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Abdelkrim AAZZAB & Mimoun BENZAOUAGH Vol5 N°2

Abdelkrim AAZZAB Mimoun BENZAOUAGH


Doctorant en sciences économiques Enseignant chercheur
FSJES - Marrakech EST - Agadir
a.aazzab@gmail.com m.benzaouagh@uiz.ac.ma
DÉFAILLANCE D’ENTREPRISES : UNE REVUE DE LITTÉRATURE
THÉORIQUE ET EMPIRIQUE
Résumé : La défaillance des entreprises est un concept polysémique, polymorphe, dynamique,
transversal et difficile à contourner. Depuis la crise de 1929, la problématique de la défaillance
est devenue un champ d’investigation et de recherche à part entière (Fitzpatrick, 1932). Ainsi, ce
phénomène a été analysé de différentes manières et par différentes disciplines (Guilhot, 2000).
Après avoir défini ce concept ainsi que l’ensemble des notions qui lui sont liés, l’objectif de cet
article est de présenter une revue de littérature théorique et empirique découlant des analyses
selon les approches juridiques, économiques, financières et des gestionnaires. En effet, pour
l’analyse théorique, nous commençons d’abord par l’histoire de la faillite depuis les civilisations
de la préhistoire jusqu’à la naissance du droit des affaires et du code de commerce en passant
par l’empire grecque et romain, la France médiévale et la civilisation islamique. Ensuite, nous
traitons les aspects économiques de la défaillance d’entreprises en présentant les théories
classiques, les théories néoclassiques et les nouvelles théories de la firme. Après, nous
aborderons l’analyse de la défaillance d’entreprises selon les approches financières en discutant
le volet structure du capital et valeur de la firme ainsi que la défaillance des entreprises par
défaut d’investissement. Enfin, nous discuterons la défaillance des entreprises selon la vision des
gestionnaires en traitant les volets stratégiques, managériaux et organisationnels. Et, pour les
analyses empiriques, nous présentons les différentes contributions des travaux ayant cherché de
valider empiriquement la relation entre la défaillance des entreprises et différents facteurs
explicatifs possibles.
Mots clé : défaillance d’entreprises, revue littérature théorique, revue littérature empirique
Summary : Corporate failure is a polysemic, polymorphous, dynamic and a transversal concept
that is difficult to circumvent. Since the crisis of 1929, the problem of failure has become a field
of investigation and research in its own right (Fitzpatrick, 1932). Thus, this phenomenon has
been analyzed in different ways and by different disciplines (Guilhot, 2000). After defining this
concept and the set of concepts related to it, the purpose of this article is to present a review of
the theoretical and empirical literature resulting from analyzes according to the legal, economic,
financial and managerial approaches. Indeed, for the theoretical analysis we begin with the
history of bankruptcy from the civilizations of prehistory to the birth of business law and the
code of commerce through the Greek and Roman empire , Medieval France and the Islamic
civilization. Then, we deal with the economic aspects of business failure by presenting classical
theories, neoclassical theories and new theories of the firm. Next, we will discuss the business
failure analysis using financial approaches by discussing the structure of capital and firm value
as well as the failure of firms by default of investment. Finally, we will discuss business failure
according to the managers' vision by addressing the strategic, managerial and organizational
aspects. And for the empirical analyzes, we present the different contributions of the works that
have sought to validate empirically the relationship between the failure of firms and various
possible explanatory factors.
Key words: business failure, theoretical literature review, empirical literature review

Défaillance d’entreprises : Une revue de literature théorique et empirique 158


Abdelkrim AAZZAB & Mimoun BENZAOUAGH Vol5 N°2

INTRODUCTION

La notion d’entreprise défaillante peut s’avérer complexe et dynamique ainsi qu’il est
difficile à cerner en raison des divers modes d'analyse. Dans sa dimension juridique, elle
peut être définie comme celle qui est engagée dans une procédure de redressement ou
de liquidation judiciaire. Dans sa conception économique plus large, c’est une entreprise
qui n'arrive plus à écouler normalement ses stocks, accumulant ainsi les déficits et
devenant non rentable, ce qui implique une valeur ajoutée négative (GRESSE, 1994).
Selon la vision financière, c’est la situation où l’entreprise se trouve en difficulté
d’honorer ses engagements financiers.

Les explications de la défaillance d’entreprises ont fait l’objet de nombreux travaux


empiriques. Il s’agit principalement de déterminer les facteurs qui distinguent au mieux
les entreprises défaillantes et les entreprises non défaillantes. D’autre travaux
soulignent l’impact des variables macroéconomiques telles que la variation de la
demande ou du PIB, le niveau de la concurrence, le taux d'intérêt ou encore le
rationnement de crédits (Altman, 1993 ; CEPME, 1986 ; Combier et Blazy, 1998).
L'évolution des défaillances d'entreprises peut être également expliquée par les
créations intervenues aux périodes précédentes et donc par un facteur démographique1.

Cet article propose une revue de littérature théorique et empirique de la défaillance des
entreprises. Nous nous intéresserons tout d’abord à l’exploration des différentes notions
liées à ce terme, qualifié de polysémique, et à la présentation de l’histoire de la faillite en
avançant les premières littératures ayant traité la question de la faillite depuis la
civilisation babylonienne jusqu’au début du XIXème siècle. Ensuite, nous nous
consacrerons aux approches théoriques de la défaillance des entreprises en avançant les
aspects économiques, les aspects financiers et les analyses traitées par les gestionnaires.
Enfin, nous avancerons les travaux empiriques des différentes études menées par les
économistes, par les financiers et par les gestionnaires en évoquant les différents
résultats.

1 LA DEFAILLANCE : DEFINITIONS ET HISTOIRE


1.1 LA DEFAILLANCE UNE NOTION POLYSEMIQUE ET POLYMORPHE

Dans l’étymologie latine, le terme « faillite » fallere (induire en erreur), qui vient plus
près de l’italien failita, a été introduit en France au début du XIVème siècle pour donner
l’expression « faire faille à » (manquer à)2. Depuis 1985, la notion de « faillite »
disparaissait du langage juridique français au profit du concept de « défaillance » qui
n’étant plus aujourd’hui une procédure collective. La défaillance serait un terme
approprié pour désigner la situation de cessation des paiements lorsque l’entreprise ne

1
BONNET J. et RENOU-MAISSANT P. [2000], « La régulation macro-économique et sectorielle de la
démographie d’entreprises », Économie et Prévision, 145(4), p.19-40.
2
DESURVIRE D. [1992], « Histoire de la banqueroute et faillite contemporaine », l’Harmattan, p.11.

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peut plus faire face à son passif exigible à l’aide de son actif disponible (Crucifix et Derni,
1993).

D’autres substantifs viennent s’ajouter au langage ; comme banca rotta au XVème siècle
pour exprimer la banqueroute des banquiers ou encore « déconfiture », qui remonte à la
fin du XIIème siècle (decoquere) pour exprimer la déception.

La notion de banqueroute, « bankruptcy » en anglais, désignait les procédures collectives


en droit anglo-saxon. Cependant, en droit français, elle caractérisait des sanctionnes
pénales d’un comportement fautif qui ne peuvent être enlevées par le paiement de la
dette.

En dernier lieu, vient la notion de « l’entreprise en difficulté ». Cette notion couvre une
dimension juridique (procédure de redressement judiciaire), une dimension
économique (valeur ajoutée négative) et une dimension financière (difficulté d’honorer
les engagements financiers).

Une entreprise peut être en difficulté sans nécessairement être insolvable ou en faillite
(Ménard, 1994). Ainsi, Domens (2007) affirme la distinction entre défaillance et
difficulté pour deux raisons. La première réside dans le fait que la procédure collective
ne concerne pas toutes les entreprises en difficultés. Tandis que la deuxième raison
évoque la défaillance comme étant le résultat d’un type précis de difficultés.

1.2 HISTOIRE DE LA FAILLITE

Les premières littératures ayant traité la question de la faillite remonte à la préhistoire


de la dette. En effet, le fameux Code de Hammourabi traitait le débiteur incapable
d’honorer ses dettes qui perd ses droits de citoyenneté et devient un esclave. Aussi, les
pharaons, Sésostris et Bocchris, ont réduit les sévices carcéraux infligés aux débiteurs
insolvables et donc le corps pour dettes civiles n'est plus une obligation. De même,
Solon à Athènes avait renouvelé cette loi3 à travers l’abolissement des dettes. Platon
quant à sa part, dans son Livre VIII des Lois, ne permet pas d’emprunter et de recourir à
une source étrangère qu'après avoir examiné toutes ses ressources pour pouvoir
satisfaire ses besoins.

L’empire grec était caractérisé par une justice sauvage et arbitraire où le débiteur failli
se trouve déchu de ses droits de citoyenneté mais aussi par l’abandon de sa famille. De
même, chez l’empire romain où la loi se caractérisait par l’atrocité, toute défaillance au
paiement de la dette constituait un crime contre la société et porte atteinte à la dignité
de citoyen. Cependant, avec la montée du christianisme à la France Médiévale, la notion
de fraude était explicitement attachée à la défaillance et la fuite du débiteur devient
l’indice de la faillite. Ainsi, l’intervention de l’Etat devenait une nécessité pour se
prémunir contre le risque des faillis.

3
Plutarque, au traité : Qu'il ne faut pas emprunter à usure.

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La civilisation islamique quant à elle considérait l’insolvabilité comme source de faillite.


Le riba (l’intérêt qui signifie également l’usure), Al Gharar (qui signifie la tromperie et
qui porte également sur les activités qui ont un élément d'incertitude, d'ambiguïté ou de
déception) ainsi que certains systèmes de fonctionnement des marchés comme le
monopole (Al Ihtikar), sont les principales causes directes de l’insolvabilité.

Durant l’ère de la transition de la société, plusieurs doctrines se sont instaurées autour


de l’exigibilité de la dette. La faillite devenait une question spéciale réservée aux classes
marchandes. La faillite se distinguait de la déconfiture pour bien séparer entre le
commerçant et le particulier. Au XVIIème siècle, avec la naissance du droit des affaires et
du code de commerce, la doctrine la plus marquante est celle qui a permis au législateur
de distinguer entre le failli malchanceux victime de force majeur due à l’imprévisibilité
de la nature, et le failli frauduleux question de tromperie ou de dol. Le nouveau code de
commerce de 1807, qui s’appliquait à tous ceux qui exercent des actes de commerce et
en font leur profession habituelle, venait pour régler les difficultés des commerçants.

2 APPROCHES THEORIQUES DE LA DEFAILLANCE D’ENTREPRISES


2.1 ASPECTS ECONOMIQUES DE LA DEFAILLANCE DES ENTREPRISES

2.1.1 THEORIES CLASSIQUES


Selon les théories classiques, la faillite d’entreprises peut être expliquée par deux volets :
par la sanction naturelle des agents défaillants et par la ruine des petits capitalistes par
les gros.

Pour le premier volet, Richard Cantillon (1755), en considérant les entrepreneurs


comme des « gens à gages incertains », affirme que la défaillance des entrepreneurs peut
être expliquée par des profits faibles dus au phénomène d’incertitude et à la
concurrence intensive. Ainsi, la faillite est un facteur de régulation de la mobilité sociale
qui garantit des mouvements permanents de rééquilibrage. Par sanctionne naturelle, la
faillite élimine les preneurs de trop grands risques. Néanmoins, pour Adam Smith
(1776), la prévention psychologique de l’échec conduit les entrepreneurs à prendre
conscience et analyser leurs situations pour bien évaluer le risque. La faillite ne
concerne donc finalement que les agents irrationnels considérés comme partie
marginale. Or, pour Jeremy Bentham (1787), la faillite de l’innovateur, appelé « faiseur
de projets », dépend du degré d’aversion au risque calculé au sens de l’utilité espérée
lorsque les espérances mathématiques de gain sont égales.

Pour Jean-Baptiste Say (1803), le risque de la faillite dépend de deux valeurs : la valeur
personnelle de l’entrepreneur où la faillite est le résultat de l’action d’un homme
incapable et négligent, et la valeur sectorielle où une mauvaise allocation du capital
conduit à la surproduction.

Pour le deuxième volet, la faillite est un moyen de disparition du capital qui permet de
reprendre l’accumulation du capital quand celle-ci était ralentie ou stoppée du fait des

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taux faibles de profit. En effet, selon Sismondi (1819), le capitalisme entraîne la


disparition des petits producteurs car les plus puissants investissent de plus en plus de
capitaux dans les inventions et dans les nouveaux procédés. Les petits capitalistes
n’ayant pas la capacité de suivre la tendance finissent alors par défaillir. Le capitalisme
élimine donc ses petits capitalistes.

Pour Karl Marx (1867), l’analyse de la faillite trouve ses explications dans la théorie
marxiste des crises par la destruction du capital lorsque les moyens de production
perdent leur valeur d’usage et leur valeur d’échange, et par la centralisation des capitaux
due à l’élimination des petits capitalistes et à l'expropriation des derniers survivants de
la production directe.

En analysant les crises de 1847 et de 1857, Marx et Engels, insistent sur le rôle des
faillites en chaîne qui favorisent la transmission de la crise de la sphère financière à la
sphère industrielle ensuite à la sphère commerciale4. Cette théorie était affinée par
Rudolph Hilferding (1910) sur le plan financier5 et par Eugène Varga (1976) pour le
capitalisme monopoliste.

Selon Mascret (1871), il est préjudiciable d’associer la faillite à une cause unique6. Pour
cet auteur, la conjoncture politique explique en majeure partie l’évolution des faillites
entre 1828 et 1872.

Pour Joseph Alois Schumpeter (1928), l’analyse de la faillite peut être abordée selon
l’idée de l’innovation. En effet, en position de monopole, l’innovation avec succès permet
de créer une valeur supérieure pour un niveau de dépense donné. Cependant, l’imitation
conduit à la disparition de la rente de monopole de l'innovateur. Cette situation ne
pourrait être dépassée que par d'autres vagues d'innovations. D’où l’idée de la
destruction créatrice où les entreprises nouvelles, fondées sur des innovations, se
substituent à des entreprises vieillies et routinières.

Selon John Stuart Mill (1861), l’origine des faillites doit être cherchée dans le
développement des spéculations et dans les erreurs d’anticipation des prix. Les faillites
ont pour fonction économique de détecter les affaires non rentables et d’aider, par là,
aux transferts des capitaux à moindre perte.

2.1.2 THEORIES NEO-CLASSIQUES


La théorie néo-classique standard de la firme adopte une approche en termes de « boite
noire ». En effet la firme néo-classique est associée à la production et constitue la base
des théories de l’équilibre économique global. Ainsi, la maximisation de profit sous des
contraintes constitue, selon l’analyse marginale, l’objectif principal de l’entrepreneur qui
agit avec une rationalité complète.

4
MARX K. et ENGELS F. [1978], « La crise (recueil de textes) », Paris, p. 169
5
HILFERDING R. [1910], « Le capital financier », trad. frse Paris.
6
MASCRET H. F. [1871], « Tableau synoptique des faillites », dans Dictionnaire des faillites pour année, Paris.

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La rationalité et la sélection naturelle des entreprises sous-optimales, les théories des


cycles et des crises, les théories de l’équilibre, l’économie industrielle et les fondements
modernes de la défaillance d’entreprises sont les cinq volets explicatifs de la défaillance.

En effet, pour le premier volet, l’entreprise a souvent été associée au monde biologique
et organique. Elle passe par les phases de naissance, de vie et de mort. Ce cycle de vie
est un héritage scientifique de la théorie de l’évolution des espèces et de la sélection
naturelle de Darwin.

Selon Alfred Marshall (1890), les explications proposées des faillites d’entreprises
conduisaient à distinguer deux catégories de risques auxquelles est confronté
l’entrepreneur : les risques personnels ou entrepreneurials et les risques commerciaux7
ou sectoriels.

Selon Alchian (1950) et Friedman (1953), en abandonnant l’idée de maximisation du


profit, l’entrepreneur qui aurait la chance d’avoir un résultat proche de l’objectif
prédéfini aurait plus de chance de survivre.

Pour le deuxième volet, la crise c’est la pierre de touche qui permet de reconnaître la
solidité de l’entreprise (Juglar, 1862). C’est la deuxième phase d’un cycle d’affaire qui
commence par l’expansion et se termine par la liquidation. Durant la période des crises,
les entreprises se retrouvent avec des capitaux sans rentabilité et des excès de stocks.
Aussi, le surinvestissement de spéculation et le manque de réserves financières sont
deux causes majeures qui attirent l’attention sur la violence des crises et sur les erreurs
de gestion commises par les firmes et qui sont souvent mortelles (Juglar, 1862).

Cette thèse est contestée par Jean-Clément Martin8 qui affirme qu’il n’y a pas de lien
impératif entre faillite et faute professionnelle. De plus, pour spécifier l’erreur de
gestion, il ne s’agit pas de retenir les statistiques de faillites pour lesquelles la bonne foi
est à priori admise mais plutôt celles de banqueroutes où la fraude est condamnée.

Kondratieff (1931) matérialise deux phases distinctes du cycle : une phase ascendante
marquée par un excès d’investissement et une hausse des prix et des taux d'intérêt, et
une phase descendante, caractérisée par un déclin de l’activité économique, où les
récessions augmentent la probabilité de faillite des entreprises.

Pour le troisième volet, pour Pareto (1896) la situation optimale est lorsqu’il est
impossible d'augmenter la production d'un bien économique quelconque sans diminuer
celle d'au moins un autre bien. Tout état de déséquilibre a pour conséquence la faillite
des entreprises. Cependant, l'équilibre général dépend de la forme de la fonction de
production. S’elle est à rendements d'échelle décroissants, l’entrepreneur est censé fixer
le prix, en libre concurrence, au niveau du coût marginal. Or, lorsque les rendements
7
RAINELLI, M. [1983] « Entrepreneur et profits dans les ' Principes ' de John Stuart Mill et d'Alfred
Marshall », Revue Économique, vol. 34, n° 4.
8
MARTIN J.-Cl., « Commerce et commerçants de Niort et des Deux-Sèvres aux XVIIIe et XIXe siècles d’après
les dossiers de faillites », Paris, thèse de 1977, p. 287.

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sont croissants, le coût marginal est toujours inférieur au coût moyen et donc fixer le
prix au coût marginal conduirait l'entreprise à la faillite.

Cependant, le cadre d'analyse micro-économique et statique9, qui présume l’existence


d’un seul optimum, représente les limites de l’idée de Pareto. En effet, il n'existe pas un
seul optimum au sens de Pareto mais plusieurs et le choix entre eux semble difficile.

Pour Walras (1988), l’équilibre général est atteint si, grâce aux prix relatifs, l’offre égale
à la demande sur tous les marchés. Ainsi, dans une économie de concurrence parfaite, le
système de production implique le plein emploi des facteurs de production. Il ne peut
donc y avoir ni chômage, ni surproduction, ni crise. L’entrepreneur n’a de rôle qu’en
situation de déséquilibre puisqu’il disparaît lorsqu’il ne réalise ni perte ni profit.

Pour le quatrième volet, la défaillance d’entreprises peut être expliquée, selon


l'économie industrielle, par le paradigme Structure-Comportement-Performance. Ce
paradigme a été initié par Mason (1939) et formalisée par Bain (1956, 1959). Il permet
de comprendre pourquoi certaines entreprises réussissent mieux que d’autres. En effet,
la structure du marché influence les comportements des firmes et par un lien de
causalité déterminent leur performances.

Pour le cinquième volet, Les fondements modernes de la défaillance d’entreprise portent


sur la consommation, la capitalisation, la masse monétaire, le taux d’intérêt et le
décalage entre la production et la demande. Keynes (1937), affirme que, contrairement à
la loi des débouchés de Say, les crises de surproduction sont possibles. En effet, si les
prix sont rigides pour que l'offre ne puisse s'ajuster à la demande, alors, la hausse des
prix génère une surproduction et la baisse des prix pouvant impliquer des faillites.

Pour Keynes, la demande anticipée, nommée « demande effective », est le facteur majeur
qui détermine le niveau de l’emploi. Tout le système repose donc sur les anticipations de
la demande globale. Si elles sont pessimistes, la chute continue des prix, due à la
surproduction, conduit les entreprises à limiter leur production et en conséquence
cessent d'investir, le niveau de l’emploi devient faible, le pouvoir d'achat des ménages
est atteint, ainsi, l'attentisme des consommateurs, reportent à plus tard leur
consommation. Alors, la sous-consommation et une spirale déflationniste conduisent
des entreprises à la faillite.

Le taux d’intérêt est exprimé comme une variable réelle. Il dépend de l’offre et de la
demande de la monnaie. Lorsque les agents demandent de plus en plus de monnaie (la
préférence pour la liquidité), le taux d’intérêt va augmenter et dépasser l’efficacité
marginale du capital. Cela provoque une paralysie des investissements et conduit des
entreprises à la faillite.

9
PARIENTE G. [1968], « La recherche de l'optimum économique ». In: Revue économique. Volume 19, n°5,
pp. 874-893.

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Samuelson (1939) a approfondi l’analyse de Keynes à travers la présentation d’un


modèle appelé « l'oscillateur de Samuelson ». Ce modèle a été perfectionné par John
Hicks en 1950. Il s’agit d’une dynamisation du modèle keynésien, en introduisant un
décalage d’une période dans la fonction de consommation keynésienne. En effet, compte
tenu du fait que toute la demande est satisfaite, des contraintes mettent un terme au
processus d’investissement. Alors, l’arrêt de la production a un effet négatif sur la
demande (effet multiplicateur en sens inverse), qui va, à son tour, entrainer un report ou
une annulation des décisions d’investissement des entreprises. Ce phénomène cumulatif
provoque une récession qui risque la vie des entreprises.

2.1.3 LES NOUVELLES THEORIES DE LA FIRME


Les entreprises se distinguent des marchés par leur capacité à internaliser certaines
transactions et à les réaliser à un coût moindre que si elles avaient dû se dérouler sur les
marchés. L’analyse de la défaillance des entreprises peut être perçue sous cet angle
selon les approches contractuelles de la firme.

En discutant les deux questions avancées par Ronald Coase (1937), à savoir pourquoi la
firme existe-elle ? Et quelle est sa nature ? La firme est considérée comme une réponse
aux insuffisances du marché, car elle constitue un mode de coordination économique
alternatif qui permet de réduire d’une part le coût relatif à la détermination des prix
adéquats, c'est-à-dire le prix d’équilibre, et d’autre part les coûts de négociation et de
conclusion des contrats appelés par la suite coûts de transaction.

Williamson (1979) a prolongé l’analyse des coûts de transaction. Il va essayer de


développer les différents facteurs qui vont permettre ď arbitrer entre marché et firme.
C'est-à-dire, soit internaliser les transactions lorsque la coordination par le marché
entraine des coûts supérieurs à ceux dus à la coordination hiérarchique, soit externaliser
les transactions lorsque le contraire est juste. Alors, plus l’entreprise maitrise ses coûts
de transaction, plus elle aura la chance de survivre.

La théorie des droits de propriété cherche, pour sa part, à montrer comment les droits
de propriété agissent sur les comportements individuels et sur l’efficience des systèmes
économiques. Ces droits ont pour fonction d’internaliser les externalités (Demsetz,
1967). Cette théorie s’est constituée pour montrer la supériorité des systèmes de
propriété privée et à démontrer l’inefficience de l’entreprise publique et de la firme
autogérée10. L’une des raisons qui explique cette supériorité tient au risque de faillite
(Hart et Moore, 1990).

Alchian et Demsetz (1972) tentent de démontrer que la firme capitaliste « classique »,


où les droits de propriétés (l’usus, le fructus et l’abusus) sont regroupés dans les mains
de la même personne, le propriétaire ou l’entrepreneur, est la forme d’organisation la
plus efficiente. Cependant, la firme managériale est moins efficace que la firme

10
CORIAT B. et WEINSTEIN O., [2010], « Les théories de la firme entre «contrats» et «compétences» », une
revue critique des développements contemporains, Revue d'Economie Industrielle, n°129-130, p.57-86.

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capitaliste à cause des conflits d’intérêts, entre le propriétaire et le manager, due à la


séparation entre le contrôle et la propriété.

La théorie de l’agence vient pour compléter celle des droits de propriété. Selon Jensen et
Meckling (1976), les propriétaires et les dirigeants sont liées par une relation appelée
relation d’agence. Les théoriciens de l’agence soulignent que lorsque les intérêts des
deux cocontractants divergent, l’agent cherche à maximiser son intérêt personnel et le
principal se trouve incapable d'évaluer et de contrôler l'action de l’agent. De plus, les
contrats sont par nature imparfaits et incomplets ce qui rend impossible de prévoir par
contrat l'ensemble des événements futurs.

Selon cette théorie, les causes de la défaillance des entreprises sont à rechercher dans le
dysfonctionnement d’un système de relations contractuelles entre agents. Dans ce sens,
seules les entreprises susceptibles de rendre compatibles les intérêts des dirigeants avec
ceux des propriétaires sont censées survivre sur le long terme. Les autres, moins
performantes, étant amenées à disparaître progressivement. Dans cette optique, la
faillite peut se comprendre comme un simple transfert de propriété des actionnaires
vers les créanciers (Guilhot, 2000).

2.2 ASPECTS FINANCIERS DE LA DEFAILLANCE DES ENTREPRISES


Selon les théories financières, l’analyse de défaillance d’entreprises trouve ses origines
dans le fameux débat autour de la structure optimale du capital de l’entreprise et son
incidence sur la valeur de la firme.

La théorie de Modigliani et Miller (1958) constitue la première analyse théorique de


l’incidence de la structure financière sur la valeur de la firme. Elle montre que, en
présence de marchés parfaits, toutes les formes de financement sont équivalentes. Donc,
la valeur d’une firme est indépendante de sa structure financière. Cependant, en
présence de la fiscalité, la thèse initiale de Modigliani et Miller est invalide (Chen, 1978).
Car, grâce à l’économie d’impôt, la valeur de la firme endettée est plus importante que
celle non endettée (Belletante et al., 2001).

L’endettement constitue alors un instrument de financement permettant un profit


important et un rendement futur élevé. Il permet aussi de minimiser les inefficacités
liées à la présence des coûts d’agence11. Cependant, il traduit en même temps un risque
important en présence des coûts de faillite. Toute entreprise est appelée donc d’arbitrer
entre les avantages et les inconvénients de la dette dans le choix de sa structure de
financement.

L’introduction des coûts de faillite (Modigliani et Miller, 1963), de l’incertitude et de


l’asymétrie d’information (Stiglitz, 1972 ; Stiglitz et Weiss, 1981 ; Myers et Majluf, 1984)
a permis de justifier l’existence de contraintes financières. Ces contraintes ont permis de

11
HARRIS M.et RAVIV A. [1991], “The theory of capital structure”, The journal of finance, vol 46 n° 1, mars,
pp. 297-355.

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justifier l’existence d’une hiérarchie entre les différents modes de financement (Myers,
1984).

Ainsi, l’analyse de la défaillance d’entreprises par défaut d’investissement constitue


également un apport de la théorie financière. Ce défaut se fait soit par un sous-
investissement, et dans ce cas, le risque de défaillance est dû au refus de financement
d’un projet même s’il est rentable (Myers, 1977 et Artus, 1992). Soit par un excès
d’investissement, et dans ce cas le risque de défaut peut être expliqué par les
actionnaires qui sont incités à investir dans des projets de haut rendement, hasardeux et
de niveau de risque élevé, ce qui accroit par ailleurs la probabilité de défaillance (Blazy,
2000).

2.3 ANALYSE DE LA DEFAILLANCE SELON LA VISION DES GESTIONNAIRES


Les fondements de la réflexion stratégique sur la défaillance des entreprises remontent
à la fin des années cinquante. L’analyse stratégique est basée sur des approches en
termes de portefeuille d’activités. La défaillance de l’entreprise peut être expliquée par
le risque de la marginalisation de l’activité. En effet, en situation de défaut, l’entreprise
ne possède que les activités de faibles rentabilités et de gros besoins financiers.

L’environnement concurrentiel constitue également un champ d’analyse de la


défaillance des entreprises. En effet, cette défaillance peut être le résultat d’une
concentration géographique des concurrents (Daubie, 2005), des faillites en cascade des
clients ou des fournisseurs (Jaminon, 1986) ou des facteurs relatifs aux produits et aux
technologies.

Les approches managériales et organisationnelles explicatives de la défaillance des


entreprises adoptées peuvent être résumées dans les deux théories suivantes : la théorie
de la contingence et la théorie de l’apprentissage organisationnel.

Ces théories permettent la compréhension du phénomène de la défaillance d’entreprise


en analysant d’abord la structure organisationnelle, à travers le degré d’adaptabilité face
aux changements de l’environnement. Ensuite, les processus de gestion, en discutant les
questions de la qualité du management et de la fréquentation des erreurs. Et enfin, le
comportement des acteurs, c’est-à-dire la personnalité et l’environnement socioculturel
du dirigeant.

L’approche contingente montre que l’échec ou le succès dépend donc des choix des
structures appropriées et de degré d’adaptabilité aux exigences du contexte de
l’environnement. Dans les prolongements de cette théorie, la théorie de la dépendance
aux ressources affirme que la vulnérabilité de l’entreprise résulte de sa capacité à
acquérir des ressources adéquates12. Cela s’explique par la lutte pour les ressources qui
éliminent les entreprises les plus fragiles. Ainsi, suivant la métaphore de la sélection,
12
HATCH M.J et CUNLIFFE A.L. [2006], « Théorie des organisations : de l'intérêt de perspectives multiples »,
traduction de la deuxième édition anglaise par Evelyne Léonard et al. ; 2e éd. - Bruxelles : De Boeck université,
2009, p. 114.

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Abdelkrim AAZZAB & Mimoun BENZAOUAGH Vol5 N°2

l’approche de l’écologie de la population (Hannan et Freemen, 1977), avance que la


survie d’une entreprise dépend de sa capacité excédentaire d’arracher sa part de
ressources qui sont limitées.

La théorie de l’apprentissage organisationnel repose sur le rôle de la connaissance, de la


compétence et de l’expérience dans les organisations. L’intérêt est focalisé sur le volet
« personne » elle-même, sur le volet « environnement » ou encore l’interaction entre ces
deux volets. La défaillance d’entreprise peut être expliquée comme le résultat d’un
manque d’expérience et l’échec s’interprète comme le résultat d’un apprentissage
organisationnel de moindre efficacité s'il est fondé sur des interprétations fausses
(Weick, 1990) ou s’il est construit sur la base d’une cause mal identifiée (March et Olsen,
1976 et Hall, 1984).

L’école comportementale, quant à sa part, affirme que les caractéristiques


psychologiques des dirigeants13 sont à introduire dans l’analyse de la défaillance des
entreprises. En effet, les insuffisances du dirigeant (Kaplan, 1948) dues aux variables
personnelles et socioculturelles, sont capables de conduire l’entreprise à l’échec.

3 TRAVAUX EMPIRIQUES DE LA DEFAILLANCE D’ENTREPRISES


Les approches économiques sont basées sur différents agrégats et facteurs économiques
et financiers et les approches financières cherchent la réponse dans les contraintes
financières et dans les problèmes d’investissement et d’endettement. Quant aux autres
approches, elles sont intéressées par les facteurs concurrentiels, par les facteurs
personnels et comportementaux des dirigeants et par les facteurs organisationnels et
environnementaux.

3.1 LES TRAVAUX EMPIRIQUES ECONOMIQUES ET FINANCIERS

Au niveau macroéconomique, des études ont montré qu’il existe une corrélation
significative entre le nombre de défaillance et les variables macroéconomiques. En effet,
un consensus s’est développé sur le lien entre créations et défaillances d’entreprises
(Longueville 1992, Bordes et Mélitz 1992, Marco et rainelli 1986, Blazy et al. 1993,
Combier 1994, Blazy et Combier 1998). La direction générale du Trésor de la France 14
(2011) démontre, dans une étude sur l’évolution annuelle des défaillances d'entreprises
en date de jugement, des créations d'entreprises et du PIB allant de 1998 à 2009, que le
nombre des défaillances réagit positivement à un choc de créations au bout d'un an et
négativement à un choc positif du PIB. Cependant, cette relation entre défaillance et PIB
à été critiquée par Blazy (1996).

Pour les adeptes de l’approche de l’économie industrielle, Schamalensee (1985) montre


la relation déterminée entre la structure de marché, le comportement des firmes et leurs

13
DE WIT B. et MEYER R. [2004], « Strategy : Process, Content, Context : an International
Perspective », Thomson Learning, 3rd Edition, 957p.
14
TRESOR-ECO, Document n°84, Février 2011 (http://www.tresor.economie.gouv.fr/file/325817.pdf)

Défaillance d’entreprises : Une revue de literature théorique et empirique 168


Abdelkrim AAZZAB & Mimoun BENZAOUAGH Vol5 N°2

performances. En effet, il a validé empiriquement l’approche structuraliste et le fameux


triptyque de l’économie industrielle Structure-Comportement-Performance.

Quant aux travaux s’intéressant aux cycles et aux crises, Fama (1986) et Wilson (1997)
observent aux Etats Unis d’Amériques que les niveaux des défaillances est cyclique et
particulièrement importants pendant la phase de la récession. Ainsi, le niveau des
défaillances dépend des périodes d’expansion et de récession (Carey, 1998) et au niveau
des fluctuations économiques (Galai, 2000 ; Crouhy et Mark, 2001). Ainsi, le taux de
défaillance est influencé par le niveau du taux d’intérêt (Wadhwani, 1986 et Davis,
1987).

Au niveau microéconomique, le niveau des débouchés est un facteur important pour


expliquer la défaillance (Levratto, Tessier et Zouikri, 2010). En effet, une mauvaise
évaluation du marché, les erreurs d’anticipation et le manque d’adaptation influencent
significativement le risque de défaillance (Hambrick et D’Aveni, 1988). Aussi, les
facteurs accidentels, tels que les catastrophes naturelles, les sinistres, les litiges ou
encore le décès du dirigeant (Newton, 1985 ; Ooghe et Waeyeart, 2004), peuvent
conduire l’entreprise à l’échec. Cependant, Blazy et Combier (2000) constatent que les
causes accidentelles sont relatives beaucoup plus aux entreprises liquidées qu’aux celles
cédées.

Les travaux empiriques, selon le volet financier, qui s’intéressent à l’analyse de la


défaillance d’entreprises traitent les questions relatives aux contraintes financières, aux
problèmes d’investissement et au levier financier. En effet, les difficultés de financement,
la taille de l'entreprise, le taux de profit, le terme et le taux de l'endettement, la capacité
de remboursement et le niveau des taux d'intérêt sont autant de facteurs qui
augmentent la probabilité de défaillance (Malécot, 1991).

A l’instar de ces facteurs, Blazy et Combier (1998) ajoutent le levier financier. Cette
question de levier a été abordée par de nombreux travaux empiriques (Bardos, 1990,
Bloch et al., 1995) qui montrent que les économies d’impôts augmentent avec
l’endettement et les coûts de faillite augmentent également. Levasseur et al. (1998)
montrent que les firmes au plus haut levier financier connaîtront les difficultés
d'exploitation les plus graves lors d'une récession économique et sont les plus
menacées.

A partir du moment où l'endettement n'est plus maîtrisé, l’entreprise risque de tomber


en défaillance et d'entrer dans une phase de redressement judiciaire (Beaver, 1966,
Altman, 1968). De plus, la dette est un facteur de stress financier susceptible de mettre
en péril l’entreprise (Titman et Opler, 1994).

Ce lien entre endettement et défaillance à été abordée par Davis (1986) sur des données
internationales, par Simmons (1989) sur des données de Grande-Bretagne et
particulièrement par Bordes et Mélitz (1992) sur des donnés françaises. Le degré de

Défaillance d’entreprises : Une revue de literature théorique et empirique 169


Abdelkrim AAZZAB & Mimoun BENZAOUAGH Vol5 N°2

dépendance vis-à-vis des banques augmente aussi la chance de défaut par rapport aux
entreprises qui disposent du soutien de leurs groupes (Bauer, 1993).

D’autres travaux empiriques soulèvent d’autres facteurs à caractère financier à savoir la


relation taille d'entreprise-niveau d’endettement, le manque de fonds propres (Hamza,
1996), le taux de profit et le niveau des taux d'intérêt (Malécot, 1991). Ainsi, le sous-
investissement (Blazy ; 1993 ; Myers, 1977), une trésorerie négative pendant une
période donnée (cinq ans pour Blazy, Charlty et Combier, 1993), ainsi qu’un système
comptable insuffisant ou manipulé (Ooghe et Waeyeart, 2004) ou encore une gestion
financière défaillante (Argenti, 1976).

3.2 LES TRAVAUX EMPIRIQUES STRATEGIQUES, MANAGERIAUX ET


ORGANISATIONNELS
Plusieurs travaux et études ont été focalisés le sur l’environnement concurrentiel
qui constitue un champ d’analyse de la défaillance des entreprises. En effet, en
appliquant le modèle des cinq forces de Porter (1979), la défaillance est due à la
concurrence intra sectorielle ( baldwin et al., 1998), à la concentration géographique
(Daubie, 2005) ou dans la branche (Malécot, 1991) , aux défaillances en chaîne (Jaminon,
1986 ; Blazy, 2000), à la chute de la demande (Malecot, 1981), à la faillite des clients
importants (Liefhooghe, 1997), à la détérioration de la relation fournisseur ou à la
défaillance d’un fournisseur important (Liefhooghe, 1997), à la menace d’un produit de
substitution (Brilman, 1982) et à la menace de nouveaux entrants.

Ainsi, une stratégie absente ou erronée (Sharma et Mahajan, 1980), une diversification
absente ou excessive (Hambrick et D’Aveni, 1988), la dépendance commerciale et
technologique (Marchesnay, 1988), l’absence d’une stratégie d’innovation (Picory,
1995 ; Van Caillie et al., 2006) et un système d’information déficient et une structure de
production inadéquate (Blazy, 2000) sont des causes majeures des défauts
d’entreprises.

Malecot (1991) affirme que la défaillance des entreprises peut être expliquée par la lutte
concurrentielle qui contraigne l’entreprise à adopter une norme de production
compatible avec elle. Cette idée est également adoptée par Jacquemin (1985) qui, dans la
défense de l’hypothèse néoclassique de maximisation de profit, estime qu’une force
concurrentielle écarte automatiquement les entreprises qui n’adoptent pas un
comportement adéquat à la maximisation de leurs profits.

L’environnement managérial et son influence sur la défaillance des entreprises


constituent un champ d’investigations empiriques assez riche. En effet, la compétence de
l’équipe managériale, le niveau de la qualité et de la motivation sont autant de facteurs
qui ont mis la lumière sur la défaillance d’entreprises (Ooghe et Waeyeart, 2004 ; Ooghe
et De Prijcker, 2006). En effet, Conan et Holder (1979) montrent, dans une étude

Défaillance d’entreprises : Une revue de literature théorique et empirique 170


Abdelkrim AAZZAB & Mimoun BENZAOUAGH Vol5 N°2

réalisée en France15, que l’incompétence des dirigeants a un impact direct sur la


défaillance d’entreprises. Cette incompétence peut s’expliquer, selon ces deux auteurs,
par le vieillissement du chef ou par la carence du pouvoir, par la direction d'une
personne inapte ou mal préparée ou encore par l'incapacité du dirigeant à maîtriser les
mutations de l'entreprise et de son environnement.

D’autres études, telles que celles réalisées sur des échantillons des PME (Kaplan, 1948;
Mayer et Golstein, 1961; March et Simon, 1964; Shenker, 1973), montrent que les
variables personnelles traduisent les causes profondes du problème de défaillance des
entreprises.

Dans ce sens, Lamontagne et Thirion (2000) ont démontré que l’âge des dirigeants-
créateurs ainsi que leurs aptitudes personnelles (Lalonde, 1985; Lalonde et D'amboise,
1985) sont des variables déterminantes dans la survie de l’entreprise. En effet, ceux
ayant plus de cinquante ans ont deux chances sur trois de voir leurs entreprises survivre
plus de trois ans16. Francoz et Bonneau (1995) aboutissent à la même conclusion et
soulignent que le créateur qui réussit le mieux est précisément âgé entre 40 à 49 ans.
Fabre et Kerjosse (2006) confirment ce résultat pour les nouveaux entrepreneurs ayant
de 30 à 40 ans qui réussissent 1,5 fois mieux que ceux ayant moins de 30 ans.

Concernant la variable sexe, selon Lamontagne et Thirion (2000), être homme ou femme
n’a pas d’incidence significative sur la réussite de l’entreprise. Cependant, plus
récemment, Fabre et Kerjosse (2006) informent que les femmes réussissent moins bien
que les hommes17.

Ainsi, dans une étude expérimentale, Camerer et Lovallo (1999) montrent que l’excès de
confiance, les erreurs de gestion et l’aptitude du dirigeant peuvent expliquer l’échec de
son projet. Ces facteurs qui traduisent une gestion inefficace accélèrent le processus de
défaillance dans les entreprises à organe de direction rigide (Argenti, 1976).

Bardos (1995) a montré une liaison décroissante entre le taux de mortalité des
organisations et leurs tailles. Marchesnay (1993) a confirmé ce résultat en disant que la
majorité des entreprises défaillantes sont de petite, voire de très petite taille. Cette
liaison est due, selon Blazy (1995), aux effets issus de la taille sur les économies
d'échelle, l'effet d'expérience ou le pouvoir de négociation à l'égard des partenaires
commerciaux.

L'âge des firmes est un facteur important de la défaillance d'entreprises (Barron, West
et Hannan, 1994). En effet, comme l’indique l’étude statistique de Combier et Blazy
(1997), les jeunes entreprises restent très vulnérables et peuvent être menacées par la

15
CONAN J. et M. HOLDER [1979], « Analyse des causes de faillite des PMI », Thèse d'Etat, Université
ParisDauphine, CEREG, cités par DAIGNE, 1986.
16
LAMONTAGNE, E. et THIRION, B. [2000], « Les facteurs de survie, les qualités du projet priment sur celles
du créateur », Insee Première, n°703.
17
FABRE V. et KERJOSSE R. [2006], « Nouvelles entreprises, 5 ans après », Insee Première, n°1064.

Défaillance d’entreprises : Une revue de literature théorique et empirique 171


Abdelkrim AAZZAB & Mimoun BENZAOUAGH Vol5 N°2

défaillance. Ce résultat est confirmé par de nombreuses études telles que celle menée
par l’INSEE18 et celle réalisée par l’observatoire des défaillances de COFACE19 sur des
données françaises. Ainsi, les entreprises familiales, les entreprises non cotées et les
sociétés dont la forme juridique prévoit une responsabilité des associés limitée aux
apports sont les plus touchées par la défaillance que les autres entreprises (Pastré,
1997).

Les travaux menés par Picory (1994) spécifiquement sur un échantillon de PME ont
confirmé les adeptes de la théorie de contingence selon lesquels les structures
mécaniques seraient mieux adaptées aux environnements stables et inversement pour
les structures organiques. De la même façon, Lawrence et Lorsch (1989) ont également
montré que certaines structures sont plus adaptées que d'autres à certains
environnements et ont nié l’existence d’une structure organisationnelle idéale20.

En outre, Picory (1994) affirme, sur un échantillon de PME, que l’approche de la


contingence, qui suppose que les facteurs environnementaux rendent contingents les
structures de l'organisation, est invalide. Cette approche est marquée également par ses
faiblesses empiriques illustrées par peu d'études de terrain.

CONCLUSION
Au terme de cet article, Il découle de cette revue de littérature théorique et empirique
que l’analyse de la défaillance des entreprises en terme de causes réelles et effectives
n’est pas faciles à cerner en raison de ce concept qui est apparait à la fois polysémique,
polymorphe, dynamique, transversal et difficile à contourner. En effet, plusieurs
concepts sont employés pour marquer une telle situation d’échec, à savoir la faillite, la
cessation de paiement, la défaillance, la banqueroute, la déconfiture et l’entreprise en
difficulté. Ainsi, une multitude d’approches d’analyse viennent pour éclaircir ce
phénomène et qui portent principalement sur le volet juridique qui représente le
premier volet intéressé par la problématique de la faillite, ensuite, l’économique, la
finance et la gestion.

Ainsi, les travaux empiriques tentant d’expliquer la défaillance des entreprises varient
entre les études économiques cherchant d’expliquer ce phénomène par des variables
micro et macroéconomiques et par des variables liées à la structure du marché. Quant
aux investigations intéressées par le volet financier, ils traitent principalement les
questions relatives aux contraintes financières, aux problèmes d’investissement et au
levier financier. Cependant, les études empiriques stratégiques, managériales et

18
Voir document n°16, juillet 2012,
(http://www.insee.fr/fr/insee_regions/guadeloupe/themes/antiane_echos/aechos16/Aechos_16_ga.pdf)
19
Voir les publications économiques de COFACE, observatoire des créations et défaillances (2010),
(http://www.pharmaciens-cotedor.com/assets/files/Infos%20professionnelles/coface-observatoire-creations-
defaillances.pdf)
20
LAWRENCE P., LORSCH J. [1989], « Adapter les structures de l’entreprise ; intégration ou différentiation »,
Editions d’organisation, Paris.

Défaillance d’entreprises : Une revue de literature théorique et empirique 172


Abdelkrim AAZZAB & Mimoun BENZAOUAGH Vol5 N°2

organisationnelles s’intéressent à l’environnement organisationnel et concurrentiel de


l’entreprise, à sa stratégie et aux facteurs propres des dirigeants.

Pour le cas du Maroc, le champ d’investigation portant sur cette question est marqué par
un énorme vide empirique. En effet, les travaux de recherche portant sur ce sujet sont, à
notre connaissance, peu nombreux ou si elles existent, elles n'ont pas été publiées à
l’exception des études menées dans le cadre des recherches académiques de thèses de
doctorat et qui portent principalement sur le volet descriptif plus qu’analytique21.

Malgré la présence de l’OMPIC22, l’absence des études scientifiques et empiriques


consacrées au cas marocain est expliquée certes par le manque d'informations détaillées
sur les faillites et par la non-fiabilité des statistiques.

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De Wit, B., Meyer, R., 2004. Strategy : process, content, context : an international
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21
Voir thèse de doctorat de MANIANI Abdelhadi (2009), « La défaillance des entreprises au Maroc »,
Université Mohamed V – Agdal.
22
Office Marocain de Propriété Industrielle et Commerciale.

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