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Prévention de la défaillance des entreprises

Prévention de la défaillance des entreprises


Mohammed HASSAINATE
Professeur chercheur à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales, Agdal-
Rabat
hassainate@gmail.com

Résumé

La défaillance représente un évènement spécifique dans la vie de l’entreprise. Il s’agit d’un


épisode où celle-ci souffre de dysfonctionnements graves qui compromettent sa continuité et
sa survie. Sa prédiction a fait l’objet de nombreux travaux empiriques depuis une trentaine
d’années. Elle se fonde sur l’analyse financière de la situation d’entreprises défaillantes et non
défaillantes afin de déterminer les variables, principalement comptables, qui distinguent au
mieux les deux catégories de firmes.

La prédiction des difficultés dans la perspective de prévenir la défaillance va être réalisée en


premier lieu au moyen de l’analyse financière qui vise à diagnostiquer la situation financière
de l’entreprise dans son ensemble. Nous explorerons par la suite les voies de l’application des
méthodes statistiques et plus précisément l’analyse discriminante, permettant l’identification
des entreprises pour lesquelles la probabilité d’occurrence de la défaillance est significative.
Mots clés : Défaillance, difficultés des entreprises, prévention, prévision, continuité
d’exploitation, analyse financière, ratios, scoring, analyse discriminante.

Abstract

The bankruptcy represents a specific event in the company’s life. This is an episode where the
company suffers from serious imbalance that threat its going concern. His prediction has been
the subject of numerous empirical studies, for thirty years. It is based on financial analysis of
failing and non-failing firms to determine variables, mainly accountants that distinguish the
best two categories of firms.

The prediction of difficulties in view of preventing the failure will be achieved primarily
through the financial analysis that aims to diagnose the financial situation of the company as a
whole. We will explore later the ways of the application of statistical methods and specifically
discriminant analysis to identify companies for which the probability of failure is significant.
Key words: Bankruptcy, company’s difficulties, prevention, prediction, going concern,
financial analysis, ratios, scoring, discriminant analysis.

Revue Marocaine de recherche en management et marketing, N°14, Avril-Juin 2016 Page 298
Prévention de la défaillance des entreprises

La défaillance des entreprises est incontestablement l’une des problématiques les plus
soulevées dans le domaine de la gestion. Au Maroc, l’accent a été mis depuis 1996 sur la
nécessité de sauvegarder l’entreprise en tant qu’entité viable et génératrice d’emploi.

En effet, avec la loi n° 15-95, formant le code de commerce, le droit marocain a eu le mérite
d’introduire pour la première fois certaines dispositions nouvelles, notamment avec
l’instauration des procédures de la prévention des difficultés des entreprises. Toutefois, ces
dernières années ont témoigné d’une progression inquiétante du nombre de défaillances des
entreprises au Maroc. Selon (EULER HERMES, 2015) En 2014, le pays a battu son record de
défaillances des entreprises et figure dans les ratings internationaux parmi les pays où les
défaillances sont les plus importantes.

En raison de l’ampleur et des conséquences négatives que peut entraîner la disparition des
entreprises, l’évaluation du risque de défaillance a suscité l’intérêt d’un grand nombre de
chercheurs. Les premières recherches en la matière ont vu le jour à partir des années 30 avec
notamment les travaux de (FITZPATRICK, 1932). A partir des années 60, de nombreux
travaux effectués dans le domaine, plus particulièrement ceux de (BEAVER, 1966) et
(ALTMAN, 1968), se sont inscrits dans une perspective de prévision de la défaillance par
l’utilisation de techniques issues de l’analyse des données.

La question centrale de ce travail s’inscrit dans cette perspective : Comment anticiper les
difficultés financières des entreprises de sorte à remédier aux problèmes avant leur
aggravation ?
Les réponses à ces questions font l'objet du présent article. Nous allons présenter
successivement l’état de l’art consacré à la défaillance des entreprises, la mise en exergue des
outils de prévision de la défaillance des entreprises .Enfin, nous allons refléter les
justifications du type de traitement des données utilisées et l’analyse des différents résultats
obtenus et l’exploration de leurs perspectives.

1. La défaillance des entreprises : une revue de littérature

La défaillance est un évènement éventuel dans la vie de chaque entreprise dont les
conséquences économiques et sociales ne sont pas négligeables. La littérature spécialisée en la

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matière s’est principalement axée sur la description, la prévention et la prédiction de la


défaillance.

1.1 Fondements théoriques et approche réglementaire de la défaillance

Un large examen de la littérature portant sur la défaillance des entreprises permet de souligner
l’importance des contributions ayant tenté de définir ce concept. En effet, il n’existe pas de
définition unanimement admise permettant de décrire ce phénomène de façon claire et
concise. L’analyse de la défaillance sous ses diverses approches, l’identification de ses
symptômes et l’examen des scénarios de processus pouvant y mener permettent d’assimiler
cette notion sous un angle économique, financier, juridique et managérial.

1.1.1. Les dimensions du concept de défaillance

La défaillance est un phénomène dynamique qui commence par de petites difficultés pouvant
se transformer en des problèmes plus sérieux en l’absence de mesures visant à redresser la
situation de l’entreprise.

De nombreux auteurs ont essayé de définir la notion d’entreprises en difficulté afin de


présenter une image complète des approches existantes. (OOGHE et VAN
VYMEERSCH,1996) estiment qu’une entreprise est en difficulté lorsqu’elle ne parvient pas à
réaliser de manière continue ses objectifs économiques, compte tenu de ses contraintes
sociales et d’environnement. (SÉVERIN, 2006) aborde cette notion sous une approche de
solvabilité et considère que les difficultés apparaissent lorsque la capacité d’endettement de
l’entreprise est atteinte voire dépassée. (SMIDA et GOMEZ, 2010) assimilent l’entreprise en
difficulté à une entité stressée qui subit l’action ou la présence d’une menace interne ou
externe.

Sur le long terme, les difficultés peuvent s’aggraver et mener l’entreprise vers la défaillance.
La notion de défaillance évoque dès lors un degré de difficulté plus avancé et recouvre un
ensemble de situations qui concourent à la disparition de l’entreprise. Ainsi (OPLER et
TITMAN, 1994) définissent la défaillance comme la constatation de difficultés n’ayant pas pu
être surmontées par l’entreprise. (CRUTZEN et VAN CAILLIE, 2009) estiment de leur côté
qu’une entreprise défaillante est une « entreprise en difficulté dont la situation
organisationnelle et financière est fortement détériorée ».

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Dans la législation marocaine, (Loi 15-95, Article 560), la défaillance est liée à la cessation de
paiement et caractérise l’entreprise qui n’est pas en mesure de payer à l’échéance ses dettes
exigibles.

Cette variété de définitions montre une diversité assez marquée des terminologies retenues
pour qualifier l’entreprise de défaillante et nous conduit à examiner la typologie des signes
avant-coureurs d’une crise imminente.

En 1975, en France, le comité de SUDREAU dressait une liste des indicateurs de la


défaillance les plus fréquemment observés chez les entreprises faillies dont les principaux
étaient : le report renouvelé d’échéances, la notification d’un protêt, le non paiement de
cotisations fiscales ou sociales, le refus de certification des comptes par le commissaire aux
comptes, les licenciements collectifs et la perte des trois quarts du capital (FERRIER, 2002).

Par ailleurs, la vision de l’Accoutant International Study Group1 (AISG) couvre deux aspects
des indicateurs de la défaillance : les indicateurs de problèmes de trésorerie et les indicateurs
de problèmes de gestion. Parmi les éléments affectant la trésorerie l’AISG cite la réalisation
de résultats déficitaires sur plusieurs exercices, la dégradation des relations avec les
fournisseurs, la vente d’actifs pour améliorer la trésorerie et un besoin en fonds de roulement
plus élevé que ceux de la profession. Quant aux indicateurs liés à la gestion (BURLAUD,
1977) ils sont reflétés par un positionnement de l’entreprise sur son marché, un blocage des
prix, des charges de structures élevées et des problèmes de production.

Selon les propositions de l’union européenne des experts comptables (COHEN, 2004), un
fonds de roulement négatif ou encore une situation nette négative sont des symptômes de
dégradation de premier degré.

Par ailleurs, (ARGENTI ,1976) décrit le processus de la défaillance selon une approche
séquentielle et estime qu’il est organisé autour de quatre phases. La première se caractérise
par la rigidité de l’organe de gestion, dans un deuxième stade, toute une série d’erreurs de
gestion sont commises .Dans la troisième phase qui se caractérise par et par la perception de
l’environnement des difficultés de l’entreprise. Au stade final, l’entreprise est dans
l’incapacité de continuer son exploitation et se trouve dans l’obligation de déposer son bilan.

1
Groupe des études comptables internationales.

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(COULIBALY, 2004) analyse la défaillance comme un processus qui commence par des
difficultés d’ordre économique, qui se poursuit par des ennuis d’ordre financier et qui
s’achève devant les tribunaux à la suite d’une cessation de paiement.

Dans un premier temps, l’entreprise est défaillante économiquement, elle n’est donc plus
rentable et ses charges excèdent ses produits. (GRESSE, 2003) considère que le stade ultime
de la défaillance économique est une valeur ajoutée négative. En second lieu, l’entreprise
devient défaillante financièrement si elle rencontre des problèmes de trésorerie. (MALÉCOT,
1991) estime que la défaillance financière intervient lorsque l’exploitation ne peut plus faire
face au passif exigible au moyen de son actif disponible. Cette situation conduit souvent à un
déséquilibre financier structurel mettant en cause la solvabilité de l’entreprise.

Au terme de ces deux trajectoires, l’entreprise entre en défaillance juridique. Pour (LE FUR,
QUIRY et VERNIMMEN, 2012) la défaillance juridique est constatée par un jugement du
tribunal de commerce et désigne l’état d’une entreprise qui fait l’objet d’une procédure
collective de redressement ou de liquidation judiciaire.

1.1.2. Le cadre juridique de la prévention

DELATTRE définit la prévention comme « un ensemble de mesures destinées à empêcher la


survenance d’un état de cessation de paiement, 2010 ». C’est une méthode qui permet de
désamorcer les difficultés rencontrées par les chefs d’entreprises, de façon précoce, pour les
aider à passer un cap difficile de la vie de leur firme.

Afin de prévenir la défaillance des entreprises, le législateur marocain a mis en place une
action de dépistage des éventuelles difficultés. En effet, la loi n° 15-95 formant le code de
commerce prévoit deux types de prévention : la prévention interne tournée essentiellement
vers les dirigeants avec l’intervention du commissaire aux comptes et des associés, et la
prévention externe mobilisée par le président du tribunal de commerce.

A. La prévention interne
Le livre V du code de commerce consacre les articles 546 et 547 à la procédure de prévention
interne. Il s’agit d’une option qui se présente au chef d’entreprise avant le lancement de la
procédure de prévention externe. Afin d’optimiser les chances de redressement de l’entreprise
et éviter de susciter la méfiance de ses partenaires, le législateur marocain estime que les
premiers signes de difficultés doivent être dissimulés, ce qui explique l’exécution de la

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procédure de prévention interne en toute confidentialité. Cette démarche préventive interpelle


successivement le chef d’entreprise, le commissaire aux comptes, le conseil d’administration
ou le conseil de surveillance2, l’assemblée générale et enfin le président du tribunal de
commerce.

La prévention interne est tournée dans un premier temps vers le dirigeant. Ce dernier, en sa
qualité de gestionnaire doit prendre les décisions nécessaires afin de redresser la situation de
l’entreprise comme le précisent les termes de l’article 545 du code de commerce
(BACHLOUCH, 2012). À défaut de détection des premiers signes avant-coureurs des
difficultés par le chef d’entreprise, ceux-ci sont repérés par le commissaire aux comptes lors
de l’exercice de son mandat. Celui-ci est tenu de déclencher une procédure d’alerte dès qu’il
estime que la continuité d’exploitation de l’entreprise est menacée. Toutefois, selon la forme
juridique de l’entreprise, la désignation d’un commissaire aux comptes peut être volontaire ou
obligatoire.

Cette procédure se déroule en quatre phases. Dans un premier temps, le commissaire aux
comptes doit communiquer aux dirigeants de l’entreprise, par lettre recommandée avec accusé
de réception, les faits de nature à compromettre la continuité d’exploitation relevés lors de sa
mission et ce, dans un délai de 8 jours de leur découverte. Suite à la demande du commissaire
aux comptes, le chef d’entreprise doit convoquer le conseil d’administration ou le conseil de
surveillance, dans un délai de 15 jours de la réception de la demande afin de convenir d’une
solution visant à redresser la situation (Loi 15-95, Article 546).

Les dirigeants sont tenus de répondre à la demande du commissaire aux comptes dès la
réception de la lettre recommandée. Pour ce faire, le chef d’entreprise doit convoquer le
conseil d’administration ou le conseil de surveillance, dans un délai de 15 jours de la
réception de la demande afin d’analyser la situation et présenter les solutions envisagées pour
remédier aux difficultés. (Loi 15-95, Article 546).

B. La prévention externe

La prévention externe est une extension de la procédure de prévention interne. Elle s’applique
à toute entreprise individuelle, commerciale ou artisanale et débute dès l’intervention du
président du tribunal de commerce. En effet, après prise de connaissance des difficultés
rencontrées par l’entreprise, le président du tribunal de commerce convoque en premier lieu le

2
Selon la forme juridique de la société.

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dirigeant afin de recueillir les informations sur la situation de son entreprise et prévoir les
voies de recours adéquates.

À l’issu de cet entretien, l’exactitude des informations relevées par le président du tribunal de
commerce est vérifiée auprès de tout autre personne concernée par la survie de l’entreprise
notamment le commissaire aux comptes, le représentant du personnel, les organismes publics,
les fournisseurs ou les associés.

1.2 Les facteurs de défaillance des entreprises

Un examen de la littérature spécialisée en la matière permet d’identifier deux catégories de


facteurs de défaillance : les facteurs externes provenant de l’environnement macro-
économique de l’entreprise et les facteurs internes qui représentent le risque spécifique à
l’entreprise. La classification la plus dominante est celle faisant apparaître une distinction
entre les facteurs exogènes et les facteurs endogènes.

Pour les facteurs exogènes, (KELLENS,1974) explique que les faillites apparaissent comme
l’un des indices négatifs les plus fidèles de la conjoncture économique. En effet, en période de
récession, la viabilité des entreprises peut être mise à mal à cause de la contraction de la
demande en raison d’une baisse du pouvoir d’achat des consommateurs. De même, dans une
période de hausse des taux d’intérêt, les entreprises ont tendance à retarder leurs décisions
d’investissement compte tenu des tensions sur le marché du crédit, ce qui peut nuire à leur
survie (LECOINTRE et ROUVAUD, 2009).

Quant aux facteurs endogènes, deux principales catégories de facteurs semblent déterminantes
à ce niveau : les facteurs liés à la gestion de l’entreprise et les facteurs propres à l’entreprise.

Généralement, le dirigeant règne sur l’entreprise à tous les niveaux : les décisions stratégiques
lui appartiennent et les décisions de gestion sont soumises à son approbation préalable. Cette
omniprésence du chef d’entreprise peut mener vers l’échec ou le succès selon ses aptitudes et
ses capacités (ETTAHRI, 2007). L’inexistence d’un système de contrôle de gestion est
également une particularité saisissante des entreprises faillies. Elle se traduit le plus souvent
par la méconnaissance des prix de revient et des coûts d’exploitation à cause de l’absence
d’un système de comptabilité analytique (DAAMOUCH, 1997).

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2. Méthodes de prévisions basées sur le scoring

Parmi les méthodes de prévision les plus utilisées, on trouve l’analyse financière qui couvre
un large éventail de ratios et d’agrégats permettant la détection des difficultés. Nous allons
nous intéresser dans ce travail de recherche à la méthode du scoring.

2.1 Le principe du scoring


La méthode des scores est une technique d’analyse destinée à diagnostiquer préventivement
les difficultés des entreprises. Cette méthode consiste à « pondérer le poids relatif de plusieurs
ratios et à les additionner pour en tirer soit une note générale d’appréciation, soit une
probabilité de défaillance (ou de non défaillance ». (LOCHARD, 2008).

Afin de classer une entreprise dans un des deux groupes définis, une règle de décision simple
est retenue : affecter l’entreprise au groupe dont elle est la plus proche. L’analyse
discriminante est l’un de ses outils qui lui permet de distinguer entre une entreprise saine et
une entreprise défaillante à l’aide d’une combinaison linéaire de ratios qui rend compte des
caractéristiques des entreprises défaillantes (RIGAR, 2002).

Le risque de défaillance est apprécié directement à partir des comptes de l’entreprise par
l’élaboration d’une batterie de ratios et d’une pondération correspondante à chaque ratio. La
combinaison de ces ratios pondérés conduit à l’élaboration d’une fonction discriminante
(fonction Z) dont la valeur appelée score donne une idée sur le risque de défaillance d’une
entreprise. Cette fonction est de la forme suivante :

Z  a0  a1R1  a2 R2    an Rn

Avec :
- a0 : Constante ;
- ai : Coefficients de pondération ou poids rattachés aux ratios ;
- Ri : Ratios ou variables discriminantes;
- n : Nombre de ratios.
L’automatisation du score est un atout essentiel, tout comme son faible coût d’application, le
système ne requérant que quelques données. De la sorte, un portefeuille peut faire l’objet de
statistiques descriptives pertinentes : risque moyen et répartition sur différents critères,
concentration ou distribution statistique du risque (KHAROUBI et THOMAS, 2013).

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2.2 La méthode d’élaboration des scores

La conception des scores suit une procédure relativement standard. Elle se fonde sur
l’observation ex post du devenir des entreprises dont il est connu avec certitude si elles ont été
défaillantes ou non. Le but est de sélectionner les variables les plus discriminantes
individuellement, puis de construire un modèle statistique établissant une relation
dichotomique entre ces variables et le fait d’avoir connu la défaillance ou non.
2.2.1 Echantillonnage

L’élaboration de l’échantillon joue un rôle important dans la qualité de la prévision. Elle


repose à la fois sur la définition de l’évènement à détecter, l’horizon de la mesure et les
caractéristiques de l’échantillon.

Ainsi, dans un premier temps, il est primordial de définir la défaillance à partir de critères
prédéfinis. Plusieurs possibilités sont alors envisageables. La plus traditionnelle consiste à
opposer les entreprises qui ont fait l’objet d’une procédure judiciaire aux autres entreprises. Il
est également possible d’opposer les entreprises qui ont connu un défaut de paiement aux
entreprises saines. D’autres auteurs limitent l’échantillon des entreprises défaillantes à celles
qui ont fait faillite afin d’obtenir une discrimination plus marquée. Ils excluent alors les
entreprises qui présentent une santé financière fragile et les entreprises vulnérables (REFAIT,
2004).

Parallèlement à la définition de la défaillance, le choix de l’horizon de prévision est


important. Selon cet horizon, les données traitées remonteront à une période historique
antérieure à la défaillance plus ou moins longue. Un arbitrage est à faire entre une échéance
trop proche, dont l’intérêt est limité car elle n’autorise pas les décisions à même d’éviter la
défaillance, et une échéance trop lointaine qui interdit une prévision précise. Les études
diffèrent sur ce point, mais très généralement, deux horizons sont choisis : un an et trois ans
avant la défaillance (REFAIT, 2004).

Par ailleurs, les sous-échantillons retenus doivent être doublement représentatifs de


l’économie du point de vue du secteur d’activité, de la taille des entreprises et du rapport entre
les entreprises défaillantes et non défaillantes. Il est nécessaire qu’ils soient homogènes pour
ne pas être affectés par des différences structurelles, ce qui invite souvent à réaliser des
modèles spécifiques à des secteurs particuliers (KHAROUBI et THOMAS, 2013).

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2.2.2 Choix des variables explicatives

Parallèlement à l’utilisation standard de ratios comptables, certains auteurs ont tenté


d’exploiter des données différentes. Une première idée a été de prévoir la défaillance à partir
de grandeurs absolues comme les flux de trésorerie. La défaillance est supposée survenir
lorsque la valeur de l’entreprise devient trop faible pour qu’un créancier accepte de continuer
de la financer en cas de défaut de paiement. Le recours aux flux de trésorerie est donc
légitime puisque la valeur d’une entreprise est égale à la somme actualisées de ses cash flows
futurs. Conjointement aux données comptables, des informations liées à l’organisation de
l’entreprise ou à la nature de son financement, par exemple, peuvent être utilisées (REFAIT,
2004).
2.2.3 Analyses statistiques

Après la constitution de l’échantillon et le choix des ratios explicatifs, intervient la phase de


construction effective du modèle et son application en test. L’efficacité est appréciée par le
critère du taux de bons classements.

La précision de classement d’un modèle discriminant peut être déterminée en comparant le


classement effectué par le modèle discriminant avec la situation réelle de l’entreprise, il y a
quatre cas de figures possibles :

- une entreprise réellement non défaillante est classée par le modèle discriminant parmi les
entreprises non défaillantes ;
- une entreprise réellement défaillante est classée par le modèle discriminant parmi les
entreprises défaillantes ;
- une entreprise réellement défaillante est classée par le modèle discriminant parmi les
entreprises non défaillantes ;
- une entreprise réellement non défaillante est classée par le modèle parmi les entreprises
défaillantes.
Dans les deux premiers cas, le modèle classe correctement les observations puisque le
classement a posteriori conduit à affecter les entreprises à leurs sous-groupes d’origine. Dans
le troisième et le quatrième cas, le modèle aboutit à un classement incorrect que l’on appelle
respectivement erreur de type I (ou alpha) et erreur de type II (ou bêta) (KENEL, 2000).

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3. Etude empirique
Les chercheurs et les praticiens préconisent la prédiction du risque de défaillance sur la base
des modèles économétriques permettant d’étudier la relation entre plusieurs variables et de
choisir celles qui permettent d’expliquer le mieux ce phénomène. Cependant, il n’existe pas
de modèles unificateurs pouvant être généralisés et appliqués à toutes les entreprises étant
donné que l’élaboration des scores s’effectue selon un contexte économique déterminé. Il est
donc évident que si les conditions économiques changent, les modèles appellent à des
modifications soit au niveau des variables retenues, soit au niveau des coefficients de
pondération, ou bien les deux à la fois.

3.1 Démarche méthodologique


La démarche méthodologique suivie pour l’analyse des données a mis l’accent sur les
caractéristiques de l’échantillon retenu, le choix des ratios explicatifs de la défaillance et la
méthode d’analyse des données utilisée pour la conception du modèle statistique de prévision.

3.1.1 Hypothèses de recherche et choix épistémologique

Nous avons adopté une démarche hypothético-déductive qui s’inscrit dans le courant
positiviste. Cette démarche consiste de partir de la littérature existante pour émettre des
hypothèses qui seront testés sur un échantillon représentatif de la population étudiée.
La démarche de la déduction est avant tout un moyen de démonstration. Elle se caractérise par
le fait que, si les hypothèses formulées initialement sont vraies, alors la conclusion doit
nécessairement être vraie. Le test de ce modèle revient à juger de la qualité de la simulation
de la réalité, c’est-à-dire de sa représentativité, et d’analyser les rapports de causalité
multiples et simultanés.
Une analyse de la littérature nous a permis de recenser un certain nombre de déterminants de
la défaillance et plus particulièrement, les erreurs de gestion, cause principale de disparition
des entreprises. C’est dans ce contexte que nous avons formulé nos hypothèses de recherche
qui s’appuient sur la dimension « Gestion financière de l’entreprise » :
Hypothèse 1 : « Il existe une relation entre le déséquilibre de la structure financière, les
problèmes de trésorerie et la défaillance des entreprises ». Une firme équilibrée présente un
excédent de ressources permanentes sur ses emplois stables pour couvrir son BFR. Tout
déséquilibre se traduit par un manque de liquidité conduisant l’entreprise à financer ses
besoins d’exploitation par des ressources empruntées.

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Hypothèse 2 : « Les difficultés expriment une dynamique défavorable qui mène à la


disparition de l’entreprise ». En effet, il existe un ensemble de facteurs d’ordre commercial
qui peuvent expliquer l’absence de rentabilité d’exploitation et donc la défaillance de
l’entreprise.
Hypothèse 3 : « Le degré d’autonomie financière est susceptible d’expliquer la défaillance de
l’entreprise». L’impossibilité pour l’entreprise d’obtenir des fonds externes à cause de la
méfiance de ses prêteurs conduit celle-ci à la défaillance. Cette capacité est largement
dépendante de l’autonomie financière de l’entreprise, c’est-à-dire, le poids des fonds propres
dans sa structure financière.
Hypothèse 4 : « Il existe des différences significatives repérables entre les entreprises saines
et les entreprises défaillantes». En d’autres termes, on observe un certain nombre d’écarts
statistiquement significatifs pouvant être mis en évidence entre les deux groupes.

3.1.2 Choix méthodologiques

Notre démarche méthodologique repose sur le choix de la méthode d’analyse des données, la
sélection des entreprises et des indicateurs de défaillance.

A. Méthode de traitement des données

La technique statistique retenue est l’analyse discriminante linéaire de Fisher. Cette méthode
permet d’obtenir des prédictions explicites, précises et robustes et fournit la combinaison
linéaire optimale des meilleurs variables permettant de distinguer les entreprises saines de
celles défaillantes. D’ailleurs, selon de nombreuses études réalisées dans les années quatre-
vingt-dix, les taux de bons classements obtenus par l’analyse discriminante sont supérieurs à
ceux qui résultent des autres méthodes.

B. Caractéristiques de l’échantillon retenu

Notre base de données est constituée d’un échantillon de 34 TPE/PME exerçant une activité
commerciale dans la région de Rabat-Salé. Ces entreprises se composent en deux sous-
ensembles : 17 entreprises saines, 17 entreprises défaillantes. Face à l’indisponibilité
d’informations d’ordre qualitatif, nous avons considéré comme TPE les entreprises dont le
chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas les 3 millions de dirhams et comme PME les
entreprises dont le chiffre d’affaires est compris entre 3 millions et 7 millions de dirhams,
conformément à la définition de l’agence nationale pour la promotion des petites et moyennes
entreprises (ANMPE).

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Le critère de la défaillance retenu est la défaillance juridique qui caractérise les entreprises
ayant été sanctionnées par une procédure judiciaire en 2014. Quant à l’horizon de prévision, il
remonte à une période de deux années antérieures à la défaillance c'est-à-dire à l’année 2012.
En effet, la littérature nous enseigne que la faillite est perceptible par l’environnement au
moins trois années avant celle-ci. Nous avons donc fait un arbitrage entre un horizon trop
proche ne permettant pas de prendre les décisions adéquates pour éviter la défaillance et une
échéance lointaine qui ne donne pas une prévision précise. De façon parallèle, les données
financières relatives au groupe des entreprises saines remontent à l’année 2012.

Nous avons veillé à ce que l’échantillon n’inclus pas de jeunes entreprises ayant moins de
cinq ans pour éviter l’effet « âge ». Ainsi on est loin des défaillances infantiles qui
surviennent au cours des cinq premières années de l’existence d’une entreprise.

C. Les variables explicatives

Les variables explicatives pouvant être retenues, majoritairement des ratios comptables, sont
diverses. C’est pourquoi, conformément à l’enseignement de l’analyse financière, nous avons
maintenu comme éléments corrélés à la défaillance : la rentabilité de l’entreprise, son degré de
liquidité, la structure de son bilan et son niveau d’endettement.

Ces ratios calculés deux années avant la survenance de la défaillance3, sont présentés dans le
tableau ci-après :

Tableau n° 1 : La liste des ratios retenus comme variables explicatives

N° des Ratios Type Intitulé Formule


Fondsderoulement fonctionnel
R1 Liquidité Ratio de liquidité
Besoinen fondsderoulement
EBEouIBE
R2 Rentabilité Ratio de rentabilité d’exploitation
Chiffred ’affaires( HT )
Capitaux permanents
R3 Structure Ratio de fonds de roulement
Actif immobilisénet

Capitaux propres
R4 Autonomie Ratio d’autonomie financière
Passif total

Source : Tableau fait par nos soins

3
La variable endogène (la défaillance) est désignée par 0 si l’entreprise est saine et 1 si l’entreprise est
défaillante.

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- Test d’égalité des moyennes

Pour juger de la capacité des variables explicatives à discriminer les deux populations
d’entreprises, nous avons réalisé le test statistique de Wilks dont les résultats se résument
ainsi :

Tableau n° 2 : Le test de Wilks pour l’égalité des moyennes de groupes

Lambda de Wilks F Ddl1 Ddl 2 Sig.


R1 0,515 30,191 1 32 0,000
R2 0,338 62,567 1 32 0,000
R3 0,727 11,992 1 32 0,002
R4 0,396 48,860 1 32 0,000
Source : Extrait SPSS

Dans notre cas, la statistique F suit une distribution théorique F (1 ; 32) de Fisher-Snédécor à
1 et 32 degrés de libertés sous l’hypothèse nulle H0 d’égalité des moyennes entre les deux
groupes, au seuil de risque α = 5 %. L’examen du test de Fisher et de la statistique du lambda
de Wilks indique que toutes les variables sont significatives.

Avec une significativité du F de Fisher inférieure au seuil de signification de 5 % et une


valeur du lambda de Wilks faible, l’hypothèse nulle H0 d’égalité des moyennes des ratios des
deux groupes est rejetée.

Le résultat du test d’égalité des moyennes permet donc de conclure avec un niveau de
confiance de 95 % que les entreprises défaillantes se caractérisent par un niveau de liquidité
faible par rapport aux entreprises saines (R1). Les entreprises faillies se caractérisent aussi par
leur incapacité à dégager une rentabilité à partir de leurs activités et sont donc moins
performantes que les entreprises saines. Ce constat est affirmé par le faible niveau du ratio de
liquidité (R1) pour les entreprises du groupe défaillant par rapport au groupe opposé. De
même, la contribution du financement permanent au financement d’une partie du cycle
d’exploitation permet aux entreprises saines de garder une certaine autonomie vis-à-vis des
tiers ; ce qui n’est pas le cas pour les entreprises défaillantes qui se caractérisent par un niveau
de fonds de roulement (R3) nettement faible en comparaison avec les entreprises saines.
Notons également que les entreprises saines se caractérisent par un niveau de fonds propres
(R4) élevé contrairement aux entreprises défaillantes.

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Prévention de la défaillance des entreprises

- Test de multi-colinéarité

L’analyse discriminante repose également sur le postulat que les variables explicatives
doivent présenter une faible corrélation afin de rejeter les ratios au contenu informatif
redondant. Nous avons donc procédé aux calculs des corrélations entre différents ratios pour
ne retenir que ceux qui sont faiblement corrélés. Le résultat des corrélations entre les variables
explicatives est présenté dans le tableau suivant :

Tableau n° 3 : Matrice de corrélation intra-groupes à 32 ddl

R1 R2 R3 R4
Corrélation R1 1,000 -0,033 -0,197 -0,110
R2 -0,033 1,000 0,344 0,341
R3 -0,197 0,344 1,000 0,431
R4 -0,110 0,341 0,431 1,000
Source : Extrait SPSS

L’examen de la matrice de corrélation intra-groupe montre qu’aucune des variables


indépendantes n’est une combinaison linéaire des autres variables. L’absence de multi-
colinéarité parfaite s’observe à travers une faible corrélation négative entre les ratios (R1 ;
R2), (R1 ; R3), et (R1 ; R4), tandis que les ratios (R2 ; R3), (R2 ; R4) et (R3 ; R4) présentent
une faible corrélation positive. Plus les variables sont faiblement corrélées entre elles,
meilleure est la discrimination entre les deux groupes.

3.2 Explorations des résultats


Nous avons procédé à une vérification de la validité de l’étude avant d’aboutir vers une
estimation des coefficients des fonctions discriminantes et affecter les entreprises à leurs
groupes d’appartenance.
3.2.1 La vérification de la validité de l’étude

A. Test de normalité

L’analyse discriminante linéaire de Fisher repose sur le fait que les populations de
l’échantillon doivent être distribuées selon des distributions normales. La normalité des
variables a été testée par le moyen du test de Shapiro-wilk qui est particulièrement puissant
pour les petits effectifs ne dépassant pas 50 observations. Les résultats de ce test se présent
ainsi :

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Prévention de la défaillance des entreprises

Tableau 4 : Le test de Shapiro Wilk

Statistiques Ddl Sig.


R1 0,960 34 0,237
R2 0,964 34 0,326
R3 0,947 34 0,103
R4 0,942 34 0,073
Source : Extrait SPSS

Etant donné que la p-value4 calculée pour chaque variable est supérieure au seuil de
signification α = 0,05, on accepte l’hypothèse nulle H0 selon laquelle les variables dont
provient l’échantillon suivent une loi normale. Le risque de rejeter l’hypothèse nulle alors
qu’elle est vraie est alors de 23,7 % pour le ratio R1 ; 32,6 % pour le ratio R2 ; 10,3 % pour le
ratio R3 et 7,3 % pour le ratio R4.

B. Test d’équivalence des matrices de variances-covariances

L’équivalence des matrices de variances-covariances se vérifie au moyen du « test de Box »


basé sur la statistique M multivariée de Box ; celle-ci doit être la plus élevée possible.
De même la significativité du test F doit tendre vers 0, si elle est supérieure à 5 %, l’analyse
n’est pas valide. Les résultats de ce test peuvent être observés grâce au tableau suivant :

Tableau 5 : Le test de Box


Test de Box 21,443
F Approx. 1,852
Ddl 1 10
Ddl 2 4895,618
Sig. 0,047
Source : Extrait SPSS

En prenant en considération le résultat du test de Box obtenu, l’égalité des matrices de


variances-covariances est vérifiée puisque la significativité du test F tend vers 0 ce qui nous
conduit à accepter l’hypothèse nulle H0 d’égalité des matrices de variances-covariances.

C. Analyse de la fonction

Le pouvoir discriminant de la fonction linéaire peut s’observer à travers les deux tableaux
suivants :

4
La P-value représente la significativité du test.

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Prévention de la défaillance des entreprises

Tableau 6 : Valeur propre

Corrélation
Fonction Valeur propre % de la variance % cumulé
canonique
1 3,837 100,0 100,0 0,891
Source : Extrait SPSS

Tableau 7 : Lambda de Wilks

Test de la ou des fonctions Lambda de Wilks Khi-deux Ddl Sig.


1 0,207 47,289 4 0,000
Source : Extrait SPSS

On peut lire dans la colonne « Pourcentage de la variance » : 100 %, ce qui signifie que 100%
du pouvoir discriminant des deux variables explicatives est attribuable à la fonction
discriminante, ce qui est normale puisqu’il n’y a qu’une seule.

Plus la corrélation canonique est proche de 1, meilleur est le modèle. La lecture du tableau
n°6 permet de constater que la corrélation canonique est égale à 89,1%, ce qui confirme un
pouvoir discriminant de la fonction discriminante linéaire.

L’examen du lambda de Wilks (Tableau n° 7) révèle que la fonction discriminante est


significative à un niveau de 5 %. Nous pouvons conclure que la fonction discriminante est
utile à l’explication des différences observées entre les groupes puisque la probabilité associée
est inférieure au seuil de 5 %.

D. Présentation de la fonction discriminante obtenue

Le logiciel « SPSS statistics 22 » nous a permis d’obtenir la fonction discriminante


standardisée « Z » suivante :

Z  0,573R1  0,557 R2  0,020R3  0, 495R4

Les coefficients discriminants R1, R2, R3 et R4 représentent le poids des différentes variables
dans le calcul des scores. C’est le ratio de liquidité (R1) qui sépare le mieux les deux groupes
suivi du ratio de rentabilité (R2), d’autonomie financière (R4) et de fonds de roulement (R3).

La fonction score Z arrive donc à distinguer entre les deux groupes d’entreprises en accordant
une importance inégale aux ratios financiers. De ce fait, la défaillance des entreprises est en
partie, liée aux effets cumulés de la liquidité, à la rentabilité d’exploitation, à la structure et à
l’autonomie financière.
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Prévention de la défaillance des entreprises

Les scores discriminants seront utilisés pour réaffecter les individus aux deux populations.
Les scores discriminants moyens pour les deux groupes sont indiqués dans le tableau suivant :

Tableau n° 8 : Les fonctions aux centoïdes des groupes

Fonction
Défaillance
1
0 1,900
1 -1,900
Source : Extrait SPSS

Pour classer un nouvel individu, on calcule son score discriminant et on le compare au score
moyen de chaque groupe reconstruit. On définit alors une frontière d’affectation « Df » égale
à la moyenne des scores moyens pondérée par la taille des groupes (ELHAMMA, 2009) :

n1 y1  n2 y2
Df 
n1  n2
Avec :

- y1 : score moyen du premier groupe ;


- y2 : score moyen du deuxième groupe ;
- n1 : taille du premier groupe ;
- n2 : taille du deuxième groupe.

Pour notre modèle, la frontière d’affectation est égale à 0. Il en ressort que toute entreprise
dont le score obtenu grâce à la fonction discriminante est positif sera classée parmi les
entreprises saines et que toute entreprise dont le score est négatif sera considérée comme
défaillante.

3.2.2 La validation du modèle

A. Evaluation de la qualité de l’analyse

Pour s’assurer que la fonction discriminante classifie bien les individus en sous-groupes, il
convient d’observer la qualité de la représentation à travers la matrice de confusion qui
regroupe les individus bien classés et ceux qui sont mal classés. La matrice de confusion de
notre fonction discriminante permettant d’observer les résultats de classement des deux
groupes s’établit comme suit :

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Prévention de la défaillance des entreprises

Tableau 3.11 : La matrice de confusion

Appartenance au
Défaillance groupe prévu Total
0 1
Original Effectif 0 16 1 17
1 1 16 17
% 0 94,1 5,9 100,0
1 5,9 94,1 100,0
Source : Extrait SPSS

Le test de classification des entreprises grâce la fonction discriminante permet de bien


reclasser 32 entreprises dans leur groupe d’origine tandis que 2 entreprises ont été mal
reclassées. Il en ressort que la fonction score de notre modèle de prévision permet de classer
deux années avant la survenance de la défaillance 94,1 % des entreprises correctement. Le
taux d’erreur de premier type (classement d’une entreprise défaillante parmi les entreprises
saines) et de deuxième type (classement d’une entreprise défaillante parmi les entreprises
saines), est égale seulement à 5,9 %.

B. Le test Q press

Pour savoir si le pourcentage des entreprises bien classées est significatif, on utilise le test Q
press. Il s’agit de tester l’hypothèse nulle H0 qui stipule que le nombre d’individus bien
classés est dû au hasard et non à la fonction discriminante. La statistique calculée suit une loi
de Khi-deux (χ²) à 1 degré de liberté. La valeur du test est calculée par la formule suivante :

(n  nc p)²
Qpresse 
n( p  1)

Avec :

- n : Nombre d’individus
- nc : Nombre d’individus bien classés
- p : Nombre de groupes
Dans notre cas le Q press est égale à 26,47. On rejette l’hypothèse nulle H0 puisque la
valeur de test Q press est supérieur à la valeur théorique de Khi-deux qui est égale à 18,49
au seuil de signification de 5% avec 2 degrés de liberté. L’analyse discriminante permet
donc une bonne qualité de classement.

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Prévention de la défaillance des entreprises

3.3 Synthèse et conclusions

Ce travail de recherche se veut une contribution à la compréhension d’un phénomène très peu
appréhendé dans les milieux universitaires marocains et dont les contributions existantes, peu
nombreuses, se limitent à l’aspect théorique de la question et très rares sont les travaux qui
procèdent à une vérification empirique appliquée au contexte marocain.

Cette contribution scientifique a cherché à construire un modèle de défaillance adapté au


contexte marocain. Pour atteindre cet objectif, nous avons constitué une base de données
composée de 34 TPE/PME dont la moitié est en activité et l’autre moitié en redressement
judiciaire. Divers outils statistiques ont ensuite été appliqués à cet échantillon. Les variables
retenues sont des ratios comptables couramment utilisés, qui présentent un contenu
informationnel significatif dans l’analyse de la situation financière des entreprises.

Les résultats de l’analyse discriminante linéaire nous ont permis de constater une différence
significative entre entreprises défaillantes et entreprises saines selon l’état de leur rentabilité
et de leur degré de liquidité. De plus, le déclin des performances correspond à une dégradation
durable de l’activité de l’entreprise et à une augmentation de son besoin en fonds de
roulement ce qui engendre leur faillite.

Les TPE et PME dont la fragilité sociale et économique découle principalement d’un manque
de capitaux propres, ont du mal à trouver des financements sur les marchés financiers, ce qui
explique leurs recours à l’endettement.
Enfin les résultats de cette étude empirique ont débouché sur le fait que la liquidité et la
rentabilité commerciale des entreprises possèdent un pourvoir explicatif important dans
l’analyse des défaillances des TPE / PME qui constituent notre échantillon.
En plus de la rentabilité commerciale, l’insuffisance des fonds permanents pour couvrir les
actifs durables, et éventuellement le cycle d’exploitation en cas d’excédent en fonds de
roulement, explique significativement la défaillance de l’entreprise vu que cela engendre bien
évidemment un déséquilibre financier persistant au niveau de ce type d’entreprises.

À l’issue de cet examen empirique de la défaillance, nous pouvons affirmer que ce


phénomène est attribué essentiellement à l’absence d’une culture de gestion d’entreprise chez
les dirigeants de TPE/PME. Ceux-ci gèrent à la manière traditionnelle sans disposer d’outils,
d’indicateurs, voire de systèmes financiers et comptables pouvant alimenter leur système de
prise de décision ou, du moins, les éclairer dans leurs choix.

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Prévention de la défaillance des entreprises

Cependant, toute contribution scientifique présente un certain nombre de limites qu’il


convient de souligner. Premièrement, nous pouvons affirmer que la taille de notre échantillon
reste très petite en raison de la difficulté liée à la collecte des données. Deuxièmement, notre
analyse est basée sur des données comptables ; or, on sait que les éléments du bilan ne sont
pas exempts des critiques et que parfois les entreprises produisent des états financiers orientés
en vue de minimiser les charges fiscales. L’image fidèle de la situation économique n’est que
secondaire, ce qui influence le calcul des ratios et affecte automatiquement les probabilités de
défaillance.

En outre, le pouvoir prédictif des ratios est limité par le fait qu’ils ne reposent que sur des
données financières. Or, les facteurs de défaillance sont nombreux et hétérogènes. Dans ce
cas, il serait souhaitable de tenir compte de variables dites qualitatives ou stratégiques pour
évaluer la défaillance. Une entreprise peut avoir des difficultés financières considérables
autant à cause d’un changement des caractéristiques de la demande de produits que de
l’incompétence de ses dirigeants. Ainsi, l’intégration de données qualitatives permet de
compléter l’analyse financière en enrichissant l’analyse du risque financier d'un risque plus
économique, intégrant notamment des variables de positionnement de l’entreprise sur son
marché en termes d’activité, de maîtrise des coûts de revient ou d’appréciation de la qualité de
gestion de l’entreprise.

Globalement, il n’existe pas, à l’image des techniques de scoring ou de l’analyse par les ratios
financiers, de modèle de risque de défaillance établi sur les seules données qualitatives. Cette
absence doit être essentiellement reliée à la difficulté des chercheurs à disposer d’une base de
données qualitative suffisamment représentative du comportement de la défaillance, plutôt
qu’à un manque d’intérêt pour cette recherche.

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Prévention de la défaillance des entreprises

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