite d’Outreau. Rapport remis en 2005 à Dominique Perben.
Dès ses premières lignes le rapport Viout affirme :
LE DROIT D ’ ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UNE PERSONNE À PART ENTIÈRE 7

« Longtemps dédaignée ou tenue circonspecte, trop facilement couverte


par les clameurs de l’adulte dénégateur, la parole de l’enfant a peu à
peu occupé sa légitime place dans la procédure judiciaire à la faveur
notamment de l’action militante d’associations ou d’individualités exem-
plairement engagées. Cette parole si vulnérable ne saurait retomber dans
les limites de l’indifférence, au vu et au prétexte de la conclusion de
l’affaire Outreau. Mais la parole de l’enfant n’a pas pour autant vocation
à une systématique et inconditionnelle sacralisation. Elle se doit d’être
recueillie puis expertisée avec les précautions et le professionnalisme
qu’exige sa spécificité. »

Les auditions menées par le groupe de travail (la Défenseure des


enfants avait alors été entendue) ont amené à mettre en évidence six
problématiques : le recueil et l’expertise de la parole de l’enfant ; l’apport
de la procédure d’information judiciaire ; le contrôle de la détention
provisoire ; la prise en charge du mineur victime ; le déroulement du
procès d’assises ; les relations avec les médias.
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49 préconisations ont été formulées par ce groupe de travail invitant à
remodeler profondément les savoir-faire ou à en instaurer de nouveaux,
notamment les formations professionnelles dans leur ensemble et en
particulier celles des enquêteurs en charge de recueillir la parole de
l’enfant également celles des magistrats, étant noté que par la suite l’École
nationale de la magistrature a remanié radicalement l’ensemble de son
cursus.
Plusieurs préconisations engagent à mettre en œuvre des dispositions
déjà existantes ou leur extension. Il en est ainsi de l’enregistrement des
mineurs, obligatoire depuis la loi du 17 juin 1998, le groupe de travail
ayant constaté que la plupart des équipements étaient inexistants ou mal
utilisés.
On trouve aussi l’écho de ces réflexions dans la loi du 5 mars 2007
réformant la protection de l’enfance qui insiste sur l’importance de
l’audition de l’enfant dans les décisions de protection qui le touchent
et crée une instance pour professionnaliser l’évaluation du signalement.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Aujourd’hui, dans l’espace judiciaire se jouent des décisions essen-


tielles pour la vie de l’enfant : séparation des parents, difficultés éducatives,
conflits avec la loi, violences de toutes sortes... Les dispositions qui
régissent sa présence et son intervention ont beaucoup changé en 25
ans et font désormais une place plus significative aux droits de l’enfant.
Pourtant, comment porter sur la scène judiciaire la parole de l’enfant et
l’univers si dérangeant qu’elle décrit, des propos dont la réalité – parfois
si spectaculaire comme l’ont montré des affaires retentissantes – a ébranlé
bien des certitudes et des savoirs ?

Alors qu’elle doit être contextualisée...


La parole de l’enfant et de l’adolescent doit être contextualisée afin de
tenir compte de son développement cognitif et affectif et de son cadre de
8 R EPÉRAGES

vie. L’expérience a montré, douloureusement, que la parole de l’enfant


« n’est pas à prendre au pied de la lettre » mais à recueillir et examiner en
fonction d’éléments techniques qui s’appuient sur des repères partagés.
On ne communique pas avec un enfant ou un adolescent comme avec
un adulte. L’apprentissage du langage est progressif, il ne se borne pas à
l’acquisition de vocabulaire ou à la qualité de la syntaxe. Le langage traduit
la façon dont l’enfant, ou l’adolescent, organise sa pensée, se détache du
réel et devient capable de conceptualisation.
Cependant, les mots, les sentiments n’ont pas le même sens selon le
moment du développement cognitif et psychique et de la construction de la
personnalité de l’enfant. En effet, les limites de ses capacités d’expression
peuvent engendrer des confusions entre ce que disent l’enfant et la réalité.
Durant cette période où son langage se développe, l’enfant se forge son
propre vocabulaire ou emploie des mots qui ont cours dans sa famille, très
souvent dans le registre de la vie quotidienne et du corps, mais qui n’ont
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pas le même sens ou pas de sens du tout pour une personne extérieure.
D’où les risques d’incompréhension ou d’interprétation.
Certains adolescents se font remarquer par leurs grandes difficultés pour
accéder à cette fonction symbolique du langage ce qui les réduit à une
grande pauvreté d’expression. De plus en plus souvent des professionnels
(éducateurs, médecins, magistrats, psychologues...) se désolent de la
présence croissante dans les structures spécialisées de prise en charge
de la jeunesse, d’adolescents conduits là par leur incapacité à mettre en
mots ce qu’ils ressentent, y substituant trop souvent violence et actes
délictueux.
Lors de l’audition, l’enfant est incité à mobiliser sa mémoire, à recher-
cher activement et précisément ses souvenirs.

« Le contexte judiciaire s’intéresse aux informations qui composent la


mémoire épisodique en relation avec les souvenirs de faits vécus qui
permet de se souvenir et de faire un retour vers le passé » explique la
psychiatre médecin légiste Élisabeth Martin.

Cohabitent dans la mémoire des souvenirs et des productions imagi-


naires issues du monde intérieur, représentations mentales sans rapport
avec la réalité perçue. Cet imaginaire a une place essentielle dans la vie
psychique de l’enfant. Démêler l’un de l’autre requiert du savoir-faire.
Les éléments affectifs occupent une place majeure dans l’expression.
Ainsi est-il du langage corporel : gestuelle, mimique, immobilité ou
agitation... Certaines unités d’assistance à l’audition filmant l’audition de
l’enfant en sont venues à installer une table transparente afin d’enregistrer
ce qui se passe sous la table : mouvements des jambes et des mains,
cachées, tordues, etc.
D’autres manifestations affectives sont plus complexes à repérer et à
comprendre. Beaucoup d’enfants malmenés ou maltraités par leurs parents
maintiennent un attachement à ces parents, bien que leur mode d’éducation
LE DROIT D ’ ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UNE PERSONNE À PART ENTIÈRE 9

ait été mis en cause et, parfois, les ait conduits devant la justice. La
dépendance de l’enfant à l’égard de l’adulte, l’amour, l’affection, le respect
lui rendent en effet difficile de prendre ses distances d’avec un adulte
proche et aimé. Le besoin de sécurité inhérent à l’enfant peut le conduire
à moduler ses propos en fonction des conséquences qu’ils pourraient avoir
sur sa sécurité et ses conditions de vie : changer d’hébergement, être placé.
Devenir une arme entre des parents perdus dans une séparation très
conflictuelle place l’enfant ou l’adolescent dans un tiraillement permanent,
un conflit de loyauté qui fausse son expression, celle de ses sentiments
et de ses désirs. Parfois, à l’encontre de ce qu’il souhaite réellement, il
tient un discours en faveur d’un parent qu’il a « choisi », parce qu’il
se sent investi de la mission de soutenir ce parent qui souffre. Ainsi
peuvent s’expliquer, en dehors de tout climat de peur et de menaces, des
rétractations et des variations dans les récits d’enfants et d’adolescents.
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L A PAROLE DE L’ ENFANT EN JUSTICE :
L ES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DU D ÉFENSEUR DES DROITS

L’audition de l’enfant
L’enfant capable de discernement peut être entendu par le juge, cette
audition est de droit lorsque l’enfant en fait la demande (article 388-1 du
code civil). Demande fréquente auprès du juge aux affaires familiales lors
des séparations parentales.
La mise en œuvre de ce droit bute sur l’appréciation du discernement de
l’enfant faute de critères et de pratiques homogènes.
• Reconnaître une présomption de discernement à tout enfant qui demande
à être entendu par le juge dans une procédure qui le concerne. Le
magistrat entendant l’enfant qui le demande pourra alors apprécier son
discernement et sa maturité

Les enfants victimes


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les enfants victimes ont besoin d’un soutien individuel, juridique et psycho-
logique tout au long du parcours judiciaire.
Plusieurs unités d’assistance à l’audition ont été créées rassemblant dans
un lieu unique une équipe pluridisciplinaire de professionnels formés à
l’écoute de l’enfant victime, au recueil et à l’enregistrement de sa parole et
aux éventuels examens médicaux nécessaires à la procédure.
• Mettre en place sur tout le territoire des unités d’assistance à l’audition
afin d’offrir aux enfants victimes la garantie d’être auditionnés et accom-
pagnés par des professionnels : policier, gendarme, médecin.
L’audition du mineur victime doit être filmée afin d’éviter à l’enfant de
répéter ses déclarations tout au long de la procédure devant plusieurs
interlocuteurs au risque qu’elles soient déformées.
Bien que ces enregistrements soient mis à disposition des magistrats,
des experts et des avocats qui peuvent les regarder à tout moment de la
procédure ils ne sont que très rarement consultés.

10 R EPÉRAGES

• Engager à l’échelle nationale une évaluation de l’utilisation effective des
enregistrements des auditions de mineurs victimes par les professionnels
auxquels ils sont destinés.

L’enfant témoin
Les réclamations reçues, l’enquête et les auditions menées par la Défen-
seure des enfants, montrent que le statut juridique de l’enfant témoin se
trouve « hors garanties procédurales ».
• Conférer à l’enfant témoin un statut juridique précis qui lui garantisse des
droits et prenne en compte la vulnérabilité due à sa minorité.
• Ce statut serait réservé aux enfants témoins des affaires les plus graves.

Développer une meilleure information auprès des jeunes pour une


justice adaptée aux enfants et aux adolescents
Développer « une justice adaptée aux enfants » suppose de donner les
moyens de connaître et comprendre le monde de la justice.
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• Mobiliser l’ensemble des professionnels de l’éducation afin que, dans le
cadre d’une éducation réelle à la citoyenneté, tout enfant et adolescent
soit informé de façon concrète sur le monde de la justice, les droits qui
sont les siens et la manière de les exercer.
• Fournir à tout enfant confronté au monde judiciaire une information claire
et adaptée à son âge et à son degré de maturité sur ses droits, la justice
et son fonctionnement. Cette information (plaquettes, outils numériques)
devra lui donner les moyens de se repérer entre les différents acteurs, de
comprendre le déroulement de la procédure qui le concerne et, tout en
exerçant ses droits, d’être respecté dans son statut d’enfant.

Dans le cadre des séparations parentales


Lors des séparations familiales engagées devant le juge aux affaires
familiales, la Défenseure des enfants a pu constater que les enfants sont
inégalement informés du droit à être entendu par ce magistrat.
• Informer l’enfant de tous les droits et utiliser tous les moyens pour
ce faire : courrier du greffe adressé à l’enfant, fascicules d’information,
consultations gratuites d’avocats destinées à ce public, sites internet.
• Encourager et valoriser la présence d’un avocat formé aux droits de
l’enfant aussi bien devant le juge aux affaires familiales qu’en matière
d’assistance éducative.
• Renforcer l’information de l’enfant et de l’adolescent quant à ce droit
d’assistance afin qu’ils soient à même de comprendre la procédure
judiciaire en cours et la place qui est la leur.

C ONCLUSION
Reconnaître et faire vivre le droit à l’expression répond directement à
l’intérêt supérieur de l’enfant. Un principe essentiel mis en avant par la
Convention dès son article 3 et qui doit constituer « une préoccupation
primordiale ». À chacun des acteurs sociaux et, tout particulièrement
LE DROIT D ’ ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UNE PERSONNE À PART ENTIÈRE 11

à ceux intervenant auprès d’enfants ou d’adolescents, confrontés à des


situations concrètes de rechercher où se situe le meilleur intérêt de
l’enfant ; de le mettre en œuvre dans la façon d’écouter l’enfant, de
recueillir sa parole, de la prendre en considération.
Mais, après vingt-cinq années d’application de la Convention relative
aux droits de l’enfant, la société française est-elle prête à accepter que
l’enfant soit une personne à part entière, qu’il ait des droits et que,
naturellement, il les exerce ?
Laisser l’enfant et sa parole en justice prendre sa place dans la sphère
judiciaire a entraîné des mouvements d’opinion divers. Ils ont contribué à
semer le doute et à déconsidérer cette parole. Elle est pourtant l’expression
d’enfants victimes, d’enfants dont la famille éclate, d’enfants qui ont
été témoins de faits interdits et qui, tous, sont ébranlés par une épreuve
personnelle.
Ce n’est pas le moindre des enjeux que de toujours considérer l’enfant
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comme un sujet capable de penser, d’avoir une opinion personnelle, de
« discernement » donc, plutôt que comme un objet dont disposeraient les
adultes. Ainsi est-il de la fonction des adultes d’aider l’enfant à forger
ce discernement ; de lui éviter d’être manipulé, voire instrumentalisé par
ceux qui se dédouanent de leurs responsabilités éducatives en projetant
les enfants trop jeunes dans un univers d’adultes dans lequel ils ne savent
pas évoluer en sécurité.
Souvent la parole de l’enfant dérange les professionnels qui l’entendent.
Favoriser un travail transversal entre ceux-ci : enquêteur, magistrat, avo-
cat, expert, administrateur ad hoc, médecin... accentuer leur formation à la
connaissance de l’enfant, de son développement et de ses besoins, installe
une culture commune bénéfique pour l’intérêt supérieur de l’enfant.
Chapitre 2

UNE LOI POUR UNE


MEILLEURE PROTECTION
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DES ENFANTS
ET DES FAMILLES
Fabienne Q UIRIAU

qui a précédé l’adoption de la loi de 2007 réformant la


L A RÉFLEXION
protection de l’enfance fut un moment propice pour se réinterroger
sur ce que doit recouvrir la notion même de protection, sa raison d’être
et la manière dont elle doit être mise en œuvre. Cette ré-interrogation a
conduit à redéfinir :
• le périmètre de la protection de l’enfance qui a été étendu en y intégrant
la prévention ;
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• les facteurs de la protection qui distinguent le danger (maltraitance


incluse) et le risque de danger pour l’enfant ;
• les modalités de mise en œuvre de la protection, dont les principes et le
cadre d’action ont été revisités pour être davantage en adéquation avec
les besoins de l’enfant.
L’objectif visé était de mieux protéger l’enfant. Mais qu’en a-t-il
été des membres de sa famille ? Toute la réflexion conduisait à les
associer davantage et autrement à la protection de l’enfant, et à mieux
les accompagner.
Fallait-il pour autant une loi s’agissant essentiellement de pratiques,
de manières d’être et de faire avec les familles ? Le législateur a estimé
qu’il y avait lieu de conforter par le droit ces principes d’action, et que par
ailleurs, la loi était nécessaire pour renforcer ou restreindre certains droits.
14 R EPÉRAGES

La loi a été diversement accueillie par les professionnels de la protection


de l’enfance, balançant entre trop de droits donnés aux enfants et trop de
place accordée aux familles. C’est ce second point de vue qui prévaudra
quelques années plus tard, certains dénonçant une collaboration poussée à
l’extrême avec les familles au détriment de l’enfant. Le rapport bien plus
nuancé de deux sénatrices remis au Sénat en 2014, relèvera cependant la
persistance d’un « dogme familialiste ».
Pourtant, le législateur de 2007 a recherché un équilibre. Soucieux de
l’intérêt de l’enfant, du respect de ses droits et de la satisfaction de ses
besoins fondamentaux, sa protection du danger a été réaffirmée comme
le fondement de la protection de l’enfance. Mais en même temps, il a
conçu cette protection avec l’implication des parents et de la famille, sous
réserve qu’elle soit possible. Il invite ainsi à concilier, au nom de l’intérêt
de l’enfant, ses droits et les droits parentaux et ceux de la famille, mais
pas à n’importe quel prix pour l’enfant.
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Dans la pratique, la recherche de cet équilibre s’est avérée difficile,
pour des raisons de procédures et de pratiques, mais aussi pour des causes
exogènes, notamment liées à un contexte social, économique, financier,
administratif en plein bouleversement, induisant diverses contraintes sur
la protection de l’enfance.
En réalité, ce sont les mutations sociales et sociétales qui bousculent le
plus, questionnent les missions et les limites de la protection de l’enfance
face à la transformation des rapports intrafamiliaux, de l’environnement
des familles, des modes de vie. Les attentes personnelles s’affirment,
accrues par les lois de la décennie 2000-2010 relatives au domaine social
et médico-social, conduisant à devoir satisfaire prioritairement des besoins
individuels plutôt que collectifs.
Ces transformations ne sont pas sans effet sur les intervenants de la pro-
tection de l’enfance. Un sentiment d’impuissance grandit en même temps
que se multiplient les questionnements sur le sens de leur action et la place
de chacun dans un dispositif qui apparaît de plus en plus complexe. Quelle
place et quel rôle pour les acteurs publics, les associations, les bénévoles,
les professionnels, l’enfant, les familles, les tiers ? Plus fondamentalement,
les questionnements sur la raison d’être de la protection de l’enfance, ses
principes, ses finalités, ses modalités, son devenir, traduisent un certain
égarement, mais ils sont incontournables et probablement salutaires.
Désormais, la protection de l’enfance ne peut faire abstraction de l’état
de la société, de ses rapides et profondes mutations, à l’égard desquels
elle doit s’adapter et composer. La loi de 2007 s’inscrit-elle dans le
sens de ces mutations, dans le sens de l’histoire, va-t-elle à contresens ?
Cette question conduit à se poser celle de la place de la société dans
la protection de l’enfance. Plus particulièrement, elle pose la question
récurrente de la place des parents, mais aussi celle de la famille dans
toutes ses composantes. En quoi cette place peut-elle poser problème, en
quoi peut-elle constituer un levier pour protéger l’enfant ?
U NE LOI POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES 15

L A LOI DE 2007 CONFORTE , DANS LES PRINCIPES


ET PAR LE DROIT, LA PLACE DES FAMILLES
TOUT EN PROTÉGEANT MIEUX L’ ENFANT
La place des familles a été au cœur de la réflexion avant et au moment
de l’adoption de la loi de 2007. Leur place a été reconnue et confortée par
le législateur parce que considérée comme nécessaire et symbolique pour
l’enfant, et légitime du point de vue du droit.

Conforter la place de la famille en procédant autrement


Il s’agit de miser sur un tout autre rapport entre l’enfant protégé et sa
famille d’une part, et les intervenants de la protection de l’enfance d’autre
part, partant du postulat que l’enfant doit être protégé avec l’appui de ses
parents, de sa famille et de son environnement, quand cela est possible et
souhaitable pour lui.
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En 1980, le rapport Bianco-Lamy regrettait le peu de place des parents
dans la protection de l’enfance, voire leur absence. Jusque-là, la substitu-
tion aux parents était pratique courante. Or, les rapporteurs observaient
que les parents ne peuvent être les grands absents de la protection de leur
enfant. Il sera ensuite question de suppléance, pour agir en complément
des parents et non à leur place. Une nouvelle étape sera franchie avec la
loi de 1984 qui renforcera leur place, tout en clarifiant leurs rapports avec
le service de l’ASE.
En 2007, leur place est confortée. Il s’agit aussi de les accompagner
pour qu’ils soient en mesure d’assumer leurs responsabilités éducatives.
Dans l’esprit des lois qui précèdent, cet accompagnement s’entend comme
une présence aidante à leurs côtés, favorisant un cheminement pour
apprendre ou réapprendre leurs responsabilités éducatives et (re)devenir
les premiers protecteurs de leur enfant.
En se fondant sur l’hypothèse que leur implication est un facteur facili-
tant à la protection de leur enfant, il s’agit de développer et d’entretenir
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

une confiance réciproque par l’écoute, le dialogue, la clarté, l’échange


d’informations, la possibilité d’exposer des observations, d’exprimer son
désaccord, ses attentes, ses choix.
C’est tout un processus qu’il faut donc susciter dès le début de la
protection, et avant même la décision administrative ou judiciaire, afin de
trouver ensemble les conditions du mieux-être de l’enfant et même de son
bien-être, pour déterminer son meilleur intérêt, favoriser des interactions
favorables, enclencher une dynamique de protection et s’y engager chacun
à sa juste place.
Il est probable que l’enfant ira mieux si ses parents vont mieux, en
étant aidés, reconnus, valorisés, réinvestis dans leur rôle de parents. Et
inversement, les parents iront mieux si leur enfant se sent mieux et
s’épanouit. Ce principe doit sous-tendre le projet pour l’enfant, introduit
16 R EPÉRAGES

par le législateur dans un esprit de co-construction et dans un objectif de


clarté quant aux modalités des interventions et du rôle de chacun.

Reconnaître la place légitime des parents


dans la protection de l’enfance
Le droit conforte leur place en tant que parents titulaires de l’autorité
parentale, mais aussi en tant que sujets de droits.
Une légitimité juridiquement fondée
Les parents sont, sauf restriction décidée par le juge, détenteurs de
l’autorité parentale. La loi du 4 mars 2002, codifiée à l’article 371-1
du code civil, définit ainsi l’autorité parentale « un ensemble de droits
et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». Cette définition
appelle une coparentalité, exercée à égalité entre les deux parents, qui
peut impliquer cependant une certaine complexité lorsque des tensions
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subsistent dans le couple séparé, a fortiori lorsque les droits parentaux
aménagés par le juge sont spécifiques à chacun des deux parents.
Ainsi, les parents sont légitimes à exercer leurs droits parentaux, et
donc à décider pour leur enfant protégé si le juge n’a prononcé aucune
restriction, ni délégation partielle ou totale de l’autorité parentale. Afin
de faciliter le quotidien, le législateur de 2007 a néanmoins prévu que
les actes usuels pouvaient, dans certaines circonstances, être exercés par
l’institution ou la personne à qui est confié l’enfant sous réserve que le juge
en décide « en cas de refus abusif ou injustifié ou en cas de négligence des
détenteurs de l’autorité parentale, à charge pour le demandeur de rapporter
la preuve de la nécessité de cette mesure. »
Il est à relever que, d’une manière générale, les magistrats, sont plutôt
réticents à aménager les droits parentaux. Les deux sénatrices précitées
regrettent que la délégation de l’autorité parentale soit si peu envisagée.
Certains professionnels estiment que cette délégation peut être un levier de
travail avec les parents pour les remobiliser. D’autres, à l’inverse, craignent
qu’elle n’accentue leur démobilisation. Quoi qu’il en soit, les droits
parentaux, totalement ou partiellement maintenus par le juge, doivent
être pris en compte dans la protection de l’enfant.
Les parents doivent être reconnus en fait et en droit
comme les premiers protecteurs de leur enfant
Notre droit interne, mais aussi la Convention internationale des droits
de l’enfant (CIDE), reconnaissent les parents comme premiers protecteurs
de leur enfant, même si aucun texte ne l’exprime aussi explicitement.
C’est parce que l’enfant ne bénéficie plus de la protection suffisante de
ses parents, et qu’il est en danger au sens des articles 375 du code civil
et L.221-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF), que la
puissance publique intervient pour le protéger. Mais ce n’est pas parce
que la puissance publique intervient, que les parents perdent leurs droits
parentaux, sauf si le juge les restreint ainsi qu’évoqué au point précédent.
U NE LOI POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES 17

Les parents sont aussi sujets de droits


Les parents d’un enfant protégé peuvent faire valoir des droits, comme
tout citoyen, face à la puissance publique, sauf à en être déchus. C’est
tout le corpus des droits individuels et collectifs qui peuvent être invoqués.
Certains droits et libertés viennent régulièrement questionner la protection
de l’enfance : liberté d’opinion, liberté religieuse, liberté d’expression,
égalité de droits devant la loi, garantie des droits, à la vie privée, du secret
de certaines informations (secret professionnel), de traitement dans les
procédures judiciaires (procédure contradictoire, assistance d’un avocat
au civil, parties à l’audience) droits civils et sociaux, droit à la motivation
des décisions, d’accès au dossier. Ce sont des droits avec lesquels les
intervenants sont généralement peu à l’aise et peu au fait.
La loi du 6 juin 1984, déjà évoquée, a marqué un tournant décisif
concernant les droits des familles dans leurs rapports avec les services
chargés de la protection de l’enfance. Cette loi est, en bien des points,
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précurseur de la loi du 2 janvier 2002 relative aux droits des usagers. Il est
notamment question du respect de l’autorité parentale, de leurs droits à
l’information, à être consultés, d’être accompagnés dans leurs démarches,
à la révision régulière de la situation, d’exercer un recours contre les
décisions.
Les droits individuels n’ont cessé d’être affirmés par les lois au cours
des quatre dernières décennies, reconnaissant à chacun ses droits et donc sa
place dans la société. Ils constituent incontestablement une avancée pour
tous. Mais, en même temps, ils génèrent des inégalités entre les personnes :
inégalité d’accès, non-recours, disparités de traitement entre les territoires.
La protection de l’enfance est un domaine où les risques d’écarts entre les
droits des personnes et leur effectivité sont potentiellement élevés.

Se référer aux droits de l’enfant pour assurer


sa protection
Même si la plupart sont directement transposables dans notre droit
interne, le législateur a introduit dans la loi de 2007 certaines dispositions
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de la CIDE, marquant ainsi sa volonté de les promouvoir et de les faire


appliquer sans contestation possible dans la protection de l’enfance. Cette
intention se traduit dans une disposition majeure du texte qui s’impose à
tous « la prise en compte de ses droits, de ses besoins fondamentaux, de
son intérêt dans toute décision le concernant ».
Les droits de l’enfant facteurs de sa protection
Jusque-là méconnus, y compris par les professionnels de l’enfance, les
droits de l’enfant vont connaître, 20 ans après l’adoption de la CIDE,
un intérêt nouveau dans la protection de l’enfance. Reprenant certaines
dispositions de la CIDE, la loi de 2007 y a probablement contribué, en
reprenant celles relatives au recueil de l’avis de l’enfant, à son audition
devant le juge s’il en fait la demande, à son information concernant toute
décision le concernant, à la prise en compte de son intérêt et de ses besoins
18 R EPÉRAGES

fondamentaux, au maintien des liens avec ses frères et sœurs et avec des
personnes autres que ses parents avec qui il a noué des liens affectifs.
Parallèlement, la CIDE affirme le rôle prééminent des parents et de la
famille. La protection de l’enfant doit être, en effet, assurée compte tenu
des responsabilités, des droits et devoirs de ses parents auxquels l’État doit
apporter son aide lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés. Le texte invite
à préserver les relations familiales, à veiller à ce que l’enfant ne soit pas
séparé de ses parents contre leur gré à moins que les autorités compétentes
n’en décident pour protéger l’enfant (ingérence légale), à donner à toutes
les parties intéressées la possibilité de participer aux délibérations et de
faire connaître leurs vues.
Remettre en perspective la raison d’être de la protection
de l’enfance
Le législateur de 2007 précise la finalité de la protection de l’enfance
en affirmant ses missions et les principes d’action qui doivent guider tout
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acteur qui « participe ou apporte son concours ». Il s’agit essentiellement
de protéger l’enfant du danger, d’agir face à des risques de danger et de
les prévenir, de prendre soin de lui, de prendre en compte ses droits, ses
besoins fondamentaux, son intérêt propre.
S’agissant des principes et des modalités d’action, la loi de 2007,
s’inspirant de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-
sociale, invite chaque acteur à se concentrer sur l’enfant en se référant
au projet conçu pour lui, à prendre en compte son avis, à mobiliser les
ressources de son environnement, à l’appréhender dans sa dimension
globale, à veiller à la continuité et à la cohérence de son parcours
de protection, à apporter des réponses en adéquation avec ses besoins
fondamentaux.
La loi de 2007 a pris le parti de l’équilibre, pour concilier l’intérêt de
l’enfant et sa nécessaire protection et la légitimité des parents investis de
leurs droits parentaux, reconnus premiers protecteurs de leur enfant. Mais
cet équilibre s’avère difficile à trouver dans la pratique, et d’autant plus
questionné par les professionnels eu égard à la subsidiarité de la justice.

L A LOI DE 2007 À L’ ÉPREUVE DU TERRAIN,


DANS LA MISE EN ŒUVRE D ’ UNE MEILLEURE
PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES
Les contraintes actuelles qui pèsent sur les départements produisent
des effets directs ou indirects sur la manière d’appréhender la protection
de l’enfance, et par conséquent, les droits des familles. La tendance est
de se recentrer sur les compétences obligatoires, et de mettre de côté
la prévention. La focalisation sur les responsabilités du département en
matière de protection de l’enfance induit la tentation à réduire les risques a
minima, ce qui peut rigidifier le cadre d’action et les marges de manœuvre
pour les intervenants.
U NE LOI POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES 19

Quelle effectivité des droits dans la protection


de l’enfance ?
Différents constats amènent à poser la question de l’effectivité des
droits. Faute de temps et de disponibilité des professionnels, par manque
de places appropriées aux besoins des enfants, les réponses sont quel-
quefois inadéquates avec les réels besoins. Des décisions administratives
et judiciaires sont appliquées sont tardives, parfois avec un tel décalage
dans le temps qui interroge sur la réelle protection du danger. De plus, les
enfants protégés continuent de connaître des parcours chaotiques, émaillés
de ruptures qui les insécurisent et affectent leur développement. Le travail
avec les parents et les membres de la famille est quelquefois délaissé pour
se concentrer sur l’enfant.
Des marges de progrès pour parvenir à l’effectivité des droits
de l’enfant
Les institutions publiques et associatives affirment quasi spontanément
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que les droits de l’enfant sont généralement respectés dans les services et
établissements. Les professionnels, pour la plupart, confirment ce point
de vue, bien qu’ils reconnaissent des difficultés pour recueillir l’avis
de l’enfant, surtout lorsqu’il est petit, et pour le prendre réellement en
compte, pour l’informer de manière adaptée, pour déterminer son meilleur
intérêt lorsqu’il met en jeu celui de ses parents, pour évaluer concrètement
l’ensemble de ses besoins fondamentaux, notamment affectifs et pour y
répondre.
Sans doute, composer avec l’ensemble de ces droits et les mettre en
pratique, demandent du temps et du savoir-faire. À cet égard, la question
de la formation reste entière. À minima, ce sont des principes d’action
partagés que le cadre doit poser et promouvoir.
L’effectivité des droits des parents : entre exigence et renoncement
Le contexte actuel vient bousculer les droits des familles, et par
effet, leur place. Quel temps réel accordé pour l’écoute, le dialogue, la
compréhension, pour développer une confiance nécessaire, pour recueillir
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

un véritable accord, un consentement éclairé ?


Pour les parents et la famille, l’exercice effectif de leurs droits dépend,
pour une large part, de la connaissance qu’ils en ont (souvent, ils les
méconnaissent, ou même les ignorent), et de leur possibilité à les assumer
ou pas, à les revendiquer ou pas. Cela suppose de leur part la compréhen-
sion de leurs droits, de leurs responsabilités, de leur place, de la raison
d’être de la protection de l’enfance, et de la protection de leur enfant en
particulier.
Lors de l’élaboration de la loi de 2007, la compréhension des familles
a été une question majeure. Elle a fait consensus autour de l’exigence de
lisibilité de la protection de l’enfance, et donc de clarté et d’accessibilité.
La compréhension des familles est considérée comme un facteur déter-
minant pour limiter autant que possible les malentendus et favoriser leur
réelle implication dans la protection de l’enfant.
20 R EPÉRAGES

À cet égard, le rôle pédagogique des intervenants, institutionnels ou


professionnels, est apparu essentiel, particulièrement lors des premiers
contacts avec les familles. Cela suppose des modalités d’accueil et
d’information préalablement définies pour favoriser la compréhension.
Par la suite, le processus d’élaboration du projet pour l’enfant et des
documents des services et établissements déclinés au titre de la loi du
2 janvier 2002 précitée, doit aussi contribuer à favoriser la compréhension
des actions à mettre en œuvre.
C’est d’abord dans un objectif de clarté que le projet pour l’enfant a été
conçu. Puis, il a été aussi perçu comme un levier d’action en associant les
parents, dès son élaboration, pour parvenir à les mobiliser dans la mise en
œuvre de la protection. Mais dans son application, le projet a bien souvent
une traduction tout autre. Réduit à une formalité, il est encore loin de
l’esprit de la loi et des intentions du législateur de 2007.
La compréhension n’est cependant pas suffisante pour que les parents
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soient réellement acteurs de la protection de leur enfant, pour que la famille
participe effectivement. D’autres facteurs interviennent qu’il faut savoir
identifier, comme par exemple la disponibilité d’esprit des parents, leur
volonté de s’impliquer eu égard à leurs propres difficultés, la place qu’ils
souhaitent ou ne souhaitent pas, exprimée ou pas. L’exemple rapporté par
Régis Sécher est à cet égard troublant, à propos d’une mère qui, dans la
perception des cadres du service de l’ASE, se désintéresse apparemment
de ses enfants, alors qu’elle conserve précieusement chez elle chaque
bulletin de notes.
Les attitudes de désintérêt des parents à l’égard de leur enfant protégé,
leur distance, voire dans certains cas, leur hostilité à l’encontre des
professionnels, peuvent mettre ces derniers en difficulté, et même en
échec, expliquer des tensions persistantes avec les familles, conduire à
la (re)saisine du juge faute de ne pouvoir protéger l’enfant au domicile
familial, de ne pouvoir mettre en place des actions ou de maintenir des
relations apaisées avec l’enfant dans le cadre de l’exercice du droit de
visite ou d’hébergement.
Dans le cadre de l’exercice du droit de visite des parents, la loi de
2007 a permis d’envisager la présence d’un tiers lorsque les relations sont
complexes, pour faire en sorte que la visite se passe au mieux. Mais une
tout autre interprétation et application lui sont souvent données, parfois
au détriment de l’enfant, pour maintenir le lien « à tout prix ». Le texte
en voie d’adoption au Parlement prévoit un décret pour en définir les
modalités.
La subsidiarité de la justice implique un travail
plus exigeant avec les familles
La volonté de déplacer plus en amont le centre de gravité de la
protection de l’enfance vers plus de préventif, de vouloir agir plus tôt
dès le risque de danger, de rechercher davantage l’accord et l’implication
des parents, a conduit le législateur à considérer que le degré élevé de
U NE LOI POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES 21

judiciarisation de la protection de l’enfance (plus de 80 % des décisions


de protection en 2005) devenait une contradiction. C’est pourquoi, il a posé
le principe de la primauté de la protection administrative sous réserve de
recueillir l’accord des parents. Il a considéré, en outre, que saisir la justice,
s’agissant même du juge des enfants, n’est jamais une saisine anodine
pour les justiciables, avec le risque de la banaliser si la protection est
possible sans son intervention. Les réflexions menées en Europe renforcent
ce principe, plaidant pour une intervention de la puissance publique,
administrative ou judiciaire, que lorsqu’elle est nécessaire, appropriée
et proportionnée à chaque situation.
La protection administrative implique une approche qui nécessite du
temps, celle-ci ne pouvant se mettre en place sans l’accord explicite des
parents. Il doit porter sur le principe même de la protection et ses modalités.
Il est à différencier de l’adhésion que recherche le juge des enfants qui,
quoi qu’il en soit, comporte une part de contrainte. Obtenir cet accord
demande, en principe, un travail de concertation plus exigeant avec les
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parents, tout en exposant à plus de risques l’autorité administrative qui
prend la décision et les professionnels chargés de la mettre en œuvre.
Notamment parce qu’elle peut être longue à se mettre en place, la
protection administrative est perçue par de nombreux professionnels
comme un facteur aggravant des situations de danger, retardant une pro-
tection judiciaire majoritairement considérée plus efficace et permettant
de travailler plus rapidement et mieux avec les parents. Qu’elle est la
réalité de cette affirmation ? Elle ne peut être ignorée mais mériterait une
recherche-action.
L’alourdissement des problématiques familiales impacte
la protection de l’enfance
La crise actuelle contribue à détériorer plus rapidement et durablement
les situations familiales, ce qui, indéniablement, a pour effet d’aggraver
tout autant le danger. C’est toute une frange de la population engluée par
de multiples difficultés quotidiennes de plus en plus complexes à dénouer,
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui est confrontée à la protection de l’enfance. Même s’il n’y a pas lieu de
faire le lien entre précarité/pauvreté et protection de l’enfance, parce que
les milieux sociaux favorisés sont tout autant concernés par cette question
mais moins confrontés au service de l’ASE ou au juge, c’est une réalité
avec laquelle les intervenants sociaux doivent composer. Environ 80 %
des familles concernées par la protection de l’enfance aujourd’hui sont des
familles vulnérables économiquement et socialement. Si la pauvreté n’est
pas la cause de la protection, toujours est-il que la plupart des familles
concernées par la protection de l’enfance se trouvent en situation précaire.
Ces problématiques familiales, tout comme d’autres, telles que la santé
des parents, dépassent le périmètre d’action de la protection de l’enfance
alors qu’elles en sont les facteurs majeurs, ce qui peut donner un sentiment
d’impuissance aux professionnels socio-éducatifs lorsqu’elles persistent
et s’aggravent.
22 R EPÉRAGES

Le refus de rester dans l’impasse et dans l’impuissance, la prise de


conscience de l’irréversibilité durable de la situation des financements
publics, conduisent de plus en plus d’acteurs associatifs à réagir, à inventer,
à rechercher des espaces collaboratifs et les moyens de « faire avec »,
mais autrement. C’est le concept d’empowerment, le pouvoir d’agir des
personnes et le pouvoir de faire des acteurs qui rencontrent aujourd’hui de
plus en plus d’écho. Trouver de nouvelles opportunités par la créativité et
l’inventivité, par des stratégies d’adaptation tendent à devenir les nouvelles
perspectives.

La protection de l’enfance conduite à s’ouvrir


sur l’environnement et à s’inscrire sur les territoires
La désinstitutionalisation, les États généraux du travail social, la
réforme territoriale, bien que sources d’inquiétude, peuvent agir comme
des opportunités, des stimuli pour se remettre en question et trouver sur
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les territoires des ressorts pour les interventions auprès des familles.
La désinstitutionalisation prônée par l’Europe, qui inquiète tant, peut
pourtant contribuer à une nécessaire ouverture. Cette métaphore résume
ce qu’elle suppose : il ne s’agit pas d’abattre les murs porteurs mais les
cloisons, d’ouvrir les portes et les fenêtres, de s’ouvrir sur l’environnement
pour y trouver des ressources.
Cela revient à identifier toutes les ressources avec les familles, les leurs
et celles de proximité, qu’il faut ensuite vouloir et savoir mobiliser. Cette
démarche repose sur l’idée que toutes les clés se trouvent sur le territoire
de vie des personnes, que c’est dans un maillage et sur un réseau que les
intervenants et les familles peuvent prendre appui.
De même, le Plan d’action interministériel adopté en Conseil des
ministres le 21 octobre, qui résulte des États généraux du travail social
invite à repenser l’action sociale dans son ensemble, tout en s’appuyant
sur le développement social, à repenser l’accompagnement des personnes,
les pratiques, la formation, l’accès et l’exercice des droits, la prise en
compte des choix et la satisfaction besoins fondamentaux.

Les pratiques en question


Au moment même de l’élaboration de la loi de 2007, il s’agissait
de repérer les bonnes pratiques pour les valoriser et les diffuser. Cette
intention reste d’actualité. Mais que faut-il entendre par bonnes pratiques
dans un contexte aussi mouvant, aussi déstabilisant pour les familles,
les institutions et les professionnels eux-mêmes ? Sont-elles celles qui
s’adaptent aux tendances de la société, respectent à la fois les droits des
personnes tout en garantissent au quotidien la meilleure protection et le
mieux-être ?
Dans un contexte aussi contraignant, comment adapter les pratiques ?
Certes les savoirs de base doivent être revisités, mais c’est la manière
d’être avec les familles, de faire avec et autrement, qui aujourd’hui doivent
U NE LOI POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES 23

être au cœur des réflexions. Ce sont les représentations mutuelles, la place


de chacun, la posture eu égard à la nécessaire distance et en même temps
à l’aspiration d’une plus grande empathie, à la prise en compte d’une
dimension affective.
Le cadre de l’intervention doit être clair, sécurisant, et accorder une
marge de manœuvre nécessaire pour accompagner les familles dans leur
cheminement, permettre de la souplesse, autoriser la prise de risque,
mesurée certes, mais prise de risque quand même, et la sortie des sentiers
battus. Un tel cadre favorisant est possible par la loi d’abord, mais aussi
par la volonté des institutions publiques et associatives et de tous les
intervenants.
La protection de l’enfance est à nouveau en questionnement aujourd’hui.
La place des familles est au cœur des débats au Parlement. Ce nouveau
débat semble induire un effet de balancier qui perpétue l’histoire oscillante
de la protection de l’enfance, venant troubler l’équilibre que la loi de 2007
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tentait d’instaurer. Ce n’est pas entre l’enfant et les parents qu’il faudrait
choisir, mais pour l’enfant, en recherchant ensemble le dénominateur
commun qui dans tous les cas doit être son meilleur intérêt.

E N CONCLUSION
La loi de 2007 a marqué une étape importante de l’histoire de la
protection de l’enfance. Elle est en passe d’être à nouveau consacrée
et renforcée par le texte en débat au Parlement qui confirme qu’elle
s’inscrit bien dans le sens de l’histoire. Mieux protéger les enfants et
les familles à tous points de vue en sachant faire et être autrement, en
s’employant à changer les représentations de part et d’autre, en adaptant
le cadre d’action et les pratiques. Si la loi est nécessaire pour fixer les
orientations nationales d’une politique publique, ses objectifs, et le droit,
elle n’est jamais suffisante dans la mise en œuvre. Car c’est bien sûr le
terrain, et au quotidien, que les défis doivent être relevés, que se joue le
sort de toute loi et de cette loi en particulier.
Chapitre 3

LA PARENTALITÉ AU CŒUR
DES POLITIQUES FAMILIALES
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Gérard N EYRAND

de la famille en France1 font l’objet d’un mouvement


L ES POLITIQUES
profond de transformation (Séraphin, 2013), qui affecte peu ou
prou tous les pays d’Europe occidentale et dont on peut penser qu’il
s’appliquera à terme à l’ensemble des pays européens. Il s’agit du passage
progressif d’une politique centrée sur la famille, en tant qu’entité globale
faisant l’objet d’une préoccupation politique quant à sa place et sa fonction,
à une politique centrée sur ce que désormais on appelle la "parentalité",
autrement dit les liens et les relations établis entre parents et enfants
(Neyrand, 2011).
Ce recentrage sur une partie seulement des rapports familiaux place au
centre des préoccupations l’enfant, et correspond à tout un ensemble de
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

transformations qui ont affecté les cadres de la vie privée et familiale, et


plus particulièrement les rapports de pouvoir à l’intérieur de la famille et
la place de chaque sexe par rapport aux études, au travail, à l’enfant, à la
sexualité et au politique. Ceci sur un fond de perte de la valeur instituante
de la famille que représentaient le mariage et ce sur quoi il s’était originé,
la religion. Au mouvement de désenchantement du monde qu’exprimait
la laïcisation de la société (Gauchet, 1985) particulièrement manifeste en
France depuis la séparation de l’Église et de l’État en 1905, se conjuguait
une affirmation de plus en plus forte de l’individu, de son autonomie, de
ses droits et de son bien-être.

1. Ce chapitre s’inspire de l’article : N EYRAND G., « D’une politique de la famille à


une politique de la parentalité. L’exemple de la France », Analele Universitàtii Bucuresti,
XVII, 1, p.19-34.
26 R EPÉRAGES

L A POLITIQUE FAMILIALE À LA FRANÇAISE


Un double mouvement régulé par l’État a traversé le XXe siècle,
d’émancipation des individus à l’égard des institutions les plus contrai-
gnantes (comme le mariage) et de valorisation de l’enfant comme référent
fondateur de la vie familiale et de l’ordre social, jusqu’à ce qu’on arrive à
la fin du siècle à une véritable promotion politique de la parentalité comme
instance fondatrice de la socialisation, et de ce fait organisatrice du lien
social, passant ainsi d’une logique de gestion familialiste à une logique
parentaliste. Les transformations qui marquent la politique familiale
française s’avèrent à cet égard exemplaires depuis la contestation du
mariage-institution dès la fin des années 1960 jusqu’à la fonctionnalisation
de la politique de la parentalité au milieu des années 2010.

La désinstitutionnalisation du conjugal
comme opérateur de la seconde modernité familiale
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En France, comme dans les autres pays occidentaux, débute à la fin
des années 1960 une contestation de l’ordre familial antérieur qui trouve
ses sources dans de multiples évolutions parallèles qui en quelque sorte
entrent en phase à ce moment-là (Neyrand, 2009), et qui va bousculer
les normes relationnelles et les modes de vie en famille. Cette véritable
mutation va très vite se traduire sur le plan des indicateurs démographiques
comme le taux de divortialité (10 % en 1970, 30 % en 1980), et être suivie
et encadrée par une reconfiguration des lois et des réglementations qui vise
à adapter le système normatif à une évolution des mœurs d’une ampleur
largement inattendue.
La dimension centrale de la contestation, portée par l’allongement
des études et le fait qu’elles concernent désormais autant les filles que
les garçons, est la remise en cause des rôles de sexe et la conception
traditionnelle du couple qu’ils expriment. À partir de ce moment-là la
France entre dans la logique qu’Irène Théry désigne judicieusement
comme celle du démariage (Théry, 1993), se traduisant par la double
explosion des unions libres et des divorces. S’il s’agit de se « dé-marier »
c’est aussi bien en dénouant le lien antérieurement conclu qu’en refusant
d’officialiser un lien conjugal demeurant informel (Roussel, Bourguignon,
1978 ; Chalvon, Demersay, 1983 ; Neyrand, 1986).
La fonction d’institution de la famille que possédait alors le mariage
était fondatrice : en posant le mari comme père des futurs enfants de son
épouse elle levait l’incertitude de la paternité (et enjoignait la fiancée
à la virginité et l’épouse à la fidélité) et elle nouait ensemble les trois
dimensions de la parentalité, biologique, socio-juridique, et psycho-
éducative. Mais l’évolution des représentations vers un surcroît de liberté
des individus et d’égalité entre les sexes, la contraception moderne, et
l’autonomisation des femmes, firent voler en éclats le modèle antérieur. Si
celui-ci demeure très prégnant dans beaucoup de situations, il ne constitue
plus le modèle de référence, reconnu comme légitime et encadré par
LA PARENTALITÉ AU CŒUR DES POLITIQUES FAMILIALES 27

les institutions, ces institutions qui dès la fin des années 1960 avaient
commencé à adapter les lois à ce qui allait constituer une véritable
révolution dans les manières de concevoir les façons de vivre en famille.
En l’espace d’une dizaine d’années, la sexualité allait se dégager
du risque procréatif en voyant se diffuser la pilule contraceptive et le
stérilet, et se libéraliser le recours à l’avortement ; le divorce, qui n’était
jusqu’alors possible que suite à une « faute » d’un conjoint à l’égard aussi
bien de son conjoint que de l’institution, voyait adoptée la possibilité
nouvelle d’un divorce par consentement mutuel ; les femmes finissaient
de s’émanciper de la tutelle de leurs époux ; les parents voyaient reconnue
leur autorité parentale conjointe en lieu et place de la puissance paternelle ;
les enfants voyaient s’effacer leurs différences de statut (légitime/naturel)
selon la situation matrimoniale de leurs parents...
Tout le système familial était ainsi reconsidéré, et les pouvoirs publics
accompagnaient tant bien que mal cette mutation en promulguant les lois
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nécessaires à son encadrement et les mesures destinées à soutenir les
individus les plus fragilisés face à ce qui allait être considéré comme
une véritable « révolution anthropologique » (Gauchet, 1998 ; Théry,
2001) ou « culturelle » (Hobsbawn, 1999). L’une des mesures les plus
emblématiques de ce repositionnement de l’État social, illustrant le
passage à un véritable « féminisme d’État » (Lévy, 1988 ; Revillard,
2006 ; Barrère-Maurisson, 2007) a été la création de l’Allocation parent
isolé (API) en 1976, destinée à répondre à la montée des situations
monoparentales féminines et visant à « compenser » la perte de la position
paternelle de pourvoyeur aux besoins de la famille par un soutien de l’État,
parfois considéré de ce fait comme un père de substitution (Strobel, 2008).
Mais à cette individualisation des logiques de gestion sociale a corres-
pondu une logique sociale et politique de responsabilisation croissante des
individus avec l’entrée, annoncée par Michel Foucault (2004), dans une
société néolibérale.

« Un nouveau principe de gouvernementalité se mettait alors en place,


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui promouvait, en même temps que l’économique comme modèle de


gestion sociale, le modèle de l’homo economicus comme représentation
d’un citoyen conçu d’abord comme consommateur. Au principe de rationa-
lisation économique des investissements sociaux correspondait la volonté
de production d’un sujet responsable de lui-même, par intériorisation des
normes marchandes ambiantes » (Neyrand, 2014).

Reconfiguration normative, responsabilisation


et précarisation
Les années 1970 en France sont ainsi illustratives d’un processus
de reconfiguration des rapports sociaux, qui concernent aussi bien les
rapports entre les différents acteurs de la sphère privée (rapports de sexe
et de génération), les rapports entre l’économie et la gestion sociale,
et les rapports entre l’État et la famille. Car les caractéristiques de ces
28 R EPÉRAGES

années-là sont de conjointement voir se développer une subversion des


rapports familiaux et privés antérieurs, la fin de la période de dévelop-
pement économique des trente glorieuses avec le « choc pétrolier » de
1974-1975, l’autonomisation du capital financier avec le développement
des entreprises multinationales et la perte de contrôle du politique, et
l’affirmation de la responsabilisation des individus comme principe de
gestion, dédouanant la société de sa propre responsabilité collective et
autorisant l’État à déléguer à la société civile nombre de ses fonctions de
régulation sociale. L’idéologie néolibérale justifie ainsi le transfert sur les
individus de la pleine responsabilité de leur situation, occultant le poids
des rapports sociaux dans la définition de celle-ci.

« La responsabilisation se situe à la croisée d’une exigence généralisée


d’implication des individus dans la vie sociale et à la base d’une philo-
sophie les obligeant à intérioriser, sous forme de faute personnelle, leur
situation d’exclusion ou d’échec » (Martucelli, 2010).
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D’une certaine façon, la responsabilisation, et je dirai même souvent la
sur-responsabilisation, est la contrepartie du processus d’individualisation
porté par le développement des médias et d’une société de consommation
qui prônent la réalisation de soi à travers la jouissance des objets, des
services et des relations, tout en participant par la diffusion des savoirs
des sciences humaines à la psychologisation de la société (Castel, 1973 ;
Neyrand, 2000).
La « société des individus » (Elias, 1991) s’appuie sur l’intériorisation
des normes comme moyen de régulation des rapports interpersonnels, en
développant les stratégies d’inculcation et de persuasion (Packard, 1958)
et en renvoyant à la marge la gestion des dysfonctionnements de cette régu-
lation intériorisée. La difficulté inhérente à un tel mode de gestion sociale
est double et tient, d’une part, à la prolifération des injonctions normatives,
d’autre part et de façon liée, aux difficultés d’intégration normative d’un
nombre croissant de personnes, tenant aux phénomènes parallèles de
précarisation, de diversification culturelle et de complexification des
modes de vie, notamment en ce qui concerne les structures familiales
(biparentales, monoparentales, recomposées, homoparentales...) et les
fonctionnements familiaux (coexistence de modèles familiaux divergents).
Si l’on s’en tient à ce qui concerne la famille, l’espace de la normativité
est en pleine restructuration du fait à la fois de l’évolution des mœurs et
des conflits de normes qui traversent les sciences humaines et sociales1 , le
droit ayant beaucoup de mal à encadrer cette évolution (Commaille, 1994 ;
Bugnon, 2009) dans un contexte où l’Assistance médicale à la procréation

1. Conflits dans lesquels nous avons été nous-mêmes pris, avec, par exemple, la résidence
alternée (Neyrand, 1994 ; Neyrand, Zaouche Gaudron, 2014), les fonctions parentales
(Neyrand, Tort, Wilpert, 2013), le soutien à la parentalité (Neyrand, 2011), ou le genre
(Neyrand, Mekboul, 2014).
LA PARENTALITÉ AU CŒUR DES POLITIQUES FAMILIALES 29

vient poser de nouvelles questions éthiques, qui seront l’occasion de voir


s’opposer avec violence des conceptions opposées (Théry, 2014). Ce qui
aboutit à ce que certains désignent comme une « perte des repères », mais
correspond plutôt à une multiplication de repères parfois contradictoires.
Du côté des familles elles-mêmes, ce que l’on constate est la présence
d’un désarroi croissant chez beaucoup de parents, confrontés à la diversifi-
cation aussi bien des normes que des situations familiales, à une époque où
l’arrivée tardive du premier enfant (près de 30 ans en moyenne en France
pour les femmes, et 32 pour les hommes) et la distance à la famille élargie
provoquent une indécision quant au « bon exercice » de la parentalité.
Face à cette « montée des incertitudes » (Castel, 2009), la société civile
et les associations dans un premier temps, puis l’État et les institutions vont
réagir en promouvant un « soutien à la parentalité » multiforme, qui va
progressivement devenir l’objet d’une politique de plus en plus explicite.
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L E SOUTIEN À LA PARENTALITÉ COMME RÉPONSE
AUX MUTATIONS SOCIALES ET FAMILIALES
Le grand processus de transformation sociale qui se met en place à la
fin des années 1960, en touchant centralement l’organisation de la sphère
privée, affecte non seulement les formes de vie en couple et l’institution de
la conjugalité mais aussi la vie professionnelle (passage au couple à double
carrière), l’accueil de la petite enfance (développement des modes de
garde) et le statut de l’enfant dans la famille. À cette transformation brutale
et profonde se conjuguent un certain nombre d’initiatives associatives,
qui ont pour visée et pour fonction d’accompagner cette mutation en
proposant de nouvelles pratiques qui soient en phase avec « l’esprit du
temps » (Morin, 1962).

Une société civile en effervescence


Du côté de la petite enfance, ce sera la création des crèches parentales,
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dans la continuité de la crèche sauvage de la Sorbonne mise en place à


l’université durant les événements de 1968. Cette expérience autoges-
tionnaire d’un lieu de garde où collaborent parents et professionnels
fera recette et l’on verra se développer rapidement de nombreux autres
lieux, qui se fédéreront en 1980 dans l’Association des collectifs enfants-
parents-professionnels (ACEPP). Ce qui leur apportera une meilleure
reconnaissance et la possibilité d’un soutien institutionnel (Cadart, 2006).
Mais, alors que l’accueil de l’enfance se reconfigure (Norvez, 1990),
une autre initiative associative va être promise à un grand avenir, les
lieux d’accueil enfants-parents (LAEP). À côté d’autres créations (IRAEC,
1992 ; Eme, 1993), le prototype le plus connu est sans doute la Maison
verte, ouverte par Françoise Dolto et son équipe le 6 janvier 1979 à Paris
(Dolto, 1981 ; Neyrand, 1995). La grande originalité de ces lieux d’accueil
a été d’accueillir un enfant de moins de 4 ans toujours accompagné d’un
30 R EPÉRAGES

parent (ou d’un adulte tutélaire) restant en permanence avec lui dans le
lieu. Répondant à des objectifs de prévention des troubles de la séparation
et de sociabilité, ces lieux auront un grand succès, dépassant les mille en
France dans les années 2000 (Scheu, Fraïoli, 2010), grâce, entre autres, à
la reconnaissance de leur intérêt par les institutions.
Face aux mutations de la famille, la société civile développe des
initiatives dans d’autres secteurs que la petite enfance, notamment celui
de la situation des enfants après la séparation de leurs parents. En
effet, dès les années 1980 est importée d’Amérique du nord la pratique
de la médiation familiale, essentiellement centrée sur l’élaboration par
les parents avec l’aide d’un tiers neutre d’une solution satisfaisante de
résidence de l’enfant et de maintien des liens avec ses deux parents
après leur séparation (Bastard, Cardia-Vonèche, 1990 ; Dahan, 1997). En
parallèle, sont créés des espaces rencontre (ex-points rencontre) destinés
à permettre le maintien du lien de l’enfant avec le parent chez lequel il ne
vit pas dans les cas de séparations très conflictuelles ou problématiques
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(Gréchez, 1992 ; Bédère et coll., 2011). L’accueil se fait alors dans un
espace aménagé, la présence d’un tiers à proximité est pensée comme
prévention de tout risque, et l’objectif du lieu est qu’à terme le droit
de visite et d’hébergement du parent « non gardien » puisse être assuré
librement. D’autres initiatives, généralistes ou spécialisées, se développent
durant ces années, destinées à soutenir les parents, comme par exemple
les groupes de paroles de parents ou le soutien scolaire...

La reconnaissance institutionnelle des innovations


associatives
Ainsi, dans les années 1980, l’État et ses politiques publiques sont
confrontés à la montée d’une double précarisation, économique d’abord,
avec l’arrêt de la croissance et la montée du chômage depuis le milieu
des années 1970, familiale ensuite, avec la multiplication des tensions
relationnelles liée à la promotion de nouvelles valeurs et façons de vivre,
allant de pair avec l’explosion des divorces et des séparations conjugales.
Si bien que l’État ne peut plus assumer l’ancien rôle de providence (Ewald,
1996) qu’il assurait jusque-là, et se voit contraint de participer autrement
à la prise en charge des risques sociaux en déléguant à la famille (Castel,
1991), à la société civile et aux associations un certain nombre de ses
fonctions de protection. À tel point que certains parleront du passage d’un
État providence à un État animateur du social (Donzelot, Estèbe, 1994).
De fait, l’évolution des politiques publiques suivra deux voies parallèles
en matière de gestion familiale : une stratégie de délégation à la société
civile et aux familles d’une partie de la régulation sociale relative à la
famille, et une stratégie d’encadrement par l’évolution du cadre législatif
et réglementaire.
LA PARENTALITÉ AU CŒUR DES POLITIQUES FAMILIALES 31

Les grandes étapes de l’encadrement législatif


de la mutation familiale
Les transformations du droit de la famille sont nombreuses et se suc-
cèdent sur un rythme soutenu, sous l’impulsion d’une prise de conscience
de l’importance des transformations en cours alimentée par une grande
diversité de groupes de pression et malgré les remous que cela provoque.
Rappelons-en les étapes importantes et dont l’impact symbolique fut mani-
feste : 1967, loi Neuwirth autorisant l’usage des contraceptifs modernes ;
1970, la puissance paternelle est remplacée par une autorité parentale
exercée conjointement par les deux parents ; 1975, loi Veil sur l’avorte-
ment, et loi réformant le divorce, avec l’introduction de la possibilité de
divorce par consentement mutuel et l’intérêt supérieur de l’enfant comme
nouveau principe de gestion ; 1976, création de l’Allocation parent isolé,
1977 de l’Aide personnalisée au logement (APL) ; 1981, avec l’élection
de François Mitterrand toutes les prestations familiales sont revalorisées,
et plusieurs mesures suivront pour à la fois soutenir l’éducation parentale
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et autonomiser les personnes ; 1987-1993, ces deux lois sur l’autorité
parentale instituent l’autorité parentale conjointe après séparation et pose
le principe de coparentalité (de maintien des liens de l’enfant à ses deux
parents) comme faisant partie de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe
qui sera réaffirmé et formalisé en 2002, en même temps qu’est reconnue
la légitimité de la résidence alternée de l’enfant entre les domiciles de
ses parents au même titre que chez l’un d’entre eux. Entre-temps avaient
été votées en 1988 la loi relative au Revenu minimum d’insertion (RMI,
qui deviendra RSA en 2008), en 1995, la loi Veil mettant en place une
Conférence annuelle de la famille, qui devient un outil de gouvernance
performant, facilitant l’affichage des nouvelles mesures, en 1999 la loi
instituant le Pacte civil de solidarité (PACS) comme alternative au mariage,
en 2001 celle sur un congé paternité de 14 jours pour les pères à la
naissance de leur enfant, en 2002 la loi sur le nom de famille, qui peut
désormais être celui du père, de la mère ou des deux parents.
L’ensemble de ces lois met en évidence que la totalité du référentiel
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

normatif de la famille s’est transformée. On est passé d’une famille


instituée par un mariage inconditionnel et indissoluble (ou presque) à une
famille fondée par la venue de l’enfant, où les individualités sont affirmées,
notamment l’autonomie des femmes et dans une certaine mesure des
enfants, où l’union maritale n’est plus obligatoire et peut être remplacée
par un contrat civil, ou pas de contrat du tout. Les séparations conjugales
sont devenues communes (avec un taux de divorce qui approche des
50 % dès le début du XXIe siècle), et le rapport à l’enfant se retrouve
extrêmement valorisé, tant dans les attitudes et propos des parents que
dans les discours médiatiques et politiques. Le temps est bien alors à la
promotion de la parentalité, qu’il s’agisse d’insister sur son importance ou
de mettre en œuvre des mesures destinées à la soutenir, mais essentielle-
ment dans la perspective de l’éducation de l’enfant. Suivra, en 2013, la loi
ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, permettant, entre autres,
32 R EPÉRAGES

l’adoption de l’enfant du conjoint, premier pas vers une reconnaissance


officielle de l’homoparentalité (Gross, 2000 ; Gratton, 2008 ; Verdier,
2010 ; Descoutures, 2010).

La mise en place d’un dispositif de parentalité


La reconnaissance institutionnelle des actions de soutien à la parentalité
a été portée par des organismes servant un peu d’avant-garde comme la
Fondation de France, qui a soutenu un grand nombre de lancements des
innovations présentées, puis par des grandes institutions comme la Caisse
nationale des allocations familiales (qui, par exemple, dégage une ligne
budgétaire en 1996 pour financer les LAEP) ou le Ministère de la justice,
qui promeut aussi bien la médiation familiale que les espaces rencontre.
En parallèle, la professionnalisation des intervenants dans ces secteurs de
l’accueil de la petite enfance, comme de la gestion post-séparation et de
l’ensemble des services aux familles contribue à quadriller l’espace du
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soutien à la parentalité dans un contexte médiatique qui, avec la diffusion
des savoirs psychologiques (Neyrand, 2000), met l’accent sur la mission
éducative des parents et l’importance de la dimension affective dans la
socialisation des enfants.
Mais la montée de la sensibilité aux problématiques sécuritaires dans les
années 1990 et la diffusion d’un discours sur une supposée « démission des
parents » dont les enfants posent problème vont pousser le gouvernement
socialiste de la fin de la décennie, et le délégué interministériel à la
famille, Pierre-Louis Rémy, à réagir en élaborant la mise en réseau et la
coordination des actions de soutien et accompagnement de la parentalité
en créant les Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents
(REAPP) en mars 1999. Réseaux qui ont vocation d’organiser et de
promouvoir un soutien personnalisé potentiellement offert à tous les
parents, ainsi que le définit la « Charte des initiatives pour l’écoute, l’appui
et l’accompagnement des parents ».
C’est réseaux mettent en œuvre en la systématisant une logique clas-
sique de régulation de la famille par l’État, opérante depuis déjà plus d’un
siècle mais qui trouve à s’affirmer encore plus, mais aussi, chose plus
implicite (Chauvière et coll., 2000), une logique de régulation de l’ordre
social par la parentalité. Ce qui ne pourra que provoquer des tensions,
voire des conflits, au sein de la société civile, notamment lorsqu’il s’agira
d’aborder par le biais de l’éducation donnée aux enfants les problèmes
sociaux comme l’absentéisme scolaire ou la délinquance, dans la mesure
où cette éducation est essentiellement conçue comme parentale.
Une polémique développée au milieu des années 2000 se révèle parti-
culièrement illustrative des dérives que peut porter la gestion parentaliste.
En 2015 paraît, sous l’égide de l’Institut national de la santé et de la
recherche médicale (INSERM), un rapport extrêmement controversé, du
fait qu’il ne s’appuie que sur les représentants de la nouvelle psychiatrie
neurobiologique et pharmacologique, intitulé Troubles des conduites chez
LA PARENTALITÉ AU CŒUR DES POLITIQUES FAMILIALES 33

l’enfant et l’adolescent. Ce rapport, très critiqué par les tenants d’une


psychiatrie plus psychologique et psychanalytique, aurait eu assez peu
d’écho, mais il va se retrouver au centre d’une polémique sur la possibilité
de son utilisation politique. En effet, le ministre de l’Intérieur de l’époque
(futur président de la République) se saisit d’une de ses conclusions très
controversées pour inclure dans son projet de loi sur la prévention de la
délinquance l’idée que celle-ci pourrait être prévenue dès l’âge de 3 ans,
par des procédures de reconditionnement psychique, ou à tout le moins
des médicaments tels que la Ritaline (Pignarre, 2006). Une telle prise de
position représente une véritable « bombe » dans le monde de la clinique
psychique et de la petite enfance, et très vite un collectif se constitue pour
protester, Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans, lançant une
pétition Internet qui porte son nom. Le succès de cette pétition (200 000
signatures) pousse au retrait de cette mesure du projet de loi, qui sera par
ailleurs voté en 2007, et de façon assez plaisante le même jour que la loi
sur la Protection de l’enfance (Pas de 0 de conduite, 2006, 2007, 2008).
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La parentalité est bien devenue la référence dominante en matière de
gestion de la famille, et plus globalement de la sphère privée, si ce n’est
de beaucoup de questions renvoyant au fonctionnement de l’espace public
et du social dans son ensemble, que ce soit les troubles à l’ordre public,
les conduites addictives, l’insertion scolaire ou le rapport à la santé...
Deux options de gestion politique par la parentalité s’opposent ainsi
dans les années 2000, celle par le soutien et l’accompagnement des parents
dans leur mission éducative, qui pose que toute réponse à une difficulté
doit être élaborée avec les parents sur la base de la création d’une confiance
personnalisée parents-intervenants ; et celle par le contrôle des parents
jugés déficients, qui, rendant les seuls parents responsables de toute dérive
enfantine, pose qu’il convient de les rééduquer eux-mêmes, par le biais
de stages parentaux ou de mesures visant à « responsabiliser » les parents,
en l’occurrence les sur-responsabiliser. Ce sera le thème central de mon
analyse dans Soutenir et contrôler les parents. Le dispositif de parentalité,
paru en 2011.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Conscients des tensions très fortes qui parcourent la société civile à


ce sujet, les pouvoirs publics vont tenter de surmonter les clivages en
créant en 2010 un Comité national de soutien à la parentalité (CNSP),
territorialisé sous la forme de comités départementaux, qui vise, comme
l’annonce explicitement la ministre de la famille de l’époque, Nadine
Morano, à « mieux coordonner les actions d’aide à la parentalité et de
prévention de la délinquance des mineurs ».
Pour cela, il a pour mission de coordonner les REAAP, la Médiation
familiale, les contrats locaux d’accompagnement à la scolarité (CLAS,
créés en 2000) et les différents dispositifs de soutien aux parents, en
adjoignant aux organismes parties prenantes des REAAP (CNAF, UNAF,
notamment), non seulement les différentes versions du soutien scolaire,
mais surtout les diverses institutions intervenant dans la prévention de
la délinquance (PJJ, Justice...) Ce qui sera assez mal ressenti par les
34 R EPÉRAGES

institutions positionnées sur l’accompagnement des parents tel que pensé


par les REAAP.
Ce qu’analyse ainsi Jessica Pothet (2014) :

« La “démission des parents”, autre syntagme consacré, appelle à une


politique répressive – la communauté punit les manquements au travail
parental – bien éloignée de l’entrée positive par l’accompagnement pour
la maîtrise de compétences parentales que représentent les autres actions
mobilisées par la Comité. »

L E NOUVEAU STATUT DU PARENTAL DANS LA GESTION


SOCIALE
Pour désigner cette prépondérance prise par le parental dans la gestion
sociale, beaucoup d’auteurs ont mis en avant l’idée de parentalisme
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(Barrère-Morrisson, 2007 ; Sellenet, 2007 ; Chauvière, 2008 ; Messu,
2008), insistant sur la prise en compte du parental dans une stratégie
politique de gestion débouchant sur la sur-valorisation de l’éducation
parentale comme principe explicatif des attitudes des enfants et adoles-
cents, et sur une volonté de responsabilisation des parents, rendus ainsi
responsables de tous les faits et gestes de leurs enfants. S’y manifeste la
reconnaissance de ce que des sociologues comme Pierre Bourdieu ou des
anthropologues comme Maurice Godelier ont particulièrement explicité :
la prise de la famille dans l’ensemble des rapports sociaux : « Partout
la parenté est subordonnée à d’autres rapports sociaux, mise au service
d’autres objectifs que celui de reproduire de la parenté » (Godelier, 2004) ;
et le fait qu’elle constitue une clé interprétative privilégiée du social dans
son ensemble, qui fait que « les rapports familiaux tendent à fonctionner
comme principe de construction et d’évaluation de toute relation sociale »
(Bourdieu, 1993).
C’est cette logique interactive que vient formaliser le rapport de Michel
Godet et Évelyne Sullerot en énonçant :

« La famille n’est pas seulement une affaire privée qui ne regarde que les
parents. Il y a pour les parents des responsabilités à assumer, des règles
éducatives à respecter et des obligations à remplir. Si elles ne le sont pas
c’est la société toute entière qui est en danger et doit réagir de manière
répressive, faute de l’avoir fait de manière préventive. Un contexte familial
de parents attentifs à l’épanouissement de la personnalité et à la formation
du citoyen, tel est l’avantage comparatif décisif pour la réussite dans la
vie personnelle et professionnelle » (Godet, Sullerot, 2005).

Cet extrait explicite de façon particulièrement claire les composantes


d’une politique familiale recentrée sur la parentalité : il rappelle que la
famille n’est pas seulement une affaire privée mais peut-être d’abord une
affaire publique (Singly, Schultheis, 1991), et que les parents constituent le
point d’accrochage de la politique du fait de leur place de transmetteurs de
LA PARENTALITÉ AU CŒUR DES POLITIQUES FAMILIALES 35

l’éducation, une éducation dont l’objectif renvoie aussi bien aux énoncés
de la psychologie humaniste (l’épanouissement de la personnalité de
l’enfant) que de la sociologie politique (la formation du citoyen). Une
responsabilité aussi fondamentale nécessite donc aussi bien des actions de
soutien et accompagnement des parents à visée préventive, que d’autres
actions plus répressives lorsqu’est estimée que la position parentale n’est
pas bien tenue, car pour les auteurs ce qui est en jeu n’est rien moins que
« la réussite dans la vie personnelle et professionnelle » tout autant que
le maintien d’un certain ordre public, celui de sociétés qui sont à la fois
démocratiques et marchandes.

Les risques d’une gestion parentaliste


Mais vouloir gérer la société par le parental comporte un certain nombre
de risques, que nous avons qualifiés de risques parentalistes, prenant
trois expressions différentes : la première consiste à négliger l’impact
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des rapports sociaux sur la parentalité en sur-responsabilisant les parents
« démunis des ressources qui leur auraient permis de tenir de façon plus
efficace leur position parentale » ; la seconde revient à naturaliser les
rôles de sexe en renvoyant les parents à une vision traditionnelle de
leurs fonctions (Neyrand, Tort, Wilpert, 2013) qui ne tient pas compte
du nouveau contrat de genre à l’œuvre ; enfin, la troisième expression de
ces risques concerne la réduction de l’individu à sa fonction parentale,
« en rabattant sur la fonction parentale des préoccupations sociales qui le
concernent non pas en tant que sujet mais en tant que simple support d’une
socialisation de son ou ses enfant(s) conforme aux attentes normatives de
la bonne éducation » (Neyrand, 2011).
En définitive, le développement d’une orientation parentaliste de la
politique familiale aboutit à un certain nombre de paradoxes, dont on
peut se demander s’ils ne vont pas déboucher sur des contradictions
difficiles à résoudre, car mettant en œuvre des conceptions divergentes
des rapports entre famille et société, entre démocratie et culture, entre
modalités de gestion sociale et d’intervention dans la sphère privée. En
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’autres termes, le fait que le discours social, d’abord psychologique, puis


mass-médiatique, puis politique, insiste autant sur le rôle des parents
dans la socialisation de l’enfant jusqu’à tendre à les tenir pour seuls
responsables de leur « bonne » ou « mauvaise » éducation entre en
contradiction avec la prise de conscience sociale et institutionnelle de
l’importance de la coéducation aujourd’hui (Jésu, 2004 ; Rayna, Rubio,
Scheu, 2010), voire de la co-socialisation (Neyrand, 2013). Ce qui place
les institutions, les intervenants et les parents au centre d’injonctions
contradictoires. Coéducation et parentalisme peuvent difficilement faire
bon ménage.
De même, la volonté d’égalité entre les situations que porte la démo-
cratie républicaine, si elle trouve à s’exprimer dans les attendus des
pratiques de soutien à la parentalité, se heurte à la perdurance des
36 R EPÉRAGES

logiques culturelles (religieuses ou laïques) naturalisant une différence


de rôle et de fonction des parents en fonction de leur sexe, et rend
par là difficile l’application d’une politique d’égalité, qui semble ne
véritablement toucher que les milieux sociaux plutôt favorisés, la gestion
de la parentalité en milieu populaire restant, sous la pression de multiples
contraintes, largement différenciatrice. Ce qui n’est pas sans lien avec le
fait que ce sont plutôt en direction de ces couches sociales pour lesquelles
l’intériorisation normative semble plus difficile que les procédures de
contrôle de la « bonne » parentalité se développent, mettant à mal la
confiance nécessaire à un soutien et un accompagnement empathiques.
Pris dans ces tensions et ces contradictions, l’État tend à privilégier une
organisation plus structurée et hiérarchisée du soutien à la parentalité
dans une perspective à la fois managériale (rentabiliser au mieux les
investissements) et interventionniste (désigner en 2014 les Caisses d’al-
locations familiales comme leader et moteur du dispositif), qui contraste
avec le développement initial en rhizome des actions (Deleuze, Guattari,
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1980) portées par la société civile et les principes sur lesquels la mise
en réseau s’était élaborée (Sas-Barondeau, 2014). La politique se trouve
de ce fait à un tournant et, face aux défis que les mutations en cours ne
peuvent qu’activer, il semble nécessaire qu’une prise de distance suffisante
avec l’optique parentaliste arrive à s’élaborer pour que le dispositif de
parentalité ne se referme, comme un piège pavé de bonnes intentions, sur
les parents et leur progéniture...
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REGARDS CROISÉS
PARTIE 2
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Chapitre 4

LA PAROLE DE L’ENFANT
DANS LA PRATIQUE
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JUDICIAIRE
Odile B ARRAL

’ ÉVOLUTION de la place de l’enfant et du même coup de « sa parole »


L dans l’institution judiciaire est vertigineuse. Ainsi il y a vingt-cinq
ans, j’avais dû intervenir auprès de mes collègues siégeant aux assises pour
que deux petites filles de 10 et 8 ans confiées à l’Aide sociale à l’enfance
en raison de viols intrafamiliaux n’attendent pas toute la journée dans la
salle des témoins en compagnie des autres membres de la famille ayant
pris parti contre elles. Mon intervention avait suscité un certain agacement,
même si elle avait finalement abouti.
Cette histoire apparaît aujourd’hui difficile à croire tant l’attention
portée aux enfants victimes s’est accrue et leur place « sacralisée », même
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

si l’affaire d’Outreau a jeté un froid à ce sujet.


Mais les difficultés se sont déplacées.
L’enfant d’aujourd’hui est devenu un véritable trésor, arrivé plus tard,
quelquefois unique. Lorsque les parents se séparent, il devient parfois,
malheureusement, un trésor de guerre dont chacun voudra la moitié
strictement égale à celle de l’autre, revendiquant les « mêmes droits »,
comme si l’autorité parentale n’était pas d’abord une responsabilité et non
un droit de propriété.

D ES RÉPONSES TROP LENTES


Aujourd’hui, toute parole d’enfant faisant état de maltraitance ou d’abus
sexuel de la part d’un adulte déclenche une machinerie lourde à se mouvoir.
40 R EGARDS CROISÉS

Des mois se passent pendant lesquels des droits de visite et d’hébergement


d’un parent sont suspendus, et au minimum médiatisés, sans qu’on sache
ce que devient l’enquête.
On peut s’interroger sur cette lenteur alors que les services de gendar-
merie et de police peuvent travailler beaucoup plus vite lorsqu’ils en ont
les moyens, et sur la priorité que notre société se donne ou plutôt ne se
donne pas dans le traitement de la maltraitance.
La lenteur des enquêtes s’explique aussi par la durée des expertises
psychiatriques et psychologiques qui sont systématiquement ordonnées ;
le manque d’experts, dû en partie à leurs très mauvaises conditions de
paiement, renforce la saturation des services d’enquête.
S’il existe des traces physiques relevées par certificat médical, l’enquête
partira d’une réalité, même si elle suscite différentes explications pour les
hématomes constatés. Il en est autrement pour des choses difficilement
vérifiables telles que la privation de nourriture, l’enfermement dans la
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cave...
Des enfants peuvent ainsi tenir des discours en boucle sur des mauvais
traitements qu’ils subiraient de la part d’un de leurs parents dans un
contexte de conflit extrêmement virulent entre les adultes.
La parole de l’enfant, même très jeune, va être enregistrée par tous les
moyens possibles, sur Skype, sur le téléphone, des parents vont jusqu’à
créer un site internet pour diffuser ces propos.
Comment l’enfant quel que soit son âge, pourrait-il ne pas percevoir
l’importance démesurée, voire la fascination accordée au moindre mot de
sa part ?
Bon nombre de ces procédures sont classées faute de preuves et finissent
par aboutir pour information à nos dossiers. Entre-temps, l’enfant n’a plus
vu son parent depuis plusieurs mois, voire plusieurs années et les dégâts
sont faits.
À la suite d’une procédure de ce type, le père d’un petit garçon de sept
ans particulièrement perturbé refuse de l’accueillir depuis deux ans, en
disant ne pas vouloir prendre le risque d’être accusé à nouveau.
Il ne s’agit évidemment pas de nier l’existence de maltraitances ni
d’abus sexuels, contre lesquels il y a toujours lieu de se mobiliser mais de
souligner combien le repérage de ces situations est devenu difficile dans
un contexte de conflits parentaux exacerbés

D ES PARENTS MANIPULATEURS ?
Dans ce type de situations extrêmes, il faut se garder de vision trop
simplificatrice, telle que la recherche de « la manipulation du parent
plaignant, » ou, à l’inverse, partir de principes tels que « les enfants de tel
âge ne mentent pas » et s’enfermer dans cette notion piège du mensonge.
Certains adultes sont convaincus de ne faire « rien d’autre que d’écouter
leur enfant » et vivent comme un scandale que cette parole ne soit pas
LA PAROLE DE L’ ENFANT DANS LA PRATIQUE JUDICIAIRE 41

suffisamment entendue, de leur point de vue. Ils ne mesurent pas à quel


point eux-mêmes sont à l’affût du moindre signe, sont inquisiteurs au
retour de la visite ; à quel point ils redoutent le comportement de « l’autre »
à l’égard de l’enfant et peuvent induire des choses et alimenter ainsi la
locomotive infernale des signalements à répétition.
Quel parent n’a pas fait l’expérience de la difficulté de résister aux
larmes, ou aux plaintes de son enfant, lui disant n’être pas bien en centre
de vacances ou en centre de loisirs (« viens me chercher ») ?
Comment ce parent tout habité de sa douleur voire de sa haine de l’autre
pourrait-il relativiser la plainte de son enfant, lui-même pris dans un conflit
de loyauté ?

L E DROIT DE SE TAIRE
Nous avons hélas un peu perdu de vue que le premier droit d’un enfant
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est d’être considéré comme tel. Un enfant peut ne rien dire, changer d’avis,
et surtout, être pris dans un conflit de loyauté l’amenant à dire à chacun
ce qu’il souhaitera entendre.
« Le droit de se taire » qui vient d’être consacré par notre droit pénal,
devrait être étendu, symboliquement s’entend, aux mineurs dans les
procédures civiles. Certains mineurs sont écrasés par la culpabilité d’avoir
exprimé un souhait dans un sens ou dans un autre qu’ils peuvent bien
évidemment regretter par la suite.
On fait porter à ces mineurs des responsabilités d’adultes et le retour en
boomerang est parfois terrible.
La justice pénale est démunie devant ces problématiques familiales
complexes, où l’enfant exprime parfois le souhait de ne plus voir l’autre
parent.
Le contact est difficile à rétablir, enfants et parents ne se parlent plus
dans la salle d’attente du juge et se reprochent ensuite réciproquement de
ne pas se saluer.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il faut alors tenter de médiatiser des rencontres, mais certains mineurs


refusent même cette médiatisation et se placent ainsi dans une position de
toute puissance des plus inquiétantes.
Lorsqu’on sait combien est néfaste pour le devenir de ces jeunes
l’absence de tout contact avec l’un des parents, et très souvent du père, il
apparaît tout à fait nécessaire de lutter contre cette dérive.

C OMMENT RÉPONDRE ?
Il serait indispensable de pouvoir accompagner les couples qui se
séparent en leur proposant réellement des médiations. Depuis des années
l’État affiche l’intention de développer cette activité sans pour autant
s’en donner les moyens et les services sont aujourd’hui en difficulté,
42 R EGARDS CROISÉS

comme les espaces-rencontre qui ont dû bien souvent réduire leurs horaires
d’ouverture.
Par ailleurs, la justice a besoin de véritables évaluations pluridiscipli-
naires de ces situations complexes et d’un travail au plus tôt et au plus
près de la famille pour comprendre ce qui se joue, notamment dans les
situations d’accusations répétées.
Donner à l’enfant l’espace d’une parole apaisée, c’est lutter contre ces
dérives où les enfants sont devenus boucliers d’adultes, qui ne se parlent
plus ou ne font que s’invectiver ; c’est refuser cette place « d’enfants –
soldats » où nos vaillants petits prennent la place de leurs parents dans un
combat dont ils sont les premières victimes ;
C’est renvoyer sans relâche les adultes à leur responsabilité de parents,
la première étant de traiter leur conflit puisque, qu’ils le veuillent ou non,
ils seront à jamais les parents de cet enfant-là.
Notre société a tout à gagner en cherchant à protéger ses enfants de
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la violence familiale mais aussi en leur permettant d’avoir des relations
positives et apaisées à leur place d’enfant avec leurs deux parents.
Chapitre 5

LA VÉRITÉ SORT-ELLE
TOUJOURS DE LA BOUCHE
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DES ENFANTS ?
Jacques A RGELÈS

I NTRODUCTION
La vérité sort-elle toujours de la bouche des enfants ? C’est souvent la
question que se posent tous les professionnels qui sont amenés à recueillir
la parole des enfants et des adolescents lors de procédures judiciaires qui
les concernent1.
La prise en compte de cette parole et donc la prise en compte de
l’enfant lors des procédures tant civiles que pénales est une évolution
récente. Longtemps réduit au silence ou entendu sans statut particulier le
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

protégeant pour établir des faits et rechercher la vérité judiciaire, l’enfant


était alors objet des procédures.
La fin du XXe siècle a vu la consécration des droits de l’enfant. Porté
par un nouveau regard sur l’enfance et de meilleures connaissances en
psychologie le concernant, l’avènement de la notion d’intérêt de l’enfant
et l’essor du droit des victimes ont considérablement changé la donne.
La reconnaissance de l’enfant en tant que personne s’est imposée. Ce
mouvement a été relayé par les politiques publiques tant nationales qu’in-
ternationales et a rendu l’enfant sujet de droit. L’expression principale en
étant la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).

1. J’emploie le terme « enfant » en référence à la Convention internationale des droits


de l’enfant.
44 R EGARDS CROISÉS

Aujourd’hui, une place importante est accordée à son avis pour tout ce
qui le concerne. Que ce soit dans sa vie quotidienne, dans sa famille ou à
l’école.
Dans la sphère judiciaire, son avis est fréquemment sollicité notamment
lors des procédures civiles concernant une séparation parentale conflic-
tuelle ou dans le cadre de l’Assistance éducative.
Dans les procédures pénales, un statut particulier lui a été aménagé par
la loi lors de son audition et plus particulièrement par la loi du 17 juin
1998.
En quelques années, nous sommes passés du silence à la reconnaissance
d’une place particulière pour l’enfant et d’une place particulière à la
sacralisation de sa parole avec les aléas constatés lors d’affaires récentes
fortement médiatisées.
Mais en lui reconnaissant ce droit à la parole, ne lui donne-t-on pas
parfois une responsabilité trop importante pour son âge ?
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Ne risque-t-on pas de le mettre à une place intenable qui modifierait sa
parole ?
C’est cette question complexe dans toute sa dimension que nous allons
aborder aujourd’hui, question à laquelle est soumis chaque professionnel
concourant au recueil de cette parole.
Avant de laisser la place aux différents spécialistes et experts en
la matière, je voudrais vous livrer quelques réflexions préliminaires
concernant l’enfant dans les situations d’audition en justice.
Ces réflexions sont issues de ma pratique professionnelle mais égale-
ment des enseignements des jeunes eux-mêmes lors des différentes prises
en charge éducatives par les services ou établissements de la Protection
de l’Enfance.

L A PAROLE DE L’ ENFANT DANS LES PROCÉDURES


JUDICIAIRES
L’avis de l’enfant est fréquemment sollicité lors des procédures civiles
concernant la séparation conflictuelle de ses parents. Il en est le personnage
central en ce qui concerne les modalités de sa garde, son lieu de vie,
la fixation de la pension alimentaire, mais également lors de mesures
éducatives prises par le juge des enfants lorsqu’il est déclaré en danger
dans son milieu familial.
Au cours de son audition, il pourra alors faire part du ressenti de sa
situation familiale, éventuellement de sa demande et de ses souhaits.
Et notamment en ce qui concerne ses futures conditions de vie ou
d’ordonnancement de mesures éducatives le concernant directement. Il
devra exprimer des choix, ce qui peut l’amener à exclure un parent, à
porter des jugements de valeur pour justifier ses propos.
Cruel dilemme pour un enfant !
LA VÉRITÉ SORT- ELLE TOUJOURS DE LA BOUCHE DES ENFANTS ? 45

Le magistrat pourra alors avec les autres éléments en sa possession


prendre une décision dans l’intérêt de l’enfant forcément importante pour
sa vie quotidienne.
Dans les procédures pénales, il sera le plus souvent entendu en tant que
victime de négligences graves, de maltraitances ou d’agressions sexuelles
dans sa famille. Il pourra être également entendu en tant que témoin
d’infractions commises dans son entourage immédiat.
Dans ce cadre, et au regard des exigences contradictoires de la procé-
dure pénale, ces propos passeront par le filtre du doute. Sa situation sera
éprouvante. En témoignant sur une dynamique familiale non protectrice,
en étant parfois l’accusateur de son ou ses parents, il vivra un véritable
conflit de loyauté.
Ses propos pourront être déterminants pour la sanction de l’auteur
c’est-à-dire d’un proche parent.
Lourde responsabilité !
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Les deux procédures judiciaires (civiles et pénales) sont différentes
dans leur intention mais à chaque fois l’enfant devra évoquer une histoire
familiale conflictuelle, difficile, révéler un secret, exprimer des choix et
évoquer une image dégradante de ses parents parfois sous l’emprise de
l’un ou l’autre.
Il fera passer son intimité familiale dans la sphère publique ce qui
générera de l’angoisse : que fera-t-on de ses propos ? Quelles en seront
les conséquences ? Quelles répercussions pour lui ? Et il se rendra vite
compte qu’il n’a plus la maîtrise de sa parole et de ses effets.

L ES EFFETS DE SA PAROLE SUR L’ ENFANT


Parce que dans le débat judiciaire, parler de sa situation familiale
provoque un désarroi intense, un conflit intérieur dont beaucoup de ces
enfants ne sortent pas indemnes. Contrairement aux idées reçues, parler
ne fait pas du bien. Mettre des mots sur ces choses, malgré l’attention et
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le savoir-faire des professionnels qui recueillent cette parole n’apaise pas.


Bien au contraire.

Lors d’une audition par un officier de police judiciaire, juste après une
révélation d’agression sexuelle en milieu familial et au début de l’entretien où
la jeune Marine 14 ans se révélait peu loquace, cet officier de police judiciaire
lui dit : « Marine, parle ça te fera du bien. »
Et Marine lui répond aussitôt « si tu veux que ça me fasse du bien, arrête de
me poser toutes ces questions ! ».

Alors quelle vérité peut sortir de la bouche d’un enfant !


Et la pratique nous apprend que c’est souvent après l’expression d’une
souffrance, après la révélation d’un secret, après la mise en mots d’une
46 R EGARDS CROISÉS

situation familiale douloureuse que des symptômes apparaissent chez


l’enfant et qu’un effondrement psychique peut se produire.
L’enfant peut également se trouver impressionner par le cadre de l’au-
dition (commissariat de police, gendarmerie, tribunal, cabinet d’experts,
etc.) et se trouver dans un état de stress pas toujours apparent qui peut
altérer son discours.
Ce cadre peut alors renforcer ses difficultés à réfléchir, à penser mais
surtout à se penser dans sa situation.
Il pourra également mettre en place des stratégies personnelles de
réponses dans le but de protéger ses parents ou de se protéger lui-même
d’un danger qu’il imagine. Ces stratégies étant génératrices de culpabilité,
de grande lassitude voire de dépression.

Pierre a 13 ans quand sa mère quitte le domicile conjugal l’emmenant avec


elle, lasse du comportement violent de son mari. La séparation est très
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conflictuelle. Pierre est très attaché à sa mère, ils sont très proches l’un de
l’autre. Il voue une admiration mêlée de crainte à son père, qu’il voit très
peu puisque ce dernier est toujours en voyage et très pris par ses affaires.
Le conflit entre les parents est si violent qu’à la suite d’un signalement
de l’assistante sociale scolaire, une mesure d’aide éducative préventive à
domicile (AED) a été ordonnée. En juin, lors de l’audience du juge aux affaires
familiales devant fixer l’hébergement de Pierre pour la rentrée scolaire, il était
invité à donner son avis sur ses souhaits. À la stupéfaction générale, il
indiquait alors vouloir vivre chez son père « parce qu’il l’emmenait au foot ! »
Peu de temps après, lors d’un entretien avec l’éducateur d’AED et alors que
ce dernier lui posait la question, il expliquait son choix. Pierre lui dit « si
j’avais dit que je voulais aller vivre chez ma mère, le conflit serait reparti de
plus belle. Mon père n’aurait pas supporté ce désaveu et je ne l’aurais plus
vu. En exprimant ce choix, j’apaise les tensions et je sais que ma mère ne
me laissera jamais tomber. »

Alors quelle vérité à prendre en compte ?

C ONCLUSION
Recueillir la parole de l’enfant, l’interpréter et la traduire en terme de
son intérêt est une lourde responsabilité pour tous les professionnels quel
que soit le moment de leur intervention dans les procédures civiles ou
pénales.
Cela nécessite formation spécialisée, humilité, discernement et distance
émotionnelle.
Car cette parole ne peut pas produire la vérité mais la vérité de l’enfant,
parfois celle du moment. Elle est dépendante de son degré de maturité, de
ses capacités de discernement et de sa souffrance notamment.
La reconnaissance de l’enfant comme sujet de droit et la prise en compte
de sa parole dans le cadre judiciaire représentent une avancée considérable.
LA VÉRITÉ SORT- ELLE TOUJOURS DE LA BOUCHE DES ENFANTS ? 47

Mais à condition de lui reconnaître sa place : celle d’enfant. Il doit être


considéré sujet de droit comme un enfant et non pas comme un adulte.
Gardons-nous de ne pas lui transférer les responsabilités que, nous
adultes, avons, à assumer.
Soyons vigilants à l’impact du recueil de sa parole et accompagnons-le
dans cette démarche chaque fois que cela sera possible.
Évitons que les effets retours de la prise en compte de l’enfant en tant
que sujet et de son droit à la parole ne soient aussi néfastes que le silence
d’avant.
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Chapitre 6

PAROLE ET PLACE DE
L’ENFANT DANS LA
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MÉDIATION FAMILIALE
Enjeux et opportunités

Lorraine F ILION, Vanessa R ICHARD

I NTRODUCTION
L’enfant occupe une place de plus en plus importante dans la famille
d’aujourd’hui. Lors de la séparation, il est souvent l’un des objets du
conflit de ses parents. Lorsque les parents ne s’entendent pas sur le partage
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de leurs responsabilités parentales, l’enfant a la possibilité d’être entendu


par un médiateur, un expert en matière de garde d’enfants, un avocat
d’enfant ou un juge selon le mode de gestion du différend. Il peut aussi
être invité par ses deux parents à émettre son opinion voire même dans la
pire des situations à prendre une décision.
L’enfant pris en otage dans le conflit parental peut être sollicité pour
offrir sa parole à un tiers. Les débats autour de cette parole nous amènent
à poser diverses questions :
• Comment recueillir la parole de l’enfant de manière objective et sans
suggestibilité ?
• Comment décoder le vrai désir de l’enfant et ses vrais besoins cachés ?
• Quelles sont les compétences et connaissances nécessaires chez les
professionnels qui recueillent cette parole ?
50 R EGARDS CROISÉS

• Doit-on croire l’enfant ?


• Quels sont les défis et enjeux ?

Au cours des dernières décennies, on a reconnu que l’enfant était sujet


de droit et que par conséquent il devait avoir une place et une parole dans
tout sujet le concernant (Convention internationale des droits de l’enfant,
1989, article 13).
La médiation familiale a fait son apparition au Canada à la fin des
années 1970 et en Europe francophone au début des années 1990. Il s’agit
donc d’un nouveau champ de pratique pluridisciplinaire pour ces pays
sauf pour la France qui en fait une profession en 2004 (Ministère des
Affaires sociales, du travail et de la solidarité de la République française,
2004).
Une réflexion est en cours au plan international quant à la place et
la parole que l’on devrait accorder à l’enfant au cours de la médiation
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familiale. La question soulève de vives passions particulièrement en
France. Nous avons repéré différentes pratiques, mais nous traiterons plus
spécifiquement de l’implication directe de l’enfant en médiation familiale
dans une approche systémique familiale pour en évaluer les avantages et
les enjeux. De plus, nous ferons état des quelques recherches et études
portant sur l’impact de la place directe et indirecte de l’enfant au cours de
la médiation de ses parents.
Finalement, nous tirerons une conclusion afin de guider nos réflexions
et actions pour que les enfants de parents séparés puissent avoir accès à
des services de médiation de qualité au cours des transitions telles que la
séparation et la recomposition familiale.

I MPACT DE LA SÉPARATION SUR L’ ENFANT ET LE RÔLE


DE LA MÉDIATION FAMILIALE
Des recherches récentes (Cyr, 2006, 2012a, 2012b ; Cyr, Cyr-
Villeneuve, 2008 ; Drapeau, Bellavance, Robitaille, Baude, 2014 ;
Emery, 1999 ; Kelly, 1993, 2012 ; Poussin, Martin-Lebrun, 2011 ;
St-Jacques, Drapeau, Turcotte, Cloutier, 2004 ; St-Jacques, Drapeau,
2009) ont démontré que :
• la séparation n’est pas nécessairement néfaste si elle est bien gérée
(entre autres, si l’enfant garde contact avec ses deux parents et s’il est
mis à l’écart du conflit parental) ;
• les enfants sont résilients ; toutefois, les conflits persistants peuvent
affecter leur développement ;
• les enfants risquent de se réfugier dans leur monde imaginaire si les
conflits sont trop intenses ;
• la majorité des enfants de parents séparés ne se distingue pas à long
terme de ceux qui vivent dans une famille intacte ;
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 51

• les pères sont aussi importants et compétents que les mères ; on recon-
naît toutefois que leurs rôles et compétences sont différents quoique
complémentaires ;
• il n’y a pas de modèle de garde (hébergement) meilleur qu’un autre ;
différents facteurs toutefois entrent en jeu favorisant le développement
et l’adaptation de l’enfant à la séparation ;
• la famille recomposée est une vraie famille : pour favoriser l’adaptation
de ses membres, il faut du temps, des efforts et des stratégies.
La médiation familiale offre aux parents séparés ou en voie de sépa-
ration un espace neutre et sécuritaire pour maintenir ou restaurer une
communication parentale leur permettant de prendre ensemble les déci-
sions au sujet de leurs responsabilités parentales et financières. Elle peut
préserver non seulement le lien parent-enfant, mais aussi les liens avec la
famille élargie, dont les grands-parents en particulier.
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La médiation peut aussi atténuer le conflit parental et éviter que l’enfant
soit le messager de ses parents ou le témoin impuissant des disputes de
ses parents.

« La médiation redonne du pouvoir aux parties et en même temps, elle


les incite et les responsabilise afin qu’ils puissent trouver eux-mêmes les
solutions qui leur correspondent » (Bastard, 2010).

La médiation familiale porte des valeurs démocratiques, dont le souci


de permettre l’expression et la mise en présence de toutes les personnes
concernées par le même conflit. D’où la question de la place de l’enfant
au cours de ce processus. Doit-il être présent ou représenté ? À notre avis,
le risque qu’il soit oublié est aussi présent sous prétexte de le mettre à
l’écart de ce conflit parental par souci de protection.

I MPLICATION DIRECTE OU INDIRECTE


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Depuis le début de notre pratique de médiation en 1981 à Montréal,


nous avons constaté que l’enfant otage du conflit parental est parfois
tiraillé, écartelé, bafoué dans ses droits fondamentaux de paix, de respect
et de prise en compte de ses besoins entre autres celui de vivre son enfance.
Peut-on rencontrer l’enfant sans laisser de traces indélébiles sur l’im-
partialité obligée du médiateur ? Sur l’enfant ? Sur la confiance établie
entre les deux parents et le médiateur ?
Après avoir recueilli la parole de l’enfant, qu’en fait-on ? Quel sens
peut avoir ce travail auprès des enfants ?
N’est-ce pas se substituer aux parents dont la tâche première est
d’entendre et soutenir leur enfant lors de la rupture ou lors de conflits
familiaux ?
52 R EGARDS CROISÉS

Entendre et décoder la parole de l’enfant, est-ce l’essence même de la


médiation familiale laquelle doit prendre en compte les besoins de tous
les membres de la famille ?
Certains médiateurs croient qu’il vaut mieux travailler avec les parents
pour les amener eux-mêmes à prendre en considération l’intérêt de leur
enfant. D’autres pensent que si nécessaire, un autre professionnel tel un
psychologue ou un travailleur social formé et compétent peut rencontrer
l’enfant seul et porter sa parole à ses parents dans le cadre d’un entretien
de médiation.
Nous allons dresser la liste des principaux modèles d’implication de
l’enfant :
• l’enfant est avisé du recours à la médiation par ses parents ; ceux-
ci sont sensibilisés par le médiateur aux besoins et réactions de leur
enfant à partir de résultats de recherches et de l’expérience clinique du
médiateur ;
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• l’enfant voit le médiateur seul et ce dernier va restituer sa parole à ses
parents ;
• L’enfant voit le médiateur seul puis aidé par le médiateur il exprimera
ce qu’il ressent et souhaite comme plan parental et changements ;
• l’enfant est auditionné par un professionnel extérieur à la médiation
lequel rapporte sa parole lors d’une séance de médiation avec ses parents
de laquelle il est absent ;
• l’enfant vient s’exprimer devant sa famille (parents, frères, sœurs) ce
qu’il désire comme plan parental et changements dans sa famille ;
• l’enfant est invité à la fin de la médiation alors que les parents lui font
part de leurs décisions ce qui permet à l’enfant d’exprimer en entrevue
familiale ses désirs, craintes et souhaits ;
• l’enfant demande à voir le médiateur seul hors la présence de ses parents.
Madame Dahan (Dahan, 2010), médiatrice familiale connue et reconnue
au plan international résumait ainsi la controverse entre les deux grands
courants de pensée :

« Les partisans de la présence indirecte affirment que la médiation est un


espace réservé aux seuls parents et que le socle de la médiation prend
appui sur la compétence des parents.
Les partisans de la présence directe considèrent, eux, que la présence de
l’enfant est indispensable parce que celui-ci est acteur du conflit de ses
parents et qu’elle s’inscrit dans le cadre de la convention internationale
des droits des enfants ».

U N MODÈLE DE PRATIQUE
Au fil de trente-cinq années de pratique auprès des enfants de parents
séparés nous avons constaté que la parole privée de l’enfant peut aller
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 53

jusqu’à l’expression d’une souffrance vécue ou passée. Toutefois pour


s’exprimer librement, elle nécessite des conditions pour exister :
• une confiance dans l’adulte, qui saura garder un secret ou donner un
conseil ;
• un « décodage » du langage, car chaque âge génère des codes différents ;
• une qualité d’écoute, car l’enfant ou l’adolescent parle quand il sait que
son expression est prise en considération ;
• un climat de sécurité, parce que celui qui parle s’expose à l’autre.

Certaines paroles de souffrance peuvent nécessiter un traitement spéci-


fique. Ainsi le secret peut s’effacer devant l’obligation ou l’opportunité
de tenter quelque chose, avec la permission de l’enfant pour sensibiliser
ses parents et si nécessaire, sans la permission de l’enfant, pour faire un
signalement au directeur de la protection de la jeunesse entre autres.
Nous savons combien l’écoute et la prise en compte de la parole de
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l’enfant sont complexes, demandent des compétences très particulières de
la part du médiateur et nécessitent l’établissement d’un cadre spécifique.
Écouter les enfants est une tâche difficile, car il faut se déconditionner,
se déprogrammer, faire fi de préjugés, éviter les longues interprétations,
demeurer naturels et disponibles tant de corps que d’esprit.
Voici étape par étape le modèle que nous avons développé pour tenter
de venir en aide aux enfants de parents séparés.

Premier entretien de médiation


À l’issue du premier entretien de médiation si les parents désirent s’y
engager et signent le contrat de médiation, le médiateur fait état de la
possibilité d’inclure l’enfant au moment approprié, du consentement des
parents et du médiateur ; cela permet au médiateur de repérer rapidement
les inquiétudes, les accords voire même les résistances de l’un ou l’autre
des parents. Rien n’est définitif de la part du médiateur, il ne fait
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’évoquer une possibilité.

En cours de médiation : avant l’implication directe


Lorsque le lien de confiance est bien établi avec les deux parents, que la
décision de séparation est confirmée (s’il s’agit entre autres d’une rupture
récente ou la possibilité d’une réconciliation est évoquée) le médiateur
peut proposer aux parents de rencontrer l’enfant. Lorsque les parents sont
déjà séparés, il est important que ceux-ci aient déjà envisagé diverses
options de partage du temps de l’enfant en vertu de critères objectifs
sans arrêter toutefois leur décision, s’il y a accord des deux parents et du
médiateur sur les modalités d’implication de l’enfant, il y a lieu alors de
préparer les parents à préparer l’enfant à cet entretien.
54 R EGARDS CROISÉS

Préparation des parents à la préparation de leur enfant


Il est important de discuter avec les parents des motifs pour lesquels le
médiateur souhaiterait rencontrer leur enfant au cours du processus :
• la séparation, les conflits parentaux et la recomposition familiale
affectent l’enfant de diverses façons, et ce même si les parents n’ont
observé aucun changement dans le comportement de leur enfant au plan
familial, scolaire ou social ;
• des recherches (Birnbaum, Bala, Cyr, 2011 ; Goldson, 2006 ; Mc
Intosh, 2008) ont démontré que l’enfant demande à être entendu et
souhaite qu’on lui donne la parole pourvu que certaines conditions
soient respectées ;
• l’enfant hésite à se confier à ses parents afin de ne pas amplifier leur
peine, leur colère ou le conflit parental ;
• l’enfant a besoin d’un espace neutre, sécuritaire et confidentiel pour
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parler de ce qu’il vit et ressent ; bien préciser que ce qui sera rapporté
aux parents avec ou sans la présence de l’enfant sera autorisé par l’en-
fant ; des éléments pourront donc rester confidentiels sauf bien entendu
si l’enfant révèle au médiateur des informations laissant croire que
celui-ci pourrait être l’objet de maltraitance ; alors dans ces conditions
le médiateur est tenu en vertu de la loi de la protection de la jeunesse
de faire un signalement ; la médiation est alors mise en parenthèse en
attendant la décision de ce service ;
• l’entretien avec l’enfant seul et avec ses parents peut aider les parents
à mieux comprendre les besoins de l’enfant et à les prendre en compte
dans le processus décisionnel de leur réorganisation familiale. La plupart
du temps, les parents se montrent ouverts et consentants à ce que l’enfant
ait une implication directe en médiation pourvu que l’enfant ne soit pas
témoin de leur dispute ou qu’on lui fasse porter le poids de la décision.
Exception faite de certains cas de haut niveau de conflit ou un parent
parfois les deux, étant incapables de s’entendre insisteront pour que
l’enfant rencontre le médiateur dans le but d’exprimer son choix (en fait
sa décision que chacun aura pris soin de bien orchestrer voire même
télécommander) ;
• les parents doivent envisager que l’entretien familial se déroule avec un
minimum de respect et de calme au bureau du médiateur ;
• les parents sont avisés que lors de l’entretien avec l’enfant, aucune
négociation ne se fera devant l’enfant. Un entretien de médiation est fixé
très rapidement (quelques jours au plus une semaine) après la venue de
l’enfant en médiation. Nous avons réalisé que cela évite des disputes
devant l’enfant ou que les parents tentent de faire pression sur l’enfant
afin qu’il prenne une position favorable à la leur. Cela rassure les parents
qu’un entretien ait lieu rapidement pour les aider à prendre une décision.
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 55

Préparation de l’enfant par ses parents


Les parents sont les mieux placés pour préparer l’enfant à cet entretien.
Malgré leurs efforts pour rester neutres, l’enfant sera sensible à leurs dits
et non-dits.
Les enfants bien préparés à cet entretien nous ont rapporté les éléments
suivants :
• « Mes parents m’ont dit il y a quelques semaines qu’ils avaient débuté
une médiation familiale pour les aider à trouver des solutions et faire la
paix » ;
• « Selon mes parents, le médiateur est sympa, il sait écouter semble-t-
il » ;
• « Mes deux parents sont d’accord que je parle au médiateur » ;
• « Je vais pouvoir parler au médiateur en privé (ce sera comme un
secret) » ;
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• « Le médiateur va m’aider à dire à mes parents ce que je ressens, ce que
j’aime, ce que j’aime moins et ce que j’aimerais qui change » ;
• « Au départ, je n’avais pas envie de voir un étranger, mais mes parents
ont dit que cela me ferait du bien alors j’ai accepté » ;
• « Mes parents m’ont bien dit et répété que ce sont eux qui décident »
• « Mes parents ont promis qu’ils ne se disputeraient pas devant moi chez
le médiateur ».
Dans tous les cas où l’enfant refuse catégoriquement de voir le média-
teur malgré la bienveillance des parents et leurs efforts pour le convaincre,
nous croyons que ce refus doit être respecté.
Nous avons proposé aux parents d’adolescents qui refusaient de nous
rencontrer (alors que les deux parents y voyaient le bien-fondé) de
procéder par téléphone. Il est arrivé que cette modalité soit très appréciée
d’adolescents et que l’entretien téléphonique :
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• soit un réel entretien permettant l’expression des besoins et souhaits du


jeune ;
• permette de rassurer le jeune qui accepte volontiers de venir seul nous
rencontrer sans la présence de ses parents ;
• permette que le jeune consente à venir nous rencontrer en entretien
individuel pourvu que ses propos soient gardés confidentiels et qu’il soit
aidé à dire à ses parents uniquement ce qu’il jugera pertinent ;
• termine alors que l’adolescent nous remercie et affirme être maintenant
capable de dire directement, hors notre présence, à chacun de ses
parents ce qu’il a sur le cœur pour éviter les conflits (au lieu de les
voir ensemble).
56 R EGARDS CROISÉS

En cours de médiation : au moment de l’implication


directe
Bref entretien familial
Il est reconnu que lorsqu’il y a un différend entre ses parents l’enfant
peut vivre un conflit de loyauté. Nous avons constaté qu’une approche
systémique familiale est préférable et permet de saisir plus facilement les
besoins de l’enfant et les enjeux du conflit parental.
C’est pourquoi peu importe quel parent a la garde de l’enfant et dans
quelle maison il réside au moment de l’entretien, nous demandons aux
deux parents de venir avec leur enfant. Nous adaptons bien entendu la
durée de ces entretiens en fonction de l’âge de l’enfant et son stade de
développement.
Avant de rencontrer l’enfant seul, un bref entretien familial est néces-
saire et souhaitable. Cette entrevue familiale débute par une invitation des
parents à nous présenter leur enfant et rappeler les objectifs de cet entretien
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ainsi que notre rôle auprès de la famille. Cela permet de nous assurer
que l’enfant a été bien informé et de corriger au besoin les informations
transmises. Le plus souvent, les parents ont bien préparé leur enfant. Nous
nous assurons directement de l’accord de l’enfant à nous rencontrer seule
et s’il y a une fratrie nous agissons avec démocratie et négocions l’ordre
des entretiens. Habituellement, le plus âgé désire être vu seul et accepte
volontiers que le « bébé » soit vu en premier. Il est aussi très important de
rappeler à tous la confidentialité de l’entretien avec l’enfant.
Il faut aussi gérer la période d’attente des parents pendant cet entretien :
peuvent-ils être tous les deux dans la salle d’attente ? Est-ce trop explosif ?
Quelles sont les options pour éviter un affrontement ? Les parents sont-ils
prêts à maintenir l’engagement donné au médiateur préalablement quant
aux efforts qu’ils feront pour éviter une dispute devant leur enfant ?
Le plus souvent, les parents choisiront un lieu différent pendant cette
période d’attente. Les parents se demandent quand revenir. Nous pro-
posons de les rejoindre sur leurs cellulaires. Si les parents n’ont pas de
téléphone portable alors nous tentons d’estimer le temps de l’entretien
avec leur enfant. Il est très rare que les parents ne respectent pas leur
engagement de paix. Ils démontrent alors concrètement à leur enfant qu’ils
sont capables de respect et de calme.
Entretien avec l’enfant seul
Peu importe l’âge de l’enfant et son stade de développement, il est
primordial de mettre l’enfant à l’aise. Il faut créer un lien de confiance et
il est recommandé d’accueillir d’abord la personne de l’enfant avant les
problèmes reliés à la séparation des parents.
On s’intéressera par conséquent à son école, ses matières préférées, les
cours moins aimés, ses activités récréatives : sport, musique, lecture, ses
copains, etc. Pour le mettre à l’aise, nous prévoyons toujours une collation
(petit goûter). Nous avons réalisé que cette collation avec l’enfant aide à
détendre l’atmosphère et favorise le dialogue.
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 57

Le recours à des questions ouvertes et non suggestives est donc


fortement recommandé. Puis graduellement, nous irons sur la route de la
séparation et de sa situation présente (du plus général au plus spécifique) :
• Comment cela s’est-il passé pour lui, pour ses parents, sa fratrie s’il y a
lieu ?
• Son espoir de réconciliation ? Les chances que cela arrive ?
• Comment se déroule normalement une journée avec papa ou maman ou
ses contacts avec chacun ?
• S’il y a un nouveau conjoint ou conjointe, comment se comporte cette
personne ? Y a-t-il des problèmes, des inquiétudes, des souhaits ?
• Si les parents sont en conflit : Comment le sait-il ? Comment le vit-il ?
Est-il témoin ou messager ou les deux ?
• Quels sont les sentiments qu’il ressent présentement dans sa situation
familiale ?
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• A-t-il pensé à des solutions pour se sentir mieux ? A-t-il tenté quelque
chose par lui-même ?
• Voudrait-il ajouter quelque chose ? Y a-t-il une question que j’aurais dû
poser et que je n’ai pas posée ?
• Y a-t-il des choses qu’il voudrait garder confidentielles entre nous ? Si
oui, lesquelles ?
• Que souhaiterait-il dire à son père, à sa mère, à ses deux parents ?
Comment le dire pour être le mieux entendu ?
• Souhaiterait-il un coup de pouce de notre part au début, en cours de
route ?
• A-t-il des inquiétudes au sujet de cet entretien familial ? Après lorsqu’il
retournera à la maison avec un parent ou lorsqu’il reverra l’autre parent ?
Comment pourrions-nous lui être utiles ?
La majorité des enfants que nous avons rencontrés ont exprimé s’être
sentis écoutés, soulagés d’avoir pu parler à une personne neutre de
leur tristesse, colère, désarroi, ambivalence. Ils ont aussi aimé l’aspect
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

confidentiel de la rencontre et le fait d’être assisté pour ensuite dire à leurs


parents directement, même si cela est difficile.

En cours de médiation : après l’implication directe


Entrevue familiale (ce que certains médiateurs nomment la phase
de restitution)
Le retour en entrevue familiale est habituellement bref (15-20 minutes
voire 30 minutes selon l’âge de l’enfant et le nombre d’enfants impliqués)
et est fait immédiatement après l’implication directe de l’enfant.
Nous mettons d’abord l’accent sur les aspects positifs des relations
parents-enfants en invitant chaque parent à nommer les qualités de leur
enfant et ce qu’il apprécie faire avec lui. Les enfants nous ont rapporté
affectionner particulièrement ce moment, car ils n’ont pas à parler en début
58 R EGARDS CROISÉS

d’entretien (car le stress est présent, que dire ou ne pas dire) et de plus
c’est une douce musique à leurs oreilles que de recevoir les compliments
de leurs parents.
Par la suite nous formulons la même demande à l’enfant soit de décrire
ce qu’il apprécie de chacun de ses parents (qualités et activités). Cette
phase quoique brève crée une ambiance favorable aux échanges. Les
enfants nous aussi confié apprécier cette modalité. Cela met les parents en
mode écoute et non de résistance ou de fermeture.
Dans un troisième temps, nous aidons l’enfant à exprimer ce qu’il
trouve plus difficile dans chaque maison et ce qu’il aimerait changer si
cela est possible.
Nous avons constaté que plusieurs médiateurs craignent beaucoup cette
phase, et ce, avec raison, car sans cadre et sans l’engagement des parents
à ne pas se quereller devant leur enfant, le bureau du médiateur pourrait
servir d’arène aux parents. Notre expérience clinique a démontré que cette
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phase se déroule plutôt bien. Les enfants se révèlent capables de dire dans
leurs mots ou exprimer par leurs dessins, leur silence, leurs larmes, ce
dont ils ont vraiment besoin.
Nous avons aussi constaté que les parents font montre de retenue
devant leur enfant, ils se révèlent capables de les écouter et même réagir
rapidement en répondant par exemple à leur demande de faire la paix et
d’être mis à l’écart du conflit parental.

P RÉSENTATION DE LA SITUATION DE M ARIE -È VE (7 ANS )


Les parents de Marie-Ève1 nous contactent pour entreprendre une
médiation familiale à la suggestion de leurs avocats respectifs. Un juge-
ment a été rendu il y a près de six mois entérinant le consentement des
parents qui conviennent d’un hébergement principal chez la mère avec
des accès au père trois week-ends sur quatre plus les mercredis soirs après
l’école jusqu’au jeudi matin.
Madame a un nouveau conjoint depuis deux mois et le père est
convaincu que l’enfant est malheureuse en compagnie de cet homme alors
que la mère affirme le contraire. Le père n’accepte pas qu’un étranger
puisse prendre soin de sa fille plus souvent que lui et par conséquent il
réclame un hébergement égalitaire. Madame est persuadée que sa fille a
un lien plus fort avec elle pour diverses raisons.
Les premières séances de médiation sont difficiles : les parents se
blâment mutuellement, reviennent constamment sur le passé conjugal,
critiquent ouvertement leur façon d’éduquer l’enfant. Lors de la première
séance de médiation, nous évoquons la possibilité d’inviter l’enfant en
cours de médiation, mais madame s’y oppose farouchement (pas question
que l’enfant soit manipulée par le père et qu’en plus elle soit témoin de

1. Prénoms fictifs.
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 59

leur dispute). Nous tentons de rassurer les deux parents quant au cadre
posé et les objectifs de cette rencontre. Nous les invitons à y réfléchir et
nous leur remettons la plaquette intitulée : « La participation des enfants
en médiation familiale expliquée aux parents » (Richard, Filion, 2014).
Lors de la quatrième séance de médiation, les parents acceptent que
nous rencontrions l’enfant seule et en famille. Nous discutons alors de
la préparation de Marie-Ève à cet entretien. Les deux parents ont lu
la plaquette sur ce sujet et nous posent deux questions : pourrons-nous
vraiment garantir la confidentialité de ses propos et allons-nous les aider à
garder leur calme devant leur fille ?
Rassurés que nous ferons tout pour fournir un cadre permettant l’expres-
sion de l’enfant et la confidentialité de ses dires et rassurés que nous allions
intervenir pour les aider à garder leur calme, les parents se déclarent prêts
à ce que nous rencontrions leur fille.
La mère amène l’enfant en fin de journée après l’école. Nous surveillons
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attentivement l’arrivée du père, dès que Marie-Ève le voit, elle se jette
dans ses bras. Lors de la brève entrevue familiale, nous constatons que
la petite fille a été très bien préparée par ses deux parents. Ceux-ci se
montrent courtois l’un envers l’autre devant l’enfant.
La petite accepte volontiers de nous rencontrer seule et parle abondam-
ment et sans réserve pendant près de 30 minutes de la séparation, son école,
ses amis, ses grands-parents, ses plaisirs chez papa et chez maman, etc.
Elle dessine ses sentiments, entre autres une magnifique représentation
de son cœur. Ce cœur est énorme, rempli d’amour pour papa, maman,
marraine, ses grands-parents et... Michel, le nouveau copain de la mère.
Après nous avoir présenté en détail toutes les personnes objets de son
amour, elle nous dit que nous devons garder secret la place que Michel
occupe dans son cœur, cela est déjà conflictuel entre ses parents. D’ailleurs,
son père refuse qu’elle en parle lorsqu’elle est chez lui. Elle me demande
une faveur : pourrions-nous en discuter seule avec papa et le rassurer qu’il
est son seul papa d’amour, et ce même si Michel est gentil. De plus, elle
aimerait bien que Michel vienne la chercher après l’école quand madame
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

travaille tard le soir. Il faut savoir que le père a indiqué et mis en garde les
autorités scolaires : seuls le père et la mère peuvent venir chercher l’enfant
à l’école. La petite parle alors de sa tristesse au sujet de ces interdits de
paroles et d’actions.
De plus, Marie-Ève demande expressément que nous transmettions à
ses deux parents son besoin de paix familiale. Elle n’aime pas du tout
lorsque l’un parle contre l’autre. Nous nous engageons donc à garder
confidentiels les propos de l’enfant au sujet de Michel et d’en discuter
uniquement avec le papa lors d’un autre rendez-vous. Il est convenu qu’elle
exprimerait ce qu’elle veut pendant l’entretien familial et que nous allions
l’assister dans cette tâche.
Lors de l’entrevue avec les deux parents, l’enfant exprime calmement
et avec aplomb ses propres besoins. Au moment de terminer l’entrevue
alors que je vérifie si elle veut ajouter quelque chose, elle répond : « rien ».
60 R EGARDS CROISÉS

Toutefois, le père fait la même demande en insistant pour que sa fille se


sente à l’aise de dire tout ce qu’elle a sur le cœur. Elle parle alors de Michel
et de ses souhaits à son égard. Le père rétorque que pour le moment il ne
peut accepter que cet étranger aille chercher sa fille à l’école, mais il est
rassuré de savoir qu’elle se sent bien en sa présence. Nous invitons le père
à réfléchir à la demande de sa fille, ce qu’il accepte.
La semaine suivante, nous revoyons les deux parents pour poursuivre
la négociation sur le partage du temps parental. Le père explique que vu
la demande expresse de sa fille, il consent dorénavant que Michel soit en
contact avec elle et qu’il puisse aller la chercher à l’école en fin de journée.
Il a même déjà avisé sa fille de son accord. La mère est ravie et remercie
le père de cette prise en compte des besoins de Marie-Ève.
Comment expliquer ce revirement de position ? Le père explique qu’il
a été sensible à la demande de sa fille alors que la même sollicitation
provenant de la mère n’avait aucune crédibilité pour lui. De plus son
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enfant en a fait part à une personne neutre et professionnelle et en a parlé
devant ses deux parents, ce qui augmente le degré de vraisemblance.

E NJEUX DE L’ IMPLICATION DIRECTE DE L’ ENFANT


Que ce soit la situation de Marie-Ève décrite plus haut ou celle d’un
autre enfant, plusieurs défis guettent le médiateur qui désire ouvrir la porte
de son bureau à un enfant, peu importe son âge. En effet, voici quelques
situations délicates rencontrées :
• un parent remet en cause la parole de son enfant : cela ne peut venir de
lui, et est sûrement dicté par l’autre parent ;
• les parents se disputent avec force et plusieurs récriminations du passé
sont dites devant l’enfant lors de l’entretien familial ;
• un enfant se montre incapable de dire lui-même à ses parents ;
• un parent quitte précipitamment la salle en attendant certains reproches
de l’enfant ;
• un parent refuse le changement proposé par son enfant par exemple :
« Papa ou maman, j’aimerais te voir seul de temps en temps sans ton
copain ou copine » ; le parent répond qu’il n’est pas question que son
copain ou copine soit absent(e) de son domicile lorsque celui-ci vient le
visiter.
Ces exemples confirment l’importance pour le médiateur d’être bien
formé à la gestion des conflits dans une approche systémique familiale.
L’impartialité du médiateur et le fait qu’il n’a pas de projet parental
préétabli sont des éléments cruciaux pour favoriser l’autodétermination
des parents.
Le processus de médiation familiale est fondé sur l’hypothèse de départ
qui implique que les parents ont, en s’engageant en médiation sur une
base volontaire, accepté l’aide d’un tiers professionnel et impartial pour
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 61

aider à gérer leur différend. Le plus souvent ces parents vont consentir à
la guidance du médiateur pour explorer les besoins de chacun entre autres
ceux de leur enfant et prendre les mesures et les décisions appropriées
dans son intérêt.
Nous avons constaté, comme l’écrivait Bastard (2010), que l’enfant est
le moteur de la médiation familiale. Nous avons aussi constaté que l’effet
est plus percutant si les demandes sont exprimées directement par l’enfant
que si sa parole est transmise par le médiateur ou un autre professionnel.
Notre expérience a démontré que les parents sont capables de se retenir
devant leur enfant et éviter les débordements, écouter ce qu’il a à dire et
prendre en compte ses demandes dans la mesure du possible.

I MPLICATION DES ENFANTS EN MÉDIATION FAMILIALE :


POINT DE VUE DES CHERCHEURS
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Un rapport de recherche du ministère de la Justice du Canada démontre
que les médiateurs familiaux accordent une grande importance au point
de vue de l’enfant dans le processus de médiation familiale (Birnbaum,
2009). Il subsiste toutefois une divergence dans la manière dont ce point
de vue est pris en compte. En effet, il existe deux types d’implication des
enfants en médiation familiale : l’implication directe et indirecte.

Implication indirecte
L’implication indirecte des enfants en médiation familiale est un
épisode précis dans lequel le médiateur se détache de son rôle impartial
et neutre afin d’adopter une approche plus directive et thérapeutique où il
défend les intérêts du jeune (McIntosh, Wells, Long, 2007). Cette stratégie
vise la création d’un discours centré sur les besoins et intérêts de l’enfant,
et ce, à partir du point de vue des parents. Ce travail peut s’effectuer en
incluant une photo de celui-ci dans le processus de médiation familiale
ou encore, en distribuant des textes qui pourront aider les parents à
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

mieux tenir compte de ses besoins (Joyal, Quéniart, Châtillon, 2001).


Les arguments en faveur d’une telle implication sont davantage liés à un
discours protecteur envers les enfants (Evans, Havercamp, 1994 ; Lansky,
Swift, Manley, Elmore, Gerety, 1996 ; Payne, Overend, 1990). En effet,
selon les tenants de l’implication indirecte, plusieurs risques méritent de
tenir les jeunes à l’écart du processus de médiation familiale. Pensons ici
aux dommages qui pourraient être causés à l’enfant s’il sentait le poids
d’une décision sur ses épaules ou à la possibilité que ses paroles soient
utilisées comme moyen offensif par ses parents. Plusieurs professionnels
conçoivent aussi que le divorce et la séparation soient des sujets qui
concernent les adultes et que c’est auprès d’eux que le médiateur doit
travailler. Pour certains, une implication directe pourrait porter atteinte à
l’autorité parentale en positionnant les enfants de manière symétrique et
62 R EGARDS CROISÉS

non hiérarchique dans le processus décisionnel (Cyr, 2008 ; Emery, 2003 ;


Lansky et al., 1996 ; Warshak, 2003).

Implication directe
L’implication directe des enfants en médiation familiale vise une
meilleure compréhension du vécu du jeune à partir de son propre point
de vue sur certaines dimensions des responsabilités parentales. Cette
approche est reconnue comme étant la manière la plus claire et précise
d’obtenir de l’information sur les besoins d’un enfant (Birnbaum, 2009).
Les arguments en faveur de l’implication directe sont multiples. Entre
autres, plutôt que de sensibiliser les parents aux généralisations de l’impact
du divorce et de la séparation sur les enfants, le médiateur parvient à cibler
les besoins spécifiques et les sentiments vécus par leur enfant et à les
conscientiser en ce sens (Drapkin, Bienenfeld, 1985 ; Joyal et al., 2001).
En d’autres mots, l’entretien direct permet au médiateur d’aider les parents
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à intégrer les sentiments, les préférences et les besoins développementaux
de leur jeune dans le processus de négociation. Le médiateur peut égale-
ment jouer un rôle de confident au sens où la neutralité de son intervention
peut faciliter la divulgation des vrais sentiments de l’enfant (Achim,
Cyr, Filion, 1997). Notons que les modalités d’inclusion d’un enfant en
médiation familiale varient selon le professionnel et qu’il n’existe pas de
consensus dans la littérature à cet effet (Joyal et al., 2001). Ainsi, divers
modèles d’implication directe sont accessibles pour inspirer les médiateurs
familiaux (Achim et al., 1997 ; Drapkin, Bienenfeld, 1985 ; Saywitz,
Camparo, Romanoff, 2010 ; Van Kote, 2010). Pour les professionnels
souhaitant se familiariser davantage avec les principaux fondements et
concepts liés à l’implication directe, un document synthèse a été élaboré à
cet effet (Richard, 2014b).
Par ailleurs, une recherche récente menée dans deux provinces cana-
diennes et un état américain auprès d’enfants a conclu (Birnbaum et al.,
2011) :
• qu’il n’est pas néfaste d’impliquer l’enfant dans le processus judiciaire
si certaines conditions sont respectées ;
• que les enfants ont une meilleure adaptation s’ils ont leur mot à dire au
cours du processus d’intervention ;
• que les enfants veulent savoir ce qui se passe pendant le processus, pas
seulement le résultat ;
• que les enfants se plaignent de ne pas être entendus ;
• qu’une proportion significative d’enfants aimerait rencontrer le juge, si
cet entretien est bien mené et s’ils ont le soutien nécessaire ;
• que les enfants souvent anxieux avant de voir le juge en parlent
positivement si les modalités suivantes sont respectées : qu’on prend
le temps de le mettre à l’aise, qu’on lui pose des questions ouvertes et
qu’on ne lui demande pas de décider.
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 63

La majorité des études qui abordent la question de l’implication


directe des enfants sont effectuées à partir des observations cliniques
des médiateurs familiaux (Achim et al., 1997 ; Birnbaum, 2009 ; Drapkin,
Bienenfeld, 1985 ; Gentry, 1997 ; Joyal et al., 2001). Par ailleurs, une
étude australienne longitudinale et comparative sur la résolution de
différends en droit de la famille indique que les parents ayant bénéficié
de l’implication directe des enfants dans un processus de médiation
familiale ont ressenti un éveil lors de cette expérience (McIntosh et al.,
2007). En effet, les résultats démontrent que le matériel intime auquel les
parents ont eu accès après l’expression de leur enfant les avait touchés de
manière durable. Dans cette recherche, le modèle d’implication directe
évalué est celui où l’enfant est rencontré par un professionnel externe
qui fait ensuite rapport verbal au médiateur familial et aux parents. Une
réduction du conflit parental est notée dans les résultats, tout comme
un moindre recours au système judiciaire par la suite. L’entente paren-
tale établie suite à l’implication directe s’est démontrée plus durable,
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comparativement à des ententes établies suite à l’implication indirecte
d’enfants dans un processus de médiation familiale. Selon une recherche
faite en Nouvelle-Zélande (Goldson, 2006) et dans laquelle le vécu de
vingt-six enfants ayant rencontré directement un médiateur familial a
été exploré, il est conclu que ces derniers étaient très satisfaits d’avoir
été entendus. Ils souhaitaient jouer un rôle actif dans le processus. Une
diminution de conflit parental était observée aux fins de la médiation et
les parents notaient une amélioration au plan de leur coparentalité. Une
autre recherche australienne s’est intéressée aux perceptions parentales à
l’égard de la participation des enfants dans un processus décisionnel suite
à la séparation conjugale (Cashmore, Parkinson, 2008). La majorité des
participants de cette recherche ont déclaré qu’il aurait été approprié pour
les enfants d’avoir une voix dans leur processus décisionnel. Par contre,
les parents ne croyaient pas approprié de faire porter le poids des décisions
aux enfants.
Quant au vécu des enfants, plusieurs études démontrent un contente-
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ment supérieur face aux modalités de garde et d’accès lorsqu’ils sont


directement impliqués dans le processus de négociation (Dunn, Davies,
O’Connor, Sturgess, 2001 ; McIntosh et al., 2007). D’autres recherches
statuent sur l’importance d’informer les enfants et de les faire sentir impor-
tants tout au long des transformations familiales liées à une séparation
(Dunn et al., 2001 ; Maes, De Mol, Buysse, 2012 ; Smith, Taylor, Tapp,
2003). Enfin, un article scientifique du Royaume-Uni met en lumière
le désir des enfants plus âgés de se sentir en contrôle des décisions
concernant leur vie personnelle (Neale, 2002). Ces conclusions sont
d’ailleurs appuyées par une autre recherche australienne (Bagshaw, 2007).
64 R EGARDS CROISÉS

R ECHERCHE QUÉBÉCOISE SUR L’ IMPLICATION DIRECTE


DES ENFANTS
Cette section rend compte des résultats d’une recherche québécoise,
réalisée dans le cadre d’un mémoire de maîtrise en service social, portant
sur la perception et l’expérience de parents en médiation familiale lors
de l’implication directe de leur enfant (Richard, 2014a). Elle met en
lumière, de manière exploratoire, l’influence d’une stratégie encore peu
documentée à partir du vécu des parents.

Méthodologie
Cette étude s’inspire d’une approche qualitative qui a pour but d’explo-
rer le point de vue des acteurs sociaux pour développer une meilleure com-
préhension d’un phénomène peu exploré (Mongeau, 2008). La technique
de collecte de données privilégiée est l’entrevue semi-dirigée puisqu’elle
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permet de cibler les perceptions, les comportements et les attitudes des
parents en ce qui a trait à l’objet d’étude (Mayer, Ouellet, Saint-Jacques,
Turcotte et collaborateurs, 2000). L’analyse des données est faite à partir
d’un modèle mixte en incluant les thématiques issues de la littérature
scientifique ainsi que celles qui émergent du discours des participants lors
des entrevues. Le recrutement des participants s’est effectué avec l’aide
de quatre médiatrices familiales.
Au total, huit parents ont participé à la recherche. Ils ont été recrutés
sur une base volontaire selon cinq critères, soit : avoir participé à une
médiation au cours des douze derniers mois ; au moins un enfant y est
impliqué directement ; au moins une séance de médiation a eu lieu suite
à son implication ; l’enfant était âgé de six ans ou plus au moment de sa
participation ; le parent réside dans la région métropolitaine de Montréal
ou dans une région avoisinante.

Résultats
Au total, cinq femmes et trois hommes ont constitué l’échantillon de
participants. L’âge moyen des parents était de 43 ans tandis que l’âge
moyen des enfants impliqués était de douze ans, le plus jeune âgé de huit
ans et le plus vieux de seize ans. Le vécu de neuf enfants, issus de cinq
familles différentes, est exploré à travers la perception des parents. Sept
parents sur huit sont dans un contexte de post-séparation au moment de
la médiation, leur dissolution d’union datant en moyenne de sept ans. Le
huitième participant était en cours de séparation conjugale.

Description de l’implication directe


Les parents se sont exprimés sur leur vécu avant, pendant et après
l’implication directe de leurs enfants. La majorité rapporte que la demande
initiale d’implication des enfants provient de la médiatrice familiale.
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 65

Certaines proposent cette participation afin de permettre à l’enfant de


s’exprimer sur la séparation et les conflits parentaux ou pour observer
la dynamique familiale. D’autres la suggèrent dans le but de dénouer
l’impasse entre les parents ou pour aider l’enfant à exprimer sa préfé-
rence quant aux modalités de garde. Plusieurs parents souhaitent que
leurs enfants soient entendus en médiation familiale, alors que d’autres
craignent qu’ils soient manipulés dans le processus.
Selon les participants, peu de règles sont formulées par la médiatrice
avant l’implication directe des enfants. Un parent se souvient par contre
que la médiatrice lui a demandé de ne pas questionner son enfant suite à
l’implication. Au moment de l’implication directe des enfants, la durée
de la participation varie entre 10 et 90 minutes. Pour la plupart, les
enfants sont rencontrés sans leurs parents, parfois avec un membre de
la fratrie. Certains participants vivent l’implication directe en famille,
sans que la médiatrice ne rencontre l’enfant seul. La majorité des parents
rapporte une expérience positive au moment de l’implication directe.
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Par contre, certains remettent en question les modalités d’implication
comme une courte durée de participation des enfants. Selon la moitié
des participants, les enfants vivent positivement leur implication directe
puisqu’ils se sentent écoutés et développent une relation de confiance avec
la médiatrice. L’autre moitié des participants est d’avis que les enfants
vivent cette expérience de manière négative, notamment parce qu’ils
craignent les représailles liées à leur prise de parole. Après l’implication
directe de l’enfant, deux types de rétroactions sont évoqués. La première,
expérimentée par la majorité, se fait entre la médiatrice et les parents
uniquement. Dans ce cas, tous les parents mentionnent que la médiatrice
leur exprime une demande claire et précise formulée par l’enfant à
l’égard d’un changement ou d’un maintien de garde. Le deuxième type
de rétroaction s’effectue en famille et met l’accent sur les besoins des
enfants en lien avec la séparation parentale plutôt que sur une préférence
de modalité de garde.

Avantages et difficultés de l’implication directe


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

D’après le point de vue des participants, la retombée la plus importante


de l’implication directe se situe sur le plan de l’atteinte d’une entente quant
au partage des responsabilités parentales. À cet effet, plusieurs parents
mentionnent que l’implication a permis d’avoir accès à une demande claire
et précise des enfants. En plus d’avoir centré la médiation sur l’enfant et
d’avoir permis aux parents de se distancier de leurs conflits interpersonnels,
plusieurs participants mentionnent que le processus d’implication les a
aidés à prendre conscience des besoins de leurs enfants. Selon des parents,
la participation des enfants en médiation familiale a permis aux personnes
au cœur du problème de s’exprimer. Des enfants ont également pu voir
leurs parents dans une situation amicale et sans tension. Au contraire,
certains participants estiment que l’implication a eu pour effet de placer les
enfants dans une situation conflictuelle et de les exposer à des représailles.
66 R EGARDS CROISÉS

D’autres considèrent que les jeunes étaient manipulés par un parent mal
intentionné, et que cela a influencé leur opinion quant aux modalités de
garde. Des parents soulèvent leur propre sentiment d’impuissance en lien
avec la prépondérance accordée à l’opinion des enfants en médiation.
Dans leur cas, les enfants ont hérité d’une responsabilité décisionnelle
déterminante dans le partage des responsabilités parentales.

Suggestions aux parents et aux professionnels


Des participants suggèrent aux parents dont les enfants seront direc-
tement impliqués dans la médiation de ne pas chercher à contrôler le
processus et de ne pas diriger leur enfant sur ce qu’il doit dire au médiateur
familial. De plus, être à l’écoute de son enfant, le rassurer et lui laisser
le choix de refuser de participer sont des attitudes considérées comme
importantes. Expliquer en détail le but de l’implication à son enfant
est également suggéré. Les parents conseillent de choisir un médiateur
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familial qui a de l’expérience à rencontrer les enfants et ayant reçu une
formation au sujet de l’implication directe. À leur avis, cela permet
aux professionnels de mieux cibler les enfants victimes de manipulation
parentale, en plus de bonifier leurs compétences d’entrevues auprès des
jeunes. Les participants suggèrent également aux médiateurs familiaux de
s’adapter au cas par cas, et de juger de la pertinence d’impliquer un enfant
seulement lorsqu’ils connaissent bien les parents et leur situation familiale.
En ce sens, ils conseillent aux médiateurs d’effectuer quelques séances
avec les parents en médiation avant de rencontrer les enfants. Enfin,
certains participants soulignent l’importance d’éviter de faire porter aux
enfants le poids de la décision finale, même si leur opinion est entendue
au moment d’une participation.

C ONCLUSION
Les enfants de parents séparés ont besoin de parler, d’exprimer leur
souffrance et leurs plaisirs (il y en a dans la séparation). Ils ont aussi besoin
d’être entendus par une personne neutre et compétente afin de comprendre
ce qui leur arrive et obtenir de l’aide pour formuler leurs besoins et leurs
solutions à leurs parents.
C’est pourquoi nous croyons que ces enfants devraient être entendus
par le médiateur toutes les fois où cela est possible, de l’accord des deux
parents et du médiateur, en respectant certaines conditions. Soutenir les
enfants, oui, mais jamais avec la prétention de faire mieux que les parents.
Ne pas oublier que le médiateur familial n’est que de passage dans la vie
de l’enfant et de sa famille. D’où l’importance de valoriser et aider les
parents séparés afin qu’ils utilisent leurs compétences pour protéger leurs
enfants et continuer ainsi de leur offrir leur temps et leur amour. Toutefois
pour accomplir cette tâche avec compétence, une formation spécifique est
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 67

essentielle et devrait être offerte à tous les médiateurs au cours de leur


cursus de formation.
Les enjeux de l’implication de l’enfant en médiation touchent égale-
ment des questions déontologiques : que faire de la parole de l’enfant
recueillie en privé ? Quelles interprétations données ? Comment ne pas
instrumentaliser l’enfant ? Comment ne pas faire à la place des parents ?
Comment éviter les représailles possibles à la sortie du bureau du média-
teur lorsque l’enfant rentre chez lui avec un parent en colère ou sous la
surprise des demandes de l’enfant ? Il serait pertinent qu’un groupe de
médiateurs au plan international se penche sur ces aspects et élabore un
guide de bonnes pratiques dans ce champ spécifique.
Les résultats de plusieurs recherches soulignent l’importance d’une
préparation adéquate des parents avant l’implication directe de leur enfant
ainsi que le besoin de mieux les informer sur ce processus. Il serait donc
de mise que les médiateurs familiaux accompagnent les parents dans cette
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tâche. Enfin, nous pensons qu’il est fondamental de continuer à explorer
l’implication directe des enfants en médiation familiale sous les angles
cliniques, théoriques et scientifiques.
Chapitre 7

LES INVESTIGATIONS
EN PSYCHIATRIE LÉGALE
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Claude A IGUESVIVES

C ONTEXTE HISTORIQUE
François Dolto aimait à rappeler une promesse qu’elle s’était faite
durant son enfance et son adolescence : « Quand je serai grande je
m’efforcerai de me souvenir de comment s’est quand on est petit ». Cette
promesse transcende son livre La Cause des enfants, son travail est à
l’origine de la formation de plusieurs générations de psychologues ou de
psychiatres spécialisés dans le monde de l’enfance et de l’adolescence.
Pour la psychanalyste l’objectif est de permettre à l’enfant d’accéder par
la parole à une conscience de soi et à une responsabilité.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Durant ces années quatre-vingt le militantisme concernant la cause des


enfants débouche sur la ratification en 1989 par les Nations Unies de la
convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Cette convention
sera ratifiée par la plupart des états. L’enfant « Être de langage » selon
Françoise Dolto devient aussi sujet de droit. De nouvelles notions enva-
hissent les contenus professionnels des spécialistes du monde de l’enfance
et de l’adolescence. Nous citons l’intérêt supérieur de l’enfant, l’enfant
capable de discernement...
Cette nouvelle approche clinique et juridique de l’enfance s’inscrit
essentiellement dans une éthique de la conviction. Les concepts affirmés
dans cette convention sont généraux, il restera à la responsabilité des
professionnels de l’enfance de construire les outils pour faire vivre ces
différentes notions.
70 R EGARDS CROISÉS

En France dans la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de


l’enfance est consacré le droit de l’enfant à être entendu en justice dans
toutes les affaires le concernant. L’article 388-1 du code civil précise :

« Dans toutes procédures le concernant, le mineur capable de discernement


peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son
consentement, être entendu par le juge ou lorsque son intérêt le commande
par la personne désignée par le juge à cet effet ». « Cette audition est de
droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d’être
entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus ».

Les conditions de l’audition du mineur sont précisées. Il est également


rappelé que le fait que le mineur soit entendu ne lui confère pas la qualité
de partie à la procédure.
En psychiatrie ou en psychologie légale, nous sommes régulièrement
désignés pour examiner le mineur et éclairer la justice. Des questions
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précises dans nos missions nous sont posées par les magistrats. Le
mineur peut être présumé victime ou auteur, il est également aussi un
enjeu entre des parents qui ne parviennent pas, lors de leur séparation,
à trouver un accord sur l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Nous
rencontrons également des mineurs quand ils sont en danger dans le cadre
des prérogatives du Juge pour enfants, nous sommes interrogés sur leur
placement.
La loi ne définit pas d’âge et considère comme mineurs les enfants de
la naissance à l’âge de 18 ans. Missionnés par la justice, il est demandé
aux experts d’intégrer des notions qui, d’une situation à l’autre, évoluent.
Pour apprécier la plainte de l’enfant, sa parole il est nécessaire d’inté-
grer la maturité du mineur, son développement cognitif, la compréhension
du contexte, la capacité à s’exprimer librement, les liens de loyauté avec
son entourage, sa personnalité...
Face à la complexité, des déterminants qui organisent l’expression de
l’enfant, le débat judiciaire entre les parties, tout comme le débat public
est souvent dans l’émotionnel et dans la sanctuarisation d’une plainte ou
d’un acte commis. L’investigation en psychiatrie ou en psychologie légale
est, à l’inverse, dynamique, elle s’inscrit dans une relation et dans une
rencontre, elle s’ouvre sur des champs cliniques qui débordent la seule
analyse de la parole de l’enfant.
Notre objectif est d’éviter de réduire l’enfant à une identité soit de
victime soit de fabulateur. Nous devons également nous émanciper des
paradigmes cliniques qui nous ont formés. La valeur d’une interprétation
c’est qu’elle « fasse sens ». Cette interprétation n’est pas toujours en bonne
concordance avec ce qui convient d’appeler la mémoire historique de la
personne. Dans nos investigations nous ne travaillons pas sur ce qui « fait
sens » mais sur la réalité objective et historique d’un acte subi, celle-ci
peut-être différente de la réalité psychique vécue par le mineur.
L ES INVESTIGATIONS EN PSYCHIATRIE LÉGALE 71

Cette démarche d’investigation peut avoir des retombées thérapeutiques


mais il ne faut pas les rechercher dans le temps immédiat de l’exploration
médico-légale.
La pensée freudienne enracine la souffrance psychique dans le temps
de l’enfance. L’expertise psychiatrique ou psychologique reste un repère
historique, un petit caillou blanc qui pourra permettre plus tard à l’adulte
de retrouver avec lucidité le sentier de son enfance. Nous connaissons
à l’inverse le caractère dévastateur des vrais et des faux souvenirs qui
transforment des vies en cauchemars.
L’expert dans ses conclusions va considérer la relation de l’enfant à sa
mémoire comme exacte, ou comme tronquée. Il doit aussi situer clairement
les limites de son art, il peut aussi admettre qu’il est dans l’incapacité
d’éclairer la justice.

L E LANGAGE PLURIEL DES SYMPTÔMES DE L’ ENFANT


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BLESSÉ
Il faut rappeler qu’il existe une amnésie infantile. Elle est totale jusque
vers l’âge de 2 ans, elle est partielle entre 2 et 4 ans. Cette période
de vie de l’enfance est aujourd’hui souvent vampirisée par les conflits
familiaux, l’innocence de cet âge favorise les projections émotionnelles,
conflictuelles ou traumatiques de l’environnement le plus souvent familial.
Cette période de vie est aussi un objet d’investissement pour des
pratiques souvent pseudo-scientifiques qui proposent aux parents et à
l’enfant de retrouver les traumatismes précoces, clés de compréhension
des difficultés actuelles. Il est toujours difficile de résister aux oracles, qui
manipulent la souffrance humaine, parentale et infantile.
Durant cette période de vie il existe une hyper-suggestibilité chez
l’enfant, il peut exprimer des croyances déraisonnables liées à une emprise
sur son existence de conflits d’adultes qui ne correspondent pas à son
intérêt.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La question de la suggestibilité de l’enfant se poursuit longtemps


durant le processus maturatif de l’enfant, elle se confond à sa capacité
à reconnaître le Soi du non Soi, à s’individuer des loyautés affectives
qui l’entourent. Une nouvelle entité clinique a émergé, le syndrome
d’aliénation parentale (Gardner, 1985). Le débat sur son inclusion au DSM
(Diagnostic and Statistical Manual) est passionné. Au nom de « l’enfant
d’abord », nous retrouvons des lobbies qui sont autant de SOS paternels
ou maternels.
Gardner et Hubert Van Gijseghem décrivent les désordres psycholo-
giques et comportementaux d’enfants pris dans les conflits familiaux. Le
discernement de l’enfant est affecté, la mémoire charrie des souvenirs et
des conflits qui ne participent pas à l’intérêt de l’enfant. Le diagnostic est
le plus souvent facile à établir il est consensuel entre les professionnels de
l’enfance. Les conflits actuels autour de l’aliénation de l’enfant à un parent
72 R EGARDS CROISÉS

sont portés par des associations de la société civile. Elles s’appuient sur
des notions inexactes. Il s’agit d’associations de pères ou de mères ; nous
savons que dans la réalité des mères ou des pères sont parfois aliénants.
Il va de soi, mais faut-il encore le préciser, que le diagnostic d’aliénation
parentale est une perte de discernement de l’enfant. Cette notion est posée
par l’expert non pas pour protéger un parent présumé abuseur, mais pour
pointer une violence psychologique qui met en danger la construction de
l’enfant. Les praticiens en psychiatrie légale sont aussi des cliniciens. Ils
connaissent la catastrophe psychologique des souvenirs sexuels induits
dans les conflits familiaux.
Lorsque ces inductions surviennent durant la période de très grande sug-
gestibilité de l’enfant, nous retrouvons durant l’enfance et l’adolescence
une psychopathologie de ces mineurs qui s’apparente aux troubles des
enfants qui ont été réellement abusés. Nous savons que l’expression cli-
nique des traumatismes psychologiques intimes est liée dès l’adolescence
à la représentation de ce que l’on a subi et pas toujours aux événements
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réels subis. Ce constat clinique explique la controverse Freudienne autour
de la théorie de la séduction, entre un traumatisme réel et un traumatisme
imaginaire qui est le résultat d’une contagion émotionnelle durant le
temps de l’infans. Appréhender ces notions nécessite souvent l’examen
du groupe familial.
L’investigation clinique ne se limite pas à la parole. Les blessures
intimes s’expriment également au travers du corps, des comportements,
des aménagements de personnalité, des psychotraumatismes. Ces diffé-
rents langages sont à décoder car ils ont souvent un caractère polysémique.
Les symptômes de l’enfant ne sont pas toujours à rechercher au travers
d’une linéarité causale. L’enfant blessé interprète l’événement causal
(l’acte présumé subi) en fonction de ses capacités cognitives, imaginaires
ou symboliques.
Quand l’histoire est difficile à exprimer, l’enfant s’écarte du témoignage,
de la parole, il choisit alors son corps, ses comportements, ses conduites
souvent sexualisés. La signification des symptômes est masquée. Le
corps, les troubles des conduites sont des symptômes de résistance, face à
l’interdit de mémoire qui frappe le souvenir traumatique. Comprendre les
ressorts de ses troubles est délicat. Ainsi dans une même famille d’enfants
victimes d’inceste, l’aînée choisira la déficience intellectuelle, la cadette,
la précocité psychologique.
Les symptômes sont aussi évolutifs dans le temps. Les grandes filles vic-
times s’expriment par des scarifications à l’adolescence, elles multiplient
parfois les tentatives de suicide et ou les conduites sexuelles à risques.
Ces langages du corps peuvent piéger le clinicien car la souffrance des
blessures intimes peut infiltrer différentes pathologies. Elle s’exprime au
travers d’une anorexie mentale, d’une obésité, de troubles à conversion
psychosomatique.
L ES INVESTIGATIONS EN PSYCHIATRIE LÉGALE 73

Nous savons également que le langage que peut utiliser l’enfant victime,
et plus particulièrement le garçon, est la réitération en tant qu’auteur de
l’acte subi.
Les violences vécues par le mineur, physiques ou sexuelles, attaquent
l’unité des différentes perceptions corporelles et émotionnelles. Elles
sont facteur de confusion, le temps est désorganisé, ainsi une mémoire
non fiable dans sa diachronie ne permet pas d’écarter un événement
traumatique.
Il existe aussi chez les enfants victimes une confusion du principe de
causalité des événements vécus. Ainsi la victime ne parle pas car elle se
perçoit coupable d’avoir accepté durant son enfance ce qu’elle n’était pas
préparée psychologiquement à élaborer : la sexualité d’un adulte.
Cette même perte du rapport de causalité nous la retrouvons chez
certains parents d’enfants présumés victimes. Le parent aliénant n’est pas
satisfait que son enfant soit déclaré indemne de toute violence subie. Mais
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ce parent aliénant est parfois une ancienne victime, qui à une perception
confuse des intérêts de son enfant. Le besoin d’être reconnu comme
victime pour le parent traumatisé est la quintessence d’une vie qu’il
continue à rechercher à travers son enfant.
Dans la démarche de l’expert le brouillage du langage utilisé par
l’enfant, ne doit pas être interprété comme l’expression de désordres
psychologiques et cognitifs de l’enfant affectant sa crédibilité et sa fiabilité.
Mineurs traumatisés, mineurs manipulés il est important de ne pas les
laisser seuls en conflits avec leur mémoire.
Il nous est encore posé dans nos missions d’expert par la justice la
question de la mythomanie de la présumée victime. Il n’existe pas le plus
souvent de liens entre la notion clinique de mythomanie et celle de fiabilité
d’une victime. Certaines victimes sont mythomanes et par ailleurs elles
ont été abusées. La mythomanie est aussi l’expression d’une échappée
par l’imaginaire d’une enfance cabossée par des violences sexuelles.
Cette échappée témoigne que la victime est vivante et qu’elle tente de
métamorphoser ses traumas. La mythomanie est un symptôme qui est
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

un véritable oxymore car tantôt positif il permet de saisir le besoin de


reconstruction par la fiction de la victime, tantôt négatif il peut aussi nous
orienter sur de fausses allégations.
Nous savons aussi qu’une absence de symptomatologie antérieure à
notre examen ne signifie pas que le mineur est indemne de tout abus.
Bien souvent on observe après une première révélation, une hémorragie
intime avec une symptomatologie riche qui avait été contenue pendant
de nombreuses années. Le clivage entre le trauma et la vie réelle cède
souvent après de nombreuses années, nous citons quelques exemples :
lorsque la victime est confrontée à une rencontre amoureuse ou à une
naissance d’enfant.
Nous n’excluons pas que l’enfant et l’adolescent puissent utiliser la
plainte pour des enjeux qui ont un caractère exclusivement personnel.
74 R EGARDS CROISÉS

Chez le mineur non pubère il s’agit de mécanismes, le plus souvent, d’au-


tosuggestion, produits par la vie imaginaire, la recherche de bénéfice, de
notoriété. Les déterminants sont nombreux, il a vu, entendu des histoires
similaires, il a besoin de réactiver les liens avec son environnement par
des histoires fortes qui entraînent le regard sur sa personne.
L’adolescent non fiable arme ses plaintes dans des enjeux affectifs,
narcissiques, qui sont souvent sombres et difficiles à décoder. Lors d’une
expertise récente nous avons rencontré une adolescente qui avait dénoncé
un viol pour « tout partager » avec sa meilleure amie qui, elle, était une
victime authentique.
La parole de l’enfant fut longtemps méconnue, censurée et plus récem-
ment sacralisée. Des temps anciens aux temps modernes l’emprise sur
l’enfant n’a jamais cessé, enfants esclaves, enfant soldats, enfants fanatisés,
enfants objet de toutes les convoitises pour la société de consommation...
La parole libérée de l’enfant ne signifie pas qu’elle est affranchie des
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passions et des convoitises qui l’aliènent aussitôt.

L A STANDARDISATION DE L’ ÉCOUTE DE LA PAROLE


DE L’ ENFANT
Depuis plusieurs décennies il existe une réflexion autour de la parole de
l’enfant en justice. Nous avons présenté quelques enjeux et controverses
cliniques qui éclairent la complexité de la tache.
En psychiatrie et psychologie légale nous recherchons d’abord une
cohérence clinique, la plainte de l’enfant, sa parole n’est qu’un élément
d’une mémoire enfantine que nous essayons de retrouver.
Nous sommes également prudents sur les utilisations de protocoles
standardisés : poupées anatomiques, interprétation des dessins, protocoles
d’interrogations (NICHD).
Publié pour la première fois en 2000, le Protocole NICHD pour le
recueil des témoignages a été élaboré par un groupe de chercheurs
dirigé par Michael Lamb au National Institute of Child Health and
Human Development au Minnesota. Ce protocole est destiné à encourager
l’utilisation de questions ouvertes plus susceptibles d’obtenir des réponses
sous forme de récit verbal. Il s’agit de recommandations co-construites par
la recherche au travers de lignes directrices opérationnelles. Le protocole
NICHD a été utilisé et adapté dans un certain nombre de juridictions.
Il est étayé par des recherches sur le terrain basées sur plus de 40 000
entrevues menées aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Israël et au Canada.
Le protocole NICHD a bénéficié de moyens qui n’ont pas été mis à la
disposition du protocole Mélanie en France
Les promoteurs du protocole NICHD considèrent que, l’utilisation de
questions ouvertes destinées à susciter des réponses narratives de rappel
libre, est essentielle pour maximiser une information fiable de la part
des enfants. Pour l’équipe de recherche cette notion est particulièrement
L ES INVESTIGATIONS EN PSYCHIATRIE LÉGALE 75

vraie avec de jeunes enfants qui sont plus susceptibles de donner des
informations inexactes en réponse à des questions directes et ciblées de
reconnaissance.
Ces protocoles ne sont pas exempts de critiques ils confondent dans une
même démarche la clinique et le judiciaire. Ils sont par ailleurs statiques :
l’approche de la parole de l’enfant ne peut pas être séparée de la conscience
de soi pour un enfant, c’est-à-dire du discernement qui est une construction
dynamique qui intègre le cognitif, l’affectif et la personnalité.
Souvent l’approche du seul enfant n’est pas suffisante. Les investi-
gations doivent s’ouvrir au fonctionnement du groupe familial, ou de
l’examen si cela est nécessaire de la relation abusé-abuseur.
Certains professionnels revendiquent comme posture la seule écoute de
la parole de l’enfant déconnectée des conflits qui l’entourent. L’objectif
serait pour conserver sa subjectivité d’expert, d’écarter ainsi un dossier,
une enquête préliminaire, les auditions de parents, qui nourrissent d’autres
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enjeux. Dans cette présentation ce n’est pas cette démarche que nous
soutenons. Comprendre la conscience de l’enfant, sa relation à son histoire,
conduit à accepter une approche qui intègre le contradictoire pour une
compréhension des différents désordres relationnels qu’a pu vivre le
mineur. Cette contradiction apparaît souvent à la lecture du dossier et
des auditions. L’expert ne dispose pas de manière innée d’un flair qui le
met en situation de toute puissance pour détecter la vérité.

E N GUISE DE CONCLUSION
En pratique médico-légale, l’examen de la parole de l’enfant embrasse
une clinique complexe. Ce sont les cohérences ou les incohérences de
cette clinique qui dictent le plus souvent les réponses aux questions qui
nous sont posées.
En France comme le souligne le rapport de novembre 2013 portant sur
la parole de l’enfant en justice et remis au Président de la République de
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Marie Derain, Défenseure des enfants, et Dominique Baudis, Défenseur


des droits, il existe une profonde inégalité de situations du traitement judi-
ciaire de la parole de l’enfant. Le rapport demande d’unifier les pratiques
entre enquêteurs et psychiatrie et psychologie légale. Les formations sont
hétéroclites, il n’existe aucune ambition de recherche médico-judiciaire.
Le rapport insiste sur l’importance de pédagogie envers les enfants :

« Il faut des mots simples, il faut imaginer des outils pédagogiques pour
expliquer aux enfants le fonctionnement de la justice, les droits qui sont
les leurs et la manière de les exercer [...]. Chaque fois que l’enfant parle,
il dit des choses. Il ne dit peut-être pas exactement la vérité, mais il dit
son malaise et les difficultés qu’il éprouve. Il faut explorer ses difficultés »
explique Marie Derain.
76 R EGARDS CROISÉS

L’ex défenseure des enfants propose de doter chaque enfant plaignant


d’un fascicule pédagogique adapté à son âge pour lui présenter ses droits
et lui expliquer la procédure. Il sera tout aussi important pour éviter de
disqualifier les parents de présenter les contours juridiques de l’autorité
parentale.
Aujourd’hui le chantier de la protection de l’enfant dans son parcours
judiciaire n’est pas terminé. La réponse judiciaire est souvent un second
traumatisme pire que le premier. La procédure s’étire dans le temps,
l’existence des mineurs est suspendue à l’attente d’une décision qui
arrivera trois ou cinq ans après.
Les réponses pénales sont souvent inadaptées, elles épousent ce que
demande l’opinion publique, des peines de plus en plus sévères pour les
auteurs, différées dans le temps, alors que les mineurs victimes attendent
souvent que leurs familles soient « réparées » au plus vite. Leurs plaintes
entraînent souvent un long exil à l’aide sociale à l’enfance et une rupture
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avec tous les attachements.
Si nous souhaitons privilégier l’intérêt de l’enfant, les procédures
pénales concernant les mineurs victimes d’infractions à caractère sexuel
doivent être, pour la plupart, raccourcies à une durée maximum de six
mois.
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RECUEILLIR LA PAROLE
DE L’ENFANT
PARTIE 3
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Chapitre 8

LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL
DE LA PAROLE DE L’ENFANT
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Gérard P OUSSIN

I NTRODUCTION
L’expérience de devoir rendre compte de ce que me disait un enfant dans
le cadre d’une demande d’examen psychologique ordonné par un juge m’a
fait prendre conscience de la difficulté de cet exercice. Un certain nombre
d’études en psychologie du développement ont permis de comprendre en
partie les origines de ces difficultés. J’en rendrai compte rapidement dans
une première partie. Je traiterai ensuite plus précisément la question du
recueil de la parole de l’enfant dans les situations de conflits parentaux
qui font suite à une séparation.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Q UELQUES ÉCLAIRAGES DE LA PSYCHOLOGIE


DE L’ ENFANT
L’enfant et le langage
L’enfant a un rapport spécifique au langage qui n’est pas identique à
celui de l’adulte. Il acquiert le langage progressivement et ne s’en sert
comme moyen d’échange avec les autres qu’après l’avoir suffisamment
maîtrisé. Ainsi à trois ans, dans l’échange avec ses pairs, l’enfant commu-
nique davantage par imitation qu’à travers le langage, alors qu’il possède
déjà pas mal de vocabulaire, comme l’ont montré les travaux de J. Nadel
et P.-M. Beaudonnière (1980).
80 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

On sait que la relation signifiant-signifié s’actualise par le langage grâce


à « l’arbitraire du signe ». Mais ce type de relation n’est intériorisé que
fort tardivement. Il est de l’ordre de la capacité métalinguistique qui n’est
acquise, au niveau sémantique, qu’au début du cycle primaire. Des enfants
de six ans, auxquels on demande de citer un mot « long », répondent
encore par exemple : « le train ».
Tout cela montre que le langage, suivant l’âge de l’enfant auquel nous
avons affaire, a une utilité et une fonction différente de celle qu’il a chez
l’adulte. Aussi, vouloir tenir une conversation avec un enfant suppose que
l’on tienne compte de son âge (Newcombe et Bransgrove, 2007) et de sa
capacité d’expression. On ne s’adresse pas de la même manière à un enfant
de quatre ans et à un enfant de douze ans par exemple. C’est notamment
vrai dans l’utilisation du vocabulaire et de la syntaxe. Des études anglo-
saxonnes ont montré que la fiabilité des réponses de l’enfant dépendait
de la façon dont l’adulte avait posé les questions (Saywitz et Camparo,
1998). Il est recommandé de poser au départ des questions banales de la
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vie quotidienne afin d’avoir une idée du niveau de l’enfant et de poser
ensuite les questions que l’on pense importantes, en tenant compte des
observations faites lors de ces premiers échanges. En tant qu’expert auprès
des tribunaux j’ai eu connaissance d’entretiens réalisés par la gendarmerie,
y compris dans le cadre de la procédure dite « Mélanie », qui ne tenaient
pas toujours compte de ces critères.

La particularité de la situation d’entretien


Lors de l’entretien avec un adulte, l’enfant se réfugie volontiers dans
le silence. Dans certains cas, il s’agit de véritable mutisme, qui indique
parfois une structuration psychotique de la personnalité. Mais le silence
au cours de l’entretien n’est pas un signe nécessairement pathologique.
C’est un moyen pour l’enfant de protéger son univers, de se réfugier dans
son monde imaginaire, ou tout simplement d’être conforme aux normes
imposées par les adultes. La socialisation de l’enfant passe en effet par
l’interdit de parler. Un enfant « poli » doit se taire devant l’adulte, il ne
doit pas « répondre ».
Ainsi, pour les enfants, la situation d’entretien est presque paradoxale
puisqu’elle le place dans une position où il a le devoir de parler alors
qu’habituellement il a le devoir de se taire devant l’adulte. C’est pourquoi
les psychologues proposent souvent des activités qui médiatisent la
communication verbale, comme le jeu ou le dessin. Néanmoins, l’inter-
prétation de ces jeux ou de ces dessins donne parfois lieu à des mises en
sens abusives pour ne pas dire ridicules. J’ai lu un article où les auteurs
avaient fait passer un test de dessin (le D10) en comparant les résultats
donnés par des enfants abusés et des enfants non abusés. À partir de quoi,
la présence d’objets de forme oblongue était considérée par cet article
comme un indicateur d’abus sexuel. Je doute pour ma part que l’on puisse
parvenir à une telle conclusion à partir de données aussi fragiles. Jeux et
LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL DE LA PAROLE DE L’ ENFANT 81

dessins doivent donc rester de simples médiateurs dans la communication,


et l’adulte ne doit pas plaquer sur ces productions un sens que l’enfant
n’a pas explicitement voulu y mettre. Ou alors, il faut disposer d’études
préalables et d’un matériel standardisé pouvant référer une signification
particulière à une forme donnée. Ainsi, qu’il soit interprété de manière
abusive, ou considéré comme une manifestation d’opposition, le silence de
l’enfant n’est pas toujours compris ni respecté, notamment dans le cadre
de certaines procédures judiciaires.
Le statut de l’interviewer joue également un rôle important. Des études
de laboratoire ont montré qu’une personne détentrice d’une fonction d’au-
torité conduisait l’enfant à se soumettre plus facilement aux suggestions
de l’adulte. Ainsi, les suggestions d’un juge ou d’un policier auront sans
doute plus de chances d’influencer l’enfant que celle d’un psychologue ou
d’un éducateur. C’est ce que nous voyons dans l’exemple qui suit.
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Un enfant, qui s’était aligné sur les positions de sa mère, voulait aller prendre
des cours de musique en supplément toutes les semaines à 70 km de chez
lui. Le père, qui ne voyait l’enfant que lors de droits de visite limités, s’opposait
à ce projet qui, selon lui, fatiguerait trop l’enfant qui allait déjà au conservatoire
de la ville. La question finit par atterrir sur le bureau du juge aux affaires
familiales (JAF) à la demande de la mère que l’enfant soutenait. Le JAF
s’étant prononcé, le père demanda un jour à son fils ce qu’il allait finalement
faire pour ses cours de musique. L’enfant répondit qu’il n’irait qu’une fois par
trimestre, que c’était comme ça parce que le juge l’avait décidé, et qu’il n’y
avait pas à en discuter. C’est pourtant ce que le père avait suggéré, mais sa
parole au départ n’avait pas été entendue, celle du juge oui !

Une ordonnance d’un juge est d’une autre nature qu’une simple sug-
gestion. Dans certains cas pourtant une question apparemment inoffensive
peut en fait être suggestive. Il suffit parfois de modifier très légèrement
la formulation pour transformer une question banale en suggestion (par
exemple : « De quelle couleur était la cravate du monsieur qui vient de
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

passer ? », au lieu de : « Le monsieur qui vient de passer portait-il une


cravate ? »). La lecture de certains dossiers d’affaires pénales regardant
des enfants montre que ce phénomène de suggestion involontaire est
relativement courant lors d’enquêtes réalisées par des personnes non
formées pour ce type de travail. Cela dit, il existe des différences interin-
dividuelles importantes d’un enfant à l’autre et certains enfants résistent
ainsi beaucoup mieux à la suggestion que d’autres. De même que certains
enfants mentent plus facilement que d’autres.
Car, au risque de choquer, il faut dire qu’il arrive en effet que les enfants
mentent. Ils peuvent même mentir à une personne revêtue d’une certaine
autorité, comme un juge, ou comme un expérimentateur de laboratoire.
Dans une expérimentation, on avait distribué à des enfants des cartes
avec des questions relativement difficiles dont la réponse était au dos
de la carte (Talwar, Gordon, et Lee, 2007). On indiquait aux enfants
82 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

qu’ils ne devaient pas regarder le dos de la carte. Puis l’expérimentateur


sortait, sous un prétexte quelconque, et rentrait ensuite. Une caméra cachée
permettait de voir ce que faisaient les enfants pendant son absence. Quand
l’expérimentateur revenait il demandait aux enfants lesquels d’entre eux
avaient regardé au dos de la carte et la majorité de ceux qui l’avait fait
ne le disaient pas. Cette expérience ne fait donc que confirmer ce que
nous savions déjà : que les enfants peuvent mentir. Elle montre aussi que
certains peuvent résister à la tentation. Nous allons voir à présent que cette
résistance dépend de l’âge et de la motivation.
Une expérience de Bottoms et al. (2002) consistait à demander à des
mères de faire une transgression mineure en présence de l’enfant (casser
une poupée en jouant) au moment où l’expérimentateur, toujours sous un
prétexte quelconque, quittait la pièce. Les mères devaient dire à l’enfant de
ne pas en parler à l’expérimentateur, sinon elles auraient des ennuis. Quand
l’expérimentateur revenait il demandait à l’enfant pourquoi la poupée était
cassée. Plus les enfants étaient jeunes plus ils avaient tendance à répondre
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la vérité, tandis que plus ils étaient âgés plus ils la cachaient pour protéger
leur mère. Ainsi l’enfant peut mentir pour protéger un parent, et plus il est
âgé, plus il a tendance à le faire.

L’influence des parents sur la parole de l’enfant


J’ai eu l’occasion de mesurer à plusieurs reprises l’impact sur la pensée
de l’enfant du parti pris qu’il a en faveur de l’un de ses parents. Le cas qui
suit illustre cet impact.

Les parents venaient de se séparer et l’enfant avait choisi de vivre avec son
père, ce que sa mère ne comprenait pas. Dans un entretien avec elle, en ma
présence, il l’accusa d’avoir toujours présenté son père comme quelqu’un de
méchant. La mère fut désarçonnée par ce propos inattendu pour elle. Parmi
les éléments de vérité, il y avait le fait que l’enfant avait eu effectivement peur
de son père quand il était petit. C’était un homme assez cassant et avec une
forte voix grave. Il est probable également que sa mère ait fait des réflexions
sur certains comportements autoritaires de son mari. Après le départ de sa
mère du foyer conjugal, vécu par cet enfant comme un cataclysme, ces deux
éléments de vérité se sont transformés en cette idée que sa mère l’avait tout
le temps « monté » contre son père, ce qui ne correspondait pas à la réalité
objective. La façon dont il s’est exprimé lors de l’entretien laissait penser qu’il
croyait à ce qu’il disait. Même si ce n’était pas un « mensonge » au sens
classique du terme, ce qui était dit était tout de même mensonger et aurait
même pu être considéré comme diffamatoire dans un autre contexte.

Jusqu’à quel point ce « mensonge » avait pu être induit par l’attitude du


père ? C’est ici la question de la capacité de suggestion d’un parent qui est
convaincu de la supériorité de sa position et qui influence l’enfant dans ce
sens. Il suffit en fait pour un parent de croire à la nocivité de son conjoint
pour que l’enfant y croie parfois de façon totalement fanatique. Sans aller
LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL DE LA PAROLE DE L’ ENFANT 83

jusque-là une expérience de Poole and Lindsay (2001) portant sur des
enfants de trois à huit ans a montré la puissance des inductions parentales.
Les enfants assistaient à une petite expérience où un personnage fabriquait
un téléphone avec deux entonnoirs et un tube de colle. Les parents
devaient ensuite raconter une histoire à leur enfant dans laquelle de faux
éléments sur l’expérience étaient introduits subrepticement. Une interview
réalisée par les chercheurs avec l’enfant avant que ses parents lui racontent
l’histoire et une interview après permettait de vérifier si les enfants avaient
été influencés par ce que leur avaient dit leurs parents. La comparaison
des deux entretiens montrait que les enfants faisaient très peu d’erreurs de
restitution dans le premier, alors que les fausses informations augmentaient
de façon spectaculaire au deuxième. Le seul regret que l’on peut avoir est
que les auteurs n’aient pas pensé à une condition contrôle où les fausses
informations auraient été fournies par une autre personne que les parents.
Il faut dire que l’objectif de ces chercheurs était un peu différent du nôtre.
Nous allons à présent tâcher de mettre en application ces connaissances
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dans la seconde partie de notre exposé qui portera sur l’analyse de
situations cliniques.

L’ ENTRETIEN AVEC L’ ENFANT DANS LE CADRE


DES SÉPARATIONS PARENTALES CONFLICTUELLES
Lorsqu’un juge aux affaires familiales commet un psychologue pour
expertise il s’agit le plus souvent d’un désaccord entre les parents au
niveau de l’organisation de l’hébergement de l’enfant ou d’un problème
lié au refus par un enfant de tout contact avec l’un de ses parents. Je me
consacrerai donc successivement à chacune de ces deux situations.
Le changement d’organisation de l’hébergement
de l’enfant
La résidence alternée n’est pas destinée à se maintenir forcément
jusqu’à la majorité des enfants. Elle peut être interrompue ou modi-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

fiée dans ses modalités pour de multiples raisons. Ainsi l’évolution de


l’enfant, des besoins nouveaux qui apparaissent ou des besoins anciens
qui disparaissent peuvent rendre nécessaire un arrêt ou une modification
substantielle de la résidence alternée. Il arrive aussi qu’un des parents ne
remplisse pas vraiment son rôle dans le temps qui lui est imparti et qu’il
faille en tenir compte. Cela dit si cette appréciation de la compétence du
parent est parfois évidente, elle est le plus souvent sujette à caution et pose
la question des motivations plus ou moins raisonnables qui se cachent
derrière cette demande de retour à un hébergement principal à l’un des
parents. Le cas que je vais à présent présenter est plutôt de cette nature.

Il s’agit d’un enfant qui voulait interrompre la résidence alternée qu’il faisait
actuellement entre son père et sa mère. Je l’ai vu en présence de ce dernier
et je lui ai demandé en début d’entretien ses motivations. Il m’a répondu qu’il
84 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

n’arrivait plus « à aimer sa mère comme avant ». La raison en était selon lui
qu’elle avait fait « un abandon de foyer » (sic) et avait critiqué le père en sa
présence. Il s’était rapproché de lui et ne supportait plus de ne pas le voir
pendant une semaine.
C’est donc le manque de son père qui expliquait selon cet enfant qu’il avait
du mal à tenir une semaine sans le voir (alors qu’il était adolescent et avait
été assez éloigné de son père auparavant, comme il l’avait expliqué dans
l’entretien avec sa mère). Mais lorsque je le revois en entretien individuel, il
revient spontanément sur cette question de la résidence alternée, avec un
angle d’attaque légèrement différent. Il m’explique en effet que lorsqu’il va
chez sa mère il dort dans un lit superposé où il ne se sent pas suffisamment
dans l’intimité pour dormir correctement. Il prétend même qu’il est tombé une
fois dans les escaliers de son collège par manque de sommeil. Aussi après
avoir décrit le risque quasiment vital que lui font courir ces nuits passées
dans un lit superposé, il conclut sur l’aspect plus « psychologique » du
problème qu’il estime sans doute qu’un homme qui exerce ma profession
devrait pouvoir entendre. En effet à cause de cela il avait l’impression d’être
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« pris pour un objet ».
Entre l’entretien en présence de son père et celui qu’il a seul avec moi, tout
se passe comme s’il avait réfléchi aux arguments destinés à me convaincre.
Il revient donc avec la solution : le lit superposé qui ne lui procure pas de
sommeil réparateur, au point de mettre sa vie en danger, et « le sentiment
d’être pris pour un objet ».

Quel crédit apporter à une souffrance théâtralisée à ce point ? Combien


d’enfants dorment dans un lit superposé sans en souffrir particulièrement ?
Et que met-il sous cette terminologie adultisée d’être « pris pour un
objet » ? Mon hypothèse est plutôt que cet enfant s’identifie à la souffrance
de son père qui réclame le retour de sa femme au foyer. Il faut dire que
la sœur a choisi de vivre avec la mère et que le père, sans son fils, se
retrouverait seul à la maison. Le rejet de la mère est finalement une forme
d’altruisme de la part de cet enfant.
La confrontation de ces trois extraits d’entretien : l’un avec la mère,
l’autre avec le père et le troisième avec l’enfant tout seul, montre comment
ce dernier utilise une stratégie qu’il a construite pour convaincre l’adulte
en face de lui. Contrairement à ce qu’écrit Edwige Antier dans sa préface
au livre d’Agathe Fourgnaud « Le jour où mes parents ont divorcé »
(2009), la parole de l’enfant n’est pas libre et « absolument vraie ».
Elle est au contraire relative au contexte dans lequel il se trouve et aux
stratégies qu’il déploie en fonction de ses croyances et de sa vision souvent
manichéenne du monde. Cette vision est liée à son besoin de sécurité qui
est à l’origine même du processus d’attachement (Bowlby, 1978). Bowlby
disait que le petit lièvre avait un terrier où il se réfugiait lorsqu’il était en
danger, tandis que le petit homme n’avait que les adultes proches pour
échapper aux différentes menaces qui l’entourent. Un monde où il serait
impossible de distinguer les « bons » adultes des « mauvais » serait un
monde angoissant où le danger serait permanent. C’est la raison pour
laquelle ce manichéisme enfantin existe. Il est protecteur pour l’enfant
LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL DE LA PAROLE DE L’ ENFANT 85

qui est prêt à sacrifier pour cela cette vérité que les adultes vénèrent. Un
enfant a besoin de croire en un adulte totalement fiable qui le protège,
tandis qu’un adulte a besoin d’un monde où il peut distinguer le vrai du
faux. Pour comprendre l’enfant il faut éviter de confondre nos besoins
avec les siens.
J’ai voulu citer ce cas car on voit plus souvent les mères remettre
en cause la résidence alternée que les pères, et il nous est dit que c’est
bien normal puisque les mères seraient plus indispensables à l’enfant
que les pères ! Ici au contraire une résidence principale au père était le
moyen de faire pression sur la mère pour qu’elle renonce à la séparation
parentale. Cette attitude n’est pas plus « normale » qu’une autre. Elle
répond à un besoin à travers lequel le père et le fils se rejoignaient. Dans
d’autres cas de figure les alliances seront différentes pour d’autres raisons.
Il est préférable de s’interroger sur les motivations de chacun dans une
situation particulière plutôt que de laisser son raisonnement reposer sur
une idéologie : le maternalisme dans un cas ou le paternalisme dans
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l’autre.
Ainsi la mise en cause de la résidence alternée n’est pas toujours fondée
sur des causes « justes » et des évolutions nécessaires au développement
de l’enfant. Elle peut même être l’antichambre de ce qui va suivre : le
refus progressif de ne plus voir le parent jugé comme le « mauvais » dans
le cadre de ce programme dichotomique auquel l’enfant a parfois besoin
d’adhérer.

Situations où l’enfant refuse de voir l’un de ses parents


Le terme « aliénation parentale » est devenu quasiment systématique.
Or il est particulièrement polysémique. En effet l’aliénation sert à dési-
gner aussi bien un état de privation de ses facultés propres, ou de ses
droits, qu’une dépossession de ses capacités ou une contrainte imposée
empêchant le déploiement de son potentiel, ou encore à signaler qu’une
personne n’est plus elle-même, devient étrangère à elle-même, ne pense
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

pas par elle-même, est assujettie sans en avoir conscience. Je préfère donc
parler de parent rejeté et de parent préféré que de parent aliénant et de
parent aliéné. En outre cette terminologie donne un sens à mon avis trop
univoque et quasiment psychopathologique à ce phénomène. De ce fait,
on voit de nombreuses situations qui sont immédiatement assimilées à
un « syndrome d’aliénation parentale » et auxquelles on y attribue toutes
les caractéristiques propres à la configuration qualifiée de « syndrome »
par Richard Gardner (1992). Notamment celle qui voudrait qu’un enfant
qui refuse de voir l’un de ses parents soit forcément manipulé par l’autre
parent et ne soit qu’une sorte de marionnette entre ses mains. Je vais
donc donner deux exemples d’entretiens. L’un qui montre qu’un enfant
peut refuser de voir l’autre parent sans qu’il y ait forcément « aliénation
parentale » et l’autre qui est assez typique à mes yeux d’une utilisation
légitime de ce terme.
86 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

Dans le premier cas il s’agit d’une petite fille d’une douzaine d’années qui
venait de mettre fin à des visites avec son père, qui s’étaient déroulées de
façon houleuse, voire fracassante. Elle déclarait qu’elle ne voulait plus le voir
momentanément, tant que quelque chose ne serait pas fait pour qu’il change
d’attitude à son égard. Je l’avais vue seule avant l’entretien avec son père et
elle m’avait raconté ces différentes visites chez lui, qui l’auraient d’après elle
traumatisée par la violence des propos échangés ou à l’inverse par un refus
du père de s’adresser à elle pendant tout un week-end. Ce dernier m’explique
alors que sa fille montait en épingle des anecdotes insignifiantes. Elle pense
de son côté que son père était en colère contre elle parce qu’elle lui avait
demandé au départ de renoncer à sa demande de résidence alternée. Or elle
remarque que les pères de certaines de ses amies l’ont accepté facilement
contrairement à lui. Cette remarque produit une grande colère du père qui
revendique son désir de pouvoir partager la vie de sa fille et conserve ensuite
la parole un long moment pour décrire les comportements de sa fille qui lui
paraissent témoigner de l’influence maternelle perpétuellement sous jacente.
Un peu submergée sous le flot des accusations paternelles l’enfant tente de
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reprendre la parole, toujours sur cette question de la résidence, en expliquant
cette fois pourquoi elle a été choquée que son père fasse appel de la décision
de justice qui lui donnait un droit de visite élargi... Et de nouveau le père
conserve la parole et passe à un autre sujet.

Sur un entretien d’une heure l’enfant n’a pu s’exprimer qu’environ cinq


minutes. Il est possible que la mère de l’enfant ait joué en sous main un rôle
non négligeable dans la résistance qu’elle opposait à son père. Néanmoins
le seul fait que l’enfant ait si peu de temps d’intervention (facilement
vérifiable en comptant les temps de parole de chacun sur l’enregistrement)
suffisait à imaginer les rapports qui existaient habituellement entre son
père et elle. Je tiens à préciser que c’était une enfant qui parlait facilement
et était loin de se réfugier dans le mutisme. Mais l’étude de sa personnalité
montrait une sensibilité particulière, à la limite de certains troubles du
développement. Cette sensibilité avait eu des conséquences à l’école, où
dès la maternelle elle ne supportait pas qu’un autre enfant la touche. Dans
son cas, l’écoute parentale exigeait plus d’attention que dans d’autres.
Ce qui se jouait entre le père et sa fille ressemblait aux querelles de
certains couples qui ne cessent d’échanger des reproches et des anecdotes
où chacun attend de l’autre qu’il cède, reconnaisse ses « fautes » et
promette de s’amender. Attente évidemment sans résultat qui conduit
à une déception telle que le seul moyen d’en sortir est de fuir l’autre et
d’éviter tout contact. C’est une solution dans le cas d’un couple, pas dans
celui d’une relation entre un père et de son enfant. C’est à l’adulte alors
de prendre conscience du fait que la relation qu’il établit avec son enfant
peut susciter un vrai rejet, au-delà même du rôle que peut prendre l’autre
parent. C’est à lui de voir que certains enfants sont plus sensibles que
d’autres à la qualité de l’écoute et à en tirer les conséquences.
Ce qui m’amène à proposer à présent l’examen d’une situation où le
rejet de l’enfant ne peut s’expliquer uniquement par la nature des relations
LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL DE LA PAROLE DE L’ ENFANT 87

complexes qu’il entretient avec ce parent rejeté, ni par une sensibilité


particulière de l’enfant.

Il s’agit cette fois d’une mère qui n’a pas vu son fils, âgé de onze ans, depuis
plus d’un an. Je les ai reçus ensemble avant d’avoir pu faire un entretien
individuel avec l’enfant. Ce dernier m’explique alors que sa mère « fait tout
ce qu’il ne veut pas ». J’insiste pour avoir des précisions sur ce point et il finit
par me dire qu’elle a peint les volets de sa maison en rose, ce qui fait que
ses camarades se moquent de lui. Puis, à court d’arguments, il me dit qu’il
ne l’aime pas parce qu’elle le frappe. Elle se serait même servie d’un balai
pour cela. En outre depuis qu’il habite avec son père ses résultats scolaires
se seraient grandement améliorés. La mère, qui s’est tue pendant tout ce
dialogue, raconte alors la petite enfance de son fils qui lui aurait donné de
grandes satisfactions lorsqu’il était petit et jusqu’à ce que les parents se
séparent. Mais l’enfant récuse les propos maternels et affirme qu’il ne lui a
jamais fait de câlins comme elle le prétend.
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L’entretien se termine ainsi. Je décide de continuer seul avec l’enfant et
raccompagne la maman jusqu’à la porte. En ouvrant j’aperçois dans la salle
d’attente une dame d’un certain âge qui s’approche et lui dit « bonjour ». Il
tourne ostensiblement la tête et ne répond pas. Il me dira qu’il s’agissait de
sa grand-mère maternelle. Cette petite scène me confirme qu’il rejette non
seulement sa mère, mais toute la famille de celle-ci. D’ailleurs il souligne qu’il
adore ses grands parents paternels et déteste ses grands parents maternels
ainsi que les oncles et tantes de ce côté.

À l’issue de ces entretiens on peut se demander si cet enfant a été


victime de mauvais traitements maternels ou s’il s’agit d’une aliénation
parentale. La mère affirme qu’il a eu quelques fessées sans plus, autant
d’ailleurs de la part de sa mère que de celle de son père. Quant au manche
à balai elle lui aurait barré le chemin avec, un jour où elle venait de laver
par terre. Le père de son côté n’a pas évoqué de mauvais traitements
de la part de cette mère. L’essentiel est probablement ailleurs... Dans
l’attitude provocante de l’enfant dès qu’il est en présence de sa mère. Dans
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’extension du rejet d’un parent à l’ensemble de la lignée. Dans la façon


dont il échappe sans cesse à mes questions sur le rôle joué par son père
lors des prétendus mauvais traitements. Dans son incapacité à répondre
aux arguments de sa mère, sinon par un déni d’avoir jamais eu une bonne
relation avec elle. Dans des arguments aussi pauvres que la peinture des
volets, sachant qu’il a été testé et reconnu d’intelligence précoce. Il y a
bien aliénation parentale me semble-t-il, et c’est dans les entretiens qu’elle
s’actualise à mes yeux. En même temps l’hypothèse d’une manipulation
venant du père comme seule explication à ce phénomène me semble
insuffisante. On voit ici à quel point le rejet de la mère a été intériorisé pour
cadrer encore une fois avec la fiction d’un parent totalement bon opposé à
un parent totalement mauvais. Cette fiction est nécessaire à l’enfant pour
retrouver un sentiment de stabilité que la séparation parentale lui avait fait
perdre.
88 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

L’essentiel bien sûr ne réside pas dans les mots, mais dans la manière
dont ils sont prononcés et dans les aspects stratégiques de l’interlocution.
Car ces enfants ont bien une stratégie discursive. On peut rencontrer des
expressions plus spontanées et moins réfléchies chez des enfants de moins
de six ans, mais au-delà l’enfant poursuit un objectif précis auprès de son
interlocuteur. Il n’est pas difficile de le voir si nous acceptons simplement
de regarder ce qu’il en est. La difficulté est plutôt de savoir ce que nous
allons en faire : dénoncer la fiction ou la valider ? C’est ce qui est attendu
par l’enfant et par une partie de sa famille. Pour sortir de ce dilemme il
faut se situer dans un autre axe que celui de la vérité et du mensonge.

C ONCLUSION
Je n’ai pas évoqué dans le cadre des séparations parentales les allé-
gations d’abus sexuels : j’en ai pourtant été souvent le témoin. Je ne
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suis pas parvenu à savoir quelle était la véracité de ces allégations dans
la plupart des cas. C’est pourquoi je n’ai pas voulu leur consacrer un
chapitre à part entière. Je peux citer néanmoins à titre d’exemple une
petite fille de huit ans qui avait accusé son père d’attouchements. La
justice avait prononcé un non-lieu. Néanmoins la petite fille en présence
de sa mère continuait ses accusations et elle ne les maintenait pas en
présence de son père. Il m’est arrivé aussi de rencontrer des cas où la
fausseté de l’allégation avait été démontrée : par une enquête de police par
exemple. Une fillette de dix ans m’a ainsi expliqué qu’elle avait prétendu
que son père l’avait touchée afin d’avoir une raison de ne plus le voir
qui soit acceptée par le juge. Ce dernier cas illustre bien jusqu’où un
enfant peut aller pour obtenir une décision conforme à ses croyances
manichéennes. Son père représentait pour elle « l’empire du mal » et
l’accuser faussement était à ce titre considéré par elle comme licite. En
effet la démonstration par les gendarmes de l’invraisemblance de son
accusation, suivi de la reconnaissance de son mensonge, n’avaient rien
changé à sa détermination.
Bien entendu j’ai aussi rencontré des enfants dans des situations où
soit les parents n’étaient pas séparés soit cette séparation n’était pas le
motif d’une consultation ou d’une expertise. Il va de soi que les problèmes
rencontrés sont différents de ceux que nous venons de voir. Sans passer
en revue toutes les situations possibles, on peut au moins en souligner
deux : les enfants qui bénéficient d’une assistance éducative, à la suite
d’une demande des parents ou d’une autorité extérieure, et ceux qui ont
commis des délits, voire des crimes. Dans le premier cas nous sommes
amenés à évaluer la pertinence ou l’opportunité de l’assistance éducative.
C’est en général une tâche moins complexe que celles qui ont été déjà
exposées. Dans le second cas il est important de savoir si le délit est un
simple « incident de parcours » ou s’il indique une personnalité asociale
qui risque de se développer à l’âge adulte. Si ces deux types de délinquance
ont bien été définis par certains auteurs (Fréchette, Leblanc, 1987), la
LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL DE LA PAROLE DE L’ ENFANT 89

prédiction de l’évolution d’un sujet donné dans l’une ou l’autre direction


n’est guère facile. Des critères ont néanmoins été définis par diverses
études (Haapasalo, Tremblay, 1994), mais cela nous amène assez loin de
la question de la parole de l’enfant.
Pour y revenir disons que les quelques exemples donnés dans cet article
ont pu montrer que les dires de l’enfant ne doivent pas être limités à
l’énoncé, mais également qu’il faut prendre en compte l’énonciation. À
qui l’enfant s’adresse-t-il en particulier ? Et comment il le fait. Seule
la confrontation de son discours dans des contextes différents permet
d’y parvenir. Un seul entretien avec lui ne permettra pas d’approcher la
complexité des phénomènes auxquels il est confronté et la manière dont il
les traite. Sa parole n’est jamais brute et se déploie dans l’interlocutoire.
Elle n’a pas de valeur en soi et prétendre que la vérité sort de la bouche
des enfants est aussi naïf que de croire en la sincérité d’une promesse
électorale.
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Chapitre 9

RECUEILLIR LA PAROLE
DE L’ENFANT VICTIME
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Un exercice complexe

Hélène ROMANO

L E DROIT À LA PAROLE
La Convention Internationale des droits de l’enfant de 1990 rappelle,
dans son article 12, le droit fondamental de tout enfant à voir sa parole
respectée et entendue :

« Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant,


les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à
son âge et à son degré de maturité. À cette fin, on donnera notamment à
l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou
administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un
représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec
les règles de procédure de la législation nationale. »

Vingt-cinq ans après cette publication, entendre un enfant et prendre


sa parole au sérieux apparaissent toujours aussi utopiques. Après un
début de XXe siècle où la logique judiciaire influencée par Brouardel
envisageait les enfants avant tout comme des pervers polymorphes et
menteurs ; après la fin du XXe siècle où l’enfant s’est trouvé réduit à sa
parole sacralisée ; le début du XXIe siècle donne libre cours à une nouvelle
ère de diabolisation de la parole de l’enfant désormais suspecte du fait
92 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

de processus d’aliénation ou de faux souvenirs. Comment comprendre


que recueillir la parole de l’enfant soit à l’origine de tels enjeux et que la
recueillir apparaisse toujours aussi complexe ?
Une première hypothèse serait de rappeler que l’enfant est un petit
d’homme en développement et que son immaturité affective, neuro-
cognitive, physiologique, ne lui permet pas de parler comme un adulte et
de ce fait de s’exprimer et d’être compris par son entourage. Une autre
hypothèse viendrait à resituer ce que l’enfant a longuement représenté dans
notre civilisation : un être insignifiant qui ne parle pas (infans) et qu’il ne
fallait pas investir affectivement tant la mortalité infantile était grande.
Objet commercial qui pouvait se vendre d’une famille à l’autre, être
exploité sans limite, l’enfant n’avait ni le droit à la parole, ni celui d’être
écouté. Porter attention à sa parole serait une difficulté qui témoignerait de
cette trace culturelle du rapport de notre société à l’enfant et en général au
monde de l’enfance. La question pourrait aussi se poser de savoir de quel
enfant parle-t-on ? Celui dont la prise en charge nous est confiée ou celui
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que nous sommes et qui continue d’agir dans notre histoire en particulier
lorsque des résonances sont à l’œuvre avec notre exercice professionnel ?
Il pourrait être aussi cité ces études qui attestent de la suggestibilité des
enfants et les affaires judiciaires où des décisions ont fini par invalider les
témoignages des enfants victimes.
Les hypothèses sont multiples et illustrent toute la complexité du
rapport que nous entretenons avec l’enfant et tout particulièrement avec
l’enfant victime de violences.

L ES EFFETS DE LA PAROLE DE L’ ENFANT


SUR LES PROFESSIONNELS
Entendre un enfant victime ne s’improvise pas et ne saurait se réduire
à la seule bonne volonté de professionnels qui se précipiteraient avec des
bons sentiments qui au final n’en sont pas. Être témoin de la souffrance
d’enfants violés, maltraités, massacrés psychologiquement par d’autres
(qui sont bien souvent d’adultes censés le protéger) est insoutenable.
Rester disponible pour l’écouter quand ses mots, son attitude, son com-
portement, témoignent de l’abjection de ce qui lui a été imposé ne peut
se faire sans un coût psychique pour celui qui devient dépositaire de
cette parole. Constater les sévices sur son corps et les traces laissées par
ses bourreaux du quotidien, n’est pas possible sans avoir les ressources
nécessaires pour ne pas être submergé par la colère, le dégoût, l’effroi
ou ce sentiment d’impuissance sidérant. Les réactions de défense des
professionnels peuvent être multiples : du déni à l’identification projective
en passant par le rejet, la banalisation, la fascination, le mensonge et toutes
ces réactions qui témoignent de la contamination subie par le professionnel.
Sans formation, sans supervision, les intervenants ne peuvent envisager
de recueillir sereinement la parole de l’enfant et plus encore d’un enfant
victime dont les réactions sont souvent déroutantes. Toute écoute modifie
R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT VICTIME 93

la parole et lorsque cette écoute est vide de toute élaboration en raison


de son impact sur celui qui l’entend, elle n’est plus rien qu’un leurre
relationnel. Il s’agit donc pour les intervenants d’être affectés sans être
submergés par tout ce que ces témoignages d’enfants peuvent venir
bouleverser dans leur histoire individuelle et professionnelle. C’est une
obligation déontologique pour chaque professionnel mais c’est aussi
un devoir éthique, celui de respecter l’enfant en tant que sujet et de
veiller, comme le rappelle la CIDE, à lui garantir d’être entendu de façon
« suffisamment » juste, adaptée et conformément à ses droits.

P ENSER LA VIOLENCE DE LA PAROLE


Il existe actuellement une théorie, proche d’une croyance idéologique,
selon laquelle « il faut parler pour aller mieux » ; « la parole libère ». Mais
parler ne signifie pas « tout dire », n’importe quand et à n’importe qui ;
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cela ne signifie pas davantage que par la seule force de mots énoncés celui
qui parle sera entendu, cru et reconnu dans ce qu’il exprime de ce qu’il vit.
Et il serait bien illusoire, comme le témoignent toutes ces victimes (enfants
comme adultes), que parler a, en tant que tel, une fonction de restauration
psychique. Cela n’est le cas que si l’enfant rencontre ce que nous avons
défini comme un adulte « transitionnel » (au sens de Winnicott) : celui
qui peut entendre, qui peut permettre de redonner sens aux ressentis, qui
peut décrypter l’innommable et qui permettra à l’enfant de se dégager
de l’impact mortifère des violences subies en le reconnaissant sujet de
son histoire et en le restituant dans un lien d’humanitude avec le monde
extérieur dont les violences l’ont exclu. Il est ici important de rappeler que
l’enfant ne parle en fonction de ce qu’il pense que l’autre peut entendre ;
autrement dit il a très jeune une capacité à ne pas tout dire quand il perçoit
que l’autre ne le comprend pas ou doute de sa parole.

Par exemple Emma, 8 ans, expertisée dans le cadre d’une instruction de


viols sur mineur, les mis en cause étant ses deux parents. Au cours de la
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

séance de psychothérapie qui suit cette expertise, elle nous explique : « j’ai
vite compris que l’expert ne me croyait pas et de toute façon que ça ne
l’intéressait pas. À un moment il a levé les yeux au ciel et il m’a dit « mais
voyons, explique-moi comment tu peux dire des choses pareilles ? » J’avais
l’impression qu’il se moquait de moi, alors du coup je n’ai presque rien dit ».
Barnabé 9 ans explique avoir « raconté une belle histoire » à son éducatrice
de retour de visite de chez son père dont il se plaint de violences graves :
« de toute façon elle est avec lui. Quand elle le voit elle rigole avec lui et me
dit toujours que mon père c’est un très gentil papa et que j’ai de la chance.
J’ai essayé de lui expliquer et à chaque fois elle me dit que s’il se fâche, s’il
me frappe c’est que je ne lui ai pas assez obéi et que je dois comprendre
que ce ne sont pas les enfants qui font la loi. Alors ça sert à quoi que je lui
redise encore alors qu’elle lui donne toujours raison ? Pour qu’elle ne me
croie toujours pas et me traite de menteur ? Je ne lui dis plus rien et quand je
la vois, je fais comme si tout allait bien et je lui dis ce qu’elle veut entendre ».
94 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

La parole est bien plus un risque pour un enfant victime qu’une chance.
Il faudrait enfin le comprendre pour cesser cette idéalisation de la parole
de l’enfant qui ne fait que le fragiliser davantage. C’est un risque car dans
bien des situations de violences l’auteur use de la parole pour obtenir
le silence de l’enfant et imposer son emprise : les mots qui terrorisent,
les menaces, les propos humiliants et disqualifiants sont les armes de
ceux qui dénient toute altérité à l’enfant pour le réduire à l’état d’objet
de jouissance. Quand l’enfant tente, par sa parole, de se défendre face
à son agresseur celui-ci l’invalide en affirmant à l’enfant qu’il ne sera
jamais cru ; que ce qui arrive est de sa faute ou qu’il l’a bien cherché.
La perte de confiance dans sa parole est majeure et il y a ici quelque
chose de paradoxal que d’attendre d’un enfant victime qu’il puisse parler
sereinement et de tout attendre de sa parole. La crainte des représailles,
la honte, la peur de ce que ses interlocuteurs pourront penser de lui, la
défense face aux reviviscences qui le submergent inévitablement lorsqu’il
doit reparler des faits, la difficulté de devoir parler à des inconnus aux
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tenues souvent impressionnantes (uniformes, robes de justice, blouses de
soignants) font que l’enfant victime se tait bien plus qu’il ne parle. Tout
comme bien des enfants victimes préfèrent se rétracter et retourner au vide
existentiel qu’ils connaissent si bien, plutôt que de prendre le risque de
s’en dégager en investissant les aides rencontrées et en faisant confiance
aux tuteurs résilients qui tentent de les soutenir.

R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT VICTIME


AVEC MÉTHODE
Tout professionnel chargé de recueillir la parole d’un enfant victime
devrait bien évidemment être formé et connaître des éléments essentiels
sur la psychologie de l’enfant en général et sur celle des enfants victimes
en particulier : un jeune enfant n’a pas les capacités langagières d’un
adolescent ; la mémoire infantile est surtout émotionnelle et ne peut être
comparée à celle des adultes ; la représentation spatio-temporelle des
enfants est limitée dans les premières années ; la sexualité infantile n’est
pas la génialité adulte ; la représentation du monde extérieur est marquée
par un réalisme singulier propre à l’enfant qui ne peut être comparé à
celui des adultes ; la suggestibilité est d’autant plus forte chez l’enfant que
les adultes l’impressionnent ; les troubles post-traumatiques réactionnels
à des violences peuvent s’exprimer immédiatement mais certaines fois
en différé ; l’enfant victime peut ne pas présenter d’emblée des troubles
évocateurs de violences subies ; la mémoire traumatique peut entraîner
des blancs mnésiques (l’enfant ne se rappelle plus de rien) ou la fixation
hors temps des souvenirs traumatiques ; le temps de la révélation et celui
des procédures sont des temps de réactivations traumatiques majeures où
sa vie, son identité, son corps, sa parole, sont exposés sans limite à des
enquêteurs, des juges, des experts, des thérapeutes, des éducateurs ; etc.
R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT VICTIME 95

Si le professionnel a déjà ces connaissances sur la clinique infanto-


juvénile, il peut envisager de recueillir la parole de l’enfant victime en
prêtant soin de se poser certaines questions : qui demande quoi ? Pour
qui est cette évaluation ? Que sait-on du contexte de sa révélation ou des
circonstances qui ont conduit à cette nécessité de recueillir sa parole ?
Qu’attend-on de ce recueil de sa parole ?
Les conditions d’accueil de l’enfant devraient être adaptées : ergonomie
des lieux, matériel de médiation pour permettre à l’enfant de s’exprimer
autrement que par des mots, durée maximum d’une heure et horaire posé
dans le respect de son rythme (pas au moment du repas ou à l’heure
de la sieste pour les très jeunes). Les protocoles de recueil de la parole
d’un enfant varient bien évidements selon le contexte : une audition par
des enquêteurs n’est pas une expertise, ni un rendez-vous avec un avocat
d’enfant, ni une audition devant un juge ou un entretien avec un éducateur.
Il apparaît cependant un cadre qui peut être conservé dans toutes ces
situations, avec tant que possible des interventions en binôme car rester
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disponible pour entendre un enfant victime est difficile et la présence d’un
collègue permet de limiter les biais interprétatifs et de pouvoir être aussi
attentifs au comportement non verbal de l’enfant :
• un premier temps d’accueil de l’enfant où le professionnel se présente,
prend le temps de donner à l’enfant toutes les conditions possibles pour
qu’un climat de confiance se crée (présentation des lieux, du contexte de
cette rencontre, des raisons des prises de note ou de l’audition filmée ;
explication des règles en particulier celle de parler avec ses mots et
surtout de dire s’il ne comprend pas certaines questions) ;
• un second temps d’échange plutôt informel qui permet d’évaluer le
niveau langagier de l’enfant, son rapport au monde extérieur, son
niveau de maturité, ses ressources personnelles (liens avec ses proches,
scolarité, activité périscolaire) ;
• un troisième temps plus directif où sont abordées de façon plus précise
les raisons de l’entretien en évitant toute question suggestive ; tout terme
que l’enfant n’aurait pas lui-même utilisé et tout propos qui mettrait
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

en danger le lien de confiance avec l’enfant tel que des propos banali-
sant son vécu ; la déculpabilisation compassionnelle, la sommation à
culpabilisation ; le déni ; la fausse réassurance ; le mensonge ;
• un quatrième temps de conclusion où le professionnel reprend l’en-
semble des éléments abordés, en utilisant les mots de l’enfant est
assuré auprès de lui qu’il a bien compris. Ce temps permet d’aborder
la suite à savoir ce que le professionnel va faire de la parole qui s’est
exprimée. C’est un temps essentiel qui permet à l’enfant de s’assurer
qu’il a été compris et au professionnel de veiller à ce que l’enfant
ait pu exprimer tout ce qu’il voulait. La conclusion de l’entretien
se fait en remerciant l’enfant pour son courage, même si le recueil
s’est passé difficilement et en l’informant sur les adultes susceptibles
d’être des personnes ressources s’il en avait besoin. Un temps est aussi
96 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

à consacrer à l’adulte qui accompagné l’enfant pour éviter qu’il ne


submerge l’enfant de questions dès qu’il sera avec lui ; avec tous les
risques liés aux répétitions.

R ECONNAÎTRE L’ ENFANT DANS CE QU ’ IL VIT


ET CE QU ’ IL RESSENT
Si recueillir la parole de l’enfant peut être important, cela devrait-il
être indispensable si celui-ci ne veut pas s’exprimer ? Qu’il dise ou non
la vérité est-ce cela au final l’enjeu primordial ? Est-il indispensable de
croire ou de ne pas croire l’enfant ? Le véritable enjeu dans la prise en
charge d’enfants victimes et dans le recueil de leur parole nous semble
être ailleurs. L’importance est en effet de reconnaître l’enfant en tant que
sujet, c’est-à-dire de comprendre sa souffrance et de tout faire pour que
cet enfant ne souffre plus et qu’il puisse trouver les ressources nécessaires
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pour ne plus être réduit à l’état de victime. Il y a ici un malentendu
fondamental entre la logique administrative et judiciaire de nombreux
professionnels chargés du recueil de la parole de l’enfant victime (être
« sûrs » des faits ; avoir des privés matériels ; s’assurer que la vérité est
bien la réalité ; arrêter et sanctionner l’auteur) et ce qu’attend cet enfant
(que son cauchemar cesse ; qu’il soit « comme les autres » ; que sa vie
redevienne « comme avant » pour ceux qui ont connu une période de vie
apaisée.). Avant d’être un objet de procédures, l’enfant victime est un
blessé psychique à la vie fracassée ; l’urgence pour lui permettre de se
reconstruire psychiquement au-delà de toutes ces violences subies est de
le réinscrire dans une humanité, c’est-à-dire dans une intersubjectivité
structurante et protectrice.

P OUR CONCLURE
Cette réinscription dans le monde des vivants (voire cette inscription,
pour les enfants maltraités depuis l’enfance), nécessitent la concomitance
de deux processus dont chacun est en lui seul incertain : parvenir à
témoigner ET que ce témoignage permette la reconnaissance des atrocités
subies.
Comment dès lors l’enfant victime peut-il témoigner et être entendu
à la hauteur de ce qu’il a vécu ? S’il est trop déstructuré psychiquement,
son récit apparaît bizarre, ses pertes de mémoire inconcevables compte
tenu de la gravité de ce qu’il prétend avoir subi. S’il est trop précis
dans son témoignage, sa parole est considérée comme suspecte. S’il
présente des troubles post-traumatiques envahissants il sera psychiatrisé
et rapidement étiqueté de telle ou telle pathologie ; s’il ne présente pas
de troubles visibles, il sera soupçonné de ne pas avoir subi tout ce qu’il
dit. Pour l’enfant victime le parcours s’annonce des plus douloureux tant
l’incompréhension voire la contestation de ce qu’il a vécu lui est opposée.
R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT VICTIME 97

Au final quoi qu’il dise, quoi qu’il puisse exprimer, quoiqu’il manifeste,
l’enfant qui a failli être exterminé par la violence des hommes, ne réagit
jamais comme la communauté des autres le voudrait. Il est alors condamné
à se taire. Sortis des camps, les rares déportés qui ont tenté de témoigner
se sont fait traiter de menteurs par ceux qui savaient que les camps
existaient et qui, pris d’une subite et indécente amnésie, tenaient plus
que tout à ce que le silence impose sa loi ; mais aussi par tous ceux qui
préféreraient rester dans une si confortable ignorance coupable. C’est le
même constat pour les enfants victimes de violences et de maltraitance
et les qualificatifs ne manquent pas, comme nous l’avons rappelé dans
noter propos introductif : des menteurs et des affabulateurs jusque dans
les années 1990 ; ils deviennent aliénés, répétant à l’insu de leur plein grès
des écrits traumatiques qu’ils n’ont nécessairement pas vécus. Cette année
2015 marque une nouvelle ère : le « syndrome d’aliénation parentale »
étant désormais dénoncé par la communauté scientifique internationale
qui a refusé de l’inscrire dans sa dernière classification des pathologies
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psychiatriques (le DSM V), c’est une autre dénomination qui s’impose,
celle des faux souvenirs (déjà utilisée au XIXe siècle). Pendant trois
semaines s’est déroulé au mois de juin à Rennes ce que de nombreuses
personnes ont qualifié de troisième acte de l’affaire d’Outreau : trois des
enfants reconnus victimes de viol par les assises de Douai, puis par la
Cour d’appel de Paris, ont poursuivi en justice un homme qu’ils accusent
de les avoir violés quand lui-même était mineur (soit des faits remontant à
près de quinze ans).
Lors de son réquisitoire l’avocat général des assises, soudainement
autoproclamé expert psychiatre, a établi de la seule hauteur de son prétoire,
que les témoignages des parties civiles ne pouvaient pas être entendus par
les jurés car il s’agissait de « faux souvenirs ». Méprisant les auditions
des différents experts à forts renforts de propos disqualifiant les personnes,
leur expertise et leur fonction d’expert, ce magistrat a imposé son point
de vue. Cette affirmation ne s’étayant sur AUCUNE expertise récente
de la parole de ces parties civiles (les dernières remontant à plus de 13
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ans) et allant à l’encontre de l’état actuel des connaissances scientifiques


sur la mémoire traumatique, l’avocat général n’a en fait affirmé que sa
seule interprétation idéologique des récits des parties civiles. Si une telle
stratégie sémantique usant de la rhétorique perverse, était attendue des
avocats de la défense (qui portés par un tel soutien ne se sont même pas
donné la peine de plaider), elle ne peut qu’interroger de la part d’un avocat
général ; représentant du ministère public.
Que signifie l’usage de ces termes : « faux souvenirs », « enfants
aliénés », « enfants menteurs » ? Que nous disent-ils du lien de notre
société aux enfants et plus particulièrement du système judiciaire aux
enfants victimes ? Ce que nous constatons c’est que de tels termes dénient
toute possible réalité aux violences faites aux enfants ; qu’ils interdisent
tout témoignage, tout récit traumatique et qu’ils condamnent victimes et
mis en cause à une errance réflexive (le témoignage ne pouvant s’inscrire
98 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

dans aucune élaboration pensable). La dénégation du vécu traumatique des


enfants maltraités, produit une nouvelle violence, celle de leur expulsion
de toute.
Ce dont témoignent aussi les propos de l’avocat général c’est la
permanence et la force d’une logique négationniste en France face à toutes
les maltraitances et violences subies par les enfants et ce, au plus haut
niveau de l’État (puisque l’avocat général le représente).
Qu’elle est donc cette France où la dictature du silence et l’interdit
du témoignage s’imposent aux enfants victimes ? Quelle est donc cette
France où les professionnels qui ne font que leur travail de prise en charge
d’enfants victimes, sont la cible de manœuvres de disqualifications, de
tentatives d’isolement voire de menaces sur leur vie, dans l’indifférence
générale ? Quand une société ne porte plus attention à ceux qui sont son
avenir, elle s’ampute de son futur. Le silence imposé aux victimes par
l’état est la caractéristique des logiques terroristes et terrorisantes propres
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aux dictatures. C’était cela le changement ?
Ces petits d’hommes ont été massacrés deux fois par la vie : par
ceux qui leur ont fait subir les pires atrocités et par ceux qui leur ont
dénié le droit d’en témoigner. Si la logique judiciaire conclut à des
classements sans suite, des non-lieux ou à l’acquittement des mis en
cause, la motivation peut être explicité par bien d’autres raisons que celles
motivées par des idéologies négationnistes qui nous rappellent combien
les mécanismes de déshumanisation et leurs effets sur les petits d’homme
restent d’actualité dans la société française.
Chapitre 10

EXPERTISE ET PAROLE
DE L’ENFANT
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Évaluation, analyse de témoignage ou recueil de données ?

Roland C OUTANCEAU

le champ de l’expertise d’un enfant (ou d’un plaignant), le clacis-


D ANS
sisme expertal se restreint parfois à la description de la personnalité
et à la recherche d’un éventuel retentissement clinique ou psychologique.
Mais l’analyse du témoignage (antérieurement l’appréciation de la
crédibilité) ne peut être mise entre parenthèses.
Bien que le terme de crédibilité ait été questionné et critiqué, dans
le cadre de la commission Viout faisant suite notamment à l’affaire
d’Outreau, il n’en reste pas moins qu’un regard psychologique sur le
témoignage de l’enfant est un élément central d’un examen de sensibilité
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

psycho-criminologique.
Et dès lors la question est la suivante : l’expert a-t-il quelque chose à
dire sur le témoignage ? Et de façon corollaire se pose la question de la
méthodologie du recueil de la parole, celle de sa restitution et enfin, celle
de son interprétation.

L ES DIFFÉRENTS POSITIONNEMENTS DES EXPERTS


Mais analysons tout d’abord les différentes positions expertales sur ce
sujet sensible de l’évaluation de la crédibilité, ou plus concrètement de
l’évaluation du témoignage.
On peut distinguer trois positionnements différents ; le troisième pou-
vant également se scinder autour de deux sensibilités :
100 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

Ne pas répondre à la question


Certains experts refusent de répondre à la question, ne la considérant
pas comme étant de l’ordre de leur identité professionnelle ; se considérant
comme spécialistes du fonctionnement psychologique, de la psychopatho-
logie de la personnalité mais non de l’analyse du témoignage.
Cette position est assez classique, compréhensible, respectable ; mais
ne répond pas au défi qui est finalement en filigrane celui de l’examen
médico-psychologique d’un enfant (ou d’un plaignant) à savoir apprécier
le poids qu’on peut attribuer à son témoignage.

Répondre sur la crédibilité, au regard de la personnalité


Certains experts répondent sur la crédibilité en général, tentant de
mettre en évidence certaines structures de la personnalité où pourraient
être présentes des fabulations ou une réalité mythomaniaque (dynamiques
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hystériformes avec inauthenticité, manipulation) ; avec plusieurs repé-
rages classiquement répertoriés : enfant mythomane, « débile vaniteux »,
tonalité psychopathique avec aspect hystériforme marqué entre autres.
Ce positionnement est légitime dans son principe ; mais a un inconvé-
nient : est-ce que quelqu’un qui crédible en général (quand on a éliminé
les problématiques pathologiques de fabulation ou de mythomanie), dit
forcément la vérité ? On voit qu’il peut y avoir une ambiguïté probléma-
tique : la crédibilité en général excluant toute problématique pathologique
du mensonge n’est en aucun cas suffisante pour affirmer la réalité d’un
témoignage allégué.

La crédibilité sur le fond


Certains experts s’attaquent ou répondent à la crédibilité quant au fond.
Dans un premier sous-groupe certains recherchent la présence d’un tableau
clinique, associant retentissement clinique et retentissement psycholo-
gique ; indiquant ensuite que ces éléments cliniques s’inscrivent comme
symptomatologie post-traumatique ; traduisant donc indirectement la
réalité d’une agression subie.
Mais là encore quand on considère les différents éléments d’une
symptomatologie post-traumatique, on voit bien qu’ils ne sont en aucun
cas caractéristiques de façon absolue d’une réalité post-traumatique.
Pour être plus concret, développons-les de façon synthétique :
• troubles du sommeil, aussi bien troubles de l’endormissement, que
troubles du ré endormissement lors du réveil au milieu de la nuit ;
• existence de cauchemars thématiques ponctuant les différentes périodes
de sommeil paradoxal au cours de la nuit avec nécessité de décrire de
façon concrète les scénarios et les représentations émergeants au cours
de ces cauchemars ;
E XPERTISE ET PAROLE DE L’ ENFANT 101

• ré-évocations spontanées de tout ou partie de la scène traumatique ; que


ce soit sous la forme de flashs ou d’idées obsédantes au décours de la
vie diurne ;
• troubles de l’efficience dans l’activité scolaire avec son cortège de
troubles de la concentration, troubles de la mémoire, difficultés d’acqui-
sition...
• troubles fonctionnels divers plus présents chez l’enfant (boule dans la
gorge, spasmes gastriques, troubles intestinaux, bouffée anxieuse...) ;
• troubles du comportement plus caractéristiques de l’adolescent avec des
tableaux assez variés (irritabilité, troubles du comportement, fugues, pro-
blématiques addictives, troubles de l’alimentation aussi bien à type de
boulimie ou d’anorexie, comportements à tonalité prostitutionnelle...) ;
• enfin, troubles de la vie affectivo-sexuelle avec inhibition, mal être dans
la vie affective, blocage dans la sphère psycho-sexuelle.
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On le voit aucun de ces signes cliniques n’est totalement caractéristique
d’une histoire traumatique. De plus même les plus concrets peuvent être
des éléments allégués.
On ne peut donc, à notre sens, faire l’économie d’une manière concrète
et pragmatique d’apprécier et de recueillir le témoignage.
Dans un second sous-groupe s’inscrivent ceux des experts qui se
confrontent au recueil et à l’analyse du témoignage.
Le débat est alors celui de la méthodologie dans la relation d’écoute
à l’enfant ; de la recherche d’éléments cliniques les plus significatifs ;
éventuellement d’une appréciation interprétative ; et donc hypothétique,
en tout état de cause, du matériel recueilli.

R EPÉRAGES SIGNIFICATIFS DANS L’ ANALYSE


DU TÉMOIGNAGE
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Au-delà de la méthodologie du recueil de la parole (renvoyant à d’autres


articles du livre collectif), on peut tenter de mettre en exergue des critères
d’appréciation privilégiés.

Critères de Carol Jonas


Ainsi, Carol Jonas dans le Dictionnaire des sciences criminelles pro-
pose de retenir cinq critères d’évaluation qui sont autant de paramètres,
sur lesquels l’expert peut s’appuyer pour rendre la réponse attendue par la
juridiction :
• La qualité de l’entretien. Yuille a proposé les étapes suivantes : mise en
relation, discussions sur la notion de vérité, introduction de l’objet de
l’entretien, récit libre, questions ouvertes, questions spécifiques, sens de
l’entrevue.
102 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

Avec l’enfant, on peut également utiliser des techniques telles le dessin


s’accompagnant d’un commentaire libre ou encore les poupées dites
anatomiques, autorisant l’enfant à exprimer par le geste autant que par
la parole, ce qu’il a subi, compris, entendu ou vécu. Et classiquement le
discours d’accompagnement est fondamental.
• Le contexte de la révélation. Il s’agit d’être descriptif mais aussi de
tenter d’éliminer d’éventuelles fausses allégations. À cet égard Blush et
Ross ont décrit un syndrome typique des fausses allégations au cours de
divorces, associant les éléments suivants : le signalement est fait après la
séparation, le dysfonctionnement familial est important, la mère possède
une personnalité de type hystérique, le père a plutôt une personnalité
passive dépendante, l’enfant est une fille (ou un garçon) de moins de 8
ans, la mère conduit l’enfant chez un médecin en vue d’un examen ou
d’une évaluation.
• L’existence d’une pathologie psychiatrique. Trois catégories sont fré-
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quemment rencontrées : insuffisance intellectuelle avec mythomanie
de compensation ; pathologie psychotique avec éléments délirants ;
personnalité histrionique avec inauthenticité ou mythomanie.
• Des signes de confirmation. Ils sont des trois ordres : des signes
somatiques, certains arguments biologiques, des arguments d’ordre
psychique (symptomatologie post-traumatique ou syndrome psycho
traumatique, décrit sous le nom PTSD dans la classification américaine
DSM4).
• Les caractères du discours et notamment la construction du récit,
la structure du discours, la qualité du vocabulaire, la question de la
variabilité du discours.

Notre proposition
Cinq critères
De la même manière, nous avons tenté de proposer cinq critères :
• Qualité du récit, avec notamment aspect concret, précis, détaillé même
s’il est fragmentaire ; et prononcé dans le vocabulaire même de l’enfant.
• Expression d’affects émotionnels (angoisse, peur, gêne, honte, culpabi-
lité) au moment de l’agression alléguée et au moment de sa restitution
• Éléments psychologiques d’accompagnement (questionnement dans la
subjectivité du sujet, pensées ou affects en circuit fermé : avoir pensé le
dire, à qui ? En fait tout ce que peut produire le travail psychique entre
le moment de l’agression supposée et son dévoilement.
• Analyse du moment du dévoilement et compréhension de la dynamique
qui a amené l’enfant ou l’adolescent à parler à ce moment-là.
• Symptomatologie post-traumatique clinique et psychologique. Sur le
plan clinique, rappelons les éléments essentiels : troubles du sommeil,
cauchemars thématiques, ré-évocation des scènes subies, majoration
E XPERTISE ET PAROLE DE L’ ENFANT 103

anxieuse, symptomatologie dépressive ou anxio-dépressive, signes fonc-


tionnels chez l’enfant, troubles du comportement chez l’adolescent,
troubles de la vie psycho-sexuelle.

Précisions
Certains de ces critères méritent d’être précisés :

Qualité du récit
Il s’agit non seulement d’obtenir le maximum de concrétude dans la
description d’une scène réaliste, circonstanciée, en se focalisant sur des
scènes ou souvenirs particuliers, dont l’enfant a un souvenir aigu plutôt
que d’avoir l’exigence de restituer l’ensemble des situations ou la totalité
d’un événement ponctuel. Ainsi pour respecter la variabilité de la qualité
de remémoration chez l’enfant, il nous semble plus pertinent de zoomer
sur une scène facilement remémorée en tentant par un échange maïeutique
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d’en faire émerger tous les éléments de concrétude plutôt que de vouloir
être exhaustif.
• Le repérage de cette scène dans un espace-temps : là encore, la précision
de ce qui est restitué peut dépendre du niveau de développement de
l’enfant comme de son développement intellectuel mais l’expert doit
tenter de situer ce qui peut être le plus repérable plutôt que de tenter de
faire dater des souvenirs qui restent flous, dans la difficulté de l’enfant
de donner un repère chronologique.
• La capacité à restituer le jeu relationnel dans ce que l’enfant a pu
percevoir de ce qui se joue entre un adulte potentiellement abuseur et
lui-même : pression psychologique, mot inducteur, chantage affectif,
manipulation.
• Recherche également de scènes à contenu explicite. Là encore, sans être
suggestible ni poser de questions intégrant une thématique concrète, il
s’agit d’accompagner de façon empathique la capacité de l’enfant de
préciser de façon suffisamment concrète les scènes sexuelles subies.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• Enfin, pertinence de respecter le vocabulaire même de l’enfant dans


la manière dont il est à même de restituer ce dont il peut se souvenir.
Et là, on n’insistera jamais assez sur l’importance de ne pas polluer le
questionnement censé aider l’enfant à expliciter par des mots du registre
de l’adulte ou des manières adultomorphes d’évoquer la sexualité
humaine. À défaut, les questions à contenu doivent être à choix multiple
pour éviter toute suggestion.

Recherche d’éléments émotionnels


Il s’agit d’une part, par un interrogatoire maïeutique facilitant l’explici-
tation des émotions de faire nommer les éléments émotionnels présents au
décours même du souvenir allégué : qu’est-ce que tu as ressenti ? qu’est-ce
que tu as éprouvé ? comment tu pourrais le dire autrement ? qu’est ce que
104 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

tu ressentais profondément ? est-ce que tu peux mettre un mot sur ce que


tu ressentais ?
Et également de noter les émotions émergeant en situation d’expertise
au moment de la restitution par l’enfant du souvenir évoqué (mal-être,
blocage, interruption du discours, larmes aux yeux, moments de pleurs...).

Éléments psychologiques d’accompagnement


Le repérage théorique est ici de postuler qu’entre le moment du souvenir
traumatique allégué et le moment du dévoilement, le fonctionnement
psychique ne peut pas ne pas avoir été perturbé par tout un parasitage
de représentations ou de questionnements. Une des plus simples est la
question : as-tu pensé le dire à quelqu’un ? et non l’as-tu dit à quelqu’un ?
(qui pourrait être vécu comme un reproche quand l’enfant n’a pas été en
mesure de le faire).
L’expérience montre que dans le fonctionnement psychique humain, en
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parler à l’autre n’est parfois pas pensé mais le plus souvent a été pensé
puis rejeté ou inhibé au moment de la mise en acte. Ainsi, par exemple,
une petite fille indiquera : « J’ai pensé le dire à maman mais après j’ai
pensé qu’elle en parlerait à papa qui nierait. Et maman ne me croirait
peut-être pas. Puis j’ai pensé le dire à grand-mère parce que je l’aime bien,
je parle facilement avec elle quand je la vois tous les mercredis. Mais
après j’ai pensé : grand-mère, c’est la maman de maman, elle va le lui
dire et ensuite maman en parler à papa et peut-être elle me croira pas si
papa nie ». Il y a une richesse du travail psychique à objectiver dans la
tête de l’enfant. Certains enfants pensent qu’ils n’ont pensé à rien mais
en réponse à des questions maïeutiques font émerger des éléments d’un
travail psychique entre le moment des faits et le moment du dévoilement.

Analyse du moment du dévoilement


Les éléments psychologiques du pourquoi et du comment du dévoile-
ment sont fondamentaux à considérer.

Une petite fille a été agressée par son père entre 9 ans et 12 ans. Les
faits se sont interrompus à l’âge de 12 ans, au moment où elle a dit à son
père : "je pourrais être enceinte". Il semble que cette phrase de sa part
a pu interrompre l’agression subie pendant plusieurs années. De fait, le
père aurait cessé tout acte incestueux. Elle nous révèle qu’à l’âge de 9 ans,
elle pensait que tous les papas faisaient ça. Puis elle a compris à 11 ans
que ce n’était pas le cas, constatant que sa meilleure amie ne lui faisait
pas des confidences de ce type. Après avoir pensé le dire à sa mère, elle
y a finalement renoncé, pressentant que ça serait un choc pour elle. Elle
indique ensuite qu’entre 12 et 15 ans, elle y pensait de moins en moins
puis plus du tout. Et au moment d’une première expérience sexuelle avec
un adolescent de son âge et dont elle était très amoureuse, elle s’est sentie
bloquée, incapable de s’abandonner dans ses bras, alors qu’elle le souhaitait,
fondant en larmes. Devant l’attitude compréhensive du jeune adolescent qui
était aussi amoureux d’elle, elle lui confie ce qui s’est joué pour elle entre 9 et
E XPERTISE ET PAROLE DE L’ ENFANT 105

12 ans avec son père. On voit là des éléments psychologiques extrêmement


concrets qui donnent un sens de forte probabilité au souvenir traumatique
mis en avant.

Symptomatologie post-traumatique clinique et psychologique


Cette recherche est incontournable. Mais en même temps, cette symp-
tomatologie n’est pas caractéristique de façon absolue d’une agression
subie pouvant s’inscrire dans nombre de tableaux anxio-dépressifs, indé-
pendamment de toute réalité traumatique.

Hiérarchisation des critères


Si on proposait de hiérarchiser la valeur des 5 critères ci-dessus, il
me semble que notre « quinté » théorique serait le suivant, en situant ces
critères du plus significatif, au moins probant :
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• éléments psychologiques d’accompagnement entre le moment de l’épi-
sode traumatique allégué et le moment du dévoilement ;
• analyse de la dynamique du moment du dévoilement ;
• qualité du récit des faits en question ;
• existence d’éléments émotionnels aussi bien dans la restitution de
l’épisode qu’au moment où il ré-émerge au moment de l’expertise ;
• existence d’une symptomatologie post-traumatique.
On le voit, l’élément essentiel utilisé par certains experts (recherche
d’une symptomatologie post-traumatique) est pour nous le moins signifi-
catif ; quand on tente d’analyser la qualité du témoignage en lui-même.

M ÉTHODOLOGIE LORS DE L’ EXPERTISE


On peut reprendre les étapes suivantes précisées ci-dessus en en donnant
une représentation encore plus concrète.
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• La première étape avec un enfant c’est d’établir un lien, une relation,


entrer en contact de façon vivante, de l’apprivoiser.
• La deuxième étape, en s’adaptant à son niveau intellectuel est de donner
une représentation du sens de l’examen : à savoir restituer concrètement
ce qui a pu se passer.
• La troisième étape, c’est de bien formuler dans un langage simple, ce
qu’on lui demande ; tout simplement de tenter de se souvenir de quelque
chose qui est dans sa mémoire et non de dire tout ou d’expliquer ou
donner son opinion ou rendre compte de ce que des adultes autour de lui
peuvent en dire. Pertinence d’un message autour d’une remémoration
brute, assez naturelle, détachée de tout ce qui a pu être dit ou demandé
précédemment.
106 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

• Dans un quatrième temps, la séquence : récit libre, questions ouvertes,


questions spécifiques nous semble la plus dynamique et la plus perti-
nente.
– D’abord le discours spontané puis les questions maïeutiques, sans
contenu thématique, puis, le cas échéant, avec un grand ciselage
dans la formulation des questions à contenu ou à choix multiples, en
n’hésitant pas à poser les questions dans le sens opposé ensuite.
– Enfin, donner la dynamique de l’enjeu de l’examen pour apprécier si
l’enfant a des éléments à ajouter, par exemple sur les conséquences
de son témoignage (entre autre).
Sur le plan de l’analyse des dessins éventuels, on soulignera avec force
que ce que l’enfant en dit est beaucoup plus important qu’une interpré-
tation sauvage du dessin en lui-même avec alors un risque interprétatif
problématique (ainsi, toute fusée n’est pas un pénis, un peu dans le même
esprit où Freud en manipulant avec soin son cigare signifiait à un de ses
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disciples le regardant « parfois un cigare, c’est simplement un cigare »).
De façon générale, même si une technique purement maïeutique peut
paraître plus aseptisée, il n’y a pas lieu, à notre sens, de renoncer de
confronter l’enfant avec le discours éventuel du mis en cause ou de façon
plus large à confronter son récit à des témoignages dans le dossier qui
pourraient le contredire ; et toujours en s’adaptant bien évidemment à
l’âge de l’enfant.
Ainsi, l’expertise psychiatrique ou médico-psychologique de l’enfant
va intégrer plusieurs éléments :
• décrire les éléments de personnalité, éliminer ou constater les éléments
cliniques qui pourraient le cas échéant orienter vers l’hypothèse de
fabulation ou mythomanie ;
• décrire ou restituer les éléments cliniques intéressants à rechercher
(qualité du récit, éléments émotionnels, éléments de travail psychique
entre les faits en question et le moment du dévoilement, analyse du
moment du dévoilement ; recherche d’un retentissement clinique ou
psychologique).
Parallèlement, il y a lieu de citer abondamment le discours de l’enfant
dans le corps même du rapport.
Ainsi dans cette perspective, l’examen est essentiellement un recueil par
l’expert psychiatre ou psychologue des éléments de pensée, des éléments
psycho-émotionnels, des éléments cliniques ; et non un avis ou une
appréciation sur le témoignage. En ce sens, une expertise qui restitue les
éléments cliniques, les éléments psychologiques, les éléments de discours,
les éléments psycho-émotionnels est une expertise scientifique de recueil,
au sens où selon Karl Popper, elle peut être discutée, argumentée et
contre-argumentée. Elle est un objet intellectuel qui peut être interprété
par chaque partie. A contrario, une expertise qui ne restitue pas le contenu
observé, les éléments de discours ne peut être contredite ; ne pouvant
E XPERTISE ET PAROLE DE L’ ENFANT 107

s’appuyer que sur la compétence supposé d’un sachant, qui n’a pas
l’humilité de décrire ce sur quoi il fonde son jugement, quelle qu’en
soit la pertinence.
Puis, on peut (ou pas) dans la conclusion proposer une phrase à type
d’hypothèse de travail (et seulement d’hypothèse de travail) qui peut
résumer l’appréciation par l’expert de la clinique observée.
Restituer, décrire, citer tous les éléments recueillis permet à tout lecteur,
à toute partie du procès judiciaire, d’apprécier, le cas échéant, les éléments
livrés de façon différente. Ainsi, on retrouve là un élément de prudence
épistémologique : toute démonstration non réfutable n’est pas scientifique.
En centrant son intérêt sur le recueil des données, l’expert éviter le
trancher d’une appréciation, dont on ne comprendrait pas l’argumentation ;
appréciation qui serait en quelque sort proposée sans véritable discussion
médico-légale.
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E N CONCLUSION
Dans l’esprit du débat autour de la crédibilité ayant amené la sup-
pression du mot, on peut proposer une pratique expertale de constat, de
restitution, de citations qui permet le débat contradictoire dans l’apprécia-
tion, dans l’interprétation des éléments cliniques, psycho-émotionnels et
des éléments de récit livrés ; et ce même si l’expert se risque à livrer dans
la conclusion sa propre lecture subjective et hypothétique des éléments
recueillis.
Plaidoyer donc pour une pratique de l’expertise s’articulant autour du
recueil de données, ouverte à l’argumentation et à la contre-argumentation,
ouverte au contradictoire.
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LA PAROLE DE L’ENFANT
AU PÉNAL
PARTIE 4
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Chapitre 11

ENFANT VICTIME
D’AGRESSION SEXUELLE
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Le cheminement de sa parole dans le cadre pénal

Yves-Hiram H AESEVOETS

A RGUMENT : RECUEILLIR ET EXPERTISER LA PAROLE


DES ENFANTS
Le phénomène des crimes sexuels contre les enfants n’est pas nouveau,
mais depuis ces dernières années, le nombre de victimes signalées n’a
cessé d’augmenter. Cette recrudescence a mobilisé de nombreux inter-
venants qui ont dû éprouver leur propre système institutionnel d’inter-
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vention et leur modèle d’investigation, d’expertise et de prise en charge.


La recherche active d’indicateurs physiques et psychologiques d’abus
sexuels n’a pas permis de simplifier ce type d’intervention qui repose
essentiellement sur la parole des enfants comme source d’information.
Cette focalisation sur les propos de l’enfant le place au-devant de la scène
judiciaire. Confrontée au doute des intervenants, sa parole est (re)mise
en question et sa personne est captée dans les méandres de la procédure
pénale.
À partir de ces allégations d’abus sexuels, de nombreux enfants sont
enrôlés, souvent malgré eux, dans l’engrenage du système judiciaire
(pénal, civil ou protectionnel) et de l’expertise médico-psycho-légale.
C’est ainsi qu’une nouvelle armada de spécialistes et d’experts voit le
jour. Ces nouveaux spécialistes, investigateurs ou experts, gravitent autour
de la personne de l’enfant et de son entourage. Ils sondent les moindres
112 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

aspects de son existence, de sa pensée, de son discours ou de son intimité,


c’est-à-dire de sa vie privée et de ses relations. Dans beaucoup de cas,
notamment d’inceste, il semble cependant malaisé de faire l’économie de
cette ingérence dans la vie de l’enfant. Il s’agit souvent de mettre à jour un
secret qui envenime les relations familiales de l’enfant et qui le perturbe.
Dès les années 1990, la médiatisation du phénomène des abus sexuels
place les experts et les intervenants dans une situation délicate. Ces
professionnels semblent se scinder en deux camps opposés : ceux qui
continuent à croire d’emblée que les enfants ne mentent jamais sur ce
sujet et, les plus sceptiques qui pensent que les enfants sont hautement
suggestibles et que l’on peut leur faire dire ce que l’on veut et à peu
près n’importe quoi. Dans le même temps, quelques professionnels (ou
associations) qui ont dédié leur mission à la cause des enfants sont
tout désignés comme ceux qui sont susceptibles d’induire des fausses
allégations en utilisant des méthodes peu rigoureuses, coercitives et
suggestives (comme dans l’affaire d’Outreau1 ). Le stress vécu par ceux
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qui doivent évaluer et expertiser ces situations est devenu insupportable.
À tel point que certains n’osent plus poser trop de questions par crainte
d’induire des réponses faussées, de saboter le destin d’un cas ou de faire
l’objet de sévères critiques.
À l’inverse, ceux qui critiquent la qualité et la méthodologie des
expertises sont accusés de vouloir défendre les intérêts des abuseurs
(présumés). À travers ces deux positions extrêmes et les réactions qu’elles
suscitent, le système judiciaire tente de trouver le moins mauvais des
compromis. La qualité des résultats en dépend. Telle est la réalité du débat
actuel auquel s’ajoutent des considérations sociales, juridiques, politiques
et historiques. À une époque où certains praticiens affirmaient que l’abus
sexuel était plutôt rare, que la pédophilie était plutôt un phénomène
d’intérêt anecdotique et que les enfants mentaient systématiquement, leur
témoignage n’était pas pris en considération. Aujourd’hui, la réactivité
politique et les pressions de l’opinion publique aidant, de nombreux

1. L’affaire d’Outreau est une affaire pénale d’abus sexuel sur mineurs, concernant des
faits s’étant déroulés entre 1997 et 2000. Elle a donné lieu à un procès devant la Cour
d’assises de Saint-Omer (Pas-de-Calais) du 4 mai 2004 au 2 juillet 2004, puis à un
procès en appel auprès de la Cour d’appel de Paris en novembre 2005, enfin à un procès
à Rennes en 2015 devant la Cour d’assises pour mineurs de Rennes. Bien qu’elle ait
débouché sur l’acquittement de la majorité des accusés— quatre sont jugés coupables
et treize sont acquittés —, douze enfants sont reconnus victimes par la justice de viols,
d’agressions sexuelles et de corruption de mineurs. Un accusé est décédé en prison
avant le premier procès. Elle a suscité une forte émotion dans l’opinion publique et mis
en évidence des dysfonctionnements de l’institution judiciaire et des médias. La lutte
contre la pédophilie est annoncée comme prioritaire depuis 1996 au plus haut niveau de
l’État. Une commission d’enquête parlementaire a été mandatée en décembre 2005 pour
analyser les causes des dysfonctionnements de la justice dans le déroulement de cette
affaire et proposer d’éventuelles réformes sur le fonctionnement de la justice en France
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_d’Outreau).
E NFANT VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 113

intervenants se focalisent activement sur la parole des enfants victimes


ou témoins d’abus sexuels et/ou se demandent comment résorber le phé-
nomène. Si les circonstances socio-économiques ont amplement changé,
certains schémas réducteurs et dangereux restent cependant d’actualité,
comme une survivance aux anciens réflexes.
Alors que nous traversons une nouvelle ère, celle des rumeurs, du
soupçon et du doute, les êtres humains n’ont jamais autant communiqué.
Les progrès scientifiques ont amélioré considérablement les moyens
d’échange entre les individus, mais également entre les peuples. De
manière paradoxale, face à ces nombreux progrès, un véritable trouble de
la communication est venu s’installer. Nous assistons ainsi à l’installation
progressive d’un grand désarroi : la difficulté des adultes à écouter
et à comprendre les enfants, la difficulté qu’éprouve la communauté
humaine à penser les relations parents-enfants et les nombreux passages
à l’acte violents et/ou pervers dont sont victimes les enfants. Face à ce
déferlement de techniques multiples et à la médiatisation collective autour
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des nouveaux moyens de communication, l’exploitation sexuelle des
enfants et les nombreuses injustices commises à leur égard, apparaissent
comme un échec dans les relations entre adultes et enfants. Un écart
entre le monde des adultes et celui des enfants s’est progressivement
creusé allant jusqu’à engendrer de l’adversité et des injustices. Il ne s’agit
pas du traditionnel « fossé des générations » mais bien d’un manque,
d’une confusion ou d’une incompréhension, c’est-à-dire, les germes
des mouvements psychopathologiques rencontrés au sein de familles ou
d’institutions où l’incommunicabilité soutient les transactions perverses
et violentes.
Au plan pénal, ces situations d’abus sexuels sont extrêmement com-
plexes à investiguer étant donné que les allégations reposent surtout sur le
discours de la victime présumée et que la plupart des personnes incrimi-
nées dénient ou banalisent leurs conduites suspectées. Malheureusement,
les accusations d’enfants ne sont pas toujours précises, ni facilement
interprétables, et elles sont toujours susceptibles de faire l’objet d’erreur
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d’appréciation. Les professionnels se posent beaucoup de questions sur


les compétences et la crédibilité des enfants qui témoignent. Il est dès lors
essentiel d’orienter les recherches sur les souvenirs, la communication,
le langage et les habiletés sociales qui influencent les enfants en tant
qu’informateurs. De plus en plus d’intervenants sont donc amenés à
recueillir le témoignage d’enfants en difficulté ou victimes qui ont vécu
et/ou subi des situations extrêmes et particulières. Il importe également,
et ce malgré l’apport de certaines techniques d’évaluation comme la SVA
(Analyse de la validité et de la crédibilité de l’enfant), d’affiner la manière
dont on écoute un enfant, afin de l’aider à exprimer le mieux possible ce
qu’il a à révéler.
114 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

L A PAROLE DE L’ ENFANT MISE EN QUESTION


Même s’il a l’opportunité d’être soutenu affectivement dans cette
épreuve judiciaire, c’est seul que l’enfant est confronté à la vérité de
ses propos. Cette remise en question précoce de son discours par des
adultes ne laisse jamais un enfant indifférent. L’enfant est à la fois en
position de victime et de témoin.
Quant à l’intervenant qui rencontre l’enfant par le biais d’une allégation
d’abus sexuel, il doit se faire une opinion sur la situation vécue par cet
enfant. La conviction de ce professionnel est bien souvent confrontée
au doute1 . Soit, il existe peu d’indices de probabilité en faveur d’un abus
sexuel, mais l’on ne sait jamais, soit le contenu de la déclaration ressemble
à une histoire bien scénarisée ou bien apprise, mais l’on reste sur sa faim.
En relation avec les propos tenus ou les signes manifestés par l’enfant,
l’allégation d’abus sexuel risque d’entretenir un doute chez l’intervenant,
même lorsque la probabilité de l’abus est minime.
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Les questions posées par l’intervenant risquent également d’attiser
l’ambivalence des sentiments à l’égard du présumé abuseur ou de réveiller
des symptômes qui pourraient faire penser à l’éventualité d’un abus sexuel.
Le phénomène d’adhésion de l’enfant au discours d’autrui se rencontre
principalement dans des situations litigieuses entre ex-époux séparés.
Même lorsque l’enfant est sous l’emprise d’un autre discours que le sien,
ses propos sont porteurs de significations qu’il faut essayer de décrypter,
plutôt que de les nier.
Ne pas croire la parole de l’enfant, c’est l’obliger à rebrousser chemin
et faire écran aux autres signaux qui s’inscrivent dans son histoire person-
nelle, laquelle peut comprendre un abus sexuel. Lorsque l’interlocuteur
recherche des certitudes, il doit mesurer le risque de faire basculer à
nouveau l’enfant dans son silence. Le doute ou le manque de conviction
clinique profite toujours à l’abuseur qui reprend à son compte les incerti-
tudes. Lorsque l’enfant n’est pas cru par la personne à qui il confie son
terrible secret, il risque de se replier sur lui-même, et de voir se confirmer
les craintes qui l’avaient empêché de parler. Un grand nombre d’enfants
abusés rapportent qu’ils ont fait plusieurs tentatives de révélation, mais
sans résultats, notamment lorsque leur interlocuteur était leur mère, et
avec laquelle ils connaissaient une relation affective de mauvaise qualité.
Lorsque le doute plane sur une allégation, l’enfant est doublement
victimisé, par la non-reconnaissance de l’abus sexuel qu’il a probable-
ment vécu et qui est présent dans son discours, et par l’attitude de son

1. Par définition, le doute correspond à un « état de l’esprit qui est incertain de la vérité
d’une énonciation, de la conduite à adopter dans une circonstance particulière... Sans
doute: selon toutes apparences. Douteux: voudrait dire incertain, mais encore ambigu
et contestable et, par extension, faible, sale, mauvais et de toute façon, suspecte » (Le
Robert, cité par T HOUVENIN C., (1991). Du secret à la révélation, AFIREM, Karthala,
Paris, p. 106).
E NFANT VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 115

entourage ou les changements de son cadre de vie imposé par le système


d’intervention. Aussi incertaine soit-elle, une allégation peut entraîner des
modifications profondes dans l’existence de l’enfant, telle que par exemple
la suppression du droit de visite exercé par le présumé abuseur.
S’abstenir devant le doute ? Sachant qu’un nombre important de
variables interfèrent entre les faits et leur narration et peuvent parasiter la
capacité de l’enfant à s’exprimer de manière cohérente, claire, consistante,
circonstanciée et crédible, l’intervenant doit adopter la pondération et la
prudence, et envisager tous les cas de figure. Il doit également pouvoir
reconnaître les facteurs qui influencent le discours d’un enfant et s’adapter
à son registre de langage.
Aux différents aspects psychoaffectifs du discours d’un enfant,
s’ajoutent des variables cognitives spécifiques (langage, vocabulaire,
mémoire, notion d’espace et de temps, etc.) qui rendent parfois difficile
l’appréhension de la réalité. Van Gijseghem (1992) rappelle ainsi
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l’existence de facteurs d’ordre affectif et cognitif qui peuvent biaiser le
récit de l’enfant : la certitude de ne pas être cru, la difficulté de tenir
une fonction d’allégeance (ou d’accusation) dans une relation d’inégalité
de statut, la difficulté de parler et de réitérer des propos d’allégation à
l’encontre d’un adulte significatif, menaçant ou/et parfois aimé, le besoin
d’oublier ou de censurer le contenu factuel de l’événement (l’expérience
traumatique est inductrice d’autocensure, d’oubli et de refoulement), la
censure est d’autant plus forte que l’événement (à connotation sexuelle)
a eu lieu sur la scène du corps, le souvenir diminue progressivement
avec le temps (plus grand est le temps écoulé entre les faits et leur
récit, plus faible est la validité de ce récit), la suggestibilité (la mémoire
et le souvenir sont contaminés par les informations entendues après
les faits, telles des questions inductrices de réponses erronées), les
particularités de la mémoire de l’enfant quant à la chronologie et au cadre
temporel (la perception du temps chez l’enfant n’est pas séquentielle,
mais événementielle), le traumatisme interfère sur la perception de la
durée, la mémoire épisodique (factuelle) diminue au profit d’une mémoire
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de scénario, la culpabilité engendre l’incertitude quant à sa propre


responsabilité dans les faits (risque de dilution des faits, de banalisation et
d’omission), le stress de la situation de dévoilement produit des angoisses
qui inhibent le discours.
Bien que légitime, le doute contamine donc l’investigation et le proces-
sus d’intervention. À l’opposé du doute, il existe un autre phénomène tout
aussi humain, celui de la certitude acquise ou de la conviction univoque.
Ce principe peut être relayé par l’effet Rosenthal, c’est-à-dire que ce
que l’on cherche se vérifie. Le moindre indice parvient à convaincre et
confirme qu’on est bien dans la bonne direction. Dès lors, il est préférable
d’élaborer des pistes de réflexion variées et de rester ouvert à plusieurs
possibilités ; ce qui éviterait de rechercher la vérité de manière univoque.
116 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

Avec rigueur et respect, il est également conseillé d’organiser des entre-


vues non-suggestibles et non contaminées par l’angoisse transmise par le
signaleur (surtout lorsqu’il s’agit de la mère).

D E L’ INTERVIEW JUDICIAIRE À L’ EXPERTISE


PSYCHOLÉGALE : UNE AFFAIRE DE LANGAGE
Qu’elle soit clinique ou criminelle, l’investigation est un acte de
communication. Or, bien communiquer avec un enfant est une question de
relation humaine et d’environnement. La première entrevue avec l’enfant
présumé abusé est souvent le point névralgique de tout le processus qui
va être mis en place. Il s’agit d’un moment crucial où beaucoup de choses
vont apparaître. La suite des événements dépend en grande partie de la
qualité des premiers contacts et du bon déroulement de l’investigation
psychologique.
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Même si l’interview d’expertise psychologique se démarque de l’entre-
tien clinique classique avec l’enfant, elle doit tenir compte de concepts
fondamentaux issus de la psychologie développementale (langage, jeu,
dessin, etc.), cognitive (capacités intellectuelles, vocabulaire, mémoire,
etc.), relationnelle (communication, affects, expression émotionnelle, etc.),
psychodynamique (transfert, impact traumatique, processus inconscients,
mécanismes de défense psychologique) et systémique (transactions fami-
liales, mythes familiaux, rôle et statut de l’enfant dans sa constellation
familiale, transmission transgénérationnelle, etc.). L’objectif principal
d’une interview d’expertise repose sur la recherche d’un maximum d’in-
formations et sur l’exploration, l’évaluation et l’exploitation d’hypothèses
alternatives autour d’un événement particulier. Les experts conduisent
cette recherche d’information de la manière la plus objective possible et
avec la plus grande honnêteté vis-à-vis du sujet enfant. Un esprit critique
quant à la qualité de l’interview, la possibilité de se remettre en question
et la volonté de se perfectionner sont des garants supplémentaires à un
bon feeling relationnel avec les enfants.
L’interview d’expertise repose sur une meilleure compréhension des
outils spécifiques de communication habituellement utilisés par les enfants.
La question est de savoir comment l’enfant s’exprime et avec quels outils.
Étant donné que la plupart des enfants, surtout ceux d’âge préscolaire,
utilisent un langage plus idiosyncratique et moins mûr que celui des
enfants plus âgés, il est essentiel d’évaluer le style linguistique de l’enfant,
bien avant de commencer le processus d’interview. L’interviewer peut
ainsi s’intéresser aux contenus des conversations entre l’enfant et les
adultes familiers qui l’accompagnent lors de l’interview, afin notamment
de jauger les compétences linguistiques de l’enfant à interviewer. Par
après, ces informations peuvent aider l’interviewer à adapter ses questions
au langage habituel de l’enfant et à évaluer l’influence de ces questions
sur la pertinence des descriptions qu’il rapporte. L’interviewer ne doit pas
s’attendre à ce que les enfants fournissent des réponses bien élaborées.
E NFANT VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 117

Plus l’interviewer focalise ses questions sur un détail, plus l’enfant


échappe à la situation, change de sujet ou se referme sur lui-même. Étant
donné qu’ils ne sont pas entraînés à être des informateurs, beaucoup
d’enfants sont intrigués par la présence d’un investigateur non familier.
Avec les enfants plus jeunes, il faut pouvoir travailler sur leurs motivations
et les aborder avec la plus grande prudence et tout en restant patient. Tout
agacement de la part de l’interviewer peut induire une ambiance tendue
peu propice à la communication. Leurs performances quant à la qualité
de leurs réponses et au style narratif dépendent en grande partie de leurs
sentiments de confiance et de sécurité pendant l’interview. Détendus et
dans une ambiance confortable, ils parviennent plus aisément à décrire des
aspects plus intimes ou plus scabreux concernant les événements qu’ils
ont vécus ou subis.
À propos de l’interview d’expertise, il faut toujours garder à l’esprit que
les enfants sont des sources potentielles, souvent uniques, de nouvelles
informations et donc cruciales pour ce genre d’affaire. Les enfants
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s’attendent à ce que les adultes les testent avec toutes sortes de questions
auxquelles ils fournissent souvent des réponses toutes faites. En accordant
ainsi leurs réponses, la plupart des enfants se conforment à l’idée que
les adultes envisagent des réponses à toutes les questions posées. Il est
dès lors important de préciser à l’enfant qu’il a le droit à l’erreur, à
l’oubli, à l’imprécision, et qu’il arrive à quiconque de se tromper et de
ne pas trouver une réponse systématique à chaque question. Il n’est pas
toujours aisé, surtout avec les très jeunes enfants, de mener une interview
d’investigation à la manière non-suggestive, et de les faire se concentrer
sur les allégations d’abus sexuels. Pour aider l’enfant à se recentrer sur
les informations recherchées, il faut développer une créativité ouverte,
fine et active, et s’adapter à son registre communicationnel. À travers les
informations que l’enfant rapporte, il n’est pas toujours facile de retrouver
des détails suffisamment significatifs, probants ou qui décrivent de manière
spécifique les incidents. Il est aussi primordial de réaliser la revue de nos
connaissances sur l’ensemble des facteurs qui influencent les habiletés des
enfants à produire des informations sur leurs expériences passées, et de
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

faire en sorte que les interviewers considèrent davantage les limites, les
capacités et les ressources des enfants.
L’expert (ou l’interviewer) doit ainsi accepter comme normales et
habituelles les lacunes et les imperfections contenues dans les récits des
enfants victimes d’abus sexuels. Toute forme d’allégation d’abus sexuels
à l’égard d’enfant doit faire l’objet d’une approche psychologique la plus
fine et la plus complète possible.

S TRUCTURATION DU PROCESSUS D’ OBSERVATION


ET D ’ EXPERTISE
Le processus d’observation et d’expertise psycho-légale comprend
l’interprétation des comportements, l’évaluation des éventuels troubles
118 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

psychiques et les informations issues des entretiens cliniques à l’intérieur


d’un cadre conceptuel spécialisé dans le recueil de la parole de l’enfant.
Cette approche suppose une compréhension profonde de la dynamique
et des processus d’agression sexuelle des enfants, l’aptitude à mener des
entrevues, et la capacité d’évaluer la crédibilité des informations obtenues.
Ce processus de validation se réfère à une méthodologie diagnostique
rigoureuse, la plus objective possible et s’intègre à la gestion globale de
la situation.
C’est à partir d’une rencontre entre l’expert et l’enfant qu’un maté-
riel (le contenu du discours, les données recueillies ou observées) se
construit et s’ordonnance. La première rencontre vise essentiellement
l’instauration d’un échange spécifique et de transactions empathiques.
Les comportements, attitudes et expressions de l’enfant constituent les
premiers éléments d’observation. Les impressions, réflexions et consta-
tations du clinicien s’élaborent à partir de ces préliminaires. De cette
rencontre apparaissent les premières hypothèses de travail qui vont servir
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de références par la suite.

À PROPOS DE CETTE RENCONTRE , PLUSIEURS NIVEAUX


DE QUESTIONS APPARAISSENT :
• Au sujet de la rencontre elle-même : Comment l’expert aborde-t-il
l’enfant ? Comment se présente-t-il ? Que lui dit-il ? Quels sont les
objectifs de cette rencontre ? L’enfant est-il au courant ? Qu’en pensent
ses parents ? Sont-ils d’accord ? Qu’attend l’enfant de cette rencontre ?
• Le lieu de la rencontre : Pourquoi tel lieu et pas un autre ? Une
institution, une école, le domicile de l’enfant, un cabinet de consultation,
un service d’accueil aux victimes, etc.
• À propos de l’expert : Quelles sont ses compétences ? Est-il expert de
la question ? Quelles sont ses motivations professionnelles ? Quels sont
ses repères éthiques ?
• Le nombre de rencontres : Combien d’entretiens sont-ils nécessaires ?
Faut-il répéter ces entretiens ? Quelles sont les conséquences de ces
rencontres pour l’enfant ?
• Les suites de la rencontre : A qui les résultats sont-ils communiqués ?
Où se situe l’intérêt de l’enfant ? La rencontre sera-t-elle suivie d’un
traitement ? Les données font-elles l’objet d’une relecture critique ou
d’une discussion collégiale ? Y aura-t-il d’autres rencontres ? Que
restitue-t-on à l’enfant et/ou à ses parents ?

R ESSOURCES, COMPÉTENCES ET LIMITES DE L’ ENFANT


Afin de mieux comprendre l’enfant qui s’exprime, il faut être capable
de mieux l’écouter, de l’observer et d’être le plus proche possible de son
univers personnel. L’entrevue avec l’enfant passe obligatoirement par une
E NFANT VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 119

meilleure communication et une meilleure appréhension du monde de l’en-


fance. Un bon discernement sur les modes de communication des enfants
offre de meilleures possibilités à l’interview. Il est dès lors important de
connaître les outils spécifiques que l’enfant utilise pour communiquer et
de mettre à sa disposition des instruments qui facilitent l’expression de sa
pensée. En relation avec l’âge et la maturation intellectuelle de l’enfant,
il existe une évolution graduelle dans la manière dont il s’exprime et
témoigne. S’il est évident qu’un enfant de moins de deux ans est moins
compétent qu’un enfant d’âge scolaire, il faut partir du principe que tout
enfant est capable d’apporter des éléments informatifs pertinents. Ainsi,
la plupart des enfants de moins de trois ans possèdent moins d’outils, leur
mémoire est plus limitée et ils n’offrent pas les mêmes disponibilités à
l’interview que les enfants plus âgés.
Les compétences des enfants s’améliorent progressivement dès lors
qu’ils atteignent l’âge scolaire (6-8 ans). Ils deviennent capables de
fournir des informations utiles lorsqu’ils sont interviewés de manière
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compétente. La majorité des enfants possèdent et emmagasinent plus de
détails intéressants que la plupart des adultes ne le présupposent.
Les interviews d’expertise les mieux adaptées aux enfants privilé-
gient les capacités communicatives des enfants. Dès lors qu’elles sont
conduites par des interviewers sensibilisés et expérimentés, ces interviews
se modulent psychologiquement à l’enfant et n’exigent plus de lui qu’il se
conforme à un modèle imposé. En stimulant les compétences des enfants
par différentes techniques de communication, les interviewers retirent un
maximum d’avantages des habiletés des enfants et facilitent l’accès à des
informations contenues dans leur mémoire. Une approche plus spécialisée
démontre que les enfants sont des sources d’informations considérées
comme inestimables. Dans ces histoires d’abus sexuels, étant donné
que l’origine principale des informations est limitée à ce que l’enfant
rapporte et à ses capacités à les évoquer, le déroulement de l’affaire repose
essentiellement sur la qualité de l’interview. Par le biais d’une interview
bien menée, l’investigation peut continuer au-delà des premiers indices.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il est alors possible de mener à bien l’exploration autour de l’abus sexuel


suspecté, de mettre en évidence des éléments de vérité et de rendre plus
efficace la protection de la victime.
Afin d’optimaliser cette approche, il est impératif de connaître l’évo-
lution du langage et du dessin chez l’enfant, ses modes d’expression
par le jeu, de comprendre la dynamique des jeux traumatiques et de
pouvoir faire la différence entre jeux sexuels et abus sexuels. L’observation
du comportement, une meilleure compréhension du langage de l’enfant,
une observation différentielle et nuancée de ses jeux et l’utilisation d’un
matériel de jeu simplifié facilitent autant l’entretien psychologique, que
l’interview d’investigation. Une meilleure attention portée sur l’impact
traumatique d’un événement (abus sexuel ou autre) permet de mieux
discerner les problèmes de comportement, les difficultés, les inhibitions,
les blocages, les silences ou les résistances. D’intensité variable suivant les
120 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

circonstances, ces troubles peuvent se manifester au cours de l’interview et


surprendre autant celui qui manque d’expérience, que celui qui ne possède
pas le minimum de connaissances requises.

L ES NOMBREUX PIÈGES À ÉVITER


• Les problèmes liés à la validation de la déclaration se rencontrent autant
dans les domaines cliniques que judiciaires. Même si les objectifs
poursuivis par ces instances sont différents, ils peuvent se rejoindre
à travers l’expertise. Toutefois, le risque d’une confusion de rôles entre
l’expertise médico-psycho-légale et le traitement de la situation peut
contaminer le processus du dévoilement.
• De manière paradoxale, la recherche de la vérité n’est pas toujours au ser-
vice de la victime. Cette dernière se perd dans le dédale des démarches
judiciaro-médico-légales, souvent perturbée par les circonstances de la
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révélation, confrontée pour la première fois à un monde d’intervenants
judiciaires... Suivant la procédure pénale, ces professionnels posent des
questions, pas toujours de la meilleure manière et parfois sans aucun
ménagement, l’enfant se trouve « embarqué » dans cette mésaventure,
et bien souvent malgré lui. Cette victimisation secondaire d’un enfant
de la part du système engendre des conséquences analogues à celles qui
sont induites par une agression psychologique, physique ou sexuelle.
Dans ces conditions, il faut aussi se soucier du sort de l’enfant qui n’est
victime d’aucune agression sur le plan sexuel mais pour lequel un abus
est suspecté. Cet enfant non abusé dans la réalité fait également l’objet
du même type d’introspection judiciaire et médico-psycho-légale que
l’enfant victime d’abus sexuel, et les conséquences de l’intervention
sont analogues.
• L’ouverture récente sur le champ de l’enfance exploitée sexuellement
conduit à certaines maladresses. C’est parfois de manière trop expéditive
et sans en mesurer les conséquences qu’une plainte est orientée vers
l’appareil judiciaire ; ainsi quelques victimes d’exactions sexuelles com-
mises par des adultes commencent à regretter d’avoir parlé, certaines
en témoignent. Si les professionnels ne prennent pas en considération
l’expérience de ces victimes, le système d’écoute et d’intervention à
leur égard pourrait se retourner contre elles.
• L’existence fréquente des rétractations, l’hésitation des victimes à
formuler une plainte et la présence constante d’éléments incongrus
dans les déclarations d’enfants augmentent très probablement le nombre
d’allégations impossibles à prouver.
• Affirmer sans étayage qu’une accusation est fondée expose l’enfant et
sa famille au plus odieux des drames. Celui qui est faussement accusé
en ressort rarement indemne. A contrario, les fausses rétractations
produisent des conséquences tout aussi nuisibles.
E NFANT VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 121

• Les experts commencent seulement à mieux connaître et comprendre les


dynamiques (familiales ou interpersonnelles) particulières qui induisent
des fausses allégations mais ils devraient s’y intéresser d’une manière
plus scientifique.
• Autant les troubles de la conjugalité et les séparations conflictuelles
remplissent les conditions nécessaires et suffisantes à l’installation d’un
processus de fausse allégation, autant ce type de contexte favorise une
victimisation sexuelle de l’enfant.
• Le divorce ou la séparation ne sont pas des phénomènes monolithiques.
Différents cas de figure existent et concernent des situations aussi
complexes que diverses.
• L’allégation d’abus sexuel recouvre des significations variables : du
dévoilement qui précipite une séparation et l’éclatement de la famille,
d’attouchements sexuels perpétrés sur l’enfant qui apparaissent après
une rupture conjugale, d’un père largué (par la mère de l’enfant) qui se
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console sexuellement auprès de son enfant, d’un nouveau compagnon
de la mère trop proche affectivement de l’enfant de sa compagne et qui
rend jaloux le père biologique de l’enfant, etc.
• Au regard de la suggestibilité de l’enfant, s’ajoute la subjectivité de
l’intervenant qui évalue le discours de la victime. Contrairement à
la rationalité, la subjectivité individuelle est souvent niée, minimisée,
voire refoulée. Cette superposition d’attitudes subjectives complexifie
d’avantage l’analyse des allégations.
• Certaines représentations mentales induites par la subjectivité humaine
appartiennent au registre de l’inconscient et influencent implicitement
l’élaboration d’un diagnostic. L’agressivité d’un parent accusateur, un
contexte de violence familiale, une ambiance de promiscuité malsaine, la
précarité du milieu, etc., ces éléments, tantôt incongrus tantôt insidieux,
peuvent influencer l’objectivité de l’intervenant.
• Indépendamment de ses compétences et de son expérience pratique,
l’intervenant subit diverses influences relatives au champ des représen-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

tations sociales. Les images, les stéréotypes sociaux, les préjugés, les
jugements de valeur, les références morales en matière de sexualité, les
principes moraux, les opinions à propos de la famille, de la vie conjugale
et du divorce, etc., ces différents aspects contribuent à tout un système
de valeurs qui influe sur le discernement d’un observateur.
• Parallèlement à ces contextes de séparation où de nombreuses mères
formulent des allégations d’abus sexuels, cette même problématique est
exploitée de manière outrancière et peu didactique par certains médias.
En présence de cette « sur-médiatisation » et à l’instar d’autres pays,
notre communauté connaît une « épidémie » de fausses allégations.
122 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

L’ ÉVALUATION MÉDICO - PSYCHO - LÉGALE


Une fois signalée aux autorités administratives et/ou judiciaires (civiles
ou pénales), une situation d’agression sexuelle sur mineur connaît un
cheminement et une issue qui ne sont pas toujours prévisibles. En effet,
même s’il existe une articulation progressive entre la suspicion, la révéla-
tion, le dévoilement, le signalement et la plainte, l’aboutissement de cette
dynamique ne connaît pas toujours le même dénouement. Même en cas de
rétractation, l’enfant est pris dans un processus quasi irréversible. Le plus
souvent accoutumé à la chosification de son être, il affronte solitairement
un véritable parcours du combattant : les questions de son entourage, un
examen médical ou psychologique de vérification, l’interview judiciaire
à la police, l’audition éventuelle chez le juge d’instruction, son passage
en milieu hospitalier (urgences pédiatriques, unité de pédiatrie), dans
un centre pour enfants maltraités (Centre confident multidisciplinaire)
ou dans un service d’aide aux victimes, l’entretien chez le juge de la
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jeunesse, l’éventuelle confrontation avec le présumé abuseur, l’exploration
corporelle (examen gynécologique, prélèvements), l’expertise médico-
psycholégale (examen de personnalité et de crédibilité), l’investigation
sociale du Service de protection judiciaire, le retour parmi les siens ou son
éventuel placement, etc.
Alors qu’ils recherchent la vérité pour la vérité, les acteurs engagés
dans ce processus ne poursuivent pas les mêmes objectifs. Protection,
réparation, soutien, accompagnement, examen, audition, confrontation,
expertise, analyse, contre-expertise, recherche d’éléments de preuves,
chacun y va de sa spécialité. C’est à travers ce dédale de rencontres
multiples et pas toujours adéquates sur le plan relationnel, que l’enfant
doit s’exprimer, répondre, montrer, démontrer et convaincre.
L’expertise de sa parole, mais également de son corps et de son état
d’esprit, repose alors entièrement sur l’appréciation des professionnels
qui vont juger la crédibilité de ses propos et décortiquer la vérité de sa
psyché. En se situant du côté de la recherche de la vérité, l’examen médico-
psycholégal risque de sacrifier les besoins et les intérêts de l’enfant. La
question fondamentale est de savoir si l’enfant a été sexuellement abusé
ou pas. Même si l’évaluation médico-psychologique recouvre la notion
d’enquête, elle devrait dépasser le simple fait du diagnostic. Mais ce
diagnostic est-il vraiment au service de la victime ? L’usage de cet acte
sans balises éthiques ne risque-t-il pas de ramener l’enfant à l’état d’objet ?
À chacun de ses gestes, à chacune de ses questions, à chacune de ses
paroles, l’expert devrait prendre en considération les intérêts de l’enfant
sous différents aspects :
• l’examen de l’enfant en tant que sujet ;
• l’évaluation des besoins du sujet ;
• une évaluation au service du sujet doit lui permettre d’évoluer ;
E NFANT VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 123

• son intégration dans son milieu peut être compromise par cette évalua-
tion ;
• l’expertise peut perturber en profondeur l’histoire personnelle du sujet
et ses transactions familiales ;
• l’intervention institutionnelle pénètre psychiquement le système familial
par l’intermédiaire du sujet ;
• l’examen de personnalité dépossède partiellement le sujet de son être
psychique ;
• cet examen ne doit jamais devenir une manipulation mentale, ni une
répétition, d’autant que l’être psychique d’un enfant est en voie de
structuration ;
• la recherche d’une issue favorable est essentielle quels que soient les
résultats de l’expertise, etc.
C’est essentiellement à partir d’une expérience clinique humainement
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éprouvée par ces quelques principes éthiques, que du sens peut être
conféré à une démarche d’évaluation médico-psycholégale et que les
intéressés, en particulier l’enfant, peuvent en bénéficier. Demandée par
une instance judiciaire (expertise ou examen médico-psychologique) ou
administrative (enquête médico-psychosociale), l’examen psychologique
de l’enfant devrait s’articuler au système d’intervention, incluant les
fonctions des différentes institutions, l’histoire du système familial et
l’histoire individuelle de l’enfant.

L E NON - SENS DE L’ INTERVENTION


En l’absence de repères éthiques, et lorsque la confusion vient se glisser
dans cette démarche d’évaluation, l’élaboration d’un diagnostic risque
d’introduire du non-sens et de fausser les données véritables du problème.
Le non-sens dans l’intervention se retrouve ainsi dans les différents cas
de figure suivants :
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• l’évaluation est uniquement caractérisée par les prouesses techniques


d’un expert reconnu ;
• les expertises se suivent à répétition et sans concertation ;
• l’utilisation abusive et récurrente des tests projectifs ;
• les structures thérapeutiques ou éducatives ne sont pas informées des
mesures préconisées par les expertises ou ne les exécutent pas ;
• bien que la souffrance de l’enfant soit décrite dans le rapport d’expertise,
personne ne semble la prendre en considération ;
• il n’existe aucune cohérence interne dans la démarche d’évaluation, etc.

Depuis des années, les cliniciens l’observent et le signalent, la répétition


des examens médico-psychologiques risque de déposséder l’enfant de son
existence psychique, de sa vie relationnelle et familiale. Ces répétitions
peuvent induire ou aggraver la symptomatologie de l’enfant. Dans ces
124 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

situations, les experts ne font que passer et l’enfant doit répéter, voire
reproduire, un discours concernant un vécu douloureux (que l’allégation
soit crédible, douteuse ou fausse) ou extrêmement connoté sur le plan
sexuel. Sa souffrance devient alors objet d’analyse et de spéculation. Étant
donné sa neutralité objective, l’expert ne peut s’engager comme thérapeute
auprès de l’enfant. C’est de manière furtive, souvent superficielle, et
limitée dans le temps qu’il apparaît dans l’existence de l’enfant. De sa
place, l’enfant n’a pas le temps d’investir son interlocuteur et finit par
se lasser de ce « manège » qu’il ne comprend pas. Tout en le perturbant,
cette situation s’inscrit à peine dans son existence. Il perçoit, parfois
intuitivement ou implicitement, qu’il n’est que l’objet du désir de l’autre
et non pas le sujet de son propre désir.

D ES BALISES ÉTHIQUES COMME REPÈRES


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Les repères suivants devraient servir de balises éthiques aux évalua-
teurs :
• la position de l’expert dans la chaîne d’interventions et à quel moment
il intervient ; d’autant qu’il n’a pas la maîtrise des tenants et des
aboutissants de la gestion du cas tant au niveau de l’enfant que de
ses parents ;
• l’évaluation devrait tenir compte de l’anamnèse familiale d’où s’ori-
ginent les conflits relationnels, les difficultés de l’enfant et comment s’y
inscrit la problématique d’abus sexuel ;
• l’évaluateur doit prendre en considération la situation de l’enfant en
relation avec les différents systèmes qui gravitent autour de sa famille,
y compris les transactions entre le réseau d’aide et le monde judiciaire ;
• des concertations entre les différents intervenants (mandants, man-
dataires et évaluateurs) concernés par le cas pourraient clarifier les
enjeux de la demande et permettraient de mieux engager le travail
d’expertise vers une véritable démarche d’analyse et de transmission
des informations aux principaux intéressés ;
• la plupart des évaluations répétées relèvent de différents cadres d’in-
terventions et engendrent des effets de morcellement ou de dispersion
qui peuvent fragiliser encore plus l’enfant et compromettre ses liens
familiaux ; ce risque de fragilisation doit préoccuper l’évaluateur ;
• la recherche, souvent univoque, de la vérité ne doit pas se faire au
détriment des besoins et des intérêts de l’enfant ;
• si les résultats de l’expertise sont transmis à l’autorité qui mandate, ils
sont également au service de l’enfant et de sa famille ; les principaux
intéressés doivent pouvoir se réapproprier un savoir sur eux-mêmes ;
• l’enfant n’est pas objet d’investigation et il faut pouvoir l’aider et lui
permettre de trouver sa place de sujet dans la démarche d’expertise.
E NFANT VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 125

L’expert est donc en quelque sorte confronté à un dilemme, voire à un


véritable conflit d’intérêts : remplir sa mission avec exactitude et probité,
tout en maîtrisant les conséquences, perturbatrices ou parfois traumatiques
pour l’enfant, induites autant par l’intervention judiciaire que l’évaluation
psycho-légale.

C ONCLUSION : L’ ENFANT, UN SUJET FACE AU SYSTÈME


L’analyse de ces allégations d’abus sexuels souligne toute la complexité
des enjeux interrelationnels et la vulnérabilité de la place accordée à
l’enfant. Face à des enjeux familiaux parfois complexes, comme dans les
familles à transactions incestueuses ou les situations de fausse allégation
dans des contextes de conflits parentaux, l’enfant fait l’objet de pressions
diverses qui engendrent un stress émotionnel important. L’enfant qui
témoigne pour lui-même de ce qu’il a vécu ou subi traverse une véritable
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épreuve psychologique. Le désarroi, la perte de repères parentaux fiables,
l’anxiété, et l’agressivité le conduisent à des ressentiments comme la
rancœur ou le désir de vengeance. Nourri par des haines d’adultes, il se
construit alors autour de mécanismes qui vont l’aider à survivre malgré
tout.
Vraie, incertaine ou fausse, une allégation d’abus sexuel confronte
ainsi le système d’intervention et d’évaluation à ses responsabilités.
Que l’abus sexuel soit probable, effectif ou inexistant, l’intervention
medico-psychosociale et judiciaire est impliquante pour l’enfant. La justi-
fication de cette intervention plurielle doit être envisagée sous l’angle des
conséquences pour l’enfant, et ce en termes d’implication, de victimisation
secondaire et de stress émotionnel. La responsabilité des adultes, des
parents en particulier et des intervenants est ainsi fortement engagée. La
précipitation dans ces affaires d’allégation d’abus sexuels et les solutions
immédiates sont mauvaises conseillères, et ce sont souvent les enfants qui
en payent les conséquences, autant ceux qui sont réellement exploités et
qui ne trouvent pas de protection, que ceux qui n’ont pas été abusés sont
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

doublement victimisés.
Il paraît simple de rappeler que si l’enfant est sujet de droit, il n’a
pas toujours été considéré comme tel. Éthiquement parlant, il importe
donc de penser autrement l’expertise psycho-légale comme un temps
de rencontre entre un évaluateur-adulte et un enfant présumé victime
ou témoin d’une agression sexuelle. L’enfant n’est pas un adulte en
miniature, mais une petite personne en cours de structuration psychique
dont le fonctionnement psychologique est spécifique et correspond à un
stade particulier de développement et maturité. Il s’agit donc de ne pas
soumettre l’enfant à la question (au sens inquisitorial du terme), mais de
trouver les bons mots afin d’éviter de retourner le couteau dans la plaie ou
d’exposer le psychisme de l’enfant à des réflexions qu’il n’est pas encore
apte à métaboliser. Si par son intervention, qui est aussi une transaction
126 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

particulière, l’expert met le psychisme de l’enfant au travail, il prend aussi


le risque de le confronter à cette épreuve de manière traumatique.
Même s’il devient objet d’expertise et d’observation, l’enfant est avant
tout un acteur social, un sujet et un partenaire qui confronte le système
à ses responsabilités. La place et le rôle de l’enfant dans ces histoires
d’allégation d’abus sexuel interrogent le niveau d’adaptation du système
social et judiciaire. Le langage de l’enfant est parfois à mille lieues du
discours juridique (judiciaire et pénal) adulte. Cette confrontation de deux
mondes qui ne sont pas censés se rencontrer de manière aussi précoce
soulève de nombreuses questions sur le plan éthique.
La « confusion de langues »1 qui règne entre les enfants et les adultes
est d’autant plus significative que cette rencontre se déroule sur le territoire
sensible de la sexualité humaine, entre le bien et le mal, entre la vérité
et le mensonge, les non-dits et les secrets, l’amour et la haine, l’interdit
et le consenti, le passionnel et la tendresse. À l’opposé des discours, des
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convictions, des interprétations, des analyses de contenu, des déclarations,
des plaintes, des confrontations et des justifications, l’enfant doit malgré
tout poursuivre son cheminement existentiel. C’est sur son vécu intime,
son potentiel psychique, ses références relationnelles que son devenir
prendra appui. À la fois personnelles, circonstancielles, contextuelles et
transactionnelles, ces dimensions sont largement perturbées par l’agres-
sion sexuelle ou les stratégies dont il a été l’objet ou la victime. Il devra dès
lors se reconstruire tant sur le plan psychologique que social et compter sur
les capacités du système à lui venir en aide. À travers toute la procédure
dont il ne connaît ni les rouages, ni la complexité, l’enfant devrait donc en
toute légitimité être accompagné (socialement), représenté (juridiquement)
et soutenu (psychologiquement).

1. F ERENCZI S. (1982). La confusion de langues entre les adultes et l’enfant, Le langage


de la tendresse et de la passion. Analyses d’enfants avec des adultes en psychanalyse.
Œuvres complètes, T. IV, Paris, Payot, 125-135.
Chapitre 12

L’AUDITION JUDICIAIRE
DU MINEUR VICTIME
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D’AGRESSION SEXUELLE
Approche criminologique

Bernard V ILAMOT, Jean Michel B RETON,


Marc PASSAMAR, Olivier T ELLIER

I NTRODUCTION
L’audition du mineur n’est qu’une partie de la procédure, elle n’est pas
systématique en particulier quand la victime n’a pas accès à la parole. La
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

formation à l’interrogatoire est essentielle et les modalités du recueil de


la parole de l’enfant doivent être impérativement respectées. Le discours
libre doit être systématiquement recherché.
Il existe classiquement une congruence entre les faits, la forme et le
fond du discours, l’environnement de l’enfant, le mode relationnel, et les
conséquences attendues des faits. Il faut rester très humble quant à l’affir-
mation ou non de crédibilité, seule l’enquête peut trancher, encore faut-il
qu’elle soit faite. Ce sont souvent des enquêtes difficiles, chronophages,
mal considérées en rapport aux affaires réputées plus nobles de grande
criminalité ou financières. Elles représentent néanmoins le lot quotidien
des enquêteurs.
Deux aspects seront envisagés, strictement interdépendant : l’enquête
et la parole de l’enfant. Dans le cadre de l’enquête, seront détaillés :
les conditions générales de l’enquête, les phases de celle-ci, le rôle de
128 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

l’enquêteur, le type d’entretien. Dans le cadre de la parole de l’enfant,


seront détaillés les conséquences des facteurs qui influencent la parole
de l’enfant, l’analyse des facteurs dits de crédibilité du discours pendant
l’audition et pendant l’expertise.

L EXIQUE

• Configuration de l’audition : ce sont les professionnels présents et les


moyens utilisés lors de l’audition du mineur.
• Discours sur les faits : c’est le discours qui concerne les faits.
• Discours hors les faits : c’est le discours qui ne concerne pas directement
les faits.
• Enquêteur : officier de police judiciaire (OPJ), agent de police judiciaire
(APJ).
• Hypothèse alterne : c’est l’autre ou les autres hypothèses qui pourraient
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être formulées face aux faits allégués.
• Mis en cause : auteur, co-auteur ou complice supposé.
• Plaignant : personne qui engage une action ou une poursuite.
• PTSD : post traumatic syndrom disorder. Seront utilisés dans la même
acception : névrose traumatique, ou syndrome psycho-traumatique, en
référence aux travaux européens.
• Le « véridique », « le mensonger » : Ces termes seront utilisés pour
qualifier le discours du sujet qui dit la vérité ou ment par rapport à la
réalité vécue. Nous n’avons pas accès à cette réalité. De principe, les
discours entre le mensonger et le véridique seront différents et c’est sur
cette différence que nous nous penchons.
• Victime : victime supposée.

L’ ENQUÊTE
Pour échapper à l’erreur judiciaire éventuelle ou à l’impuissance de
la justice, le droit de la preuve lors d’une procédure judiciaire revêt une
importance capitale. Du début du procès pénal jusqu’à sa fin tous ceux qui
collaborent à une justice répressive sont préoccupés par la recherche et
l’exploitation des moyens de preuve.
La protection de l’enfance en danger est, en droit français, du ressort
judiciaire et non administratif. En effet l’article 375 du code civil prévoit
que :

« Si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en


danger ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises,
des mesures d’assistance éducatives peuvent être ordonnées par la justice,
à la requête : des parents conjointement, de l’un deux, de la personne ou
du service à qui l’enfant a été confié, du tuteur, du mineur lui-même ou du
ministère public. »
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 129

Dans les cas de maltraitance, même hors signalement des services sociaux
ou scolaires, le Procureur apprécie parallèlement à l’enquête pénale les
conditions de protection du mineur.
L’une des spécificités de la maltraitance, notamment sexuelle, chez les
mineurs est la difficulté qu’auront les magistrats et enquêteurs à aborder
sereinement les cas qui leur seront confiés souvent (avec une formation
professionnelle spécifique limitée). Ils devront prendre des décisions
lourdes de conséquences dans un contexte moins simple qu’une enquête
traditionnelle.
Depuis de nombreuses années, bien avant la promulgation de la loi du
17 juin 1998, les magistrats et les officiers de police judiciaire mesurent
la lourdeur de la procédure pénale due à la complexité des dossiers, aux
expertises de personnalité à réaliser (victime comme auteur), à la volonté
de prendre en compte tous les aspects du problème.
La majorité d’entre eux militent contre tous les comportements qui
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peuvent augmenter le traumatisme de la victime : la multiplication des
auditions et confrontation, les délais de traitement trop long, la non prise en
compte de la parole et des intérêts de la victime, les mesures de placement
mal évaluées...
La majorité des dossiers traités par les juridictions portent sur des
agressions sexuelles. Afin d’essayer de diminuer les effets néfastes de la
procédure cités plus haut, la loi prévoit certaines dispositions favorables
à l’enfant victime de ce genre d’infraction : statut de mineur victime,
prescription plus réduite, audition filmée du mineur, expertise de la victime
et de l’agresseur, désignation d’administrateur ad hoc...
Toutes ces nouvelles dispositions, pour qu’elles soient efficaces doivent
être appliquées par des professionnels qui travaillent en réseau en respec-
tant la place et le statut de chacun dans la procédure judiciaire.
Dans la grosse majorité des affaires de violences sexuelles sur mineurs,
l’absence de preuve matérielle et de témoin direct ramène l’essentiel de la
procédure à la parole de l’enfant contre la parole de l’agresseur.
La difficulté de cette partie de l’enquête doit amener chaque acteur
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de la procédure à réfléchir à son action. Les enquêteurs se doivent


d’être formés, préparés et volontaires. L’aide d’un « psy » avec plusieurs
niveaux d’action peut se révéler essentielle pour prendre en compte le
plus idéalement possible la parole de l’enfant victime lors de son audition
filmée.
Déroulement d’une enquête judiciaire portant
sur des violences sexuelles commises sur mineur
La saisine
Le service enquêteur peut être saisi par trois modes différents :
• le signalement transmis par le procureur de la république compétent,
qui fournit tous les éléments utiles à l’enquête et notamment tous les
éléments permettant d’évaluer l’urgence du traitement des faits révélés ;
130 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

• les dénonciations faites par des tiers portant à sa connaissance des faits
d’atteintes ou d’agressions sexuelles sur mineur dont les services enquê-
teurs rendent compte immédiatement au Procureur de la république
(article 40 du CPP) ;
• les déclarations d’un mineur qui se présente spontanément auprès
d’un service enquêteur pour déposer plainte ou même signaler les faits
d’atteintes ou agressions sexuelles dont il aurait été victime.
L’enquête d’environnement
Elle s’effectue dès la réception de l’information d’agression sexuelle :
signalement, plainte, rumeur, dénonciation. À notre avis, elle devrait se
mener en étroite collaboration avec le « psy » et portera tant sur l’enfant
que sur l’agresseur présumé s’il est connu. Elle est impérative et doit être
la plus complète possible.
Elle permet tout d’abord de s’informer sur la situation du mineur :
de s’informer sur sa situation familiale, scolaire, ses relations sociales, sa
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pratique de loisirs et de sports. Tous les antécédents avec l’Aide Sociale de
l’Enfance, la Direction de la Solidarité, la justice et autres administrations
doivent être connus tant en ce qui concerne l’enfant que sa famille. Elle
permet également de connaître le ressenti de l’enfant depuis la révélation,
de savoir quels sont les adultes ou enfants informés des faits. L’attitude du
jeune face à la Justice et aux forces de l’ordre doit être connu.
Dans le cas d’une agression présumée par l’un des deux parents, Il
convient d’essayer de connaître en ce qui concerne l’enfant et l’autre
parent :
• En ce qui concerne l’enfant :
– Quels sont ses liens avec le présumé agresseur ?
– Enfant naturel, adopté, famille reconstituée, placement... ?
– Quels sont les liens affectifs ?
– L’enfant en a-t-il peur ?
• En ce qui concerne l’autre parent :
– Quelle est son attitude face à l’enfant ?
– Quelle réaction face à la révélation de l’affaire ?
– Peut-on être assuré de sa collaboration ?
– Peut ont craindre une intimidation ou des pressions sur l’enfant ?
L’enquête d’environnement permet également de s’informer sur l’agres-
seur présume. Il convient de définir l’environnement familial, relationnel
et professionnel du possible mis en cause. Il s’agit de repérer tout passé
de délinquant traditionnel, délinquant sexuel, de victime d’infractions
pénales ou de maltraitances, de victime d’agression sexuelle.
Si la personne a déjà été repérée comme agresseur sexuel, il conviendra
d’essayer de définir à quelle typologie d’agresseur il appartient, quels
modes opératoires il a utilisé, à quel type de victime s’est-il « attaqué » et
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 131

comment les a-t-il recrutés. Effectuer des investigations sur la personnalité


de l’agresseur permet de recueillir des informations essentielles pour la
conduite de l’entretien filmé, il ne faut donc pas négliger cet aspect de
l’enquête.
L’enquête d’environnement s’effectue au travers de l’audition des
proches, de vérifications auprès des administrations, de contacts avec les
travailleurs sociaux de secteurs, scolaires, justice et avec les enseignants.
C’est ici que le travail réseau, formalisé, structuré est important.
Le « psy » peut être associé à cette enquête notamment pour tous les
contacts avec les médecins ayant pu rencontrer l’enfant (famille, scolaire,
hôpital, PMI...). Ensuite, il convient de faire le tri et de s’échanger les
informations.

L’audition filmée du mineur victime


Données générales
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Deux enquêteurs assurent l’audition. L’un même l’entretien avec le
mineur, l’autre gère à la fois les aspects techniques de l’enregistrement et
supervise l’audition.
La loi de 1998 fixe le déroulement de cet entretien. Elle a instauré
l’enregistrement vidéo de l’entretien, dit « audition Mélanie », prénom de
la victime avec qui avait été pratiqué ce protocole la première fois sur l’île
de La Réunion. Le plan vidéo est obligatoirement en plan fixe, centré sur
l’enfant qui est vu de pied en cap. Aucun zoom n’est pratiqué (effet de
pseudo-dramatisation, modification du perçu de crédibilité...). À défaut
d’enregistrement vidéo (panne, absence de matériel...), l’enregistrement
en simple audio est réalisé. Cette occurrence peut être demandée par la vic-
time supposée. Dans notre expérience, cette situation a été exceptionnelle,
demandée par des adolescentes, sans aucun lien avec d’éventuels faits de
diffusion d’images pornographique ou affectant la dignité du mineur, le
plus souvent en lien avec une hypothèse alterne vis-à-vis des faits. Il n’est
donc pas recommandé de satisfaire une telle demande.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les participants autres qu’enquêteurs


Cette loi prévoyait la présence possible d’un tiers. Dans le TARN, a
été mis en place un dispositif dans lequel, un « psy », dans un cadre
missionnel bien délimité, participe à l’audition du mineur victime.
La formation départementale sur la prise en charge des femmes victimes
de violences, depuis 1994, avait préparé le terrain de ce partenariat, qui a
trouvé un cadre légal avec la Loi de 1998. Dès cette date, des formations
conjointes : magistrats, psychiatres experts judiciaires du département,
forces de l’ordre et travailleurs sociaux ont permis la mise en place de
protocoles départementaux d’articulation, vis-à-vis des mineurs victimes
d’agression sexuelle. L’implication du Parquet fut déterminante. Cette
organisation, à nulle autre pareille à un niveau départemental, a permis des
progrès très rapides, à la fois au niveau technique et partenarial. Chacun
132 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

a bénéficié de l’expérience professionnelle de l’autre qui venait alors


enrichir la connaissance dans le rôle spécifique de chacun. Le réseau
s’est ainsi constitué à partir d’objectifs communs formalisés autour de
la notion de gain de temps (raccourcissement des délais) et d’efficacité
(diminution des classements sans suite). Si les enquêteurs disent que cette
expérience a modifié leur façon de travailler, il en est de même pour les
experts, qu’ils fussent psychiatres ou psychologues. Si ce dispositif reste
lié à l’implication des Parquets, et peut varier au gré des changements, il
reste un acquis, une habitude de travail et de réflexion qui se transmet et
s’entretient.
En pratique, nous avons construit les règles de l’intervention du tiers
sur la base de notre expérience du Tarn et de la littérature (Saint Yves,
Vrijj, Van Gijseghem) en la matière, à savoir :
• le tiers présent est psychiatre ou psychologue, il pratique des expertises,
il est formé à ce type d’entretien ;
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• il peut participer à l’évaluation de l’enquête d’environnement (repérage
des symptômes, guide pour l’entretien, contact avec les soignants...) ;
• il n’interroge jamais les faits (c’est le rôle de l’enquêteur) ;
• il prépare toujours une question neutre au cas où l’enquêteur lui passe
la parole, en particulier quand l’enquêteur à besoin d’un peu de temps
de réflexion (l’audition du mineur est un exercice difficile, il est parfois
nécessaire à l’enquêteur de reprendre ses marques) ;
• il n’est pas suggestif (les mêmes conditions de l’entretien s’imposent
également au « psy ») ;
• il ne reprend pas les questions de l’enquêteur (confiance dans son
binôme, chacun son rôle) ;
• il ne contredit pas l’enquêteur (ce qui revient à l’invalider) ;
• il ne parasite pas la stratégie d’audition de l’enquêteur (une audition
est préparée à l’avance, une stratégie par étapes est donc dégagée en
fonction du dossier) ;
• il peut proposer une pause quand l’audition se passe mal afin de réfléchir
à sa configuration avec l’enquêteur. Le regard de l’enfant peut parfois
donner une bonne orientation pour la configuration de l’entretien :
– regards caméra fréquents : changement de configuration, prolonga-
tion de la phase de mise en confiance nécessaire (le plus souvent) ou
incompréhension de l’enfant ;
– regards glace sans tain (s’il y en a une) : obturer la vitre, proposer une
configuration avec le seul enquêteur, ré-informer sur les personnes
présentes ; l’entourage n’est jamais présent derrière la vitre ;
– regards alternatifs posés sur l’enquêteur et le « psy » : la présence de
deux adultes pose problème à l’enfant, le « psy » quitte la salle ;
– regards persistant sur le stylo de l’enquêteur ou rythme son discours
sur la vitesse d’écriture : l’enquêteur stoppe toute note.
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 133

Dans le Tarn, les enquêteurs dans leur très grande majorité sont très
favorables à la présence d’un tiers professionnel psy, cette présence les
rassure et les soulage de la prise en compte des émotions et ressentis
du jeune par ce professionnel. Si la place de chacun est respectée, cette
pratique est enrichissante et permet des auditions de qualité. Les experts
ont modifié leurs techniques d’entretien, la qualité des expertises a été
clairement améliorée.
Les qualités requises de l’enquêteur
L’enquêteur, homme ou femme (le genre n’a aucune importance) doit
avoir des connaissances, sur le développement de l’enfant, sur les troubles
associés aux agressions sexuelles, sur le fonctionnement psychologique
du mineur victime, sur les techniques d’entretien non suggestif, sur
les différentes typologies d’agresseurs sexuels. Il se doit d’enrichir ses
connaissances par l’analyse de ses pratiques, la formation continue et la
lecture de publications.
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Il se doit d’être professionnel dans ses pratiques en offrant un cadre
accueillant, améliorant ses aptitudes à communiquer, en ayant une
démarche d’analyse et d’évaluation. Il doit savoir écouter les critiques
et être capable de rééquilibrer son approche. Il doit pouvoir observer le
comportement et les attitudes de la victime en évitant de les interpréter.
Il sait utiliser les mots de vocabulaire de la victime sans être gêné ou
dérangé. Il s’adaptera, sera prêt à tout entendre, restera neutre mais pas
indifférent. Il veillera à éviter le stress et ne pas se laisser envahir par les
émotions.
Il ne suffit pas d’être, formé, volontaire et être un bon professionnel
pour réussir dans la conduite d’audition de mineurs victimes de violences
sexuelles. La personnalité de l’enquêteur a une grande importance, il devra
faire preuve de réelles aptitudes relationnelles en étant disponible à la vic-
time, en sachant la mettre à l’aise, la rassurer, l’encourager, l’accompagner
dans la révélation en obtenant sa confiance et sa coopération.
De plus, il est important de préciser que cet enquêteur devra se sentir à
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’aise avec sa sexualité, à être prêt à tout entendre en se rappelant que l’on
est dans le domaine de la violence de l’impensable. Il doit n’avoir aucun
problème avec son image car il est filmé.
Bien évidemment ce qui est valable pour l’enquêteur l’est également
pour l’éventuel tiers professionnel intervenant dans l’audition.
Les règles générales de l’entretien
L’audition du mineur répond à des modalités d’exécutions simples
mais à ne jamais oublier. L’enquêteur devra s’exprimer simplement en
privilégiant des phrases courtes adaptées au niveau de développement et
aux capacités de langage de l’enfant.
L’entretien est mené pour partir du global vers le particulier, par
étapes successives en veillant à aborder les questions délicates en fin
d’entretien. Le récit libre sera favorisé et précédera les questions ouvertes
134 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

qui seront préférées aux questions orientées. En tout état de cause, il


conviendra d’éviter les interrogations entraînant des réponses par « oui »
ou par « non » afin d’éviter les effets d’imitation, de séduction, de refus,
d’opposition et toute suggestibilité.
La prise en compte des manifestations non verbales présente un certain
intérêt (cf. infra), elles doivent être observées et mises en parallèle avec le
contenu du discours.
L’entretien doit être dirigé par l’enquêteur qui doit en atténuer la
pénibilité pour l’enfant. Il faudra savoir faire une pause ou stopper
l’entretien pour mieux reprendre.
Il faudra s’interroger sur les difficultés à faire tomber les défenses
psychologiques et sur le fait qu’éventuellement la révélation puisse
intervenir plus tard dans de meilleures conditions. Il convient de ne pas
perdre de vue que la sauvegarde de l’intégrité du mineur constitue une
priorité et qu’obtenir la parole de l’enfant dans la procédure est essentiel
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mais pas vital.
Considérations générales concernant l’audition
Le lieu
Le lieu d’audition est clairement défini quand il est situé dans les locaux
(appropriés) de la Gendarmerie ou de la Police nationale.
Un enfant, dès trois ans, repère la fonction de son interlocuteur et la
relation hiérarchique entre adultes. Il n’est pas adapté de créer des salles
« Mélanie » dans les hôpitaux ou d’autres lieux. Ces enfants ne sont pas
des malades, ils sont victimes, quand ils le sont, ou de l’auteur supposé,
et/ou de leur entourage (parole induite). Ils ne sont pas « traumatisés » de
venir à la gendarmerie ou au commissariat (sous réserve d’anticipation
des conditions d’accueil).
Il n’existe pas de structure neutre (structures neutres préconisées par
le rapport Viout), il existe des lieux pensés pour l’entretien avec un
mineur, l’accueil de l’entourage, et des professionnels compétents bien
repérables dans leur fonction. Il est logique qu’un policier travaille dans
un commissariat, qu’un gendarme travaille dans une gendarmerie. Révéler
des faits à la justice n’est jamais neutre, il est logique d’avoir à faire à la
Police ou à la Gendarmerie nationale qui ont un rôle de répression, mais
aussi de protection (classique « Police secours »). La recherche d’autres
structures comme lieux d’audition nous paraît surtout liée à l’éventuelle
implication non priorisée des hiérarchies des forces de l’ordre dans ces
affaires et à la suspicion des autres professionnels non-enquêteurs vis à vis
la qualité des prestations fournies. Chaque professionnel doit s’interroger
sur la qualité de son propre travail et non sur celle d’autrui (consigne
impérative pour tout travail en réseau).
Ce lieu approprié comporte une salle d’audition proprement dite dont le
mobilier comporte une table, des chaises de taille normale. Le plateau rond
permet de se déplacer autour afin de trouver la bonne distance interperson-
nelle avec le mineur. Les chaises ne sont pas munies de roulettes. La table
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 135

est utilisé pour les plus grands (enfant en CE2 ou plus, adolescents. Pour
les plus petits, seront préférés des fauteuils bas déplaçables, installé en
coin. Ils entourent un tapis de sol. Jouets de type empilements, feuilles A3
et A4, feutres de couleur lavables complètent le dispositif (les jeux type
Lego sont à éviter, ils accaparent trop l’attention ou « énervent » quand
ils s’encastrent difficilement). Le matériel technique d’enregistrement
n’est pas situé dans cette salle. Une salle d’attente est aménagée à distance
du lieu d’audition. Une glace sans tain n’a pas d’intérêt (l’entretien est
suivi sur le moniteur).

Le rôle de l’enquêteur qui mène l’entretien


L’entretien par étapes successives selon J. C. Yuille (Yuille) comporte 7
étapes :
1. mise en relation (mise en conf1ance) ;
2. discussion concernant le principe de la vérité ;
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3. introduction du sujet de l’entrevue ;
4. récit libre ;
5. questions ouvertes ;
6. questions spécifiques (si nécessaire) ;
7. l’utilisation d’objets servant de support à l’entrevue (si nécessaire).
D’autres étapes sont rajoutées.
Toute l’information doit venir de l’enfant, il s’agit d’être patient, non
suggestif, et de s’adapter aux besoins de l’enfant. La durée moyenne d’un
entretien est de 45 minutes, la durée est réduite pour les petits (autour de
20 minutes).

Accueil
C’est une phase qui précède la mise en confiance, c’est l’entrée de
la victime dans la procédure. Il est essentiel que le professionnel menant
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’entretien accueille l’enfant (rôle de l’OPJ interviewer, le premier contact ;


bonjour, main tendue... se fait avec l’enfant et non avec l’accompagnant).
Lors de cet accueil, il faut s’assurer de la séparation avec l’accompagnant
(autre OPJ ou psy, l’OPJ qui fait l’audition reste avec l’enfant, ce n’est
plus le moment de recueillir des informations auprès de l’accompagnant).
L’enquêteur fait visiter les lieux à l’enfant, lui montre le matériel d’enre-
gistrement, lui offre une boisson, s’assure de son confort et qu’il n’a pas
besoin d’aller aux toilettes, c’est alors l’accompagnant qui l’y amène. Il
convient de laisser l’enfant prendre possession des lieux (rôle de jeux pour
les petits).

L’étape de mise en confiance, ou de mise en relation


C’est une étape essentielle qui occupe une grande partie de l’audition ;
des étapes de mise en confiance de quelques minutes sont inadaptées.
136 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

La carence de cette étape ne permet aucune analyse de crédibilité car


elle fournit un discours de référence de l’enfant, dans sa forme, son
vocabulaire usuel, sa construction, ses hésitations, ses émotions... Une
façon simple de procéder est de remonter l’histoire de l’enfant (hors
les faits), individuelle, avec la fratrie, l’entourage familial et relationnel,
l’école. Cette étape doit déboucher sur un échange avec l’enfant, les
questions en format de réponse oui/non sont donc à proscrire. L’enfant
doit pouvoir se raconter dans différentes situations, relater au moins deux
événements, éprouver des émotions et être accompagné dans cet éprouvé
par l’enquêteur. Des événements marquants pour l’enfant (thèmes issus de
l’enquête d’environnement) qui n’ont rien à voir avec les faits supposés
sont évoqués.
Le contact de l’enquêteur est de type empathique, à distance suffisante
(ni trop proche, ni trop distant). Dans cette étape il ne prend pas de note.
Il informe l’enfant des différentes étapes de l’entretien en fonction du
niveau supposé de compréhension de celui-ci. « Maintenant on va parler
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ensemble, faire connaissance, mieux se connaître, on va parler de toi de
petit à maintenant... puis on parlera du pourquoi tu es venu... » L’accent
est mis sur la parole et non sur le jeu. Avec les plus grands, la présentation
se fait avec des mots simples, des phrases très courtes. Il leur est d’emblée
annoncé la structure de l’entretien sur les faits (cf. infra).
Au sein de cette étape sont également repérés (et notés par le tiers
présent ou l’enquêteur superviseur) :
• le vocabulaire de l’enfant afin de s’y adapter ;
• le type de construction de phrases, les capacités d’associations entre
deux idées, l’initiative dans la prolongation ou le changement de thème ;
• le maniement des conjugaisons (temps présent, passé et éventuellement
futur) ;
• le maniement des pronoms personnels (je, il, on, nous), et possessifs
(mon, ma, mes, ses...) ;
• le maniement des locutions (après, puis, lorsque...) ;
• l’existence de justifications (car, parce que, donc, c’est pourquoi...), de
phrases négatives (ne... pas) ;
• la capacité à compter, à se repérer dans le temps, l’espace ;
• l’attitude de l’enfant ou du mineur et son évolution au cours de
l’entretien ;
• la capacité à fixer son attention, à la détourner par le matériel (feutres,
papiers, jouets) utilisés pour la médiation éventuelle (pour les petits
avant CE1) ;
• la réponse aux tests de suggestions ;
• le type de réponse quand il ne connaît pas la réponse à une question
posée, quand il ne veut pas répondre ;
• la manifestation d’émotions et la capacité à verbaliser le pourquoi de
ces émotions.
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 137

L’entretien sur les faits ne peut débuter que lorsque le contact est établi.
Souvent des détails attestent de ce contact : enlève le manteau, tutoie, se
décontracte...

Discussion concernant le principe de la vérité


Par expérience, nous ne recommandons pas cette étape. Le « menson-
ger » sait qu’il va mentir et cela ne l’affectera pas. En revanche, vis-à-vis
du « véridique », c’est un rappel paradoxal à la Loi, qui peut « fermer »
le plaignant, ce d’autant qu’il a été soumis, pour les faits en cause, à
une relation d’emprise. Nous avons constaté, que quelles que soient les
formes de ce rappel à la vérité, cela ne modifiait pas le discours de l’enfant
« mensonger », ou empêchait le « véridique ». La pression exercée par
l’entourage s’est déjà exercée avant l’audition, la recommandation de dire
la vérité ne saurait s’opposer à cette pression. L’effet dramatisant d’une
telle injonction va inhiber le discours de l’enfant, ce qui empêchera de
repérer la construction du discours qui ne viendrait pas de la mémoire,
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faute de discours.

Introduction du sujet de l’entrevue


La majorité des mineurs savent pourquoi ils sont entendus. Une faible
minorité le découvre au moment de l’entretien et c’est la situation la plus
délicate. Il convient de ne jamais nommer ou suggérer le ou les mis en
causes éventuels, de ne pas faire référence aux faits, aux propos de pairs
ou de proches ; ceci doit venir du mineur.
La question « sais-tu pourquoi tu viens aujourd’hui... ou qu’est ce que
t’as dit [l’accompagnant(e)] du pourquoi tu venais ici... » suffit en général
à introduire l’étape. Certains répondent par la négative quand ils ne veulent
pas parler (on prolonge alors la phase de confiance), ou bien quand ils ne
savent pas pourquoi ils sont là. L’enfant connaît très tôt ce qui est autorisé
ou non, normal ou non. Sa participation active à des faits d’agression ne
signifie pas qu’il n’a pas conscience de l’anormalité de la situation ; dès
l’âge de 3 ou 4 ans, les enfants repèrent cela. Dès lors, on revient dans
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

la biographie que l’enfant a déjà abordée et on centre l’entretien sur les


protagonistes éventuels, sans en incriminer un particulièrement : « on va
parler maintenant de tes frères et sœurs... de ta mère et de ton père, et de
leurs amis... ». Patience, reste le maître mot dans de telles situations.

Récit libre
Quand le mineur sait pourquoi il vient, ou qu’il commence à aborder
les faits, on lui indique la technique de l’entretien centrée sur l’impératif
du discours libre (le tutoiement est employé pour le petit enfant jusqu’au
CE2, le vouvoiement pour les adolescents, on demande à l’enfant si l’on
peut le tutoyer pour les âges intermédiaires). « Tu vas me dire tout ce
qui est important pour toi et important que je sache. Je ne te poserai des
questions qu’après. Je vais noter tout ce que tu me dis... » Si les faits
sont uniques et la date connue (exemple viol unique), il est demandé de
138 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

décrire précisément 12 heures avant et après les faits, sans questions de


l’enquêteur, ou bien la journée à partir du moment où il (elle) a posé le
pied par terre le matin... toujours sans questions de l’enquêteur. L’entretien
en « question-réponse » est à bannir. Il n’est pas demandé de parler « de
ce qui s’est passé », « de l’événement », « des faits » sous peine que le
mineur ne parle uniquement que des faits. La question initiale doit être la
moins spécifique possible, d’où le recours à la notion d’« important », qui
incitera le mineur à aborder d’autres éléments que les faits eux-mêmes,
importants pour lui. Ainsi, la consigne sur ce qui est « important », ne doit
donc pas générer des propos sur ce qui ne l’est pas (cf. infra).
L’enquêteur relance le discours libre par un hochement de tête incitateur
à poursuivre, par des mots comme « je t’écoute... continue, vas-y... hum,
hum... ». Dans cette phase, l’attitude de l’enquêteur est strictement neutre.
Chez l’enfant petit, le récit des faits se résume à quelques phrases.
Ce n’est uniquement que lorsque le discours libre et totalement tari que
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des questions peuvent être posées. À partir de la première question posée,
le récit sur lequel portera l’analyse en crédibilité est terminé.

Questions ouvertes
Quoi qu’il en soit, les premières questions ne doivent pas être sug-
gestives. Il convient de « vider » toutes les phrases du discours libre
en demandant des précisions à partir strictement du mot à mot du
mineur (c’est pour cela que le discours libre doit être retranscrit dans
son intégralité par l’enquêteur, sous peine de ne pas se rappeler du strict
mot à mot). Les phrases longues comportant plusieurs informations sont
tronquées (sinon l’enfant répond sur la dernière partie). Si la phrase
comporte a puis b, et que nous demandions des précisions sur l’ensemble
de cette phrase, l’enfant va réponde sur « b ». : « Si j’aurais pas allé, ça
serait pas passé », se tronque en « si j’aurais pas allé » et « ça serait pas
passé ». La question est « tu me dis si j’aurais pas allé », précise... raconte
plus, davantage... ? La question suivante est : Tu me dis que ça serait pas
passé, précise... Raconte plus, davantage... Les fautes de grammaire, les
mots bizarres, vulgaires sont repris tels quels avec le même phrasé que
celui utilisé par le mineur pour demander des précisions : « Gérard est
arrivé et il m’a troufigné » Tu me dis il m’a troufigné, précise... ? etc.
Chaque phrase du discours libre est ainsi « vidée », les nouvelles
précisions sont toujours demandées par stricte reproduction du vocabulaire
et phrasé du plaignant. La mémoire étant contextuelle, cette technique
permet de revenir sur une phase précise de l’entretien, même s’il a eu lieu
une heure avant, ou x jours avant.
Les questions ouvertes (qui ne comportent aucune indication sur la
réponse attendue) suivent afin de préciser les éléments de l’infraction
éventuelle « qui, quand, comment, où, combien... »
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 139

Questions spécifiques
Elles peuvent suivre pour caractériser l’infraction ; par exemple péné-
tration digitale ou non en cas d’attouchement, précisions sur l’objet utilisé
etc.

L’utilisation d’objets servant de support à l’entrevue (si nécessaire)


Nous déconseillons cette étape. Les outils servant de médiation à la
parole sont soit suggestifs, soit minimisants. Il en est ainsi des poupées
anatomiques (sexuées) qui doivent être abandonnées (Cecci), des planches
anatomiques, des dessins produits par l’enfant qui se réduisent en général
au fait de montrer de l’entrejambe (Poole). Le seul apport valable est fait
par le discours de l’enfant. Ce discours ne doit pas être interprété, a fortiori
ses attitudes. Si l’enfant ne peut pas parler, il n’y a pas d’audition (enfant
autiste, trop jeune, un certificat est alors délivré par un médecin expert),
ce qui ne veut pas dire pas d’enquête. L’audition, nous le rappelons, n’est
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pas l’élément essentiel de l’enquête. Certains enfants n’ont pas accès à
la parole, du fait de leur âge, de leur pathologie. Cependant des enfants
déficitaires peuvent fournir une audition de qualité (Henry).
Des poupées non sexuées, ou poupons, peuvent être utilisées dans
l’entretien, mais uniquement lorsque la parole sur les faits a déjà été
clairement délivrée, du moins en partie. L’objet transitionnel de l’enfant
n’est jamais utilisé à ces fins.

Clôture de l’audition
Elle permet de redéfinir les attentes de l’audition et de faire une synthèse
de ce qui s’est dit et réalisé. Toujours laisser le dernier mot à l’enfant, lui
demander s’il n’a plus rien à ajouter ou ce qu’il en pense, il doit pouvoir
poser toutes questions utiles pour lui.

Bilan-synthèse
Il convient à l’issue de l’audition de discuter avec la victime du vécu de
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cette audition (impression, sentiment, ce qui est important pour elle), de la


rassurer sur les conséquences. Certains enfants ont peur d’être punis (où
de perdre l’amour d’un adulte ce qui est équivalent, cette question peut
être abordée directement avec le parent accompagnant)
Il peut être opportun de situer l’audition dans le processus judiciaire,
d’expliquer ce qui va « arriver » ensuite ; auditions complémentaires,
examen somatique général et de la sphère gynéco, bucco, anale, expertise
médico-psycho-légale.

La séparation
C’est un moment important, la victime doit garder un bon souvenir de
l’audition (ce qui est pratiquement toujours le cas quand l’audition a été
bien faite), c’est un moment de décompression, elle doit être remerciée.
140 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

Moyens éventuels de protection


Au décours de l’audition, les moyens éventuels de protection de l’enfant
doivent être discutés et si nécessaires mis en place immédiatement.
Les auditions « du vendredi à 17 heures » ne permettront pas de mettre
en place des moyens adaptés. Le recours au placement immédiat peut
en être le corollaire, faute d’interlocuteurs institutionnels hormis ceux de
l’urgence (foyer de l’enfance, pédiatrie...). Cette situation de placement
immédiat est en général très rare. En 13 ans de pratique, nous n’y avons eu
recours qu’à 3 reprises (moins de 0,5 % des cas). Généralement, le parent
ou entourage d’appui exerce cette protection. Encore faut-il s’assurer de
leur capacité à l’exercer.
Il est donc judicieux d’anticiper les différentes issues de l’audition, ces
éléments d’orientation peuvent apparaître dans l’enquête d’environnement.
Il est préférable de réaliser une audition de mineur en début de semaine,
plutôt qu’en fin de semaine, sauf urgence.
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L A PAROLE DE L’ ENFANT
Facteurs qui influencent la parole de l’enfant
La parole du mineur peut être modifiée par le rapport à l’événement
lui-même ou l’absence d’événement, le contexte et le vécu de l’événement
(mais aussi par le vécu après l’événement, l’environnement et le contexte
familial), le nombre d’agressions, le type d’agression, l’interrogateur.
Par rapport à l’événement
Celui qui raconte un événement peut (Grégoire F) : l’avoir vécu lui-
même, l’avoir lu, l’avoir vu à la télévision ou au cinéma, l’avoir entendu
de la bouche de quelqu’un d’autre, l’avoir rêvé, l’avoir inventé. S’il ne
s’est rien passé, si le mis en cause n’a rien commis, la structure du discours
de la victime supposée sera modifiée (Undeutch) (cf. infra).
Par rapport à l’interrogateur
Nous avons simplement cité plus haut les conditions impérieuses
du recueil de la parole de l’enfant (mais ce n’est pas spécifique au
mineur), la nécessaire formation, l’habitude à gérer ce type d’affaires.
Nous conseillons au lecteur de se reporter à l’ouvrage de Cecci (Cecci)
pour approfondir cette partie.
Par rapport au contexte et le vécu de l’événement
Par rapport à la relation avec l’auteur supposé
• La relation d’emprise sans violence physique va induire une culpabilité
diffuse, un sentiment d’être responsable, fautif, honteux, coupable et
non victime.
• L’association avec des violences physiques dirigées (avec ou sans
relation d’emprise), va générer de la peur, de la terreur, la crainte des
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 141

représailles. Les violences non dirigées (destructions de mobilier, coups


de fusils dans la maison...) auront les mêmes impacts.

Par rapport à la présence d’un syndrome psycho-traumatique


Toute effraction traumatique génère de la culpabilité et modifie radica-
lement le fonctionnement de la victime. Il y a un avant et un après les faits.
Le syndrome de reviviscence s’opposera à la verbalisation des faits. Nous
incitons le lecteur à se reporter aux ouvrages de L. Crocq (Crocq).

Par le nombre d’agressions

Tableau 12.1. : Classification de Terr


Agression unique (Type 1) Agressions répétées (Type 2)
Absence d’amnésie Amnésie de pans entiers de souvenirs
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d’enfance (mémoire blanche)
Absence d’inhibition de la pensée Amputation affective, émotionnelle et
intellectuelle
Poursuite des investissements scolaires Trouble du développement affectif et
psychomoteur
Fréquence de la reviviscence provoquée Dénégation du traumatisme
Fréquence des cauchemars, des jeux Mépris de la douleur et phénomènes d’auto
répétitifs hypnose
Trouble de la perception du temps Comportement auto ou hétéro agressif
Rareté des flash-back et reviviscences
spontanées

C’est la classique classification de Terr (Terr) (tableau 11.1) des symp-


tômes liés à une agression unique (type 1) ou répétée (type 2). Nous notons
que dans les agressions répétées, les signes évoqués mélangent les signes
des agressions avec violence physique et avec relation d’emprise sans
violence. Nous insistons pour spécifier que lorsqu’un enfant a la mémoire
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

blanche de son histoire d’enfance (amnésie prolongée sur la période de


l’école primaire), c’est un enfant qui a subi la violence (Pynoos). Le fait
d’être un simple témoin de violences (exemple des violences conjugales
entre les deux parents) ne détermine pas ces phénomènes de répression des
souvenirs. La mémoire blanche n’exclut pas les souvenirs traumatiques,
qui représentent alors l’essentiel des souvenirs de l’enfant : le mineur
n’a pratiquement pas de souvenirs de son histoire d’enfance, qui semble
débuter pour lui quand il avait 8 ou 10 ans. Il ne s’agit pas d’une véritable
amnésie, mais d’une répression des souvenirs et ceux-ci sont sélectifs.
Ce cas de figure et rencontré lorsque le mineur présente un syndrome
psycho-traumatique. Par exemple, l’enfant peut se souvenir de l’école,
mais de rien en ce qui concerne la maison en dehors des souvenirs de faits
qui ont été traumatiques et qui se sont déroulés à la maison.
142 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

Par rapport au type d’agression


L’agression peut être de type mortifère ou par éveil sensoriel précoce.
Lorsque les deux types se combinent, le mortifère domine.

Agressions mortifères. Une agression sera dite mortifère, quand


elle confronte la victime à sa mort potentielle et imminente pour les plus
grands (enfants et ado), à son annihilation pour les mineurs de moins de 8
ou 7 ans.
Nous retrouverons en faveur de cette hypothèse :
• Mémoire blanche, quand les faits se sont répétés.
• Évitement particulier du regard :
– absence de rébellion du mineur victime : C’est un regard évitant
associé à une fixation transitoire mais de trop longue durée. La
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dominante est celle de l’évitement, la fixation du regard correspond
à une captation du regard de l’interlocuteur par le mineur, et un
final comme si ce mineur se noyait dans ce regard, puis il baisse les
yeux. La fixation est d’abord scrutatrice (elle rappelle le regard que
les tout-petits maltraités portent sur leur parent maltraitant en ne le
quittant pas des yeux) ;
– présence d’une rébellion du mineur victime : D’autres types de regard
peuvent être rencontrés et en particulier chez l’adolescent qui a fini
par se rebeller. À ce moment-là, c’est un regard fixateur dominant,
expression de la rage intérieure. Les antécédents (souvent délictuels)
et le comportement (fréquence des comportements hétéro agres-
sifs, des comportements d’opposition) contiendront cette dimension
rageuse. Le discours sera d’ailleurs délivré sur ce mode, tout est dit
très rapidement.
• Décrochages et retour sur le traumatisme : Le décrochage est cette
suspension brutale de la parole, des mouvements. Seuls parfois les doigts
ou les pieds bougent. Tête, tronc, racine des membres sont figés, ainsi
que la mimique. Le regard est dans le vague. La durée est de quelques
secondes. Ces décrochages précèdent la parole, sont souvent précédés,
eux-mêmes, de phénomènes neurovégétatifs à type de rougeur ou de
pâleur du visage, d’érythèmes (dits érythème pudique de la jeune fille).
Parfois les larmes coulent ou les yeux s’embuent ensuite (l’émotionnel,
quand il existe est postérieur au silence). Le questionnement reste sans
effet, mais ils entendent vos paroles et peuvent vous les restituer ensuite.
Le retour dans la relation se fait par l’évocation de la reviviscence
traumatique « ça revient... je pensais à ce qu’il me faisait... » en
réponse à la question « à quoi pensais-tu ? ». Nous avons résumé ce
retour dans l’entretien par « retour sur le traumatisme ». L’absence
de questionnement immédiatement au décours des décrochages sur le
contenu des processus de pensées conduit au silence. En présence de
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 143

décrochages dans l’entretien, un syndrome psychotraumatique devra, a


priori, être retrouvé à l’examen.
• Faits globalement verbalisés : La réticence porte sur les éléments les
plus traumatiques (ce qui a été le plus traumatique pour l’enfant se
retrouve dans la thématique évoquée du syndrome de répétition). Le
déroulé dans le discours libre, est souvent escamoté (cf. infra).
• Les erreurs de datation sont particulièrement fréquentes (Crocq), ces
erreurs ne doivent pas être considérées comme des marqueurs d’un
discours non crédible. Le syndrome psychotraumatique témoigne de
l’effraction psychique et de la confrontation au réel de la mort (Lebigot).
Le temps est alors suspendu, les erreurs de datation un corollaire. Il
faut bien sûr que ce syndrome soit typique pour que cette hypothèse de
confusion de dates post-traumatiques soit retenue. D’où l’intérêt d’en
connaître parfaitement la sémiologie fine (Crocq).
• Fatalisme et dépression dominent quand il y a une absence de rébellion.
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Nous avons vu plus haut que la rage dominait quand la victime s’était
fortement rebellée. Quand toute une fratrie est concernée par cette
violence, c’est souvent un seul membre de la fratrie qui se rebelle
(Perrone).
• L’hypervigilance est la règle avec une difficulté pour filtrer ce qui est
dangereux de ce qui ne l’est pas, une insomnie d’endormissement sévère,
des réactions de sursaut exagéré, l’anticipation anxieuse vis-à-vis de
tout événement et une sensation d’être sur le qui-vive à tout moment,
des comportements d’évitement centrés sur des stimuli proches de
l’agression.
• Il existe aussi une dépendance affective correspondant à une recherche
de sécurité qui justifierait la dénomination de dépendance sécuritaire,
car elle prend simplement un masque affectif. Elle s’observe dans
des liens affectifs exclusifs avec un petit copain, la fréquentation de
sujets à l’image inquiétante (tatouages, piercings, coiffure, attitudes,
chiens accompagnateurs...), le lien de grande proximité avec le parent
maltraitant, marqué à la fois par l’avidité affective et les ruptures. Les
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

victimes de viols en réunion sont souvent retrouvées ultérieurement


dans des fréquentations à risque (groupes de jeunes désinsérés avec
chiens et alcoolisme sur la voie publique...) qui ont une fonction à la
fois protectrice de par l’insertion au sein d’un groupe qui met autrui à
distance et à la fois de vérification que la réalité devrait pouvoir être
maîtrisée. Mais bien souvent, cela conduit à une victimisation de novo.
Cette dépendance affective post-traumatique peut parfois être confondue
avec un trait de personnalité abandonnique, tant que les faits d’agression
n’ont pas été révélés. La victime vit la séparation comme un abandon
et préfère maintenir cette relation plutôt que de la perdre, sous peine
de se sentir totalement isolée. Ces relations nouvellement crées sont
souvent délétères, marquées par une relation d’emprise du compagnon
ou conjoint (exemple des adolescentes dans leurs premières relations
144 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

affectives), qui a perçu ce besoin et l’utilise à des fins de satisfaction


de ses propres désirs. En ce qui concerne les enfants plus jeunes, cette
dépendance affective a souvent été interprétée comme la persistance (à
tort) de liens d’attachement.

Par éveil sensoriel précoce. Ce type d’agression s’observe dans


les relations d’emprise (Perrone, Eiguer), quand il y a confusion entre
la tendresse et la sexualité (Ferenzi). Le sentiment de responsabilité de
la victime, conséquence de ce type de relation alimente la culpabilité et
scelle le silence. Des activités masturbatoires fréquentes et répétées par
l’auteur génèrent une sensation corporelle indescriptible par la victime,
un des facteurs du silence. Les victimes clivent le vécu (honte, respon-
sabilité, culpabilité) de la sensation (étrange, innommable, pas toujours
désagréable, bien que réprouvée). Cette sensation est souvent l’un des
facteurs de la récidive (bien sûr lié à l’adulte), l’enfant ne peut réitérer ce
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ressenti qu’avec l’auteur des faits lui-même tout en ayant la perception de
l’interdit franchi, ce qui scelle également le silence.
Si les victimes évoquent souvent la puberté comme début de compré-
hension de l’aspect sexuel de la relation, la conscience de l’anormalité de
la situation vécue et de l’interdit franchi apparaît très tôt dans l’enfance,
souvent vers 5 ou 6 ans, voire avant.
En faveur de cette hypothèse d’éveil sensoriel précoce, nous retrouve-
rons :
• La kaléidoscopie du contact en phase de mise en confiance (parfois
Lolita, parfois femme, parfois enfant...). Ce mode particulier du contact
s’installe dans les toutes premières minutes de l’entrevue. La victime
cherche la distance interpersonnelle avec cet individu en face d’elle,
qu’elle ne connaît pas. C’est le miroir de la kaléidoscopie du contact
auquel elle a elle-même été soumise par l’auteur de la relation d’emprise.
La victime cale très rapidement sa distance avec l’interlocuteur, en fonc-
tion de l’attitude de ce dernier. Ces enfants seront ainsi très facilement
repérables par des prédateurs, ce qui va favoriser les victimisations
ultérieures.
• La minimisation des faits est très fréquente. Souvent les interactions
décrites du discours libre ne comportent pas de « fin » (cf. infra).
• Gêne, honte, confusion des affects dominent.
• Les rétractations sont fréquentes, en lien avec :
– la connivence familiale et le discours en faux-semblant (Perrone) des
différents adultes (mélange d’opposés dans le discours : amour / rejet,
protection / violence, confiance en personne / sauf à moi, solidité /
fragilité (Perrone) – « quand je voulais pas lui faire, il pleurait » –,
frapper / consoler – « il me tirait très fort par le bras, après il me serait
dans ses bras »...). Les messages verbaux ont un double contenu
(paradoxalité), un généralisant et en général positif ou favorable,
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 145

l’autre suivant immédiatement contenant une obligation ou une


contrainte (Eiguer). Ce type de discours génère une confusion du
récepteur, qui, en général, se raccroche à l’aspect positif du discours
et méconnaît l’avertissement qui fait suite ;
– Les paroles de rétorsion (Perrone) scellent le silence. La rétorsion se
distingue de la menace car les conséquences subies seront présentées
comme des conséquences de l’action ou de la parole de l’enfant :
« maman partira si elle l’apprend... Elle se tuera... Elle t’abandon-
nera... Tu passeras pour une folle... Tu vas détruire la famille... tu
n’as qu’à le dire à ta mère... »
• Décrochage et retour sur un vide idéique ou hors propos mais inquiétant.
Nous avons décrit, plus haut, le décrochage. Le distinguo se produit
lors du « retour » dans l’entretien duel « à quoi pensais-tu ? », réponse :
« je pensais à rien » (vide idéique), « je pensais à ma chienne Zina qui
s’est fait écraser la patte sous la roue de la voiture » (thème hors propos
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mais inquiétant). Ces enfants ressemblent à ce qui a été décrit sous
le terme de syndrome de Stockholm, qui n’est que le résultat d’une
relation d’emprise. Le vide idéique ressenti après le décrochage est
symptomatique de cette confusion induite chez le récepteur. Il explique
que la première phase de la prise en charge consiste à l’analyse et au
détricotage de cette relation, sous peine de renforcer la souffrance et la
culpabilité.
• La mémoire de scénario (Cecci) est très fréquente du fait du rituel et
explique aussi les mélanges de dates, de lieu. Le rituel est le déroulé
des séquences. Les séquences se ressemblent, et classiquement, il y a
une progression du rituel. L’enfant fait un « moyennage » des différents
scénarios des séquences, des interactions qui se répètent le plus souvent.
Les erreurs de dates et de lieu sont quasi constantes, utilisées par
l’auteur pour expliquer l’impossible réalité, puisque « tel jour j’étais
en Espagne... cet été-là on a passé les vacances en Normandie et pas à
Perpignan chez les grands-parents ». La victime livre un discours sur ce
scénario moyen, il faut décortiquer chaque séquence.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• La victime excuse l’agresseur ; l’objectif de la relation d’emprise étant


de rendre la victime responsable.

Analyse des facteurs dits de crédibilité du discours


Certains éléments du discours, dans le fond ou dans la forme pourront
alimenter ce qui est appelé l’intime conviction. Nous allons essayer de
décortiquer ce qui fonde ce jugement, afin que ces arguments puissent être
débattus. L’enquêteur débute l’entretien sans a priori (tout comme avec le
mis en cause d’ailleurs). Cette position initiale, de principe, est conforme
à l’éthique d’une bonne qualité d’accueil, au texte de loi (présomption
d’innocence), à la démarche scientifique : une hypothèse, lorsqu’elle est
vraie, ne l’est que de façon transitoire, jusqu’au moment où il est montré
qu’elle est fausse. Là, elle l’est de façon pérenne. Exemple de la terre
146 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

qui était plate jusqu’au moment où il est montré que cette hypothèse était
fausse, de la crédibilité...
Au fil de l’audition, cette confiance « totale » au début est maintenue ou
perdue. Il faut plusieurs indices concordants pour caractériser cette perte
de confiance (un seul indice est une spéculation). Cette perte de confiance
peut être graduée, en qualité, en fonction de la force supposée de l’indice
repéré. Ce sont autant de clignotants en faveur d’une hypothèse alterne
qui réclament une investigation. Nous soulignons que chaque indice
n’est pas pathognomonique et peut renvoyer à plusieurs causalités. Ces
indices ne représentent pas non plus des critères de mensonge en raison
même de cette pluri-causalité possible. Nous commenterons les principaux
critères repérés dans la grille S.V.A. (statement validity analysis) issue de
« l’analyse de la réalité des déclarations » introduite par Undeutch au début
des années 1950. Cette grille a été développée par de nombreux auteurs,
validée et traduite en français par H. Van Gijseghem (Van Gijseghem,
1992).
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Pendant l’audition
Caractéristiques générales de la déclaration
Le défaut de consistance du discours. Globalement, une fois
l’exposé des faits dans le discours libre obtenu, nous devons avoir compris
les interactions et leurs types. C’est ce qui a été appelé la « consistance »
du discours bien difficile à définir. Nous pouvons distinguer des éléments
qui y participent, dans la forme ou le fond du discours.
Dans la forme tout discours sur un événement comporte un contexte,
un début, un déroulé une fin. Si le discours a ce type de structure, il nous
apparaîtra consistant. En corollaire, si certaines phases manquent, notre
attention sera attirée. Cette structure spontanée ne peut s’observer, nous
le rappelons encore une fois, que sur la structure du discours libre. Toute
question clôt le discours libre ; la première question, même s’il s’agit de
lui demander de « préciser » à partir de son propre discours, génère une
structure qui n’est plus celle du mineur. Nous allons voir que les raisons
d’une perte de la consistance du discours sont multiples, parfois liées au
mensonge, mais pas uniquement. C’est pour cela que nous faisions, plus
haut, référence à l’aspect pluri-causal des indices. En cas de défaut de
consistance du discours, la perte de confiance est faible, du fait de cette
pluri-causalité qui doit être investiguée. L’expérience des auditions de
mineurs nous permet de faire l’hypothèse que :
• l’absence de contexte suggère (sauf chez le tout petit) une induction du
discours, un événement subi mais décrit sur une autre période de vie, un
déplacement sur d’autres auteurs, une mémoire de scénario...
• l’interaction comporte un contexte, un début, un déroulé, mais pas de
fin. Cela suggère que la fin laissée supposée est toute autre que celle
qui s’est réellement passée (le plus souvent en atténuation sur les faits
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 147

subis), que les faits se sont répétés, qu’il y a eu une progression du


rituel ;
• l’interaction comporte un contexte, un début, mais pas de déroulé et
pas de fin. Cela suggère une absence de faits, la présence de faits
mais associés à un PTSD (il faudra alors retrouver un PTSD lors de
l’entretien) ;
• l’interaction comporte un contexte et une fin, mais pas de début, pas de
déroulé. Cela suggère une absence d’événement, un discours induit, une
parole empêchée ;
• l’interaction comporte un déroulé bref, mais pas de contexte ou un
contexte intriqué au déroulé, pas de début, pas de fin, pas de parole.
C’est la structure du rêve.
Nous voyons bien que toute observation n’a jamais un sens univoque.
Elle doit être précisée. Les éléments décrits plus hauts vont prendre alors
de la valeur en se référant à une analyse de type scientifique : Si tel
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élément est retrouvé, nous devons alors retrouver aussi tels aspects et
nous ne devons pas retrouver tels autres aspects. Cela suppose une très
bonne connaissance théorique de la victimologie, des modes opératoires
des auteurs, des interactions auteur-victimes, entourage-victimes, afin
de repérer l’atypique. L’atypique ne signifie pas mensonge, là aussi,
l’interrogatoire doit préciser le pourquoi de cette atypicité.

Une faible cohérence. Encore appelé faible plausibilité (Van Gijse-


ghem), ou invraisemblance. Elle représente une forte perte de confiance :
« après, il s’est envolé par la fenêtre (elle habite au 5e étage) », « il
m’a attaché à l’arbre... sur la place du village... »), mais attention à la
mémoire de scénario qui peut mélanger des séquences avec ou sans faits.
L’invraisemblance est évocatrice, mais elle est rare. L’invraisemblance
(qui porte sur l’enchaînement des faits) n’est pas l’inconcevable (qui porte
sur un sentiment intérieur de celui qui interroge). L’expérience nous a
montré que l’on pouvait toujours entendre pire alors que nous pensions
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

avoir touché le fond de la turpitude humaine dans l’affaire précédente.


Si l’incohérence est produite au sein d’un discours libre, elle prend
toute sa valeur et doit être explorée, mais elle n’en a peu ou pas dans
les formats d’entretiens questions-réponses, puisqu’elle n’indique que le
cheminement de la pensée de l’interrogateur auquel le mineur répond.
Dans certains cas, le discours initial paraît cohérent mais il comporte
des manques, des silences dans le déroulé où les paroles sur les faits
sont remplacées par un vécu sur les faits (en général qui fait référence à
l’impossible parole), Mais la déposition s’enrichit au fur et à mesure des
interrogatoires et peut finir en scénario proche d’un film pornographique.
Ce cas de figure a été retrouvé chez des mineurs déficitaires sur le plan
cognitif, qui « rajoutent » au fur et à mesure de l’incrédulité perçue de leur
interlocuteur. En général, le début de l’interaction décrite est véridique,
le final est mensonger, mais paradoxalement c’est l’ensemble de leur
148 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

déposition qui est remise en cause. Il a également été retrouvé chez des
mineurs qui ne peuvent revenir sur leur parole initiale, et mettent ainsi
en demeure l’enquêteur de perdre totalement confiance dans leur récit,
faute de pouvoir renoncer au mensonge initial. Là aussi, le niveau cognitif
est souvent faible, les supposées agressions se répètent avec des auteurs
différents.

Le discours est rigide. Le discours est stéréotypé, monolithique,


sans digression temporelle, de retour sur le déroulé à l’occasion d’un
détail ajouté, sans allées et venue dans le discours... La perte de confiance
est faible. Les interrogatoires multiples antérieurs vont produire la même
structure. L’aveu de blanc de mémoire est logique car la mémoire s’altère
avec le temps pour ne garder que les éléments les plus signifiants. Les
interrogatoires répétés vont générer, chez l’enfant, une sélection de ce qui
semble important pour les différents interlocuteurs. C’est tout l’intérêt
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d’obtenir un primo interrogatoire de qualité.

Contenu spécifique de la déclaration


Peu de détails centraux. Les détails centraux concernent les
détails spécifiques des faits (Van Gijseghem). Cet indice représente une
forte perte de confiance quand la victime est adolescente ou d’âge scolaire.
Le jeune enfant (préscolaire) ne donne que peu de détails, la révélation
est souvent contenue dans une phrase ou deux. En cas de soumission
chimique ou alcoolique, les détails vont également manquer.

Rajout de détails hors les faits quand des détails sur les faits
lui sont demandés. Cet indice représente une forte perte de confiance,
lorsque des précisions sur les faits génèrent chaque fois des détails hors
les faits. Le fait même qu’il y ait réponse, connote la réticence du sujet à
s’exprimer sur des faits (qui ne se sont, en général, pas passés).

Utilisation de détails d’apparence perceptive au moment des


faits. Cet indice représente une très forte perte de confiance quand
ceux-ci sont re-utilisés ensuite dans le discours. Ils correspondent à une
construction du discours, une anticipation dans le futur et non à un récit
chronologique qui viendrait donc de la mémoire. « Je suis arrivé avec
Kévin, il y avait une voiture rouge garée devant chez lui » Le détail de la
voiture rouge peut correspondre à un détail perceptif, déjà peu classique
puisqu’au moment des faits, mais si cette voiture joue un rôle ensuite, la
perte de confiance est très forte.

L’émotionnel à l’acmé des faits. Nous savons que les victimes


d’actes répétitifs ont une affectivité émoussée, ou paradoxale. Elles livrent
un discours « horrible », avec une apparence d’absence d’affect. L’émo-
tion se localise plutôt sur des faits latéraux (un animal blessé, les copines
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 149

qui ne l’ont pas invitée...) ou lors de reviviscences. Les mouvements


corporels, les mimiques supposées exprimer de l’émotionnel, l’agitation,
les mouvements des membres, la programmation neuro-linguistique et le
mouvement des yeux... ne sont pas des bons critères de crédibilité ou de
mensonge (Benezech, Saint-Yves).
L’émotion exprimée n’est pas, non plus, un bon critère de mensonge
ou de crédibilité. Elle doit être impérativement explicitée. Quand une
adolescente pleure, il faut savoir pourquoi elle pleure et ne pas en inférer
un sens sans lui demander le sien.
Les pleurs, en eux-mêmes, ne veulent rien dire. Une attention particu-
lière sera portée aux phénomènes neurovégétatifs qui précèdent la parole,
sont accompagnés d’un silence, puis la parole est éventuellement délivrée
sur les faits, toute ou en partie.
L’érythème pudique (chez le type caucasien) précédant la parole semble
exceptionnellement retrouvé dans la simulation. En revanche, quand il est
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observé a posteriori du silence, cette réaction peut être liée à ce qui est
révélé, ou encore à ce qui n’est pas révélé. On ne peut rien en dire.
L’émotion exprimée, au moment de l’apogée des faits ou de la menace,
représente une très forte perte de confiance.

Absence de rupture de consensus ou de rupture de l’homéo-


stasie du système, à l’origine de la révélation. Elle représente une
forte perte de confiance. Lors de faits répétés, la relation entre l’auteur et
la victime est régie par un consensus implicite (Perrone) et c’est la rupture
de ce consensus qui génère la révélation : par exemple : Mélanie pensait
avoir une relation privilégiée avec son beau-père. Celui-ci engendrait une
confusion entre tendresse et sexualité « tu es la seule qui compte pour
moi... ». Mélanie révèle les faits lorsque le beau-père reproduit les faits,
ou une partie d’entre eux, sur sa petite sœur.
Lors de révélations tardives, il faut s’interroger pourquoi le mineur
révèle les faits ce jour-là. On doit retrouver un changement soit dans
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’organisation de vie, soit dans la relation à l’auteur, c’est ce changement


seul qui produit la révélation et non la particularité de l’interrogateur.
L’obtention de ce critère n’est pas d’ordre interprétatif, il est tiré du
discours du mineur « pourquoi viens-tu (venez-vous) maintenant révéler
cela ? ».

L’utilisation du temps de conjugaison au futur dans le récit


sur les faits. Elle représente une très forte perte de confiance car elle
viole une règle du récit : première personne du singulier – temps passé
« je jouais sur le canapé, il m’a mis... ». Lorsque le futur survient, il
correspond à une projection dans l’avenir, à une construction du récit et
non à un discours de mémoire.
150 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

L’absence de référence au sensoriel. Cet indice génère une perte


de confiance (forte chez l’enfant d’âge scolaire ou l’adolescent). Dans les
déclarations « véridiques », nous retrouvons les références au sensoriel.
Par exemple « j’ai senti son souffle dans le cou (cénesthésie)... Le pire
c’était l’odeur (olfaction)... il m’a fait pipi sur le ventre, ça faisait comme
des petites billes (visuel par description de l’effet tensio-actif du sperme) »

Présence de phrases négatives. Il n’y a aucune raison, hormis


celle de la réticence ou du mensonge, que lorsqu’on demande à quelqu’un
de dire ce qui est important, qu’il dise ce qui ne s’est pas passé. Le
cumul de phrase négative dans le discours sur les faits n’a pas sa place,
il représente un indice de très forte perte de confiance dans le récit. Des
entretiens itératifs ou un précédent interrogatoire sur le fond vont générer
ce type de structure.
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Présence de justifications. Cela se repère par la présence de
phrases explicatives, souvent précédées par des conjonctions du type :
« car... alors... parce que... ». La vérité « est », elle ne se justifie pas.
La présence d’au moins deux justifications dans le discours sur les
faits représente un indice de forte perte de confiance dans le récit. Un
interrogatoire répété va générer des justifications chez le « véridique »,
car il anticipe les remarques qui lui ont été faites précédemment ou qu’il a
pu percevoir dans l’entretien antérieur. Nous soulignons, encore une fois,
que ces indices ne doivent être extraits que du discours libre, et a fortiori
du premier discours libre.
Pendant l’expertise psychiatrique
Dans l’expertise psychiatrique de la victime (seule celle de l’auteur
présumé est obligatoire au niveau de la procédure) il sera recherché une
congruence :
• entre les moments décrits comme les plus traumatiques et les thèmes
du syndrome de répétition. Par ailleurs, ce qui est traumatique pour
l’un ne l’est pas forcément pour l’autre ; ce qui peut apparaître comme
particulièrement marquant pour l’interlocuteur n’est pas forcément ce
qui a eu le plus d’impact traumatique sur le mineur ;
• entre les symptômes névrotiques post-traumatiques (TOC et phobies) et
les faits ; Par exemple comportements ritualisés de lavage des dents
ou vomissements suite à des faits de fellation, rituels de lavages
pluriquotidiens interrogeant le thème de la souillure... Évitement des
rues obscures à la tombée de la nuit (lieux évoquant le lieu des faits).
Nous rappelons qu’il s’agit de symptômes pseudo-névrotiques. Le terme
de « pseudo » renvoie à l’aspect post-traumatique, ces symptômes sont
en lien direct avec les faits, ils ne sont pas issus d’un mécanisme de
refoulement comme les symptômes névrotiques traditionnels ;
L’ AUDITION JUDICIAIRE DU MINEUR VICTIME D ’ AGRESSION SEXUELLE 151

• entre le dysfonctionnement familial et les faits. Classiquement des faits


d’agression intra-familiaux n’arrivent pas « comme un cheveu sur la
soupe », ces faits résultants d’un dysfonctionnement de l’ensemble du
système ;
• entre les faits et leurs conséquences attendues. Un syndrome psycho-
traumatique n’est pas systématique post-agression, mais la vigilance
sera de mise si des faits sont présentés comme traumatiques aux dires
de la victime et qu’aucune conséquence sémiologique n’est retrouvée
dans les suites de ceux-ci. Des décrochages (tels que décrits plus haut)
au moment de l’évocation des faits, doivent correspondre à un syn-
drome psycho-traumatique retrouvé dans l’entretien. Des suspensions
de paroles dans le descriptif des faits (sans trouble neurovégétatif
les précédant) non associées à un PTSD typique laissent supposer
une hyperexpressivité (et donc une construction). Ce ne sont pas des
décrochages, ce sont des silences évitant et expressifs inducteurs pour
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l’interlocuteur. Ils sont généralement suivis de propos expliquant ces
mêmes silences en terme d’impact psychique coupant les paroles :
« c’est trop dur à dire... » ;
• entre les différents symptômes allégués post les faits. Ils doivent être
typiques dans leur mode de verbalisation et leurs contenus suffisamment
détaillés ;
• entre le début des symptômes psychiatriques post les faits et les faits. La
durée de latence de leur survenue doit attirer l’attention. Les symptômes
surviennent le plus souvent dans le mois qui suit les faits, rarement
trois mois, exceptionnellement un an, jamais 10 ans. Certains diront que
« jamais » n’est pas possible en clinique, pourquoi pas, mais alors nous
devons nous interroger ;
• entre le mode opératoire et les éléments de comportement de l’auteur
avant les faits (rarement décrits par l’enfant du primaire). Les faits
d’intrusion dans l’espace intime, géographique, amical de la victime
(fouiller les affaires, le portable, lire le journal intime, rentrer dans
la salle de bain, interrogations multiples sur les relations sexuelles
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

avec copains ou copines...), précèdent en général l’intrusion sexuelle


proprement dite. La répétition des faits s’accompagne d’un rituel mis
en place par l’auteur présumé, qu’il est nécessaire de rechercher auprès
d’autres victimes éventuelles. Plus ce rituel s’est installé rapidement
après le premier contact (quelques semaines), plus il y a de risque qu’il
y ait d’autres victimes antérieures ou concomitantes ;
• entre la force des mots et la situation alléguée : dans une agression,
l’auteur « pousse » mais « n’effleure pas », l’auteur « exige » mais ne
« demande pas »....
Nous conseillons à l’expert de ne pas faire référence à la crédibilité ou
non (rapport Viout) de la victime examinée, c’est l’affaire de l’enquête
et des conclusions de celles-ci. Tout au plus, il pourra conclure que le
152 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

discours de la victime est comparable dans sa forme, à celui des enfants


qui ont vécu ces événements dans leur réalité.

C ONCLUSION
L’audition du mineur est un exercice difficile qui ne s’improvise pas ;
il s’apprend.
Le respect des consignes concernant le recueil de la parole est l’étape
indispensable pour une audition de qualité, sans laquelle, toute évaluation
du discours est impossible. Cette évaluation ne décrétera pas la crédibilité
ou non de la déposition, elle sera au service de l’entretien en pointant les
précisions à obtenir.
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Chapitre 13

FAUSSES ALLÉGATIONS,
VÉRITÉ DU SUJET
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Jean-Luc V IAUX

« FAUSSES ALLÉGATIONS » sont invoquées essentiellement dans


L ES
le cadre des accusations d’abus sexuel et quand un procès pénal vient
montrer qu’un enfant aurait menti. Des propos médiatisés et des sites
associatifs essayent d’accréditer l’idée que de très nombreuses personnes
seraient victimes de ces fausses allégations, alors que la réalité est mal
connue. Dans les statistiques judicaires une plainte infondée fait partie du
vaste lot des plaintes classées qu’elles soient le produit d’un mensonge
ou invérifiables et les statistiques de victimisation (INSEE, ONDRP) ne
comportent pas de chiffres sur ce qui n’est pas une victimisation... Rappe-
lons que le nombre d’enfants maltraités ou victimes de violences (toutes
confondues) est inconnu précisément, faute de remontées cohérentes
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

auprès de l’ONED des données recueillies par les services de protection


de l’enfance. Ceux qui affirment que, depuis 2005 (affaire dite d’Outreau),
beaucoup moins d’enfants victimes de violences sexuelles sont écoutés
s’appuient sur leur intuition et des allégations... fausses.
Pour autant la question cruciale de décrypter les accusations fondées de
celles qui ne le sont pas se pose et, si elle n’a pas de réponse scientifique
précise, elle doit être gérée avec tact et clinique. Ce n’est pas au clinicien,
même en mission d’expert, mais à la justice de déclarer ce qui est
judiciairement recevable : La clinique est toujours au service de la vérité
du sujet et non de « la » vérité : un mensonge, voire une mythomanie
active, correspond à des mécanismes psychiques, qui pour le sujet ont un
sens et une dynamique, et c’est cette vérité-là qui est utile de mettre à
jour, afin qu’apparaisse, à ceux dont c’est la charge d’en décider, ce qui
est socialement et judiciairement recevable. Un enfant qui a été manipulé
154 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

par un adulte pour en accuser un autre a certes proféré éventuellement


un mensonge dont il est plus ou moins dupe, mais pour cela il a bien été
victime... mais du manipulateur. La question « les enfants mentent-ils ? »
est peut-être intéressante sur le plan moral, mais sans consistance du point
de vue de la clinique, laquelle a en charge les représentations conscientes
et inconscientes du sujet, et qui porte son regard sur le développement du
sujet et le contexte relationnel dans lequel il vit.

Q UE NOUS APPRENNENT LES RECHERCHES


SUR LES « FAUSSES ALLÉGATIONS » ?
La seule recherche française sur des fausses allégations, dans le cadre
limité aux contentieux de divorce, sur la base d’une analyse des données
de 30 000 dossiers judiciaires, a été faite par nous-mêmes en 2001-2002
pour le Ministère de la Justice. Elle a été produite dans un moment où
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des articles un peu sensationnels soutenaient la multiplication des fausses
allégations pour exclure un parent (le père...) de la vie de l’enfant. Cette
recherche a montré que c’était un phénomène rare dans ce contexte (dans
1 à 2 dossiers pour 1 000) et que la littérature scientifique de l’époque sur
le sujet était succincte.
La situation n’a guère changé 15 ans après cette étude : la consultation
des bases de données Elsevier et Cairn.info montre que moins d’une
dizaine d’articles en langue anglaise, et encore moins en langue française,
abordent ce sujet depuis 2000, parfois indirectement. La plupart des
travaux sur la fiabilité de la parole de l’enfant datent des années 1980 à
1990 et se sont surtout orientés sur la question des « faux souvenirs »,
qui impliquait que des enfants puissent croire sincèrement avoir été
victimes alors qu’ils avaient été manipulés pour cela. On peut citer ici
les publications de Van Gisjeghem (1992), Loftus et Ketcham (1994),
Ceci et Bruck (1998). Parallèlement d’autres auteurs ont pu montrer que
l’enfant est un bon témoin, ne parle pas spontanément de faits sexuels si
on ne le lui suggère pas. La question du pourcentage de fausses ou vraies
accusations d’abus sexuel ne préoccupe pas les chercheurs et aucun article
depuis 10 ans n’a soulevé cette question.
Everson et Boat (1988) ont listé un série d’études dans lesquels les
pourcentages de fausses allégations vont de 6 % à presque 50 % mais les
populations étudiées comprennent de 500 à 11 sujets... or c’est dans les
études où le nombre de sujets est le plus faible que les fausses allégations
sont les plus nombreuses (10 cas sur 18 dans une étude, 2 % sur 576
plaintes dans une autre...) ! Hayez et De Becker (1997) indiquent que
dans une population d’enfants se disant victimes, 3 à 8 pour cent de
déclarations sont fausses alors qu’une étude australienne (T. Brown et al.,
2000), portant sur 200 dossiers de divorce dans lesquels il est question de
mauvais traitements, constate que les fausses allégations d’abus sexuels
ne sont pas plus nombreuses dans les cas de divorce que dans d’autres
circonstances (9 %).
FAUSSES ALLÉGATIONS , VÉRITÉ DU SUJET 155

L’absence de clarté de ces études ne permet donc que d’affirmer qu’il est
dépourvu d’intérêt de polémiquer sur les fausses allégations ou l’absence
d’écoute des enfants sur la base de pseudo-statistiques ou à coup de
pseudo-vérités, ce qui est une curieuse façon de s’intéresser au mensonge...
Bruck et Ceci (2002) qui ont fait de nombreuses expériences sur la façon
dont les jeunes enfants se soumettaient ou résistaient aux suggestions
insistent sur le fait que, dans des conditions de laboratoire, on peut analyser
si telle part d’un entretien comportant des suggestions a influé sur les
éléments fournis par un enfant, mais, dans la vie réelle, on ne peut pas
savoir si le témoignage de l’enfant a été déformé par des suggestions ou,
plus exactement, ce qu’une entrevue un peu suggestive a détérioré dans
le récit de l’enfant, surtout quand l’enfant a répété plusieurs fois son récit.
Si un récit falsifié contient plus de détails spontanés, agressifs et surtout
plus de réminiscences qu’un récit authentique, il n’y a pas cependant de
distinction absolue possible
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Ce que la littérature nous apprend, en fait, c’est que des enfants peuvent
produire des fausses allégations, mais que la plupart du temps ils ne le font
pas quand ils ont été victimes, et que le détecteur de mensonge n’existe
pas...
Et donc, pour démêler le sens d’une allégation d’abus sexuel, il faut
se fier avant tout à la clinique, ses outils, et à la neutralité du clinicien.
De Becker (2007), qui défend la clinique du doute et rappelle la non-
infaillibilité des professionnels, affirme qu’il ne s’agit pas de croire ou ne
pas croire mais de ne pas s’identifier :

« Rappelons que la certitude d’un “je te crois” à l’emporte-pièce est


dommageable par la suppression de cet entre-deux qu’introduit le langage.
L’attitude fusionnelle développée par l’intervenant qui enferme l’enfant
dans son discours, son allégation, comporte en elle-même une autre
menace, tout aussi maltraitante potentiellement ».

L ES FAUSSES ALLÉGATIONS CHEZ DES ENFANTS :


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

UN SCÉNARIO ET DES SITUATIONS


Quand un enfant mineur de parents séparés se met à accuser son père
ou son beau-père ou un autre membre de la famille d’abus sexuel, l’affaire
est plus complexe sur le plan du traitement judiciaire que la plainte
pour viol ou agression dans un cadre simple : la procédure pénale va
intervenir sur les relations familiales, et être infiltrée par la procédure
civile (s’agit-il d’une fausse accusation pour se « débarrasser » d’un
père ?). Notre recherche sur des dossiers 1999-2000 montre que les JAF
ne sont pas dupes de l’objet de ces procédures et, sauf dans des dossiers
très exceptionnels : soit ce dont se plaint l’enfant est possible à établir
par une enquête pénale assez rapidement convaincante, soit ce n’est pas
établi et les enfants retrouvent le plus souvent des liens avec la personne
mise en cause. Et puis il y a quelques dossiers où la personnalité de
156 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

chacun des parents va emporter aussi bien la justice que les experts
dans un tourbillon de contradictions dont – comme nous l’avons montré
dans le rapport précité – le fondement est très souvent l’absence d’une
méthodologie cohérente dans l’audition et l’examen de l’enfant, ce qui
rend vite impossible la détection de l’authentique souffrance d’un enfant.

Le scénario type de la fausse allégation d’abus sexuel.


Un enfant, dont les parents sont en conflit, va mal : le dimanche soir quand il
revient de chez son père il est soit très excité, soit très muré dans le silence.
À l’inquiétude de sa mère, déjà angoissée de le voir aller chez cet homme
dont elle s’est séparée, il n’oppose qu’une résistance passive à décrire « ce
qui ne va pas ». Il est donc pressé de questions. Ainsi dans un PV relatant la
plainte d’une mère, cette phrase : « au mois de mars il m’est apparu bizarre,
je l’ai interrogé plusieurs fois » ; en mai, elle porte donc plainte contre le père
après deux mois de « travail ».
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Du coup l’enquête pénale et les auditions de l’enfant sont (souvent)
orientées vers la vérification1 des allégations (« mais tu as dit à ta mère
que »), et non l’écoute sans préjugé de l’enfant. Dans le scénario qui
s’organise tous les détails font mouche : l’agencement de l’appartement,
le verrou de la salle de bain, les traces physiques supposées probantes (« il
avait l’anus un peu irrité »), le mode de vie du parent accusé (« il fréquente
des hommes qui... »). Des paroles de l’enfant, qui témoigneraient d’une
crainte, sont sur-interprétées. L’angoisse de l’enfant devient le signe
probant, au sens unique de confirmation, en oubliant l’angoisse que génère
le conflit de loyauté. La conviction qu’il s’agit d’abus sexuel va surgir soit
d’un mot soit d’un comportement sexuel de l’enfant (remarque sur son
sexe, pudeur excessive, masturbation, propos ou autre geste à connotation
érotique). Le tout va être conforté par un professionnel (médecin de
famille, thérapeute, éducateur) à qui il va être dit dans l’ordre : qu’un
abus est soupçonné ou probable, que l’enfant a dit et fait cela, qu’il montre
un malaise ou tel signe somatique depuis longtemps et spécialement au
retour de chez l’autre parent. Après quoi le témoin, dûment informé de ce
qu’il faut voir, interprétera des signes ou des paroles que l’enfant a non
pas « appris », mais construit en réponse à des inquiétudes parentales2.
Même les professionnels peuvent se faire influencer par ces scénarios.
Cela s’appelle l’effet Rosenthal : si on dit à quelqu’un, alors que l’on
détient une place d’autorité, qu’il va observer très probablement un
phénomène, il y a toute chance que ce phénomène soit observé. Or dans
notre société, la mère demeure la principale éducatrice de l’enfant : qui
soupçonne a priori une mère de n’être pas la plus « protectrice » pour

1. Cela dépend, bien sûr, de la formation des intervenants...


2. Inquiétudes pas toujours infondées : l’inceste existe plus qu’on ne croit, moins qu’on
ne le sait.
FAUSSES ALLÉGATIONS , VÉRITÉ DU SUJET 157

son enfant ? L’existence d’une plainte pénale, qui est forcément traitée
(comment prendre le risque de laisser un enfant aller chez un potentiel
agresseur ?) fait effet de renforcement du scénario puisqu’elle accrédite
pour l’enfant l’idée qu’il était bien en danger. Le scénario repose en effet
sur une interprétation unique du malaise de l’enfant qui subvertit toute
autre hypothèse, avec cet argument d’autorité définitif que quiconque n’y
croit pas est complice d’un pédophile. Ce scénario se rencontre aussi dans
d’autres cas que les conflits de séparation, il suffit qu’il s’agisse d’une
accusation contre un proche (famille, voisin, professionnel...).
Nous ne traiterons pas ici de la façon de mener un entretien et un
examen clinique de l’enfant pour déjouer ces scénarios1 , mais rappelons
que toute la technicité possible ne vaut que ce que vaut la capacité
du praticien à se montrer aussi bon criminologue que clinicien pour
reconstituer une ambiance, une construction de situation, et non pas
seulement tirer d’une parole, d’un dessin ou d’un test une conclusion
définitive de « vérité » en termes de « tel effet a forcément telle cause ».
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Un autre cas possible de fausse allégation est celle des enfants qui
peuvent être, sans incitation de personne, poussés par leur imaginaire
pulsionnel du fait de leur histoire.

Ainsi Aline 9 ans, qui vient de perdre sa mère, accuse son grand-père
maternel de lui montrer des revues pornographiques et de l’avoir violée.
Ses déclarations sont très discordantes et non conformes au constat médical
de sa virginité : elle décrit des pénétrations vaginales répétées alors qu’un
examen médico-légal infirme par deux fois qu’elle ait pu être pénétrée, ce qui
n’a nullement impressionné deux experts successifs Puis, Aline est placée
en famille d’accueil pour la mettre à l’abri du conflit familial dont elle est
l’enjeu. À 11 ans, elle va cette fois accuser son père de viols. Aline a été
décrite par les experts comme « mature » et maîtrisant la notion de sexualité
et donc crédible ! Pourtant cette petite fille soi-disant mature répond ceci à
une question de l’OPJ qui l’interroge :
« Son pénis, il l’a mis que dans ta bouche ou il l’a mis ailleurs ? »
Aline : Là (elle désigne son sexe) puis là (elle désigne sa bouche)
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Question : « Quand tu dis là (désignant son sexe), c’est où ? »


Aline : « Dans le pénis »
Question : « Dans ton pénis à toi ? » – Elle confirme de la tête tout en disant
« et après là » en désignant de nouveau sa bouche.

Donc cette petite fille ne connaît pas de mot pour désigner son propre
sexe, ce qui n’est pas à l’évidence signe de maturité sexuelle. Le magazine
« pornographique » s’avère être « Femme Actuelle », dans lequel il y
a souvent des articles sur la vie de couple qui ont pu faire fantasmer
cette enfant orpheline de mère... Et de nombreux témoins, familiaux et
professionnels, vont pendant les deux ans de procédure rapporter des

1. Voir sur ce sujet Viaux 2002, 2015.


158 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

falsifications non négligeables : par exemple Aline dit que des cousins
se sont battus lors de la fête de Noël alors qu’ils n’ont pas fêté Noël
ensembles, ou encore que son père s’est fait expulser de son école, où
aucun enseignant ne l’a jamais vu. Il suffit de mener un entretien très
peu interrogatif avec Aline pour lui permettre de déployer sa mythomanie
– c’est-à-dire son adaptation à ce qu’elle croit être l’attente de l’adulte,
puisque certains l’ont cru.
Ce qu’il y a derrière ces accusations et cette efflorescence mythoma-
niaque à thématique sexuelle est ceci : Aline est la fille de deux personnes
qui n’ont pu former un couple à l’adolescence, chacun ayant eu par ailleurs
un mariage et des enfants. Aline est née comme une enfant « réparation »
à l’âge où ses parents devenaient grands-parents. Devenue orpheline très
tôt d’une mère à laquelle elle n’a pas eu le temps de s’identifier, elle est
l’enjeu d’un conflit entre son père et son grand-père maternel (qui était
opposé à ce que sa fille s’allie à cet homme) : Aline, étayant sa curiosité
sexuelle sur des histoires de couples lues dans un magazine, fantasme sur
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le mode œdipien le sens sexuel de ce conflit dont elle est l’enjeu, qu’elle
a entendu comme enjeu de désir. Mais, poussée maladroitement par les
projections des adultes en conflit à propos de sa mère dont elle est la
seule « représentation », ce fantasme de désir devient une pseudo-réalité
sexuelle.
Rien de ces fabulations n’est en soi étonnante si on a retenu la leçon
freudienne, si on sait laisser un enfant s’exprimer et lire un dossier. Ce
qui pose problème n’est pas la fabulation de l’enfant, c’est ce qu’on en
entend, c’est l’absence de méthode et l’adhésion à un discours littéral
quand il appartient en particuliers aux cliniciens psy ou éducateurs de sans
cesse replacer une parole dans un contexte signifiant en tenant compte du
développement de l’enfant.
Sans être exhaustifs nous soulignerons deux sources d’erreur les plus
fréquentes dans l’interprétation des comportements et paroles d’enfants.
• Le comportement sexuel d’un enfant comme indicateur d’un abus dont
il serait victime a été étudié par K. Drach et al. (2001) : 247 enfants
(âge moyen 5,9 ans, 62 % de filles) sont évalués, à la fois par des
tests et par des professionnels rompus à cet exercice, dans une clinique
où l’on pratique des expertises multidisciplinaires : 25 % des enfants
avaient été victimes d’abus sexuels et 61 % ne sont pas des victimes.
La grande variabilité de l’évaluation clinique et des scores aux échelles
concernant les symptômes sexuels conduit au constat qu’un score élevé,
ou un score bas n’ont pas de relation avec un diagnostic d’abus sexuel :
contrairement à une idée répandue les manifestations de sexualité chez
les enfants prépubères ne sont pas la révélation à coup sûr d’abus
sexuel.
• L’enfant peut-il être suggestionné sur des événements non vécus et
des professionnels et des non-professionnels peuvent-ils détecter que
le récit de l’enfant est suggestionné ? Goodman et al. (2002) ont
FAUSSES ALLÉGATIONS , VÉRITÉ DU SUJET 159

enregistré des entretiens avec des enfants de 7 et 10 ans, contenant


des questions sexuellement tendancieuses à propos d’un événement non
sexuel survenu 4 ans plus tôt. Les enfants ont en général bien résisté
aux suggestions évoquant un abus et aucun ne se déclare victime, mais
on note quelques déclarations pouvant inquiéter dans un contexte de
soupçon. On présente ces entretiens comme appartenant à une enquête
en cours à des professionnels et des non-professionnels qui doivent noter
la qualité des déclarations de l’enfant ainsi que la probabilité qu’il y ait
eu abus sexuel : professionnels et non-professionnels se sont montrés
incapables d’évaluer de façon fiable l’exactitude des déclarations des
enfants. Si les professionnels sont significativement moins susceptibles
que les non-professionnels de croire à la véracité de l’abus, il y a un
lien entre leur évaluation et le fait qu’ils aient évoqué une expérience
personnelle d’abus sexuel ou une relation proche avec une victime :
dans ce cas ils sont plus susceptibles d’évaluer les enfants comme
victimes. En d’autres termes, non seulement un interrogatoire suggestif
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peut introduire dans le discours de l’enfant des éléments, sinon précis
du moins douteux (cf. les expériences « Sam Stone » in Ceci, Bruck,
1998) mais ces éléments douteux risquent d’être sur-interprétés par les
adultes, et le fait de savoir que le contexte est médico-légal influence
fortement l’évaluation. Cela participe du scénario et de l’effet Rosenthal
induit par la conviction d’un parent accusateur.
La réponse à la question « l’enfant ment-il ? » est simple : très peu
sur des affaires d’abus, mais cela peut arriver soit parce qu’il en reçoit la
suggestion, soit parce qu’il a un intérêt de curiosité sexuelle, soit encore
parce qu’il protège quelqu’un (voire les trois à la fois !) : un enfant de 8
ans emmené aux urgences parce que saignant de l’anus a ainsi « baladé »
la justice pendant plusieurs semaines en laissant accuser son père, puis...
un chien, puis en faisant le récit fantastique de son enlèvement par un
homme masqué ! Avant d’admettre au cours de notre troisième rencontre
qu’il a joué avec deux copains à « se mettre des bâtons dans le cul » –
mais il ne voulait pas dénoncer son copain.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Une fois les leçons tirées des biais possibles de nos évaluations, tout
reste affaire de savoir-faire clinique et de technicité dans l’audition de
l’enfant pour comprendre ce qu’il veut nous dire ou de qui il détient sa
parole.

D ES ADOLESCENTS ENTRE SOUFFRANCE


ET MANIPULATION

« La probabilité est également augmentée avec certains adolescents (par-


fois enfants) qui semblent se structurer sur un mode psychopathique,
animés d’une haine destructrice à l’égard d’un adulte en particulier.
La fausse allégation peut aussi être constituée d’un savant mélange de
significations dramatisées, de fabulations et de mensonges, lorsque le
160 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

jeune est traversé de désirs intenses et contradictoires, d’une pulsionnalité


débordante, d’angoisse et de culpabilité. Par projection sur l’autre, le jeune
tente de soulager une partie de sa culpabilité et de maîtriser l’angoisse liée
aux pulsions multiples dont il est animé ». (De Becker 2012).

L’hystérie peut tout autant jouer le même rôle que la structuration


psychopathique dans la construction d’une fabulation chez les adolescents,
comme en témoigne le cas suivant.

De Valérie, jeune adulte de 19 ans, enceinte de huit mois, nous notons


rapidement les traits hystériques, soutenus par un épisode indiscutable de
conversion (pseudo-paralysie des membres inférieurs) et une histoire de
famille compliquée avec de nombreux aller-retour du couple parental qui
se sépare et se remet ensemble, sur fond de violences, alcoolisme, et vie
sexuelle instable et quasi incestueuse. Valérie a eu des relations sexuelles
consenties avec le compagnon de sa mère, pour se venger de ce que
sa mère lui avait « pris » : son premier partenaire sexuel... Récemment,
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Valérie a porté plainte contre son père pour viol : elle raconte à un OPJ, une
progressive séduction jusqu’à des coïts quand elle allait avoir 15 ans. Elle
dit avoir eu ses premières relations sexuelles consenties avec un copain
à la fin de sa 15e année. Sauf qu’elle avait tout juste 15 ans quand nous
l’avions rencontrée pour la première fois parce qu’elle était en errance, hors
de contrôle de toute autorité parentale : elle était venue seule avec le copain
chez qui elle vivait, avec l’accord de sa mère... À l’époque, la problématique
œdipienne, les traits hystériques étaient tout aussi patents : l’épisode de
conversion datait de l’année précédente, et si l’agressivité contre un père
violent, qu’elle ne voyait plus, était manifeste, c’était sans allégation d’abus
sexuel. Bref toutes les hypothèses cliniques étaient recevables : véritables
initiations sexuelles, organisation hystérique sur fond de fantasme séducteur,
hystérie après traumatisme de l’inceste ? D’autant que cette jeune femme
très immature expliquait de façon naïve comment sa mère lui avait fait faire
la lettre de « dénonciation » de son père, avec qui, depuis notre première
entrevue, elle avait justement noué des liens... affectueux. La « vérité » de
cette adolescente gisait quelque part entre désir et interdit, et le besoin
impérieux d’être sur le devant d’une scène lui avait fait choisir la scène
judiciaire, dont elle était coutumière puisque suivie toute son enfance par le
juge des enfants.

On connaît le renoncement de Freud à la « neurotica », c’est-à-dire à


tenir pour réels des faits d’agressions sexuelles dans l’enfance rapportés
par ses patientes1 . Il n’y a rien d’étonnant à constater que dans ces
cas complexes, la vérité judiciaire sur le mode attributif-rétributif va
fonctionner assez mal : peut-on demander à la justice d’attendre que le
sujet ait fini son analyse pour établir la vérité des faits ? Laquelle vérité
est en équilibre sur un fil tendu entre la séduction réelle et sexualisée,
subvertie par le fantasme œdipien, et un désir non moins réel d’initiation

1. Freud est donc le premier à démontrer l’un des mécanismes des « faux souvenirs »...
FAUSSES ALLÉGATIONS , VÉRITÉ DU SUJET 161

sexuelle précoce. Mais si, au lieu de chercher une vérité judiciaire, on


s’intéresse à la souffrance exprimée par le sujet et aux objets psychiques
qu’il manipule dans son discours, alors la vérité du sujet nous mettra sur la
voie de ce qu’il est utile de faire savoir de cette souffrance et du discours
qu’elle produit.
Lors de séparation parentale, certains adolescents vont accuser de toutes
sortes de violences le (ou les) nouveaux conjoints de son (ses) parent(s),
pour se donner prétexte à ne plus voir leur parent, moins par détestation
réelle des dits conjoints mais pour espérer inconsciemment approcher son
parent œdipien, fantasmatiquement disponible du fait de la séparation, s’il
n’y avait ce gêneur de nouveau conjoint.
L’autre grande figure de la falsification adolescente est le ressentiment,
après blessure narcissique, qui va muer le désir d’identification en haine
de l’autre ou plus exactement en haine de Soi dans l’autre. Dans la
falsification de la réalité vécue, l’adolescent(e) essaye moins de détruire
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l’autre pour ce qu’il est que de s’effacer de la scène où il fut désiré, tant
ce désir lui paraît destructeur.

Ainsi Pamela accuse un homme qui a vécu avec sa mère jusqu’à ce qu’elle ait
environ 13 ans, de l’avoir violée et de l’avoir prostituée à ses voisins. Quand
Pamela a 16 ans, elle est expulsée de chez sa mère et choisit de vivre chez
cet homme plutôt que chez ses grands-parents. Quoiqu’elle prétende avoir
été « séquestrée » par lui, elle allait au lycée et a même eu des liaisons
sexuelles avec des pairs d’âge, comme depuis le début de son adolescence.
S’il y a eu séduction précoce de cette jeune fille par le compagnon de sa
mère, elle a fait le choix de rester avec lui, et finit par le reconnaître, puis de
« se venger » en falsifiant une partie de la vérité, notamment en accusant
d’autres personnes. C’est bien Soi en l’Autre qui est visé : elle a bien eu
un désir d’alliance, envers un « père » - et aussi la culpabilité de ce désir ;
elle a éprouvé l’insupportable rivalité avec une mère dont elle reproduisait
le couple. C’est pour masquer avoir été un temps séduite-séductrice qu’elle
se survictimise, pour attaquer un homme qui lui, a reconnu les faits sexuels,
son désir et la faute.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les adolescents qui accusent, dans des situations complexes, un de


leurs proches, doivent être abordés avec prudence : ils concentrent pour
un temps plus ou moins long le maximum de préoccupations sexuelles
et identitaires avec la plus grande culpabilité de leurs propres désirs.
Obnubilés par la question du sexe agressif les intervenants oublient parfois
de (s’)interroger sur la question du désir, et de l’enlacement narcissique
du désir adolescent : le besoin d’élation par le regard de l’autre pour
solidifier son Moi et son estime de soi amène en ces temps victimaires plus
facilement à se plaindre, non en réalité d’avoir subi un rapport sexuel, mais
de ne pas avoir été désiré(e) ou d’avoir accepté un désir inavouable – sauf
que socialement ce n’est pas le désir coupable que condamne la société
mais l’usage du sexe. Les rétractations, ou aménagement de témoignage
162 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

sont d’autant plus nombreuses que l’âge des sujets leur permet d’être
considérés plus facilement qu’un enfant comme un témoin « sérieux ».
Pour les adolescents – et on le sait dans d’autres registres de « plainte »
- le temps de l’élaboration est essentiel pour comprendre de quelle plainte
et donc de quelle vérité du sujet il s’agit : les falsifications et les erreurs
sont souvent dues à la hâte de procéder à un interrogatoire formel (qui,
quoi, quand, où) au lieu d’entendre la souffrance identitaire, et leur besoin
sexuel/narcissique.
Or, d’une part, les erreurs décrédibilisent l’ensemble des authentiques
victimes, alors que, par ailleurs, on connaît le chiffre impressionnant
de viols dont ils sont les victimes, d’autre part l’illusion que le procès
judiciaire va faire du bien à l’adolescent plaignant est souvent dramatique :
l’adolescent est contraint à l’exhibition douloureuse d’une sexualité qui le
dé-narcissise et confronté à des regards ou compassionnels ou agressifs
(de son entourage) quand il (elle) aurait besoin d’étayage, de maternage,
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de désir respectueux.
Les « fausses allégations » d’enfants ou d’adolescents ne sont, en vérité,
que nos erreurs d’écoute de la vérité du sujet. Quoiqu’en pensent encore
certains esprits chafouins l’enfant a une sexualité et a besoin de l’exprimer
et c’est en l’éduquant à l’exprimer qu’on le protège contre les agresseurs
réels ou imaginaires, ce qui rend plus aisé de ne pas confondre vérité du
désir et agression par le sexe.
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LA PAROLE DE L’ENFANT
PARTIE 5

AU CIVIL
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Chapitre 14

LA PAROLE DE L’ENFANT
DEVANT LE JUGE AUX
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AFFAIRES FAMILIALES
Marc J USTON

I NTRODUCTION
Face à la parole de l’enfant qui est devenu le personnage central de
la famille, la problématique du juge aux affaires familiales, dans une
situation de conflit familial, réside dans la difficile conciliation entre :
• d’une part, le droit à la protection de l’enfant qui positionne l’enfant
comme objet de droit ;
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• d’autre part, le droit de l’enfant à exprimer son opinion qui le place


comme sujet de droit.
Dans les procédures de séparation familiale, la place de l’enfant s’inscrit
dans une sorte de paradoxe :
• d’un côté, la nécessité de faire émerger la parole l’enfant ;
• et dans le même temps, le besoin de protéger l’enfant des conséquences
de sa parole.
Sujet de droit, l’enfant a longtemps été réduit au silence, sous couvert
de la protection dont il faisait l’objet.
Le droit positif a cependant pris en considération la personnalité
de l’enfant, lui conférant depuis plus de trente ans, de plus en plus
d’autonomie, au travers de réformes inspirées de l’idée que le respect
166 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

de la personne de l’enfant devait conduire à ce que son intérêt soit pris en


compte.
La convention internationale relative aux droits de l’enfant dite de New
York du 26 janvier 1990 a consacré un véritable droit à la parole pour
l’enfant. Elle insiste sur le fait que les décisions qui concernent l’enfant,
dans le cadre des séparations parentales, doivent tenir compte de l’intérêt
supérieur de l’enfant, celui-ci pouvant demander à être entendu par le juge
lors de la séparation de ses parents. Les parents doivent, dans la mesure
du possible, associer l’enfant aux décisions qui le concernent. Les parents
et l’État doivent être attentifs au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant.
Le mouvement de libération de la parole de l’enfant a depuis continué
son évolution, allant jusqu’à une consécration en droit positif par la loi
du 8 janvier 1993, l’art 388-1 code civil disposant que « désormais, dans
toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement peut (...)
être entendu », l’audition de l’enfant lorsque celui-ci en fait la demande
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ne pouvant être écartée que par une décision spécialement motivée.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance marque
une nouvelle étape. Elle dispose notamment que « l’audition de l’enfant
capable de discernement est de droit quand il en fait la demande ».
Ce droit à la parole de l’enfant n’est pas sans poser question, tant
l’équilibre est difficile à atteindre entre le respect du droit à la parole de
l’enfant et la nécessaire protection dont il doit faire l’objet.

L ES DISPOSITIONS LÉGALES
Le droit de tout enfant capable de discernement
à être entendu
Tout enfant est légalement reconnu comme sujet de droit. La loi vise à
encourager l’audition, voire à systématiser l’audition de l’enfant.
L’art 388-1 du code civil donne à l’enfant, capable de discernement, le
droit d’être entendu dans toute procédure le concernant, s’il le souhaite,
tout en lui garantissant la possibilité de refuser une audition demandée par
l’autorité judiciaire ou par un ou les deux parents.
Dans toute procédure concernant un enfant, le juge aux affaires fami-
liales doit s’assurer que l’enfant a été informé de son droit d’être entendu
et d’être assisté d’un avocat.
Pour ce faire, le juge aux affaires familiales adresse, avec la convocation
aux parents, une notice demandant aux parents d’informer leur enfant qu’il
a le droit d’être entendu, et à l’audience, le magistrat doit vérifier auprès
des parents que cette information a été donnée à l’enfant. Dans certains
tribunaux, des avocats produisent des attestations sur l’honneur des
parents indiquant qu’ils ont informé leur enfant, d’autres le mentionnent
simplement à l’audience ou dans leurs conclusions.
Dans sa décision, le juge devra mentionner que l’enfant a été informé
par ses parents, titulaires de l’autorité parentale, de son droit à être entendu.
LA PAROLE DE L’ ENFANT DEVANT LE JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES 167

Pour être auditionné, l’enfant doit être doué de discernement. Cette


capacité n’est pas qu’une question d’âge, même si le juge sera plus prudent
sur cette notion à l’égard d’un enfant de 5 ans qu’à l’égard d’un adolescent.

Le compte rendu d’audition de l’enfant


Le décret du 20 mai 2009 (art 338-1 à 338-12 code de procédure civile)
relatif à l’audition de l’enfant en justice, commenté par la circulaire du
3 juillet 2009 de la Direction des affaires civiles et du sceau précise les
conditions d’application de l’art 388-1 code civil.
Deux questions principales se posent :
• par qui est recueillie la parole de l’enfant ?
• de quelle manière est transcrite la parole de l’enfant ?

Concernant la personne chargée de recueillir la parole de l’enfant, l’art


338-9 code de procédure civile dispose que « lorsque le juge estime que
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l’intérêt de l’enfant le commande, il peut désigner pour procéder à son
audition une personne qui ne doit entretenir de liens ni avec le mineur ni
avec une partie. Cette personne doit exercer ou avoir exercé une activité
dans le domaine social, psychologique ou médico-psychologique ».
En règle générale, le juge aux affaires familiales se charge lui-même
de procéder à l’audition. Le mineur peut être assisté d’un avocat, qui la
plupart du temps est désigné par le Bâtonnier sur demande du juge.
S’agissant de la manière dont est transcrite la parole de l’enfant, l’art
338-12 code de procédure civile précise que « dans le respect de l’intérêt
de l’enfant, il est fait un compte rendu de cette audition. Ce compte rendu,
qui peut être oral ou écrit, est soumis au respect du contradictoire ».
Le compte rendu qui doit être porté à la connaissance des parents et de
leurs conseils, n’est pas un procès-verbal d’audition.
Relativement au contenu de ce document, les pratiques les plus variées
des juges aux affaires familiales ont cours.
Le dit compte rendu peut consister en une synthèse rédigée par le
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

juge dans le secret de son cabinet, après audition du mineur, le magistrat


décidant de lui-même d’indiquer ce qui lui paraît essentiel et ce qui ne
l’est pas, ou ce qui est conforme à l’intérêt de l’enfant et ce qui ne l’est
pas.
À l’opposé, le compte rendu peut être un véritable procès-verbal
d’audition reprenant l’ensemble des déclarations du mineur, le juge
pouvant être assisté du greffier.
Toutes les variantes sont envisageables, notamment par exemple une
rédaction conforme à une entente entre le juge et le mineur sur la
formulation de ses dires, ou une transcription portant uniquement sur
les propos que le mineur est disposé à dire à ses parents.
L’approche de l’audition peut de plus être différente selon les magistrats
Certains souhaitent poser au mineur des questions précises pour les aider à
168 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

la prise de décision, d’autres utilisent l’audition pour permettre à l’enfant


de s’exprimer sur sa vie et de se faire une idée sur sa personne, sans même
lui demander son avis sur les modalités de la résidence.
Il est patent que les conditions d’accueil de la parole de l’enfant peuvent
influer sur celle-ci, et que la parole de l’enfant pourra être sensiblement
différente selon la personne qui aura entendu l’enfant et les modalités de
retranscription de la parole du mineur.
À l’évidence, l’aléa, source d’insécurité juridique, peut faire de l’enfant
la première victime d’un dispositif censé le protéger.

L A PAROLE DE L’ ENFANT : TOUTE - PUISSANCE


DE L’ ENFANT OU EXPRESSION DE SES BESOINS
L’audition de l’enfant, c’est comme la langue d’Ésope. Elle peut être,
selon les cas, la pire ou la meilleure des solutions. Il existe souvent un
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décalage entre les bonnes intentions de la loi et la réalité sur le terrain.
Certes, le divorce, la séparation des parents non mariés sont aussi
l’affaire des enfants. Mais, la systématisation, constatée actuellement,
de l’audition de l’enfant ne paraît pas être, dans nombre de situations, la
meilleure des réponses pour lui, ainsi que pour les parents.
Le droit de l’enfant à être entendu est d’autant plus important que la
plupart des juges reconnaissent que l’audition est le plus souvent utile. La
parole de l’enfant aide souvent le juge à prendre une décision.
Toutefois, la vraie question n’est-elle pas de savoir si le recueil de la
parole de l’enfant est aidant pour l’enfant ?
En s’enfermant dans le recours systématique de la parole de l’enfant,
même si l’enfant sait qu’il ne peut pas décider et qu’il ne donne qu’un
avis, il peut s’agir pour lui très souvent d’un piège qui peut se refermer
sur lui. De plus, la réalité démontre que l’avis de l’enfant fait souvent la
décision.
La pratique démontre que, dans de nombreuses situations, la parole
de l’enfant peut créer plus de conflit que de paix. Elle porte souvent
plus d’inconvénients que d’avantages, en risquant d’affaiblir l’autorité des
parents dans certaines familles, et de ce fait d’être un facteur de désordre
social. Ce pouvoir donné à l’enfant, au lieu de le structurer, de l’aider, très
souvent le fragilise et l’affaiblit.
Il existe plusieurs dangers, et le principe de précaution doit être la
règle. Le premier danger réside dans l’instrumentalisation, l’intoxication
de l’enfant par l’un de ses parents ou ses parents. C’est le risque de l’enfant
otage du divorce de ses parents, l’enfant pouvant être utilisé comme une
arme entre les mains de l’un contre l’autre.
Chaque parent peut être tenté, notamment dans les moments conflic-
tuels, de susciter une relation affective exclusive avec l’enfant, l’objectif
étant avant tout de plaire et de se faire aimer. Le risque réside aussi dans le
fait de ne pas recueillir la parole vraie de l’enfant. « Personne ne garde un
LA PAROLE DE L’ ENFANT DEVANT LE JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES 169

secret comme un enfant » dit dans Les Misérables Victor Hugo en parlant
de Gavroche.
Il convient d’être très prudent dans les conflits entre père et mère.
Comment être sûr qu’un enfant dit vrai quand il se trouve en détresse
affective et en difficultés ? Les enfants peuvent mentir aux adultes quelles
que soient les précautions que le juge peut prendre.
Un autre danger : celui de l’enfant yoyo, de l’enfant ballotté. Dans
certaines procédures, une audition est suivie d’une autre audition et encore
d’une autre. Le danger réside dans le fait qu’à partir du moment où le
juge suit l’avis d’un enfant, sa décision ne permette pas à l’enfant de se
stabiliser. L’avis de l’enfant peut être très changeant et peut dépendre des
relations plus ou moins difficiles que l’enfant pourra avoir, à un moment
donné, avec l’un ou l’autre de ses parents.
Un autre risque réside dans l’image que l’enfant aura et conservera du
monde judiciaire. La connaissance que l’enfant aura de la réalité judiciaire
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par le biais de l’audition pose problème. Faire venir un enfant dans un
tribunal pour être entendu n’est pas anodin, inoffensif et sans conséquence
sur l’équilibre de l’enfant, et ce quelles que soient les précautions prises.
Force est de constater enfin que le danger principal est de faire de
l’enfant un enfant décideur.
Dans le contexte d’une impasse décisionnelle entre ses parents, l’enfant
est devenu dans beaucoup de procédures « le décideur », celui qui tranche
les débats et celui qui prend les décisions.
Lorsqu’au moment de la séparation de ses parents, le juge suit l’avis
de l’enfant, il lui donne un pouvoir que dans la plupart des cas il ne peut
pas assumer, parce qu’il n’est malgré tout qu’un enfant, même s’il est une
personne. Il est demandé à l’enfant une maturité qu’il n’a pas. Et il est
vrai que dans nombre de situations, l’enfant est obligé de prendre parti.
Il n’est plus seulement l’enjeu, l’otage, le décideur, mais aussi l’arbitre.
Le couple est incapable de décider et s’en rapporte à la parole de
l’enfant et tente de faire de lui l’arbitre. L’enfant est tellement acteur
qu’il en devient arbitre.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les conséquences de cette situation se manifestent par le risque de


déresponsabilisation des parents, d’abdication, de démission.
À travers nombre de procédures, il ressort que les parents en souffrance
attendent de leur enfant qu’il les sécurise. L’on constate souvent une
inversion des rôles, les parents hésitent à se mettre à dos les enfants, ils
ont peur de dire non, et ce sont les parents qui ont peur d’être rejetés et de
ne pas être aimés de leurs enfants.
Les parents régressent vers l’infantilisme, et les enfants sont portés vers
« l’adultisme ».
De plus, dans le cadre de son audition, l’enfant subit souvent une
souffrance supplémentaire. Les acteurs institutionnels sont souvent pétris
de bonnes intentions alors que paradoxalement, le recueil de la parole de
l’enfant est l’occasion d’une souffrance supplémentaire pour lui, non pas
170 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

tant à cause du contenu des sentiments exprimés, qui sont très souvent très
durs, mais en raison des modalités d’écoute.
Cette souffrance, c’est alors l’institution elle-même qui la crée, avec le
sentiment d’un immense gâchis si l’on considère qu’au départ l’objectif
est louable qui veut permettre à l’enfant de s’exprimer et qui, au final
décuple sa souffrance.

C ONCLUSION
Plus que la question de l’audition de l’enfant, le challenge des avocats
et des juges aux affaires familiales, compte tenu de la multiplication
des séparations et des divorces, est de tout mettre en application pour
protéger les enfants des conflits destructeurs entre leurs parents, pour que
les enfants ne soient pas décideurs, et ce tout en respectant les dispositions
relatives à l’audition de l’enfant.
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Certes, le juge aux affaires familiales ne peut qu’être d’accord pour
réaffirmer avec force les droits de l’enfant et notamment son droit à être
entendu. Mais, il doit réaffirmer aussi la notion d’autorité parentale. Un
enfant a besoin de parents adultes responsables en face de lui, capables
de réinventer leurs rôles respectifs quand ils se séparent et d’associer
étroitement et intelligemment leur enfant aux décisions à prendre.
La notion d’autorité parentale n’est pas synonyme de domination, même
s’il n’y a pas d’éducation sans contrainte, un enfant a besoin d’adultes
responsables en face de lui.
Et le juge des affaires familiales, avec le soutien des avocats, doit
tenter d’investir ou de réinvestir les parents de leur responsabilité, dans
le respect de l’enfant, qui ne mérite jamais de supporter le fardeau d’un
conflit parental.
Comment le juge aux affaires familiales et l’avocat peuvent-ils tenter
de remédier aux dérives possibles de l’audition de l’enfant ?
Ne serait-il pas opportun, dans nombre de situations, de penser autre-
ment, de faire appel au bon sens, en aidant le père et la mère à réfléchir
ensemble, en bonne intelligence et en parents responsables, à protéger
l’enfant de leur conflit.
Il est essentiel, en amont ou pendant la procédure de séparation, de
responsabiliser les parents et de les convaincre de déconflictualiser leur
séparation, dans l’intérêt supérieur de l’enfant.
À cet effet, la médiation familiale, à partir du moment où elle est
travaillée de concert avec les avocats, les juges aux affaires familiales
et les médiateurs familiaux, est un mode d’accompagnement précieux.
Elle permet la reprise d’un dialogue parental et de respecter la parole de
l’enfant.
La parole de l’enfant ne peut être sérieusement entendue et vraie qu’à
partir du moment où des parents se respectent et se parlent, et dans ce
LA PAROLE DE L’ ENFANT DEVANT LE JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES 171

cadre, l’enfant s’il est entendu, exprimera réellement ses besoins qui
peuvent être discutés par les parents.
La médiation familiale permet de recentrer le débat autour de l’intérêt
supérieur de l’enfant.
Dans un certain nombre de situations, il est en outre intéressant
d’intégrer l’enfant en fin de médiation pour que les parents l’écoutent
en présence du médiateur familial, dialoguent avec lui et lui expliquent la
décision prise. L’enfant peut ainsi discuter avec ses parents de son choix
de vie, adapté à ses besoins.
En dehors des cas où la présence de l’enfant est possible en fin de média-
tion familiale, il est important que les acteurs judiciaires réfléchissent aux
modalités d’audition qui soient protectrices de l’enfant et respectueuses
de sa parole.
La pratique de la co-audition utilisée au tribunal de grande instance
de Tarascon, en partenariat avec l’association Résonances, est à cet effet
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intéressante. La co-audition de l’enfant, assisté d’un avocat, par le juge
aux affaires familiales et un auditeur d’enfant de formation psychologique
et médiateur familial, a été récompensée le 25 octobre 2012 à Vilnius
(Lituanie) par le Conseil de l’Europe et la Commission européenne par
l’attribution du second prix au « Prix Balance de Cristal » récompensant
les pratiques innovantes.
La co-audition est une expérience innovante en ce qu’elle permet
notamment d’envisager un travail d’équipe qui profite des valeurs de
chacune des professions et restaure une forme de collégialité. Le juge aux
affaires familiales a beaucoup à gagner à ne pas écouter l’enfant seul ou à
ne pas déléguer systématiquement l’audition à un tiers.
Sans nier que la co-audition demande au juge aux affaires familiales un
investissement supplémentaire « perdre du temps, pour en gagner », force
est de constater que réfléchir, accomplir ce travail à trois professionnels,
provenant de formations et d’horizons différents, facilite :
• une écoute affinée, réflexive et approfondie de la parole de l’enfant, et
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

une réflexion commune sur ses besoins et ses attentes ;


• une prise de conscience par les parents des besoins, de la souffrance et
des réelles attentes de l’enfant.
La synergie des compétences favorisée par la co-audition est d’une
grande richesse pour l’enfant. Elle donne de plus aux professionnels
l’opportunité de réfléchir à une nouvelle dimension de leur pratique dans
l’intérêt supérieur de l’enfant.
Dans chaque ressort, il est nécessaire que les acteurs judiciaires
engagent un travail partenarial : aider les parents à respecter les droits
de l’enfant et faire en sorte que l’enfant soit protégé, en étant le vrai
bénéficiaire de sa parole.
L’enfant n’est pas « la béquille » de ses parents. Il ne peut et ne doit
être : ni enfant Roi, ni enfant Proie.
172 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

La possibilité pour le juge aux affaires familiales d’entendre un enfant


dans un conflit qui oppose ses parents représente une avancée importante
dans la reconnaissance des droits pour l’enfant considéré comme un
individu à part entière.
L’enfant a toutefois un droit à l’enfance et les acteurs judiciaires doivent
tout mettre en œuvre pour que les parents reprennent un dialogue et que
le recueil de sa parole protège l’enfant dans le cadre des séparations
conflictuelles.
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Chapitre 15

L’AUDITION DU MINEUR
PAR DÉLÉGATION DU JUGE
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AUX AFFAIRES FAMILIALES
Une pratique à Toulouse

Jocelyne DAHAN

I NTRODUCTION
L’enfant mineur1 a aujourd’hui un statut, une reconnaissance de ses
droits par une protection qui lui est due. Le développement de la psy-
chologie de l’enfant, depuis la fin du XXe siècle a eu une incidence
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

sur cette reconnaissance et sur l’évolution du Droit, notamment par la


Convention internationale des droits de l’enfant. Mais si l’enfant a « le
droit » d’exprimer ses besoins, sa parole peut-elle faire loi dans le cadre
de la séparation de ses parents et du conflit qui les oppose ? Bien entendu,
les adultes doivent le protéger mais doivent-ils le propulser au centre de
leur conflit le mettant en position d’otage, de loyauté et en rejetant sur lui
des prises de décisions qui ne doivent pas lui incomber.

1. Cet article a été remanié à partir d’un article publié dans la revue de l’AIFI
(Association francophone des intervenants auprès des familles séparées) co-présidée
par Lorraine Filion et Jean-Louis Renchon.
174 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

En France, aujourd’hui 43 %1 des enfants de parents séparés n’ont plus


de relation avec un de leurs deux parents consécutivement à la séparation
de leurs parents.
Depuis 2007 l’enfant mineur peut demander à être entendu par le
Magistrat ou par délégation de ce dernier par un auditeur. Mais quelle
est, alors la place de sa parole ? Dans quel cadre peut-il exprimer ses
besoins, comment éviter l’influence d’un des parents, lui permettre de
sortir de cette position d’enjeu, d’otage ?
En novembre 2012 une expérience innovante a été mise en place à
Toulouse. Avec l’accord de la Chambre de la famille, les juges aux affaires
familiales ont, par délégation, demandé l’audition de l’enfant auprès de
deux associations réunies pour cette action : l’association des avocats
d’enfants (AJT2.) et celle de médiation familiale (Cerme3 .).
L’enfant était ainsi entendu, par deux auditeurs : l’un exerçant le métier
d’avocat et impliqué dans la défense des mineurs, l’autre le métier de
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médiateur familial.
Nous avions fait le pari de travailler ensemble et de faire de nos
différences professionnelles une complémentarité.
De nombreux modèles d’audition d’enfants existent, notamment au
sein du Tribunal de grande instance de Tarascon4 mais celui associant
un avocat d’enfant et un médiateur familial crée en 2013 à Toulouse est
unique.
Puis, en 2014 dans le cadre du service au sein duquel nous exerçons
un nouveau modèle a vu le jour : quatre professionnelles, dont deux sont
psychologues cliniciennes et deux médiatrices familiales. Toutes ont suivi
une formation spécifique à l’audition du mineur et effectuent ces missions
mais plus en co-audition.
On peut s’interroger sur l’arrêt de la co-audition, elle est liée à au
financement de cette mission et rend plus complexe le recueil de la parole
de l’enfant car la présence du co-auditeur permet une méthodologie plus
précise du recueil et un échange permettant de vérifier que le compte-rendu
soit bien au plus juste de la parole de l’enfant.
Au travers de cet article nous souhaitons : présenter notre expérience
actuelle, les raisons qui nous ont conduites à mettre en œuvre ce projet,
son cadre et la présentation des items les plus récurrents au travers des
demandes des mineurs.

1. N EYRAND G. P OUSSIN G., W ILLPERT M.D. (2015). Pères, mères après la sépara-
tion, Érès.
2. AJT : association des Avocats des jeunes de Toulouse qui est une association fondée
par des avocats du Barreau de Toulouse.
3. CEntre de Recherche et de MEdiation crée par J. Dahan en 2004 à Toulouse.
4. À l’initiative de Marc Juston, Président du TGI de Tarascon et Juge aux Affaires
familiales, un modèle de co-audition a été mis en place en partenariat avec l’association
Résonances, service de médiation familiale. L’audition est alors réalisée par le Magistrat
et le co-auditeur, médiateur familial.
L’ AUDITION DU MINEUR PAR DÉLÉGATION DU JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES 175

Préliminairement, nous présentons le cadre légal de ces auditions.

L E CONTEXTE LÉGAL DE L’ AUDITION DU MINEUR


La Loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a permis,
dans toute procédure le concernant, l’audition du mineur capable de
discernement, qui en fait la demande. Dans toutes ces procédures (et
en particulier les divorces), le greffe du Juge aux affaires familiales joint
un avis aux convocations afin de rappeler à l’enfant et à ses parents son
droit d’être entendu.
La demande d’audition de l’enfant ne doit pas respecter de formalisme
particulier, une simple lettre de l’enfant au magistrat étant suffisante ou
sur demande de son avocat. Le juge entend l’enfant soit directement, soit
en confiant cette audition à un tiers désigné à cet effet.
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Sur initiative du juge
L’article 388-1 du code civil ancien prévoyait que :

« Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement


peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son
consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le com-
mande, par la personne désignée par le juge à cet effet.
Lorsque le mineur en fait la demande, son audition ne peut être écartée
que par une décision motivée. Il peut être entendu, seul, avec un avocat
ou une personne de son choix. Si ce choix n’apparaît pas conforme à
l’intérêt du mineur, le juge peut procéder à la désignation d’une autre
personne. L’audition du mineur ne lui confère pas la qualité de partie à la
procédure. »

L’avocat du mineur pourra être sollicité et notamment dans les procé-


dures suivantes : divorce/séparation, assistance éducative, délégation de
l’autorité parentale, abandon, déchéance ou retrait partiel de l’autorité
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

parentale, tutelle, émancipation.


Son rôle demeure essentiel puisqu’il a pour rôle d’assister à toutes les
auditions du mineur concerné, de le représenter, de défendre ses intérêts,
de demander son audition, de recevoir les notifications des décisions prises
par les juges comme le juge des enfants, de faire appel des décisions du
juge des enfants dans un délai de quinze jours.
Notre expérience se réfère uniquement à des auditions relevant de la
compétence du juge aux affaires familiales.

Sur initiative de l’enfant


L’article 338-1 du code de procédure civil (CPC) prévoit que le mineur
peut aussi solliciter son audition auprès du Juge en application de l’article
388-1 du code civil. Lorsque le mineur en fait la demande, son audition ne
176 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

peut être écartée que par une décision spécialement motivée tel que prévu
par l’article 388-1 du code civil.

L A SÉPARATION / LE DIVORCE EN QUELQUES CHIFFRES


C’est sur le constat de l’analyse des chiffres1 que notre réflexion a été
amorcée :
• 30 % de séparations-divorces2 sont comptabilisés en milieu rural ;
• 50 % en zone urbaine ;
• 37 % des séparations sont conflictuelles ;
• 80 % des séparations sont demandées par les femmes ;
• 10 à 15 % de résidence alternée (80 % résultent d’accords parentaux)
sont prononcés par les magistrats ;
• 75 % des résidences principales des enfants sont fixées chez la mère ;
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• 7 % des résidences principales sont fixées chez le père ;

Nous pouvons nous interroger quant aux conséquences de cette réalité


sociétale actuelle a pour les enfants, en effet :
• 44 % des séparations concernent des enfants de moins de 5 ans ;
• on note une augmentation de la rupture partielle ou totale de communica-
tion avec un ou des enfants et cela dans le contexte de conflits parentaux
qui perdurent au-delà de la séparation. En effet, plus de 43 %3 des
enfants perdent tout contact avec un des deux parents dans les deux
années qui suivent la séparation de leurs parents ;
• pour ces situations de ruptures ou altérations du lien entre l’enfant et
un de ses deux parents, dans 9 cas sur 10 l’enfant vit avec sa mère et la
perte de contact est avec son père.
C’est à partir de ces constats que nous avons, progressivement, élaboré
notre projet de partenariat avec les avocats d’enfants.

M AIS COMMENT PRENDRE EN COMPTE LA PAROLE


DE L’ ENFANT ?
La vulgarisation des sciences humaines, et plus précisément de la
psychanalyse, a permis de mettre l’accent sur les besoins de l’enfant :
besoin d’être sécurisé, besoin d’autonomie, de communication... mais à
quel prix ?

1. INSEE, 2012.
2. Bien entendu, les séparations de parents non mariés et ne faisant pas appel à la
Justice ne peuvent pas être comptabilisées. Il s’agit, ici, de relevés statistiques reprenant
l’ensemble des procédures engagées auprès des tribunaux de grande instance.
3. N EYRAND G. (2011). Soutenir et contrôler les parents, Érès.
L’ AUDITION DU MINEUR PAR DÉLÉGATION DU JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES 177

Aujourd’hui l’enfant semble avoir acquis un statut dont les contours se


modifient au gré des angoisses, au gré des besoins... des adultes.
Les adultes ont tendance, trop souvent, à confondre avec les désirs d’un
enfant avec ses besoins faisant de l’enfant un adulte miniature qui peut
avoir tous les droits y compris celui de dicter la loi familiale. Il devient
celui qui rythme les jours et les nuits, usant de toutes les stratégies, tous
les efforts. Cet enfant doit déployer encore plus d’énergie, encore plus de
symptômes pour qu’enfin les adultes s’autorisent à lui donner les limites
de son espace, les repères salutaires qui vont lui permettre de découvrir
son territoire d’enfant et progressivement le laisser avoir accès au monde
de l’adolescence avant de découvrir, d’entrer dans celui des adultes, pour
à son tour être celui qui sera capable de transmettre, d’initier.
Si l’enfant est devenu « une personne », il n’est pas un adulte ! Toute
la différence se trouve bien là, inscrite dans l’étymologie même du mot
infans, l’enfant doit demeurer celui qui a encore le droit à l’erreur, en dépit
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du dicton, bien connu : « la vérité sort de la bouche des enfants ! »
C’est bien de cette vérité, de sa parole dont il est question, lorsque
l’enfant pris en otage dans le conflit de ses parents vient « offrir » sa
parole, dans le cadre d’une procédure, qui devrait rester celle du conflit de
ses parents.
Comment peut-il en être autrement quand sa parole occupe tout l’espace
familial ? Témoin du conflit, confident de l’un voire de ses deux parents,
pris à partie par les familles respectives. Existe-t-il une solution pour éviter
ces dérapages ? Il serait ambitieux, ou illusoire de laisser croire que nous
détenons la solution, mais il nous semble de plus en plus criant qu’il faille
multiplier les lieux qui favorisent le rétablissement de la communication
intrafamiliale et la compréhension des crises. La médiation familiale est
bien l’espace de la gestion de ces conflits et peut permettre de consolider
le fonctionnement familial, en offrant à chacun la possibilité de délimiter
l’espace qu’il veut prendre, et celui qu’il accepte partager avec l’autre.
Si nous avons mis l’accent sur la nécessité d’entendre les messages
explicites et implicites des enfants, il nous semble important de prendre
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le temps de pouvoir « décoder » les besoins des parents afin de proposer


l’accompagnement le plus judicieux et permettre à la parole des enfants
d’être accueillie dans un espace qui lui soit spécifique.
Marc Juston, président du TGI de Tarascon1 écrit :

« La parole de l’enfant aide très souvent les parents, les avocats, les juges,
à prendre une décision. Mais est-ce cela le plus important ? La vraie
question n’est-elle pas de savoir si la parole de l’enfant, si le recueil de la
parole de l’enfant sont aidants pour l’enfant ? »

1. Cet élément est extrait d’un article publié, par Marc J USTON , dans la Gazette du
Palais : « Réflexion d’un magistrat pour une nouvelle justice familiale : Se séparer en
bonne intelligence, en parents responsables. »
178 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

Comme indiqué en amont, la Loi de 2007 prévoit le recours à l’audition


de l’enfant ayant la capacité du « discernement ». Le dictionnaire nous
indique que le discernement est « la capacité à apprécier avec justesse et
clairvoyance une situation, des faits. »
L’enfant « capable de discernement » est susceptible d’être entendu
en justice. Il n’existe donc pas d’âge minimum pour être entendu. Sa
maturité, son degré de compréhension, sa faculté personnelle d’apprécier
les situations, sa capacité à pouvoir s’exprimer hors du conflit sont le socle
de son audition. Mais alors comment faire pour repérer sa capacité de
discernement réelle ?
Est-ce la place d’un enfant au milieu du gué du conflit de ses parents
sur la scène judiciaire ? Est-il libre de sa parole alors que son identité est
en construction ? À quel moment l’enfant dit-il « vrai » ? Vaste question.
La « vérité » de l’enfant est la sienne à l’instant où il la dit et l’affaire
d’Outreau1 a amené les professionnels à une prudence qui peut paralyser
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l’écoute de l’enfant. Une lecture de sa parole doit être faite en regard
de son développement identitaire et psycho-affectif. Et entre « désir » et
« besoin » comment décoder sa parole ?

A UDITEUR D’ ENFANT, OUI ... MAIS ?


Nous présentons, ici, notre modèle mis en œuvre depuis fin 2014 et
permettant une approche pluridisciplinaire : psychologue et médiateurs
familiaux et nous aborderons les compétences professionnelles mises en
œuvre ainsi que le nécessaire partenariat avec les professionnels du champ
judiciaires.
Cette collaboration est basée sur le fait que nos métiers et nos modes
d’intervention tant auprès des familles que des enfants concernés par la
séparation de leurs parents ont des objectifs communs :
• des objectifs professionnels différents et complémentaires : permettre à
l’enfant d’être soutenu, entendu, d’exprimer ses besoins ;
• des convergences dans la posture, le cadre et les objectifs profession-
nels : le psychologue, comme le médiateur familial permettent que
l’enfant puisse exprimer ses besoins, l’aide à comprendre qu’il n’est pas
responsable du conflit de ses parents, l’accompagne pour lui permettre

1. L’affaire d’Outreau a été l’affaire pénale d’abus sexuel sur mineurs la plus complexe.
Douze enfants sont reconnus victimes par la Justice de viols, d’agressions sexuelles et de
corruption de mineurs. L’affaire e a donné lieu à un procès devant la Cour d’assises de
Saint-Omer (Pas-de-Calais) du 4 mai 2004 au 2 juillet 2004, puis à un procès en appel
auprès de la Cour d’appel de Paris en novembre 2005 qui débouchera sur l’acquittement
des personnes condamnées en première instance. Elle a suscité une forte émotion dans
l’opinion publique et mis en évidence les dysfonctionnements de l’institution judiciaire
et des médias et la complexité de la prise en charge de la parole de l’enfant dans le cadre
judiciaire (https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_d’Outreau).
L’ AUDITION DU MINEUR PAR DÉLÉGATION DU JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES 179

de trouver des pistes pour communiquer autrement. Mais l’un centre


son intervention sur l’enfant, l’autre sur les parents ;
• des formations initiales différentes : les unes ont une formation de la
construction psychoaffective, identitaire, des pathologies... Les média-
trices familiales sont formées à une approche du droit, de la psychologie,
de la sociologie et principalement à la gestion des conflits, théories de
la communication et de la négociation. L’un et l’autre se réfèrent à une
déontologie qui permet le respect de la personne dans sa singularité, ses
valeurs, ses croyances.
En amont de la mise en place de ces auditions nous avions défini les
pré-requis nécessaires pour les auditeurs :
• la nécessité de mettre en place des formations complémentaires pour les
professionnels qui acceptent d’effectuer cette mission ;
• l’élaboration d’une méthodologie de l’entretien de l’enfant et de prin-
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cipes éthiques qui respectent ceux de chaque métier ;
• une structure de la rédaction du compte-rendu adressé au magistrat ;
• la mise en place d’une analyse de la pratique professionnelle en
sollicitant l’intervention d’un psychiatre de l’enfant et de l’adolescent.
Il est, pour nous, indispensable de justifier d’une formation initiale
et d’une expérience dans le domaine de l’accompagnement des familles
et plus précisément des enfants, de bénéficier d’une formation complé-
mentaire spécifique au cadre de l’audition des mineurs et enfin, d’être
accompagnés par un travail d’analyse de sa pratique ou de supervision.
Un partenariat nécessaire : l’audition de mineur, nous l’avons expliqué
en amont, se situe dans un cadre judiciaire et au cours d’une procédure
mise en œuvre par les parents. Aussi, les auditeurs doivent travailler au
plus près des attentes des magistrats, l’auditeur devient par cette délégation
le seul interlocuteur de l’enfant pour lui permettre d’exprimer sa demande.
L’auditeur doit permettre au magistrat de comprendre qui est cet enfant :
a-t-il la capacité à avoir mis en place un réseau social, est-il isolé, a-t-il
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

a minima une personne clairement identifiée dans son environnement


pour être soutenu, que sait-il de la séparation de ses parents, quelle place
occupe-t-il, ou plus exactement lui fait-on occuper, dans le conflit de ses
parents, que sait-il de la Loi et de qui prend les décisions, et d’autres
questions...
Le compte-rendu d’audition, qui est adressé au seul magistrat, n’est pas
un procès-verbal mais une transcription fidèle de ses propos, l’auditeur
ne fait pas, contrairement à l’expert, une interprétation et analyse de sa
personnalité, ni des propositions au magistrat comme peut le faire l’en-
quêteur social. La mise ne forme du compte-rendu est complexe car nous
ne sommes pas des « ordinateurs qui enregistrent et retranscrivent » nous
entendons, nous observons, nous voyons et que faire de ces éléments ?
L’écriture prend du temps, nous faisons, dans notre service, une relecture
par un second auditeur, souvent un échange entre professionnelles.
180 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

Cette circonscription de la fonction de l’auditeur est à la fois simple


mais aussi complexe. Nous n’abordons pas ici les situations de maltrai-
tance qui, bien évidemment, doivent être dénoncées mais que faire de la
souffrance psychologique des enfants lorsque notre rôle se limite à son
audition ?
L’auditeur doit, également, apprendre à travailler avec les avocats
d’enfants, présents à 97 % des auditions ils connaissent l’enfant, l’ont
déjà reçu, sont en dehors de toute relation avec les parents et vont assister
l’enfant dans son audition. Ils sont souvent un appui, une aide pour
l’enfant, le soutenant dans cette situation d’audition.
Nous proposons, à présent, de pouvoir repérer les items les plus
récurrents repérés au travers des discours des enfants.

P RÉSENTATION DES ITEMS RÉCURRENTS AU TRAVERS


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DES DEMANDES DES MINEURS
En particulier, il nous a semblé utile de tenter de mesurer l’impact de
ces séances auprès des enfants reçus, en analysant le contenu des dossiers
d’auditions.
En 2015 nous avons entendu 145 enfants dont 30 % sont des fratries,
nous les recevons d’abord ensemble puis individuellement et notons la
solidarité, le soutien déployé par les enfants entre eux mais aussi, parfois,
le contrôle des uns sur les autres.
L’âge moyen des enfants est de 11 ans avec une fourchette allant de 8
à 17 ans et nous recevons quasiment autant de filles que de garçons. La
catégorie la plus représentative demeure les enfants adolescents. À cette
étape de leur vie ils sont fragilisés par un conflit parental qui perdure et
vont souvent se positionner dans une rupture de lien avec l’un des deux
parents.
Un tiers de ces enfants sont concernés par le divorce en cours, de
leurs parents, les deux autres tiers se répartissent entre procédure post-
divorce et procédures relatives à des enfants nés hors mariage. Ces chiffres
corroborent ceux de l’Insee (2012) qui relève que 56 % des naissances
sont enregistrées hors mariage des parents.
Deux tiers des enfants ont leur résidence principale fixée chez leur mère,
parmi le denier tiers 25 % sont en résidence alternée et 8 % en résidence
principale chez leur père.
Parmi les demandes les plus récurrentes nous pouvons noter :
• 100 % des enfants indiquent que la communication entre leurs parents
est inexistante ou de mauvaise qualité ;
• 92 % demandent que le conflit de leurs parents cesse ;
• 96 % demandent un changement de résidence ;
• 25 % demandent de ne plus avoir de relation avec un des deux parents ;
• 12 % demandent à voir maintenue la résidence alternée ;
L’ AUDITION DU MINEUR PAR DÉLÉGATION DU JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES 181

• 10 % nous indiquent vouloir voir un de leurs deux parents en point


rencontre.
Nous notons, également, que la plupart des mineurs pensent que leur
demande sera entérinée par le magistrat. Nous reprenons avec eux ce fait
en leur expliquant le rôle du magistrat, celui des conseils de leurs parents
et celui de leur avocat.
Nombreux sont qui nous font part de leur crainte quant à la lecture
de leur propos par leurs parents et de leurs craintes de représailles et
culpabilise, alors, des propos qu’il a délivrés. Nous retournons cette pensée
en lui expliquant qu’il peut utiliser l’audition pour « passer un message »
à un de leurs parents, les conseils des parents pouvant, s’ils le souhaitent
prendre lecture du compte-rendu auprès du greffe sans en avoir de copie.
La loyauté de l’enfant à un de ses deux parents revient fréquemment, il
vient alors demander l’éviction de celui dont il n’accepte pas la décision
de mener autrement sa vie, les nouveaux compagnons sont alors présentés
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comme les marâtres et parâtres d’autant et dans son désir de toute
puissance l’enfant pense qu’il lui suffit de le dire pour que le Magistrat
interdise au parent concerné cette nouvelle relation.
Le nouveau compagnon/compagne est en réalité celui qui met fin
au fantasme de réconciliation et qui signifie, dans le réel, la fin de la
relation de ses parents. Lorsque l’enfant parle du conflit avec les enfants
du nouveau conjoint(e), cela vient souvent toucher des problèmes de place,
de jalousie par rapport à l’attention du parent qui vit avec cet autre enfant,
encore accentués par les inégalités de traitement : « L’autre est toujours là
avec sa mère, elle vit avec elle alors que moi je viens qu’un week-end sur
deux pour voir mon père, c’était ma maison, ma chambre et maintenant
elle a mis sa fille c’est pas chez elle ! »
S’il apparaît que la plupart des enfants parviennent à exprimer leurs
besoins, certains sont pris et paralysés par un conflit de loyauté : « com-
ment va réagir ma mère/mon père si je dis que je veux voir plus mon
père/ma mère, c’est déjà tellement dur pour elle/pour lui ? »
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Plusieurs enfants reçus en audition arrivent avec un courrier, une liste


de reproches bien rédigés en nous disant : « J’ai tout préparé pour ne rien
oublier », cette liste n’est pas celle écrite pour le Père Noël mais, la plupart
du temps, pour corroborer la position d’un parent contre l’autre.
Ces enfants sont en souffrance, petits chevaliers qui ne font plus le
distinguo entre ce qu’ils imaginent être l’intérêt de leur parent et le
leur, qui surévaluent leur rôle protecteur envers ce parent, qui posent
des ultimatums, qui ne sont plus à leur place d’enfant.
Leurs propos sont alors indistinctement conjugués avec un « nous » et
non pas un « je », nous qui englobe le parent (et son désir) avec celui de
l’enfant.
L’enfant est alors englué dans le désir de son parent et se fait fort de
tenir la même position.
182 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

Enfin, 98 % des enfants reçus nous indiquent, en fin d’audition, se sentir


soulagés d’avoir pu parler, d’être écoutés, entendus mais aussi d’avoir reçu
des informations, de comprendre qu’ils ne sont pas responsables du conflit
de leurs parents.
L’audition met en lumière le fait que l’enfant est pris en otage du conflit
de ses parents.
Comme le dit Lorraine Fillion1 , médiatrice canadienne qui nous a
formés à l’écoute des enfants : « ces enfants-là vivent déjà au cœur de
leur famille dans un climat de tensions, de conflit, parfois de violence
psychologique. Il ne faut pas les traiter comme des bibelots, ils vivent
quotidiennement des tempêtes. Ils ont presque toujours besoin d’en parler
et de dire leurs difficultés, pour être ensuite rendus à leur place d’enfant ».
Nous constatons que dans les séparations très conflictuelles et judi-
ciarisées, le risque d’altération ou de rupture de l’enfant avec un de ses
parents touche autant les mères que les pères. Ainsi, Mélissa, 14 ans, nous
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explique : « Ma mère elle a décidé de partir, elle m’a laissée et maintenant
elle demande à me voir, tant pis pour elle ! Elle n’a qu’à rester avec l’autre.
Mon père a beaucoup souffert de son départ, c’est à son tour de souffrir,
je m’en fiche ! »
Les réactions des enfants repérées dans ces auditions sont bien iden-
tiques à celles repérées dans le cadre des situations de médiation familiale :
la culpabilité, la peur de l’abandon, le fantasme de réconciliation, la
loyauté et la parentification. Ces réactions sont à mettre en lecture avec
l’âge des enfants, leur construction identitaire le moment où s’est produite
la séparation parentale et la manière dont ils ont été associés à cette
décision d’adultes.

C ONCLUSION
L’audition d’enfant est un exercice complexe mais qui semble bénéfique
pour l’enfant. A minima par le fait qu’il se dise soulagé d’avoir pu être
écouté par une personne neutre, extérieure à son milieu familial. Elle est
un outil important pour le Magistrat qui trouvera, par l’audition, une juste
distance pour ne pas être pris dans des affects directs avec l’enfant.
Mais elle n’est pas suffisante : il nous semble que pour mieux protéger
l’enfant du conflit de ses parents, ces auditions pourraient être complétées
par une restitution aux deux parents en présence de leurs Conseils.
Nous savons par expérience que, confrontés à l’expression des difficul-
tés et des besoins de leurs enfants à un tiers, les parents réagissent bien
souvent positivement, en mettant en œuvre des solutions créatives qui vont
vers leur responsabilisation et agissent pour permettre l’enfant de rester à
sa place d’enfant.

1. F ILION L., T IMMERMANS H., C LOUTIER R. (2012), Les parents se séparent,


Éditions Chu Sainte-Justine.
L’ AUDITION DU MINEUR PAR DÉLÉGATION DU JUGE AUX AFFAIRES FAMILIALES 183

La formation des auditeurs est incontournable, tout comme le suivi


d’un temps d’analyse de leur pratique. Le modèle de co-audition nous
semble toujours le plus pertinent et ne devrait pas souffrir d’une question
économique.
Pour terminer nous rappelons : « Il ne faut pas laisser un enfant
en capacité de choisir, si sa parole fait loi, est-il encore à sa place
d’enfant ?1 »
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1. DAHAN J. (2002). « Entendre les maux des enfants, accompagner les mots des
parents », Dialogue.
Chapitre 16

SYNDROME D’ALIÉNATION
PARENTALE, OU LOGIQUES
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D’INFLUENCE
Déconstruire le syndrome d’aliénation parentale,
tout en le reconnaissant

Roland C OUTANCEAU

auparavant, la question des fausses allégations, le syndrome


C OMME
d’aliénation parentale a émergé dans un certain contexte ; faisant
polémique et déclenchant des débats passionnels entre tenants du syn-
drome d’aliénation parentale (certains voulant même tenter de l’intégrer
dans la classification des maladies mentales) et opposants critiquant sa
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

réalité en elle-même.
Parallèlement, la question de la fréquence des fausses allégations
comme du syndrome d’aliénation parentale a donné lieu à des contro-
verses, parfois irrationnelles.
En arrière-plan de ce questionnement est présent la réalité ou pas
d’éventuelles agressions sexuelles, physiques, ou psychologiques, pas
toujours objectivables dans le champ social.
Dès lors, se pose dans la pratique la question de la compréhension de
certaines réticences ou refus de l’enfant de voir un des parents.
La polémique est le plus souvent d’autant plus passionnelle que la
garde est souvent attribuée à la mère ; alors que c’est le plus souvent des
hommes qui sont agresseurs sexuels ou violents sur leur compagne ou sur
leurs enfants.
186 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

Notre propos est de dépassionner le débat pour tenter de décrire de


façon concrète les situations psychologiques et relationnelles rencontrées.
En filigrane, s’inscrit la question de savoir si un enfant peut être
influencé dans sa réticence ou son refus de voir l’autre parent, alors que
dans la majorité des situations familiales l’enfant a plaisir à voir l’un et
l’autre parent, quelle que soit l’attribution de la garde et du droit de visite.

L E SYNDROME D’ ALIÉNATION PARENTALE ( DÉFINITION )


Pour cerner la réalité ou pas de cet éventuel syndrome, envisageons les
différentes définitions qui lui ont été données.
• Dans une première définition il s’agit de « l’ensemble des manifestations
psychopathologiques observées chez les enfants soumis à des sépara-
tions parentales très conflictuelles, en premier lieu le rejet injustifié ou
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inexplicable d’un parent par un enfant ».
Cette première définition souligne deux aspects :
– un contexte de séparation parentale « très conflictuelle » ;
– un rejet qualifié « d’injustifié ou d’inexplicable », ce qui reste, pour
le moins à démontrer.
• Dans la deuxième définition, celle de Richard Gardner pédopsychiatre
américain, le syndrome d’aliénation parentale est « une campagne de
dénigrement d’un enfant contre un parent. Cette campagne est injustifiée
et résulte d’un plus ou moins subtil travail de manipulation pouvant
aller jusqu’au lavage de cerveau, avec le mélange, en des proportions
variables de contributions personnelles de l’enfant ».
Dans cette deuxième définition, l’hypothèse de rejet par l’enfant est clai-
rement affirmée, étant présenté comme « campagne de dénigrement » ;
avec comme mécanisme relationnel « la manipulation pouvant aller
jusqu’au lavage de cerveau ». Dit autrement, dans cette définition, un
parent est clairement accusé de manipuler l’enfant.
• Enfin dans une 3e définition, on situe le syndrome d’aliénation parentale
comme toute situation dans laquelle « un enfant exprime librement et de
façon persistante des sentiments et des croyances déraisonnables (rage,
haine, rejet, crainte) envers un parent ; ces sentiments et/ou croyances
étant disproportionnés par rapport à l’expérience réelle qu’a vécue
l’enfant avec le parent rejeté ».
Cette définition apparaît plus neutre et plus descriptive ; en donnant à
voir les éléments psycho-émotionnels mis en avant par l’enfant ; mais en
les qualifiant de « disproportionnés », ce qui est un élément d’évaluation,
d’appréciation et non de description.
Les trois définitions sont intéressantes dans leur diversité parce qu’elles
permettent de mieux appréhender les variations de ce qui peut éventuelle-
ment se jouer. On le voit, Richard Gardner a été le plus tranché.
S YNDROME D ’ ALIÉNATION PARENTALE , OU LOGIQUES D ’ INFLUENCE 187

Suivons le un instant, dans la sémiologie des éléments du syndrome


d’aliénation parentale tel qu’il le définit.

C RITÈRES DIAGNOSTICS DE R ICHARD G ARDNER


Les 8 éléments précisés par Richard Gardner sont intéressants à
considérer sur le plan de l’observation clinique :
1. Désir affirmé de ne plus voir le parent rejeté dit aliéné.
2. Rationalisation absurde et parfois futile pour disqualifier le parent
rejeté.
3. Manque d’ambivalence naturelle de l’enfant, avec une vision binaire
et manichéenne (l’un est entièrement bon, l’autre est entièrement
mauvais).
4. Au maximum l’enfant est incapable de retrouver ou raconter un bon
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souvenir, en compagnie du parent rejeté.
5. Le phénomène du penseur dit indépendant avec dénégation spontanée
de la part de l’enfant « c’est moi qui pense là, personne ne m’a
influencé ».
6. L’enfant se présente comme le soutien inconditionnel du parent aliénant,
cette attitude étant le plus souvent spontanée.
7. L’animosité s’étend à l’ensemble de l’univers du parent aliéné par
exemple la famille dans son ensemble.
8. On note une absence troublante de culpabilité par rapport à la dureté de
l’attitude envers le parent aliéné (l’enfant se montre plus que distant :
il semble avoir déclaré la guerre au parent rejeté).
9. Présence de scénarios empruntés au parent aliénant et repris par
l’enfant, présentés comme les siens.
Toutes ces réalités cliniques sont effectivement rencontrées en situation
de séparation parentale très conflictuelle ; le tout est d’apprécier si ce
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’on observe peut être expliqué de façon rationnelle (antécédents de


violence, difficultés relationnelles compréhensibles avec un parent) ou si
on ne retrouve aucune réalité concrète pouvant sous-tendre les éprouvés
et les sentiments mis en avant.
S’appuyant sur ces éléments sémiologiques mis en avant, Richard
Gardner va définir toutefois trois stades (léger, modéré, sévère) ; seul
le troisième pouvant, à notre sens, être considéré comme un syndrome
d’aliénation parentale stricto sensu.
188 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

T ROIS STADES DE GRAVITÉ


Sont donc définis trois stades :
1. Un stade léger et souvent facilement réversible. On constate, à ce
niveau :
– quelques critères définis ci-dessus ;
– troubles du comportement passager au moment des transitions (ennui
ou réticence affichée, tristesse, anxiété de séparation avec l’autre
parent). Mais au bout d’une période souvent assez courte, cette
attitude de réticence disparaît souvent présente tant que l’enfant
est en présence du parent dit aliénant avec ensuite des relations
sans problème particulier durant la période du droit de visite. Dans
sa forme la plus discrète, l’enfant semble réticent à distance, un
peu froid face à un parent tant que l’autre est là ; mais son attitude
change radicalement dès que le parent a disparu de la pièce ou de
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son entourage.
2. Le stade modéré (correspondant à la majorité des observations obser-
vées). On y constate :
– un nombre significatif des items précisés ci-dessus ;
– l’hostilité l’emporte sur la tristesse ;
– les transitions sont pénibles ;
– la qualité des périodes en compagnie du parent rejeté se détériore et
devient difficile à gérer.
Souvent les attitudes et les comportements de l’enfant observés se
répètent et se cristallisent s’ils sont investis voire surinvestis par le
parent « préféré ».
Dans la même dynamique, l’attestation de médecin ou de psychologue
traitant décrivant les attitudes en question permet l’instrumentalisation
de ces certificats par un des parents.
On peut souligner ici le fait que tout certificat peut éventuellement
constater ou décrire une réalité clinique, psychologique, émotionnelle
voire faire part de phrases prononcées ; mais que la véritable question
est celle de la réalité clinique qui sous-tend, le cas échéant, tel ou tel
tableau clinique observé.
Ces attitudes psycho-affectives de l’enfant sont-elles compréhensibles
et si oui en fonction de quelle réalité clinique, psychologique ou psycho-
relationnelle entre l’enfant et le parent rejeté ; ou apparaissent-elles
sans sens, peu compréhensibles, irrationnelles, pouvant éventuellement
résulter d’une logique d’influence. Telle est la question.
3. Le stade sévère avec la question de la cristallisation du tableau cli-
nique et la difficulté à revenir en arrière : impossible réversibilité ou
résolution impossible ? À ce niveau, on constate :
S YNDROME D ’ ALIÉNATION PARENTALE , OU LOGIQUES D ’ INFLUENCE 189

– l’ensemble des items énumérés ci-dessus ;


– un affect de haine ou d’indifférence la plus totale.
Nous préciserons un peu plus loin les conduites à tenir en fonction de
chaque situation.
À ce stade de notre analyse, on pourrait proposer une manière de
considérer ces trois réalités psycho-relationnelles de l’enfant en les situant
comme des degrés éventuels d’une influence subie ; et en les reformulant
d’une autre façon :
• Au premier stade, on observerait simplement un enfant ne s’autorisant
pas d’être naturel avec un de ses parents, sous le regard de l’autre ;
comme s’il pensait ou avait constaté qu’il ne pouvait pas manifester de
l’affection pour l’autre parent.
S’inscrirait ici ce que certains ont appelé un conflit de loyauté mais là
encore, il nous semble inutile de cristalliser cette réalité tant elle est
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mouvante et labile dans le quotidien des relations de l’enfant avec l’un
et l’autre parent.
• Au deuxième stade d’influence, l’enfant refuserait les visites, soit pour
faire plaisir à l’un de ses parents avec lequel le plus souvent, il vit de
façon principale (l’influence est statistiquement le plus souvent mise en
place par le parent qui a la garde, mais pas toujours). Le parent peut être
également craint ou redouté ; et l’enfant s’efforce d’être au diapason du
rejet que ce parent semblerait souhaiter dans le rejet de l’autre parent.
• Enfin le syndrome d’aliénation parentale stricto sensu ou à proprement
parler s’inscrirait comme une manipulation ou un endoctrinement réussi.
Ce n’est qu’à ce niveau de description que serait attribué ce repérage
existant mais discuté du syndrome d’aliénation parentale.

A SPECTS PSYCHO - DYNAMIQUES DE COMPRÉHENSION


• Premier repérage, nous allons tout d’abord proposer en contrepoint, de
définir quatre niveaux d’influence possible dans les relations humaines
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

et donc dans toute relation enfant-parent.


Nommons donc tout d’abord les différents niveaux :
– influence indirecte par imbibition ou capillarité : l’enfant entend
parler un de ses parents avec un discours très critique sur l’autre.
Mais le parent adulte ne s’adresse pas directement à lui ;
– influence avec tentative de convaincre. Là, l’enfant est l’objet d’une
adresse répétitive voire quasi permanente d’un parent pour lui démon-
trer telle ou telle chose concernant l’autre parent ;
– manipulation : attitude régulière pour mettre l’enfant dans son jeu de
façon systématisée en utilisant des processus tels le harcèlement ou
le chantage affectif ;
190 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

– endoctrinement : s’inscrivant dans un mode relationnel permanent du


même type que l’endoctrinement sectaire, aboutissant à une véritable
adhésion avec conviction inébranlable.

• Deuxième repérage : qu’est-ce qui permet de faire l’hypothèse d’un


rejet peu compréhensible ?
L’interrogatoire éliminera des situations d’abus (sexuels ou physiques),
des violences psychologiques, ainsi que des comportements passés
pouvant avoir été vécu comme désagréables par l’enfant en présence
du parent. Ce qui frappe dans la sémiologie la plus objectivable, c’est
l’existence d’un rejet affectif affirmé, sans possibilité de l’étayer sur
un comportement psycho-relationnel mis en avant, qu’on prêterait au
parent rejeté.
Finalement dans sa forme la plus pure, la plus simple c’est l’affirmation
d’un affect de rejet, de désamour, voire de haine ; sans mobile apparent.
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• Enfin troisième repérage, la compréhension de ce type de situation d’in-
fluence mérite qu’on s’intéresse aux réalités psychologiques possibles
du parent influant, rejetant ou manipulateur.
Comme souvent dans l’analyse psychologique du comportement
humain, la notion de contexte est importante ; en l’occurrence celle
de séparations parentales très conflictuelles à savoir l’existence de
sentiments négatifs suite à la séparation s’adressant tout d’abord à
l’autre parent.
Ainsi, dans cette optique, dans ce contexte l’enfant est un enjeu dans
la séparation conflictuelle entre adultes et donc d’une certaine manière
l’avoir de son côté peut s’inscrire comme un soutien ou encore une
compensation ou encore une manière d’atteindre l’autre pour le dénigrer
ou le détruire. Cette agressivité plus ou moins légitime d’un des parents
peut être lisible ou alors masqué (ce qui complique alors l’analyse de la
situation).
Enfin même si cela semble étonnant, par rapport au repérage social,
de la nécessité d’un enfant d’avoir accès à ses deux parents (repérage
conforté par le droit, par la loi), il y a parfois la tentation chez certains
parents d’exclure l’autre parent, de rêver d’une éducation de l’enfant
en faisant table rase de l’autre, en excluant totalement la présence de
l’autre parent (tout au moins d’en avoir l’intention).
Là encore cette intentionnalité peut être explicite (avec alors parfois une
motivation s’appuyant sur des violences réelles ou supposées exercées
par l’autre parent sur l’enfant) ou être dissimulées voir déniées.
S YNDROME D ’ ALIÉNATION PARENTALE , OU LOGIQUES D ’ INFLUENCE 191

C ONDUITE À TENIR DANS LES SITUATIONS PARENTALES


TRÈS CONFLICTUELLES
Nous allons proposer la démarche diagnostic suivante :
• éliminer les causes compréhensibles d’un éventuel rejet (violences
sexuelles, violences conjugales, maltraitances, violences psycholo-
giques caractérisées) ;
• analyser le discours de l’enfant en constatant soit la cohérence entre une
affectivité mise en avant et des souvenirs relationnels soit en constatant
des affects négatifs mais sans appui sur une réalité relationnelle ;
• apprécier le fondement d’éventuels certificats de médecin ou psycho-
logue faisant état d’un mal-être de l’enfant ;
• observer l’attitude du parent investi (soit corroborant le rejet, soit restant
passif devant l’enfant rejetant l’autre parent, soit présent pour tenter de
relativiser le discours de l’enfant).
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En ayant passé en réserve ces différents éléments, il en résulte l’hypo-
thèse soit d’un rejet compréhensible, en tout cas étayé, soit celle d’un rejet
plus énigmatique, pouvant être considéré comme irrationnel.
Conduite à tenir face à un enfant ambivalent ou réticent ; ou rejetant ou
carrément opposant face au lien avec un parent :
• Au premier stade, après une période diagnostic, on peut proposer :
– une médiation avec les deux parents faisant état des éléments consta-
tés et ouvrant sur une compréhension de l’affectivité de l’enfant. Il
est intéressant que le médiateur puisse avoir son appréciation de ce
qui se joue chez l’enfant ; même si cet enfant est évalué par un autre
professionnel ;
– des entretiens parent-enfant dans le cadre d’un espace psychothéra-
pique pouvant être à durée très déterminée, en introduisant ensuite le
parent investi une fois la situation déminée.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

De façon plus large, dans le champ expertal ou dans une logique


d’entretien préliminaire, il est intéressant de voir chaque protagoniste
seul (père, mère, enfant) puis de mettre en place des entretiens à deux
(mère-enfant, père-enfant) ; et enfin un entretien à trois une fois la
situation décantée.
• Au deuxième stade, il nous semble fondamental de pouvoir confronter
le parent investi avec l’analyse évaluative de la situation pour pouvoir
apprécier son attitude et in fine soit le mettre en responsabilité pour
soutenir le principe de la nécessaire relation de son enfant avec l’autre
parent, voire d’une certaine manière d’utiliser une forme de dissuasion
pour le recadrer. En ce sens cette idée simple que celui des deux parents
qui a la garde doit veiller à faciliter la relation de l’enfant avec l’autre
parent (qui a le droit de visite) nous semble particulièrement pertinente.
192 LA PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

À défaut, laisser entendre que le droit de garde pourrait être modifié


n’est parfois pas inutile. Et cet entretien avec le parent investi peut se
faire dans divers lieux (avec l’expert, avec un psychothérapeute, dans le
cadre éducatif, avec son conseil, et bien sûr au cabinet du juge).
Progressivement émerge la nécessité d’une ponctuation de la loi. Celle-
ci s’avère probablement nécessaire au stade d’un syndrome d’aliénation
parentale stricto sensu ; où il semble difficile de modifier la situation
sans poser des actes. Dans cette situation les jeux relationnels (expertaux,
thérapeutiques, éducatifs) ne suffisent plus. Il faut poser des actes.
Comme dans toute situation cristallisée qui a dégénéré, les changements
ne sont pas sans risque même s’ils peuvent être tentés. Ils sont tous du
registre du magistrat. Le premier peut être un changement de garde avec
un accompagnement éducatif de l’enfant en milieu ouvert parallèlement.
Le second peut apparaître encore plus brutal, c’est celui d’un placement
semblant viser à proposer un sas de décontamination, une exfiltration
devant un enfant pouvant être considéré comme endoctriné.
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Tels sont les différentes dynamiques pour accompagner ces situations
extrêmement variables dans leur intensité ; et bien évidemment la préven-
tion ou plus simplement le dépistage précoce est de loin préférable.
En synthèse, si la parole de l’enfant doit toujours être écoutée, il existe
des discours, des affects notamment dans les situations de séparation paren-
tale conflictuelle qui doivent être décryptés. L’enfant non encore construit
dans son développement peut subir des influences. Cette influence peut
être indirecte ou simplement conjoncturelle ; mais aussi résulter d’une
manipulation voire d’un endoctrinement.
Il nous a semblé plus lisible de considérer certaines influences banales
comme étant dans l’ordre des choses même s’il y a alors lieu de les
relativiser, de les infléchir pour isoler une forme caractérisée ou extrême
d’influence ; celle d’un éventuel syndrome d’aliénation parentale qui ne
peut être dénié dans son existence même s’il fait parfois polémique ou
déclenche les passions.
En contrepoint, s’inscrit la réalité ou pas d’éventuelles violences que la
société ou la justice ne parviendrait pas à objectiver.
Dans chaque cas particulier, il nous semble utile qu’il y ait un temps
d’évaluation (recueillant les discours, les affects, les attitudes de l’enfant) ;
permettant ensuite de proposer une hypothèse de compréhension puis
d’accompagner le retissage du lien grâce à différents modes d’accompa-
gnement (la médiation, l’entretien parent-enfant, des entretiens familiaux,
les soutiens éducatifs).
Favoriser, après évaluation, la continuité du lien de chaque enfant avec
ses deux parents (en l’absence de problématique majeure) est un objectif
qui doit réunir tous les professionnels dans un esprit de pluridisciplinarité.
Et parallèlement à l’espace relationnel des professionnels du champ de
la santé et de l’éducation, il y a l’importance du rôle de l’avocat conseil
S YNDROME D ’ ALIÉNATION PARENTALE , OU LOGIQUES D ’ INFLUENCE 193

de chacun. Enfin le juge reste la clé de voûte, dont la ponctuation de la


situation est essentielle.
Plaidoyer pour un partage de l’évaluation des situations ; et pour un
partenariat complémentaire dans l’interdisciplinarité pour la résolution de
ces situations parfois douloureuses.
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BIBLIOGRAPHIE

ACHIM J., C YR F., F ILION L. (1997). autres méthodes de règlement extraju-


« L’implication de l’enfant en média- diciaire des différends dans les cas de
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venir : repères conceptuels et straté-
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tion travail-famille : un enjeu com-
plexe pour le féminisme d’État », S AYWITZ K., C AMPARO L.B., ROMA -
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Recherches et prévisions, 85 (sep- NOFF A. (2010). « Interviewing chil-


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Le point de vue et l’expérience des
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202 B IBLIOGRAPHIE

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l’enfant à devenir lui-même ? Fayard- victime de la fausse allégation d’abus
Pluriel. sexuel », Journal du Droit des Jeunes,
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216. 218, 38-41
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tanding », Developmental Psychology,
H & O éditions.
43, 804-810.
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T HÉRY I. (1993). Le démariage. Justice V IAUX J-L. (2002a). Étude des conten-
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dans les séparations parentales, Minis-
T HÉRY I. (1998), Couple, filiation et tère de la Justice, Laboratoire PRIS-
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T HÉRY I. (dir). (2014), Filiation, origines,
parentalité ! Le droit face aux nou- V IAUX J-L. (2016, à paraitre),
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rationnelle. Rapport du groupe de tra- parole de l’enfant victime », in C OU -
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de la santé. sexuelles : victimes et auteurs, Paris,
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Éditions du Méridien. children: A first report from a 25-
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Courts Review, 36, 363-383.
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tion d’abus sexuel dans le contexte WARSHAK , R. A. (2003). « Payoffs
de divorce : réflexions cliniques », and pitfalls of listening to children »,
P.R.I.S.M.E, 3, 1, 115-122. Family Relations, 52, 4, 373-384.
TABLE DES MATIÈRES

LES AUTEURS VII


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PRÉFACE. LA PAROLE DE L’ENFANT EN JUSTICE IX
JACQUES T OUBON
DÉFENSEUR DES DROITS

AVANT-PROPOS XI
J OCELYNE DAHAN ET ROLAND C OUTANCEAU

P REMIÈRE PARTIE

R EPÉRAGES

1. Le droit d’être considéré comme une personne à part entière 3


G ENEVIÈVE AVENARD
Introduction 3
Une lente émergence de l’écoute de l’enfant 4
Une reconnaissance tardive des violences physiques et
sexuelles, 5 • Une approche pénale, 5
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

L’écoute de l’enfant s’installe dans le droit de la famille 6


La loi relative à l’autorité parentale, 6 • Une parole sacralisée à
l’excès..., 6 • Alors qu’elle doit être contextualisée..., 7
Conclusion 10

2. Une loi pour une meilleure protection des enfants et des familles 13
FABIENNE Q UIRIAU
La loi de 2007 conforte, dans les principes et par le droit, la place
des familles tout en protégeant mieux l’enfant 15
Conforter la place de la famille en procédant autrement, 15 •
Reconnaître la place légitime des parents dans la protection de
l’enfance, 16 • Se référer aux droits de l’enfant pour assurer sa
protection, 17
204 TABLE DES MATIÈRES

La loi de 2007 à l’épreuve du terrain, dans la mise en œuvre d’une


meilleure protection des enfants et des familles 18
Quelle effectivité des droits dans la protection de l’enfance ?, 19
• La subsidiarité de la justice implique un travail plus exigeant

avec les familles, 20 • L’alourdissement des problématiques


familiales impacte la protection de l’enfance, 21 • La protection
de l’enfance conduite à s’ouvrir sur l’environnement et à
s’inscrire sur les territoires, 22 • Les pratiques en question, 22
En conclusion 23

3. La parentalité au cœur des politiques familiales 25


G ÉRARD N EYRAND
La politique familiale à la française 26
La désinstitutionnalisation du conjugal comme opérateur de la
seconde modernité familiale, 26 • Reconfiguration normative,
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responsabilisation et précarisation, 27
Le soutien à la parentalité comme réponse aux mutations sociales et
familiales 29
Une société civile en effervescence, 29 • La reconnaissance
institutionnelle des innovations associatives, 30 • Les grandes
étapes de l’encadrement législatif de la mutation familiale, 31 •
La mise en place d’un dispositif de parentalité, 32
Le nouveau statut du parental dans la gestion sociale 34
Les risques d’une gestion parentaliste, 35

D EUXIÈME PARTIE

R EGARDS CROISÉS

4. La parole de l’enfant dans la pratique judiciaire 39


O DILE B ARRAL
Des réponses trop lentes 39
Des parents manipulateurs ? 40
Le droit de se taire 41
Comment répondre ? 41

5. La vérité sort-elle toujours de la bouche des enfants ? 43


JACQUES A RGELÈS
Introduction 43
La parole de l’enfant dans les procédures judiciaires 44
Les effets de sa parole sur l’enfant 45
Conclusion 46
TABLE DES MATIÈRES 205

6. Parole et place de l’enfant dans la médiation familiale 49


L ORRAINE F ILION , VANESSA R ICHARD
Introduction 49
Impact de la séparation sur l’enfant et le rôle de la médiation
familiale 50
Implication directe ou indirecte 51
Un modèle de pratique 52
Premier entretien de médiation, 53 • En cours de médiation :
avant l’implication directe, 53 • Préparation des parents à la
préparation de leur enfant, 54 • Préparation de l’enfant par ses
parents, 55 • En cours de médiation : au moment de
l’implication directe, 56 • En cours de médiation : après
l’implication directe, 57
Présentation de la situation de Marie-Ève (7 ans) 58
Enjeux de l’implication directe de l’enfant 60
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Implication des enfants en médiation familiale : point de vue des
chercheurs 61
Implication indirecte, 61 • Implication directe, 62
Recherche québécoise sur l’implication directe des enfants 64
Méthodologie, 64 • Résultats, 64 • Description de l’implication
directe, 64 • Avantages et difficultés de l’implication directe, 65
• Suggestions aux parents et aux professionnels, 66

Conclusion 66

7. Les investigations en psychiatrie légale 69


C LAUDE A IGUESVIVES
Contexte historique 69
Le langage pluriel des symptômes de l’enfant blessé 71
La standardisation de l’écoute de la parole de l’enfant 74
En guise de conclusion 75
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

T ROISIÈME PARTIE

R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

8. La complexité du recueil de la parole de l’enfant 79


G ÉRARD P OUSSIN
Introduction 79
Quelques éclairages de la psychologie de l’enfant 79
L’enfant et le langage, 79 • La particularité de la situation
d’entretien, 80 • L’influence des parents sur la parole de
l’enfant, 82
206 TABLE DES MATIÈRES

L’entretien avec l’enfant dans le cadre des séparations parentales


conflictuelles 83
Le changement d’organisation de l’hébergement de l’enfant, 83
• Situations où l’enfant refuse de voir l’un de ses parents, 85

Conclusion 88

9. Recueillir la parole de l’enfant victime : un exercice complexe 91


H ÉLÈNE ROMANO
Le droit à la parole 91
Les effets de la parole de l’enfant sur les professionnels 92
Penser la violence de la parole 93
Recueillir la parole de l’enfant victime avec méthode 94
Reconnaître l’enfant dans ce qu’il vit et ce qu’il ressent 96
Pour conclure 96
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10. Expertise et parole de l’enfant : évaluation, analyse
de témoignage ou recueil de données ? 99
ROLAND C OUTANCEAU
Les différents positionnements des experts 99
Ne pas répondre à la question, 100 • Répondre sur la crédibilité,
au regard de la personnalité, 100 • La crédibilité sur le
fond, 100
Repérages significatifs dans l’analyse du témoignage 101
Critères de Carol Jonas, 101 • Notre proposition, 102
Méthodologie lors de l’expertise 105
En conclusion 107

Q UATRIÈME PARTIE

L A PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL

11. Enfant victime d’agression sexuelle : le cheminement


de sa parole dans le cadre pénal 111
Y VES -H IRAM H AESEVOETS
Argument : recueillir et expertiser la parole des enfants 111
La parole de l’enfant mise en question 114
De l’interview judiciaire à l’expertise psycholégale : une affaire de
langage 116
Structuration du processus d’observation et d’expertise 117
À propos de cette rencontre, plusieurs niveaux de questions
apparaissent : 118
Ressources, compétences et limites de l’enfant 118
Les nombreux pièges à éviter 120
TABLE DES MATIÈRES 207

L’évaluation médico-psycho-légale 122


Le non-sens de l’intervention 123
Des balises éthiques comme repères 124
Conclusion : l’enfant, un sujet face au système 125

12. L’audition judiciaire du mineur victime d’agression sexuelle :


approche criminologique 127
B ERNARD V ILAMOT , J EAN M ICHEL B RETON ,
M ARC PASSAMAR , O LIVIER T ELLIER
Introduction 127
L’enquête 128
Déroulement d’une enquête judiciaire portant sur des violences
sexuelles commises sur mineur, 129 • L’audition filmée du
mineur victime, 131
La parole de l’enfant 140
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Facteurs qui influencent la parole de l’enfant, 140 •

Analyse des facteurs dits de crédibilité du discours, 145


Conclusion 152

13. Fausses allégations, vérité du sujet 153


J EAN -L UC V IAUX
Que nous apprennent les recherches sur les « fausses allégations » ? 154
Les fausses allégations chez des enfants : un scénario et des
situations 155
Des adolescents entre souffrance et manipulation 159

C INQUIÈME PARTIE

L A PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

14. La parole de l’enfant devant le juge aux affaires familiales 165


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

M ARC J USTON
Introduction 165
Les dispositions légales 166
Le droit de tout enfant capable de discernement à être
entendu, 166 • Le compte rendu d’audition de l’enfant, 167
La parole de l’enfant : toute-puissance de l’enfant ou expression de
ses besoins 168
Conclusion 170

15. L’audition du mineur par délégation du juge aux affaires


familiales 173
J OCELYNE DAHAN
Introduction 173
208 TABLE DES MATIÈRES

Le contexte légal de l’audition du mineur 175


Sur initiative du juge, 175 • Sur initiative de l’enfant, 175
La séparation/le divorce en quelques chiffres 176
Mais comment prendre en compte la parole de l’enfant ? 176
Auditeur d’enfant, oui... mais ? 178
Présentation des items récurrents au travers des demandes des
mineurs 180
Conclusion 182

16. Syndrome d’aliénation parentale, ou logiques d’influence 185


ROLAND C OUTANCEAU
Le syndrome d’aliénation parentale (définition) 186
Critères diagnostics de Richard Gardner 187
Trois stades de gravité 188
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Aspects psycho-dynamiques de compréhension 189
Conduite à tenir dans les situations parentales très conflictuelles 191

BIBLIOGRAPHIE 195
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978-2-10-074802-0
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SOMMAIRE

LES AUTEURS VII

PRÉFACE. LA PAROLE DE L’ENFANT EN JUSTICE IX


JACQUES T OUBON
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DÉFENSEUR DES DROITS

AVANT-PROPOS XI
J OCELYNE DAHAN ET ROLAND C OUTANCEAU

P REMIÈRE PARTIE

R EPÉRAGES

1. Le droit d’être considéré comme une personne à part entière 3


G ENEVIÈVE AVENARD

2. Une loi pour une meilleure protection des enfants et des familles 13
FABIENNE Q UIRIAU

3. La parentalité au cœur des politiques familiales 25


G ÉRARD N EYRAND
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

D EUXIÈME PARTIE

R EGARDS CROISÉS

4. La parole de l’enfant dans la pratique judiciaire 39


O DILE B ARRAL

5. La vérité sort-elle toujours de la bouche des enfants ? 43


JACQUES A RGELÈS

6. Parole et place de l’enfant dans la médiation familiale 49


L ORRAINE F ILION , VANESSA R ICHARD

7. Les investigations en psychiatrie légale 69


C LAUDE A IGUESVIVES
VI S OMMAIRE

T ROISIÈME PARTIE

R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

8. La complexité du recueil de la parole de l’enfant 79


G ÉRARD P OUSSIN

9. Recueillir la parole de l’enfant victime : un exercice complexe 91


H ÉLÈNE ROMANO

10. Expertise et parole de l’enfant : évaluation, analyse


de témoignage ou recueil de données ? 99
ROLAND C OUTANCEAU

Q UATRIÈME PARTIE

L A PAROLE DE L’ ENFANT AU PÉNAL


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11. Enfant victime d’agression sexuelle : le cheminement
de sa parole dans le cadre pénal 111
Y VES -H IRAM H AESEVOETS

12. L’audition judiciaire du mineur victime d’agression sexuelle :


approche criminologique 127
B ERNARD V ILAMOT , J EAN M ICHEL B RETON ,
M ARC PASSAMAR , O LIVIER T ELLIER

13. Fausses allégations, vérité du sujet 153


J EAN -L UC V IAUX

C INQUIÈME PARTIE

L A PAROLE DE L’ ENFANT AU CIVIL

14. La parole de l’enfant devant le juge aux affaires familiales 165


M ARC J USTON

15. L’audition du mineur par délégation du juge aux affaires


familiales 173
J OCELYNE DAHAN

16. Syndrome d’aliénation parentale, ou logiques d’influence 185


ROLAND C OUTANCEAU

BIBLIOGRAPHIE 195

TABLE DES MATIÈRES 203


LES AUTEURS

Claude A IGUESVIVES
Psychiatre, expert près la Cour d’Appel de Montpellier.
Jacques A RGELÈS
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Ancien directeur d’associations de protection de l’enfance. Membre du
Conseil scientifique et technique de l’association Docteurs Bru.
Geneviève AVENARD
Défenseure des enfants, adjointe du Défenseur des droits
Odile BARRAL
Juge des enfants à Toulouse. Auteur de Des enfants-otages dans les conflits
d’adulte (Érès, 2013).
Jean Michel B RETON
Officier de police judiciaire, Brigade des recherches Toulouse-Mirail.
Roland C OUTANCEAU
Psychiatre, expert national, président de la Ligue française de la santé
mentale, chargé d’enseignement en psychiatrie et psychologie légales
à l’université Paris V, à la faculté du Kremlin-Bicêtre et à l’École des
psychologues praticiens.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Jocelyne DAHAN
Médiatrice familiale diplômée d’État, formatrice, auteur de plusieurs
ouvrages et nombreux articles relatifs à la médiation, à la famille, membre
du Conseil national consultatif de la médiation familiale, a participé à
l’institutionnalisation de la médiation familiale.
Lorraine F ILION
Travailleuse sociale, médiatrice familiale, coach parental et formatrice,
Québec, Canada. Lorraine Filion a co-fondé l’AIFI (Association franco-
phone des intervenants auprès des familles séparées. www.aifi.info)
Yves-Hiram H AESEVOETS
Psychologue clinicien, psychothérapeute d’orientation psychanalytique,
maître-assistant et chargé de cours des Hautes Écoles, chargé de
recherches et maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles,
VIII L ES AUTEURS

expert près des Tribunaux et du ministère de la Justice, formateur à


l’Institut belge de victimologie.
Marc J USTON
Président de Tribunal honoraire
Gérard N EYRAND
Sociologue, professeur à l’université de Toulouse.
Marc PASSAMAR
Psychiatre, pédopsychiatre, praticien hospitalier.
Gérard P OUSSIN
Professeur honoraire en psychologie.
Fabienne Q UIRIAU
Ancienne conseillère technique auprès du ministre Philippe Bas pour
élaborer la réforme de la protection de l’enfance entre 2005 et 2007 qui
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aboutira au vote de la loi du 5 mars 2007. Depuis cette date, dirigeante de
la Cnape, fédération nationale d’associations investies dans la protection
de l’enfant.
Vanessa R ICHARD
Travailleuse sociale, Québec, Canada.
Hélène ROMANO
Docteur en psychopathologie-HDR, expert près les tribunaux.
Olivier T ELLIER
Psychiatre, praticien hospitalier, Unité pour malades difficiles.
Jacques T OUBON
Défenseur des droits.
Jean-Luc V IAUX
Professeur émérite de psychopathologie, Université de Rouen.
Bernard V ILAMOT
Psychiatre, pédopsychiatre, praticien hospitalier ; expert près la Cour
d’Appel de Toulouse.
Préface

LA PAROLE DE L’ENFANT
EN JUSTICE
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Jacques TOUBON
Défenseur des droits

les missions que lui a attribuées la loi organique de mars 2011,


S ELON
le Défenseur des droits a en charge particulièrement la défense de
l’enfant et de son intérêt. Or, rien n’est plus délicat à mener à bien
que le recueil de la parole des plus jeunes. Même si l’ensemble des
intervenants du monde judiciaire et socio-éducatif fait preuve chaque
jour d’un professionnalisme incontestable, notre Institution, à travers les
milliers de dossiers qu’elle traite tous les ans, a constaté combien ce sujet
était délicat.
Même si des avancées – parfois contradictoires – ont vu le jour depuis
une dizaine d’années, comportant certains dispositifs protecteurs, on doit
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

déplorer encore une forte ignorance de cette réalité et une inadaptation des
procédures dans l’exercice quotidien de la justice familiale, que quelques
affaires médiatisées ont permis de faire connaître.
Ce constat a conduit le Défenseur des droits à choisir le thème de
la parole de l’enfant en justice. Des auditions ont été menées avec
l’ensemble des acteurs qui interviennent lorsque le mineur est confronté
à la justice : magistrats, avocats, associations, policiers, gendarmes ou
encore médecins, enfin et surtout, les enfants eux-mêmes.
Quelle que soit la nature de la participation de l’enfant, quel que soit
le domaine juridique concerné – justice pénale ou justice des affaires
familiales –, des mesures particulières et protectrices doivent être mises en
place par les pouvoirs publics pour le recueil de la parole de ces enfants.
Il est primordial pour notre pays, un des premiers signataires de la
Convention relative aux droits de l’enfant (adoptée à l’ONU en 1989),
X P RÉFACE

que la parole de l’enfant soit entendue et respectée afin de lui offrir les
meilleures garanties dues à son expression.
Entendre un enfant, c’est lui permettre de s’exprimer sur les questions
qui le concernent et de l’intégrer à la prise de décision des adultes. Ce
droit à l’expression, à la parole est un enjeu fondamental qui concerne sa
vie au quotidien et aura des répercussions sur sa vie future.
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AVANT-PROPOS
Jocelyne DAHAN et Roland C OUTANCEAU

à l’écoute de l’enfant s’inscrit dans l’évolution de


L A SENSIBILITÉ
notre société démocratique ; la loi faisant progressivement de l’enfant
une personne à part entière. Mais si tout témoignage d’enfant est précieux,
il doit aussi être évalué.
Dans les plaintes au pénal, il faut en apprécier la « crédibilité ».
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Au civil, l’enfant est parfois « englué » dans le conflit de ses parents.
Il prend parfois partie, par « loyauté » pour le parent avec lequel il vit au
quotidien.
Dans quel cadre entendre sa parole ? Quelle méthodologie pour l’écou-
ter ? Dans des situations de séparation conflictuelle du couple, comment
éviter l’influence de l’un de ses parents ? Comment permettre à l’enfant
de sortir d’une position d’enjeu ? Comment démêler ce qui est de sa
« demande », de ce qui est de son intérêt ?
Ces questions se posent à tous les professionnels de l’accompagnement
familial (juges, avocats, médecins, psychologues, experts, travailleurs
sociaux, médiateurs...).
Pour tenter de répondre aux questions que chacun se pose sur la parole
de l’enfant, ce livre se compose de cinq parties :
• repérages pluridisciplinaires ;
• regards croisés ;
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• questionnements autour du recueil de la parole de l’enfant ;


• la parole de l’enfant au pénal ;
• la parole de l’enfant au civil.

Dans une première partie, Geneviève Avenard, la Défenseure des


enfants, rend compte de l’évolution de la loi, considérant désormais
l’enfant comme une personne à part entière.
Fabienne Quiriau situe le cheminement vers une meilleure protection
des enfants et des familles.
En contrepoint, le sociologue Gérard Neyrand, problématise la parenta-
lité au cœur des politiques familiales.
Dans une seconde partie, des professionnels de champs différents :
Odile Barral (magistrat), Jacques Argelès (consultant), Lorraine Filion
et Vanessa Richard (médiatrices), Claude Aiguesvives (pédopsychiatre
XII A VANT- PROPOS

expert) développent leurs réflexions autour de la parole de l’enfant, dans


leur pratique quotidienne.
Dans la troisième partie, trois auteurs : Gérard Poussin, Hélène Romano
et Roland Coutanceau exposent leurs repères théoriques sur la question
du recueil de la parole.
Dans une quatrième partie, s’inscrivant dans le cadre pénal, Yves-Hiram
Haesevoets rend compte de sa pratique expertale.
Bernard Vilamot, Jean Michel Breton, Marc Passamar et Olivier Tellier
témoignent de leur pratique de l’audition du mineur victime, dans la
pluridisciplinarité.
Enfin, Jean Luc Viaux traite du sujet sensible des fausses allégations.
Dans une cinquième partie portant sur le civil, Marc Juston restitue sa
longue pratique de Juge aux Affaires Familiales.
Jocelyne Dahan précise le contexte d’une pratique innovante : l’audition
du mineur, par délégation du Juges aux affaires familiales.
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Enfin, Roland Coutanceau tente de proposer quelques repères pouvant
être partagés au-delà de débats parfois passionnés, autour du syndrome
d’aliénation parentale.
Les auteurs du livre ont tenté, au-delà de leur positionnement théorique,
de problématiser leurs interrogations, leurs cheminements en faisant
apparaître leurs pratiques, notamment autour de situations pas toujours
simples à éclairer ou à objectiver.
L’esprit du livre est de porter un regard accueillant, sensible, humain,
mais aussi rigoureux et objectif sur la parole de l’enfant, pour, au-delà
d’échanges parfois passionnels, réunir une dynamique pluridisciplinaire
autour de la reconnaissance de l’enfant comme sujet en devenir.
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REPÉRAGES
PARTIE 1
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Chapitre 1

LE DROIT D’ÊTRE
CONSIDÉRÉ COMME UNE
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PERSONNE À PART ENTIÈRE
Geneviève AVENARD

I NTRODUCTION
L’article 12 de la Convention relative droits de l’enfant1 précise que :

« Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement


le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant,
les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à
son âge et à son degré de maturité. À cette fin, on donnera notamment à
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou


administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un
représentant ou d’un organisme approprié... ».

À l’occasion de la journée internationale des droits de l’enfant, chaque


20 novembre, le Défenseur des droits remet au Président de la République
et aux Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat un rapport sur les
droits de l’enfant. En 2013, celui-ci a été consacré à « l’enfant et sa parole
en justice ».
Chaque année, des milliers d’enfants sont confrontés à la justice de
notre pays. Il peut s’agir soit de procédures de divorce où l’enfant
devient trop souvent un enjeu pour les parents en conflit, soit il s’agit

1. Votée à l’ONU à New-York en 1989, ratifiée par la France en 1990.


4 R EPÉRAGES

d’enfants victimes, témoins ou auteurs d’actes répréhensibles. Leurs


paroles recueillies deviennent des éléments parfois déterminants dans
la décision judiciaire qui sera finalement prise.
Parfois fragiles ou malhabiles, souvent évolutifs au gré des circons-
tances et des interlocuteurs, les mots des plus jeunes sont une matière
indispensable, précieuse pour que le droit soit dit, mais à manier avec la
plus extrême prudence.
Tout d’abord cela passe par un lieu dédié et non anxiogène, comme
c’est déjà le cas dans certaines juridictions où l’enfant s’exprime dans un
endroit neutre, détaché de l’espace judiciaire ou policier.
En second lieu, la question des interlocuteurs de l’enfant est aussi
primordiale : même si dorénavant des modules de formation existent pour
les forces de sécurité et pour les personnels de justice, il est indispensable
de les renforcer, de les systématiser et surtout de permettre à chacun de
compléter son savoir en la matière. Trop souvent, au cours de nos auditions
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et rencontres, nous avons constaté des pratiques disparates qui fragilisent
la prise en compte de la parole de l’enfant.
Il est nécessaire qu’un ensemble de documents de nature diverse adapté
à leur âge soit mis à disposition des plus jeunes pour leur apporter toutes
les explications nécessaires sur les raisons de leur audition et l’usage
éventuel qui peut en être fait.
Dans une démocratie évoluée, il est indispensable que l’intervention
de l’enfant dans le monde de la justice soit encadrée, audible par les
professionnels et rassurante pour les enfants.
C’est pourquoi à l’issue de ce rapport, dix recommandations sont
formulées à l’ensemble des décideurs publics. La plupart d’entre elles
relèvent du bon sens et du respect fondamental des droits de l’enfant qui
demeure le cœur de notre mission.

U NE LENTE ÉMERGENCE DE L’ ÉCOUTE DE L’ ENFANT


Jusqu’à la révolution française, l’enfant, l’adolescent n’a guère de
marge d’autonomie et d’expression pour faire entendre sa voix : majorité
tardive à 25 ans, possibilité paternelle d’emprisonner le jeune récalcitrant,
droit de correction (mentionné jusqu’en 1958) entre autres. Ce n’est
cependant qu’en 1889, que, choquant certains, et afin de protéger le corps
de ce futur citoyen et travailleur qu’est l’enfant, la loi sur la déchéance
paternelle est votée, pour les cas où le père se montrerait trop violent, trop
négligent, trop maltraitant. De l’écoute de l’enfant, de son opinion sur ses
conditions de vie en famille, sur un éloignement et un placement éventuels,
il n’est alors pas encore question. Et si, en 1912, la spécificité de l’enfance
est reconnue avec la création des tribunaux pour enfants il s’agit d’abord
de définir des classes d’âges relatives aux enfants délinquants ou en danger
et de faire bénéficier les moins de 16 ans de l’excuse de minorité.
LE DROIT D ’ ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UNE PERSONNE À PART ENTIÈRE 5

Une reconnaissance tardive des violences physiques


et sexuelles
La lente mise en lumière des violences physiques et sexuelles dont
l’enfant peut faire l’objet conduit à ce que celui-ci acquiert le statut de
victime reconnue dans la sphère sociale comme judiciaire. Pour le soigner
autant que pour permettre aux tribunaux de sanctionner ces violences il est
considéré opportun de le laisser s’exprimer et de l’écouter. La maltraitance
physique intrafamiliale n’est alors guère identifiée, ni prévenue, ni traitée
comme telle ; la maltraitance sexuelle encore moins.
Les enfants se taisent. À partir des années 1970, en France, sous
l’impulsion du pédiatre Pierre Straus, quelques pédiatres et pédopsy-
chiatres commencent à observer et comprendre les mauvais traitements
physiques : enquêtes, observations d’enfants hospitalisés, placés... De là
naîtront des structures nouvelles, pluridisciplinaires, d’accueil, de soins
et d’accompagnement des parents et des enfants. Des associations se
constituent dont, pionnière en 1979, l’Afirem (Association française
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d’information et de recherche sur l’enfance maltraitée). Ces praticiens
qui soignaient régulièrement de tels enfants évoquent encore aujourd’hui
« un véritable déni, c’est-à-dire voir quelque chose mais ne pas en tenir
compte, des violences sexuelles subies par des enfants ». Marqués par
les travaux canadiens, ils décident de réexaminer des dossiers d’enfants
maltraités qu’ils ont suivis et découvrent alors avec stupéfaction que,
parmi eux, plusieurs enfants ont subi des agressions sexuelles.
Ces médecins se forment eux-mêmes à l’écoute cette parole, au repé-
rage des situations. Quelques adultes viennent leur décrire ce que, enfants,
ils ont subi. Ainsi « s’est bâtie une science clinique », qui a ensuite été
diffusée, en premier lieu chez les médecins afin de protéger les enfants
d’aujourd’hui1.

Une approche pénale


Deux textes de loi concrétisent une approche pénale de ces violences
portées sur le corps et l’esprit de l’enfant.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La loi du 10 juillet 1989 relative à la prévention des mauvais traite-


ments à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance. La victime
est entendue par le juge ; elle raconte son histoire, les faits. Première
brèche dans le silence, premiers risques de cacophonie sur l’écoute, sur
l’évaluation de la parole par les professionnels. Policiers ou gendarmes,
travailleurs sociaux, magistrats souvent peu formés à interroger des
enfants, parfois très jeunes, sur de tels sujets. L’enfant parviendra-t-il
à dire ce qu’il a à dire ?
Puis vient la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la
répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs.

1. Pierre Strauss et Michel Manciaux, L’enfant maltraité, Fleurus 1982 ; devenu, en


2002, Enfances en danger.
6 R EPÉRAGES

Elle consacre une large place à l’audition des enfants et à leur protection
au cours du processus judiciaire. Le témoignage d’un enfant ne s’organise
pas comme celui d’un adulte. La répétition du récit, devant plusieurs
interlocuteurs différents, est perçue comme un facteur ébranlant l’enfant
car redire c’est revivre. L’enregistrement des auditions se veut une garantie
contre des variations dans les récits et une protection contre la reviviscence
des affects.

L’ ÉCOUTE DE L’ ENFANT S ’ INSTALLE DANS LE DROIT


DE LA FAMILLE
La loi relative à l’autorité parentale
En affirmant que « les parents associent l’enfant aux décisions qui
le concernent selon son âge et son degré de maturité » (art 371-1 al. 3
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du code civil), la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale a
marqué une évolution importante dans la prise en compte des droits de
l’enfant notamment en y intégrant la notion d’intérêt de l’enfant. L’autorité
parentale qui est aussi une manière d’organiser les relations entre parents
et enfants ne peut faire l’impasse sur l’écoute de l’enfant, dont les parents
doivent, en fonction de son âge et de sa maturité, prendre son avis, lors
par exemple de la séparation des parents.
Dans ce cas, le juge aux affaires familiales veille spécialement à la
sauvegarde des intérêts des enfants mineurs. Pour déterminer leur intérêt
il s’appuie sur un ensemble d’éléments concrets parmi lesquels l’audition
de l’enfant et les sentiments exprimés par le mineur.
Lorsque surviennent dans la famille des difficultés éducatives pouvant
conduire à des mesures d’assistance éducative ou de placement, l’enfant
qui le demande, considéré comme doté d’un discernement suffisant peut
donner son avis au juge afin d’éclairer sa décision sur son projet de vie
comme l’impose la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance.
L’article 388-1 du code civil est désormais rédigé :

« Dans toute procédure le concernant, le mineur capable de discernement


peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son
consentement, être entendu par le juge ou, lorsque son intérêt le com-
mande, par la personne désignée par le juge à cet effet. »

Une parole sacralisée à l’excès...


À la suite de la tragique affaire judiciaire d’Outreau, la ministre de la
justice de l’époque Marylise Lebranchu charge un groupe d’experts pré-
sidé par le magistrat Jean-Olivier Viout d’analyser les dysfonctionnements
de l’affaire dite d’Outreau. Rapport remis en 2005 à Dominique Perben.
Dès ses premières lignes le rapport Viout affirme :
LE DROIT D ’ ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UNE PERSONNE À PART ENTIÈRE 7

« Longtemps dédaignée ou tenue circonspecte, trop facilement couverte


par les clameurs de l’adulte dénégateur, la parole de l’enfant a peu à
peu occupé sa légitime place dans la procédure judiciaire à la faveur
notamment de l’action militante d’associations ou d’individualités exem-
plairement engagées. Cette parole si vulnérable ne saurait retomber dans
les limites de l’indifférence, au vu et au prétexte de la conclusion de
l’affaire Outreau. Mais la parole de l’enfant n’a pas pour autant vocation
à une systématique et inconditionnelle sacralisation. Elle se doit d’être
recueillie puis expertisée avec les précautions et le professionnalisme
qu’exige sa spécificité. »

Les auditions menées par le groupe de travail (la Défenseure des


enfants avait alors été entendue) ont amené à mettre en évidence six
problématiques : le recueil et l’expertise de la parole de l’enfant ; l’apport
de la procédure d’information judiciaire ; le contrôle de la détention
provisoire ; la prise en charge du mineur victime ; le déroulement du
procès d’assises ; les relations avec les médias.
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49 préconisations ont été formulées par ce groupe de travail invitant à
remodeler profondément les savoir-faire ou à en instaurer de nouveaux,
notamment les formations professionnelles dans leur ensemble et en
particulier celles des enquêteurs en charge de recueillir la parole de
l’enfant également celles des magistrats, étant noté que par la suite l’École
nationale de la magistrature a remanié radicalement l’ensemble de son
cursus.
Plusieurs préconisations engagent à mettre en œuvre des dispositions
déjà existantes ou leur extension. Il en est ainsi de l’enregistrement des
mineurs, obligatoire depuis la loi du 17 juin 1998, le groupe de travail
ayant constaté que la plupart des équipements étaient inexistants ou mal
utilisés.
On trouve aussi l’écho de ces réflexions dans la loi du 5 mars 2007
réformant la protection de l’enfance qui insiste sur l’importance de
l’audition de l’enfant dans les décisions de protection qui le touchent
et crée une instance pour professionnaliser l’évaluation du signalement.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Aujourd’hui, dans l’espace judiciaire se jouent des décisions essen-


tielles pour la vie de l’enfant : séparation des parents, difficultés éducatives,
conflits avec la loi, violences de toutes sortes... Les dispositions qui
régissent sa présence et son intervention ont beaucoup changé en 25
ans et font désormais une place plus significative aux droits de l’enfant.
Pourtant, comment porter sur la scène judiciaire la parole de l’enfant et
l’univers si dérangeant qu’elle décrit, des propos dont la réalité – parfois
si spectaculaire comme l’ont montré des affaires retentissantes – a ébranlé
bien des certitudes et des savoirs ?

Alors qu’elle doit être contextualisée...


La parole de l’enfant et de l’adolescent doit être contextualisée afin de
tenir compte de son développement cognitif et affectif et de son cadre de
8 R EPÉRAGES

vie. L’expérience a montré, douloureusement, que la parole de l’enfant


« n’est pas à prendre au pied de la lettre » mais à recueillir et examiner en
fonction d’éléments techniques qui s’appuient sur des repères partagés.
On ne communique pas avec un enfant ou un adolescent comme avec
un adulte. L’apprentissage du langage est progressif, il ne se borne pas à
l’acquisition de vocabulaire ou à la qualité de la syntaxe. Le langage traduit
la façon dont l’enfant, ou l’adolescent, organise sa pensée, se détache du
réel et devient capable de conceptualisation.
Cependant, les mots, les sentiments n’ont pas le même sens selon le
moment du développement cognitif et psychique et de la construction de la
personnalité de l’enfant. En effet, les limites de ses capacités d’expression
peuvent engendrer des confusions entre ce que disent l’enfant et la réalité.
Durant cette période où son langage se développe, l’enfant se forge son
propre vocabulaire ou emploie des mots qui ont cours dans sa famille, très
souvent dans le registre de la vie quotidienne et du corps, mais qui n’ont
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pas le même sens ou pas de sens du tout pour une personne extérieure.
D’où les risques d’incompréhension ou d’interprétation.
Certains adolescents se font remarquer par leurs grandes difficultés pour
accéder à cette fonction symbolique du langage ce qui les réduit à une
grande pauvreté d’expression. De plus en plus souvent des professionnels
(éducateurs, médecins, magistrats, psychologues...) se désolent de la
présence croissante dans les structures spécialisées de prise en charge
de la jeunesse, d’adolescents conduits là par leur incapacité à mettre en
mots ce qu’ils ressentent, y substituant trop souvent violence et actes
délictueux.
Lors de l’audition, l’enfant est incité à mobiliser sa mémoire, à recher-
cher activement et précisément ses souvenirs.

« Le contexte judiciaire s’intéresse aux informations qui composent la


mémoire épisodique en relation avec les souvenirs de faits vécus qui
permet de se souvenir et de faire un retour vers le passé » explique la
psychiatre médecin légiste Élisabeth Martin.

Cohabitent dans la mémoire des souvenirs et des productions imagi-


naires issues du monde intérieur, représentations mentales sans rapport
avec la réalité perçue. Cet imaginaire a une place essentielle dans la vie
psychique de l’enfant. Démêler l’un de l’autre requiert du savoir-faire.
Les éléments affectifs occupent une place majeure dans l’expression.
Ainsi est-il du langage corporel : gestuelle, mimique, immobilité ou
agitation... Certaines unités d’assistance à l’audition filmant l’audition de
l’enfant en sont venues à installer une table transparente afin d’enregistrer
ce qui se passe sous la table : mouvements des jambes et des mains,
cachées, tordues, etc.
D’autres manifestations affectives sont plus complexes à repérer et à
comprendre. Beaucoup d’enfants malmenés ou maltraités par leurs parents
maintiennent un attachement à ces parents, bien que leur mode d’éducation
LE DROIT D ’ ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UNE PERSONNE À PART ENTIÈRE 9

ait été mis en cause et, parfois, les ait conduits devant la justice. La
dépendance de l’enfant à l’égard de l’adulte, l’amour, l’affection, le respect
lui rendent en effet difficile de prendre ses distances d’avec un adulte
proche et aimé. Le besoin de sécurité inhérent à l’enfant peut le conduire
à moduler ses propos en fonction des conséquences qu’ils pourraient avoir
sur sa sécurité et ses conditions de vie : changer d’hébergement, être placé.
Devenir une arme entre des parents perdus dans une séparation très
conflictuelle place l’enfant ou l’adolescent dans un tiraillement permanent,
un conflit de loyauté qui fausse son expression, celle de ses sentiments
et de ses désirs. Parfois, à l’encontre de ce qu’il souhaite réellement, il
tient un discours en faveur d’un parent qu’il a « choisi », parce qu’il
se sent investi de la mission de soutenir ce parent qui souffre. Ainsi
peuvent s’expliquer, en dehors de tout climat de peur et de menaces, des
rétractations et des variations dans les récits d’enfants et d’adolescents.
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L A PAROLE DE L’ ENFANT EN JUSTICE :
L ES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DU D ÉFENSEUR DES DROITS

L’audition de l’enfant
L’enfant capable de discernement peut être entendu par le juge, cette
audition est de droit lorsque l’enfant en fait la demande (article 388-1 du
code civil). Demande fréquente auprès du juge aux affaires familiales lors
des séparations parentales.
La mise en œuvre de ce droit bute sur l’appréciation du discernement de
l’enfant faute de critères et de pratiques homogènes.
• Reconnaître une présomption de discernement à tout enfant qui demande
à être entendu par le juge dans une procédure qui le concerne. Le
magistrat entendant l’enfant qui le demande pourra alors apprécier son
discernement et sa maturité

Les enfants victimes


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Les enfants victimes ont besoin d’un soutien individuel, juridique et psycho-
logique tout au long du parcours judiciaire.
Plusieurs unités d’assistance à l’audition ont été créées rassemblant dans
un lieu unique une équipe pluridisciplinaire de professionnels formés à
l’écoute de l’enfant victime, au recueil et à l’enregistrement de sa parole et
aux éventuels examens médicaux nécessaires à la procédure.
• Mettre en place sur tout le territoire des unités d’assistance à l’audition
afin d’offrir aux enfants victimes la garantie d’être auditionnés et accom-
pagnés par des professionnels : policier, gendarme, médecin.
L’audition du mineur victime doit être filmée afin d’éviter à l’enfant de
répéter ses déclarations tout au long de la procédure devant plusieurs
interlocuteurs au risque qu’elles soient déformées.
Bien que ces enregistrements soient mis à disposition des magistrats,
des experts et des avocats qui peuvent les regarder à tout moment de la
procédure ils ne sont que très rarement consultés.

10 R EPÉRAGES

• Engager à l’échelle nationale une évaluation de l’utilisation effective des
enregistrements des auditions de mineurs victimes par les professionnels
auxquels ils sont destinés.

L’enfant témoin
Les réclamations reçues, l’enquête et les auditions menées par la Défen-
seure des enfants, montrent que le statut juridique de l’enfant témoin se
trouve « hors garanties procédurales ».
• Conférer à l’enfant témoin un statut juridique précis qui lui garantisse des
droits et prenne en compte la vulnérabilité due à sa minorité.
• Ce statut serait réservé aux enfants témoins des affaires les plus graves.

Développer une meilleure information auprès des jeunes pour une


justice adaptée aux enfants et aux adolescents
Développer « une justice adaptée aux enfants » suppose de donner les
moyens de connaître et comprendre le monde de la justice.
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• Mobiliser l’ensemble des professionnels de l’éducation afin que, dans le
cadre d’une éducation réelle à la citoyenneté, tout enfant et adolescent
soit informé de façon concrète sur le monde de la justice, les droits qui
sont les siens et la manière de les exercer.
• Fournir à tout enfant confronté au monde judiciaire une information claire
et adaptée à son âge et à son degré de maturité sur ses droits, la justice
et son fonctionnement. Cette information (plaquettes, outils numériques)
devra lui donner les moyens de se repérer entre les différents acteurs, de
comprendre le déroulement de la procédure qui le concerne et, tout en
exerçant ses droits, d’être respecté dans son statut d’enfant.

Dans le cadre des séparations parentales


Lors des séparations familiales engagées devant le juge aux affaires
familiales, la Défenseure des enfants a pu constater que les enfants sont
inégalement informés du droit à être entendu par ce magistrat.
• Informer l’enfant de tous les droits et utiliser tous les moyens pour
ce faire : courrier du greffe adressé à l’enfant, fascicules d’information,
consultations gratuites d’avocats destinées à ce public, sites internet.
• Encourager et valoriser la présence d’un avocat formé aux droits de
l’enfant aussi bien devant le juge aux affaires familiales qu’en matière
d’assistance éducative.
• Renforcer l’information de l’enfant et de l’adolescent quant à ce droit
d’assistance afin qu’ils soient à même de comprendre la procédure
judiciaire en cours et la place qui est la leur.

C ONCLUSION
Reconnaître et faire vivre le droit à l’expression répond directement à
l’intérêt supérieur de l’enfant. Un principe essentiel mis en avant par la
Convention dès son article 3 et qui doit constituer « une préoccupation
primordiale ». À chacun des acteurs sociaux et, tout particulièrement
LE DROIT D ’ ÊTRE CONSIDÉRÉ COMME UNE PERSONNE À PART ENTIÈRE 11

à ceux intervenant auprès d’enfants ou d’adolescents, confrontés à des


situations concrètes de rechercher où se situe le meilleur intérêt de
l’enfant ; de le mettre en œuvre dans la façon d’écouter l’enfant, de
recueillir sa parole, de la prendre en considération.
Mais, après vingt-cinq années d’application de la Convention relative
aux droits de l’enfant, la société française est-elle prête à accepter que
l’enfant soit une personne à part entière, qu’il ait des droits et que,
naturellement, il les exerce ?
Laisser l’enfant et sa parole en justice prendre sa place dans la sphère
judiciaire a entraîné des mouvements d’opinion divers. Ils ont contribué à
semer le doute et à déconsidérer cette parole. Elle est pourtant l’expression
d’enfants victimes, d’enfants dont la famille éclate, d’enfants qui ont
été témoins de faits interdits et qui, tous, sont ébranlés par une épreuve
personnelle.
Ce n’est pas le moindre des enjeux que de toujours considérer l’enfant
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comme un sujet capable de penser, d’avoir une opinion personnelle, de
« discernement » donc, plutôt que comme un objet dont disposeraient les
adultes. Ainsi est-il de la fonction des adultes d’aider l’enfant à forger
ce discernement ; de lui éviter d’être manipulé, voire instrumentalisé par
ceux qui se dédouanent de leurs responsabilités éducatives en projetant
les enfants trop jeunes dans un univers d’adultes dans lequel ils ne savent
pas évoluer en sécurité.
Souvent la parole de l’enfant dérange les professionnels qui l’entendent.
Favoriser un travail transversal entre ceux-ci : enquêteur, magistrat, avo-
cat, expert, administrateur ad hoc, médecin... accentuer leur formation à la
connaissance de l’enfant, de son développement et de ses besoins, installe
une culture commune bénéfique pour l’intérêt supérieur de l’enfant.
Chapitre 2

UNE LOI POUR UNE


MEILLEURE PROTECTION
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DES ENFANTS
ET DES FAMILLES
Fabienne Q UIRIAU

qui a précédé l’adoption de la loi de 2007 réformant la


L A RÉFLEXION
protection de l’enfance fut un moment propice pour se réinterroger
sur ce que doit recouvrir la notion même de protection, sa raison d’être
et la manière dont elle doit être mise en œuvre. Cette ré-interrogation a
conduit à redéfinir :
• le périmètre de la protection de l’enfance qui a été étendu en y intégrant
la prévention ;
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• les facteurs de la protection qui distinguent le danger (maltraitance


incluse) et le risque de danger pour l’enfant ;
• les modalités de mise en œuvre de la protection, dont les principes et le
cadre d’action ont été revisités pour être davantage en adéquation avec
les besoins de l’enfant.
L’objectif visé était de mieux protéger l’enfant. Mais qu’en a-t-il
été des membres de sa famille ? Toute la réflexion conduisait à les
associer davantage et autrement à la protection de l’enfant, et à mieux
les accompagner.
Fallait-il pour autant une loi s’agissant essentiellement de pratiques,
de manières d’être et de faire avec les familles ? Le législateur a estimé
qu’il y avait lieu de conforter par le droit ces principes d’action, et que par
ailleurs, la loi était nécessaire pour renforcer ou restreindre certains droits.
14 R EPÉRAGES

La loi a été diversement accueillie par les professionnels de la protection


de l’enfance, balançant entre trop de droits donnés aux enfants et trop de
place accordée aux familles. C’est ce second point de vue qui prévaudra
quelques années plus tard, certains dénonçant une collaboration poussée à
l’extrême avec les familles au détriment de l’enfant. Le rapport bien plus
nuancé de deux sénatrices remis au Sénat en 2014, relèvera cependant la
persistance d’un « dogme familialiste ».
Pourtant, le législateur de 2007 a recherché un équilibre. Soucieux de
l’intérêt de l’enfant, du respect de ses droits et de la satisfaction de ses
besoins fondamentaux, sa protection du danger a été réaffirmée comme
le fondement de la protection de l’enfance. Mais en même temps, il a
conçu cette protection avec l’implication des parents et de la famille, sous
réserve qu’elle soit possible. Il invite ainsi à concilier, au nom de l’intérêt
de l’enfant, ses droits et les droits parentaux et ceux de la famille, mais
pas à n’importe quel prix pour l’enfant.
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Dans la pratique, la recherche de cet équilibre s’est avérée difficile,
pour des raisons de procédures et de pratiques, mais aussi pour des causes
exogènes, notamment liées à un contexte social, économique, financier,
administratif en plein bouleversement, induisant diverses contraintes sur
la protection de l’enfance.
En réalité, ce sont les mutations sociales et sociétales qui bousculent le
plus, questionnent les missions et les limites de la protection de l’enfance
face à la transformation des rapports intrafamiliaux, de l’environnement
des familles, des modes de vie. Les attentes personnelles s’affirment,
accrues par les lois de la décennie 2000-2010 relatives au domaine social
et médico-social, conduisant à devoir satisfaire prioritairement des besoins
individuels plutôt que collectifs.
Ces transformations ne sont pas sans effet sur les intervenants de la pro-
tection de l’enfance. Un sentiment d’impuissance grandit en même temps
que se multiplient les questionnements sur le sens de leur action et la place
de chacun dans un dispositif qui apparaît de plus en plus complexe. Quelle
place et quel rôle pour les acteurs publics, les associations, les bénévoles,
les professionnels, l’enfant, les familles, les tiers ? Plus fondamentalement,
les questionnements sur la raison d’être de la protection de l’enfance, ses
principes, ses finalités, ses modalités, son devenir, traduisent un certain
égarement, mais ils sont incontournables et probablement salutaires.
Désormais, la protection de l’enfance ne peut faire abstraction de l’état
de la société, de ses rapides et profondes mutations, à l’égard desquels
elle doit s’adapter et composer. La loi de 2007 s’inscrit-elle dans le
sens de ces mutations, dans le sens de l’histoire, va-t-elle à contresens ?
Cette question conduit à se poser celle de la place de la société dans
la protection de l’enfance. Plus particulièrement, elle pose la question
récurrente de la place des parents, mais aussi celle de la famille dans
toutes ses composantes. En quoi cette place peut-elle poser problème, en
quoi peut-elle constituer un levier pour protéger l’enfant ?
U NE LOI POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES 15

L A LOI DE 2007 CONFORTE , DANS LES PRINCIPES


ET PAR LE DROIT, LA PLACE DES FAMILLES
TOUT EN PROTÉGEANT MIEUX L’ ENFANT
La place des familles a été au cœur de la réflexion avant et au moment
de l’adoption de la loi de 2007. Leur place a été reconnue et confortée par
le législateur parce que considérée comme nécessaire et symbolique pour
l’enfant, et légitime du point de vue du droit.

Conforter la place de la famille en procédant autrement


Il s’agit de miser sur un tout autre rapport entre l’enfant protégé et sa
famille d’une part, et les intervenants de la protection de l’enfance d’autre
part, partant du postulat que l’enfant doit être protégé avec l’appui de ses
parents, de sa famille et de son environnement, quand cela est possible et
souhaitable pour lui.
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En 1980, le rapport Bianco-Lamy regrettait le peu de place des parents
dans la protection de l’enfance, voire leur absence. Jusque-là, la substitu-
tion aux parents était pratique courante. Or, les rapporteurs observaient
que les parents ne peuvent être les grands absents de la protection de leur
enfant. Il sera ensuite question de suppléance, pour agir en complément
des parents et non à leur place. Une nouvelle étape sera franchie avec la
loi de 1984 qui renforcera leur place, tout en clarifiant leurs rapports avec
le service de l’ASE.
En 2007, leur place est confortée. Il s’agit aussi de les accompagner
pour qu’ils soient en mesure d’assumer leurs responsabilités éducatives.
Dans l’esprit des lois qui précèdent, cet accompagnement s’entend comme
une présence aidante à leurs côtés, favorisant un cheminement pour
apprendre ou réapprendre leurs responsabilités éducatives et (re)devenir
les premiers protecteurs de leur enfant.
En se fondant sur l’hypothèse que leur implication est un facteur facili-
tant à la protection de leur enfant, il s’agit de développer et d’entretenir
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

une confiance réciproque par l’écoute, le dialogue, la clarté, l’échange


d’informations, la possibilité d’exposer des observations, d’exprimer son
désaccord, ses attentes, ses choix.
C’est tout un processus qu’il faut donc susciter dès le début de la
protection, et avant même la décision administrative ou judiciaire, afin de
trouver ensemble les conditions du mieux-être de l’enfant et même de son
bien-être, pour déterminer son meilleur intérêt, favoriser des interactions
favorables, enclencher une dynamique de protection et s’y engager chacun
à sa juste place.
Il est probable que l’enfant ira mieux si ses parents vont mieux, en
étant aidés, reconnus, valorisés, réinvestis dans leur rôle de parents. Et
inversement, les parents iront mieux si leur enfant se sent mieux et
s’épanouit. Ce principe doit sous-tendre le projet pour l’enfant, introduit
16 R EPÉRAGES

par le législateur dans un esprit de co-construction et dans un objectif de


clarté quant aux modalités des interventions et du rôle de chacun.

Reconnaître la place légitime des parents


dans la protection de l’enfance
Le droit conforte leur place en tant que parents titulaires de l’autorité
parentale, mais aussi en tant que sujets de droits.
Une légitimité juridiquement fondée
Les parents sont, sauf restriction décidée par le juge, détenteurs de
l’autorité parentale. La loi du 4 mars 2002, codifiée à l’article 371-1
du code civil, définit ainsi l’autorité parentale « un ensemble de droits
et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ». Cette définition
appelle une coparentalité, exercée à égalité entre les deux parents, qui
peut impliquer cependant une certaine complexité lorsque des tensions
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subsistent dans le couple séparé, a fortiori lorsque les droits parentaux
aménagés par le juge sont spécifiques à chacun des deux parents.
Ainsi, les parents sont légitimes à exercer leurs droits parentaux, et
donc à décider pour leur enfant protégé si le juge n’a prononcé aucune
restriction, ni délégation partielle ou totale de l’autorité parentale. Afin
de faciliter le quotidien, le législateur de 2007 a néanmoins prévu que
les actes usuels pouvaient, dans certaines circonstances, être exercés par
l’institution ou la personne à qui est confié l’enfant sous réserve que le juge
en décide « en cas de refus abusif ou injustifié ou en cas de négligence des
détenteurs de l’autorité parentale, à charge pour le demandeur de rapporter
la preuve de la nécessité de cette mesure. »
Il est à relever que, d’une manière générale, les magistrats, sont plutôt
réticents à aménager les droits parentaux. Les deux sénatrices précitées
regrettent que la délégation de l’autorité parentale soit si peu envisagée.
Certains professionnels estiment que cette délégation peut être un levier de
travail avec les parents pour les remobiliser. D’autres, à l’inverse, craignent
qu’elle n’accentue leur démobilisation. Quoi qu’il en soit, les droits
parentaux, totalement ou partiellement maintenus par le juge, doivent
être pris en compte dans la protection de l’enfant.
Les parents doivent être reconnus en fait et en droit
comme les premiers protecteurs de leur enfant
Notre droit interne, mais aussi la Convention internationale des droits
de l’enfant (CIDE), reconnaissent les parents comme premiers protecteurs
de leur enfant, même si aucun texte ne l’exprime aussi explicitement.
C’est parce que l’enfant ne bénéficie plus de la protection suffisante de
ses parents, et qu’il est en danger au sens des articles 375 du code civil
et L.221-1 du code de l’action sociale et des familles (CASF), que la
puissance publique intervient pour le protéger. Mais ce n’est pas parce
que la puissance publique intervient, que les parents perdent leurs droits
parentaux, sauf si le juge les restreint ainsi qu’évoqué au point précédent.
U NE LOI POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES 17

Les parents sont aussi sujets de droits


Les parents d’un enfant protégé peuvent faire valoir des droits, comme
tout citoyen, face à la puissance publique, sauf à en être déchus. C’est
tout le corpus des droits individuels et collectifs qui peuvent être invoqués.
Certains droits et libertés viennent régulièrement questionner la protection
de l’enfance : liberté d’opinion, liberté religieuse, liberté d’expression,
égalité de droits devant la loi, garantie des droits, à la vie privée, du secret
de certaines informations (secret professionnel), de traitement dans les
procédures judiciaires (procédure contradictoire, assistance d’un avocat
au civil, parties à l’audience) droits civils et sociaux, droit à la motivation
des décisions, d’accès au dossier. Ce sont des droits avec lesquels les
intervenants sont généralement peu à l’aise et peu au fait.
La loi du 6 juin 1984, déjà évoquée, a marqué un tournant décisif
concernant les droits des familles dans leurs rapports avec les services
chargés de la protection de l’enfance. Cette loi est, en bien des points,
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précurseur de la loi du 2 janvier 2002 relative aux droits des usagers. Il est
notamment question du respect de l’autorité parentale, de leurs droits à
l’information, à être consultés, d’être accompagnés dans leurs démarches,
à la révision régulière de la situation, d’exercer un recours contre les
décisions.
Les droits individuels n’ont cessé d’être affirmés par les lois au cours
des quatre dernières décennies, reconnaissant à chacun ses droits et donc sa
place dans la société. Ils constituent incontestablement une avancée pour
tous. Mais, en même temps, ils génèrent des inégalités entre les personnes :
inégalité d’accès, non-recours, disparités de traitement entre les territoires.
La protection de l’enfance est un domaine où les risques d’écarts entre les
droits des personnes et leur effectivité sont potentiellement élevés.

Se référer aux droits de l’enfant pour assurer


sa protection
Même si la plupart sont directement transposables dans notre droit
interne, le législateur a introduit dans la loi de 2007 certaines dispositions
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de la CIDE, marquant ainsi sa volonté de les promouvoir et de les faire


appliquer sans contestation possible dans la protection de l’enfance. Cette
intention se traduit dans une disposition majeure du texte qui s’impose à
tous « la prise en compte de ses droits, de ses besoins fondamentaux, de
son intérêt dans toute décision le concernant ».
Les droits de l’enfant facteurs de sa protection
Jusque-là méconnus, y compris par les professionnels de l’enfance, les
droits de l’enfant vont connaître, 20 ans après l’adoption de la CIDE,
un intérêt nouveau dans la protection de l’enfance. Reprenant certaines
dispositions de la CIDE, la loi de 2007 y a probablement contribué, en
reprenant celles relatives au recueil de l’avis de l’enfant, à son audition
devant le juge s’il en fait la demande, à son information concernant toute
décision le concernant, à la prise en compte de son intérêt et de ses besoins
18 R EPÉRAGES

fondamentaux, au maintien des liens avec ses frères et sœurs et avec des
personnes autres que ses parents avec qui il a noué des liens affectifs.
Parallèlement, la CIDE affirme le rôle prééminent des parents et de la
famille. La protection de l’enfant doit être, en effet, assurée compte tenu
des responsabilités, des droits et devoirs de ses parents auxquels l’État doit
apporter son aide lorsqu’ils sont confrontés à des difficultés. Le texte invite
à préserver les relations familiales, à veiller à ce que l’enfant ne soit pas
séparé de ses parents contre leur gré à moins que les autorités compétentes
n’en décident pour protéger l’enfant (ingérence légale), à donner à toutes
les parties intéressées la possibilité de participer aux délibérations et de
faire connaître leurs vues.
Remettre en perspective la raison d’être de la protection
de l’enfance
Le législateur de 2007 précise la finalité de la protection de l’enfance
en affirmant ses missions et les principes d’action qui doivent guider tout
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acteur qui « participe ou apporte son concours ». Il s’agit essentiellement
de protéger l’enfant du danger, d’agir face à des risques de danger et de
les prévenir, de prendre soin de lui, de prendre en compte ses droits, ses
besoins fondamentaux, son intérêt propre.
S’agissant des principes et des modalités d’action, la loi de 2007,
s’inspirant de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-
sociale, invite chaque acteur à se concentrer sur l’enfant en se référant
au projet conçu pour lui, à prendre en compte son avis, à mobiliser les
ressources de son environnement, à l’appréhender dans sa dimension
globale, à veiller à la continuité et à la cohérence de son parcours
de protection, à apporter des réponses en adéquation avec ses besoins
fondamentaux.
La loi de 2007 a pris le parti de l’équilibre, pour concilier l’intérêt de
l’enfant et sa nécessaire protection et la légitimité des parents investis de
leurs droits parentaux, reconnus premiers protecteurs de leur enfant. Mais
cet équilibre s’avère difficile à trouver dans la pratique, et d’autant plus
questionné par les professionnels eu égard à la subsidiarité de la justice.

L A LOI DE 2007 À L’ ÉPREUVE DU TERRAIN,


DANS LA MISE EN ŒUVRE D ’ UNE MEILLEURE
PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES
Les contraintes actuelles qui pèsent sur les départements produisent
des effets directs ou indirects sur la manière d’appréhender la protection
de l’enfance, et par conséquent, les droits des familles. La tendance est
de se recentrer sur les compétences obligatoires, et de mettre de côté
la prévention. La focalisation sur les responsabilités du département en
matière de protection de l’enfance induit la tentation à réduire les risques a
minima, ce qui peut rigidifier le cadre d’action et les marges de manœuvre
pour les intervenants.
U NE LOI POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES 19

Quelle effectivité des droits dans la protection


de l’enfance ?
Différents constats amènent à poser la question de l’effectivité des
droits. Faute de temps et de disponibilité des professionnels, par manque
de places appropriées aux besoins des enfants, les réponses sont quel-
quefois inadéquates avec les réels besoins. Des décisions administratives
et judiciaires sont appliquées sont tardives, parfois avec un tel décalage
dans le temps qui interroge sur la réelle protection du danger. De plus, les
enfants protégés continuent de connaître des parcours chaotiques, émaillés
de ruptures qui les insécurisent et affectent leur développement. Le travail
avec les parents et les membres de la famille est quelquefois délaissé pour
se concentrer sur l’enfant.
Des marges de progrès pour parvenir à l’effectivité des droits
de l’enfant
Les institutions publiques et associatives affirment quasi spontanément
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que les droits de l’enfant sont généralement respectés dans les services et
établissements. Les professionnels, pour la plupart, confirment ce point
de vue, bien qu’ils reconnaissent des difficultés pour recueillir l’avis
de l’enfant, surtout lorsqu’il est petit, et pour le prendre réellement en
compte, pour l’informer de manière adaptée, pour déterminer son meilleur
intérêt lorsqu’il met en jeu celui de ses parents, pour évaluer concrètement
l’ensemble de ses besoins fondamentaux, notamment affectifs et pour y
répondre.
Sans doute, composer avec l’ensemble de ces droits et les mettre en
pratique, demandent du temps et du savoir-faire. À cet égard, la question
de la formation reste entière. À minima, ce sont des principes d’action
partagés que le cadre doit poser et promouvoir.
L’effectivité des droits des parents : entre exigence et renoncement
Le contexte actuel vient bousculer les droits des familles, et par
effet, leur place. Quel temps réel accordé pour l’écoute, le dialogue, la
compréhension, pour développer une confiance nécessaire, pour recueillir
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

un véritable accord, un consentement éclairé ?


Pour les parents et la famille, l’exercice effectif de leurs droits dépend,
pour une large part, de la connaissance qu’ils en ont (souvent, ils les
méconnaissent, ou même les ignorent), et de leur possibilité à les assumer
ou pas, à les revendiquer ou pas. Cela suppose de leur part la compréhen-
sion de leurs droits, de leurs responsabilités, de leur place, de la raison
d’être de la protection de l’enfance, et de la protection de leur enfant en
particulier.
Lors de l’élaboration de la loi de 2007, la compréhension des familles
a été une question majeure. Elle a fait consensus autour de l’exigence de
lisibilité de la protection de l’enfance, et donc de clarté et d’accessibilité.
La compréhension des familles est considérée comme un facteur déter-
minant pour limiter autant que possible les malentendus et favoriser leur
réelle implication dans la protection de l’enfant.
20 R EPÉRAGES

À cet égard, le rôle pédagogique des intervenants, institutionnels ou


professionnels, est apparu essentiel, particulièrement lors des premiers
contacts avec les familles. Cela suppose des modalités d’accueil et
d’information préalablement définies pour favoriser la compréhension.
Par la suite, le processus d’élaboration du projet pour l’enfant et des
documents des services et établissements déclinés au titre de la loi du
2 janvier 2002 précitée, doit aussi contribuer à favoriser la compréhension
des actions à mettre en œuvre.
C’est d’abord dans un objectif de clarté que le projet pour l’enfant a été
conçu. Puis, il a été aussi perçu comme un levier d’action en associant les
parents, dès son élaboration, pour parvenir à les mobiliser dans la mise en
œuvre de la protection. Mais dans son application, le projet a bien souvent
une traduction tout autre. Réduit à une formalité, il est encore loin de
l’esprit de la loi et des intentions du législateur de 2007.
La compréhension n’est cependant pas suffisante pour que les parents
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soient réellement acteurs de la protection de leur enfant, pour que la famille
participe effectivement. D’autres facteurs interviennent qu’il faut savoir
identifier, comme par exemple la disponibilité d’esprit des parents, leur
volonté de s’impliquer eu égard à leurs propres difficultés, la place qu’ils
souhaitent ou ne souhaitent pas, exprimée ou pas. L’exemple rapporté par
Régis Sécher est à cet égard troublant, à propos d’une mère qui, dans la
perception des cadres du service de l’ASE, se désintéresse apparemment
de ses enfants, alors qu’elle conserve précieusement chez elle chaque
bulletin de notes.
Les attitudes de désintérêt des parents à l’égard de leur enfant protégé,
leur distance, voire dans certains cas, leur hostilité à l’encontre des
professionnels, peuvent mettre ces derniers en difficulté, et même en
échec, expliquer des tensions persistantes avec les familles, conduire à
la (re)saisine du juge faute de ne pouvoir protéger l’enfant au domicile
familial, de ne pouvoir mettre en place des actions ou de maintenir des
relations apaisées avec l’enfant dans le cadre de l’exercice du droit de
visite ou d’hébergement.
Dans le cadre de l’exercice du droit de visite des parents, la loi de
2007 a permis d’envisager la présence d’un tiers lorsque les relations sont
complexes, pour faire en sorte que la visite se passe au mieux. Mais une
tout autre interprétation et application lui sont souvent données, parfois
au détriment de l’enfant, pour maintenir le lien « à tout prix ». Le texte
en voie d’adoption au Parlement prévoit un décret pour en définir les
modalités.
La subsidiarité de la justice implique un travail
plus exigeant avec les familles
La volonté de déplacer plus en amont le centre de gravité de la
protection de l’enfance vers plus de préventif, de vouloir agir plus tôt
dès le risque de danger, de rechercher davantage l’accord et l’implication
des parents, a conduit le législateur à considérer que le degré élevé de
U NE LOI POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES 21

judiciarisation de la protection de l’enfance (plus de 80 % des décisions


de protection en 2005) devenait une contradiction. C’est pourquoi, il a posé
le principe de la primauté de la protection administrative sous réserve de
recueillir l’accord des parents. Il a considéré, en outre, que saisir la justice,
s’agissant même du juge des enfants, n’est jamais une saisine anodine
pour les justiciables, avec le risque de la banaliser si la protection est
possible sans son intervention. Les réflexions menées en Europe renforcent
ce principe, plaidant pour une intervention de la puissance publique,
administrative ou judiciaire, que lorsqu’elle est nécessaire, appropriée
et proportionnée à chaque situation.
La protection administrative implique une approche qui nécessite du
temps, celle-ci ne pouvant se mettre en place sans l’accord explicite des
parents. Il doit porter sur le principe même de la protection et ses modalités.
Il est à différencier de l’adhésion que recherche le juge des enfants qui,
quoi qu’il en soit, comporte une part de contrainte. Obtenir cet accord
demande, en principe, un travail de concertation plus exigeant avec les
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parents, tout en exposant à plus de risques l’autorité administrative qui
prend la décision et les professionnels chargés de la mettre en œuvre.
Notamment parce qu’elle peut être longue à se mettre en place, la
protection administrative est perçue par de nombreux professionnels
comme un facteur aggravant des situations de danger, retardant une pro-
tection judiciaire majoritairement considérée plus efficace et permettant
de travailler plus rapidement et mieux avec les parents. Qu’elle est la
réalité de cette affirmation ? Elle ne peut être ignorée mais mériterait une
recherche-action.
L’alourdissement des problématiques familiales impacte
la protection de l’enfance
La crise actuelle contribue à détériorer plus rapidement et durablement
les situations familiales, ce qui, indéniablement, a pour effet d’aggraver
tout autant le danger. C’est toute une frange de la population engluée par
de multiples difficultés quotidiennes de plus en plus complexes à dénouer,
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui est confrontée à la protection de l’enfance. Même s’il n’y a pas lieu de
faire le lien entre précarité/pauvreté et protection de l’enfance, parce que
les milieux sociaux favorisés sont tout autant concernés par cette question
mais moins confrontés au service de l’ASE ou au juge, c’est une réalité
avec laquelle les intervenants sociaux doivent composer. Environ 80 %
des familles concernées par la protection de l’enfance aujourd’hui sont des
familles vulnérables économiquement et socialement. Si la pauvreté n’est
pas la cause de la protection, toujours est-il que la plupart des familles
concernées par la protection de l’enfance se trouvent en situation précaire.
Ces problématiques familiales, tout comme d’autres, telles que la santé
des parents, dépassent le périmètre d’action de la protection de l’enfance
alors qu’elles en sont les facteurs majeurs, ce qui peut donner un sentiment
d’impuissance aux professionnels socio-éducatifs lorsqu’elles persistent
et s’aggravent.
22 R EPÉRAGES

Le refus de rester dans l’impasse et dans l’impuissance, la prise de


conscience de l’irréversibilité durable de la situation des financements
publics, conduisent de plus en plus d’acteurs associatifs à réagir, à inventer,
à rechercher des espaces collaboratifs et les moyens de « faire avec »,
mais autrement. C’est le concept d’empowerment, le pouvoir d’agir des
personnes et le pouvoir de faire des acteurs qui rencontrent aujourd’hui de
plus en plus d’écho. Trouver de nouvelles opportunités par la créativité et
l’inventivité, par des stratégies d’adaptation tendent à devenir les nouvelles
perspectives.

La protection de l’enfance conduite à s’ouvrir


sur l’environnement et à s’inscrire sur les territoires
La désinstitutionalisation, les États généraux du travail social, la
réforme territoriale, bien que sources d’inquiétude, peuvent agir comme
des opportunités, des stimuli pour se remettre en question et trouver sur
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les territoires des ressorts pour les interventions auprès des familles.
La désinstitutionalisation prônée par l’Europe, qui inquiète tant, peut
pourtant contribuer à une nécessaire ouverture. Cette métaphore résume
ce qu’elle suppose : il ne s’agit pas d’abattre les murs porteurs mais les
cloisons, d’ouvrir les portes et les fenêtres, de s’ouvrir sur l’environnement
pour y trouver des ressources.
Cela revient à identifier toutes les ressources avec les familles, les leurs
et celles de proximité, qu’il faut ensuite vouloir et savoir mobiliser. Cette
démarche repose sur l’idée que toutes les clés se trouvent sur le territoire
de vie des personnes, que c’est dans un maillage et sur un réseau que les
intervenants et les familles peuvent prendre appui.
De même, le Plan d’action interministériel adopté en Conseil des
ministres le 21 octobre, qui résulte des États généraux du travail social
invite à repenser l’action sociale dans son ensemble, tout en s’appuyant
sur le développement social, à repenser l’accompagnement des personnes,
les pratiques, la formation, l’accès et l’exercice des droits, la prise en
compte des choix et la satisfaction besoins fondamentaux.

Les pratiques en question


Au moment même de l’élaboration de la loi de 2007, il s’agissait
de repérer les bonnes pratiques pour les valoriser et les diffuser. Cette
intention reste d’actualité. Mais que faut-il entendre par bonnes pratiques
dans un contexte aussi mouvant, aussi déstabilisant pour les familles,
les institutions et les professionnels eux-mêmes ? Sont-elles celles qui
s’adaptent aux tendances de la société, respectent à la fois les droits des
personnes tout en garantissent au quotidien la meilleure protection et le
mieux-être ?
Dans un contexte aussi contraignant, comment adapter les pratiques ?
Certes les savoirs de base doivent être revisités, mais c’est la manière
d’être avec les familles, de faire avec et autrement, qui aujourd’hui doivent
U NE LOI POUR UNE MEILLEURE PROTECTION DES ENFANTS ET DES FAMILLES 23

être au cœur des réflexions. Ce sont les représentations mutuelles, la place


de chacun, la posture eu égard à la nécessaire distance et en même temps
à l’aspiration d’une plus grande empathie, à la prise en compte d’une
dimension affective.
Le cadre de l’intervention doit être clair, sécurisant, et accorder une
marge de manœuvre nécessaire pour accompagner les familles dans leur
cheminement, permettre de la souplesse, autoriser la prise de risque,
mesurée certes, mais prise de risque quand même, et la sortie des sentiers
battus. Un tel cadre favorisant est possible par la loi d’abord, mais aussi
par la volonté des institutions publiques et associatives et de tous les
intervenants.
La protection de l’enfance est à nouveau en questionnement aujourd’hui.
La place des familles est au cœur des débats au Parlement. Ce nouveau
débat semble induire un effet de balancier qui perpétue l’histoire oscillante
de la protection de l’enfance, venant troubler l’équilibre que la loi de 2007
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tentait d’instaurer. Ce n’est pas entre l’enfant et les parents qu’il faudrait
choisir, mais pour l’enfant, en recherchant ensemble le dénominateur
commun qui dans tous les cas doit être son meilleur intérêt.

E N CONCLUSION
La loi de 2007 a marqué une étape importante de l’histoire de la
protection de l’enfance. Elle est en passe d’être à nouveau consacrée
et renforcée par le texte en débat au Parlement qui confirme qu’elle
s’inscrit bien dans le sens de l’histoire. Mieux protéger les enfants et
les familles à tous points de vue en sachant faire et être autrement, en
s’employant à changer les représentations de part et d’autre, en adaptant
le cadre d’action et les pratiques. Si la loi est nécessaire pour fixer les
orientations nationales d’une politique publique, ses objectifs, et le droit,
elle n’est jamais suffisante dans la mise en œuvre. Car c’est bien sûr le
terrain, et au quotidien, que les défis doivent être relevés, que se joue le
sort de toute loi et de cette loi en particulier.
Chapitre 3

LA PARENTALITÉ AU CŒUR
DES POLITIQUES FAMILIALES
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Gérard N EYRAND

de la famille en France1 font l’objet d’un mouvement


L ES POLITIQUES
profond de transformation (Séraphin, 2013), qui affecte peu ou
prou tous les pays d’Europe occidentale et dont on peut penser qu’il
s’appliquera à terme à l’ensemble des pays européens. Il s’agit du passage
progressif d’une politique centrée sur la famille, en tant qu’entité globale
faisant l’objet d’une préoccupation politique quant à sa place et sa fonction,
à une politique centrée sur ce que désormais on appelle la "parentalité",
autrement dit les liens et les relations établis entre parents et enfants
(Neyrand, 2011).
Ce recentrage sur une partie seulement des rapports familiaux place au
centre des préoccupations l’enfant, et correspond à tout un ensemble de
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

transformations qui ont affecté les cadres de la vie privée et familiale, et


plus particulièrement les rapports de pouvoir à l’intérieur de la famille et
la place de chaque sexe par rapport aux études, au travail, à l’enfant, à la
sexualité et au politique. Ceci sur un fond de perte de la valeur instituante
de la famille que représentaient le mariage et ce sur quoi il s’était originé,
la religion. Au mouvement de désenchantement du monde qu’exprimait
la laïcisation de la société (Gauchet, 1985) particulièrement manifeste en
France depuis la séparation de l’Église et de l’État en 1905, se conjuguait
une affirmation de plus en plus forte de l’individu, de son autonomie, de
ses droits et de son bien-être.

1. Ce chapitre s’inspire de l’article : N EYRAND G., « D’une politique de la famille à


une politique de la parentalité. L’exemple de la France », Analele Universitàtii Bucuresti,
XVII, 1, p.19-34.
26 R EPÉRAGES

L A POLITIQUE FAMILIALE À LA FRANÇAISE


Un double mouvement régulé par l’État a traversé le XXe siècle,
d’émancipation des individus à l’égard des institutions les plus contrai-
gnantes (comme le mariage) et de valorisation de l’enfant comme référent
fondateur de la vie familiale et de l’ordre social, jusqu’à ce qu’on arrive à
la fin du siècle à une véritable promotion politique de la parentalité comme
instance fondatrice de la socialisation, et de ce fait organisatrice du lien
social, passant ainsi d’une logique de gestion familialiste à une logique
parentaliste. Les transformations qui marquent la politique familiale
française s’avèrent à cet égard exemplaires depuis la contestation du
mariage-institution dès la fin des années 1960 jusqu’à la fonctionnalisation
de la politique de la parentalité au milieu des années 2010.

La désinstitutionnalisation du conjugal
comme opérateur de la seconde modernité familiale
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En France, comme dans les autres pays occidentaux, débute à la fin
des années 1960 une contestation de l’ordre familial antérieur qui trouve
ses sources dans de multiples évolutions parallèles qui en quelque sorte
entrent en phase à ce moment-là (Neyrand, 2009), et qui va bousculer
les normes relationnelles et les modes de vie en famille. Cette véritable
mutation va très vite se traduire sur le plan des indicateurs démographiques
comme le taux de divortialité (10 % en 1970, 30 % en 1980), et être suivie
et encadrée par une reconfiguration des lois et des réglementations qui vise
à adapter le système normatif à une évolution des mœurs d’une ampleur
largement inattendue.
La dimension centrale de la contestation, portée par l’allongement
des études et le fait qu’elles concernent désormais autant les filles que
les garçons, est la remise en cause des rôles de sexe et la conception
traditionnelle du couple qu’ils expriment. À partir de ce moment-là la
France entre dans la logique qu’Irène Théry désigne judicieusement
comme celle du démariage (Théry, 1993), se traduisant par la double
explosion des unions libres et des divorces. S’il s’agit de se « dé-marier »
c’est aussi bien en dénouant le lien antérieurement conclu qu’en refusant
d’officialiser un lien conjugal demeurant informel (Roussel, Bourguignon,
1978 ; Chalvon, Demersay, 1983 ; Neyrand, 1986).
La fonction d’institution de la famille que possédait alors le mariage
était fondatrice : en posant le mari comme père des futurs enfants de son
épouse elle levait l’incertitude de la paternité (et enjoignait la fiancée
à la virginité et l’épouse à la fidélité) et elle nouait ensemble les trois
dimensions de la parentalité, biologique, socio-juridique, et psycho-
éducative. Mais l’évolution des représentations vers un surcroît de liberté
des individus et d’égalité entre les sexes, la contraception moderne, et
l’autonomisation des femmes, firent voler en éclats le modèle antérieur. Si
celui-ci demeure très prégnant dans beaucoup de situations, il ne constitue
plus le modèle de référence, reconnu comme légitime et encadré par
LA PARENTALITÉ AU CŒUR DES POLITIQUES FAMILIALES 27

les institutions, ces institutions qui dès la fin des années 1960 avaient
commencé à adapter les lois à ce qui allait constituer une véritable
révolution dans les manières de concevoir les façons de vivre en famille.
En l’espace d’une dizaine d’années, la sexualité allait se dégager
du risque procréatif en voyant se diffuser la pilule contraceptive et le
stérilet, et se libéraliser le recours à l’avortement ; le divorce, qui n’était
jusqu’alors possible que suite à une « faute » d’un conjoint à l’égard aussi
bien de son conjoint que de l’institution, voyait adoptée la possibilité
nouvelle d’un divorce par consentement mutuel ; les femmes finissaient
de s’émanciper de la tutelle de leurs époux ; les parents voyaient reconnue
leur autorité parentale conjointe en lieu et place de la puissance paternelle ;
les enfants voyaient s’effacer leurs différences de statut (légitime/naturel)
selon la situation matrimoniale de leurs parents...
Tout le système familial était ainsi reconsidéré, et les pouvoirs publics
accompagnaient tant bien que mal cette mutation en promulguant les lois
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nécessaires à son encadrement et les mesures destinées à soutenir les
individus les plus fragilisés face à ce qui allait être considéré comme
une véritable « révolution anthropologique » (Gauchet, 1998 ; Théry,
2001) ou « culturelle » (Hobsbawn, 1999). L’une des mesures les plus
emblématiques de ce repositionnement de l’État social, illustrant le
passage à un véritable « féminisme d’État » (Lévy, 1988 ; Revillard,
2006 ; Barrère-Maurisson, 2007) a été la création de l’Allocation parent
isolé (API) en 1976, destinée à répondre à la montée des situations
monoparentales féminines et visant à « compenser » la perte de la position
paternelle de pourvoyeur aux besoins de la famille par un soutien de l’État,
parfois considéré de ce fait comme un père de substitution (Strobel, 2008).
Mais à cette individualisation des logiques de gestion sociale a corres-
pondu une logique sociale et politique de responsabilisation croissante des
individus avec l’entrée, annoncée par Michel Foucault (2004), dans une
société néolibérale.

« Un nouveau principe de gouvernementalité se mettait alors en place,


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qui promouvait, en même temps que l’économique comme modèle de


gestion sociale, le modèle de l’homo economicus comme représentation
d’un citoyen conçu d’abord comme consommateur. Au principe de rationa-
lisation économique des investissements sociaux correspondait la volonté
de production d’un sujet responsable de lui-même, par intériorisation des
normes marchandes ambiantes » (Neyrand, 2014).

Reconfiguration normative, responsabilisation


et précarisation
Les années 1970 en France sont ainsi illustratives d’un processus
de reconfiguration des rapports sociaux, qui concernent aussi bien les
rapports entre les différents acteurs de la sphère privée (rapports de sexe
et de génération), les rapports entre l’économie et la gestion sociale,
et les rapports entre l’État et la famille. Car les caractéristiques de ces
28 R EPÉRAGES

années-là sont de conjointement voir se développer une subversion des


rapports familiaux et privés antérieurs, la fin de la période de dévelop-
pement économique des trente glorieuses avec le « choc pétrolier » de
1974-1975, l’autonomisation du capital financier avec le développement
des entreprises multinationales et la perte de contrôle du politique, et
l’affirmation de la responsabilisation des individus comme principe de
gestion, dédouanant la société de sa propre responsabilité collective et
autorisant l’État à déléguer à la société civile nombre de ses fonctions de
régulation sociale. L’idéologie néolibérale justifie ainsi le transfert sur les
individus de la pleine responsabilité de leur situation, occultant le poids
des rapports sociaux dans la définition de celle-ci.

« La responsabilisation se situe à la croisée d’une exigence généralisée


d’implication des individus dans la vie sociale et à la base d’une philo-
sophie les obligeant à intérioriser, sous forme de faute personnelle, leur
situation d’exclusion ou d’échec » (Martucelli, 2010).
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D’une certaine façon, la responsabilisation, et je dirai même souvent la
sur-responsabilisation, est la contrepartie du processus d’individualisation
porté par le développement des médias et d’une société de consommation
qui prônent la réalisation de soi à travers la jouissance des objets, des
services et des relations, tout en participant par la diffusion des savoirs
des sciences humaines à la psychologisation de la société (Castel, 1973 ;
Neyrand, 2000).
La « société des individus » (Elias, 1991) s’appuie sur l’intériorisation
des normes comme moyen de régulation des rapports interpersonnels, en
développant les stratégies d’inculcation et de persuasion (Packard, 1958)
et en renvoyant à la marge la gestion des dysfonctionnements de cette régu-
lation intériorisée. La difficulté inhérente à un tel mode de gestion sociale
est double et tient, d’une part, à la prolifération des injonctions normatives,
d’autre part et de façon liée, aux difficultés d’intégration normative d’un
nombre croissant de personnes, tenant aux phénomènes parallèles de
précarisation, de diversification culturelle et de complexification des
modes de vie, notamment en ce qui concerne les structures familiales
(biparentales, monoparentales, recomposées, homoparentales...) et les
fonctionnements familiaux (coexistence de modèles familiaux divergents).
Si l’on s’en tient à ce qui concerne la famille, l’espace de la normativité
est en pleine restructuration du fait à la fois de l’évolution des mœurs et
des conflits de normes qui traversent les sciences humaines et sociales1 , le
droit ayant beaucoup de mal à encadrer cette évolution (Commaille, 1994 ;
Bugnon, 2009) dans un contexte où l’Assistance médicale à la procréation

1. Conflits dans lesquels nous avons été nous-mêmes pris, avec, par exemple, la résidence
alternée (Neyrand, 1994 ; Neyrand, Zaouche Gaudron, 2014), les fonctions parentales
(Neyrand, Tort, Wilpert, 2013), le soutien à la parentalité (Neyrand, 2011), ou le genre
(Neyrand, Mekboul, 2014).
LA PARENTALITÉ AU CŒUR DES POLITIQUES FAMILIALES 29

vient poser de nouvelles questions éthiques, qui seront l’occasion de voir


s’opposer avec violence des conceptions opposées (Théry, 2014). Ce qui
aboutit à ce que certains désignent comme une « perte des repères », mais
correspond plutôt à une multiplication de repères parfois contradictoires.
Du côté des familles elles-mêmes, ce que l’on constate est la présence
d’un désarroi croissant chez beaucoup de parents, confrontés à la diversifi-
cation aussi bien des normes que des situations familiales, à une époque où
l’arrivée tardive du premier enfant (près de 30 ans en moyenne en France
pour les femmes, et 32 pour les hommes) et la distance à la famille élargie
provoquent une indécision quant au « bon exercice » de la parentalité.
Face à cette « montée des incertitudes » (Castel, 2009), la société civile
et les associations dans un premier temps, puis l’État et les institutions vont
réagir en promouvant un « soutien à la parentalité » multiforme, qui va
progressivement devenir l’objet d’une politique de plus en plus explicite.
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L E SOUTIEN À LA PARENTALITÉ COMME RÉPONSE
AUX MUTATIONS SOCIALES ET FAMILIALES
Le grand processus de transformation sociale qui se met en place à la
fin des années 1960, en touchant centralement l’organisation de la sphère
privée, affecte non seulement les formes de vie en couple et l’institution de
la conjugalité mais aussi la vie professionnelle (passage au couple à double
carrière), l’accueil de la petite enfance (développement des modes de
garde) et le statut de l’enfant dans la famille. À cette transformation brutale
et profonde se conjuguent un certain nombre d’initiatives associatives,
qui ont pour visée et pour fonction d’accompagner cette mutation en
proposant de nouvelles pratiques qui soient en phase avec « l’esprit du
temps » (Morin, 1962).

Une société civile en effervescence


Du côté de la petite enfance, ce sera la création des crèches parentales,
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

dans la continuité de la crèche sauvage de la Sorbonne mise en place à


l’université durant les événements de 1968. Cette expérience autoges-
tionnaire d’un lieu de garde où collaborent parents et professionnels
fera recette et l’on verra se développer rapidement de nombreux autres
lieux, qui se fédéreront en 1980 dans l’Association des collectifs enfants-
parents-professionnels (ACEPP). Ce qui leur apportera une meilleure
reconnaissance et la possibilité d’un soutien institutionnel (Cadart, 2006).
Mais, alors que l’accueil de l’enfance se reconfigure (Norvez, 1990),
une autre initiative associative va être promise à un grand avenir, les
lieux d’accueil enfants-parents (LAEP). À côté d’autres créations (IRAEC,
1992 ; Eme, 1993), le prototype le plus connu est sans doute la Maison
verte, ouverte par Françoise Dolto et son équipe le 6 janvier 1979 à Paris
(Dolto, 1981 ; Neyrand, 1995). La grande originalité de ces lieux d’accueil
a été d’accueillir un enfant de moins de 4 ans toujours accompagné d’un
30 R EPÉRAGES

parent (ou d’un adulte tutélaire) restant en permanence avec lui dans le
lieu. Répondant à des objectifs de prévention des troubles de la séparation
et de sociabilité, ces lieux auront un grand succès, dépassant les mille en
France dans les années 2000 (Scheu, Fraïoli, 2010), grâce, entre autres, à
la reconnaissance de leur intérêt par les institutions.
Face aux mutations de la famille, la société civile développe des
initiatives dans d’autres secteurs que la petite enfance, notamment celui
de la situation des enfants après la séparation de leurs parents. En
effet, dès les années 1980 est importée d’Amérique du nord la pratique
de la médiation familiale, essentiellement centrée sur l’élaboration par
les parents avec l’aide d’un tiers neutre d’une solution satisfaisante de
résidence de l’enfant et de maintien des liens avec ses deux parents
après leur séparation (Bastard, Cardia-Vonèche, 1990 ; Dahan, 1997). En
parallèle, sont créés des espaces rencontre (ex-points rencontre) destinés
à permettre le maintien du lien de l’enfant avec le parent chez lequel il ne
vit pas dans les cas de séparations très conflictuelles ou problématiques
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(Gréchez, 1992 ; Bédère et coll., 2011). L’accueil se fait alors dans un
espace aménagé, la présence d’un tiers à proximité est pensée comme
prévention de tout risque, et l’objectif du lieu est qu’à terme le droit
de visite et d’hébergement du parent « non gardien » puisse être assuré
librement. D’autres initiatives, généralistes ou spécialisées, se développent
durant ces années, destinées à soutenir les parents, comme par exemple
les groupes de paroles de parents ou le soutien scolaire...

La reconnaissance institutionnelle des innovations


associatives
Ainsi, dans les années 1980, l’État et ses politiques publiques sont
confrontés à la montée d’une double précarisation, économique d’abord,
avec l’arrêt de la croissance et la montée du chômage depuis le milieu
des années 1970, familiale ensuite, avec la multiplication des tensions
relationnelles liée à la promotion de nouvelles valeurs et façons de vivre,
allant de pair avec l’explosion des divorces et des séparations conjugales.
Si bien que l’État ne peut plus assumer l’ancien rôle de providence (Ewald,
1996) qu’il assurait jusque-là, et se voit contraint de participer autrement
à la prise en charge des risques sociaux en déléguant à la famille (Castel,
1991), à la société civile et aux associations un certain nombre de ses
fonctions de protection. À tel point que certains parleront du passage d’un
État providence à un État animateur du social (Donzelot, Estèbe, 1994).
De fait, l’évolution des politiques publiques suivra deux voies parallèles
en matière de gestion familiale : une stratégie de délégation à la société
civile et aux familles d’une partie de la régulation sociale relative à la
famille, et une stratégie d’encadrement par l’évolution du cadre législatif
et réglementaire.
LA PARENTALITÉ AU CŒUR DES POLITIQUES FAMILIALES 31

Les grandes étapes de l’encadrement législatif


de la mutation familiale
Les transformations du droit de la famille sont nombreuses et se suc-
cèdent sur un rythme soutenu, sous l’impulsion d’une prise de conscience
de l’importance des transformations en cours alimentée par une grande
diversité de groupes de pression et malgré les remous que cela provoque.
Rappelons-en les étapes importantes et dont l’impact symbolique fut mani-
feste : 1967, loi Neuwirth autorisant l’usage des contraceptifs modernes ;
1970, la puissance paternelle est remplacée par une autorité parentale
exercée conjointement par les deux parents ; 1975, loi Veil sur l’avorte-
ment, et loi réformant le divorce, avec l’introduction de la possibilité de
divorce par consentement mutuel et l’intérêt supérieur de l’enfant comme
nouveau principe de gestion ; 1976, création de l’Allocation parent isolé,
1977 de l’Aide personnalisée au logement (APL) ; 1981, avec l’élection
de François Mitterrand toutes les prestations familiales sont revalorisées,
et plusieurs mesures suivront pour à la fois soutenir l’éducation parentale
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et autonomiser les personnes ; 1987-1993, ces deux lois sur l’autorité
parentale instituent l’autorité parentale conjointe après séparation et pose
le principe de coparentalité (de maintien des liens de l’enfant à ses deux
parents) comme faisant partie de l’intérêt supérieur de l’enfant, principe
qui sera réaffirmé et formalisé en 2002, en même temps qu’est reconnue
la légitimité de la résidence alternée de l’enfant entre les domiciles de
ses parents au même titre que chez l’un d’entre eux. Entre-temps avaient
été votées en 1988 la loi relative au Revenu minimum d’insertion (RMI,
qui deviendra RSA en 2008), en 1995, la loi Veil mettant en place une
Conférence annuelle de la famille, qui devient un outil de gouvernance
performant, facilitant l’affichage des nouvelles mesures, en 1999 la loi
instituant le Pacte civil de solidarité (PACS) comme alternative au mariage,
en 2001 celle sur un congé paternité de 14 jours pour les pères à la
naissance de leur enfant, en 2002 la loi sur le nom de famille, qui peut
désormais être celui du père, de la mère ou des deux parents.
L’ensemble de ces lois met en évidence que la totalité du référentiel
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

normatif de la famille s’est transformée. On est passé d’une famille


instituée par un mariage inconditionnel et indissoluble (ou presque) à une
famille fondée par la venue de l’enfant, où les individualités sont affirmées,
notamment l’autonomie des femmes et dans une certaine mesure des
enfants, où l’union maritale n’est plus obligatoire et peut être remplacée
par un contrat civil, ou pas de contrat du tout. Les séparations conjugales
sont devenues communes (avec un taux de divorce qui approche des
50 % dès le début du XXIe siècle), et le rapport à l’enfant se retrouve
extrêmement valorisé, tant dans les attitudes et propos des parents que
dans les discours médiatiques et politiques. Le temps est bien alors à la
promotion de la parentalité, qu’il s’agisse d’insister sur son importance ou
de mettre en œuvre des mesures destinées à la soutenir, mais essentielle-
ment dans la perspective de l’éducation de l’enfant. Suivra, en 2013, la loi
ouvrant le mariage aux personnes de même sexe, permettant, entre autres,
32 R EPÉRAGES

l’adoption de l’enfant du conjoint, premier pas vers une reconnaissance


officielle de l’homoparentalité (Gross, 2000 ; Gratton, 2008 ; Verdier,
2010 ; Descoutures, 2010).

La mise en place d’un dispositif de parentalité


La reconnaissance institutionnelle des actions de soutien à la parentalité
a été portée par des organismes servant un peu d’avant-garde comme la
Fondation de France, qui a soutenu un grand nombre de lancements des
innovations présentées, puis par des grandes institutions comme la Caisse
nationale des allocations familiales (qui, par exemple, dégage une ligne
budgétaire en 1996 pour financer les LAEP) ou le Ministère de la justice,
qui promeut aussi bien la médiation familiale que les espaces rencontre.
En parallèle, la professionnalisation des intervenants dans ces secteurs de
l’accueil de la petite enfance, comme de la gestion post-séparation et de
l’ensemble des services aux familles contribue à quadriller l’espace du
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soutien à la parentalité dans un contexte médiatique qui, avec la diffusion
des savoirs psychologiques (Neyrand, 2000), met l’accent sur la mission
éducative des parents et l’importance de la dimension affective dans la
socialisation des enfants.
Mais la montée de la sensibilité aux problématiques sécuritaires dans les
années 1990 et la diffusion d’un discours sur une supposée « démission des
parents » dont les enfants posent problème vont pousser le gouvernement
socialiste de la fin de la décennie, et le délégué interministériel à la
famille, Pierre-Louis Rémy, à réagir en élaborant la mise en réseau et la
coordination des actions de soutien et accompagnement de la parentalité
en créant les Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents
(REAPP) en mars 1999. Réseaux qui ont vocation d’organiser et de
promouvoir un soutien personnalisé potentiellement offert à tous les
parents, ainsi que le définit la « Charte des initiatives pour l’écoute, l’appui
et l’accompagnement des parents ».
C’est réseaux mettent en œuvre en la systématisant une logique clas-
sique de régulation de la famille par l’État, opérante depuis déjà plus d’un
siècle mais qui trouve à s’affirmer encore plus, mais aussi, chose plus
implicite (Chauvière et coll., 2000), une logique de régulation de l’ordre
social par la parentalité. Ce qui ne pourra que provoquer des tensions,
voire des conflits, au sein de la société civile, notamment lorsqu’il s’agira
d’aborder par le biais de l’éducation donnée aux enfants les problèmes
sociaux comme l’absentéisme scolaire ou la délinquance, dans la mesure
où cette éducation est essentiellement conçue comme parentale.
Une polémique développée au milieu des années 2000 se révèle parti-
culièrement illustrative des dérives que peut porter la gestion parentaliste.
En 2015 paraît, sous l’égide de l’Institut national de la santé et de la
recherche médicale (INSERM), un rapport extrêmement controversé, du
fait qu’il ne s’appuie que sur les représentants de la nouvelle psychiatrie
neurobiologique et pharmacologique, intitulé Troubles des conduites chez
LA PARENTALITÉ AU CŒUR DES POLITIQUES FAMILIALES 33

l’enfant et l’adolescent. Ce rapport, très critiqué par les tenants d’une


psychiatrie plus psychologique et psychanalytique, aurait eu assez peu
d’écho, mais il va se retrouver au centre d’une polémique sur la possibilité
de son utilisation politique. En effet, le ministre de l’Intérieur de l’époque
(futur président de la République) se saisit d’une de ses conclusions très
controversées pour inclure dans son projet de loi sur la prévention de la
délinquance l’idée que celle-ci pourrait être prévenue dès l’âge de 3 ans,
par des procédures de reconditionnement psychique, ou à tout le moins
des médicaments tels que la Ritaline (Pignarre, 2006). Une telle prise de
position représente une véritable « bombe » dans le monde de la clinique
psychique et de la petite enfance, et très vite un collectif se constitue pour
protester, Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans, lançant une
pétition Internet qui porte son nom. Le succès de cette pétition (200 000
signatures) pousse au retrait de cette mesure du projet de loi, qui sera par
ailleurs voté en 2007, et de façon assez plaisante le même jour que la loi
sur la Protection de l’enfance (Pas de 0 de conduite, 2006, 2007, 2008).
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La parentalité est bien devenue la référence dominante en matière de
gestion de la famille, et plus globalement de la sphère privée, si ce n’est
de beaucoup de questions renvoyant au fonctionnement de l’espace public
et du social dans son ensemble, que ce soit les troubles à l’ordre public,
les conduites addictives, l’insertion scolaire ou le rapport à la santé...
Deux options de gestion politique par la parentalité s’opposent ainsi
dans les années 2000, celle par le soutien et l’accompagnement des parents
dans leur mission éducative, qui pose que toute réponse à une difficulté
doit être élaborée avec les parents sur la base de la création d’une confiance
personnalisée parents-intervenants ; et celle par le contrôle des parents
jugés déficients, qui, rendant les seuls parents responsables de toute dérive
enfantine, pose qu’il convient de les rééduquer eux-mêmes, par le biais
de stages parentaux ou de mesures visant à « responsabiliser » les parents,
en l’occurrence les sur-responsabiliser. Ce sera le thème central de mon
analyse dans Soutenir et contrôler les parents. Le dispositif de parentalité,
paru en 2011.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Conscients des tensions très fortes qui parcourent la société civile à


ce sujet, les pouvoirs publics vont tenter de surmonter les clivages en
créant en 2010 un Comité national de soutien à la parentalité (CNSP),
territorialisé sous la forme de comités départementaux, qui vise, comme
l’annonce explicitement la ministre de la famille de l’époque, Nadine
Morano, à « mieux coordonner les actions d’aide à la parentalité et de
prévention de la délinquance des mineurs ».
Pour cela, il a pour mission de coordonner les REAAP, la Médiation
familiale, les contrats locaux d’accompagnement à la scolarité (CLAS,
créés en 2000) et les différents dispositifs de soutien aux parents, en
adjoignant aux organismes parties prenantes des REAAP (CNAF, UNAF,
notamment), non seulement les différentes versions du soutien scolaire,
mais surtout les diverses institutions intervenant dans la prévention de
la délinquance (PJJ, Justice...) Ce qui sera assez mal ressenti par les
34 R EPÉRAGES

institutions positionnées sur l’accompagnement des parents tel que pensé


par les REAAP.
Ce qu’analyse ainsi Jessica Pothet (2014) :

« La “démission des parents”, autre syntagme consacré, appelle à une


politique répressive – la communauté punit les manquements au travail
parental – bien éloignée de l’entrée positive par l’accompagnement pour
la maîtrise de compétences parentales que représentent les autres actions
mobilisées par la Comité. »

L E NOUVEAU STATUT DU PARENTAL DANS LA GESTION


SOCIALE
Pour désigner cette prépondérance prise par le parental dans la gestion
sociale, beaucoup d’auteurs ont mis en avant l’idée de parentalisme
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(Barrère-Morrisson, 2007 ; Sellenet, 2007 ; Chauvière, 2008 ; Messu,
2008), insistant sur la prise en compte du parental dans une stratégie
politique de gestion débouchant sur la sur-valorisation de l’éducation
parentale comme principe explicatif des attitudes des enfants et adoles-
cents, et sur une volonté de responsabilisation des parents, rendus ainsi
responsables de tous les faits et gestes de leurs enfants. S’y manifeste la
reconnaissance de ce que des sociologues comme Pierre Bourdieu ou des
anthropologues comme Maurice Godelier ont particulièrement explicité :
la prise de la famille dans l’ensemble des rapports sociaux : « Partout
la parenté est subordonnée à d’autres rapports sociaux, mise au service
d’autres objectifs que celui de reproduire de la parenté » (Godelier, 2004) ;
et le fait qu’elle constitue une clé interprétative privilégiée du social dans
son ensemble, qui fait que « les rapports familiaux tendent à fonctionner
comme principe de construction et d’évaluation de toute relation sociale »
(Bourdieu, 1993).
C’est cette logique interactive que vient formaliser le rapport de Michel
Godet et Évelyne Sullerot en énonçant :

« La famille n’est pas seulement une affaire privée qui ne regarde que les
parents. Il y a pour les parents des responsabilités à assumer, des règles
éducatives à respecter et des obligations à remplir. Si elles ne le sont pas
c’est la société toute entière qui est en danger et doit réagir de manière
répressive, faute de l’avoir fait de manière préventive. Un contexte familial
de parents attentifs à l’épanouissement de la personnalité et à la formation
du citoyen, tel est l’avantage comparatif décisif pour la réussite dans la
vie personnelle et professionnelle » (Godet, Sullerot, 2005).

Cet extrait explicite de façon particulièrement claire les composantes


d’une politique familiale recentrée sur la parentalité : il rappelle que la
famille n’est pas seulement une affaire privée mais peut-être d’abord une
affaire publique (Singly, Schultheis, 1991), et que les parents constituent le
point d’accrochage de la politique du fait de leur place de transmetteurs de
LA PARENTALITÉ AU CŒUR DES POLITIQUES FAMILIALES 35

l’éducation, une éducation dont l’objectif renvoie aussi bien aux énoncés
de la psychologie humaniste (l’épanouissement de la personnalité de
l’enfant) que de la sociologie politique (la formation du citoyen). Une
responsabilité aussi fondamentale nécessite donc aussi bien des actions de
soutien et accompagnement des parents à visée préventive, que d’autres
actions plus répressives lorsqu’est estimée que la position parentale n’est
pas bien tenue, car pour les auteurs ce qui est en jeu n’est rien moins que
« la réussite dans la vie personnelle et professionnelle » tout autant que
le maintien d’un certain ordre public, celui de sociétés qui sont à la fois
démocratiques et marchandes.

Les risques d’une gestion parentaliste


Mais vouloir gérer la société par le parental comporte un certain nombre
de risques, que nous avons qualifiés de risques parentalistes, prenant
trois expressions différentes : la première consiste à négliger l’impact
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des rapports sociaux sur la parentalité en sur-responsabilisant les parents
« démunis des ressources qui leur auraient permis de tenir de façon plus
efficace leur position parentale » ; la seconde revient à naturaliser les
rôles de sexe en renvoyant les parents à une vision traditionnelle de
leurs fonctions (Neyrand, Tort, Wilpert, 2013) qui ne tient pas compte
du nouveau contrat de genre à l’œuvre ; enfin, la troisième expression de
ces risques concerne la réduction de l’individu à sa fonction parentale,
« en rabattant sur la fonction parentale des préoccupations sociales qui le
concernent non pas en tant que sujet mais en tant que simple support d’une
socialisation de son ou ses enfant(s) conforme aux attentes normatives de
la bonne éducation » (Neyrand, 2011).
En définitive, le développement d’une orientation parentaliste de la
politique familiale aboutit à un certain nombre de paradoxes, dont on
peut se demander s’ils ne vont pas déboucher sur des contradictions
difficiles à résoudre, car mettant en œuvre des conceptions divergentes
des rapports entre famille et société, entre démocratie et culture, entre
modalités de gestion sociale et d’intervention dans la sphère privée. En
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

d’autres termes, le fait que le discours social, d’abord psychologique, puis


mass-médiatique, puis politique, insiste autant sur le rôle des parents
dans la socialisation de l’enfant jusqu’à tendre à les tenir pour seuls
responsables de leur « bonne » ou « mauvaise » éducation entre en
contradiction avec la prise de conscience sociale et institutionnelle de
l’importance de la coéducation aujourd’hui (Jésu, 2004 ; Rayna, Rubio,
Scheu, 2010), voire de la co-socialisation (Neyrand, 2013). Ce qui place
les institutions, les intervenants et les parents au centre d’injonctions
contradictoires. Coéducation et parentalisme peuvent difficilement faire
bon ménage.
De même, la volonté d’égalité entre les situations que porte la démo-
cratie républicaine, si elle trouve à s’exprimer dans les attendus des
pratiques de soutien à la parentalité, se heurte à la perdurance des
36 R EPÉRAGES

logiques culturelles (religieuses ou laïques) naturalisant une différence


de rôle et de fonction des parents en fonction de leur sexe, et rend
par là difficile l’application d’une politique d’égalité, qui semble ne
véritablement toucher que les milieux sociaux plutôt favorisés, la gestion
de la parentalité en milieu populaire restant, sous la pression de multiples
contraintes, largement différenciatrice. Ce qui n’est pas sans lien avec le
fait que ce sont plutôt en direction de ces couches sociales pour lesquelles
l’intériorisation normative semble plus difficile que les procédures de
contrôle de la « bonne » parentalité se développent, mettant à mal la
confiance nécessaire à un soutien et un accompagnement empathiques.
Pris dans ces tensions et ces contradictions, l’État tend à privilégier une
organisation plus structurée et hiérarchisée du soutien à la parentalité
dans une perspective à la fois managériale (rentabiliser au mieux les
investissements) et interventionniste (désigner en 2014 les Caisses d’al-
locations familiales comme leader et moteur du dispositif), qui contraste
avec le développement initial en rhizome des actions (Deleuze, Guattari,
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1980) portées par la société civile et les principes sur lesquels la mise
en réseau s’était élaborée (Sas-Barondeau, 2014). La politique se trouve
de ce fait à un tournant et, face aux défis que les mutations en cours ne
peuvent qu’activer, il semble nécessaire qu’une prise de distance suffisante
avec l’optique parentaliste arrive à s’élaborer pour que le dispositif de
parentalité ne se referme, comme un piège pavé de bonnes intentions, sur
les parents et leur progéniture...
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REGARDS CROISÉS
PARTIE 2
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Chapitre 4

LA PAROLE DE L’ENFANT
DANS LA PRATIQUE
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JUDICIAIRE
Odile B ARRAL

’ ÉVOLUTION de la place de l’enfant et du même coup de « sa parole »


L dans l’institution judiciaire est vertigineuse. Ainsi il y a vingt-cinq
ans, j’avais dû intervenir auprès de mes collègues siégeant aux assises pour
que deux petites filles de 10 et 8 ans confiées à l’Aide sociale à l’enfance
en raison de viols intrafamiliaux n’attendent pas toute la journée dans la
salle des témoins en compagnie des autres membres de la famille ayant
pris parti contre elles. Mon intervention avait suscité un certain agacement,
même si elle avait finalement abouti.
Cette histoire apparaît aujourd’hui difficile à croire tant l’attention
portée aux enfants victimes s’est accrue et leur place « sacralisée », même
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

si l’affaire d’Outreau a jeté un froid à ce sujet.


Mais les difficultés se sont déplacées.
L’enfant d’aujourd’hui est devenu un véritable trésor, arrivé plus tard,
quelquefois unique. Lorsque les parents se séparent, il devient parfois,
malheureusement, un trésor de guerre dont chacun voudra la moitié
strictement égale à celle de l’autre, revendiquant les « mêmes droits »,
comme si l’autorité parentale n’était pas d’abord une responsabilité et non
un droit de propriété.

D ES RÉPONSES TROP LENTES


Aujourd’hui, toute parole d’enfant faisant état de maltraitance ou d’abus
sexuel de la part d’un adulte déclenche une machinerie lourde à se mouvoir.
40 R EGARDS CROISÉS

Des mois se passent pendant lesquels des droits de visite et d’hébergement


d’un parent sont suspendus, et au minimum médiatisés, sans qu’on sache
ce que devient l’enquête.
On peut s’interroger sur cette lenteur alors que les services de gendar-
merie et de police peuvent travailler beaucoup plus vite lorsqu’ils en ont
les moyens, et sur la priorité que notre société se donne ou plutôt ne se
donne pas dans le traitement de la maltraitance.
La lenteur des enquêtes s’explique aussi par la durée des expertises
psychiatriques et psychologiques qui sont systématiquement ordonnées ;
le manque d’experts, dû en partie à leurs très mauvaises conditions de
paiement, renforce la saturation des services d’enquête.
S’il existe des traces physiques relevées par certificat médical, l’enquête
partira d’une réalité, même si elle suscite différentes explications pour les
hématomes constatés. Il en est autrement pour des choses difficilement
vérifiables telles que la privation de nourriture, l’enfermement dans la
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cave...
Des enfants peuvent ainsi tenir des discours en boucle sur des mauvais
traitements qu’ils subiraient de la part d’un de leurs parents dans un
contexte de conflit extrêmement virulent entre les adultes.
La parole de l’enfant, même très jeune, va être enregistrée par tous les
moyens possibles, sur Skype, sur le téléphone, des parents vont jusqu’à
créer un site internet pour diffuser ces propos.
Comment l’enfant quel que soit son âge, pourrait-il ne pas percevoir
l’importance démesurée, voire la fascination accordée au moindre mot de
sa part ?
Bon nombre de ces procédures sont classées faute de preuves et finissent
par aboutir pour information à nos dossiers. Entre-temps, l’enfant n’a plus
vu son parent depuis plusieurs mois, voire plusieurs années et les dégâts
sont faits.
À la suite d’une procédure de ce type, le père d’un petit garçon de sept
ans particulièrement perturbé refuse de l’accueillir depuis deux ans, en
disant ne pas vouloir prendre le risque d’être accusé à nouveau.
Il ne s’agit évidemment pas de nier l’existence de maltraitances ni
d’abus sexuels, contre lesquels il y a toujours lieu de se mobiliser mais de
souligner combien le repérage de ces situations est devenu difficile dans
un contexte de conflits parentaux exacerbés

D ES PARENTS MANIPULATEURS ?
Dans ce type de situations extrêmes, il faut se garder de vision trop
simplificatrice, telle que la recherche de « la manipulation du parent
plaignant, » ou, à l’inverse, partir de principes tels que « les enfants de tel
âge ne mentent pas » et s’enfermer dans cette notion piège du mensonge.
Certains adultes sont convaincus de ne faire « rien d’autre que d’écouter
leur enfant » et vivent comme un scandale que cette parole ne soit pas
LA PAROLE DE L’ ENFANT DANS LA PRATIQUE JUDICIAIRE 41

suffisamment entendue, de leur point de vue. Ils ne mesurent pas à quel


point eux-mêmes sont à l’affût du moindre signe, sont inquisiteurs au
retour de la visite ; à quel point ils redoutent le comportement de « l’autre »
à l’égard de l’enfant et peuvent induire des choses et alimenter ainsi la
locomotive infernale des signalements à répétition.
Quel parent n’a pas fait l’expérience de la difficulté de résister aux
larmes, ou aux plaintes de son enfant, lui disant n’être pas bien en centre
de vacances ou en centre de loisirs (« viens me chercher ») ?
Comment ce parent tout habité de sa douleur voire de sa haine de l’autre
pourrait-il relativiser la plainte de son enfant, lui-même pris dans un conflit
de loyauté ?

L E DROIT DE SE TAIRE
Nous avons hélas un peu perdu de vue que le premier droit d’un enfant
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est d’être considéré comme tel. Un enfant peut ne rien dire, changer d’avis,
et surtout, être pris dans un conflit de loyauté l’amenant à dire à chacun
ce qu’il souhaitera entendre.
« Le droit de se taire » qui vient d’être consacré par notre droit pénal,
devrait être étendu, symboliquement s’entend, aux mineurs dans les
procédures civiles. Certains mineurs sont écrasés par la culpabilité d’avoir
exprimé un souhait dans un sens ou dans un autre qu’ils peuvent bien
évidemment regretter par la suite.
On fait porter à ces mineurs des responsabilités d’adultes et le retour en
boomerang est parfois terrible.
La justice pénale est démunie devant ces problématiques familiales
complexes, où l’enfant exprime parfois le souhait de ne plus voir l’autre
parent.
Le contact est difficile à rétablir, enfants et parents ne se parlent plus
dans la salle d’attente du juge et se reprochent ensuite réciproquement de
ne pas se saluer.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Il faut alors tenter de médiatiser des rencontres, mais certains mineurs


refusent même cette médiatisation et se placent ainsi dans une position de
toute puissance des plus inquiétantes.
Lorsqu’on sait combien est néfaste pour le devenir de ces jeunes
l’absence de tout contact avec l’un des parents, et très souvent du père, il
apparaît tout à fait nécessaire de lutter contre cette dérive.

C OMMENT RÉPONDRE ?
Il serait indispensable de pouvoir accompagner les couples qui se
séparent en leur proposant réellement des médiations. Depuis des années
l’État affiche l’intention de développer cette activité sans pour autant
s’en donner les moyens et les services sont aujourd’hui en difficulté,
42 R EGARDS CROISÉS

comme les espaces-rencontre qui ont dû bien souvent réduire leurs horaires
d’ouverture.
Par ailleurs, la justice a besoin de véritables évaluations pluridiscipli-
naires de ces situations complexes et d’un travail au plus tôt et au plus
près de la famille pour comprendre ce qui se joue, notamment dans les
situations d’accusations répétées.
Donner à l’enfant l’espace d’une parole apaisée, c’est lutter contre ces
dérives où les enfants sont devenus boucliers d’adultes, qui ne se parlent
plus ou ne font que s’invectiver ; c’est refuser cette place « d’enfants –
soldats » où nos vaillants petits prennent la place de leurs parents dans un
combat dont ils sont les premières victimes ;
C’est renvoyer sans relâche les adultes à leur responsabilité de parents,
la première étant de traiter leur conflit puisque, qu’ils le veuillent ou non,
ils seront à jamais les parents de cet enfant-là.
Notre société a tout à gagner en cherchant à protéger ses enfants de
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la violence familiale mais aussi en leur permettant d’avoir des relations
positives et apaisées à leur place d’enfant avec leurs deux parents.
Chapitre 5

LA VÉRITÉ SORT-ELLE
TOUJOURS DE LA BOUCHE
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DES ENFANTS ?
Jacques A RGELÈS

I NTRODUCTION
La vérité sort-elle toujours de la bouche des enfants ? C’est souvent la
question que se posent tous les professionnels qui sont amenés à recueillir
la parole des enfants et des adolescents lors de procédures judiciaires qui
les concernent1.
La prise en compte de cette parole et donc la prise en compte de
l’enfant lors des procédures tant civiles que pénales est une évolution
récente. Longtemps réduit au silence ou entendu sans statut particulier le
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

protégeant pour établir des faits et rechercher la vérité judiciaire, l’enfant


était alors objet des procédures.
La fin du XXe siècle a vu la consécration des droits de l’enfant. Porté
par un nouveau regard sur l’enfance et de meilleures connaissances en
psychologie le concernant, l’avènement de la notion d’intérêt de l’enfant
et l’essor du droit des victimes ont considérablement changé la donne.
La reconnaissance de l’enfant en tant que personne s’est imposée. Ce
mouvement a été relayé par les politiques publiques tant nationales qu’in-
ternationales et a rendu l’enfant sujet de droit. L’expression principale en
étant la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE).

1. J’emploie le terme « enfant » en référence à la Convention internationale des droits


de l’enfant.
44 R EGARDS CROISÉS

Aujourd’hui, une place importante est accordée à son avis pour tout ce
qui le concerne. Que ce soit dans sa vie quotidienne, dans sa famille ou à
l’école.
Dans la sphère judiciaire, son avis est fréquemment sollicité notamment
lors des procédures civiles concernant une séparation parentale conflic-
tuelle ou dans le cadre de l’Assistance éducative.
Dans les procédures pénales, un statut particulier lui a été aménagé par
la loi lors de son audition et plus particulièrement par la loi du 17 juin
1998.
En quelques années, nous sommes passés du silence à la reconnaissance
d’une place particulière pour l’enfant et d’une place particulière à la
sacralisation de sa parole avec les aléas constatés lors d’affaires récentes
fortement médiatisées.
Mais en lui reconnaissant ce droit à la parole, ne lui donne-t-on pas
parfois une responsabilité trop importante pour son âge ?
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Ne risque-t-on pas de le mettre à une place intenable qui modifierait sa
parole ?
C’est cette question complexe dans toute sa dimension que nous allons
aborder aujourd’hui, question à laquelle est soumis chaque professionnel
concourant au recueil de cette parole.
Avant de laisser la place aux différents spécialistes et experts en
la matière, je voudrais vous livrer quelques réflexions préliminaires
concernant l’enfant dans les situations d’audition en justice.
Ces réflexions sont issues de ma pratique professionnelle mais égale-
ment des enseignements des jeunes eux-mêmes lors des différentes prises
en charge éducatives par les services ou établissements de la Protection
de l’Enfance.

L A PAROLE DE L’ ENFANT DANS LES PROCÉDURES


JUDICIAIRES
L’avis de l’enfant est fréquemment sollicité lors des procédures civiles
concernant la séparation conflictuelle de ses parents. Il en est le personnage
central en ce qui concerne les modalités de sa garde, son lieu de vie,
la fixation de la pension alimentaire, mais également lors de mesures
éducatives prises par le juge des enfants lorsqu’il est déclaré en danger
dans son milieu familial.
Au cours de son audition, il pourra alors faire part du ressenti de sa
situation familiale, éventuellement de sa demande et de ses souhaits.
Et notamment en ce qui concerne ses futures conditions de vie ou
d’ordonnancement de mesures éducatives le concernant directement. Il
devra exprimer des choix, ce qui peut l’amener à exclure un parent, à
porter des jugements de valeur pour justifier ses propos.
Cruel dilemme pour un enfant !
LA VÉRITÉ SORT- ELLE TOUJOURS DE LA BOUCHE DES ENFANTS ? 45

Le magistrat pourra alors avec les autres éléments en sa possession


prendre une décision dans l’intérêt de l’enfant forcément importante pour
sa vie quotidienne.
Dans les procédures pénales, il sera le plus souvent entendu en tant que
victime de négligences graves, de maltraitances ou d’agressions sexuelles
dans sa famille. Il pourra être également entendu en tant que témoin
d’infractions commises dans son entourage immédiat.
Dans ce cadre, et au regard des exigences contradictoires de la procé-
dure pénale, ces propos passeront par le filtre du doute. Sa situation sera
éprouvante. En témoignant sur une dynamique familiale non protectrice,
en étant parfois l’accusateur de son ou ses parents, il vivra un véritable
conflit de loyauté.
Ses propos pourront être déterminants pour la sanction de l’auteur
c’est-à-dire d’un proche parent.
Lourde responsabilité !
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Les deux procédures judiciaires (civiles et pénales) sont différentes
dans leur intention mais à chaque fois l’enfant devra évoquer une histoire
familiale conflictuelle, difficile, révéler un secret, exprimer des choix et
évoquer une image dégradante de ses parents parfois sous l’emprise de
l’un ou l’autre.
Il fera passer son intimité familiale dans la sphère publique ce qui
générera de l’angoisse : que fera-t-on de ses propos ? Quelles en seront
les conséquences ? Quelles répercussions pour lui ? Et il se rendra vite
compte qu’il n’a plus la maîtrise de sa parole et de ses effets.

L ES EFFETS DE SA PAROLE SUR L’ ENFANT


Parce que dans le débat judiciaire, parler de sa situation familiale
provoque un désarroi intense, un conflit intérieur dont beaucoup de ces
enfants ne sortent pas indemnes. Contrairement aux idées reçues, parler
ne fait pas du bien. Mettre des mots sur ces choses, malgré l’attention et
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

le savoir-faire des professionnels qui recueillent cette parole n’apaise pas.


Bien au contraire.

Lors d’une audition par un officier de police judiciaire, juste après une
révélation d’agression sexuelle en milieu familial et au début de l’entretien où
la jeune Marine 14 ans se révélait peu loquace, cet officier de police judiciaire
lui dit : « Marine, parle ça te fera du bien. »
Et Marine lui répond aussitôt « si tu veux que ça me fasse du bien, arrête de
me poser toutes ces questions ! ».

Alors quelle vérité peut sortir de la bouche d’un enfant !


Et la pratique nous apprend que c’est souvent après l’expression d’une
souffrance, après la révélation d’un secret, après la mise en mots d’une
46 R EGARDS CROISÉS

situation familiale douloureuse que des symptômes apparaissent chez


l’enfant et qu’un effondrement psychique peut se produire.
L’enfant peut également se trouver impressionner par le cadre de l’au-
dition (commissariat de police, gendarmerie, tribunal, cabinet d’experts,
etc.) et se trouver dans un état de stress pas toujours apparent qui peut
altérer son discours.
Ce cadre peut alors renforcer ses difficultés à réfléchir, à penser mais
surtout à se penser dans sa situation.
Il pourra également mettre en place des stratégies personnelles de
réponses dans le but de protéger ses parents ou de se protéger lui-même
d’un danger qu’il imagine. Ces stratégies étant génératrices de culpabilité,
de grande lassitude voire de dépression.

Pierre a 13 ans quand sa mère quitte le domicile conjugal l’emmenant avec


elle, lasse du comportement violent de son mari. La séparation est très
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conflictuelle. Pierre est très attaché à sa mère, ils sont très proches l’un de
l’autre. Il voue une admiration mêlée de crainte à son père, qu’il voit très
peu puisque ce dernier est toujours en voyage et très pris par ses affaires.
Le conflit entre les parents est si violent qu’à la suite d’un signalement
de l’assistante sociale scolaire, une mesure d’aide éducative préventive à
domicile (AED) a été ordonnée. En juin, lors de l’audience du juge aux affaires
familiales devant fixer l’hébergement de Pierre pour la rentrée scolaire, il était
invité à donner son avis sur ses souhaits. À la stupéfaction générale, il
indiquait alors vouloir vivre chez son père « parce qu’il l’emmenait au foot ! »
Peu de temps après, lors d’un entretien avec l’éducateur d’AED et alors que
ce dernier lui posait la question, il expliquait son choix. Pierre lui dit « si
j’avais dit que je voulais aller vivre chez ma mère, le conflit serait reparti de
plus belle. Mon père n’aurait pas supporté ce désaveu et je ne l’aurais plus
vu. En exprimant ce choix, j’apaise les tensions et je sais que ma mère ne
me laissera jamais tomber. »

Alors quelle vérité à prendre en compte ?

C ONCLUSION
Recueillir la parole de l’enfant, l’interpréter et la traduire en terme de
son intérêt est une lourde responsabilité pour tous les professionnels quel
que soit le moment de leur intervention dans les procédures civiles ou
pénales.
Cela nécessite formation spécialisée, humilité, discernement et distance
émotionnelle.
Car cette parole ne peut pas produire la vérité mais la vérité de l’enfant,
parfois celle du moment. Elle est dépendante de son degré de maturité, de
ses capacités de discernement et de sa souffrance notamment.
La reconnaissance de l’enfant comme sujet de droit et la prise en compte
de sa parole dans le cadre judiciaire représentent une avancée considérable.
LA VÉRITÉ SORT- ELLE TOUJOURS DE LA BOUCHE DES ENFANTS ? 47

Mais à condition de lui reconnaître sa place : celle d’enfant. Il doit être


considéré sujet de droit comme un enfant et non pas comme un adulte.
Gardons-nous de ne pas lui transférer les responsabilités que, nous
adultes, avons, à assumer.
Soyons vigilants à l’impact du recueil de sa parole et accompagnons-le
dans cette démarche chaque fois que cela sera possible.
Évitons que les effets retours de la prise en compte de l’enfant en tant
que sujet et de son droit à la parole ne soient aussi néfastes que le silence
d’avant.
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Chapitre 6

PAROLE ET PLACE DE
L’ENFANT DANS LA
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MÉDIATION FAMILIALE
Enjeux et opportunités

Lorraine F ILION, Vanessa R ICHARD

I NTRODUCTION
L’enfant occupe une place de plus en plus importante dans la famille
d’aujourd’hui. Lors de la séparation, il est souvent l’un des objets du
conflit de ses parents. Lorsque les parents ne s’entendent pas sur le partage
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

de leurs responsabilités parentales, l’enfant a la possibilité d’être entendu


par un médiateur, un expert en matière de garde d’enfants, un avocat
d’enfant ou un juge selon le mode de gestion du différend. Il peut aussi
être invité par ses deux parents à émettre son opinion voire même dans la
pire des situations à prendre une décision.
L’enfant pris en otage dans le conflit parental peut être sollicité pour
offrir sa parole à un tiers. Les débats autour de cette parole nous amènent
à poser diverses questions :
• Comment recueillir la parole de l’enfant de manière objective et sans
suggestibilité ?
• Comment décoder le vrai désir de l’enfant et ses vrais besoins cachés ?
• Quelles sont les compétences et connaissances nécessaires chez les
professionnels qui recueillent cette parole ?
50 R EGARDS CROISÉS

• Doit-on croire l’enfant ?


• Quels sont les défis et enjeux ?

Au cours des dernières décennies, on a reconnu que l’enfant était sujet


de droit et que par conséquent il devait avoir une place et une parole dans
tout sujet le concernant (Convention internationale des droits de l’enfant,
1989, article 13).
La médiation familiale a fait son apparition au Canada à la fin des
années 1970 et en Europe francophone au début des années 1990. Il s’agit
donc d’un nouveau champ de pratique pluridisciplinaire pour ces pays
sauf pour la France qui en fait une profession en 2004 (Ministère des
Affaires sociales, du travail et de la solidarité de la République française,
2004).
Une réflexion est en cours au plan international quant à la place et
la parole que l’on devrait accorder à l’enfant au cours de la médiation
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familiale. La question soulève de vives passions particulièrement en
France. Nous avons repéré différentes pratiques, mais nous traiterons plus
spécifiquement de l’implication directe de l’enfant en médiation familiale
dans une approche systémique familiale pour en évaluer les avantages et
les enjeux. De plus, nous ferons état des quelques recherches et études
portant sur l’impact de la place directe et indirecte de l’enfant au cours de
la médiation de ses parents.
Finalement, nous tirerons une conclusion afin de guider nos réflexions
et actions pour que les enfants de parents séparés puissent avoir accès à
des services de médiation de qualité au cours des transitions telles que la
séparation et la recomposition familiale.

I MPACT DE LA SÉPARATION SUR L’ ENFANT ET LE RÔLE


DE LA MÉDIATION FAMILIALE
Des recherches récentes (Cyr, 2006, 2012a, 2012b ; Cyr, Cyr-
Villeneuve, 2008 ; Drapeau, Bellavance, Robitaille, Baude, 2014 ;
Emery, 1999 ; Kelly, 1993, 2012 ; Poussin, Martin-Lebrun, 2011 ;
St-Jacques, Drapeau, Turcotte, Cloutier, 2004 ; St-Jacques, Drapeau,
2009) ont démontré que :
• la séparation n’est pas nécessairement néfaste si elle est bien gérée
(entre autres, si l’enfant garde contact avec ses deux parents et s’il est
mis à l’écart du conflit parental) ;
• les enfants sont résilients ; toutefois, les conflits persistants peuvent
affecter leur développement ;
• les enfants risquent de se réfugier dans leur monde imaginaire si les
conflits sont trop intenses ;
• la majorité des enfants de parents séparés ne se distingue pas à long
terme de ceux qui vivent dans une famille intacte ;
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 51

• les pères sont aussi importants et compétents que les mères ; on recon-
naît toutefois que leurs rôles et compétences sont différents quoique
complémentaires ;
• il n’y a pas de modèle de garde (hébergement) meilleur qu’un autre ;
différents facteurs toutefois entrent en jeu favorisant le développement
et l’adaptation de l’enfant à la séparation ;
• la famille recomposée est une vraie famille : pour favoriser l’adaptation
de ses membres, il faut du temps, des efforts et des stratégies.
La médiation familiale offre aux parents séparés ou en voie de sépa-
ration un espace neutre et sécuritaire pour maintenir ou restaurer une
communication parentale leur permettant de prendre ensemble les déci-
sions au sujet de leurs responsabilités parentales et financières. Elle peut
préserver non seulement le lien parent-enfant, mais aussi les liens avec la
famille élargie, dont les grands-parents en particulier.
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La médiation peut aussi atténuer le conflit parental et éviter que l’enfant
soit le messager de ses parents ou le témoin impuissant des disputes de
ses parents.

« La médiation redonne du pouvoir aux parties et en même temps, elle


les incite et les responsabilise afin qu’ils puissent trouver eux-mêmes les
solutions qui leur correspondent » (Bastard, 2010).

La médiation familiale porte des valeurs démocratiques, dont le souci


de permettre l’expression et la mise en présence de toutes les personnes
concernées par le même conflit. D’où la question de la place de l’enfant
au cours de ce processus. Doit-il être présent ou représenté ? À notre avis,
le risque qu’il soit oublié est aussi présent sous prétexte de le mettre à
l’écart de ce conflit parental par souci de protection.

I MPLICATION DIRECTE OU INDIRECTE


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Depuis le début de notre pratique de médiation en 1981 à Montréal,


nous avons constaté que l’enfant otage du conflit parental est parfois
tiraillé, écartelé, bafoué dans ses droits fondamentaux de paix, de respect
et de prise en compte de ses besoins entre autres celui de vivre son enfance.
Peut-on rencontrer l’enfant sans laisser de traces indélébiles sur l’im-
partialité obligée du médiateur ? Sur l’enfant ? Sur la confiance établie
entre les deux parents et le médiateur ?
Après avoir recueilli la parole de l’enfant, qu’en fait-on ? Quel sens
peut avoir ce travail auprès des enfants ?
N’est-ce pas se substituer aux parents dont la tâche première est
d’entendre et soutenir leur enfant lors de la rupture ou lors de conflits
familiaux ?
52 R EGARDS CROISÉS

Entendre et décoder la parole de l’enfant, est-ce l’essence même de la


médiation familiale laquelle doit prendre en compte les besoins de tous
les membres de la famille ?
Certains médiateurs croient qu’il vaut mieux travailler avec les parents
pour les amener eux-mêmes à prendre en considération l’intérêt de leur
enfant. D’autres pensent que si nécessaire, un autre professionnel tel un
psychologue ou un travailleur social formé et compétent peut rencontrer
l’enfant seul et porter sa parole à ses parents dans le cadre d’un entretien
de médiation.
Nous allons dresser la liste des principaux modèles d’implication de
l’enfant :
• l’enfant est avisé du recours à la médiation par ses parents ; ceux-
ci sont sensibilisés par le médiateur aux besoins et réactions de leur
enfant à partir de résultats de recherches et de l’expérience clinique du
médiateur ;
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• l’enfant voit le médiateur seul et ce dernier va restituer sa parole à ses
parents ;
• L’enfant voit le médiateur seul puis aidé par le médiateur il exprimera
ce qu’il ressent et souhaite comme plan parental et changements ;
• l’enfant est auditionné par un professionnel extérieur à la médiation
lequel rapporte sa parole lors d’une séance de médiation avec ses parents
de laquelle il est absent ;
• l’enfant vient s’exprimer devant sa famille (parents, frères, sœurs) ce
qu’il désire comme plan parental et changements dans sa famille ;
• l’enfant est invité à la fin de la médiation alors que les parents lui font
part de leurs décisions ce qui permet à l’enfant d’exprimer en entrevue
familiale ses désirs, craintes et souhaits ;
• l’enfant demande à voir le médiateur seul hors la présence de ses parents.
Madame Dahan (Dahan, 2010), médiatrice familiale connue et reconnue
au plan international résumait ainsi la controverse entre les deux grands
courants de pensée :

« Les partisans de la présence indirecte affirment que la médiation est un


espace réservé aux seuls parents et que le socle de la médiation prend
appui sur la compétence des parents.
Les partisans de la présence directe considèrent, eux, que la présence de
l’enfant est indispensable parce que celui-ci est acteur du conflit de ses
parents et qu’elle s’inscrit dans le cadre de la convention internationale
des droits des enfants ».

U N MODÈLE DE PRATIQUE
Au fil de trente-cinq années de pratique auprès des enfants de parents
séparés nous avons constaté que la parole privée de l’enfant peut aller
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 53

jusqu’à l’expression d’une souffrance vécue ou passée. Toutefois pour


s’exprimer librement, elle nécessite des conditions pour exister :
• une confiance dans l’adulte, qui saura garder un secret ou donner un
conseil ;
• un « décodage » du langage, car chaque âge génère des codes différents ;
• une qualité d’écoute, car l’enfant ou l’adolescent parle quand il sait que
son expression est prise en considération ;
• un climat de sécurité, parce que celui qui parle s’expose à l’autre.

Certaines paroles de souffrance peuvent nécessiter un traitement spéci-


fique. Ainsi le secret peut s’effacer devant l’obligation ou l’opportunité
de tenter quelque chose, avec la permission de l’enfant pour sensibiliser
ses parents et si nécessaire, sans la permission de l’enfant, pour faire un
signalement au directeur de la protection de la jeunesse entre autres.
Nous savons combien l’écoute et la prise en compte de la parole de
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l’enfant sont complexes, demandent des compétences très particulières de
la part du médiateur et nécessitent l’établissement d’un cadre spécifique.
Écouter les enfants est une tâche difficile, car il faut se déconditionner,
se déprogrammer, faire fi de préjugés, éviter les longues interprétations,
demeurer naturels et disponibles tant de corps que d’esprit.
Voici étape par étape le modèle que nous avons développé pour tenter
de venir en aide aux enfants de parents séparés.

Premier entretien de médiation


À l’issue du premier entretien de médiation si les parents désirent s’y
engager et signent le contrat de médiation, le médiateur fait état de la
possibilité d’inclure l’enfant au moment approprié, du consentement des
parents et du médiateur ; cela permet au médiateur de repérer rapidement
les inquiétudes, les accords voire même les résistances de l’un ou l’autre
des parents. Rien n’est définitif de la part du médiateur, il ne fait
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

qu’évoquer une possibilité.

En cours de médiation : avant l’implication directe


Lorsque le lien de confiance est bien établi avec les deux parents, que la
décision de séparation est confirmée (s’il s’agit entre autres d’une rupture
récente ou la possibilité d’une réconciliation est évoquée) le médiateur
peut proposer aux parents de rencontrer l’enfant. Lorsque les parents sont
déjà séparés, il est important que ceux-ci aient déjà envisagé diverses
options de partage du temps de l’enfant en vertu de critères objectifs
sans arrêter toutefois leur décision, s’il y a accord des deux parents et du
médiateur sur les modalités d’implication de l’enfant, il y a lieu alors de
préparer les parents à préparer l’enfant à cet entretien.
54 R EGARDS CROISÉS

Préparation des parents à la préparation de leur enfant


Il est important de discuter avec les parents des motifs pour lesquels le
médiateur souhaiterait rencontrer leur enfant au cours du processus :
• la séparation, les conflits parentaux et la recomposition familiale
affectent l’enfant de diverses façons, et ce même si les parents n’ont
observé aucun changement dans le comportement de leur enfant au plan
familial, scolaire ou social ;
• des recherches (Birnbaum, Bala, Cyr, 2011 ; Goldson, 2006 ; Mc
Intosh, 2008) ont démontré que l’enfant demande à être entendu et
souhaite qu’on lui donne la parole pourvu que certaines conditions
soient respectées ;
• l’enfant hésite à se confier à ses parents afin de ne pas amplifier leur
peine, leur colère ou le conflit parental ;
• l’enfant a besoin d’un espace neutre, sécuritaire et confidentiel pour
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parler de ce qu’il vit et ressent ; bien préciser que ce qui sera rapporté
aux parents avec ou sans la présence de l’enfant sera autorisé par l’en-
fant ; des éléments pourront donc rester confidentiels sauf bien entendu
si l’enfant révèle au médiateur des informations laissant croire que
celui-ci pourrait être l’objet de maltraitance ; alors dans ces conditions
le médiateur est tenu en vertu de la loi de la protection de la jeunesse
de faire un signalement ; la médiation est alors mise en parenthèse en
attendant la décision de ce service ;
• l’entretien avec l’enfant seul et avec ses parents peut aider les parents
à mieux comprendre les besoins de l’enfant et à les prendre en compte
dans le processus décisionnel de leur réorganisation familiale. La plupart
du temps, les parents se montrent ouverts et consentants à ce que l’enfant
ait une implication directe en médiation pourvu que l’enfant ne soit pas
témoin de leur dispute ou qu’on lui fasse porter le poids de la décision.
Exception faite de certains cas de haut niveau de conflit ou un parent
parfois les deux, étant incapables de s’entendre insisteront pour que
l’enfant rencontre le médiateur dans le but d’exprimer son choix (en fait
sa décision que chacun aura pris soin de bien orchestrer voire même
télécommander) ;
• les parents doivent envisager que l’entretien familial se déroule avec un
minimum de respect et de calme au bureau du médiateur ;
• les parents sont avisés que lors de l’entretien avec l’enfant, aucune
négociation ne se fera devant l’enfant. Un entretien de médiation est fixé
très rapidement (quelques jours au plus une semaine) après la venue de
l’enfant en médiation. Nous avons réalisé que cela évite des disputes
devant l’enfant ou que les parents tentent de faire pression sur l’enfant
afin qu’il prenne une position favorable à la leur. Cela rassure les parents
qu’un entretien ait lieu rapidement pour les aider à prendre une décision.
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 55

Préparation de l’enfant par ses parents


Les parents sont les mieux placés pour préparer l’enfant à cet entretien.
Malgré leurs efforts pour rester neutres, l’enfant sera sensible à leurs dits
et non-dits.
Les enfants bien préparés à cet entretien nous ont rapporté les éléments
suivants :
• « Mes parents m’ont dit il y a quelques semaines qu’ils avaient débuté
une médiation familiale pour les aider à trouver des solutions et faire la
paix » ;
• « Selon mes parents, le médiateur est sympa, il sait écouter semble-t-
il » ;
• « Mes deux parents sont d’accord que je parle au médiateur » ;
• « Je vais pouvoir parler au médiateur en privé (ce sera comme un
secret) » ;
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• « Le médiateur va m’aider à dire à mes parents ce que je ressens, ce que
j’aime, ce que j’aime moins et ce que j’aimerais qui change » ;
• « Au départ, je n’avais pas envie de voir un étranger, mais mes parents
ont dit que cela me ferait du bien alors j’ai accepté » ;
• « Mes parents m’ont bien dit et répété que ce sont eux qui décident »
• « Mes parents ont promis qu’ils ne se disputeraient pas devant moi chez
le médiateur ».
Dans tous les cas où l’enfant refuse catégoriquement de voir le média-
teur malgré la bienveillance des parents et leurs efforts pour le convaincre,
nous croyons que ce refus doit être respecté.
Nous avons proposé aux parents d’adolescents qui refusaient de nous
rencontrer (alors que les deux parents y voyaient le bien-fondé) de
procéder par téléphone. Il est arrivé que cette modalité soit très appréciée
d’adolescents et que l’entretien téléphonique :
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

• soit un réel entretien permettant l’expression des besoins et souhaits du


jeune ;
• permette de rassurer le jeune qui accepte volontiers de venir seul nous
rencontrer sans la présence de ses parents ;
• permette que le jeune consente à venir nous rencontrer en entretien
individuel pourvu que ses propos soient gardés confidentiels et qu’il soit
aidé à dire à ses parents uniquement ce qu’il jugera pertinent ;
• termine alors que l’adolescent nous remercie et affirme être maintenant
capable de dire directement, hors notre présence, à chacun de ses
parents ce qu’il a sur le cœur pour éviter les conflits (au lieu de les
voir ensemble).
56 R EGARDS CROISÉS

En cours de médiation : au moment de l’implication


directe
Bref entretien familial
Il est reconnu que lorsqu’il y a un différend entre ses parents l’enfant
peut vivre un conflit de loyauté. Nous avons constaté qu’une approche
systémique familiale est préférable et permet de saisir plus facilement les
besoins de l’enfant et les enjeux du conflit parental.
C’est pourquoi peu importe quel parent a la garde de l’enfant et dans
quelle maison il réside au moment de l’entretien, nous demandons aux
deux parents de venir avec leur enfant. Nous adaptons bien entendu la
durée de ces entretiens en fonction de l’âge de l’enfant et son stade de
développement.
Avant de rencontrer l’enfant seul, un bref entretien familial est néces-
saire et souhaitable. Cette entrevue familiale débute par une invitation des
parents à nous présenter leur enfant et rappeler les objectifs de cet entretien
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ainsi que notre rôle auprès de la famille. Cela permet de nous assurer
que l’enfant a été bien informé et de corriger au besoin les informations
transmises. Le plus souvent, les parents ont bien préparé leur enfant. Nous
nous assurons directement de l’accord de l’enfant à nous rencontrer seule
et s’il y a une fratrie nous agissons avec démocratie et négocions l’ordre
des entretiens. Habituellement, le plus âgé désire être vu seul et accepte
volontiers que le « bébé » soit vu en premier. Il est aussi très important de
rappeler à tous la confidentialité de l’entretien avec l’enfant.
Il faut aussi gérer la période d’attente des parents pendant cet entretien :
peuvent-ils être tous les deux dans la salle d’attente ? Est-ce trop explosif ?
Quelles sont les options pour éviter un affrontement ? Les parents sont-ils
prêts à maintenir l’engagement donné au médiateur préalablement quant
aux efforts qu’ils feront pour éviter une dispute devant leur enfant ?
Le plus souvent, les parents choisiront un lieu différent pendant cette
période d’attente. Les parents se demandent quand revenir. Nous pro-
posons de les rejoindre sur leurs cellulaires. Si les parents n’ont pas de
téléphone portable alors nous tentons d’estimer le temps de l’entretien
avec leur enfant. Il est très rare que les parents ne respectent pas leur
engagement de paix. Ils démontrent alors concrètement à leur enfant qu’ils
sont capables de respect et de calme.
Entretien avec l’enfant seul
Peu importe l’âge de l’enfant et son stade de développement, il est
primordial de mettre l’enfant à l’aise. Il faut créer un lien de confiance et
il est recommandé d’accueillir d’abord la personne de l’enfant avant les
problèmes reliés à la séparation des parents.
On s’intéressera par conséquent à son école, ses matières préférées, les
cours moins aimés, ses activités récréatives : sport, musique, lecture, ses
copains, etc. Pour le mettre à l’aise, nous prévoyons toujours une collation
(petit goûter). Nous avons réalisé que cette collation avec l’enfant aide à
détendre l’atmosphère et favorise le dialogue.
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 57

Le recours à des questions ouvertes et non suggestives est donc


fortement recommandé. Puis graduellement, nous irons sur la route de la
séparation et de sa situation présente (du plus général au plus spécifique) :
• Comment cela s’est-il passé pour lui, pour ses parents, sa fratrie s’il y a
lieu ?
• Son espoir de réconciliation ? Les chances que cela arrive ?
• Comment se déroule normalement une journée avec papa ou maman ou
ses contacts avec chacun ?
• S’il y a un nouveau conjoint ou conjointe, comment se comporte cette
personne ? Y a-t-il des problèmes, des inquiétudes, des souhaits ?
• Si les parents sont en conflit : Comment le sait-il ? Comment le vit-il ?
Est-il témoin ou messager ou les deux ?
• Quels sont les sentiments qu’il ressent présentement dans sa situation
familiale ?
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• A-t-il pensé à des solutions pour se sentir mieux ? A-t-il tenté quelque
chose par lui-même ?
• Voudrait-il ajouter quelque chose ? Y a-t-il une question que j’aurais dû
poser et que je n’ai pas posée ?
• Y a-t-il des choses qu’il voudrait garder confidentielles entre nous ? Si
oui, lesquelles ?
• Que souhaiterait-il dire à son père, à sa mère, à ses deux parents ?
Comment le dire pour être le mieux entendu ?
• Souhaiterait-il un coup de pouce de notre part au début, en cours de
route ?
• A-t-il des inquiétudes au sujet de cet entretien familial ? Après lorsqu’il
retournera à la maison avec un parent ou lorsqu’il reverra l’autre parent ?
Comment pourrions-nous lui être utiles ?
La majorité des enfants que nous avons rencontrés ont exprimé s’être
sentis écoutés, soulagés d’avoir pu parler à une personne neutre de
leur tristesse, colère, désarroi, ambivalence. Ils ont aussi aimé l’aspect
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confidentiel de la rencontre et le fait d’être assisté pour ensuite dire à leurs


parents directement, même si cela est difficile.

En cours de médiation : après l’implication directe


Entrevue familiale (ce que certains médiateurs nomment la phase
de restitution)
Le retour en entrevue familiale est habituellement bref (15-20 minutes
voire 30 minutes selon l’âge de l’enfant et le nombre d’enfants impliqués)
et est fait immédiatement après l’implication directe de l’enfant.
Nous mettons d’abord l’accent sur les aspects positifs des relations
parents-enfants en invitant chaque parent à nommer les qualités de leur
enfant et ce qu’il apprécie faire avec lui. Les enfants nous ont rapporté
affectionner particulièrement ce moment, car ils n’ont pas à parler en début
58 R EGARDS CROISÉS

d’entretien (car le stress est présent, que dire ou ne pas dire) et de plus
c’est une douce musique à leurs oreilles que de recevoir les compliments
de leurs parents.
Par la suite nous formulons la même demande à l’enfant soit de décrire
ce qu’il apprécie de chacun de ses parents (qualités et activités). Cette
phase quoique brève crée une ambiance favorable aux échanges. Les
enfants nous aussi confié apprécier cette modalité. Cela met les parents en
mode écoute et non de résistance ou de fermeture.
Dans un troisième temps, nous aidons l’enfant à exprimer ce qu’il
trouve plus difficile dans chaque maison et ce qu’il aimerait changer si
cela est possible.
Nous avons constaté que plusieurs médiateurs craignent beaucoup cette
phase, et ce, avec raison, car sans cadre et sans l’engagement des parents
à ne pas se quereller devant leur enfant, le bureau du médiateur pourrait
servir d’arène aux parents. Notre expérience clinique a démontré que cette
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phase se déroule plutôt bien. Les enfants se révèlent capables de dire dans
leurs mots ou exprimer par leurs dessins, leur silence, leurs larmes, ce
dont ils ont vraiment besoin.
Nous avons aussi constaté que les parents font montre de retenue
devant leur enfant, ils se révèlent capables de les écouter et même réagir
rapidement en répondant par exemple à leur demande de faire la paix et
d’être mis à l’écart du conflit parental.

P RÉSENTATION DE LA SITUATION DE M ARIE -È VE (7 ANS )


Les parents de Marie-Ève1 nous contactent pour entreprendre une
médiation familiale à la suggestion de leurs avocats respectifs. Un juge-
ment a été rendu il y a près de six mois entérinant le consentement des
parents qui conviennent d’un hébergement principal chez la mère avec
des accès au père trois week-ends sur quatre plus les mercredis soirs après
l’école jusqu’au jeudi matin.
Madame a un nouveau conjoint depuis deux mois et le père est
convaincu que l’enfant est malheureuse en compagnie de cet homme alors
que la mère affirme le contraire. Le père n’accepte pas qu’un étranger
puisse prendre soin de sa fille plus souvent que lui et par conséquent il
réclame un hébergement égalitaire. Madame est persuadée que sa fille a
un lien plus fort avec elle pour diverses raisons.
Les premières séances de médiation sont difficiles : les parents se
blâment mutuellement, reviennent constamment sur le passé conjugal,
critiquent ouvertement leur façon d’éduquer l’enfant. Lors de la première
séance de médiation, nous évoquons la possibilité d’inviter l’enfant en
cours de médiation, mais madame s’y oppose farouchement (pas question
que l’enfant soit manipulée par le père et qu’en plus elle soit témoin de

1. Prénoms fictifs.
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 59

leur dispute). Nous tentons de rassurer les deux parents quant au cadre
posé et les objectifs de cette rencontre. Nous les invitons à y réfléchir et
nous leur remettons la plaquette intitulée : « La participation des enfants
en médiation familiale expliquée aux parents » (Richard, Filion, 2014).
Lors de la quatrième séance de médiation, les parents acceptent que
nous rencontrions l’enfant seule et en famille. Nous discutons alors de
la préparation de Marie-Ève à cet entretien. Les deux parents ont lu
la plaquette sur ce sujet et nous posent deux questions : pourrons-nous
vraiment garantir la confidentialité de ses propos et allons-nous les aider à
garder leur calme devant leur fille ?
Rassurés que nous ferons tout pour fournir un cadre permettant l’expres-
sion de l’enfant et la confidentialité de ses dires et rassurés que nous allions
intervenir pour les aider à garder leur calme, les parents se déclarent prêts
à ce que nous rencontrions leur fille.
La mère amène l’enfant en fin de journée après l’école. Nous surveillons
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attentivement l’arrivée du père, dès que Marie-Ève le voit, elle se jette
dans ses bras. Lors de la brève entrevue familiale, nous constatons que
la petite fille a été très bien préparée par ses deux parents. Ceux-ci se
montrent courtois l’un envers l’autre devant l’enfant.
La petite accepte volontiers de nous rencontrer seule et parle abondam-
ment et sans réserve pendant près de 30 minutes de la séparation, son école,
ses amis, ses grands-parents, ses plaisirs chez papa et chez maman, etc.
Elle dessine ses sentiments, entre autres une magnifique représentation
de son cœur. Ce cœur est énorme, rempli d’amour pour papa, maman,
marraine, ses grands-parents et... Michel, le nouveau copain de la mère.
Après nous avoir présenté en détail toutes les personnes objets de son
amour, elle nous dit que nous devons garder secret la place que Michel
occupe dans son cœur, cela est déjà conflictuel entre ses parents. D’ailleurs,
son père refuse qu’elle en parle lorsqu’elle est chez lui. Elle me demande
une faveur : pourrions-nous en discuter seule avec papa et le rassurer qu’il
est son seul papa d’amour, et ce même si Michel est gentil. De plus, elle
aimerait bien que Michel vienne la chercher après l’école quand madame
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travaille tard le soir. Il faut savoir que le père a indiqué et mis en garde les
autorités scolaires : seuls le père et la mère peuvent venir chercher l’enfant
à l’école. La petite parle alors de sa tristesse au sujet de ces interdits de
paroles et d’actions.
De plus, Marie-Ève demande expressément que nous transmettions à
ses deux parents son besoin de paix familiale. Elle n’aime pas du tout
lorsque l’un parle contre l’autre. Nous nous engageons donc à garder
confidentiels les propos de l’enfant au sujet de Michel et d’en discuter
uniquement avec le papa lors d’un autre rendez-vous. Il est convenu qu’elle
exprimerait ce qu’elle veut pendant l’entretien familial et que nous allions
l’assister dans cette tâche.
Lors de l’entrevue avec les deux parents, l’enfant exprime calmement
et avec aplomb ses propres besoins. Au moment de terminer l’entrevue
alors que je vérifie si elle veut ajouter quelque chose, elle répond : « rien ».
60 R EGARDS CROISÉS

Toutefois, le père fait la même demande en insistant pour que sa fille se


sente à l’aise de dire tout ce qu’elle a sur le cœur. Elle parle alors de Michel
et de ses souhaits à son égard. Le père rétorque que pour le moment il ne
peut accepter que cet étranger aille chercher sa fille à l’école, mais il est
rassuré de savoir qu’elle se sent bien en sa présence. Nous invitons le père
à réfléchir à la demande de sa fille, ce qu’il accepte.
La semaine suivante, nous revoyons les deux parents pour poursuivre
la négociation sur le partage du temps parental. Le père explique que vu
la demande expresse de sa fille, il consent dorénavant que Michel soit en
contact avec elle et qu’il puisse aller la chercher à l’école en fin de journée.
Il a même déjà avisé sa fille de son accord. La mère est ravie et remercie
le père de cette prise en compte des besoins de Marie-Ève.
Comment expliquer ce revirement de position ? Le père explique qu’il
a été sensible à la demande de sa fille alors que la même sollicitation
provenant de la mère n’avait aucune crédibilité pour lui. De plus son
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enfant en a fait part à une personne neutre et professionnelle et en a parlé
devant ses deux parents, ce qui augmente le degré de vraisemblance.

E NJEUX DE L’ IMPLICATION DIRECTE DE L’ ENFANT


Que ce soit la situation de Marie-Ève décrite plus haut ou celle d’un
autre enfant, plusieurs défis guettent le médiateur qui désire ouvrir la porte
de son bureau à un enfant, peu importe son âge. En effet, voici quelques
situations délicates rencontrées :
• un parent remet en cause la parole de son enfant : cela ne peut venir de
lui, et est sûrement dicté par l’autre parent ;
• les parents se disputent avec force et plusieurs récriminations du passé
sont dites devant l’enfant lors de l’entretien familial ;
• un enfant se montre incapable de dire lui-même à ses parents ;
• un parent quitte précipitamment la salle en attendant certains reproches
de l’enfant ;
• un parent refuse le changement proposé par son enfant par exemple :
« Papa ou maman, j’aimerais te voir seul de temps en temps sans ton
copain ou copine » ; le parent répond qu’il n’est pas question que son
copain ou copine soit absent(e) de son domicile lorsque celui-ci vient le
visiter.
Ces exemples confirment l’importance pour le médiateur d’être bien
formé à la gestion des conflits dans une approche systémique familiale.
L’impartialité du médiateur et le fait qu’il n’a pas de projet parental
préétabli sont des éléments cruciaux pour favoriser l’autodétermination
des parents.
Le processus de médiation familiale est fondé sur l’hypothèse de départ
qui implique que les parents ont, en s’engageant en médiation sur une
base volontaire, accepté l’aide d’un tiers professionnel et impartial pour
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 61

aider à gérer leur différend. Le plus souvent ces parents vont consentir à
la guidance du médiateur pour explorer les besoins de chacun entre autres
ceux de leur enfant et prendre les mesures et les décisions appropriées
dans son intérêt.
Nous avons constaté, comme l’écrivait Bastard (2010), que l’enfant est
le moteur de la médiation familiale. Nous avons aussi constaté que l’effet
est plus percutant si les demandes sont exprimées directement par l’enfant
que si sa parole est transmise par le médiateur ou un autre professionnel.
Notre expérience a démontré que les parents sont capables de se retenir
devant leur enfant et éviter les débordements, écouter ce qu’il a à dire et
prendre en compte ses demandes dans la mesure du possible.

I MPLICATION DES ENFANTS EN MÉDIATION FAMILIALE :


POINT DE VUE DES CHERCHEURS
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Un rapport de recherche du ministère de la Justice du Canada démontre
que les médiateurs familiaux accordent une grande importance au point
de vue de l’enfant dans le processus de médiation familiale (Birnbaum,
2009). Il subsiste toutefois une divergence dans la manière dont ce point
de vue est pris en compte. En effet, il existe deux types d’implication des
enfants en médiation familiale : l’implication directe et indirecte.

Implication indirecte
L’implication indirecte des enfants en médiation familiale est un
épisode précis dans lequel le médiateur se détache de son rôle impartial
et neutre afin d’adopter une approche plus directive et thérapeutique où il
défend les intérêts du jeune (McIntosh, Wells, Long, 2007). Cette stratégie
vise la création d’un discours centré sur les besoins et intérêts de l’enfant,
et ce, à partir du point de vue des parents. Ce travail peut s’effectuer en
incluant une photo de celui-ci dans le processus de médiation familiale
ou encore, en distribuant des textes qui pourront aider les parents à
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mieux tenir compte de ses besoins (Joyal, Quéniart, Châtillon, 2001).


Les arguments en faveur d’une telle implication sont davantage liés à un
discours protecteur envers les enfants (Evans, Havercamp, 1994 ; Lansky,
Swift, Manley, Elmore, Gerety, 1996 ; Payne, Overend, 1990). En effet,
selon les tenants de l’implication indirecte, plusieurs risques méritent de
tenir les jeunes à l’écart du processus de médiation familiale. Pensons ici
aux dommages qui pourraient être causés à l’enfant s’il sentait le poids
d’une décision sur ses épaules ou à la possibilité que ses paroles soient
utilisées comme moyen offensif par ses parents. Plusieurs professionnels
conçoivent aussi que le divorce et la séparation soient des sujets qui
concernent les adultes et que c’est auprès d’eux que le médiateur doit
travailler. Pour certains, une implication directe pourrait porter atteinte à
l’autorité parentale en positionnant les enfants de manière symétrique et
62 R EGARDS CROISÉS

non hiérarchique dans le processus décisionnel (Cyr, 2008 ; Emery, 2003 ;


Lansky et al., 1996 ; Warshak, 2003).

Implication directe
L’implication directe des enfants en médiation familiale vise une
meilleure compréhension du vécu du jeune à partir de son propre point
de vue sur certaines dimensions des responsabilités parentales. Cette
approche est reconnue comme étant la manière la plus claire et précise
d’obtenir de l’information sur les besoins d’un enfant (Birnbaum, 2009).
Les arguments en faveur de l’implication directe sont multiples. Entre
autres, plutôt que de sensibiliser les parents aux généralisations de l’impact
du divorce et de la séparation sur les enfants, le médiateur parvient à cibler
les besoins spécifiques et les sentiments vécus par leur enfant et à les
conscientiser en ce sens (Drapkin, Bienenfeld, 1985 ; Joyal et al., 2001).
En d’autres mots, l’entretien direct permet au médiateur d’aider les parents
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à intégrer les sentiments, les préférences et les besoins développementaux
de leur jeune dans le processus de négociation. Le médiateur peut égale-
ment jouer un rôle de confident au sens où la neutralité de son intervention
peut faciliter la divulgation des vrais sentiments de l’enfant (Achim,
Cyr, Filion, 1997). Notons que les modalités d’inclusion d’un enfant en
médiation familiale varient selon le professionnel et qu’il n’existe pas de
consensus dans la littérature à cet effet (Joyal et al., 2001). Ainsi, divers
modèles d’implication directe sont accessibles pour inspirer les médiateurs
familiaux (Achim et al., 1997 ; Drapkin, Bienenfeld, 1985 ; Saywitz,
Camparo, Romanoff, 2010 ; Van Kote, 2010). Pour les professionnels
souhaitant se familiariser davantage avec les principaux fondements et
concepts liés à l’implication directe, un document synthèse a été élaboré à
cet effet (Richard, 2014b).
Par ailleurs, une recherche récente menée dans deux provinces cana-
diennes et un état américain auprès d’enfants a conclu (Birnbaum et al.,
2011) :
• qu’il n’est pas néfaste d’impliquer l’enfant dans le processus judiciaire
si certaines conditions sont respectées ;
• que les enfants ont une meilleure adaptation s’ils ont leur mot à dire au
cours du processus d’intervention ;
• que les enfants veulent savoir ce qui se passe pendant le processus, pas
seulement le résultat ;
• que les enfants se plaignent de ne pas être entendus ;
• qu’une proportion significative d’enfants aimerait rencontrer le juge, si
cet entretien est bien mené et s’ils ont le soutien nécessaire ;
• que les enfants souvent anxieux avant de voir le juge en parlent
positivement si les modalités suivantes sont respectées : qu’on prend
le temps de le mettre à l’aise, qu’on lui pose des questions ouvertes et
qu’on ne lui demande pas de décider.
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 63

La majorité des études qui abordent la question de l’implication


directe des enfants sont effectuées à partir des observations cliniques
des médiateurs familiaux (Achim et al., 1997 ; Birnbaum, 2009 ; Drapkin,
Bienenfeld, 1985 ; Gentry, 1997 ; Joyal et al., 2001). Par ailleurs, une
étude australienne longitudinale et comparative sur la résolution de
différends en droit de la famille indique que les parents ayant bénéficié
de l’implication directe des enfants dans un processus de médiation
familiale ont ressenti un éveil lors de cette expérience (McIntosh et al.,
2007). En effet, les résultats démontrent que le matériel intime auquel les
parents ont eu accès après l’expression de leur enfant les avait touchés de
manière durable. Dans cette recherche, le modèle d’implication directe
évalué est celui où l’enfant est rencontré par un professionnel externe
qui fait ensuite rapport verbal au médiateur familial et aux parents. Une
réduction du conflit parental est notée dans les résultats, tout comme
un moindre recours au système judiciaire par la suite. L’entente paren-
tale établie suite à l’implication directe s’est démontrée plus durable,
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comparativement à des ententes établies suite à l’implication indirecte
d’enfants dans un processus de médiation familiale. Selon une recherche
faite en Nouvelle-Zélande (Goldson, 2006) et dans laquelle le vécu de
vingt-six enfants ayant rencontré directement un médiateur familial a
été exploré, il est conclu que ces derniers étaient très satisfaits d’avoir
été entendus. Ils souhaitaient jouer un rôle actif dans le processus. Une
diminution de conflit parental était observée aux fins de la médiation et
les parents notaient une amélioration au plan de leur coparentalité. Une
autre recherche australienne s’est intéressée aux perceptions parentales à
l’égard de la participation des enfants dans un processus décisionnel suite
à la séparation conjugale (Cashmore, Parkinson, 2008). La majorité des
participants de cette recherche ont déclaré qu’il aurait été approprié pour
les enfants d’avoir une voix dans leur processus décisionnel. Par contre,
les parents ne croyaient pas approprié de faire porter le poids des décisions
aux enfants.
Quant au vécu des enfants, plusieurs études démontrent un contente-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ment supérieur face aux modalités de garde et d’accès lorsqu’ils sont


directement impliqués dans le processus de négociation (Dunn, Davies,
O’Connor, Sturgess, 2001 ; McIntosh et al., 2007). D’autres recherches
statuent sur l’importance d’informer les enfants et de les faire sentir impor-
tants tout au long des transformations familiales liées à une séparation
(Dunn et al., 2001 ; Maes, De Mol, Buysse, 2012 ; Smith, Taylor, Tapp,
2003). Enfin, un article scientifique du Royaume-Uni met en lumière
le désir des enfants plus âgés de se sentir en contrôle des décisions
concernant leur vie personnelle (Neale, 2002). Ces conclusions sont
d’ailleurs appuyées par une autre recherche australienne (Bagshaw, 2007).
64 R EGARDS CROISÉS

R ECHERCHE QUÉBÉCOISE SUR L’ IMPLICATION DIRECTE


DES ENFANTS
Cette section rend compte des résultats d’une recherche québécoise,
réalisée dans le cadre d’un mémoire de maîtrise en service social, portant
sur la perception et l’expérience de parents en médiation familiale lors
de l’implication directe de leur enfant (Richard, 2014a). Elle met en
lumière, de manière exploratoire, l’influence d’une stratégie encore peu
documentée à partir du vécu des parents.

Méthodologie
Cette étude s’inspire d’une approche qualitative qui a pour but d’explo-
rer le point de vue des acteurs sociaux pour développer une meilleure com-
préhension d’un phénomène peu exploré (Mongeau, 2008). La technique
de collecte de données privilégiée est l’entrevue semi-dirigée puisqu’elle
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permet de cibler les perceptions, les comportements et les attitudes des
parents en ce qui a trait à l’objet d’étude (Mayer, Ouellet, Saint-Jacques,
Turcotte et collaborateurs, 2000). L’analyse des données est faite à partir
d’un modèle mixte en incluant les thématiques issues de la littérature
scientifique ainsi que celles qui émergent du discours des participants lors
des entrevues. Le recrutement des participants s’est effectué avec l’aide
de quatre médiatrices familiales.
Au total, huit parents ont participé à la recherche. Ils ont été recrutés
sur une base volontaire selon cinq critères, soit : avoir participé à une
médiation au cours des douze derniers mois ; au moins un enfant y est
impliqué directement ; au moins une séance de médiation a eu lieu suite
à son implication ; l’enfant était âgé de six ans ou plus au moment de sa
participation ; le parent réside dans la région métropolitaine de Montréal
ou dans une région avoisinante.

Résultats
Au total, cinq femmes et trois hommes ont constitué l’échantillon de
participants. L’âge moyen des parents était de 43 ans tandis que l’âge
moyen des enfants impliqués était de douze ans, le plus jeune âgé de huit
ans et le plus vieux de seize ans. Le vécu de neuf enfants, issus de cinq
familles différentes, est exploré à travers la perception des parents. Sept
parents sur huit sont dans un contexte de post-séparation au moment de
la médiation, leur dissolution d’union datant en moyenne de sept ans. Le
huitième participant était en cours de séparation conjugale.

Description de l’implication directe


Les parents se sont exprimés sur leur vécu avant, pendant et après
l’implication directe de leurs enfants. La majorité rapporte que la demande
initiale d’implication des enfants provient de la médiatrice familiale.
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 65

Certaines proposent cette participation afin de permettre à l’enfant de


s’exprimer sur la séparation et les conflits parentaux ou pour observer
la dynamique familiale. D’autres la suggèrent dans le but de dénouer
l’impasse entre les parents ou pour aider l’enfant à exprimer sa préfé-
rence quant aux modalités de garde. Plusieurs parents souhaitent que
leurs enfants soient entendus en médiation familiale, alors que d’autres
craignent qu’ils soient manipulés dans le processus.
Selon les participants, peu de règles sont formulées par la médiatrice
avant l’implication directe des enfants. Un parent se souvient par contre
que la médiatrice lui a demandé de ne pas questionner son enfant suite à
l’implication. Au moment de l’implication directe des enfants, la durée
de la participation varie entre 10 et 90 minutes. Pour la plupart, les
enfants sont rencontrés sans leurs parents, parfois avec un membre de
la fratrie. Certains participants vivent l’implication directe en famille,
sans que la médiatrice ne rencontre l’enfant seul. La majorité des parents
rapporte une expérience positive au moment de l’implication directe.
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Par contre, certains remettent en question les modalités d’implication
comme une courte durée de participation des enfants. Selon la moitié
des participants, les enfants vivent positivement leur implication directe
puisqu’ils se sentent écoutés et développent une relation de confiance avec
la médiatrice. L’autre moitié des participants est d’avis que les enfants
vivent cette expérience de manière négative, notamment parce qu’ils
craignent les représailles liées à leur prise de parole. Après l’implication
directe de l’enfant, deux types de rétroactions sont évoqués. La première,
expérimentée par la majorité, se fait entre la médiatrice et les parents
uniquement. Dans ce cas, tous les parents mentionnent que la médiatrice
leur exprime une demande claire et précise formulée par l’enfant à
l’égard d’un changement ou d’un maintien de garde. Le deuxième type
de rétroaction s’effectue en famille et met l’accent sur les besoins des
enfants en lien avec la séparation parentale plutôt que sur une préférence
de modalité de garde.

Avantages et difficultés de l’implication directe


 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

D’après le point de vue des participants, la retombée la plus importante


de l’implication directe se situe sur le plan de l’atteinte d’une entente quant
au partage des responsabilités parentales. À cet effet, plusieurs parents
mentionnent que l’implication a permis d’avoir accès à une demande claire
et précise des enfants. En plus d’avoir centré la médiation sur l’enfant et
d’avoir permis aux parents de se distancier de leurs conflits interpersonnels,
plusieurs participants mentionnent que le processus d’implication les a
aidés à prendre conscience des besoins de leurs enfants. Selon des parents,
la participation des enfants en médiation familiale a permis aux personnes
au cœur du problème de s’exprimer. Des enfants ont également pu voir
leurs parents dans une situation amicale et sans tension. Au contraire,
certains participants estiment que l’implication a eu pour effet de placer les
enfants dans une situation conflictuelle et de les exposer à des représailles.
66 R EGARDS CROISÉS

D’autres considèrent que les jeunes étaient manipulés par un parent mal
intentionné, et que cela a influencé leur opinion quant aux modalités de
garde. Des parents soulèvent leur propre sentiment d’impuissance en lien
avec la prépondérance accordée à l’opinion des enfants en médiation.
Dans leur cas, les enfants ont hérité d’une responsabilité décisionnelle
déterminante dans le partage des responsabilités parentales.

Suggestions aux parents et aux professionnels


Des participants suggèrent aux parents dont les enfants seront direc-
tement impliqués dans la médiation de ne pas chercher à contrôler le
processus et de ne pas diriger leur enfant sur ce qu’il doit dire au médiateur
familial. De plus, être à l’écoute de son enfant, le rassurer et lui laisser
le choix de refuser de participer sont des attitudes considérées comme
importantes. Expliquer en détail le but de l’implication à son enfant
est également suggéré. Les parents conseillent de choisir un médiateur
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familial qui a de l’expérience à rencontrer les enfants et ayant reçu une
formation au sujet de l’implication directe. À leur avis, cela permet
aux professionnels de mieux cibler les enfants victimes de manipulation
parentale, en plus de bonifier leurs compétences d’entrevues auprès des
jeunes. Les participants suggèrent également aux médiateurs familiaux de
s’adapter au cas par cas, et de juger de la pertinence d’impliquer un enfant
seulement lorsqu’ils connaissent bien les parents et leur situation familiale.
En ce sens, ils conseillent aux médiateurs d’effectuer quelques séances
avec les parents en médiation avant de rencontrer les enfants. Enfin,
certains participants soulignent l’importance d’éviter de faire porter aux
enfants le poids de la décision finale, même si leur opinion est entendue
au moment d’une participation.

C ONCLUSION
Les enfants de parents séparés ont besoin de parler, d’exprimer leur
souffrance et leurs plaisirs (il y en a dans la séparation). Ils ont aussi besoin
d’être entendus par une personne neutre et compétente afin de comprendre
ce qui leur arrive et obtenir de l’aide pour formuler leurs besoins et leurs
solutions à leurs parents.
C’est pourquoi nous croyons que ces enfants devraient être entendus
par le médiateur toutes les fois où cela est possible, de l’accord des deux
parents et du médiateur, en respectant certaines conditions. Soutenir les
enfants, oui, mais jamais avec la prétention de faire mieux que les parents.
Ne pas oublier que le médiateur familial n’est que de passage dans la vie
de l’enfant et de sa famille. D’où l’importance de valoriser et aider les
parents séparés afin qu’ils utilisent leurs compétences pour protéger leurs
enfants et continuer ainsi de leur offrir leur temps et leur amour. Toutefois
pour accomplir cette tâche avec compétence, une formation spécifique est
PAROLE ET PLACE DE L’ ENFANT DANS LA MÉDIATION FAMILIALE 67

essentielle et devrait être offerte à tous les médiateurs au cours de leur


cursus de formation.
Les enjeux de l’implication de l’enfant en médiation touchent égale-
ment des questions déontologiques : que faire de la parole de l’enfant
recueillie en privé ? Quelles interprétations données ? Comment ne pas
instrumentaliser l’enfant ? Comment ne pas faire à la place des parents ?
Comment éviter les représailles possibles à la sortie du bureau du média-
teur lorsque l’enfant rentre chez lui avec un parent en colère ou sous la
surprise des demandes de l’enfant ? Il serait pertinent qu’un groupe de
médiateurs au plan international se penche sur ces aspects et élabore un
guide de bonnes pratiques dans ce champ spécifique.
Les résultats de plusieurs recherches soulignent l’importance d’une
préparation adéquate des parents avant l’implication directe de leur enfant
ainsi que le besoin de mieux les informer sur ce processus. Il serait donc
de mise que les médiateurs familiaux accompagnent les parents dans cette
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tâche. Enfin, nous pensons qu’il est fondamental de continuer à explorer
l’implication directe des enfants en médiation familiale sous les angles
cliniques, théoriques et scientifiques.
Chapitre 7

LES INVESTIGATIONS
EN PSYCHIATRIE LÉGALE
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Claude A IGUESVIVES

C ONTEXTE HISTORIQUE
François Dolto aimait à rappeler une promesse qu’elle s’était faite
durant son enfance et son adolescence : « Quand je serai grande je
m’efforcerai de me souvenir de comment s’est quand on est petit ». Cette
promesse transcende son livre La Cause des enfants, son travail est à
l’origine de la formation de plusieurs générations de psychologues ou de
psychiatres spécialisés dans le monde de l’enfance et de l’adolescence.
Pour la psychanalyste l’objectif est de permettre à l’enfant d’accéder par
la parole à une conscience de soi et à une responsabilité.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Durant ces années quatre-vingt le militantisme concernant la cause des


enfants débouche sur la ratification en 1989 par les Nations Unies de la
convention internationale des droits de l’enfant (CIDE). Cette convention
sera ratifiée par la plupart des états. L’enfant « Être de langage » selon
Françoise Dolto devient aussi sujet de droit. De nouvelles notions enva-
hissent les contenus professionnels des spécialistes du monde de l’enfance
et de l’adolescence. Nous citons l’intérêt supérieur de l’enfant, l’enfant
capable de discernement...
Cette nouvelle approche clinique et juridique de l’enfance s’inscrit
essentiellement dans une éthique de la conviction. Les concepts affirmés
dans cette convention sont généraux, il restera à la responsabilité des
professionnels de l’enfance de construire les outils pour faire vivre ces
différentes notions.
70 R EGARDS CROISÉS

En France dans la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de


l’enfance est consacré le droit de l’enfant à être entendu en justice dans
toutes les affaires le concernant. L’article 388-1 du code civil précise :

« Dans toutes procédures le concernant, le mineur capable de discernement


peut, sans préjudice des dispositions prévoyant son intervention ou son
consentement, être entendu par le juge ou lorsque son intérêt le commande
par la personne désignée par le juge à cet effet ». « Cette audition est de
droit lorsque le mineur en fait la demande. Lorsque le mineur refuse d’être
entendu, le juge apprécie le bien-fondé de ce refus ».

Les conditions de l’audition du mineur sont précisées. Il est également


rappelé que le fait que le mineur soit entendu ne lui confère pas la qualité
de partie à la procédure.
En psychiatrie ou en psychologie légale, nous sommes régulièrement
désignés pour examiner le mineur et éclairer la justice. Des questions
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précises dans nos missions nous sont posées par les magistrats. Le
mineur peut être présumé victime ou auteur, il est également aussi un
enjeu entre des parents qui ne parviennent pas, lors de leur séparation,
à trouver un accord sur l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Nous
rencontrons également des mineurs quand ils sont en danger dans le cadre
des prérogatives du Juge pour enfants, nous sommes interrogés sur leur
placement.
La loi ne définit pas d’âge et considère comme mineurs les enfants de
la naissance à l’âge de 18 ans. Missionnés par la justice, il est demandé
aux experts d’intégrer des notions qui, d’une situation à l’autre, évoluent.
Pour apprécier la plainte de l’enfant, sa parole il est nécessaire d’inté-
grer la maturité du mineur, son développement cognitif, la compréhension
du contexte, la capacité à s’exprimer librement, les liens de loyauté avec
son entourage, sa personnalité...
Face à la complexité, des déterminants qui organisent l’expression de
l’enfant, le débat judiciaire entre les parties, tout comme le débat public
est souvent dans l’émotionnel et dans la sanctuarisation d’une plainte ou
d’un acte commis. L’investigation en psychiatrie ou en psychologie légale
est, à l’inverse, dynamique, elle s’inscrit dans une relation et dans une
rencontre, elle s’ouvre sur des champs cliniques qui débordent la seule
analyse de la parole de l’enfant.
Notre objectif est d’éviter de réduire l’enfant à une identité soit de
victime soit de fabulateur. Nous devons également nous émanciper des
paradigmes cliniques qui nous ont formés. La valeur d’une interprétation
c’est qu’elle « fasse sens ». Cette interprétation n’est pas toujours en bonne
concordance avec ce qui convient d’appeler la mémoire historique de la
personne. Dans nos investigations nous ne travaillons pas sur ce qui « fait
sens » mais sur la réalité objective et historique d’un acte subi, celle-ci
peut-être différente de la réalité psychique vécue par le mineur.
L ES INVESTIGATIONS EN PSYCHIATRIE LÉGALE 71

Cette démarche d’investigation peut avoir des retombées thérapeutiques


mais il ne faut pas les rechercher dans le temps immédiat de l’exploration
médico-légale.
La pensée freudienne enracine la souffrance psychique dans le temps
de l’enfance. L’expertise psychiatrique ou psychologique reste un repère
historique, un petit caillou blanc qui pourra permettre plus tard à l’adulte
de retrouver avec lucidité le sentier de son enfance. Nous connaissons
à l’inverse le caractère dévastateur des vrais et des faux souvenirs qui
transforment des vies en cauchemars.
L’expert dans ses conclusions va considérer la relation de l’enfant à sa
mémoire comme exacte, ou comme tronquée. Il doit aussi situer clairement
les limites de son art, il peut aussi admettre qu’il est dans l’incapacité
d’éclairer la justice.

L E LANGAGE PLURIEL DES SYMPTÔMES DE L’ ENFANT


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BLESSÉ
Il faut rappeler qu’il existe une amnésie infantile. Elle est totale jusque
vers l’âge de 2 ans, elle est partielle entre 2 et 4 ans. Cette période
de vie de l’enfance est aujourd’hui souvent vampirisée par les conflits
familiaux, l’innocence de cet âge favorise les projections émotionnelles,
conflictuelles ou traumatiques de l’environnement le plus souvent familial.
Cette période de vie est aussi un objet d’investissement pour des
pratiques souvent pseudo-scientifiques qui proposent aux parents et à
l’enfant de retrouver les traumatismes précoces, clés de compréhension
des difficultés actuelles. Il est toujours difficile de résister aux oracles, qui
manipulent la souffrance humaine, parentale et infantile.
Durant cette période de vie il existe une hyper-suggestibilité chez
l’enfant, il peut exprimer des croyances déraisonnables liées à une emprise
sur son existence de conflits d’adultes qui ne correspondent pas à son
intérêt.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

La question de la suggestibilité de l’enfant se poursuit longtemps


durant le processus maturatif de l’enfant, elle se confond à sa capacité
à reconnaître le Soi du non Soi, à s’individuer des loyautés affectives
qui l’entourent. Une nouvelle entité clinique a émergé, le syndrome
d’aliénation parentale (Gardner, 1985). Le débat sur son inclusion au DSM
(Diagnostic and Statistical Manual) est passionné. Au nom de « l’enfant
d’abord », nous retrouvons des lobbies qui sont autant de SOS paternels
ou maternels.
Gardner et Hubert Van Gijseghem décrivent les désordres psycholo-
giques et comportementaux d’enfants pris dans les conflits familiaux. Le
discernement de l’enfant est affecté, la mémoire charrie des souvenirs et
des conflits qui ne participent pas à l’intérêt de l’enfant. Le diagnostic est
le plus souvent facile à établir il est consensuel entre les professionnels de
l’enfance. Les conflits actuels autour de l’aliénation de l’enfant à un parent
72 R EGARDS CROISÉS

sont portés par des associations de la société civile. Elles s’appuient sur
des notions inexactes. Il s’agit d’associations de pères ou de mères ; nous
savons que dans la réalité des mères ou des pères sont parfois aliénants.
Il va de soi, mais faut-il encore le préciser, que le diagnostic d’aliénation
parentale est une perte de discernement de l’enfant. Cette notion est posée
par l’expert non pas pour protéger un parent présumé abuseur, mais pour
pointer une violence psychologique qui met en danger la construction de
l’enfant. Les praticiens en psychiatrie légale sont aussi des cliniciens. Ils
connaissent la catastrophe psychologique des souvenirs sexuels induits
dans les conflits familiaux.
Lorsque ces inductions surviennent durant la période de très grande sug-
gestibilité de l’enfant, nous retrouvons durant l’enfance et l’adolescence
une psychopathologie de ces mineurs qui s’apparente aux troubles des
enfants qui ont été réellement abusés. Nous savons que l’expression cli-
nique des traumatismes psychologiques intimes est liée dès l’adolescence
à la représentation de ce que l’on a subi et pas toujours aux événements
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réels subis. Ce constat clinique explique la controverse Freudienne autour
de la théorie de la séduction, entre un traumatisme réel et un traumatisme
imaginaire qui est le résultat d’une contagion émotionnelle durant le
temps de l’infans. Appréhender ces notions nécessite souvent l’examen
du groupe familial.
L’investigation clinique ne se limite pas à la parole. Les blessures
intimes s’expriment également au travers du corps, des comportements,
des aménagements de personnalité, des psychotraumatismes. Ces diffé-
rents langages sont à décoder car ils ont souvent un caractère polysémique.
Les symptômes de l’enfant ne sont pas toujours à rechercher au travers
d’une linéarité causale. L’enfant blessé interprète l’événement causal
(l’acte présumé subi) en fonction de ses capacités cognitives, imaginaires
ou symboliques.
Quand l’histoire est difficile à exprimer, l’enfant s’écarte du témoignage,
de la parole, il choisit alors son corps, ses comportements, ses conduites
souvent sexualisés. La signification des symptômes est masquée. Le
corps, les troubles des conduites sont des symptômes de résistance, face à
l’interdit de mémoire qui frappe le souvenir traumatique. Comprendre les
ressorts de ses troubles est délicat. Ainsi dans une même famille d’enfants
victimes d’inceste, l’aînée choisira la déficience intellectuelle, la cadette,
la précocité psychologique.
Les symptômes sont aussi évolutifs dans le temps. Les grandes filles vic-
times s’expriment par des scarifications à l’adolescence, elles multiplient
parfois les tentatives de suicide et ou les conduites sexuelles à risques.
Ces langages du corps peuvent piéger le clinicien car la souffrance des
blessures intimes peut infiltrer différentes pathologies. Elle s’exprime au
travers d’une anorexie mentale, d’une obésité, de troubles à conversion
psychosomatique.
L ES INVESTIGATIONS EN PSYCHIATRIE LÉGALE 73

Nous savons également que le langage que peut utiliser l’enfant victime,
et plus particulièrement le garçon, est la réitération en tant qu’auteur de
l’acte subi.
Les violences vécues par le mineur, physiques ou sexuelles, attaquent
l’unité des différentes perceptions corporelles et émotionnelles. Elles
sont facteur de confusion, le temps est désorganisé, ainsi une mémoire
non fiable dans sa diachronie ne permet pas d’écarter un événement
traumatique.
Il existe aussi chez les enfants victimes une confusion du principe de
causalité des événements vécus. Ainsi la victime ne parle pas car elle se
perçoit coupable d’avoir accepté durant son enfance ce qu’elle n’était pas
préparée psychologiquement à élaborer : la sexualité d’un adulte.
Cette même perte du rapport de causalité nous la retrouvons chez
certains parents d’enfants présumés victimes. Le parent aliénant n’est pas
satisfait que son enfant soit déclaré indemne de toute violence subie. Mais
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ce parent aliénant est parfois une ancienne victime, qui à une perception
confuse des intérêts de son enfant. Le besoin d’être reconnu comme
victime pour le parent traumatisé est la quintessence d’une vie qu’il
continue à rechercher à travers son enfant.
Dans la démarche de l’expert le brouillage du langage utilisé par
l’enfant, ne doit pas être interprété comme l’expression de désordres
psychologiques et cognitifs de l’enfant affectant sa crédibilité et sa fiabilité.
Mineurs traumatisés, mineurs manipulés il est important de ne pas les
laisser seuls en conflits avec leur mémoire.
Il nous est encore posé dans nos missions d’expert par la justice la
question de la mythomanie de la présumée victime. Il n’existe pas le plus
souvent de liens entre la notion clinique de mythomanie et celle de fiabilité
d’une victime. Certaines victimes sont mythomanes et par ailleurs elles
ont été abusées. La mythomanie est aussi l’expression d’une échappée
par l’imaginaire d’une enfance cabossée par des violences sexuelles.
Cette échappée témoigne que la victime est vivante et qu’elle tente de
métamorphoser ses traumas. La mythomanie est un symptôme qui est
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

un véritable oxymore car tantôt positif il permet de saisir le besoin de


reconstruction par la fiction de la victime, tantôt négatif il peut aussi nous
orienter sur de fausses allégations.
Nous savons aussi qu’une absence de symptomatologie antérieure à
notre examen ne signifie pas que le mineur est indemne de tout abus.
Bien souvent on observe après une première révélation, une hémorragie
intime avec une symptomatologie riche qui avait été contenue pendant
de nombreuses années. Le clivage entre le trauma et la vie réelle cède
souvent après de nombreuses années, nous citons quelques exemples :
lorsque la victime est confrontée à une rencontre amoureuse ou à une
naissance d’enfant.
Nous n’excluons pas que l’enfant et l’adolescent puissent utiliser la
plainte pour des enjeux qui ont un caractère exclusivement personnel.
74 R EGARDS CROISÉS

Chez le mineur non pubère il s’agit de mécanismes, le plus souvent, d’au-


tosuggestion, produits par la vie imaginaire, la recherche de bénéfice, de
notoriété. Les déterminants sont nombreux, il a vu, entendu des histoires
similaires, il a besoin de réactiver les liens avec son environnement par
des histoires fortes qui entraînent le regard sur sa personne.
L’adolescent non fiable arme ses plaintes dans des enjeux affectifs,
narcissiques, qui sont souvent sombres et difficiles à décoder. Lors d’une
expertise récente nous avons rencontré une adolescente qui avait dénoncé
un viol pour « tout partager » avec sa meilleure amie qui, elle, était une
victime authentique.
La parole de l’enfant fut longtemps méconnue, censurée et plus récem-
ment sacralisée. Des temps anciens aux temps modernes l’emprise sur
l’enfant n’a jamais cessé, enfants esclaves, enfant soldats, enfants fanatisés,
enfants objet de toutes les convoitises pour la société de consommation...
La parole libérée de l’enfant ne signifie pas qu’elle est affranchie des
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passions et des convoitises qui l’aliènent aussitôt.

L A STANDARDISATION DE L’ ÉCOUTE DE LA PAROLE


DE L’ ENFANT
Depuis plusieurs décennies il existe une réflexion autour de la parole de
l’enfant en justice. Nous avons présenté quelques enjeux et controverses
cliniques qui éclairent la complexité de la tache.
En psychiatrie et psychologie légale nous recherchons d’abord une
cohérence clinique, la plainte de l’enfant, sa parole n’est qu’un élément
d’une mémoire enfantine que nous essayons de retrouver.
Nous sommes également prudents sur les utilisations de protocoles
standardisés : poupées anatomiques, interprétation des dessins, protocoles
d’interrogations (NICHD).
Publié pour la première fois en 2000, le Protocole NICHD pour le
recueil des témoignages a été élaboré par un groupe de chercheurs
dirigé par Michael Lamb au National Institute of Child Health and
Human Development au Minnesota. Ce protocole est destiné à encourager
l’utilisation de questions ouvertes plus susceptibles d’obtenir des réponses
sous forme de récit verbal. Il s’agit de recommandations co-construites par
la recherche au travers de lignes directrices opérationnelles. Le protocole
NICHD a été utilisé et adapté dans un certain nombre de juridictions.
Il est étayé par des recherches sur le terrain basées sur plus de 40 000
entrevues menées aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Israël et au Canada.
Le protocole NICHD a bénéficié de moyens qui n’ont pas été mis à la
disposition du protocole Mélanie en France
Les promoteurs du protocole NICHD considèrent que, l’utilisation de
questions ouvertes destinées à susciter des réponses narratives de rappel
libre, est essentielle pour maximiser une information fiable de la part
des enfants. Pour l’équipe de recherche cette notion est particulièrement
L ES INVESTIGATIONS EN PSYCHIATRIE LÉGALE 75

vraie avec de jeunes enfants qui sont plus susceptibles de donner des
informations inexactes en réponse à des questions directes et ciblées de
reconnaissance.
Ces protocoles ne sont pas exempts de critiques ils confondent dans une
même démarche la clinique et le judiciaire. Ils sont par ailleurs statiques :
l’approche de la parole de l’enfant ne peut pas être séparée de la conscience
de soi pour un enfant, c’est-à-dire du discernement qui est une construction
dynamique qui intègre le cognitif, l’affectif et la personnalité.
Souvent l’approche du seul enfant n’est pas suffisante. Les investi-
gations doivent s’ouvrir au fonctionnement du groupe familial, ou de
l’examen si cela est nécessaire de la relation abusé-abuseur.
Certains professionnels revendiquent comme posture la seule écoute de
la parole de l’enfant déconnectée des conflits qui l’entourent. L’objectif
serait pour conserver sa subjectivité d’expert, d’écarter ainsi un dossier,
une enquête préliminaire, les auditions de parents, qui nourrissent d’autres
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enjeux. Dans cette présentation ce n’est pas cette démarche que nous
soutenons. Comprendre la conscience de l’enfant, sa relation à son histoire,
conduit à accepter une approche qui intègre le contradictoire pour une
compréhension des différents désordres relationnels qu’a pu vivre le
mineur. Cette contradiction apparaît souvent à la lecture du dossier et
des auditions. L’expert ne dispose pas de manière innée d’un flair qui le
met en situation de toute puissance pour détecter la vérité.

E N GUISE DE CONCLUSION
En pratique médico-légale, l’examen de la parole de l’enfant embrasse
une clinique complexe. Ce sont les cohérences ou les incohérences de
cette clinique qui dictent le plus souvent les réponses aux questions qui
nous sont posées.
En France comme le souligne le rapport de novembre 2013 portant sur
la parole de l’enfant en justice et remis au Président de la République de
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Marie Derain, Défenseure des enfants, et Dominique Baudis, Défenseur


des droits, il existe une profonde inégalité de situations du traitement judi-
ciaire de la parole de l’enfant. Le rapport demande d’unifier les pratiques
entre enquêteurs et psychiatrie et psychologie légale. Les formations sont
hétéroclites, il n’existe aucune ambition de recherche médico-judiciaire.
Le rapport insiste sur l’importance de pédagogie envers les enfants :

« Il faut des mots simples, il faut imaginer des outils pédagogiques pour
expliquer aux enfants le fonctionnement de la justice, les droits qui sont
les leurs et la manière de les exercer [...]. Chaque fois que l’enfant parle,
il dit des choses. Il ne dit peut-être pas exactement la vérité, mais il dit
son malaise et les difficultés qu’il éprouve. Il faut explorer ses difficultés »
explique Marie Derain.
76 R EGARDS CROISÉS

L’ex défenseure des enfants propose de doter chaque enfant plaignant


d’un fascicule pédagogique adapté à son âge pour lui présenter ses droits
et lui expliquer la procédure. Il sera tout aussi important pour éviter de
disqualifier les parents de présenter les contours juridiques de l’autorité
parentale.
Aujourd’hui le chantier de la protection de l’enfant dans son parcours
judiciaire n’est pas terminé. La réponse judiciaire est souvent un second
traumatisme pire que le premier. La procédure s’étire dans le temps,
l’existence des mineurs est suspendue à l’attente d’une décision qui
arrivera trois ou cinq ans après.
Les réponses pénales sont souvent inadaptées, elles épousent ce que
demande l’opinion publique, des peines de plus en plus sévères pour les
auteurs, différées dans le temps, alors que les mineurs victimes attendent
souvent que leurs familles soient « réparées » au plus vite. Leurs plaintes
entraînent souvent un long exil à l’aide sociale à l’enfance et une rupture
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avec tous les attachements.
Si nous souhaitons privilégier l’intérêt de l’enfant, les procédures
pénales concernant les mineurs victimes d’infractions à caractère sexuel
doivent être, pour la plupart, raccourcies à une durée maximum de six
mois.
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RECUEILLIR LA PAROLE
DE L’ENFANT
PARTIE 3
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Chapitre 8

LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL
DE LA PAROLE DE L’ENFANT
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Gérard P OUSSIN

I NTRODUCTION
L’expérience de devoir rendre compte de ce que me disait un enfant dans
le cadre d’une demande d’examen psychologique ordonné par un juge m’a
fait prendre conscience de la difficulté de cet exercice. Un certain nombre
d’études en psychologie du développement ont permis de comprendre en
partie les origines de ces difficultés. J’en rendrai compte rapidement dans
une première partie. Je traiterai ensuite plus précisément la question du
recueil de la parole de l’enfant dans les situations de conflits parentaux
qui font suite à une séparation.
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Q UELQUES ÉCLAIRAGES DE LA PSYCHOLOGIE


DE L’ ENFANT
L’enfant et le langage
L’enfant a un rapport spécifique au langage qui n’est pas identique à
celui de l’adulte. Il acquiert le langage progressivement et ne s’en sert
comme moyen d’échange avec les autres qu’après l’avoir suffisamment
maîtrisé. Ainsi à trois ans, dans l’échange avec ses pairs, l’enfant commu-
nique davantage par imitation qu’à travers le langage, alors qu’il possède
déjà pas mal de vocabulaire, comme l’ont montré les travaux de J. Nadel
et P.-M. Beaudonnière (1980).
80 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

On sait que la relation signifiant-signifié s’actualise par le langage grâce


à « l’arbitraire du signe ». Mais ce type de relation n’est intériorisé que
fort tardivement. Il est de l’ordre de la capacité métalinguistique qui n’est
acquise, au niveau sémantique, qu’au début du cycle primaire. Des enfants
de six ans, auxquels on demande de citer un mot « long », répondent
encore par exemple : « le train ».
Tout cela montre que le langage, suivant l’âge de l’enfant auquel nous
avons affaire, a une utilité et une fonction différente de celle qu’il a chez
l’adulte. Aussi, vouloir tenir une conversation avec un enfant suppose que
l’on tienne compte de son âge (Newcombe et Bransgrove, 2007) et de sa
capacité d’expression. On ne s’adresse pas de la même manière à un enfant
de quatre ans et à un enfant de douze ans par exemple. C’est notamment
vrai dans l’utilisation du vocabulaire et de la syntaxe. Des études anglo-
saxonnes ont montré que la fiabilité des réponses de l’enfant dépendait
de la façon dont l’adulte avait posé les questions (Saywitz et Camparo,
1998). Il est recommandé de poser au départ des questions banales de la
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vie quotidienne afin d’avoir une idée du niveau de l’enfant et de poser
ensuite les questions que l’on pense importantes, en tenant compte des
observations faites lors de ces premiers échanges. En tant qu’expert auprès
des tribunaux j’ai eu connaissance d’entretiens réalisés par la gendarmerie,
y compris dans le cadre de la procédure dite « Mélanie », qui ne tenaient
pas toujours compte de ces critères.

La particularité de la situation d’entretien


Lors de l’entretien avec un adulte, l’enfant se réfugie volontiers dans
le silence. Dans certains cas, il s’agit de véritable mutisme, qui indique
parfois une structuration psychotique de la personnalité. Mais le silence
au cours de l’entretien n’est pas un signe nécessairement pathologique.
C’est un moyen pour l’enfant de protéger son univers, de se réfugier dans
son monde imaginaire, ou tout simplement d’être conforme aux normes
imposées par les adultes. La socialisation de l’enfant passe en effet par
l’interdit de parler. Un enfant « poli » doit se taire devant l’adulte, il ne
doit pas « répondre ».
Ainsi, pour les enfants, la situation d’entretien est presque paradoxale
puisqu’elle le place dans une position où il a le devoir de parler alors
qu’habituellement il a le devoir de se taire devant l’adulte. C’est pourquoi
les psychologues proposent souvent des activités qui médiatisent la
communication verbale, comme le jeu ou le dessin. Néanmoins, l’inter-
prétation de ces jeux ou de ces dessins donne parfois lieu à des mises en
sens abusives pour ne pas dire ridicules. J’ai lu un article où les auteurs
avaient fait passer un test de dessin (le D10) en comparant les résultats
donnés par des enfants abusés et des enfants non abusés. À partir de quoi,
la présence d’objets de forme oblongue était considérée par cet article
comme un indicateur d’abus sexuel. Je doute pour ma part que l’on puisse
parvenir à une telle conclusion à partir de données aussi fragiles. Jeux et
LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL DE LA PAROLE DE L’ ENFANT 81

dessins doivent donc rester de simples médiateurs dans la communication,


et l’adulte ne doit pas plaquer sur ces productions un sens que l’enfant
n’a pas explicitement voulu y mettre. Ou alors, il faut disposer d’études
préalables et d’un matériel standardisé pouvant référer une signification
particulière à une forme donnée. Ainsi, qu’il soit interprété de manière
abusive, ou considéré comme une manifestation d’opposition, le silence de
l’enfant n’est pas toujours compris ni respecté, notamment dans le cadre
de certaines procédures judiciaires.
Le statut de l’interviewer joue également un rôle important. Des études
de laboratoire ont montré qu’une personne détentrice d’une fonction d’au-
torité conduisait l’enfant à se soumettre plus facilement aux suggestions
de l’adulte. Ainsi, les suggestions d’un juge ou d’un policier auront sans
doute plus de chances d’influencer l’enfant que celle d’un psychologue ou
d’un éducateur. C’est ce que nous voyons dans l’exemple qui suit.
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Un enfant, qui s’était aligné sur les positions de sa mère, voulait aller prendre
des cours de musique en supplément toutes les semaines à 70 km de chez
lui. Le père, qui ne voyait l’enfant que lors de droits de visite limités, s’opposait
à ce projet qui, selon lui, fatiguerait trop l’enfant qui allait déjà au conservatoire
de la ville. La question finit par atterrir sur le bureau du juge aux affaires
familiales (JAF) à la demande de la mère que l’enfant soutenait. Le JAF
s’étant prononcé, le père demanda un jour à son fils ce qu’il allait finalement
faire pour ses cours de musique. L’enfant répondit qu’il n’irait qu’une fois par
trimestre, que c’était comme ça parce que le juge l’avait décidé, et qu’il n’y
avait pas à en discuter. C’est pourtant ce que le père avait suggéré, mais sa
parole au départ n’avait pas été entendue, celle du juge oui !

Une ordonnance d’un juge est d’une autre nature qu’une simple sug-
gestion. Dans certains cas pourtant une question apparemment inoffensive
peut en fait être suggestive. Il suffit parfois de modifier très légèrement
la formulation pour transformer une question banale en suggestion (par
exemple : « De quelle couleur était la cravate du monsieur qui vient de
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

passer ? », au lieu de : « Le monsieur qui vient de passer portait-il une


cravate ? »). La lecture de certains dossiers d’affaires pénales regardant
des enfants montre que ce phénomène de suggestion involontaire est
relativement courant lors d’enquêtes réalisées par des personnes non
formées pour ce type de travail. Cela dit, il existe des différences interin-
dividuelles importantes d’un enfant à l’autre et certains enfants résistent
ainsi beaucoup mieux à la suggestion que d’autres. De même que certains
enfants mentent plus facilement que d’autres.
Car, au risque de choquer, il faut dire qu’il arrive en effet que les enfants
mentent. Ils peuvent même mentir à une personne revêtue d’une certaine
autorité, comme un juge, ou comme un expérimentateur de laboratoire.
Dans une expérimentation, on avait distribué à des enfants des cartes
avec des questions relativement difficiles dont la réponse était au dos
de la carte (Talwar, Gordon, et Lee, 2007). On indiquait aux enfants
82 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

qu’ils ne devaient pas regarder le dos de la carte. Puis l’expérimentateur


sortait, sous un prétexte quelconque, et rentrait ensuite. Une caméra cachée
permettait de voir ce que faisaient les enfants pendant son absence. Quand
l’expérimentateur revenait il demandait aux enfants lesquels d’entre eux
avaient regardé au dos de la carte et la majorité de ceux qui l’avait fait
ne le disaient pas. Cette expérience ne fait donc que confirmer ce que
nous savions déjà : que les enfants peuvent mentir. Elle montre aussi que
certains peuvent résister à la tentation. Nous allons voir à présent que cette
résistance dépend de l’âge et de la motivation.
Une expérience de Bottoms et al. (2002) consistait à demander à des
mères de faire une transgression mineure en présence de l’enfant (casser
une poupée en jouant) au moment où l’expérimentateur, toujours sous un
prétexte quelconque, quittait la pièce. Les mères devaient dire à l’enfant de
ne pas en parler à l’expérimentateur, sinon elles auraient des ennuis. Quand
l’expérimentateur revenait il demandait à l’enfant pourquoi la poupée était
cassée. Plus les enfants étaient jeunes plus ils avaient tendance à répondre
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la vérité, tandis que plus ils étaient âgés plus ils la cachaient pour protéger
leur mère. Ainsi l’enfant peut mentir pour protéger un parent, et plus il est
âgé, plus il a tendance à le faire.

L’influence des parents sur la parole de l’enfant


J’ai eu l’occasion de mesurer à plusieurs reprises l’impact sur la pensée
de l’enfant du parti pris qu’il a en faveur de l’un de ses parents. Le cas qui
suit illustre cet impact.

Les parents venaient de se séparer et l’enfant avait choisi de vivre avec son
père, ce que sa mère ne comprenait pas. Dans un entretien avec elle, en ma
présence, il l’accusa d’avoir toujours présenté son père comme quelqu’un de
méchant. La mère fut désarçonnée par ce propos inattendu pour elle. Parmi
les éléments de vérité, il y avait le fait que l’enfant avait eu effectivement peur
de son père quand il était petit. C’était un homme assez cassant et avec une
forte voix grave. Il est probable également que sa mère ait fait des réflexions
sur certains comportements autoritaires de son mari. Après le départ de sa
mère du foyer conjugal, vécu par cet enfant comme un cataclysme, ces deux
éléments de vérité se sont transformés en cette idée que sa mère l’avait tout
le temps « monté » contre son père, ce qui ne correspondait pas à la réalité
objective. La façon dont il s’est exprimé lors de l’entretien laissait penser qu’il
croyait à ce qu’il disait. Même si ce n’était pas un « mensonge » au sens
classique du terme, ce qui était dit était tout de même mensonger et aurait
même pu être considéré comme diffamatoire dans un autre contexte.

Jusqu’à quel point ce « mensonge » avait pu être induit par l’attitude du


père ? C’est ici la question de la capacité de suggestion d’un parent qui est
convaincu de la supériorité de sa position et qui influence l’enfant dans ce
sens. Il suffit en fait pour un parent de croire à la nocivité de son conjoint
pour que l’enfant y croie parfois de façon totalement fanatique. Sans aller
LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL DE LA PAROLE DE L’ ENFANT 83

jusque-là une expérience de Poole and Lindsay (2001) portant sur des
enfants de trois à huit ans a montré la puissance des inductions parentales.
Les enfants assistaient à une petite expérience où un personnage fabriquait
un téléphone avec deux entonnoirs et un tube de colle. Les parents
devaient ensuite raconter une histoire à leur enfant dans laquelle de faux
éléments sur l’expérience étaient introduits subrepticement. Une interview
réalisée par les chercheurs avec l’enfant avant que ses parents lui racontent
l’histoire et une interview après permettait de vérifier si les enfants avaient
été influencés par ce que leur avaient dit leurs parents. La comparaison
des deux entretiens montrait que les enfants faisaient très peu d’erreurs de
restitution dans le premier, alors que les fausses informations augmentaient
de façon spectaculaire au deuxième. Le seul regret que l’on peut avoir est
que les auteurs n’aient pas pensé à une condition contrôle où les fausses
informations auraient été fournies par une autre personne que les parents.
Il faut dire que l’objectif de ces chercheurs était un peu différent du nôtre.
Nous allons à présent tâcher de mettre en application ces connaissances
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dans la seconde partie de notre exposé qui portera sur l’analyse de
situations cliniques.

L’ ENTRETIEN AVEC L’ ENFANT DANS LE CADRE


DES SÉPARATIONS PARENTALES CONFLICTUELLES
Lorsqu’un juge aux affaires familiales commet un psychologue pour
expertise il s’agit le plus souvent d’un désaccord entre les parents au
niveau de l’organisation de l’hébergement de l’enfant ou d’un problème
lié au refus par un enfant de tout contact avec l’un de ses parents. Je me
consacrerai donc successivement à chacune de ces deux situations.
Le changement d’organisation de l’hébergement
de l’enfant
La résidence alternée n’est pas destinée à se maintenir forcément
jusqu’à la majorité des enfants. Elle peut être interrompue ou modi-
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

fiée dans ses modalités pour de multiples raisons. Ainsi l’évolution de


l’enfant, des besoins nouveaux qui apparaissent ou des besoins anciens
qui disparaissent peuvent rendre nécessaire un arrêt ou une modification
substantielle de la résidence alternée. Il arrive aussi qu’un des parents ne
remplisse pas vraiment son rôle dans le temps qui lui est imparti et qu’il
faille en tenir compte. Cela dit si cette appréciation de la compétence du
parent est parfois évidente, elle est le plus souvent sujette à caution et pose
la question des motivations plus ou moins raisonnables qui se cachent
derrière cette demande de retour à un hébergement principal à l’un des
parents. Le cas que je vais à présent présenter est plutôt de cette nature.

Il s’agit d’un enfant qui voulait interrompre la résidence alternée qu’il faisait
actuellement entre son père et sa mère. Je l’ai vu en présence de ce dernier
et je lui ai demandé en début d’entretien ses motivations. Il m’a répondu qu’il
84 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

n’arrivait plus « à aimer sa mère comme avant ». La raison en était selon lui
qu’elle avait fait « un abandon de foyer » (sic) et avait critiqué le père en sa
présence. Il s’était rapproché de lui et ne supportait plus de ne pas le voir
pendant une semaine.
C’est donc le manque de son père qui expliquait selon cet enfant qu’il avait
du mal à tenir une semaine sans le voir (alors qu’il était adolescent et avait
été assez éloigné de son père auparavant, comme il l’avait expliqué dans
l’entretien avec sa mère). Mais lorsque je le revois en entretien individuel, il
revient spontanément sur cette question de la résidence alternée, avec un
angle d’attaque légèrement différent. Il m’explique en effet que lorsqu’il va
chez sa mère il dort dans un lit superposé où il ne se sent pas suffisamment
dans l’intimité pour dormir correctement. Il prétend même qu’il est tombé une
fois dans les escaliers de son collège par manque de sommeil. Aussi après
avoir décrit le risque quasiment vital que lui font courir ces nuits passées
dans un lit superposé, il conclut sur l’aspect plus « psychologique » du
problème qu’il estime sans doute qu’un homme qui exerce ma profession
devrait pouvoir entendre. En effet à cause de cela il avait l’impression d’être
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« pris pour un objet ».
Entre l’entretien en présence de son père et celui qu’il a seul avec moi, tout
se passe comme s’il avait réfléchi aux arguments destinés à me convaincre.
Il revient donc avec la solution : le lit superposé qui ne lui procure pas de
sommeil réparateur, au point de mettre sa vie en danger, et « le sentiment
d’être pris pour un objet ».

Quel crédit apporter à une souffrance théâtralisée à ce point ? Combien


d’enfants dorment dans un lit superposé sans en souffrir particulièrement ?
Et que met-il sous cette terminologie adultisée d’être « pris pour un
objet » ? Mon hypothèse est plutôt que cet enfant s’identifie à la souffrance
de son père qui réclame le retour de sa femme au foyer. Il faut dire que
la sœur a choisi de vivre avec la mère et que le père, sans son fils, se
retrouverait seul à la maison. Le rejet de la mère est finalement une forme
d’altruisme de la part de cet enfant.
La confrontation de ces trois extraits d’entretien : l’un avec la mère,
l’autre avec le père et le troisième avec l’enfant tout seul, montre comment
ce dernier utilise une stratégie qu’il a construite pour convaincre l’adulte
en face de lui. Contrairement à ce qu’écrit Edwige Antier dans sa préface
au livre d’Agathe Fourgnaud « Le jour où mes parents ont divorcé »
(2009), la parole de l’enfant n’est pas libre et « absolument vraie ».
Elle est au contraire relative au contexte dans lequel il se trouve et aux
stratégies qu’il déploie en fonction de ses croyances et de sa vision souvent
manichéenne du monde. Cette vision est liée à son besoin de sécurité qui
est à l’origine même du processus d’attachement (Bowlby, 1978). Bowlby
disait que le petit lièvre avait un terrier où il se réfugiait lorsqu’il était en
danger, tandis que le petit homme n’avait que les adultes proches pour
échapper aux différentes menaces qui l’entourent. Un monde où il serait
impossible de distinguer les « bons » adultes des « mauvais » serait un
monde angoissant où le danger serait permanent. C’est la raison pour
laquelle ce manichéisme enfantin existe. Il est protecteur pour l’enfant
LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL DE LA PAROLE DE L’ ENFANT 85

qui est prêt à sacrifier pour cela cette vérité que les adultes vénèrent. Un
enfant a besoin de croire en un adulte totalement fiable qui le protège,
tandis qu’un adulte a besoin d’un monde où il peut distinguer le vrai du
faux. Pour comprendre l’enfant il faut éviter de confondre nos besoins
avec les siens.
J’ai voulu citer ce cas car on voit plus souvent les mères remettre
en cause la résidence alternée que les pères, et il nous est dit que c’est
bien normal puisque les mères seraient plus indispensables à l’enfant
que les pères ! Ici au contraire une résidence principale au père était le
moyen de faire pression sur la mère pour qu’elle renonce à la séparation
parentale. Cette attitude n’est pas plus « normale » qu’une autre. Elle
répond à un besoin à travers lequel le père et le fils se rejoignaient. Dans
d’autres cas de figure les alliances seront différentes pour d’autres raisons.
Il est préférable de s’interroger sur les motivations de chacun dans une
situation particulière plutôt que de laisser son raisonnement reposer sur
une idéologie : le maternalisme dans un cas ou le paternalisme dans
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l’autre.
Ainsi la mise en cause de la résidence alternée n’est pas toujours fondée
sur des causes « justes » et des évolutions nécessaires au développement
de l’enfant. Elle peut même être l’antichambre de ce qui va suivre : le
refus progressif de ne plus voir le parent jugé comme le « mauvais » dans
le cadre de ce programme dichotomique auquel l’enfant a parfois besoin
d’adhérer.

Situations où l’enfant refuse de voir l’un de ses parents


Le terme « aliénation parentale » est devenu quasiment systématique.
Or il est particulièrement polysémique. En effet l’aliénation sert à dési-
gner aussi bien un état de privation de ses facultés propres, ou de ses
droits, qu’une dépossession de ses capacités ou une contrainte imposée
empêchant le déploiement de son potentiel, ou encore à signaler qu’une
personne n’est plus elle-même, devient étrangère à elle-même, ne pense
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

pas par elle-même, est assujettie sans en avoir conscience. Je préfère donc
parler de parent rejeté et de parent préféré que de parent aliénant et de
parent aliéné. En outre cette terminologie donne un sens à mon avis trop
univoque et quasiment psychopathologique à ce phénomène. De ce fait,
on voit de nombreuses situations qui sont immédiatement assimilées à
un « syndrome d’aliénation parentale » et auxquelles on y attribue toutes
les caractéristiques propres à la configuration qualifiée de « syndrome »
par Richard Gardner (1992). Notamment celle qui voudrait qu’un enfant
qui refuse de voir l’un de ses parents soit forcément manipulé par l’autre
parent et ne soit qu’une sorte de marionnette entre ses mains. Je vais
donc donner deux exemples d’entretiens. L’un qui montre qu’un enfant
peut refuser de voir l’autre parent sans qu’il y ait forcément « aliénation
parentale » et l’autre qui est assez typique à mes yeux d’une utilisation
légitime de ce terme.
86 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

Dans le premier cas il s’agit d’une petite fille d’une douzaine d’années qui
venait de mettre fin à des visites avec son père, qui s’étaient déroulées de
façon houleuse, voire fracassante. Elle déclarait qu’elle ne voulait plus le voir
momentanément, tant que quelque chose ne serait pas fait pour qu’il change
d’attitude à son égard. Je l’avais vue seule avant l’entretien avec son père et
elle m’avait raconté ces différentes visites chez lui, qui l’auraient d’après elle
traumatisée par la violence des propos échangés ou à l’inverse par un refus
du père de s’adresser à elle pendant tout un week-end. Ce dernier m’explique
alors que sa fille montait en épingle des anecdotes insignifiantes. Elle pense
de son côté que son père était en colère contre elle parce qu’elle lui avait
demandé au départ de renoncer à sa demande de résidence alternée. Or elle
remarque que les pères de certaines de ses amies l’ont accepté facilement
contrairement à lui. Cette remarque produit une grande colère du père qui
revendique son désir de pouvoir partager la vie de sa fille et conserve ensuite
la parole un long moment pour décrire les comportements de sa fille qui lui
paraissent témoigner de l’influence maternelle perpétuellement sous jacente.
Un peu submergée sous le flot des accusations paternelles l’enfant tente de
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reprendre la parole, toujours sur cette question de la résidence, en expliquant
cette fois pourquoi elle a été choquée que son père fasse appel de la décision
de justice qui lui donnait un droit de visite élargi... Et de nouveau le père
conserve la parole et passe à un autre sujet.

Sur un entretien d’une heure l’enfant n’a pu s’exprimer qu’environ cinq


minutes. Il est possible que la mère de l’enfant ait joué en sous main un rôle
non négligeable dans la résistance qu’elle opposait à son père. Néanmoins
le seul fait que l’enfant ait si peu de temps d’intervention (facilement
vérifiable en comptant les temps de parole de chacun sur l’enregistrement)
suffisait à imaginer les rapports qui existaient habituellement entre son
père et elle. Je tiens à préciser que c’était une enfant qui parlait facilement
et était loin de se réfugier dans le mutisme. Mais l’étude de sa personnalité
montrait une sensibilité particulière, à la limite de certains troubles du
développement. Cette sensibilité avait eu des conséquences à l’école, où
dès la maternelle elle ne supportait pas qu’un autre enfant la touche. Dans
son cas, l’écoute parentale exigeait plus d’attention que dans d’autres.
Ce qui se jouait entre le père et sa fille ressemblait aux querelles de
certains couples qui ne cessent d’échanger des reproches et des anecdotes
où chacun attend de l’autre qu’il cède, reconnaisse ses « fautes » et
promette de s’amender. Attente évidemment sans résultat qui conduit
à une déception telle que le seul moyen d’en sortir est de fuir l’autre et
d’éviter tout contact. C’est une solution dans le cas d’un couple, pas dans
celui d’une relation entre un père et de son enfant. C’est à l’adulte alors
de prendre conscience du fait que la relation qu’il établit avec son enfant
peut susciter un vrai rejet, au-delà même du rôle que peut prendre l’autre
parent. C’est à lui de voir que certains enfants sont plus sensibles que
d’autres à la qualité de l’écoute et à en tirer les conséquences.
Ce qui m’amène à proposer à présent l’examen d’une situation où le
rejet de l’enfant ne peut s’expliquer uniquement par la nature des relations
LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL DE LA PAROLE DE L’ ENFANT 87

complexes qu’il entretient avec ce parent rejeté, ni par une sensibilité


particulière de l’enfant.

Il s’agit cette fois d’une mère qui n’a pas vu son fils, âgé de onze ans, depuis
plus d’un an. Je les ai reçus ensemble avant d’avoir pu faire un entretien
individuel avec l’enfant. Ce dernier m’explique alors que sa mère « fait tout
ce qu’il ne veut pas ». J’insiste pour avoir des précisions sur ce point et il finit
par me dire qu’elle a peint les volets de sa maison en rose, ce qui fait que
ses camarades se moquent de lui. Puis, à court d’arguments, il me dit qu’il
ne l’aime pas parce qu’elle le frappe. Elle se serait même servie d’un balai
pour cela. En outre depuis qu’il habite avec son père ses résultats scolaires
se seraient grandement améliorés. La mère, qui s’est tue pendant tout ce
dialogue, raconte alors la petite enfance de son fils qui lui aurait donné de
grandes satisfactions lorsqu’il était petit et jusqu’à ce que les parents se
séparent. Mais l’enfant récuse les propos maternels et affirme qu’il ne lui a
jamais fait de câlins comme elle le prétend.
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L’entretien se termine ainsi. Je décide de continuer seul avec l’enfant et
raccompagne la maman jusqu’à la porte. En ouvrant j’aperçois dans la salle
d’attente une dame d’un certain âge qui s’approche et lui dit « bonjour ». Il
tourne ostensiblement la tête et ne répond pas. Il me dira qu’il s’agissait de
sa grand-mère maternelle. Cette petite scène me confirme qu’il rejette non
seulement sa mère, mais toute la famille de celle-ci. D’ailleurs il souligne qu’il
adore ses grands parents paternels et déteste ses grands parents maternels
ainsi que les oncles et tantes de ce côté.

À l’issue de ces entretiens on peut se demander si cet enfant a été


victime de mauvais traitements maternels ou s’il s’agit d’une aliénation
parentale. La mère affirme qu’il a eu quelques fessées sans plus, autant
d’ailleurs de la part de sa mère que de celle de son père. Quant au manche
à balai elle lui aurait barré le chemin avec, un jour où elle venait de laver
par terre. Le père de son côté n’a pas évoqué de mauvais traitements
de la part de cette mère. L’essentiel est probablement ailleurs... Dans
l’attitude provocante de l’enfant dès qu’il est en présence de sa mère. Dans
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

l’extension du rejet d’un parent à l’ensemble de la lignée. Dans la façon


dont il échappe sans cesse à mes questions sur le rôle joué par son père
lors des prétendus mauvais traitements. Dans son incapacité à répondre
aux arguments de sa mère, sinon par un déni d’avoir jamais eu une bonne
relation avec elle. Dans des arguments aussi pauvres que la peinture des
volets, sachant qu’il a été testé et reconnu d’intelligence précoce. Il y a
bien aliénation parentale me semble-t-il, et c’est dans les entretiens qu’elle
s’actualise à mes yeux. En même temps l’hypothèse d’une manipulation
venant du père comme seule explication à ce phénomène me semble
insuffisante. On voit ici à quel point le rejet de la mère a été intériorisé pour
cadrer encore une fois avec la fiction d’un parent totalement bon opposé à
un parent totalement mauvais. Cette fiction est nécessaire à l’enfant pour
retrouver un sentiment de stabilité que la séparation parentale lui avait fait
perdre.
88 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

L’essentiel bien sûr ne réside pas dans les mots, mais dans la manière
dont ils sont prononcés et dans les aspects stratégiques de l’interlocution.
Car ces enfants ont bien une stratégie discursive. On peut rencontrer des
expressions plus spontanées et moins réfléchies chez des enfants de moins
de six ans, mais au-delà l’enfant poursuit un objectif précis auprès de son
interlocuteur. Il n’est pas difficile de le voir si nous acceptons simplement
de regarder ce qu’il en est. La difficulté est plutôt de savoir ce que nous
allons en faire : dénoncer la fiction ou la valider ? C’est ce qui est attendu
par l’enfant et par une partie de sa famille. Pour sortir de ce dilemme il
faut se situer dans un autre axe que celui de la vérité et du mensonge.

C ONCLUSION
Je n’ai pas évoqué dans le cadre des séparations parentales les allé-
gations d’abus sexuels : j’en ai pourtant été souvent le témoin. Je ne
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suis pas parvenu à savoir quelle était la véracité de ces allégations dans
la plupart des cas. C’est pourquoi je n’ai pas voulu leur consacrer un
chapitre à part entière. Je peux citer néanmoins à titre d’exemple une
petite fille de huit ans qui avait accusé son père d’attouchements. La
justice avait prononcé un non-lieu. Néanmoins la petite fille en présence
de sa mère continuait ses accusations et elle ne les maintenait pas en
présence de son père. Il m’est arrivé aussi de rencontrer des cas où la
fausseté de l’allégation avait été démontrée : par une enquête de police par
exemple. Une fillette de dix ans m’a ainsi expliqué qu’elle avait prétendu
que son père l’avait touchée afin d’avoir une raison de ne plus le voir
qui soit acceptée par le juge. Ce dernier cas illustre bien jusqu’où un
enfant peut aller pour obtenir une décision conforme à ses croyances
manichéennes. Son père représentait pour elle « l’empire du mal » et
l’accuser faussement était à ce titre considéré par elle comme licite. En
effet la démonstration par les gendarmes de l’invraisemblance de son
accusation, suivi de la reconnaissance de son mensonge, n’avaient rien
changé à sa détermination.
Bien entendu j’ai aussi rencontré des enfants dans des situations où
soit les parents n’étaient pas séparés soit cette séparation n’était pas le
motif d’une consultation ou d’une expertise. Il va de soi que les problèmes
rencontrés sont différents de ceux que nous venons de voir. Sans passer
en revue toutes les situations possibles, on peut au moins en souligner
deux : les enfants qui bénéficient d’une assistance éducative, à la suite
d’une demande des parents ou d’une autorité extérieure, et ceux qui ont
commis des délits, voire des crimes. Dans le premier cas nous sommes
amenés à évaluer la pertinence ou l’opportunité de l’assistance éducative.
C’est en général une tâche moins complexe que celles qui ont été déjà
exposées. Dans le second cas il est important de savoir si le délit est un
simple « incident de parcours » ou s’il indique une personnalité asociale
qui risque de se développer à l’âge adulte. Si ces deux types de délinquance
ont bien été définis par certains auteurs (Fréchette, Leblanc, 1987), la
LA COMPLEXITÉ DU RECUEIL DE LA PAROLE DE L’ ENFANT 89

prédiction de l’évolution d’un sujet donné dans l’une ou l’autre direction


n’est guère facile. Des critères ont néanmoins été définis par diverses
études (Haapasalo, Tremblay, 1994), mais cela nous amène assez loin de
la question de la parole de l’enfant.
Pour y revenir disons que les quelques exemples donnés dans cet article
ont pu montrer que les dires de l’enfant ne doivent pas être limités à
l’énoncé, mais également qu’il faut prendre en compte l’énonciation. À
qui l’enfant s’adresse-t-il en particulier ? Et comment il le fait. Seule
la confrontation de son discours dans des contextes différents permet
d’y parvenir. Un seul entretien avec lui ne permettra pas d’approcher la
complexité des phénomènes auxquels il est confronté et la manière dont il
les traite. Sa parole n’est jamais brute et se déploie dans l’interlocutoire.
Elle n’a pas de valeur en soi et prétendre que la vérité sort de la bouche
des enfants est aussi naïf que de croire en la sincérité d’une promesse
électorale.
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Chapitre 9

RECUEILLIR LA PAROLE
DE L’ENFANT VICTIME
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Un exercice complexe

Hélène ROMANO

L E DROIT À LA PAROLE
La Convention Internationale des droits de l’enfant de 1990 rappelle,
dans son article 12, le droit fondamental de tout enfant à voir sa parole
respectée et entendue :

« Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement


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le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant,


les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à
son âge et à son degré de maturité. À cette fin, on donnera notamment à
l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou
administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un
représentant ou d’une organisation approprié, de façon compatible avec
les règles de procédure de la législation nationale. »

Vingt-cinq ans après cette publication, entendre un enfant et prendre


sa parole au sérieux apparaissent toujours aussi utopiques. Après un
début de XXe siècle où la logique judiciaire influencée par Brouardel
envisageait les enfants avant tout comme des pervers polymorphes et
menteurs ; après la fin du XXe siècle où l’enfant s’est trouvé réduit à sa
parole sacralisée ; le début du XXIe siècle donne libre cours à une nouvelle
ère de diabolisation de la parole de l’enfant désormais suspecte du fait
92 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

de processus d’aliénation ou de faux souvenirs. Comment comprendre


que recueillir la parole de l’enfant soit à l’origine de tels enjeux et que la
recueillir apparaisse toujours aussi complexe ?
Une première hypothèse serait de rappeler que l’enfant est un petit
d’homme en développement et que son immaturité affective, neuro-
cognitive, physiologique, ne lui permet pas de parler comme un adulte et
de ce fait de s’exprimer et d’être compris par son entourage. Une autre
hypothèse viendrait à resituer ce que l’enfant a longuement représenté dans
notre civilisation : un être insignifiant qui ne parle pas (infans) et qu’il ne
fallait pas investir affectivement tant la mortalité infantile était grande.
Objet commercial qui pouvait se vendre d’une famille à l’autre, être
exploité sans limite, l’enfant n’avait ni le droit à la parole, ni celui d’être
écouté. Porter attention à sa parole serait une difficulté qui témoignerait de
cette trace culturelle du rapport de notre société à l’enfant et en général au
monde de l’enfance. La question pourrait aussi se poser de savoir de quel
enfant parle-t-on ? Celui dont la prise en charge nous est confiée ou celui
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que nous sommes et qui continue d’agir dans notre histoire en particulier
lorsque des résonances sont à l’œuvre avec notre exercice professionnel ?
Il pourrait être aussi cité ces études qui attestent de la suggestibilité des
enfants et les affaires judiciaires où des décisions ont fini par invalider les
témoignages des enfants victimes.
Les hypothèses sont multiples et illustrent toute la complexité du
rapport que nous entretenons avec l’enfant et tout particulièrement avec
l’enfant victime de violences.

L ES EFFETS DE LA PAROLE DE L’ ENFANT


SUR LES PROFESSIONNELS
Entendre un enfant victime ne s’improvise pas et ne saurait se réduire
à la seule bonne volonté de professionnels qui se précipiteraient avec des
bons sentiments qui au final n’en sont pas. Être témoin de la souffrance
d’enfants violés, maltraités, massacrés psychologiquement par d’autres
(qui sont bien souvent d’adultes censés le protéger) est insoutenable.
Rester disponible pour l’écouter quand ses mots, son attitude, son com-
portement, témoignent de l’abjection de ce qui lui a été imposé ne peut
se faire sans un coût psychique pour celui qui devient dépositaire de
cette parole. Constater les sévices sur son corps et les traces laissées par
ses bourreaux du quotidien, n’est pas possible sans avoir les ressources
nécessaires pour ne pas être submergé par la colère, le dégoût, l’effroi
ou ce sentiment d’impuissance sidérant. Les réactions de défense des
professionnels peuvent être multiples : du déni à l’identification projective
en passant par le rejet, la banalisation, la fascination, le mensonge et toutes
ces réactions qui témoignent de la contamination subie par le professionnel.
Sans formation, sans supervision, les intervenants ne peuvent envisager
de recueillir sereinement la parole de l’enfant et plus encore d’un enfant
victime dont les réactions sont souvent déroutantes. Toute écoute modifie
R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT VICTIME 93

la parole et lorsque cette écoute est vide de toute élaboration en raison


de son impact sur celui qui l’entend, elle n’est plus rien qu’un leurre
relationnel. Il s’agit donc pour les intervenants d’être affectés sans être
submergés par tout ce que ces témoignages d’enfants peuvent venir
bouleverser dans leur histoire individuelle et professionnelle. C’est une
obligation déontologique pour chaque professionnel mais c’est aussi
un devoir éthique, celui de respecter l’enfant en tant que sujet et de
veiller, comme le rappelle la CIDE, à lui garantir d’être entendu de façon
« suffisamment » juste, adaptée et conformément à ses droits.

P ENSER LA VIOLENCE DE LA PAROLE


Il existe actuellement une théorie, proche d’une croyance idéologique,
selon laquelle « il faut parler pour aller mieux » ; « la parole libère ». Mais
parler ne signifie pas « tout dire », n’importe quand et à n’importe qui ;
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cela ne signifie pas davantage que par la seule force de mots énoncés celui
qui parle sera entendu, cru et reconnu dans ce qu’il exprime de ce qu’il vit.
Et il serait bien illusoire, comme le témoignent toutes ces victimes (enfants
comme adultes), que parler a, en tant que tel, une fonction de restauration
psychique. Cela n’est le cas que si l’enfant rencontre ce que nous avons
défini comme un adulte « transitionnel » (au sens de Winnicott) : celui
qui peut entendre, qui peut permettre de redonner sens aux ressentis, qui
peut décrypter l’innommable et qui permettra à l’enfant de se dégager
de l’impact mortifère des violences subies en le reconnaissant sujet de
son histoire et en le restituant dans un lien d’humanitude avec le monde
extérieur dont les violences l’ont exclu. Il est ici important de rappeler que
l’enfant ne parle en fonction de ce qu’il pense que l’autre peut entendre ;
autrement dit il a très jeune une capacité à ne pas tout dire quand il perçoit
que l’autre ne le comprend pas ou doute de sa parole.

Par exemple Emma, 8 ans, expertisée dans le cadre d’une instruction de


viols sur mineur, les mis en cause étant ses deux parents. Au cours de la
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séance de psychothérapie qui suit cette expertise, elle nous explique : « j’ai
vite compris que l’expert ne me croyait pas et de toute façon que ça ne
l’intéressait pas. À un moment il a levé les yeux au ciel et il m’a dit « mais
voyons, explique-moi comment tu peux dire des choses pareilles ? » J’avais
l’impression qu’il se moquait de moi, alors du coup je n’ai presque rien dit ».
Barnabé 9 ans explique avoir « raconté une belle histoire » à son éducatrice
de retour de visite de chez son père dont il se plaint de violences graves :
« de toute façon elle est avec lui. Quand elle le voit elle rigole avec lui et me
dit toujours que mon père c’est un très gentil papa et que j’ai de la chance.
J’ai essayé de lui expliquer et à chaque fois elle me dit que s’il se fâche, s’il
me frappe c’est que je ne lui ai pas assez obéi et que je dois comprendre
que ce ne sont pas les enfants qui font la loi. Alors ça sert à quoi que je lui
redise encore alors qu’elle lui donne toujours raison ? Pour qu’elle ne me
croie toujours pas et me traite de menteur ? Je ne lui dis plus rien et quand je
la vois, je fais comme si tout allait bien et je lui dis ce qu’elle veut entendre ».
94 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

La parole est bien plus un risque pour un enfant victime qu’une chance.
Il faudrait enfin le comprendre pour cesser cette idéalisation de la parole
de l’enfant qui ne fait que le fragiliser davantage. C’est un risque car dans
bien des situations de violences l’auteur use de la parole pour obtenir
le silence de l’enfant et imposer son emprise : les mots qui terrorisent,
les menaces, les propos humiliants et disqualifiants sont les armes de
ceux qui dénient toute altérité à l’enfant pour le réduire à l’état d’objet
de jouissance. Quand l’enfant tente, par sa parole, de se défendre face
à son agresseur celui-ci l’invalide en affirmant à l’enfant qu’il ne sera
jamais cru ; que ce qui arrive est de sa faute ou qu’il l’a bien cherché.
La perte de confiance dans sa parole est majeure et il y a ici quelque
chose de paradoxal que d’attendre d’un enfant victime qu’il puisse parler
sereinement et de tout attendre de sa parole. La crainte des représailles,
la honte, la peur de ce que ses interlocuteurs pourront penser de lui, la
défense face aux reviviscences qui le submergent inévitablement lorsqu’il
doit reparler des faits, la difficulté de devoir parler à des inconnus aux
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tenues souvent impressionnantes (uniformes, robes de justice, blouses de
soignants) font que l’enfant victime se tait bien plus qu’il ne parle. Tout
comme bien des enfants victimes préfèrent se rétracter et retourner au vide
existentiel qu’ils connaissent si bien, plutôt que de prendre le risque de
s’en dégager en investissant les aides rencontrées et en faisant confiance
aux tuteurs résilients qui tentent de les soutenir.

R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT VICTIME


AVEC MÉTHODE
Tout professionnel chargé de recueillir la parole d’un enfant victime
devrait bien évidemment être formé et connaître des éléments essentiels
sur la psychologie de l’enfant en général et sur celle des enfants victimes
en particulier : un jeune enfant n’a pas les capacités langagières d’un
adolescent ; la mémoire infantile est surtout émotionnelle et ne peut être
comparée à celle des adultes ; la représentation spatio-temporelle des
enfants est limitée dans les premières années ; la sexualité infantile n’est
pas la génialité adulte ; la représentation du monde extérieur est marquée
par un réalisme singulier propre à l’enfant qui ne peut être comparé à
celui des adultes ; la suggestibilité est d’autant plus forte chez l’enfant que
les adultes l’impressionnent ; les troubles post-traumatiques réactionnels
à des violences peuvent s’exprimer immédiatement mais certaines fois
en différé ; l’enfant victime peut ne pas présenter d’emblée des troubles
évocateurs de violences subies ; la mémoire traumatique peut entraîner
des blancs mnésiques (l’enfant ne se rappelle plus de rien) ou la fixation
hors temps des souvenirs traumatiques ; le temps de la révélation et celui
des procédures sont des temps de réactivations traumatiques majeures où
sa vie, son identité, son corps, sa parole, sont exposés sans limite à des
enquêteurs, des juges, des experts, des thérapeutes, des éducateurs ; etc.
R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT VICTIME 95

Si le professionnel a déjà ces connaissances sur la clinique infanto-


juvénile, il peut envisager de recueillir la parole de l’enfant victime en
prêtant soin de se poser certaines questions : qui demande quoi ? Pour
qui est cette évaluation ? Que sait-on du contexte de sa révélation ou des
circonstances qui ont conduit à cette nécessité de recueillir sa parole ?
Qu’attend-on de ce recueil de sa parole ?
Les conditions d’accueil de l’enfant devraient être adaptées : ergonomie
des lieux, matériel de médiation pour permettre à l’enfant de s’exprimer
autrement que par des mots, durée maximum d’une heure et horaire posé
dans le respect de son rythme (pas au moment du repas ou à l’heure
de la sieste pour les très jeunes). Les protocoles de recueil de la parole
d’un enfant varient bien évidements selon le contexte : une audition par
des enquêteurs n’est pas une expertise, ni un rendez-vous avec un avocat
d’enfant, ni une audition devant un juge ou un entretien avec un éducateur.
Il apparaît cependant un cadre qui peut être conservé dans toutes ces
situations, avec tant que possible des interventions en binôme car rester
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disponible pour entendre un enfant victime est difficile et la présence d’un
collègue permet de limiter les biais interprétatifs et de pouvoir être aussi
attentifs au comportement non verbal de l’enfant :
• un premier temps d’accueil de l’enfant où le professionnel se présente,
prend le temps de donner à l’enfant toutes les conditions possibles pour
qu’un climat de confiance se crée (présentation des lieux, du contexte de
cette rencontre, des raisons des prises de note ou de l’audition filmée ;
explication des règles en particulier celle de parler avec ses mots et
surtout de dire s’il ne comprend pas certaines questions) ;
• un second temps d’échange plutôt informel qui permet d’évaluer le
niveau langagier de l’enfant, son rapport au monde extérieur, son
niveau de maturité, ses ressources personnelles (liens avec ses proches,
scolarité, activité périscolaire) ;
• un troisième temps plus directif où sont abordées de façon plus précise
les raisons de l’entretien en évitant toute question suggestive ; tout terme
que l’enfant n’aurait pas lui-même utilisé et tout propos qui mettrait
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en danger le lien de confiance avec l’enfant tel que des propos banali-
sant son vécu ; la déculpabilisation compassionnelle, la sommation à
culpabilisation ; le déni ; la fausse réassurance ; le mensonge ;
• un quatrième temps de conclusion où le professionnel reprend l’en-
semble des éléments abordés, en utilisant les mots de l’enfant est
assuré auprès de lui qu’il a bien compris. Ce temps permet d’aborder
la suite à savoir ce que le professionnel va faire de la parole qui s’est
exprimée. C’est un temps essentiel qui permet à l’enfant de s’assurer
qu’il a été compris et au professionnel de veiller à ce que l’enfant
ait pu exprimer tout ce qu’il voulait. La conclusion de l’entretien
se fait en remerciant l’enfant pour son courage, même si le recueil
s’est passé difficilement et en l’informant sur les adultes susceptibles
d’être des personnes ressources s’il en avait besoin. Un temps est aussi
96 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

à consacrer à l’adulte qui accompagné l’enfant pour éviter qu’il ne


submerge l’enfant de questions dès qu’il sera avec lui ; avec tous les
risques liés aux répétitions.

R ECONNAÎTRE L’ ENFANT DANS CE QU ’ IL VIT


ET CE QU ’ IL RESSENT
Si recueillir la parole de l’enfant peut être important, cela devrait-il
être indispensable si celui-ci ne veut pas s’exprimer ? Qu’il dise ou non
la vérité est-ce cela au final l’enjeu primordial ? Est-il indispensable de
croire ou de ne pas croire l’enfant ? Le véritable enjeu dans la prise en
charge d’enfants victimes et dans le recueil de leur parole nous semble
être ailleurs. L’importance est en effet de reconnaître l’enfant en tant que
sujet, c’est-à-dire de comprendre sa souffrance et de tout faire pour que
cet enfant ne souffre plus et qu’il puisse trouver les ressources nécessaires
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pour ne plus être réduit à l’état de victime. Il y a ici un malentendu
fondamental entre la logique administrative et judiciaire de nombreux
professionnels chargés du recueil de la parole de l’enfant victime (être
« sûrs » des faits ; avoir des privés matériels ; s’assurer que la vérité est
bien la réalité ; arrêter et sanctionner l’auteur) et ce qu’attend cet enfant
(que son cauchemar cesse ; qu’il soit « comme les autres » ; que sa vie
redevienne « comme avant » pour ceux qui ont connu une période de vie
apaisée.). Avant d’être un objet de procédures, l’enfant victime est un
blessé psychique à la vie fracassée ; l’urgence pour lui permettre de se
reconstruire psychiquement au-delà de toutes ces violences subies est de
le réinscrire dans une humanité, c’est-à-dire dans une intersubjectivité
structurante et protectrice.

P OUR CONCLURE
Cette réinscription dans le monde des vivants (voire cette inscription,
pour les enfants maltraités depuis l’enfance), nécessitent la concomitance
de deux processus dont chacun est en lui seul incertain : parvenir à
témoigner ET que ce témoignage permette la reconnaissance des atrocités
subies.
Comment dès lors l’enfant victime peut-il témoigner et être entendu
à la hauteur de ce qu’il a vécu ? S’il est trop déstructuré psychiquement,
son récit apparaît bizarre, ses pertes de mémoire inconcevables compte
tenu de la gravité de ce qu’il prétend avoir subi. S’il est trop précis
dans son témoignage, sa parole est considérée comme suspecte. S’il
présente des troubles post-traumatiques envahissants il sera psychiatrisé
et rapidement étiqueté de telle ou telle pathologie ; s’il ne présente pas
de troubles visibles, il sera soupçonné de ne pas avoir subi tout ce qu’il
dit. Pour l’enfant victime le parcours s’annonce des plus douloureux tant
l’incompréhension voire la contestation de ce qu’il a vécu lui est opposée.
R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT VICTIME 97

Au final quoi qu’il dise, quoi qu’il puisse exprimer, quoiqu’il manifeste,
l’enfant qui a failli être exterminé par la violence des hommes, ne réagit
jamais comme la communauté des autres le voudrait. Il est alors condamné
à se taire. Sortis des camps, les rares déportés qui ont tenté de témoigner
se sont fait traiter de menteurs par ceux qui savaient que les camps
existaient et qui, pris d’une subite et indécente amnésie, tenaient plus
que tout à ce que le silence impose sa loi ; mais aussi par tous ceux qui
préféreraient rester dans une si confortable ignorance coupable. C’est le
même constat pour les enfants victimes de violences et de maltraitance
et les qualificatifs ne manquent pas, comme nous l’avons rappelé dans
noter propos introductif : des menteurs et des affabulateurs jusque dans
les années 1990 ; ils deviennent aliénés, répétant à l’insu de leur plein grès
des écrits traumatiques qu’ils n’ont nécessairement pas vécus. Cette année
2015 marque une nouvelle ère : le « syndrome d’aliénation parentale »
étant désormais dénoncé par la communauté scientifique internationale
qui a refusé de l’inscrire dans sa dernière classification des pathologies
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psychiatriques (le DSM V), c’est une autre dénomination qui s’impose,
celle des faux souvenirs (déjà utilisée au XIXe siècle). Pendant trois
semaines s’est déroulé au mois de juin à Rennes ce que de nombreuses
personnes ont qualifié de troisième acte de l’affaire d’Outreau : trois des
enfants reconnus victimes de viol par les assises de Douai, puis par la
Cour d’appel de Paris, ont poursuivi en justice un homme qu’ils accusent
de les avoir violés quand lui-même était mineur (soit des faits remontant à
près de quinze ans).
Lors de son réquisitoire l’avocat général des assises, soudainement
autoproclamé expert psychiatre, a établi de la seule hauteur de son prétoire,
que les témoignages des parties civiles ne pouvaient pas être entendus par
les jurés car il s’agissait de « faux souvenirs ». Méprisant les auditions
des différents experts à forts renforts de propos disqualifiant les personnes,
leur expertise et leur fonction d’expert, ce magistrat a imposé son point
de vue. Cette affirmation ne s’étayant sur AUCUNE expertise récente
de la parole de ces parties civiles (les dernières remontant à plus de 13
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

ans) et allant à l’encontre de l’état actuel des connaissances scientifiques


sur la mémoire traumatique, l’avocat général n’a en fait affirmé que sa
seule interprétation idéologique des récits des parties civiles. Si une telle
stratégie sémantique usant de la rhétorique perverse, était attendue des
avocats de la défense (qui portés par un tel soutien ne se sont même pas
donné la peine de plaider), elle ne peut qu’interroger de la part d’un avocat
général ; représentant du ministère public.
Que signifie l’usage de ces termes : « faux souvenirs », « enfants
aliénés », « enfants menteurs » ? Que nous disent-ils du lien de notre
société aux enfants et plus particulièrement du système judiciaire aux
enfants victimes ? Ce que nous constatons c’est que de tels termes dénient
toute possible réalité aux violences faites aux enfants ; qu’ils interdisent
tout témoignage, tout récit traumatique et qu’ils condamnent victimes et
mis en cause à une errance réflexive (le témoignage ne pouvant s’inscrire
98 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

dans aucune élaboration pensable). La dénégation du vécu traumatique des


enfants maltraités, produit une nouvelle violence, celle de leur expulsion
de toute.
Ce dont témoignent aussi les propos de l’avocat général c’est la
permanence et la force d’une logique négationniste en France face à toutes
les maltraitances et violences subies par les enfants et ce, au plus haut
niveau de l’État (puisque l’avocat général le représente).
Qu’elle est donc cette France où la dictature du silence et l’interdit
du témoignage s’imposent aux enfants victimes ? Quelle est donc cette
France où les professionnels qui ne font que leur travail de prise en charge
d’enfants victimes, sont la cible de manœuvres de disqualifications, de
tentatives d’isolement voire de menaces sur leur vie, dans l’indifférence
générale ? Quand une société ne porte plus attention à ceux qui sont son
avenir, elle s’ampute de son futur. Le silence imposé aux victimes par
l’état est la caractéristique des logiques terroristes et terrorisantes propres
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aux dictatures. C’était cela le changement ?
Ces petits d’hommes ont été massacrés deux fois par la vie : par
ceux qui leur ont fait subir les pires atrocités et par ceux qui leur ont
dénié le droit d’en témoigner. Si la logique judiciaire conclut à des
classements sans suite, des non-lieux ou à l’acquittement des mis en
cause, la motivation peut être explicité par bien d’autres raisons que celles
motivées par des idéologies négationnistes qui nous rappellent combien
les mécanismes de déshumanisation et leurs effets sur les petits d’homme
restent d’actualité dans la société française.
Chapitre 10

EXPERTISE ET PAROLE
DE L’ENFANT
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Évaluation, analyse de témoignage ou recueil de données ?

Roland C OUTANCEAU

le champ de l’expertise d’un enfant (ou d’un plaignant), le clacis-


D ANS
sisme expertal se restreint parfois à la description de la personnalité
et à la recherche d’un éventuel retentissement clinique ou psychologique.
Mais l’analyse du témoignage (antérieurement l’appréciation de la
crédibilité) ne peut être mise entre parenthèses.
Bien que le terme de crédibilité ait été questionné et critiqué, dans
le cadre de la commission Viout faisant suite notamment à l’affaire
d’Outreau, il n’en reste pas moins qu’un regard psychologique sur le
témoignage de l’enfant est un élément central d’un examen de sensibilité
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

psycho-criminologique.
Et dès lors la question est la suivante : l’expert a-t-il quelque chose à
dire sur le témoignage ? Et de façon corollaire se pose la question de la
méthodologie du recueil de la parole, celle de sa restitution et enfin, celle
de son interprétation.

L ES DIFFÉRENTS POSITIONNEMENTS DES EXPERTS


Mais analysons tout d’abord les différentes positions expertales sur ce
sujet sensible de l’évaluation de la crédibilité, ou plus concrètement de
l’évaluation du témoignage.
On peut distinguer trois positionnements différents ; le troisième pou-
vant également se scinder autour de deux sensibilités :
100 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

Ne pas répondre à la question


Certains experts refusent de répondre à la question, ne la considérant
pas comme étant de l’ordre de leur identité professionnelle ; se considérant
comme spécialistes du fonctionnement psychologique, de la psychopatho-
logie de la personnalité mais non de l’analyse du témoignage.
Cette position est assez classique, compréhensible, respectable ; mais
ne répond pas au défi qui est finalement en filigrane celui de l’examen
médico-psychologique d’un enfant (ou d’un plaignant) à savoir apprécier
le poids qu’on peut attribuer à son témoignage.

Répondre sur la crédibilité, au regard de la personnalité


Certains experts répondent sur la crédibilité en général, tentant de
mettre en évidence certaines structures de la personnalité où pourraient
être présentes des fabulations ou une réalité mythomaniaque (dynamiques
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hystériformes avec inauthenticité, manipulation) ; avec plusieurs repé-
rages classiquement répertoriés : enfant mythomane, « débile vaniteux »,
tonalité psychopathique avec aspect hystériforme marqué entre autres.
Ce positionnement est légitime dans son principe ; mais a un inconvé-
nient : est-ce que quelqu’un qui crédible en général (quand on a éliminé
les problématiques pathologiques de fabulation ou de mythomanie), dit
forcément la vérité ? On voit qu’il peut y avoir une ambiguïté probléma-
tique : la crédibilité en général excluant toute problématique pathologique
du mensonge n’est en aucun cas suffisante pour affirmer la réalité d’un
témoignage allégué.

La crédibilité sur le fond


Certains experts s’attaquent ou répondent à la crédibilité quant au fond.
Dans un premier sous-groupe certains recherchent la présence d’un tableau
clinique, associant retentissement clinique et retentissement psycholo-
gique ; indiquant ensuite que ces éléments cliniques s’inscrivent comme
symptomatologie post-traumatique ; traduisant donc indirectement la
réalité d’une agression subie.
Mais là encore quand on considère les différents éléments d’une
symptomatologie post-traumatique, on voit bien qu’ils ne sont en aucun
cas caractéristiques de façon absolue d’une réalité post-traumatique.
Pour être plus concret, développons-les de façon synthétique :
• troubles du sommeil, aussi bien troubles de l’endormissement, que
troubles du ré endormissement lors du réveil au milieu de la nuit ;
• existence de cauchemars thématiques ponctuant les différentes périodes
de sommeil paradoxal au cours de la nuit avec nécessité de décrire de
façon concrète les scénarios et les représentations émergeants au cours
de ces cauchemars ;
E XPERTISE ET PAROLE DE L’ ENFANT 101

• ré-évocations spontanées de tout ou partie de la scène traumatique ; que


ce soit sous la forme de flashs ou d’idées obsédantes au décours de la
vie diurne ;
• troubles de l’efficience dans l’activité scolaire avec son cortège de
troubles de la concentration, troubles de la mémoire, difficultés d’acqui-
sition...
• troubles fonctionnels divers plus présents chez l’enfant (boule dans la
gorge, spasmes gastriques, troubles intestinaux, bouffée anxieuse...) ;
• troubles du comportement plus caractéristiques de l’adolescent avec des
tableaux assez variés (irritabilité, troubles du comportement, fugues, pro-
blématiques addictives, troubles de l’alimentation aussi bien à type de
boulimie ou d’anorexie, comportements à tonalité prostitutionnelle...) ;
• enfin, troubles de la vie affectivo-sexuelle avec inhibition, mal être dans
la vie affective, blocage dans la sphère psycho-sexuelle.
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On le voit aucun de ces signes cliniques n’est totalement caractéristique
d’une histoire traumatique. De plus même les plus concrets peuvent être
des éléments allégués.
On ne peut donc, à notre sens, faire l’économie d’une manière concrète
et pragmatique d’apprécier et de recueillir le témoignage.
Dans un second sous-groupe s’inscrivent ceux des experts qui se
confrontent au recueil et à l’analyse du témoignage.
Le débat est alors celui de la méthodologie dans la relation d’écoute
à l’enfant ; de la recherche d’éléments cliniques les plus significatifs ;
éventuellement d’une appréciation interprétative ; et donc hypothétique,
en tout état de cause, du matériel recueilli.

R EPÉRAGES SIGNIFICATIFS DANS L’ ANALYSE


DU TÉMOIGNAGE
 Dunod – Toute reproduction non autorisée est un délit.

Au-delà de la méthodologie du recueil de la parole (renvoyant à d’autres


articles du livre collectif), on peut tenter de mettre en exergue des critères
d’appréciation privilégiés.

Critères de Carol Jonas


Ainsi, Carol Jonas dans le Dictionnaire des sciences criminelles pro-
pose de retenir cinq critères d’évaluation qui sont autant de paramètres,
sur lesquels l’expert peut s’appuyer pour rendre la réponse attendue par la
juridiction :
• La qualité de l’entretien. Yuille a proposé les étapes suivantes : mise en
relation, discussions sur la notion de vérité, introduction de l’objet de
l’entretien, récit libre, questions ouvertes, questions spécifiques, sens de
l’entrevue.
102 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

Avec l’enfant, on peut également utiliser des techniques telles le dessin


s’accompagnant d’un commentaire libre ou encore les poupées dites
anatomiques, autorisant l’enfant à exprimer par le geste autant que par
la parole, ce qu’il a subi, compris, entendu ou vécu. Et classiquement le
discours d’accompagnement est fondamental.
• Le contexte de la révélation. Il s’agit d’être descriptif mais aussi de
tenter d’éliminer d’éventuelles fausses allégations. À cet égard Blush et
Ross ont décrit un syndrome typique des fausses allégations au cours de
divorces, associant les éléments suivants : le signalement est fait après la
séparation, le dysfonctionnement familial est important, la mère possède
une personnalité de type hystérique, le père a plutôt une personnalité
passive dépendante, l’enfant est une fille (ou un garçon) de moins de 8
ans, la mère conduit l’enfant chez un médecin en vue d’un examen ou
d’une évaluation.
• L’existence d’une pathologie psychiatrique. Trois catégories sont fré-
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quemment rencontrées : insuffisance intellectuelle avec mythomanie
de compensation ; pathologie psychotique avec éléments délirants ;
personnalité histrionique avec inauthenticité ou mythomanie.
• Des signes de confirmation. Ils sont des trois ordres : des signes
somatiques, certains arguments biologiques, des arguments d’ordre
psychique (symptomatologie post-traumatique ou syndrome psycho
traumatique, décrit sous le nom PTSD dans la classification américaine
DSM4).
• Les caractères du discours et notamment la construction du récit,
la structure du discours, la qualité du vocabulaire, la question de la
variabilité du discours.

Notre proposition
Cinq critères
De la même manière, nous avons tenté de proposer cinq critères :
• Qualité du récit, avec notamment aspect concret, précis, détaillé même
s’il est fragmentaire ; et prononcé dans le vocabulaire même de l’enfant.
• Expression d’affects émotionnels (angoisse, peur, gêne, honte, culpabi-
lité) au moment de l’agression alléguée et au moment de sa restitution
• Éléments psychologiques d’accompagnement (questionnement dans la
subjectivité du sujet, pensées ou affects en circuit fermé : avoir pensé le
dire, à qui ? En fait tout ce que peut produire le travail psychique entre
le moment de l’agression supposée et son dévoilement.
• Analyse du moment du dévoilement et compréhension de la dynamique
qui a amené l’enfant ou l’adolescent à parler à ce moment-là.
• Symptomatologie post-traumatique clinique et psychologique. Sur le
plan clinique, rappelons les éléments essentiels : troubles du sommeil,
cauchemars thématiques, ré-évocation des scènes subies, majoration
E XPERTISE ET PAROLE DE L’ ENFANT 103

anxieuse, symptomatologie dépressive ou anxio-dépressive, signes fonc-


tionnels chez l’enfant, troubles du comportement chez l’adolescent,
troubles de la vie psycho-sexuelle.

Précisions
Certains de ces critères méritent d’être précisés :

Qualité du récit
Il s’agit non seulement d’obtenir le maximum de concrétude dans la
description d’une scène réaliste, circonstanciée, en se focalisant sur des
scènes ou souvenirs particuliers, dont l’enfant a un souvenir aigu plutôt
que d’avoir l’exigence de restituer l’ensemble des situations ou la totalité
d’un événement ponctuel. Ainsi pour respecter la variabilité de la qualité
de remémoration chez l’enfant, il nous semble plus pertinent de zoomer
sur une scène facilement remémorée en tentant par un échange maïeutique
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d’en faire émerger tous les éléments de concrétude plutôt que de vouloir
être exhaustif.
• Le repérage de cette scène dans un espace-temps : là encore, la précision
de ce qui est restitué peut dépendre du niveau de développement de
l’enfant comme de son développement intellectuel mais l’expert doit
tenter de situer ce qui peut être le plus repérable plutôt que de tenter de
faire dater des souvenirs qui restent flous, dans la difficulté de l’enfant
de donner un repère chronologique.
• La capacité à restituer le jeu relationnel dans ce que l’enfant a pu
percevoir de ce qui se joue entre un adulte potentiellement abuseur et
lui-même : pression psychologique, mot inducteur, chantage affectif,
manipulation.
• Recherche également de scènes à contenu explicite. Là encore, sans être
suggestible ni poser de questions intégrant une thématique concrète, il
s’agit d’accompagner de façon empathique la capacité de l’enfant de
préciser de façon suffisamment concrète les scènes sexuelles subies.
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• Enfin, pertinence de respecter le vocabulaire même de l’enfant dans


la manière dont il est à même de restituer ce dont il peut se souvenir.
Et là, on n’insistera jamais assez sur l’importance de ne pas polluer le
questionnement censé aider l’enfant à expliciter par des mots du registre
de l’adulte ou des manières adultomorphes d’évoquer la sexualité
humaine. À défaut, les questions à contenu doivent être à choix multiple
pour éviter toute suggestion.

Recherche d’éléments émotionnels


Il s’agit d’une part, par un interrogatoire maïeutique facilitant l’explici-
tation des émotions de faire nommer les éléments émotionnels présents au
décours même du souvenir allégué : qu’est-ce que tu as ressenti ? qu’est-ce
que tu as éprouvé ? comment tu pourrais le dire autrement ? qu’est ce que
104 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

tu ressentais profondément ? est-ce que tu peux mettre un mot sur ce que


tu ressentais ?
Et également de noter les émotions émergeant en situation d’expertise
au moment de la restitution par l’enfant du souvenir évoqué (mal-être,
blocage, interruption du discours, larmes aux yeux, moments de pleurs...).

Éléments psychologiques d’accompagnement


Le repérage théorique est ici de postuler qu’entre le moment du souvenir
traumatique allégué et le moment du dévoilement, le fonctionnement
psychique ne peut pas ne pas avoir été perturbé par tout un parasitage
de représentations ou de questionnements. Une des plus simples est la
question : as-tu pensé le dire à quelqu’un ? et non l’as-tu dit à quelqu’un ?
(qui pourrait être vécu comme un reproche quand l’enfant n’a pas été en
mesure de le faire).
L’expérience montre que dans le fonctionnement psychique humain, en
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parler à l’autre n’est parfois pas pensé mais le plus souvent a été pensé
puis rejeté ou inhibé au moment de la mise en acte. Ainsi, par exemple,
une petite fille indiquera : « J’ai pensé le dire à maman mais après j’ai
pensé qu’elle en parlerait à papa qui nierait. Et maman ne me croirait
peut-être pas. Puis j’ai pensé le dire à grand-mère parce que je l’aime bien,
je parle facilement avec elle quand je la vois tous les mercredis. Mais
après j’ai pensé : grand-mère, c’est la maman de maman, elle va le lui
dire et ensuite maman en parler à papa et peut-être elle me croira pas si
papa nie ». Il y a une richesse du travail psychique à objectiver dans la
tête de l’enfant. Certains enfants pensent qu’ils n’ont pensé à rien mais
en réponse à des questions maïeutiques font émerger des éléments d’un
travail psychique entre le moment des faits et le moment du dévoilement.

Analyse du moment du dévoilement


Les éléments psychologiques du pourquoi et du comment du dévoile-
ment sont fondamentaux à considérer.

Une petite fille a été agressée par son père entre 9 ans et 12 ans. Les
faits se sont interrompus à l’âge de 12 ans, au moment où elle a dit à son
père : "je pourrais être enceinte". Il semble que cette phrase de sa part
a pu interrompre l’agression subie pendant plusieurs années. De fait, le
père aurait cessé tout acte incestueux. Elle nous révèle qu’à l’âge de 9 ans,
elle pensait que tous les papas faisaient ça. Puis elle a compris à 11 ans
que ce n’était pas le cas, constatant que sa meilleure amie ne lui faisait
pas des confidences de ce type. Après avoir pensé le dire à sa mère, elle
y a finalement renoncé, pressentant que ça serait un choc pour elle. Elle
indique ensuite qu’entre 12 et 15 ans, elle y pensait de moins en moins
puis plus du tout. Et au moment d’une première expérience sexuelle avec
un adolescent de son âge et dont elle était très amoureuse, elle s’est sentie
bloquée, incapable de s’abandonner dans ses bras, alors qu’elle le souhaitait,
fondant en larmes. Devant l’attitude compréhensive du jeune adolescent qui
était aussi amoureux d’elle, elle lui confie ce qui s’est joué pour elle entre 9 et
E XPERTISE ET PAROLE DE L’ ENFANT 105

12 ans avec son père. On voit là des éléments psychologiques extrêmement


concrets qui donnent un sens de forte probabilité au souvenir traumatique
mis en avant.

Symptomatologie post-traumatique clinique et psychologique


Cette recherche est incontournable. Mais en même temps, cette symp-
tomatologie n’est pas caractéristique de façon absolue d’une agression
subie pouvant s’inscrire dans nombre de tableaux anxio-dépressifs, indé-
pendamment de toute réalité traumatique.

Hiérarchisation des critères


Si on proposait de hiérarchiser la valeur des 5 critères ci-dessus, il
me semble que notre « quinté » théorique serait le suivant, en situant ces
critères du plus significatif, au moins probant :
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• éléments psychologiques d’accompagnement entre le moment de l’épi-
sode traumatique allégué et le moment du dévoilement ;
• analyse de la dynamique du moment du dévoilement ;
• qualité du récit des faits en question ;
• existence d’éléments émotionnels aussi bien dans la restitution de
l’épisode qu’au moment où il ré-émerge au moment de l’expertise ;
• existence d’une symptomatologie post-traumatique.
On le voit, l’élément essentiel utilisé par certains experts (recherche
d’une symptomatologie post-traumatique) est pour nous le moins signifi-
catif ; quand on tente d’analyser la qualité du témoignage en lui-même.

M ÉTHODOLOGIE LORS DE L’ EXPERTISE


On peut reprendre les étapes suivantes précisées ci-dessus en en donnant
une représentation encore plus concrète.
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• La première étape avec un enfant c’est d’établir un lien, une relation,


entrer en contact de façon vivante, de l’apprivoiser.
• La deuxième étape, en s’adaptant à son niveau intellectuel est de donner
une représentation du sens de l’examen : à savoir restituer concrètement
ce qui a pu se passer.
• La troisième étape, c’est de bien formuler dans un langage simple, ce
qu’on lui demande ; tout simplement de tenter de se souvenir de quelque
chose qui est dans sa mémoire et non de dire tout ou d’expliquer ou
donner son opinion ou rendre compte de ce que des adultes autour de lui
peuvent en dire. Pertinence d’un message autour d’une remémoration
brute, assez naturelle, détachée de tout ce qui a pu être dit ou demandé
précédemment.
106 R ECUEILLIR LA PAROLE DE L’ ENFANT

• Dans un quatrième temps, la séquence : récit libre, questions ouvertes,


questions spécifiques nous semble la plus dynamique et la plus perti-
nente.
– D’abord le discours spontané puis les questions maïeutiques, sans
contenu thématique, puis, le cas échéant, avec un grand ciselage
dans la formulation des questions à contenu ou à choix multiples, en
n’hésitant pas à poser les questions dans le sens opposé ensuite.
– Enfin, donner la dynamique de l’enjeu de l’examen pour apprécier si
l’enfant a des éléments à ajouter, par exemple sur les conséquences
de son témoignage (entre autre).
Sur le plan de l’analyse des dessins éventuels, on soulignera avec force
que ce que l’enfant en dit est beaucoup plus important qu’une interpré-
tation sauvage du dessin en lui-même avec alors un risque interprétatif
problématique (ainsi, toute fusée n’est pas un pénis, un peu dans le même
esprit où Freud en manipulant avec soin son cigare signifiait à un de ses
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disciples le regardant « parfois un cigare, c’est simplement un cigare »).
De façon générale, même si une technique purement maïeutique peut
paraître plus aseptisée, il n’y a pas lieu, à notre sens, de renoncer de
confronter l’enfant avec le discours éventuel du mis en cause ou de façon
plus large à confronter son récit à des témoignages dans le dossier qui
pourraient le contredire ; et toujours en s’adaptant bien évidemment à
l’âge de l’enfant.
Ainsi, l’expertise psychiatrique ou médico-psychologique de l’enfant
va intégrer plusieurs éléments :
• décrire les éléments de personnalité, éliminer ou constater les éléments
cliniques qui pourraient le cas échéant orienter vers l’hypothèse de
fabulation ou mythomanie ;
• décrire ou restituer les éléments cliniques intéressants à rechercher
(qualité du récit, éléments émotionnels, éléments de travail psychique
entre les faits en question et le moment du dévoilement, analyse du
moment du dévoilement ; recherche d’un retentissement clinique ou
psychologique).
Parallèlement, il y a lieu de citer abondamment le discours de l’enfant
dans le corps même du rapport.
Ainsi dans cette perspective, l’examen est essentiellement un recueil par
l’expert psychiatre ou psychologue des éléments de pensée, des éléments
psycho-émotionnels, des éléments cliniques ; et non un avis ou une
appréciation sur le témoignage. En ce sens, une expertise qui restitue les
éléments cliniques, les éléments psychologiques, les éléments de discours,
les éléments psycho-émotionnels est une expertise scientifique de recueil,
au sens où selon Karl Popper, elle peut être discutée, argumentée et
contre-argumentée. Elle est un objet intellectuel qui peut être interprété
par chaque partie. A contrario, une expertise qui ne restitue pas le contenu
observé, les éléments de discours ne peut être contredite ; ne pouvant
E XPERTISE ET PAROLE DE L’ ENFANT 107

s’appuyer que sur la compétence supposé d’un sachant, qui n’a pas
l’humilité de décrire ce sur quoi il fonde son jugement, quelle qu’en
soit la pertinence.
Puis, on peut (ou pas) dans la conclusion proposer une phrase à type
d’hypothèse de travail (et seulement d’hypothèse de travail) qui peut
résumer l’appréciation par l’expert de la clinique observée.
Restituer, décrire, citer tous les éléments recueillis permet à tout lecteur,
à toute partie du procès judiciaire, d’apprécier, le cas échéant, les éléments
livrés de façon différente. Ainsi, on retrouve là un élément de prudence
épistémologique : toute démonstration non réfutable n’est pas scientifique.
En centrant son intérêt sur le recueil des données, l’expert éviter le
trancher d’une appréciation, dont on ne comprendrait pas l’argumentation ;
appréciation qui serait en quelque sort proposée sans véritable discussion
médico-légale.
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E N CONCLUSION
Dans l’esprit du débat autour de la crédibilité ayant amené la sup-
pression du mot, on peut proposer une pratique expertale de constat, de
restitution, de citations qui permet le débat contradictoire dans l’apprécia-
tion, dans l’interprétation des éléments cliniques, psycho-émotionnels et
des éléments de récit livrés ; et ce même si l’expert se risque à livrer dans
la conclusion sa propre lecture subjective et hypothétique des éléments
recueillis.
Plaidoyer donc pour une pratique de l’expertise s’articulant autour du
recueil de données, ouverte à l’argumentation et à la contre-argumentation,
ouverte au contradictoire.

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