Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Invitation
Invitation
Fae r b e r
n
Joha n
at i
Invit yage…o
a u vo
A N T H O L O G IE
s
Les document
clés
Films &
playlists
3,50 €
01 .P ,EIC & ÉNIC ,1 ERTIPAHC • SNOITSEUQ TE NOITATNESÉRP >
kcilaM ecnerreT ed ,)5002( ednoM uaevuoN eL mlfi ud etiartxe otohP
Invitation
au voyage…
Avec
es playlists
d
ANTHOLOGIE dédiées
Sélection et présentation
de Johan Faerber
certifié de lettres modernes
docteur ès lettres modernes
sommaire
Présentation du thème 7
CIN & ie
lm pour entrer dans le vif du sujet 10
Le Nouveau Monde de Terrence Malick,
États-Unis-Royaume-Uni, 2005
A Partir à la découverte 13
1.Les définitions du dictionnaire
•LAROUSSE, Définitions des mots « Voyage » et « Aventure » 15
2.Une invitation au dépaysement
•C. BAUDELAIRE, « L’Invitation au voyage » 16
3.L’appel du large
•C. GELLÉE DIT LE LORRAIN, Port de mer avec villa Médicis 18
B Desvoyagesformateurs 19
4.Explorer le monde
•P. CLAUDEL, Le Livre de Christophe Colomb 20
5.Le voyage humaniste
•F. DE LA MOTHE LE VAYER, De l’utilité des voyages 24
6.Le voyage comme éveil artistique
•STENDHAL, Rome, Naples et Florence 25
© Hatier Paris 2022
2 I NVITATION AU VOYAGE …
C Voyager, un privilège de classe ? 28
7.Voyager : une organisation extrêmement coûteuse
•D. ROCHE, Les Circulations dans l’Europe moderne 29
8.Le voyage, un marqueur social
•A. L. EGG, Les Compagnes de voyage 31
9.Le « grand tour », une pratique élitiste
•B. RÉAU, « Du “grand tour” à Sciences Po.,
le voyage des élites ? » 32
PLAYLIST N° 1 38
CIN & ie
lm pour entrer dans le vif du sujet 42
À bord du Darjeeling Limited de Wes Anderson,
États-Unis, 2007
S OMMAIRE 3
12.Le programme Erasmus : démocratisation
du « grand tour » ?
•C. KLAPISCH, L’Auberge espagnole 54
PLAYLIST N° 2 78
4 I NVITATION AU VOYAGE …
CIN & ie
lm pour entrer dans le vif du sujet 82
Sur la route de Walter Salles,
États-Unis-Canada-Brésil-France, 2012
A Repenser le tourisme 85
20.Sortir du surtourisme
•C. GUILLOU, « Un autre tourisme est-il possible ? » 86
21.Réhabiliter le touriste ?
•J. BLANC-GRAS, Touriste 90
22.Du touriste au voyageur
•N. BOUVIER, L’Usage du monde 92
23.Voyager autrement
•S. PENN, Into the Wild 94
S OMMAIRE 5
C Sortir des sentiers battus 104
27.Le voyage comme fuite
•A. RIMBAUD, « Ma bohème » 105
28.L’échappée belle
•D. HOPPER, Easy Rider 107
29.Une nouvelle façon d’être au monde ?
•R. BARTHES, L’Empire des signes 108
PLAYLIST N° 3 109
Annexes
•4 sujets blancs guidés 112
•4 fiches méthode 116
•Tous les documents classés par genre 125
6 I NVITATION AU VOYAGE …
Présentation du thème
POURQUOI VOYAGER ?
Pour répondre à cette question, sans doute faut-il se pencher sur la
longue histoire du voyage. Synonyme d’aventure et de découverte, le
verbe voyager porte en lui une dimension éducative.
Dès la Renaissance, on voyage pour explorer le monde, le cartogra-
phier mais aussi pour se former intellectuellement. Outre ces grandes
expéditions le plus souvent financées par les États, le « grand tour »,
ainsi désigné par les Anglo-Saxons, permet aux aristocrates des XVIIIe et
XIXe siècles de partir à la découverte du Monde. Toutefois, ces voyages
au coût exorbitant ne sont pas accessibles à tous.
DÉMOCRATISATION OU BANALISATION
DUVOYAGE ?
Jusqu’au début du XXe siècle, voyager coûte cher. Tout le monde n’a pas le
loisir de voyager. Mais les combats politiques en France qui débouchent
en 1936 sur le droit des travailleurs aux congés payés vont changer la
donne. On assiste à la démocratisation du voyage : à l’intérieur du pays,
comme à l’extérieur, tout le monde a désormais le droit de voyager.
I NVITATION AU VOYAGE … 7
Invitation au voyage…
8 I NVITATION AU VOYAGE …
PITR E 1
CHA
Pourquoi voyager ?
CIN & ie . 10
CIN & ie
10 I NVITATION AU VOYAGE …
Pocahontas qui, elle-même, n’est pas insensible à ses charmes. Mais
bientôt Smith est renvoyé parmi ses pairs, les colons, qui doivent
repartir pour l’Angleterre.
P OURQUOI VOYAGER ? 11
L e voyage est au cœur des vies des héros du Nouveau Monde
de Terrence Malick. Qu’il s’agisse du capitaine Smith ou
du chef de l’expédition, Christopher Newport, les hommes du
XVIIe siècle que le cinéaste met en scène traversent les océans
dans l’espoir de trouver une vie meilleure sur des terres qui leur
étaient jusque-là inconnues. Mais tous les voyageurs sont-ils
animés par cette même soif de découverte et par cette même
aspiration au bonheur ?
Les raisons qui poussent chacun à voyager sont bien plus
diverses, même si force est d’admettre que l’invitation au
voyage lancée à sa compagne par Charles Baudelaire, dans
le poème ainsi intitulé, place pour le poète, comme pour bien
d’autres, le voyage sous le double signe de l’aventure et du
besoin d’ailleurs.
L’époque de la Renaissance est marquée par la découverte
de ce qu’il est communément admis d’appeler le Nouveau
Monde. Mandatés par leurs États, de nombreux explora-
teurs sont partis à la recherche de nouvelles terres et de leurs
richesses dans le but d’étendre la puissance de pays européens
aux visées expansionnistes et parfois civilisatrices. Parmi les
plus célèbres, figurent Christophe Colomb (1451-1506), navi-
gateur génois, considéré comme le découvreur de l’Amérique ;
le portugais Vasco de Gama (1469-1524), réputé pour être le
premier Européen arrivé aux Indes, important centre écono-
mique et commercial à l’époque ; Magellan (1480-1521),
navigateur portugais reconnu comme l’inventeur du Tour du
Monde.
Si les motivations de ces grands explorateurs dénotent un goût
évident pour la découverte et l’aventure, elles n’en trahissent
pas moins des ambitions plus économiques et expansionnistes.
12 I NVITATION AU VOYAGE …
Toutefois, au cours du XVIIe siècle, marqué par le règne flam-
boyant de Louis XIV en France, puis du XVIIIe siècle, le siècle
des Lumières marqué par la défense de la philosophie, de la
culture et de la littérature, voyager est devenu une manière
de s’instruire. Le voyage était ainsi recommandé pour
parfaire l’éducation des hommes du monde qui se devaient
de connaître les mœurs étrangères. Tout aussi important était
la redécouverte des beautés artistiques de l’Antiquité afin
d’éveiller leur sensibilité esthétique et artistique. Chacun
à son époque, les écrivains et philosophes Montaigne (1533-
1592) et Montesquieu (1689-1755) séjournèrent dans plusieurs
pays européens. Plus tard, c’est notamment Stendhal (1783-
1842) qui passa dix-sept années de sa vie en Italie.
Cependant, le voyage est longtemps resté un privilège
de classe. Qui était en mesure de partir à l’étranger pendant
plusieurs années sans travailler ? Aristocratique et bourgeois,
le voyage ne s’adressait alors, par son coût exorbitant, qu’à
quelques privilégiés s’enthousiasmant des merveilles de la
Grèce ou du climat chaleureux du sud de la France.
Si le XXe siècle paraît avoir délaissé cette pratique culturelle
de classe que les Anglo-Saxons nomment le « grand tour », elle
semble encouragée et reconduite dans des écoles sélectives
essentiellement fréquentées par la haute bourgeoisie.
Ainsi, alors qu’au fil des siècles, selon des motivations
diverses, le fait de voyager s’est imposé comme une néces-
sité, le voyage est longtemps demeuré un luxe inaccessible au
plus grand nombre.
A Partir à la découverte
« Larguer les amarres », « mettre les voiles », « prendre le large » :
autant d’expressions qui, dans le langage courant, renvoient
aussi bien à l’action de partir qu’à l’art et aux moyens de voyager.
Car voyager ne consiste pas uniquement à se déplacer d’un
P OURQUOI VOYAGER ? 13
point à un autre, comme quitter son domicile le matin pour son
lieu de travail avant d’y revenir le soir, ou faire une excursion le
dimanche non loin de chez soi.
Comme l’atteste la définition du mot DOC 1 • p. 15 , le voyage
consiste à se transporter dans un autre lieu que celui où l’on vit
habituellement pour gagner une destination lointaine. Voyager
implique donc de se rendre dans un pays étranger afin de l’ex-
plorer. D’emblée, on associe au voyage le goût pour l’aventure,
qui nécessite d’affronter, d’une manière ou d’une autre, l’imprévu
et le risque, mais aussi de découvrir l’extraordinaire d’un lieu et
s’en émerveiller.
C’est à cet imaginaire du merveilleux que répond, selon
Charles Baudelaire DOC 2 • p. 16 , toute invitation au voyage. Dans
son célèbre poème des Fleurs du mal, le poète s’adresse à sa
maîtresse et l’engage à quitter leur quotidien triste et mélanco-
lique pour un pays où tout sera à la fois splendide et radieux.
Voyager est la promesse de partir vers un ailleurs qui invite au
rêve et au dépaysement, le gage d’une expérience unique pour
se défaire de ses habitudes.
Partir à l’aventure et faire du voyage l’occasion d’une décou-
verte répond plus largement à un appel du large qui, très vite
dans l’histoire, a caractérisé la civilisation occidentale. Pour
preuve, cette célèbre toile de Claude Gellée dit Le Lorrain
DOC 3 • p. 18 qui apporte un double témoignage : tout d’abord, elle
14 I NVITATION AU VOYAGE …
DOC 1
LAROUSSE
Définitions des mots
« Voyage » et « Aventure »
Desireless,
Voyage, voyage, 1986 1
AVENTURE
Événement fortuit, de caractère singulier ou surprenant, qui
concerne une ou plusieurs personnes ; histoire, péripétie :
Une aventure tragique.
Entreprise comportant des difficultés, une grande part
d’inconnu, parfois des aspects extraordinaires, à laquelle
participent une ou plusieurs personnes : Le récit d’une aven-
ture en mer.
Toute entreprise où le risque est considérable et dont la réus-
site est douteuse : Adopter ce projet, c’est se lancer dans une
aventure.
Le Larousse, © larousse.fr, 2022
P OURQUOI VOYAGER ? 15
3 questions pour vous guider...
1. Relevez dans la définition du mot « Voyage » le terme qui
renvoie explicitement à l’aventure.
2. Dans la définition du mot « Aventure », quel sens renvoie
au voyage ?
3. Montrez dans chacune des définitions la part d’inconnu
propre au voyage et à l’aventure.
DOC 2
CHARLES BAUDELAIRE
« L’Invitation au voyage »,
Les Fleurs du mal (1857)
Léo Ferré,
L’Invitation au voyage, 1957 2
Dans son recueil Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire (1821-1867) cherche par
tous les moyens à fuir la tristesse du quotidien qu’il nomme « spleen ». Parmi
les remèdes possibles pour défier cette existence morne, figure le voyage
vers des destinations lointaines. Partir pour des pays inconnus, se dépayser,
est l’occasion pour le poète d’atteindre un monde idéal.
16 I NVITATION AU VOYAGE …
Pour mon esprit ont les charmes
10 Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
P OURQUOI VOYAGER ? 17
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe1 et d’or ;
Le monde s’endort
40 Dans une chaude lumière.
DOC 3
CLAUDE GELLÉE DIT LE LORRAIN
Port de mer avec villa Médicis
(1637)
Rameau, le rondeau
des Indes Galantes, 1735 3
[ L’appel du large ]
Peintre français, Claude Gellée dit Le Lorrain (1600-1682) doit sa renommée
à ses toiles qui représentent des paysages portuaires. Port de mer avec villa
Médicis CAHIER PHOTOS • p. I , l’un de ses tableaux majeurs, ne faillit pas à la
règle. Il représente un embarcadère où, au soleil couchant, se pressent de
nombreux voyageurs et d’imposants navires sur le départ.
Cependant, loin d’être strictement réaliste, cette peinture figure au bord de
la mer la villa Médicis alors que l’édifice se situe dans les faits en plein cœur
1.Hyacinthe : fleur très parfumée.
18 I NVITATION AU VOYAGE …
de Rome. Car, pour Claude Gellée, à l’époque où débutent les grandes expé-
ditions vers les Amériques, il s’agit ainsi de suggérer que le voyage nourrit
un imaginaire puissant qui invite, hommes, bateaux et même bâtiments, à
tout quitter pour écouter l’appel du large.
DOC 4
PAUL CLAUDEL
Le Livre de Christophe Colomb
(1928)
Guy Mitchell,
Christopher Colombus, 1957 4
20 I NVITATION AU VOYAGE …
[ Explorer le monde ]
P OURQUOI VOYAGER ? 21
20 retrouvé sur une épave à moitié mort, à moitié fou, bien loin à
l’ouest des Açores.
D-1. – Ce qu’il a pris pour des îles, ce sont des
baleines soufflantes2 !
C C I. – Marin ! Marin ! Réponds-moi !
25 Qu’as-tu vu ? Quelles nouvelles de l’autre monde ? Est-ce vrai qu’à
l’Ouest il y a une terre ?
D-. – Sois humain, ne l’interroge pas, tu vois bien
qu’il va mourir.
C C I. – Et que m’importe qu’il meure pourvu
30 qu’il me réponde ! Fils de la mer ! qu’as-tu vu ? entends-moi !
réponds-moi ! est-ce qu’il y a un autre monde ? Est-ce vrai qu’il y
a un autre monde ? est-ce qu’il y a une autre terre vers l’Ouest ?
L C. – Fils de la mer ! entends-moi ! réponds-moi ! Et
que m’importe qu’il meure pourvu qu’il me réponde ! Fils de la
35 mer, entends-moi ! réponds-moi ! m’as-tu entendu ? Est-ce qu’il
y a une autre terre vers l’Ouest ?
D-. – Ce qu’il a pris pour des îles ce sont des baleines
soufflantes.
D-. – Ce qu’il a pris pour des îles, c’est le Poisson
40 Jasconius sur lequel Brandan3 a construit sa cathédrale.
D-. – À l’Ouest du monde les Bienheureux habitent
dans des îles d’or.
D-. – À l’Ouest du monde il y a de l’or ! À l’Ouest du
monde et par-delà la tombe du vieillard Atlas4, à l’Ouest du monde
45 et par-delà Hercule5 il y a un pays d’or et de vin !
22 I NVITATION AU VOYAGE …
D-. – Saint Brandan au milieu de l’Océan dit la
messe dans une cathédrale de verre.
D-. – À l’Ouest du monde il y a une terre d’or ! À
l’Ouest du monde il y a une terre verte et rouge ! Antilia1 est son
50 nom. À l’Ouest du monde il y a une terre d’Or.
D-. – Ce qu’il a pris pour des îles ce sont des baleines
soufflantes.
Pendant tout ce temps Christophe Colomb I (sur la scène)
est resté avidement penché sur le matelot qu’il essaye de ranimer.
55 On voit leurs deux têtes sur l’écran. Le matelot meurt.
Christophe Colomb le lâche.
C C I, soutenu par le Chœur. – Il y a une terre
vers l’Ouest ! Il y a une terre vers l’Ouest !
Le Livre de Christophe Colomb, © Éditions Gallimard, 1933
1.Antilia : île imaginaire au cœur saint Brandan est supposé avoir bâti
del’océan Atlantique sur laquelle sa cathédrale.
P OURQUOI VOYAGER ? 23
DOC 5
FRANÇOIS DE LA MOTHE LE VAYER
De l’utilité des voyages (1648)
Charlotte Gainsbourg,
Voyage, 2009 5
[ Le voyage humaniste ]
24 I NVITATION AU VOYAGE …
Celui-ci dit qu’étant travaillé des hypochondres1, et en volonté
de perdre la vie en se tuant lui-même, Plotin reconnut non seule-
15 ment sa maladie atrabilaire2, mais même le mauvais dessein3
qu’il avait. Il le combattit donc là-dessus, et non content de le
détourner par discours d’une si mauvaise action, il n’eut point
de cesse qu’il ne l’eût engagé à faire des voyages qui lui furent si
utiles, que celui de Sicile le remit en parfaite santé. Ne sont-ils
20 pas4 le dernier refuge auquel les plus savants médecins ont assez
souvent recours pour surmonter les infirmités qui se rendent
rebelles à leurs remèdes ordinaires ?
DOC6
STENDHAL
Rome, Naples et Florence (1817)
Lilicub, Voyage en Italie, 1996
6
P OURQUOI VOYAGER ? 25
Pour cet homme passionné par l’Italie, voyager devient l’occasion rêvée de
goûter aux charmes de la vie milanaise et de s’initier aux plaisirs d’une vie
culturelle qui a toujours été pour lui une source d’inspiration artistique.
26 I NVITATION AU VOYAGE …
la plaque de son ordre ; la pupille1 du prince, la charmante Fabre, est
en pelisse2 bleu de ciel et argent, son schakos3 garni d’une plume
blanche. La grandeur et la richesse respirent sur ce théâtre : on y
voit à tous moments au moins cent chanteurs ou figurants tous
25 vêtus comme le sont en France les premiers rôles. Pour l’un des
derniers ballets, l’on a fait 185 habits de velours ou de satin. Les
dépenses sont énormes. Le théâtre de la Scala est le salon de la ville.
Il n’y a de société que là ; pas une maison ouverte. Nous nous verrons
à la Scala, se dit-on pour tous les genres d’affaires. Le premier
30 aspect est enivrant. Je suis tout transporté en écrivant ceci.
26 septembre. – J’ai retrouvé l’été, c’est le moment le plus
touchant de cette belle Italie. J’éprouve comme une sorte d’ivresse.
Je suis allé à Dèsio, jardin anglais délicieux, à dix milles au nord de
Milan, au pied des Alpes.
35 Je sors de la Scala. Ma foi, mon admiration ne tombe point.
J’appelle la Scala le premier théâtre du monde, parce que c’est celui
qui fait avoir le plus de plaisir par la musique. Il n’y a pas une lampe
dans la salle ; elle n’est éclairée que par la lumière réfléchie par les
décorations. Impossible même d’imaginer rien de plus grand, de
40 plus magnifique, de plus imposant, de plus neuf, que tout ce qui
est architecture. Il y a eu ce soir onze changements de décorations.
Me voilà condamné à un dégoût éternel pour nos théâtres : c’est le
véritable inconvénient d’un voyage en Italie.
Je paie un sequin4 par soirée pour une loge aux troisièmes,
45 que j’ai promis de garder tout le temps de mon séjour. Malgré
le manque absolu de lumière, je distingue fort bien les gens qui
entrent au parterre. On se salue à travers le théâtre, d’une loge à
l’autre. Je suis présenté dans sept ou huit. Je trouve cinq ou six
personnes dans chacune de ces loges, et la conversation établie
50 comme dans un salon. Il y a, des manières pleines de naturel et
une gaîté douce, surtout pas de gravité.
P OURQUOI VOYAGER ? 27
Le degré de ravissement où notre âme est portée, est l’unique
thermomètre de la beauté, en musique ; tandis que, du plus grand
sang-froid du monde, je dis, d’un tableau du Guide1 : cela est de
55 la première beauté !
8 I NVITATION AU VOYAGE …
Leurs riches robes de soie grise, ainsi que le luxueux comparti-
ment privé dans lequel elles ont pris place, montrent pour qui en
douterait encore que le voyage était et reste, dans une certaine
mesure, une pratique élitiste.
Car voyager à travers l’Europe et bientôt le monde demeurera
très longtemps un véritable privilège de classe. C’est ce que
rappelle le sociologue Bertrand Réau DOC 9 • p. 32 qui revient sur
ce que les Anglo-Saxons ont nommé dès la fin du XVIIIe siècle le
« grand tour ». Loin d’être uniquement une pratique formatrice
intellectuellement, le « grand tour » est une initiation sociale qui
apprend aux jeunes gens le sens des responsabilités et les forme
à la prise de décision, l’objectif étant de les accoutumer aux
fonctions de futur dirigeant. Loin d’avoir disparu, cette pratique
aristocratique du « grand tour » a pris de nos jours une autre forme
mais a toujours cours dans de grandes écoles sélectives telles que
Sciences Po. Qu’en est-il alors de la démocratisation des voyages ?
DOC7
DANIEL ROCHE
Les Circulations dans l’Europe moderne
(2011)
Vanessa Carlton,
A Thousand Miles, 2002 7
Dans son essai Les Circulations dans l’Europe moderne, l’historien Daniel
Roche (né en 1935) s’intéresse à l’engouement pour les voyages qui a carac-
térisé l’Ancien Régime. Loin d’être immobile et figée, cette société avait fait
du voyage un rite de passage nécessaire à la formation intellectuelle. Mais,
parce que voyager ne peut se faire à la légère, son organisation coûteuse
exige des moyens que seuls les plus aisés peuvent assumer.
30 I NVITATION AU VOYAGE …
surveiller de près. De nuit, les forêts et les hôtelleries isolées sont
particulièrement à redouter. Quant à l’eau, il faut tout spécialement
la contrôler pour soi-même – le « vinaigre des quatre voleurs1 »
35 pourvoit à l’assainir – comme pour son cheval : on doit veiller aux
fontaines et aux puits pollués ; faute de filtre, on fera bouillir l’eau.
Les Circulations dans l’Europe moderne, © Librairie Arthème Fayard, 2011
DOC8
AUGUSTUS LEOPOLD EGG
Les Compagnes de voyage (1862)
LeJean-Louis Murat,
Train bleu, 1996 8
qui sont occupées, l’une à lire, l’autre à se reposer. À travers les fenêtres du
train dans lequel elles ont pris place, l’on devine au loin le littoral de Menton.
Au-delà de la maîtrise de son exécution, cette peinture vaut surtout comme
un témoignage historique sur le haut niveau de vie de cette aristocratie anglo-
saxonne qui voyageait pour se former intellectuellement.
1.Le « vinaigre des quatre pour ses vertus àla fois énergétiques
voleurs » : stimulant naturel connu et purgatives.
P OURQUOI VOYAGER ? 31
3 questions pour vous guider...
1. Décrivez les différentes composantes du tableau.
2. Donnez trois éléments qui attestent du haut niveau de vie
des deux jeunes femmes.
3. Pourquoi peut-on parler d’un voyage effectué dans le plus
grand confort ?
DOC 9
BERTRAND RÉAU
« Du “grand tour” à Sciences Po.,
levoyage des élites ? » (2012)
Prince, Around the World
in a Day, 1985 9
P OURQUOI VOYAGER ? 33
dès lors, « si les jeunes nobles fréquentent les académies d’équita-
tion des divers pays d’Europe, s’exercent à l’escrime, alors que l’art
35 de la guerre devient celui de l’artillerie savante et des fortifications
sophistiquées ».
Le voyage enseigne surtout ce qu’on ne peut apprendre sur le
sol natal. Il permet de réfléchir à la fois sur soi et sur sa propre
société. En ce sens, c’est bien l’objectif du retour qui guide les
40 voyageurs. Le philosophe britannique Francis Bacon1, qui a
séjourné deux ans en France, synthétise ainsi ses conseils aux
voyageurs : « Langue, préparation, tuteur, guides et cartes, lettres de
recommandation, tenir un journal, et leçons à tirer au retour ».
Le jeune homme va d’un point à un autre (Paris, Rome,
45 Florence), se familiarisant avec des pays différents, leur géogra-
phie, leur terroir, leurs œuvres d’art, leurs hommes de lettres et
leurs artistes, leurs lois et leurs usages. Il rencontre des hommes
d’État, des secrétaires d’ambassade ; il fréquente les cours de
justice et les églises ; il visite monuments, bibliothèques et
50 collèges ; il assiste aux exécutions capitales, etc. Même si le sensa-
tionnel l’emporte souvent sur la rigueur de l’étude scientifique, il
retient ainsi des éléments d’un parcours préconstruit.
Les loisirs qu’offrent des villes comme Paris, Berlin, Turin,
Florence ou Rome sont également une motivation puissante.
55 N’ayant besoin ni de gagner leur vie, ni de mettre en pratique
leur connaissance des pays visités, les « touristes » peuvent se
dispenser de procéder à des recherches approfondies. Les visites
de monuments les ennuient-elles ? Ils jouent aux cartes, observent
les arrivées et les départs des diligences. Les lieux à visiter étant
60 largement balisés, ils essayent d’y passer le moins de temps
possible. En 1914, William Edward Mead2 relativise l’étendue
des découvertes qu’autorisent l’empressement, l’incompétence et
l’inattention des jeunes touristes : « Même en prenant en compte, de
34 I NVITATION AU VOYAGE …
façon aussi généreuse que possible, la maîtrise des langues étrangères
65 par les Anglais, au e, il est fort probable que – comme c’est toujours
le cas – la plupart rentraient de leurs voyages encore incapables de
commander ou de payer un dîner dans une autre langue que la leur
sans se faire tondre par le restaurateur. »
P OURQUOI VOYAGER ? 35
95 « international », par rapport à ceux qui se retrouvent dès lors
cantonnés au local.
Les participants aux programmes de mobilité institutionna-
lisée se voient également faciliter les démarches administratives
que tout migrant doit effectuer (logement, visa, banque, etc.).
100 Ils doivent s’adapter à des modes de vie étrangers, mais il s’agit
de ceux d’étudiants aux origines sociales souvent homologues1,
vivant dans un cadre protégé. Cela ne signifie nullement qu’ils
n’éprouvent pas ponctuellement des difficultés pratiques,
morales et parfois financières ; mais ces obstacles contribuent
105 également au sentiment d’une « expérience qui rend autonome ».
C’est aussi un moment privilégié pour voyager sur place. Ainsi,
les rencontres avec des étudiants d’autres nationalités (mais de
classe sociale comparable) et, de temps à autre, avec des individus
d’autres milieux contribuent à cet effet d’ouverture culturelle si
110 valorisée, notamment chez ceux qui prétendent à des postes de
responsabilité ou d’encadrement. La connaissance pratique des
impondérables2 de la vie quotidienne dans un pays étranger, les
« combines », les « bons plans » sont très appréciés ; ils manifestent
et développent les capacités de l’étudiant à se débrouiller, à faire
115 face à l’imprévu – dans une situation, il est vrai, quelque peu
biaisée3, parce qu’institutionnellement éphémère et socialement
garantie.
36 I NVITATION AU VOYAGE …
125 l’étranger et attendus chez eux, alors que l’immigré, lui, est pris,
comme l’a montré le sociologue Abdelmalek Sayad, dans une
« double absence » : il part vers un horizon incertain avec l’espoir
d’un retour, et, bien souvent, doit faire sa place dans la société
d’arrivée. Le retour devient rapidement une illusion, et quand
130 il a lieu, le migrant n’en retire pas nécessairement un avantage,
car son absence peut l’avoir exclu des relations sociales locales.
Tout voyage à l’étranger ne constitue donc pas un capital. La
valorisation de l’« international » comme ressource ne s’opère que
sous certaines conditions, celles-là mêmes qui contribuent à la
135 reproduction de l’ordre social national.
« Du “grand tour” à Sciences Po., le voyage des élites »,
© mondediplomatique.fr, juillet 2012
P OURQUOI VOYAGER ? 37
PLAYLIST N° 1
A. Partir à la découverte
1Desireless, Voyage, voyage, 1986
Dans « Voyage, voyage », un des plus importants succès des
années 1980, Desireless, chanteuse issue de la scène punk d’alors,
compose un hymne à l’aventure. Sur un rythme électronique et
quelques nappes de synthétiseurs aux mélodies légères, le texte
revendique la puissance du voyage, qui n’est pas qu’un simple
déplacement dans l’espace. Voyager, c’est partir à l’aventure, se
mesurer au goût du danger et satisfaire son désir de dépaysement.
38 I NVITATION AU VOYAGE …
PLAYLIST N° 1
scène la découverte du Nouveau Monde. Au cœur d’une forêt
paisible, après leur défaite face aux conquérants espagnols, deux
Amérindiens, la jeune Zima et le jeune Adorio, vont enfin pouvoir
s’unir en un rondeau qui consacre leur amour. Par l’exotisme qu’il
met en scène, cet opéra-ballet exalte le goût de l’époque pour
le voyage.
B. Desvoyagesformateurs
4Guy Mitchell, Christopher Colombus, 1957
Chanteur américain pop de l’après-guerre, Guy Mitchell a dédié
son succès « Christopher Colombus » à ses parents croates émigrés
aux États-Unis. À travers la figure de l’explorateur Christophe
Colomb, Mitchell rend hommage à toutes les femmes et tous les
hommes qui ont quitté leur vie misérable en Europe, pour partir
à l’aventure et atteindre une vie meilleure en Amérique.
P OURQUOI VOYAGER ? 39
PLAYLIST N° 1
40 I NVITATION AU VOYAGE …
PITR E 2
CHA
Démocratisation
ou banalisation
duvoyage ?
CIN & ie . 42
CIN & ie
42 I NVITATION AU VOYAGE …
Le lien avec le thème
En filmant le séjour des frères Whitman qui tourne au cauchemar,
le long-métrage de Wes Anderson ne propose pas uniquement
une comédie burlesque. Il s’agit en réalité d’une critique féroce du
tourisme de masse. Le cinéaste montre comment le voyage culturel
des trois frères a progressivement changé de nature. Initialement
prévu pour profiter des richesses patrimoniales de la région, le voyage
s’est progressivement réduit à une visite guidée mais bâclée des sites
les plus connus. Les voyageurs sont devenus de simples touristes.
Mais Wes Anderson va plus loin en forçant la caricature de ces trois
touristes. Il prend plaisir à les ridiculiser, comme pour montrer que
leur équipée farfelue et grotesque n’a rien à voir avec la véritable
fonction du voyage. Censée, au départ, favoriser le rétablissement
du dialogue entre les trois frères, leur expédition a échoué. Peter,
Jack et Francis sont passés à côté de l’essentiel : l’ouverture aux
autres et la joie d’échanger et de partager.
DOC 10
DELPHINE BANCAUD
« Histoire de congés : qu’ont fait
lessalariés avec leurs premiers congés
payés en1936 ? » (2018)
Madonna, Holiday, 1983
10
1.Sociétale : sociale.
48 I NVITATION AU VOYAGE …
nouveaux l’éveil de ses destinées ». Et le retour des ex-ruraux
35 chez eux se traduit par une certaine affluence en gare, comme
le souligne Le Matin, le 17 août 1936 : « sur les grandes lignes
certains trains avaient été doublés, triplés, même dans plusieurs
cas ».
La presse exalte aussi les bénéfices de ces premiers congés
40 payés. En septembre 1936, L’Écho de Paris vante ainsi les vertus
de ces vacances sur la santé physique et morale des salariés en
soulignant « l’amélioration de l’état général que procurent les
vacances ». « C’est surtout chez les enfants que ces effets sont frap-
pants. En quelques jours, parfois sans changement notable dans
45 leur régime, par le seul fait de l’existence au grand air et d’une vie
où comme disait la chanson “c’est tous les jours dimanche”, ces
teints pâles se colorent, l’appétit devient formidable le sommeil
excellent et il y a non seulement accroissance du poids1, mais
même de la taille », décrit avec emphase2 le journaliste. « Il faut
50 se rappeler qu’en 1936, la tuberculose3 sévit en France. D’où l’im-
portante littérature4 qui vante les vertus de l’air pur », commente
André Rauch.
50 I NVITATION AU VOYAGE …
3 questions pour vous guider...
1. L.1-12 : pourquoi les congés payés sont-ils apparus d’em-
blée pour les Français comme « une révolution sociétale et
culturelle » ?
2. L.66-72 : pour quelle raison cette démocratisation des
voyages par les congés payés « n’a pas plu à tous les Français » ?
3. L.74-90 : comment se met en place, grâce aux congés
payés, ce que l’historien André Rauch nomme « une culture
des vacances » ?
DOC11
CHARLOTTE BARRIQUAND
« Buffets à volonté, tables communes…
Comment le Club Med a révolutionné
letourisme » (2021)
Las Ketchup,
The Ketchup Song(Asejeré), 2002 11
52 I NVITATION AU VOYAGE …
35 du premier club. Un succès qui donne naissance au concept du
« all inclusive », le tout inclus. Et le principe marche tellement
bien qu’un deuxième club ouvre ses portes en Italie l’année
suivante. Gérard Blitz a alors envie d’innover.
« Il se dit que pour continuer à se développer, il doit mettre
40 la main sur des campements qui puissent se monter et se
démonter. On lui donne alors un annuaire des différents indus-
triels qui fabriquent des tentes et c’est là que la rencontre se fait
avec Trigano. Et la compagnie lui semble encore plus sympa-
thique que c’est une histoire de famille », poursuit Jean-Jacques
45 Monceau.
Et justement, Gilbert Trigano joue un rôle crucial dans le
développement du Club Med dès les années 60 : campements
de qualité, création du mini-club, arrivée des fameux G.O., les
gentils organisateurs, ainsi que des G.M., les gentils membres…
50 Pendant 20 ans, c’est un succès et des Club Med se construisent
partout en France et à l’étranger.
DOC 12
CÉDRIC KLAPISCH
L’Auberge espagnole (2002)
Sonia & Selena, Que viva la noche, 2001
12
[ Le programme Erasmus :
démocratisation du « grand tour » ? ]
54 I NVITATION AU VOYAGE …
3 questions pour vous guider...
1. Quelles sont les différentes composantes de l’image ?
2. Quels éléments montrent qu’il s’agit de jeunes étudiants ?
3. En quoi le décor renseigne-t-il sur le niveau de vie de ces
étudiants vivant en communauté ?
l’expérience du touriste.
Que l’on soit à Paris, New York, Bombay, Tokyo ou encore
Bali, le touriste peut retrouver les mêmes enseignes commer-
ciales. En témoigne l’étonnante présence de la chaîne de pizzas
D ÉMOCRATISATION OU BANALISATION DU VOYAGE ? 5
américaine, Pizza Hut, au pied des pyramides de Gizeh en Égypte
DOC 14 • p. 59 . Au lieu de valoriser le patrimoine culturel des lieux
DOC 13
MATTHIAS DEBUREAUX
De l’art d’ennuyer en racontant
sesvoyages (2015)
Courtney Marie Andrews,
Songs for Tourists, 2011 13
56 I NVITATION AU VOYAGE …
[ La banalisation de l’expérience du touriste ]
58 I NVITATION AU VOYAGE …
DOC14
GARY COOK
Pizza Hut aux pyramides de Gizeh,
LeCaire, Égypte
Combination Pizza Hut
Das Racist,
and Taco BellRemix, 2010 14
Dans cette tribune qu’il signe pour le quotidien Le Monde, Éric La Bonnardière,
professionnel des voyages en ligne, déplore une massification du tourisme
qui prend désormais des proportions industrielles. Si, grâce à la baisse des
prix qui les a rendus abordables, les voyages se sont en effet multipliés, cette
démocratisation a pour revers la standardisation des lieux visités.
Obéissant à une logique économique de globalisation, ce tourisme uniformise
les sites en délaissant l’artisanat local au profit d’enseignes mondialement
connues. Le tourisme transforme donc le voyage et les lieux visités en banals
objets de consommation qu’il finit par dégrader.
60 I NVITATION AU VOYAGE …
Au-delà de la question d’une écotaxe, quelles sont les respon-
sabilités du tourisme ? Je suis convaincu que c’est le modèle
15 même qu’il faut réinventer. La prise de conscience des impacts
négatifs du tourisme de masse est aujourd’hui acquise. Mais
quand l’industrie prendra-t-elle le risque de modifier en profon-
deur son comportement ?
Le tourisme représente 10 % du produit intérieur brut
20 mondial, ce qui en fait la première industrie du monde. Près
de 300 millions d’emplois sont liés au tourisme, faisant d’un
employé sur dix un employé du secteur touristique. Dans le
même temps, le tourisme est soumis à des logiques de globalisa-
tion, d’optimisation1 et de standardisation qui l’ont transformé
25 bien souvent en simple produit de consommation.
62 I NVITATION AU VOYAGE …
75 à compenser leur trajet directement auprès des compagnies
aériennes.
La deuxième étape pour faire évoluer durablement le
tourisme est celle qui redonne de la voix aux acteurs locaux, bien
souvent dissimulés derrière les intermédiaires. Redonnons-leur
80 le pouvoir, car c’est à l’échelle locale que se construit la proposi-
tion touristique. Battons-nous pour que le voyage « local made1 »
devienne la norme des voyages de qualité. Il est nécessaire d’in-
venter de nouveaux modèles de gouvernance2 des entreprises
du tourisme afin d’intégrer pleinement les acteurs locaux aux
85 prises de décisions qui les impliquent.
Enfin, le troisième changement est celui qui nous invite à
faire preuve de transparence. Faisons le choix de donner toutes
les clés aux voyageurs de demain afin qu’ils décident en pleine
conscience. Chacun devrait connaître le risque de surtourisme
90 de sa prochaine destination et se voir suggérer des solutions de
rechange. De plus, si la curiosité des voyageurs s’éveille avec un
accès facilité aux richesses de notre planète, cela conduira à des
flux de touristes mieux répartis sur les territoires.
Un tel projet ne peut être que collectif et doit pouvoir
95 s’appuyer sur tout le potentiel offert par le numérique. Ces enga-
gements à innover dans une perspective de tourisme durable
doivent être le combat du siècle pour les opérateurs du tourisme.
J’en suis convaincu et j’en ai fait personnellement mon leitmotiv
depuis dix ans. Il y a urgence à refonder le tourisme, urgence à
100 s’extraire d’un modèle qui multiplie les effets négatifs pour ceux
qui voyagent et pour ceux qui accueillent.
« Nous avons trahi la promesse du voyage en confondant démocratisation
etuniformisation », © lemonde.fr, juillet 2019
4 I NVITATION AU VOYAGE …
Face à l’afflux de visiteurs, les vols aériens se multiplient
provoquant toujours plus de pollution. Peu importent les
dégâts causés sur le plan environnemental comme sur les
plans humain et social, la rentabilité économique prime dans
certains pays où l’activité touristique est privilégiée au détri-
ment des besoins essentiels des populations locales. Ainsi aux
Philippines, les habitants subissent des coupures d’eau pour
que les touristes puissent jouir à leur guise de l’eau courante.
Cet individualisme du touriste, qui ne se préoccupe que
de son bien-être, est symbolisé par la pratique anarchique
du selfie par des touristes qui se prennent en photo, parfois
au risque de provoquer des accidents, devant les monuments
historiques. Il s’agit moins pour les plus narcissiques de garder
trace du site visité que de témoigner sur les réseaux sociaux
de leur présence à tel ou tel endroit couru dans le monde. Le
selfie pris sur une plage de Thaïlande par cette mère de famille,
indifférente à ce qui se passe autour d’elle, en est la parfaite
illustration DOC 18 • p. 73 .
Les critiques dont fait l’objet le touriste, accusé d’avoir
renoncé au sens premier du voyage et d’endommager
voire de détruire les lieux qu’il visite, sont de plus en plus
nombreuses. Autant que les critiques dénonçant les dérives
de l’industrie touristique. Toutefois, le philosophe Michaël
Fœssel DOC 19 • p. 74 nous engage à aller plus loin. À force de
vouloir attirer les touristes, de nombreux pays européens se
sont transformés en « musées ». Or pour le philosophe, cette
« muséification de l’Europe » est politiquement douteuse :
elle fonctionne comme une « machine à promouvoir l’identité
nationale » et le nationalisme.
Alors que l’invitation au voyage est censée mener vers
l’autre, la glorification du passé encourage au repli sur soi.
66 I NVITATION AU VOYAGE …
atteindre l’objet de nos études ne confère aucun prix à ce qu’il
faudrait plutôt considérer comme l’aspect négatif de notre
métier. Les vérités que nous allons chercher si loin n’ont de
valeur que dépouillées de cette gangue1. On peut, certes, consa-
20 crer six mois de voyage, de privations et d’écœurante lassitude à
la collecte (qui prendra quelques jours, parfois quelques heures)
d’un mythe inédit, d’une règle de mariage nouvelle, d’une liste
complète de noms claniques2, mais cette scorie3 de la mémoire :
« À 5 h 30 du matin, nous entrions en rade de Recife4 tandis que
25 piaillaient les mouettes et qu’une flottille de marchands de fruits
exotiques se pressait le long de la coque », un si pauvre souvenir
mérite-t-il que je lève la plume pour le fixer ?
Pourtant, ce genre de récit rencontre une faveur5 qui reste
pour moi inexplicable. L’Amazonie, le Tibet et l’Afrique enva-
30 hissent les boutiques sous forme de livres de voyage, comptes
rendus d’expédition et albums de photographies où le souci
de l’effet6 domine trop pour que le lecteur puisse apprécier la
valeur du témoignage qu’on apporte. Loin que son esprit critique
s’éveille, il demande toujours davantage de cette pâture7, il en
35 engloutit des quantités prodigieuses. C’est un métier, main-
tenant, que d’être explorateur ; métier qui consiste, non pas,
comme on pourrait le croire, à découvrir au terme d’années
studieuses des faits restés inconnus, mais à parcourir un nombre
élevé de kilomètres et à rassembler des projections fixes ou
40 animées, de préférence en couleurs, grâce à quoi on remplira une
salle, plusieurs jours de suite, d’une foule d’auditeurs auxquels
des platitudes et des banalités sembleront miraculeusement
transmutées en révélations pour la seule raison qu’au lieu de
les démarquer sur place, leur auteur les aura sanctifiées par un
45 parcours de vingt mille kilomètres.
68 I NVITATION AU VOYAGE …
DOC17
VIOLAINE BALLIVY
« Surtourisme : quand le touriste
n’est plus le bienvenu » (2019)
Friendly Fires, Hawaiian Air, 2011
17
70 I NVITATION AU VOYAGE …
leur prochain voyage en fonction de son caractère « instagram-
mable1 » (selon un sondage mené par Expedia en 2017). Ce faisant,
20pays absorberont à eux seuls 70 % de la croissance du tourisme
50 mondial d’ici 2020, prévoit le Conseil mondial du tourisme et des
voyages (WTTC).
L’industrie touristique a toutefois aussi sa part de responsabi-
lité, tempère Pascale Marcotte.
« Pendant très longtemps, des villes comme Barcelone ont
55 travaillé pour avoir plus de touristes, ont investi dans des ports
de croisière, des aéroports, etc., pour pouvoir parler de croissance
et non pas de décroissance. »
Les villes ont récolté ce qu’elles avaient semé, sans toujours
prévoir avec acuité2 les conséquences qu’une telle croissance pour-
60 rait avoir sur la population ou les infrastructures. Un exemple
parmi tant d’autres : l’augmentation du tourisme aux Philippines
est liée à une raréfaction de l’eau potable et à une augmentation
des pannes de courant pour la population locale.
72 I NVITATION AU VOYAGE …
3 questions pour vous guider...
1. L.16-25 : quels sont, selon Pascale Marcotte, les risques
du « surtourisme » ?
2. L.58-63 : quelles sont les conséquences négatives du déve-
loppement du tourisme aux Philippines ? Connaissez-vous
d’autres exemples de pays qui subissent de telles consé-
quences ? Justifiez votre réponse.
3. Quelle est, selon Paul Arsenault, la différence entre la
« touristophobie » (l.71) et la « tourismophobie » (l.72). Quelles
solutions sont cependant suggérées ?
DOC 18
NUTKAMOL KOMOLVANICH
Phuket, Thaïlande (2016)
Takagi & Ketra,
L’esercito del selfie, 2017 18
DOC 19
MICHAËL FŒSSEL
« Le touriste, seul étranger
désormaisdésirable ? » (2014)
Alain Chamfort,
Bons baisers d’ici, 1983 19
74 I NVITATION AU VOYAGE …
goûte le folklore qui le confirme dans ses habitudes. En partant,
il sait déjà qu’il va revenir. C’est à peine s’il aura pris le temps
10 de se mouvoir.
Ce genre de critique est devenu suspect depuis que le tourisme
a acquis le statut de phénomène de masse. Les sorties contre le
« touriste » ont désormais quelque chose du sarcasme1 adressé à
l’homme démocratique pressé de jouir en parcourant le monde
15 à moindres frais. La nostalgie pour l’explorateur d’hier cache
mal un mépris pour la démocratisation du voyage. Le rejet du
tourisme devient dangereux lorsqu’il débouche sur une apologie2
du « chez soi » derrière laquelle il n’est pas difficile de repérer une
défiance3 à l’égard des étrangers. Comme si la majeure partie des
20 hommes devait, en plus d’une vie sans relief, être condamnés à
la sédentarité.
Une nouvelle critique du tourisme, débarrassée de ces équi-
voques4, est pourtant plus urgente que jamais. Aujourd’hui, la
généralisation du tourisme n’est plus seulement le fait des classes
25 moyennes européennes partant à l’assaut du monde : elle se
traduit aussi par la transformation de l’Europe elle-même en site
touristique. Contrairement aux apparences, c’est un signe incon-
testable de déclin : on ne visite guère que des lieux qui incarnent
l’Histoire parce qu’ils ont cessé de la faire. C’est presque toujours
30 l’argument économique qui est présenté en renfort de la muséi-
fication5 de l’Europe. D’ici peu, un actif sur dix travaillera dans
l’industrie du tourisme ; quant à la France, on nous dit qu’elle doit
se préparer au plus vite à accueillir cent millions de voyageurs
étrangers par an. Là encore, le langage de l’hospitalité trahit le
35 sentiment du déclin. Délestés6 d’industries, les pays d’Europe occi-
dentale misent sur leur patrimoine (a priori non délocalisable)
pour se tirer d’affaire.
76 I NVITATION AU VOYAGE …
énergie à se conserver. Le tourisme, qui jusque-là était mal vu
par les conservateurs, se met à fonctionner comme une machine
70 à promouvoir l’identité nationale. Ce n’est pas un hasard si les
passions identitaires s’emparent de l’Europe au moment où elle se
transforme progressivement en musée à ciel ouvert. L’invitation
au voyage devient politiquement douteuse lorsqu’elle propose un
voyage dans le temps et que le touriste devient le témoin de nos
75 fantasmes de grandeur patriotique.
« Le touriste, seul étranger désormais désirable ? »,
© libération.fr, août 2014
Chapitre 2 – Démocratisation
oubanalisation duvoyage ?
Les tubes de l’été, lorsqu’ils font l’objet de chorégraphies reprises
sur toutes les pistes de danse de la planète, illustrent parfaitement
la manière dont la représentation du voyage a évolué à l’heure du
tourisme de masse. Madonna, icône de la musique pop, clame très
tôt son goût pour ces évasions enfin partagées par tous. Cet enthou-
siasme est toutefois tempéré par la chanteuse Courtney Marie
Andrews qui décrit les états d’âme d’une artiste chantant devant
des touristes désabusés. Et c’est avec ironie que les membres du
groupe Friendly Fire, embarqués sur des lignes d’avion hawaïennes,
fustigent les dérives du surtourisme.
78 I NVITATION AU VOYAGE …
PLAYLIST N° 2
L’Auberge espagnole DOC . La chanson revient à intervalles
12 • p. 54
réguliers pour ponctuer le bonheur qu’ont les étudiants Erasmus
de vivre ensemble. Le cinéaste fait le choix d’un hymne populaire
pour montrer combien l’expérience de ces jeunes gens n’a rien
d’élitiste.
80 I NVITATION AU VOYAGE …
PITR E 3
CHA
Retrouver le goût
del’aventure
CIN & ie . 82
CIN & ie
82 I NVITATION AU VOYAGE …
Le lien avec le thème
L’aventure imaginée par Kerouac, comme le road-movie – genre
cinématographique sur le thème de la route et de la traversée des
grands espaces – réalisé par Salles servent le même objectif poli-
tique. Pour eux, il faut que l’individu change pour que la société
change. Aussi est-il impératif, pour partir en quête de soi, de
commencer par rejeter tout produit de la société de consomma-
tion, dont le tourisme de masse est notamment le fruit.
En lançant ses personnages sur la route avec peu d’argent, à
bord d’une vieille voiture symbolisant leur dépouillement matériel,
Salles montre que, pour Kerouac comme pour la Beat Generation,
le voyageur doit se débarrasser du superflu pour redevenir acteur
de son propre voyage. Ce n’est qu’à cette condition qu’il s’éman-
cipera moralement, intellectuellement et socialement.
Tel est le véritable sens du voyage que le poète Arthur Rimbaud
– tant admiré par Kerouac – nommait « La vraie vie ».
A Repenser le tourisme
Est-il encore possible de corriger l’image extrêmement néga-
tive du tourisme ? Tant les professionnels du voyage que les
voyageurs eux-mêmes, commencent à réfléchir à la manière de
relever ce défi. Mais comment sortir de cette industrie touristique
qui, pour proposer un peu d’agrément à certains, cause tant
de désagréments à d’autres ? Preuve en est le site de Venise,
menacé par l’afflux de touristes et la hausse du niveau des mers :
la ville, dont les fondations sont peu à peu rongées par l’eau
saumâtre, risque de s’écrouler… Une solution s’impose : sortir
de cette industrialisation qui rime avec destruction.
Repenser le tourisme est une urgence dont se fait l’écho le
journaliste Clément Guillou DOC 20 • p. 86 qui souligne à quel point
la crise du Covid-19 a bouleversé l’industrie touristique. Du fait
des restrictions sanitaires, le trafic aérien mondial a été ralenti
et la fréquentation des lieux touristiques s’est effondrée. Alors
que cette baisse s’avère dramatique pour nombre de personnes
vivant du tourisme, sans doute faut-il saisir la gravité de la situa-
tion comme une opportunité de changement. N’est-il pas temps
d’envisager un autre tourisme, plus respectueux de l’envi-
ronnement et des populations ? Un tourisme qui pourrait enfin
obéir à ces deux priorités : laisser la nature se régénérer et privi-
légier le commerce local.
Mais, comme le souligne Julien Blanc-Gras DOC 21 • p. 90 , c’est
d’abord la figure même du touriste qui doit être réhabilitée.
Le visiteur ne doit plus être un simple consommateur pillant
et exploitant les richesses matérielles du pays qu’il traverse. Le
voyageur doit réapprendre à flâner, s’arrêter pour observer, et
s’émerveiller devant un patrimoine, une civilisation autres, une
R ETROUVER LE GOÛT DE L ’ AVENTURE 85
culture différente. À pas lents, toujours curieux, le touriste « prend
le temps d’être futile » et fait de sa vie « un long voyage ».
C’est une telle conception du touriste qui anime Nicolas
Bouvier DOC 22 • p. 92 , lorsqu’il traverse une partie du globe,
partant de la Yougoslavie d’alors pour rallier le Pakistan. Pour
faire de ce voyage une expérience singulière, loin des séjours
organisés, Bouvier choisit de prendre son temps, d’aller au gré
des rencontres, dormant le plus souvent chez l’habitant. Pour
Bouvier, voyager n’est pas seulement atteindre une destination :
« un voyage se passe de motifs » et se « suffit à lui-même ».
Sur un autre mode et dans un esprit encore plus radical, le
slogan de l’affiche du film de Sean Penn, Into the Wild DOC 23 • p. 94
donne le ton de l’aventure entreprise par le héros : « Au bout du
voyage, oubliez tout… ». Habité par une telle promesse laissant
supposer des jours meilleurs, le jeune héros du film va ainsi se
détourner de tout : sa famille et la société de consommation,
pour vivre son voyage comme une aventure capable de lui offrir
un autre point de vue sur le monde.
DOC 20
CLÉMENT GUILLOU
« Un autre tourisme est-il possible ? »
(2021)
Boy George, Runaway Train, 2018
20
88 I NVITATION AU VOYAGE …
suivant le vœu du gouvernement de Mario Draghi1, a voté leur
interdiction à terme ; la première étape consistera à rediriger dès
60 que possible les navires vers le port industriel de Marghera2. La
disparition des bateaux et la montée des préoccupations environ-
nementales ont créé les conditions de l’action.
DOC 21
JULIEN BLANC-GRAS
Touriste (2011)
Gérard Manset,
Il voyage en solitaire, 1975 21
[ Réhabiliter le touriste ? ]
90 I NVITATION AU VOYAGE …
Il existe environ deux cents États souverains. On vit à peu
près trente mille jours. Si l’on considère l’existence sous un angle
5 mathématico-géographique, on devrait passer cent cinquante
jours dans chaque pays. Cinq mois ici, cinq mois là et ainsi de
suite jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Il faut se rendre à l’évidence. Je dois aller dans tous les pays
du monde. Je ne trouverai pas le repos dans l’immobilité. Je me
10 débrouillerai pour dénicher des ressources. Je mériterai mes kilo-
mètres. À nous deux, petite planète globalisée.
J’exige le respect pour mes rêves, aussi insensés puissent-ils
paraître. Un fantasme, ça ne se discute pas. Untel veut devenir
une star, un autre posséder un yacht ou coucher avec des sœurs
15 jumelles. Je veux simplement aller à Lusaka. Et à Thimbu. Et à
Valparaiso1. Certains veulent faire de leur vie une œuvre d’art, je
compte en faire un long voyage.
Je n’ai pas l’intention de me proclamer explorateur. Je ne veux
ni conquérir les sommets vertigineux, ni braver les déserts infer-
20 naux. Je ne suis pas si exigeant. Touriste, ça me suffit.
Le touriste traverse la vie, curieux et détendu, avec le soleil en
prime. Il prend le temps d’être futile. De s’adonner2 à des activités
non productives mais enrichissantes. Le monde est sa maison.
Chaque ville, une victoire.
25 Le touriste inspire le dédain3, j’en suis bien conscient. Ce
serait un être mou, au dilettantisme disgracieux4. C’est un cliché
qui résulte d’une honte de soi, car on est toujours le touriste de
quelqu’un. Rien n’empêche de concevoir le tourisme comme un
cours de géographie à l’échelle1, et la géographie comme le terreau
30 de toutes les sciences humaines. Sous les cartes, les hommes. La
dynamique du monde ne s’appréhende pas en restant dans un
fauteuil. Il faut que j’actionne mon mouvement perpétuel. Je ne
dois pas traîner, des civilisations s’écroulent au moment où j’écris
1.Lusaka, Thimbu et Valparaiso : 2.S’adonner : se livrer.
respectivement, capitales de la 3.Le dédain : le mépris.
Zambie, du Bhoutan et ville portuaire 4.Dilettantisme disgracieux :
du Chili. amateurisme maladroit.
DOC 22
NICOLAS BOUVIER
L’Usage du monde
(1963)
Alice Merton, No Roots, 2017
22
Dans son plus célèbre récit, L’Usage du monde, l’écrivain Nicolas Bouvier
(1929-1998) décrit le voyage qui, dans ses jeunes années, le conduisit de la
Yougoslavie jusqu’au Pakistan. Dans une après-guerre gagnée par la fièvre
touristique, Bouvier choisit de prendre le contre-pied des voyages organisés
en partant à l’aventure, en compagnie du dessinateur Thierry Vernet, dans
une rudimentaire Fiat Topolino.
Loin du tourisme industriel, Bouvier fait ici l’éloge d’un voyage « qui nous
fait », en se rendant disponible à ce qui arrive. Car pour Bouvier, « l’essentiel
est de partir ».
92 I NVITATION AU VOYAGE …
[ Du touriste au voyageur ]
DOC 23
SEAN PENN
Into the Wild (2007)
Nicolas Peyrac, Je pars, 1977
23
[ Voyager autrement ]
Dans son film Into the Wild sorti en 2007, le cinéaste américain Sean Penn
(né en 1960) met en scène l’histoire vraie d’un brillant étudiant américain,
Christopher McCandless. Promis à une très belle carrière, le jeune homme
décide pourtant de tout quitter pour se lancer dans un grand voyage en
solitaire qui le mènera jusqu’en Alaska CAHIER PHOTOS • p. VII .
Pour Sean Penn, voyager est une manière de résister aux contraintes de la
société de consommation.
1.Fichus : foulards placés sur la tête 2.Geais : espèce d’oiseaux.
en signe de deuil.
94 I NVITATION AU VOYAGE …
3 questions pour vous guider...
1. Décrivez les différentes composantes de l’affiche.
2. Pourquoi le personnage est-il assis sur le toit du bus ?
3. Quelle vision du voyage dévoile le slogan ? Comment le
comprenez-vous ?
DOC 24
MICHEL DE MONTAIGNE
« De la vanité », Essais, III
(1580-1595)
Mahmood, Baci dalla Tunisia, 2021
24
96 I NVITATION AU VOYAGE …
de mon appétit et parfois soulageât mon estomac. Quand j’ai
été ailleurs qu’en France et que, pour me faire courtoisie, on m’a
10 demandé si je voulais être servi à la française, je m’en suis moqué
et me suis toujours jeté aux tables les plus épaisses1 d’étrangers.
J’ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur2
de s’effaroucher des formes contraires aux leurs : il leur semble
être hors de leur élément quand ils sont hors de leur village. Où
15 qu’ils aillent, ils se tiennent à leurs façons et abominent les étran-
gères3. Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie, ils festoient
cette aventure : les voilà à se rallier et à se recoudre4 ensemble, à
condamner tant de mœurs barbares qu’ils voient. Pourquoi non
barbares, puisqu’elles ne sont françaises ? Encore sont-ce les
20 plus habiles qui les ont reconnues, pour en médire5. La plupart
ne prennent l’aller que pour le venir6. Ils voyagent couverts et
resserrés d’une prudence taciturne et incommunicable, se défen-
dant de la contagion d’un air inconnu.
Ce que je dis de ceux-là me ramentoit7, en chose semblable,
25 ce que j’ai parfois aperçu en aucuns de8 nos jeunes courtisans.
Ils ne tiennent qu’aux9 hommes de leur sorte, nous regardant
comme gens de l’autre monde, avec dédain ou pitié. Ôtez-leur les
entretiens des mystères de la cour, ils sont hors de leur gibier10,
aussi neufs pour nous et malhabiles comme nous sommes à eux.
30 On dit bien vrai qu’un honnête homme c’est un homme mêlé11.
Au rebours12, je pérégrine très saoul de nos façons13, non pour
chercher des Gascons en Sicile (j’en ai assez laissé au logis14) ; je
DOC 25
JEAN-JACQUES ROUSSEAU
Émile ou De l’éducation, livre V
(1762)
Pink Floyd, On the Run, 1973
25
98 I NVITATION AU VOYAGE …
[ Voyager pour exercer son esprit critique ]
DOC26
LUCIE AZEMA
Les femmes aussi sont du voyage
(2021)
Kendrick Lamar, Trip, 2010
26
Dans son essai Les Femmes aussi sont du voyage, la journaliste Lucie Azema
(née en 1989) remet en cause la vision masculiniste du voyage. Contrairement
aux idées reçues, le voyage n’est pas l’apanage des hommes car depuis l’An-
tiquité, les femmes partent explorer le monde. Mais leurs récits ont longtemps
été invisibilisés par la société patriarcale qui n’accepte pas que les femmes
puissent « circuler ». Elles ont dû ruser pour voyager.
Le voyage représente à ce titre, pour les femmes, un moyen de se libérer
du joug patriarcal.
DOC27
ARTHUR RIMBAUD
« Ma Bohème », Les Cahiers de Douai
(1870)
Bernard Lavilliers,
On the Road Again, 1988
27
[ L’échappée belle ]
Dans Easy Rider, son film culte sorti en 1969, le cinéaste américain Dennis
Hopper (1936-2010) raconte l’odyssée de deux jeunes motards, Billy et Wyatt,
qui décident de quitter leur vie à Los Angeles CAHIER PHOTOS • p. VIII . Les deux
hommes, après avoir vendu une grande quantité de drogue, entendent
profiter de leur argent en se rendant au carnaval de La Nouvelle-Orléans qui
les a toujours fait rêver.
Cependant, durant leur traversée des États-Unis à moto, Billy et Wyatt
rencontrent des hippies qui leur font découvrir leur communauté. Les mœurs
nouvelles de ces jeunes gens sans tabous font souffler sur eux un vent de
liberté qui les pousse à donner un autre sens à leur aventure. Les voilà bien
décidés à explorer de nouvelles manières d’être et de vivre, loin de l’argent
et de la société de consommation.
Le rendez-vous
Ouvrez un guide de voyage : vous y trouverez d’ordinaire un
petit lexique, mais ce lexique portera bizarrement sur des choses
ennuyeuses et inutiles : la douane, la poste, l’hôtel, le coiffeur, le
5 médecin, les prix. Cependant, qu’est-ce que voyager ? Rencontrer.
Le seul lexique important est celui du rendez-vous.
L’Empire des signes, © Éditions du Seuil, 2005,
première édition publiée par les Éditions d’Art Albert Skira en 1970
A. Repenser le tourisme
20Boy George, Runaway Train, 2018
Reprise d’un classique des années 1970, « Runaway Train », inter-
prété ici par Boy George, raconte l’odyssée d’un homme qui
embarque à Boston pour rejoindre la Californie. Loin des clichés
touristiques, le périple vise à l’émerveillement.
Sujets guidés
Fichesméthode
4 sujets blancs guidés
UJET
Voyager est-il un privilège de classe ?
S
Notée sur 40, la synthèse est l’une des deux parties de l’épreuve écrite de culture
générale et expression au BTS.
Cet exercice consiste à rapprocher et confronter un ensemble de 3 ou 4 docu-
ments (également appelé corpus) dans une synthèse rédigée, construite et objective
qui en fera apparaître les points de convergence et de divergence.
Le devoir doit se présenter sous la forme d’une composition, avec une introduc-
F
tion, un développement et une conclusion rédigés.
L’astuce Le piège !
Il est souvent utile d'adopter un plan Évitez absolument un plan énumératif qui
analytique exposant les causes, analyse un à un les documents sans proposer
les conséquences et les solutions aux de synthèse. Il faut toujours procéder à un
problèmes posés dans les documents. recoupement entre les différents documents.
Notée sur 20, l’écriture personnelle est l’une des deux parties de l’épreuve écrite
de culture générale et expression au BTS.
Cet exercice consiste à répondre de manière argumentée à une question relative
aux documents du dossier. La question invite le candidat à confronter les documents
proposés à l’étude pour la synthèse aux connaissances acquises durant l’année
scolaire sur le thème.
L’écriture personnelle réclame du candidat une prise de position claire et définie
sur la problématique qui sera développée sous la forme d’une composition française
de 80 à 100 lignes maximum. Elle doit comporter une introduction, un développe-
ment et une conclusion rédigés.
L’astuce Le piège !
Confrontez les idées et les exemples en Évitez de traiter le sujet comme une
les organisant de manière personnelle question réclamant une prise de position
pour aboutir à une réponse individuelle. subjective ! Vous devez donc impérative-
ment éviter les formules comme « selon
moi », « pour ma part », « personnellement »
ou « je pense que ».
Les textes d’idées sont des documents écrits qui n’appartiennent pas à la fiction
comme le roman ou le théâtre : essais sociologiques, dialogues philosophiques,
articles de presse, entretiens, documents de référence…
Ils constituent les documents les plus nombreux dans les corpus de synthèse. Les
idées qu’ils contiennent sont exprimées directement dans un discours informatif.
L’astuce Le piège !
L’astuce Le piège !
Étudiez les couleurs avec précision Ne vous contentez pas de décrire l’image !
en distinguant couleurs chaudes et Vous devez toujours chercher le message
couleurs froides. Cela vous permettra visuel en vous aidant le plus possible des
de cerner avec efficacité la visée de éléments verbaux présents dans l’image :
l’image. titre, légende, slogan, bulles de bande
dessinée notamment.
T
Articles
DOC 1 • LAROUSSE, Définitions des mots « Voyage »
ST N E M U C O D S EL
et « Aventure » 15
DOC 9 • RÉAU B., « Du “grand tour” à Sciences Po.,
le voyage des élites ? » 32
DOC 10 • BANCAUD D., « Histoire de congés : qu’ont fait
les salariés avec leurs premiers congés payésen 1936 ? » 47
DOC 11 • BARRIQUAND C., « Buffets à volonté, tables communes…
Comment le Club Med a révolutionné le tourisme » 51
DOC 15 • LA BONNARDIÈRE É., « Nousavonstrahilapromesse
duvoyage en confondant démocratisationetuniformisation » 60
DOC 17 • BALLIVY V., « Surtourisme : quand le touriste
n’est plus le bienvenu » 69
DOC 19 • FŒSSEL M., « Le touriste, seul étranger
désormaisdésirable ? » 74
DOC 20 • GUILLOU C., « Un autre tourisme est-il possible ? » 86
Visuels
CINÉ & CIE CHAPITRE 1 • MALICK T., Le Nouveau Monde 10
DOC 3 • GELLÉE C. DIT LE LORRAIN, Port de mer avec villa Médicis 18
PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 1, DOC 3, P. 18
I
Augustus Leopold Egg, Les Compagnes de voyage (1862)
PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 1, DOC 8, P. 31
II
Photo extraite du film L’Auberge espagnole (2002), de Cédric Klapisch
PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 2, DOC 12, P. 54
II I
Pizza Hut aux pyramides de Gizeh, Le Caire, Égypte, photo de Gary Cook
PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 2, DOC 14, P. 59
IV
Phuket, Thaïlande (2016), photo de Nutkamol Komolvanich
PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 2, DOC 18, P. 73
V
Photo extraite du film Sur la route (2012), de Walter Salles
PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 3, CINE&CIE, P. 82
VI
Affiche du film Into the Wild (2007), de Sean Penn
PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 3, DOC 23, P. 94
VI I
Photo extraite du film Easy Rider (1969), de Dennis Hopper
PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 3, DOC 28, P. 107
VIII
Affiche du film À bord du Darjeeling Limited (2007), de Wes Anderson
> PRÉSENTATION ET QUESTIONS • CHAPITRE 2, CINÉ & CIE, P. 42
Voyager est désormais une pratique à la portée du plus grand nombre.
Mais pourquoi voyageons-nous ? Pour découvrir d’autres contrées, nous enrichir
de nouvelles rencontres ? Le tourisme de masse nous montre que le voyage peut
aussi être pratiqué sans curiosité véritable, et au mépris des conséquences
écologiques et sociales. Comment réinventer l’art du voyage ?
Anderson • Azema • Barthes • Baudelaire • Blanc-Gras • Bouvier • Debureaux • Desireless • Egg • Hopper
Klapisch • Lavilliers • La Mothe Le Vayer • Le Lorrain • Lévi-Strauss • Malick • Manset • Montaigne • Penn
Peyrac • Rimbaud • Roche • Rousseau • Salles • Stendhal
t e a n t h o l o g i e ?
Qu e c o m p re n d c e t
des PHOTOS
et des études de FILMS une sélection
pour entrer dans le thème de DOCUMENTS
CIN associés
à un questionnement
des FICHES
DE MÉTHODE
pour bien maîtriser
l’épreuve écrite
du BTS de français des PLAYLISTS
commentées
dans chaque partie
des SUJE
BLANCS guid
pour s’entraîner
en vue de l’examen
e p é d a g o g i q ue
e t r o u ve z l e guid
R n s -h at ier.fr
t io
sur www.edi