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L’échec entrepreneurial : Essai d’explication par la

méthode des experts


Ahmed Abriane, Abdelkrim Aazzab
Dans Question(s) de management 2016/1 (n° 12), pages 75 à 81
Éditions EMS Editions
ISSN 2262-7030
DOI 10.3917/qdm.161.0075
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L’échec entrepreneurial :
Essai d’explication par la méthode des experts
The entrepreneurial failure:
an attempt at explanation by experts method

Ahmed ABRIANE, Abdelkrim AAZZAB

Résumé n n Summary

Plusieurs travaux et études ont focalisé le focus sur l’envi- Several studies have focused work and focus on the com-
ronnement concurrentiel (Hatch, 2000), sur la structure petitive environment (M. J. Hatch, 2000), on the organiza-
organisationnelle (Burns et Stalker, 1961) et sur l’environ- tional structure (T. Burns & C. M. Stalker, 1961) and on the
nement managérial (Conan et Hodler, 1979) de l’entreprise managerial environment (J. Conan & M. Hodler, 1979) of
pour analyser et expliquer l’échec entrepreneurial. Ainsi, the company to analyze and explaining the entrepreneurial
plusieurs méthodes explicatives, exploratoires et de modé- failure. Thus, several explanatory, exploratory and modeling
lisation sont employées afin d’avoir une vue plus large sur methods are used to develop a broader view of the issue in
la problématique en question. Cependant, devant l’absence question. However, given the absence of a unifying theory
d’une théorie unificatrice sur le processus et les causes about the process and the causes of entrepreneurial failure
de l’échec entrepreneurial (Saporta, 1994 ; Crutzen et Van (Saporta, 1994, Crutzen and Van Caillie, 2007), we believe
Caillie, 2007), nous estimons que la méthode d’analyse des that the expert method analysis represents the most effec-
opinions des experts représente l’outil le plus efficace pour tive tool for better understanding of this phenomenon.
une meilleure compréhension de ce phénomène. The objective of this work is to analyze the entrepreneur-
L’objectif de ce travail est d’analyser l’échec entrepreneu- ial failure in Morocco according to the vision of experts
rial selon la vision des experts en se basant sur des fac- based on qualitative factors resulting from the company’s
teurs, à caractère qualitatif, relevant de l’environnement management environment. Therefore, our investigative ap-
managérial de l’entreprise et de l’entrepreneur lui -même. proach is to analyze the entrepreneurial failure among a
De ce fait, notre démarche d’investigation consiste à ana- sample of experts using the Delphi method. This will allow
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lyser l’échec entrepreneurial auprès d’un échantillon d’ex- us to detect warning signs of entrepreneurial risks in order
perts à l’aide de la méthode Delphi. Cela nous permettra de to improve business efficiency and prevent their failure.
déceler les signaux annonciateurs des risques entrepreneu-
riaux afin d’améliorer l’efficacité des entreprises et éviter n Keywords: entrepreneurial failure, expert analysis,
leurs défaillances. Delphi method.

n Mots-clefs : échec entrepreneurial, analyse des


experts, méthode Delphi.

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L’ÉCHEC ENTREPRENEURIAL : ESSAI D’EXPLICATION PAR LA MÉTHODE DES EXPERTS

INTRODUCTION les jeunes entreprises restent très vulnérables et


peuvent être menacées par la défaillance. Ce
Le vocable « échec entrepreneurial » est polysé- résultat est confirmé par de nombreuses études
mique et polymorphe et reste encore floue dans telles que celle menée par l’INSEE2 et celle
le domaine de la recherche en entrepreneuriat. réalisée par l’observatoire des défaillances de
Cependant, des auteurs ont tenté de le contour- COFACE3 sur des données françaises. D’autres
ner en assimilant le risque d’échec entrepreneu- études montrent que l’échec entrepreneurial est
rial à la faillite, à l’insolvabilité et à la défaillance plus répondu dans les entreprises familiales, les
de l’entreprise (Zacharakis, Meyer et De Castro, entreprises non cotées et les sociétés dont la
1999 ; Thornhill et Amit, 2003). forme juridique prévoit une responsabilité des
En termes de facteurs explicatifs de l’échec associés limitée aux apports (Pastré, 1997).
entrepreneurial, l’environnement managérial Ainsi, les caractéristiques personnelles du chef
constituent un champ d’investigations empi- d’entreprise (statut, âge, niveau d’instruction,
riques assez riche. En effet, la compétence de expérience, antécédent, attitudes), celles de
l’équipe managériale, le niveau de la qualité et de l’entreprise elle-même ainsi que les pratiques de
la motivation sont autant de facteurs qui ont mis gestion jouent un rôle important dans l’explica-
la lumière sur la défaillance d’entreprises (Ooghe tion de l’échec entrepreneurial.
et Waeyeart, 2004 ; Ooghe et De Prijcker, 2006). Cependant, devant l’absence d’une théorie unifi-
Conan et Holder (1979) montrent, dans une catrice sur le processus et les causes de l’échec
étude réalisée en France1, que l’incompétence entrepreneurial (Saporta, 1994 ; Crutzen et Van
des dirigeants à un impact direct sur l’échec Caillie, 2007), nous estimons que la méthode
entrepreneurial. Cette incompétence peut s’ex- d’analyse des opinions des experts représente
pliquer, selon ces deux auteurs, par le vieillisse- l’outil efficace pour une meilleure compréhen-
ment du chef ou par la carence du pouvoir, par sion de ce phénomène.
Dans le cadre de ce travail, notre interroga-
la direction d’une personne inapte ou mal pré-
tion porte précisément sur la détermination
parée ou encore par l’incapacité du dirigeant à
des causes de l’échec entrepreneurial selon la
maîtriser les mutations de l’entreprise et de son
méthode d’analyse des opinions des experts,
environnement.
afin de déceler les signaux annonciateurs des
D’autres études, telles que celles réalisées
risques entrepreneuriaux pour améliorer l’effica-
sur des échantillons des PME (Kaplan, 1948;
cité des entreprises et éviter leurs défaillances.
Mayer et Golstein, 1961; March et Simon, 1964;
Nous répondrons donc à la question ainsi for-
Shenker, 1973), montrent que les variables per-
mulée : Quels sont les déterminants de l’échec
sonnelles traduisent les causes profondes du
entrepreneurial ? La méthode des experts ne
problème de l’échec entrepreneurial. Dans ce
permet-elle pas une bonne saisie de ces déter-
sens, Lamontagne et Thirion (2000) ont démon-
minants ?
tré que l’âge des dirigeants-créateurs ainsi que
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Nous avons formulé l’hypothèse suivante: Les
leurs aptitudes personnelles (Lalonde, 1985;
opinions des experts convergent quant aux dé-
Lalonde et D’amboise, 1985) sont des variables
terminants de l’échec entrepreneurial.
déterminantes dans la survie de l’entreprise.
Francoz et Bonneau (1995) aboutissent à la
1. Données et méthodologie
même conclusion et soulignent que le créateur
qui réussit le mieux est précisément âgé entre Pour infirmer ou confirmer cette hypothèse nous
40 à 49 ans. Fabre et Kerjosse (2006) confirment nous sommes basés sur la méthode Delphi qui
ce résultat pour les nouveaux entrepreneurs a pour but de rassembler des avis d’experts sur
ayant de 30 à 40 ans qui réussissent 1,5 fois un sujet précis et de mettre en évidence des
mieux que ceux ayant moins de 30 ans. convergences et des consensus en soumettant
L’âge des firmes est également un facteur impor-
2 Voir document n°16, juillet 2012,
tant de la défaillance d’entreprise (Barron, West (http://www.insee.fr/fr/insee_regions/guadeloupe/themes/
et Hannan, 1994). En effet, comme l’indique antiane_echos/aechos16/Aechos_16_ga.pdf)
l’étude statistique de Combier et Blazy (1997), 3 Voir les publications économiques de COFACE,
observatoire des créations et défaillances (2010), (http://
1 CONAN J. et M. HOLDER [1979], « Analyse des www.pharmaciens-cotedor.com/assets/files/Infos %20pro-
causes de faillite des PMI », Thèse d’Etat, Université fessionnelles/coface-observatoire-creations-defaillances.
Paris Dauphine, CEREG, cités par DAIGNE, 1986. pdf)

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Ahmed ABRIANE, Abdelkrim AAZZAB

ces experts à des vagues successives de ques- médiane de chaque réponse. Dans le cadre d’un
tionnements. Nous avons mené une enquête au- deuxième tour, nous leur avons demandé de
près des experts, nous entendons ici par expert fournir de nouvelles réponses au même ques-
les chercheurs et experts en management, les tionnaire en confirmant ou en modifiant leurs
commissaires aux comptes, les experts comp- premières notes, compte tenu cette fois ci de
tables et les juges commissaires chargés des l’avis des autres experts. Si l’expert modifie sa
difficultés d’entreprises auprès des tribunaux de position, nous avons demandé de commenter le
commerce. nouveau positionnement.
Les analyses de cette enquête sont réalisées
par la méthode Delphi qui représente une 2. Résultats
technique permettant de mesurer le degré de
2.1. Résultats descriptifs
consensus et de divergence entre opinions des
experts. Son but est d’atteindre un consensus Pour la première question relative aux causes de
ou un classement, au travers des itérations suc- défaillances les plus fréquentes où nous avions
cessives (Khosro, 2009 ; Vernette, 1994). Le demandé aux experts de classer, parmi 11
choix des experts est un élément indispensable causes possibles et par ordre d’importance de
qui conditionne la qualité des résultats (Adler et 1 à 5, les cinq premières causes les plus impor-
Ziglio, 1996; Bolger et Wright, 1994). Le niveau tantes, il est apparu que, pour le premier tour, la
d’expertise est fonction de l’expérience, de la mauvaise organisation de l’entreprise est la pre-
connaissance de l’objet étudié et d’un ensemble mière cause de la défaillance des entreprises.
de mesures à prendre en considération (Isaac, Cette modalité est observée 12 fois au premier
1996 ; Larréché et Montgomery, 1977). Comme rang, 16 fois au deuxième rang et 12 fois au troi-
nous n’avons pas au préalable ce type d’infor- sième rang. Elle représente un score4de 4 sur 15.
mations, notre sélection des experts est basée Ensuite viennent les problèmes sociaux internes
sur les recommandations de deux juges com- à l’entreprise avec un score de 2,4. La cause
missaires chargés des entreprises en difficultés classée en troisième lieu est les problèmes rela-
aux tribunaux de commerce de Marrakech et tifs à la réduction des activités de l’entreprise
d’Agadir. Le choix de 40 experts est limité par avec un score de 2,1 et en quatrième place la
le nombre réduit des experts qui se chargent suppression des concours bancaires et facilités
des entreprises en difficultés sur les villes de de caisse avec un score de 2.
Marrakech et d’Agadir. Pour le deuxième tour, après avoir communi-
Premièrement, nous avons formulé une liste de qué les résultats du premier tour aux experts,
questions relatives à la défaillance des entre- nous avions observé que la mauvaise organisa-
prises marocaines. Il s’agit de sept questions tion de l’entreprise reste la principale cause de
fermées dont une est ordonnée. Ces questions la défaillance des entreprises avec maintenant
sont présentées aux experts sous forme d’un un score plus élevé de 4,8 au lieu de 4 pour le
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questionnaire. Deuxièmement, après avoir col- premier tour. Ensuite, la réduction des activités
lecté les réponses auprès des 40 experts, nous se trouve maintenant à la deuxième place au
avons évalué le degré d’accord de ces derniers
sur les questions posées. Troisièmement, après 4 Le score ici est égal au rang moyen de la citation, il
est calculé par rapport à la somme des points attribués qui
avoir traité l’ensemble des réponses, nous est égale à 15, car il est demandé aux experts de donner
avons communiqué aux mêmes experts les ré- pour les cinq premières causes une note de 1 à 5, selon le
sultats du premier questionnaire en indiquant la degré d’importance, alors la somme des points est 15.

Tableau 1: Classement des causes de défaillance selon les experts entre les deux tours

Classement et Classement et
Causes
score () tour 1 score () tour 2
Mauvaise organisation de l’entreprise 1 (4) 1 (4,8)
Problèmes sociaux internes 2 (2,4) 3 (2,8)
Réduction des activités 3 (2,1) 2 (3,4)
Suppression des concours bancaires et des facilités de caisse 4 (2) 4 (2,1)

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L’ÉCHEC ENTREPRENEURIAL : ESSAI D’EXPLICATION PAR LA MÉTHODE DES EXPERTS

lieu de la troisième pour le premier tour avec un tion d’une convergence globale entre les deux
score de 3,4. La troisième place est occupée par tours en recourant au test (des rangs-signés) de
les problèmes sociaux internes avec 2,8 comme Wilcoxon.
score et la cause relative à la suppression des Les résultats des tests de premier tour de
concours bancaires et facilités de caisse garde Delphi montrent que cinq critères sur onze étu-
sa quatrième place avec un score de 2,1. diés présentent un faibles consensus (EAM>1)5.
D’une manière générale, nous pouvons Cependant, dans le deuxième tour, seuls trois
conclure, avec cette première question relative critères qui montrent un faible consensus entre
aux causes de défaillance les plus fréquentes, les experts. Pour valider ces résultats, nous pro-
que même si les experts ont changé leurs avis cédons au test de concordance de Kendall en
entre les deux tours, les quatre causes sur les- calculant le coefficient W. Le tableau 2 montre
quelles ils sont toujours d’accord sont en pre- les résultats obtenus dans les deux tours.
mier lieu la mauvaise organisation des entre- Le coefficient de Kendall pour le premier tour est
prises, suivie des problèmes sociaux internes, de 0,58. Cette valeur de W correspond, selon
ensuite la réduction des activités et enfin la sup- les critères de Schmidt (1997)6, à un niveau d’ac-
pression des concours bancaires et des facilités cord global modéré. Ce coefficient est significa-
de caisse. Ces quatre causes représentent en tif même au seuil de 1 %.
général 70 % d’importance dans le premier tour Pour le deuxième tour, la statistique de Kendall
et 87,33 % d’importance dans le deuxième tour. devient 0,62 au lieu de 0,58. Cela montre une
Pour les trois questions suivantes, qui sont fer- convergence des opinions des experts. Le
mées à choix unique, il paraît que les experts niveau d’accord reste toujours dans un niveau
sont presque d’accord sur les mêmes réponses global modéré avec un plus haut degré de signi-
pour les deux tours. En effet, ils affirment que ficativité.
l’âge du dirigeant, le nombre d’années d’expé- Maintenant, pour tester la significativité de la
rience dans le milieu professionnel, le niveau de convergence des réponses des experts entre
scolarité et la nature de la formation sont sou- les deux tours, nous avons entamé le test de
vent des critères déterminants de l’échec entre- Wilcoxon qui porte sur la distribution des écarts
preneurial. absolus moyens (EAM) sur tous les critères à
Pour les trois questions restantes, nous obser- l’issue des deux étapes. En cas de convergence
vons l’unanimité des réponses des experts sans des opinions, la distribution des EAM lors du deu-
changement d’avis entre les deux tours. En ef- xième tour (EAM2) devrait être strictement infé-
fet, les variables sexe, forme juridique et secteur rieure à celle des EAM du premier tour (EAM1).
d’activité, ne sont pas, selon eux, des critères Le tableau 3 présente les résultats obtenus :
fondamentaux de l’échec entrepreneurial. Les résultats montrent que la distribution des
EAM2 est inférieure à celle des EAM1 pour
2.2. Méthode Delphi cinq des onze critères étudiés alors qu’elle n’est
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Nous allons maintenant repérer les consensus 5 Un EAM (écart absolu moyen) inférieur ou
et les divergences des réponses entre les deux proche de 1 étant synonyme de consensus (Isaac,
1996; Vella et al., 2000; Zenou, 2004).
tours. Ensuite, mesurer le niveau de consen-
6 Le W de Kendall se situe entre 0 (pas d’accord) et 1
sus global en calculant le coefficient de concor- (accord total). Schmidt (1997) a dressé une table d’interpré-
dance de Kendall. Et enfin mesurer la construc- tation des coefficients de Kendall.

Tableau 2 : Test de concordance de Kendall pour les deux tours

Critères Premier tour Deuxième tour


N 40 40
W de Kendall 0,579 0,620
Khi-deux 231,651 255,147
Ddl 10 10
Signification asymptotique 0,000 (<1 %) 0,000 (<1 %)

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Ahmed ABRIANE, Abdelkrim AAZZAB

supérieure que seulement sur trois critères. pas des stratégies claires et des plans d’actions
Nous pouvons donc conclure qu’elle existe une opérationnels. Par exemple, une entreprise sans
convergence significative des réponses entre plan de marchéage et sans portefeuille diversifié
les deux étapes du Delphi. Aussi, la statistique en termes des clients et des fournisseurs peut
de Wilcoxon est de Z = - 0,280 et la p-valeur vivre sans doute une baisse des activités. Et
du test est de 0,0777. Ainsi la distribution des face à la lourdeur des charges fixes, l’entreprise
EAM au deuxième tour est inférieure à celle du est appelée un jour à arrêter complètement ses
premier tour (EAM2 < EAM1), ce qui signifie la activités et donc à disparaître.
convergence des réponses des experts entre La quatrième cause de la défaillance est la sup-
les deux phases de Delphi. pression des concours bancaires et des facilités
de caisse. En effet, les entreprises ne peuvent
3. Analyse des résultats fonctionner sans concours bancaires, découverts
ou facilités de caisse. Cependant, un besoin per-
L’analyse Delphi montre que les experts sont
manent de ce type de crédit est un symptôme
parfaitement d’accord sur la mauvaise organisa-
de la mauvaise gestion de la trésorerie. Pour la
tion des entreprises comme la principale cause
plupart des PME, le banquier est incapable de
de l’échec entrepreneurial. Selon les arguments
mesurer le vrai risque, en examinant la capacité
avancés par eux, la mauvaise organisation en-
financière de remboursement de l’emprunteur,
globe à la fois la rigidité d’une direction quali-
à cause des falsifications et des manipulations
fiée d’autocratique, l’accumulation des erreurs
comptables. Alors, suite à cette situation, il peut
suite à un niveau faible d’instruction et à l’inex-
demander plus de garantie ou refuser d’octroyer
périence, la prise des décisions risquées suite
des crédits. Un besoin accru de liquidité face à
à l’incompétence des chefs, le faible niveau de
un refus de crédit oblige l’entreprise d’arrêter
communication interne et externe et l’absence
ses activités.
des objectifs claires.
En ce qui concerne l’âge du dirigeant comme cri-
Viennent ensuite les problèmes sociaux in-
tère déterminant de la défaillance d’entreprise,
ternes. Ces problèmes sont dus principalement
les experts confirment que certes les entre-
aux conflits entre les partenaires, aux conflits
prises dirigées par les jeunes sont souvent les
entre les dirigeants et aux conflits famille-entre-
plus exposées à l’échec. Selon eux, l’âge est un
prise dans les entreprises familiales.
facteur révélateur d’expérience. Cependant, il
La réduction des activités constitue, selon les
est judicieux d’analyser ce critère indépendam-
experts, la troisième cause. Ce problème, selon
ment des autres critères tels que le niveau d’ins-
eux, peut être généralement causé par la conjonc-
truction et le niveau de compétence.
ture économique. C’est l’effet d’une variable
Aussi, le nombre d’années d’expérience dans le
externe comme le cas d’une crise économique.
milieu professionnel ainsi que le critère relatif au
Cependant, la plupart des entreprises, suite à
niveau de scolarité et à la nature de la formation
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leurs faibles tailles, sont incapables d’affronter
suivie par les dirigeants sont des variables déter-
la concurrence. C’est la principale cause de la
minantes de l’échec entrepreneurial. En effet,
baisse des activités. En effet, les entreprises
les experts montrent que les jeunes entreprises
les plus touchées sont celles qui n’adoptent
gérées par un chef d’entreprise sans expérience
7 Test bilatéral, donc on compare 0,077/2=0,038 avec et à niveau faible d’instruction, ont plus de pro-
le seuil d’erreur de 5 %. babilité que les autres de devenir défaillantes.

Tableau 3 : Test de Wilcoxon – convergence des réponses entre les 2 phases du Delphi

N Rang moyen Somme des rangs


EAM2 – EAM1 Rangs négatifs 5 a
4,00 20,00
Rangs positifs 3 b
5,33 16,00
Ex aequo 3 c

Total 11
a. EAM2 < EAM1 ; b. EAM2 > EAM1; c. EAM2 = EAM1

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L’ÉCHEC ENTREPRENEURIAL : ESSAI D’EXPLICATION PAR LA MÉTHODE DES EXPERTS

Néanmoins, il est très difficile de confirmer que BIBLIOGRAPHIES


les entreprises dirigées par les femmes ont plus
de possibilité de disparaître. En effet, il faut L. Zacharakis, G. D. Meyer et J. De Castro (1999),
comparer le taux de défaillance des entreprises « Differing perceptions of new venture failure: a
gérées par les femmes à celui des entreprises matched exploratory study of venture capitalists and
gérées par les hommes. Ce qui paraît difficile à entrepreneurs ». Journal of Small Business Manage-
cause de l’absence des statistiques suivant l’ap- ment, vol.37.
proche genre, principalement celles relatives à la
Mucchielli (1991), « Les méthodes qualitatives »,
défaillance. Idem pour le critère relatif à la forme
Paris, PUF Que sais-je ?
juridique et au secteur d’activité. Car, il faut com-
parer les taux de défaillances pour en tirer des B. Saporta (1994), « La création d’entreprises:
conclusions. enjeux et perspectives ». Revue française de gestion,
n°101, pp.47-86
C. Lalonde et G. D’Amboise (1985), « Le proprié-
CONCLUSION taire-dirigeant failli: les éléments d’un profil », Revue
PMO, 1, pp. 5-11.
L’objectif de notre étude consiste à identifier les E. G. Flamholtz et Z. Aksehirli (2000), « Organi-
facteurs explicatifs de l’échec entrepreneurial zational Success and Failure: An Empirical Test of a
selon les avis des experts opérant dans les villes Holistic Model ». European Management Journal,
de Marrakech et Agadir. Cela Nous a permis de 18(5), 488–498.
déceler les signaux annonciateurs des risques E. Lamontagne et B. Thirion (2000), « Les facteurs
entrepreneuriaux afin d’améliorer l’efficacité des de survie, les qualités du projet priment sur celles du
entreprises et éviter leurs défaillances. créateur ». Insee Première, n°703.
L’analyse Delphi montre que les opinions des E. Vernette (1994), « La méthode Delphi : une aide
experts convergent quant aux facteurs déter- à la prévision marketing », Décisions Marketing, n° 1,
minants de l’échec entrepreneurial. En effets, janvier-avril, 97-101.
d’après les experts de notre échantillon, les prin- G. Bertrand, (2010), « Facteurs de survie des
cipales causes de l’échec entrepreneurial son en jeunes entreprises en France : une approche intersec-
premier lieu la mauvaise organisation des entre- torielle ». Doctorat en Sciences de Gestion, Univer-
prises, suivie des problèmes sociaux internes, sité Montpellier 1, 357p.
ensuite la réduction des activités et enfin la sup- H. Linstone et M. Turoff (1975), «The Delphi
pression des concours bancaires et des facilités Method: Techniques and Applications», Addison-
de caisse. Wesley, Reading, Mass, p.291-321.
Aussi, les experts consultés affirment que l’âge
H.Ooghe et N. Waeyaert (2004), « Oorzaken van
du dirigeant, le nombre d’années d’expérience
faling en falingspaden: Literatuuroverzicht en concep-
dans le milieu professionnel, le niveau de sco-
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tueel verklarings model », Economisch en Sociaal Tijd-
larité et la nature de la formation sont souvent schrift, Vol. 57, n°4, pp. 367-393.
des critères déterminants de l’échec entrepre-
neurial. J. C. Larréchéet D. B. Montgomery (1977), « A
framework for the comparison of marketing models:
En fin, nous observons que les experts son una-
a delphi study», Journal of Marketing Research, 14,
nimes et considèrent que les variables sexe,
4, 487-498.
forme juridique et secteur d’activité ne sont pas
des critères fondamentaux de l’échec entrepre- J. Conan et M. Holder (1979), « Analyse des
neurial. Causes de faillite des P.M.I. ». In daigne (1984), «Dy-
Cependant, cette étude présente des limites. namique de redressement d’entreprises». Edition des
En effet, même si les opinions des experts Organisation, 1984.
convergent, le niveau du consensus reste J. G. March et H.A. Simon (1964), « Les Organi-
modéré. Aussi, les experts sont choisis dans sations: Problems Psycho-sociologiques ». French
les régions de Marrakech et d’Agadir, donc les translation of the book Organizations. J.C. Rouchy,
résultats de cette étude ne pourraient pas être trans. Paris: Dunod.
transférables à d’autres régions. Enfin le nombre K. B. Mayer et S. Goldstein (1961), « The First Two
très réduit des experts de notre échantillon re- Years: Problems of Small Firm, Growth and Survival ».
présente aussi une limite de ce travail. Small Business Administration, pp. 117-133.

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Ahmed ABRIANE, Abdelkrim AAZZAB

L. Lelogeais (2004), « Le rôle des variables quali- O. Pastré (1997), «Gouvernement d’entreprise : la
tatives dans la détection précoce du risque de défail- fin de l’exception française », in A. Pezard, J.M. Thi-
lance ». 13e conférence de l’Association Internatio- veaud (Éds), Corporate governance : les perspectives
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© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°12 / Juin 2016 / 81

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