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Economie de la biodiversité et des services écosystémiques

Séquence 1 : Chapitre I : Définitions et enjeux de la biodiversité et des services écosystémiques

Economie de la biodiversité et des services


écosystémiques
Dr. Adama Sow

Séquence 1 : Chapitre I : Définitions et enjeux de la


biodiversité et des services écosystémiques

PLAN DU COURS
Objectifs du cours :

Ce cours se situe dans le prolongement du cours sur l’économie des ressources naturelles.
Le cours cherche à combiner théorie et faits empiriques. Le but de ce cours est de suggérer
ce que les outils de l’analyse économique peuvent dire de cette réalité et des voies pour
l’améliorer. Il porte sur l’acquisition des outils de base, sur les liens entre l'économie et
l'environnement dans l'exploitation des ressources de la diversité biologique. Il permettra
à l’étudiant de maîtriser les méthodes et outils de l'économie portant sur les ressources de
la biodiversité.
Le cours se structurera autour de la définition de la biodiversité, de l’évaluation et la
valorisation économique des dispositifs de gestion durable de la biodiversité et des
contributions de la biodiversité à l’économie et l’analyse des politiques de conservation. Il
insiste ce faisant sur le rôle que devrait jouer l’analyse économique dans l’élaboration et la
mise en œuvre des politiques publiques.
Chapitre I : Définitions et enjeux de la biodiversité et services écosystémiques

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Economie de la biodiversité et des services écosystémiques

Séquence 1 : Chapitre I : Définitions et enjeux de la biodiversité et des services écosystémiques

Chapitre II : L’évaluation économique de la biodiversité


Chapitre III : L’analyse économique de la biodiversité comme outil de prise de décision

Chapitre I : Définitions et enjeux de la


biodiversité et des services écosystémiques
Introduction
La diversité biologique constitue la richesse naturelle de la Terre et fournit les éléments
essentiels à la vie et la prospérité de l’ensemble de l’humanité. À l’heure actuelle, la
biodiversité disparaît toutefois à un rythme alarmant dans le monde entier. Nous sommes
pour ainsi dire en train d’effacer le disque dur de la nature, sans même connaître les
données qu’il contient. La connaissance des services écosystémiques et du capital naturel
peut aider les décideurs politiques locaux à répondre à des problèmes de politique dans un
grand nombre de domaines divers, ce qui permet d’affiner les réglementations
gouvernementales au niveau local, et d’influencer les modes de production et
d’approvisionnement. Cela contribue aussi à la création d’instruments axés sur le marché
et autres mesures incitatives visant à augmenter les avantages. Nous allons dans ce chapitre
définir les différents concepts clés de la biodiversité avant d’étudier en seconde lieu les
enjeux écosystémiques.
I. Notion de biodiversité et de services écosystémiques
Avant d’aborder les enjeux de la biodiversité, il semble indispensable de s’accorder sur le
sens de la notion de biodiversité. En effet, pour le novice, ce mot renvoie à un ensemble
d’images qu’il convient de préciser.
1. L’évolution du rapport de l’homme à la nature ou la confrontation
des représentations
Le rapport de l’homme à la nature n’a pas cessé d’évoluer au cours du temps. La séparation
entre les notions de « nature » et « société » est de plus en plus remise en cause et illustre
une évolution de notre conception de la place de l’homme dans son environnement.

Dès le début des années soixante-dix, Bruno Latour déclarait : « les relations homme nature
ne sont que des relations entre les hommes à propos de la nature » (Weber, 2002). La
conception selon laquelle la nature peut - être vue comme extérieure à l’homme laisse place
à une vision où l’homme est considéré comme faisant partie intégrante de son
environnement. C’est donc une reconnaissance des multiples interactions qui existent entre
les êtres humains et les écosystèmes.

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Cette évolution des mentalités montre qu’il existe diverses représentations du rapport
homme-nature. La pluralité des points de vue à ce sujet n’est en fait que le reflet de la
confrontation de différentes éthiques environnementales. Cette question de l’éthique
environnementale et de son évolution est importante pour fournir des outils de réflexion
qui permettent de se situer par rapport aux discours multiples sur les humains et la
biodiversité (Weber, 2004). Demeulenaere (2006) propose une typologie des différentes
éthiques existantes :
 Une première vision basée sur une éthique biocentrée : souvent appelée deep
ecology, en ce sens, elle est une extension à tous les êtres vivants de la morale
kantienne appliquée aux êtres raisonnables, c’est-à-dire doués de raison.
 Une seconde vision centrée sur une éthique écocentrée (ou éthique de la
communauté): c’est une vision holiste de la biodiversité où l'homme appartient à la
communauté biotique et où il existe de nombreuses relations d'interdépendance
entre l’homme et son environnement mais aussi entre les espèces de l’écosystème
au sein duquel il évolue.
 Une troisième et dernière vision basée une éthique anthropocentrée : dans ce cas,
L'homme est maître protecteur de la nature. Les hommes ont alors le devoir de
l’ordonner et de la socialiser.

La rencontre de ces différentes éthiques environnementales est encore à l’origine de


nombreux débats. Elle conditionne l’approche de la biodiversité que l’on souhaite
privilégier et la valeur que l’on souhaite lui associer.

2. La biodiversité, un concept marqué par sa complexité


La complexité de la notion de biodiversité vient de la multiplicité des concepts qu’elle
englobe et des difficultés à la caractériser simplement.
a. Une notion qui englobe plusieurs concepts majeurs.

La biodiversité désigne la diversité des organismes vivants, qui s'apprécie en considérant


la diversité des espèces, celle des gènes au sein de chaque espèce, ainsi que l'organisation
et la répartition des écosystèmes. Le maintien de la biodiversité est une composante
essentielle du développement durable Journal officiel du 12 avril 2009.

Le mot biodiversité est un néologisme composé à partir des mots biologie et diversité. Au
Sommet de la Terre de Rio (1992), sous l'égide de l'ONU, tous les pays ont décidé au
travers d'une convention mondiale sur la biodiversité de faire une priorité de la protection

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et restauration de la diversité du vivant, considérée comme une des ressources vitales du


développement durable.

Puis le sommet européen de Göteborg en 2001, dans l’accord sur «Une Europe durable
pour un monde meilleur » s'est fixé (pour l'Europe) un objectif plus strict : arrêter le déclin
de la biodiversité en Europe d’ici 2010 (année mondiale de la biodiversité pour l'ONU).

Le Programme des Nations Unies pour l'Environnement a annoncé le 12 novembre 2008


la création d'un groupe intergouvernemental d'experts sur la biodiversité, qui sera
probablement nommé Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and
Ecosystem Services (IPBES), sur le modèle du GIEC qui, lui, s'occupe du climat.

La notion de biodiversité est issue du concept de diversité biologique, utilisé pour la


première fois en 1980 par Thomas Lovejoy, biologiste américain spécialiste de l'Amazonie.
C’est seulement en 1985 que le biologiste Walter G. Rosen emploie le terme de biodiversité
lors de la préparation du National Forum on Biological Diversity organisé par le National
Research Council aux Etats Unis. C’est uniquement en 1988 que le mot « biodiversité »
apparaît officiellement pour la première fois dans une publication, lorsque l’entomologiste
américain E.O. Wilson l’emploie dans le titre du compte rendu de ce forum. Le mot
biodiversity avait alors été jugé plus efficace en termes de communication que biological
diversity.

Depuis 1986, le terme et le concept sont très utilisés parmi les biologistes, les écologues,
les écologistes, les dirigeants et les citoyens. Cependant, le terme de diversité biologique
persiste et l’emploi du mot biodiversité a du mal à s’imposer. L'utilisation du terme
coïncide avec la prise de conscience de l'extinction d'espèces au cours des dernières
décennies du XXe siècle.

En juin 1992, le sommet planétaire de la Terre de Rio de Janeiro a marqué l'entrée en force
sur la scène internationale de préoccupations et de convoitises vis-à-vis de la diversité du
monde vivant. Ce traité international emploie le terme de biodiversité. Au cours de la
Convention sur la diversité biologique qui s'est tenue le 5 juin 1992, la diversité biologique
a été définie comme : « La variabilité des organismes vivants de toute origine y compris,
entre autres, les écosystèmes terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les
complexes écologiques dont ils font partie; cela comprend la diversité au sein des espèces
et entre espèces ainsi que celle des écosystèmes. » — Article.2 de la Convention sur la
diversité biologique, 1992.

Aujourd’hui, le terme biodiversité a pris le pas sur l’expression diversité biologique et s’est
imposé comme un terme de référence dans le langage courant. La Convention sur la
biodiversité écologique du 5 juin 1992 a défini le terme de biodiversité comme étant « la
variabilité des organismes vivants de toute origine y compris, entre autres, les écosystèmes

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terrestres, marins et autres écosystèmes aquatiques et les complexes écologiques dont ils
font partie; cela comprend la diversité au sein des espèces et entre espèces ainsi que celle
des écosystèmes ».

La biodiversité concerne donc tout le vivant et la dynamique des interactions au sein du


vivant, qu'il soit naturel (biodiversité sauvage) ou bien géré par l'homme (biodiversité
domestique). A ces deux catégories s'ajoute la biodiversité commensale de l'homme, c'est
à dire les espèces qui, tout en n'étant pas gérées par l'homme s'adaptent aux milieux qu'il
crée (le rat et le cafard en ville par exemple).

Au-delà de ce bref historique linguistique, l’idée de biodiversité renvoie à trois concepts


majeurs :
 Le concept du vivant qui inclut la notion d’espèces (faune, flore) mais aussi de
gènes.
 Le concept d’écosystème qui désigne « l’ensemble dynamique formé par une
communauté de plantes, d’animaux et de microorganismes et son environnement
non biologique, les deux interagissant comme une même unité fonctionnelle. Les
écosystèmes comprennent notamment les déserts, les récifs coralliens, les zones
humides, les forêts tropicales, les forêts boréales, les prairies, les parcs urbains et
les terres cultivées. Ils peuvent être relativement exempts de toute influence
humaine, comme les forêts vierges tropicales, ou peuvent être modifiés par
l’activité humaine. » (Commission Européenne, 2008).
 Le concept de diversité qui apparaît comme un élément primordial de la définition.
En effet, ce qui caractérise le milieu naturel est sa diversité : la vie de sa plus petite
expression (invertébré, plancton), voire à ses formes invisibles à l’œil nu (bactérie,
virus) à ses formes les plus immenses (océan, forêt).

Il apparaît que la complexité qui se cache derrière l’idée de biodiversité le rend difficile à
décrire. Cependant, le terme a le mérite de synthétiser la complexité et la diversité du
vivant.
b. Une notion difficile à caractériser

Il existe aujourd’hui aucune approche qui soit capable d’appréhender toutes les notions et
concepts sous-jacents au terme de biodiversité. La biodiversité peut être caractérisée en
utilisant les trois approches complémentaires :

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 L’approche spécifique : renvoie à l’idée du nombre et de la diversité des espèces


rencontrées dans une zone déterminée d'une région, où une espèce peut être vue
comme un groupe d'organismes qui peuvent se reproduire ou dont les membres se
ressemblent le plus (cas des organismes qui se reproduisent par des moyens non
sexuels, par exemple les virus, qui constituent une part significative de la
biodiversité de la planète). • La diversité spécifique, correspond à la diversité des
espèces (diversité interspécifique). Ainsi, chaque groupe défini peut alors être
caractérisé par le nombre des espèces qui le composent, voir taxinomie. Cependant,
pour caractériser le nombre de plan d'organisation anatomique, il est préférable
d'employer le terme de disparité.
 L’approche génétique : met en évidence la diversité des gènes des différents
végétaux, animaux et micro-organismes qui habitent la terre. La variété des
caractéristiques permet aux espèces d'évoluer progressivement et de survivre dans
des environnements qui se modifient. La diversité génétique se définit par la
variabilité des gènes au sein d’une même espèce ou d’une population. Elle est donc
caractérisée par la différence de deux individus d’une même espèce ou sous-espèce
(diversité intraspécifique).
 L’approche écosystémique : renvoie à l’idée du nombre et de l’abondance des
habitats, des communautés biotiques et des processus écologiques sur la Terre. La
diversité écosystémique, qui correspond à la diversité des écosystèmes présents sur
Terre, des interactions des populations naturelles et de leurs environnements
physiques. Selon les Néo-Darwinistes, le gène est l'unité fondamentale de la
sélection naturelle, donc de l'évolution, et certains, comme E.O. Wilson, estiment
que la seule biodiversité « utile » est la diversité génétique. Cependant, en pratique,
quand on étudie la biodiversité sur le terrain, l'espèce est l'unité la plus accessible.

Chacune de ces approches apporte un éclairage différent sur ce qu’est la biodiversité et


renvoie à des mécanismes de préservation différents. Au-delà des approches citées
précédemment, l’Evaluation des Ecosystèmes pour le Millénaire (EEM ou MEA en anglais
Millennium Ecosystem Assessment) a développé une nouvelle approche en utilisant la
notion de services écosystémiques. C’est une vision basée sur la définition des écosystèmes
et des services qu’ils rendent à l’humanité. Ces services peuvent être des services

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d’approvisionnement, des services de régulation, des services de soutien et des services


d’ordre culturel qui affectent directement les populations. Cette vision se distingue des trois
approches citées précédemment du fait qu’elle renvoie à l’idée d’une nature au service de
l’homme. Elle est aujourd’hui l’angle d’attaque le plus utilisé pour appréhender la
complexité scientifique et les enjeux de biodiversité.
La biodiversité est un support aux services écosystémiques « Les services écosystémiques
sont les bénéfices que retirent les individus à partir de l’écosystème » (MEA, 2005). Les
nombreux BSE fournis par les écosystèmes ont été organisés de différentes manières selon
les auteurs, mais la classification la plus utilisée reste celle du MEA (Fisher et al., 2009)
qui résulte d’un « travail collectif de confrontation et d’élaboration de consensus sans
précédent » (Chevassus-au-Louis et al., 2009, p. 216). Le MEA a divisé les BSE en quatre
grandes catégories illustrées dans le shéma ci-dessous avec des exemples. Les services de
support ne sont pas utilisés directement par l’homme, mais permettent aux écosystèmes de
fonctionner de manière à produire les services d’approvisionnement, les services de
régulation et les services culturels (MEA, 2005a). Ils pourraient ainsi être considérés
comme des produits intermédiaires.

Service de support ou Fonctions de base


(Entretien de la fonctionnalité)

e.g. Formation des sols, photosynthèse, Production primaire Cycles des nutriments
(carbone, azote, phosphore, etc.), cycle de l'eau

Services
Services de régulation
D’approvisionnement Services culturels

e.g. régulation du climat et de e.g. aliments (culture, e.g. valeur spirituelle,


la qualité de l'air, modération élevage, pêche, chasse, religieuse, éducative,
des phénomènes extrêmes, cueillette), eau fraîche, esthétique, pédagogique,
prévention contre l'érosion, Eau douce, matières héritage, culturel,
filtration de l'eau, contrôle premières (bois, récréation et
biologique, pollinisation
combustible, fibres), écotourisme, inspiration,
hydrologie (étiages,
inondations) ressources génétiques, relations sociales, sens
-épuration des eaux éléments biochimiques d'appartenance
-maladies (homme, plantes, et pharmaceutiques
Les services deanimaux)
support fournissent la structure de base permettant la vie (UK National Ecosystem
Assessment, 2011). Ils sont nécessaires à la production des biens et services des trois autres catégories (MEA,
2005). Ils diffèrent d’ailleurs de ceux-ci, car leur impact est souvent indirect et se fait sentir à long terme
(ibid.). Les services de support regroupent notamment les grands cycles de l’eau et des nutriments, la
production primaire et la formation du sol (ibid.) et sont fortement interdépendants.
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Les services de régulation sont aussi interdépendants et sont liés à leur action régulatrice dans l’écosystème
(TEEB, 2010). Ils peuvent être considérés comme des BSE ou comme des fonctions écologiques selon le cas.
Ils profitent indirectement aux humains en régulant plusieurs paramètres environnementaux comme les
niveaux d’eau des rivières, la qualité de l’eau, la qualité de l’air, l’atténuation des phénomènes extrêmes, le
stockage du carbone, etc. (Limoges, 2009; MEA, 2005a).

Les services d’approvisionnement sont les biens qui peuvent être obtenus des écosystèmes (ibid.) et sont
généralement les plus faciles à identifier et à quantifier. Ils peuvent être fournis par des écosystèmes
anthropisés comme les plantations et les zones agricoles, mais aussi par les milieux naturels (UK National
Ecosystem Assessment, 2011). Ils permettent notamment de se nourrir, de s’abreuver, de se loger et de se
vêtir.

Les services culturels sont les bénéfices non matériels que les gens retirent à travers leur contact avec les
écosystèmes (MEA, 2005a). Ils regroupent notamment le tourisme et la récréation, l’appréciation esthétique
et l’inspiration pour l’art et la culture, l’expérience spirituelle, l’éducation, etc. (ibid.). En plus de leur lien
avec les écosystèmes, ils sont aussi le fruit d’interactions avec la culture, les sociétés et les technologies (UK
National Ecosystem Assessment, 2011).

Quant à elle, la classification proposée par de Groot et al. (2002) quelques années auparavant comptaient
aussi quatre catégories similaires (fonctions de régulation, fonctions d’habitat, fonctions de production de
biens et services et fonctions d’information). Les BSE des deux premières catégories sont essentielles au
maintien des structures et processus naturels permettant de fournir les BSE des deux autres catégories (de
Groot et al., 2002).

Selon le contexte d’utilisation, la classification la plus pertinente peut changer (Fisher et al., 2009). Dans un
contexte d’évaluation économique des BSE, les classifications du MEA et de deGroot et al. (2002) ne sont
peut-être pas les meilleures représentations bien qu’ils puissent être très utiles pour l’éducation et la
sensibilisation (ibid.). Dans les différentes classifications, ce ne sont pas tant les BSE eux-mêmes qui
changent plutôt que la façon de les organiser. Le but est d’éviter les doubles comptes de la valeur de différents
BSE (Fisher et al., 2009; Maurel et al., 2011), par exemple le cycle de l’eau, la filtration de l’eau et la
disponibilité d’une eau potable.
Dans un contexte d’évaluation économique des BSE, Fisher et al. (2009) proposent de
diviser les BSE en services intermédiaires, en services finaux et en bénéfices (schéma ci-
dessous). En procédant ainsi, les processus et les fonctions écologiques peuvent être
considérés comme services intermédiaires ou finaux en fonction de leur degré de relation
avec le bien-être humain (Fisher et al., 2009). La réorganisation de cette classification
permet de mieux refléter la complexité des écosystèmes et de n’attribuer une valeur

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économique qu’aux services finaux ou aux bénéfices qui sont pertinents dans un contexte
donné (ibid.).

3. Genèse de l’économie des écosystèmes et de la biodiversité


L’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire a donné une légitimité au concept de
services écosystémiques, qui aide à mieux cerner les relations complexes entre la nature et
la société.
Le ministère allemand de l’Environnement et la Commission européenne, associés à
d’autres partenaires, ont lancé une initiative conjointe pour attirer l’attention sur les
bénéfices économiques globaux de la biodiversité, et sur le coût estimé de la perte de
biodiversité et de la dégradation des écosystèmes.
M. Pavan Sukhdev a été chargé de diriger cette étude, intitulée « L’économie des
écosystèmes et de la biodiversité », avec le soutien d’un groupe de travail constitué
d’experts de premier plan. Cette étude évalue les coûts de la perte de la biodiversité et de
la dégradation des services écosystémiques, et les compare avec les coûts et bénéfices de
leur conservation et de leur utilisation durable.
L’Economie des Ecosystèmes et de la Biodiversité (EEB), vise à promouvoir une meilleure
compréhension de la véritable valeur économique des services fournis par les écosystèmes,
ainsi qu’à offrir des outils économiques tenant dûment compte de cette valeur. L’EEB est
composée de deux phases. Il montre l’importance primordiale que revêtent les écosystèmes
et la biodiversité, et met en lumière les menaces qui pèsent sur le bien-être de l’humanité
si rien n’est fait pour mettre un terme aux pertes et aux dégâts observés actuellement. La
Phase II ira plus loin et montrera comment utiliser ces connaissances pour concevoir les
politiques et les outils adéquats.
L’objectif de l’EEB est d’évaluer et communiquer l’urgence de l’action : valeurs
économiques des services des écosystèmes et de la biodiversité mais aussi d’analyser
comment prendre en compte ces valeurs dans les décisions.

Phase 1 (2007-2008): Phase 2 (2008-2010):


• Exploration du sujet • Examen plus complet des concepts et
• Premières analyses: méthodologies
-Dimension des pertes et conséquences • Champ d’analyse plus large
-Les défis de l’évaluation économique • Répondre aux besoins des preneurs
-Des pistes pour des politiques tenant de décisions : responsables politiques,
compte de la valeur des écosystèmes et de acteurs locaux, secteur privé et
la biodiversité citoyens (les utilisateurs finaux)
• Identification préliminaire d’experts et • Implication accrue d’experts et
organisations contributrices d’organisations contributrices
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II. Les enjeux de la biodiversité


La biodiversité doit d'une part être considérée en tant que processus dynamique, dans sa
dimension temporelle. Elle est un système en évolution constante, du point de vue de
l'espèce autant que celui de l'individu. La demi-vie moyenne d'une espèce est d'environ un
million d'années et 99% des espèces qui ont vécu sur terre sont aujourd'hui éteintes.
Elle peut aussi être considérée dans sa composante spatiale : la biodiversité n'est pas
distribuée de façon régulière sur terre. La flore et la faune diffèrent selon de nombreux
critères comme le climat, l'altitude, les sols ou les autres espèces (critères que l'homme
modifie de plus en plus fortement et rapidement).

1. Importance de la biodiversité et des services écosystémiques pour


la société
La biodiversité et les écosystèmes fournissent un grand nombre des biens et services qui
soutiennent la vie humaine :
 Fourniture des aliments, les combustibles et les matériaux de construction
 Purification de l’air et de l’eau
 Stabilisation et modération du climat de la planète
 Modération des inondations, des sécheresses, des températures extrêmes
 Génération et renouvellement de la fertilité des sols
 Maintien des ressources génétiques qui contribuent à la variété des cultures et à la
sélection des animaux, des médicaments et autres produits
 Avantages culturels, récréatifs et esthétiques

La biodiversité constitue aussi une assurance-vie pour notre monde en changement : A


l’échelle globale, la biodiversité doit être considérée dans ses rapports avec les enjeux
majeurs que sont par exemple la réduction de la pauvreté, la sécurité alimentaire et
l’approvisionnement en eau potable, la croissance économique, les conflits liés à
l’utilisation et à l’appropriation des ressources, la santé humaine, animale et végétale,
l’énergie et l’évolution du climat (ONU)
De plus la biodiversité (Heal, 2004) améliore les rendements agricoles et forestiers ;
renforce la résistance des habitats ; favorise la prospection de nouveaux remèdes et soutient
les services rendus par les écosystèmes.
De façon générale, les BSE correspondent à ce que la nature apporte aux humains en termes de bien-être.
D’ailleurs, la définition du MEA le montre bien : « The benefits people obtain from ecosystems » (MEA

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2005a, p. V). D’autres auteurs ont aussi proposé des variantes qui exposent le fait que les bénéfices que les
humains retirent des écosystèmes proviennent des processus et des fonctions des écosystèmes (Fisher et al.,
2009).

D’ailleurs ces différents termes seront clarifiés dans la prochaine section. Fisher et al. (2009) ont passé en
revue les différentes définitions et ont proposé la suivante : « the aspects of ecosystems utilized (actively or
passively) to produce human well-being » (ibid., p. 645). Les BSE doivent provenir de phénomènes
écologiques et ne sont pas nécessairement utilisés directement (ibid.). Il est important de mentionner que les
BSE ne peuvent être appelés ainsi que lorsque les fonctions ou les processus écologiques bénéficient à des
humains (ibid.). Donc, sans humains, les BSE n’existent pas, comme il sera discuté à la prochaine section.

Partant de ces considérations, la définition de BSE utilisée dans cet essai sera une traduction libre de celle de
Fisher et al. (2009). Les BSE sont donc : « les composantes des écosystèmes utilisées directement ou
indirectement pour contribuer au bien-être humain. » Comme le suggère de Groot et al. (2002), seuls les BSE
qui peuvent être utilisés de manière durable, de façon à maintenir les fonctions écosystémiques de même que
les processus et les structures, devraient être considérés. Ainsi, l’extraction de minerais (or, fer, cuivre,
uranium, etc.) ainsi que l’exploitation d’hydrocarbures sont exclus des biens et services fournis par les
écosystèmes. Dans un même ordre d’idée, les sources d’énergie qui ne peuvent pas être attribuées à aucun
écosystème particulier, comme le solaire et l’éolien, devraient aussi être exclues (ibid.).

Pour bien comprendre ce que sont les BSE, imaginons d’abord un monde sans humains,
dans lequel différents écosystèmes couvrent la surface du globe. Dans chacun de ces
écosystèmes, une structure (p. ex. géomorphologie, hydrologie, sols, faune et flore) et des
processus (p. ex. physiques, chimiques et biologiques) sont à la base de l’écosystème et lui
permettent de perdurer dans le temps (Maltby and Barker, 2009).
Différents processus, tels que la transformation des nutriments par des bactéries, la
production de tourbe à partir de végétaux morts en absence d’oxygène et l’infiltration de
l’eau dans le sol à cause de la gravité, sont nécessaires à la production de fonctions
écologiques. Les fonctions associées à ces processus pourraient par exemple être
l’absorption des nutriments par les plantes, le stockage de carbone ou la recharge des
aquifères. Ces processus et ces fonctions permettent à l’écosystème de fonctionner, même
si aucun homme n’est présent. Ils fournissent des BSE lorsque des bénéfices en sont retirés
par des hommes s’ils s’ajoutent à l’équation. Des services comme une meilleure qualité de
l’eau, une réduction des gaz à effet de serre ou encore une augmentation de la quantité
d’eau disponible dans les aquifères bénéficient aux hommes et peuvent être évalués
monétairement. Le schéma (inspiré de : Chevassus-au- Louis et al., 2009, p. 123) ci-
dessous illustre schématiquement ces concepts.

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Bien que le schéma semble simple, plusieurs faits viennent compliquer la donne, notamment pour la
classification et l’évaluation économique des BSE. D’abord, un même écosystème peut générer plusieurs
BSE qui peuvent eux-mêmes engendrer de nombreux bénéfices pour le bien-être humain, situation appelée
joint production (Fisher et al., 2009) ou coproduction. Par exemple, le service de régulation des débits des
rivières peut produire de multiples bénéfices comme les opportunités de récréation, la disponibilité de l’eau
pour l’irrigation et pour la production d’hydroélectricité.

Dans un autre ordre d’idées, il est bien souvent difficile de bien départager les structures et
les processus, les fonctions ainsi que les BSE, car les écosystèmes sont des systèmes très
complexes qui ne sont pas toujours bien compris, même d’un point de vue écologique
(ibid.). De plus, des boucles de rétroactions, des seuils critiques, des décalages temporels
et des phénomènes non linéaires, entre autres, peuvent encore davantage complexifier la
compréhension des écosystèmes (Limburg et al., 2002). Finalement, la variation du niveau
d’un BSE n’est pas toujours proportionnelle à la variation dans la quantité ou l’efficacité
d’un processus ou d’une fonction écologique (Farley, 2008; Chevassus-au-Louis et al.,
2009) et les liens entre ces concepts ne sont pas toujours bien compris (Elmqvist et al.,
2010).

2. Le déclin de la biodiversité et des services écosystémiques


Les causes de perte de biodiversité sont, par ordre décroissant d’importance : la perte et la
dégradation des habitats naturels ; l’introduction d’espèces invasives et la surexploitation
pour certaines espèces. L’EEM a mis en évidence quatre résultats majeurs.

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Premièrement, au cours des 50 dernières années, l’homme a généré des modifications au


niveau des écosystèmes de manière plus rapide et plus extensive que sur aucune autre
période comparable de l'histoire de l’humanité, en grande partie pour satisfaire une
demande croissante en matière de nourriture, d'eau douce, de bois de construction, de fibre,
et d’énergie. Ceci a eu pour conséquence une perte substantielle de la diversité biologique
sur la Terre. Dans une forte proportion, la perte de biodiversité est un phénomène
irréversible. Certains écosystèmes fortement résilients peuvent toutefois être reconstitués.
Deuxièmement, les changements ainsi occasionnés aux écosystèmes ont contribué
augmenter le niveau de bien-être de l’Homme et le développement économique.
Cependant, ces gains ont été acquis de manière croissante au prix d’une dégradation de
nombreux services d'origine écosystémique, de risques accrus d’apparition de changements
non linéaires, et de l'accentuation de la pauvreté pour certaines catégories de personnes.
Ces problèmes, à moins d’y trouver une solution, auront pour effet de diminuer de manière
substantielle les avantages que les générations futures pourraient tirer des écosystèmes.
Troisièmement, la dégradation des services d'origine écosystémique pourrait même
s’accentuer de manière significative au cours de la première moitié de ce siècle, ce qui
constitue une barrière à l’atteinte des objectifs du Millénaire pour le Développement.
Enfin, le défi d’inverser la tendance de dégradation des écosystèmes tout en faisant face à
une demande croissante peut être relevé partiellement dans le cas de quelques scénarios
que l’EEM a considérés. Ces scénarios impliquent des changements significatifs aux
niveaux politique, institutionnel, et des pratiques actuelles. Il existe de nombreuses options
de conservation et d’accroissement des services spécifiques d'origine écosystémique qui
réduisent les effets négatifs des compensations ou qui engendrent des synergies positives
avec d'autres services que procurent les écosystèmes.
Ces dernières décennies, une érosion de la biodiversité a été observée presque partout, et
plus de la moitié de la surface habitable de la planète a été modifiée de façon significative
par l'espèce humaine. S'il y a désaccord sur les chiffres et les délais, la plupart des
scientifiques pensent que le taux actuel d'extinction est plus élevé et rapide qu'il ne l'a
jamais été dans les temps passés.
La majorité des experts en écologie estiment même qu'une extinction massive est déjà en
cours. Plusieurs études montrent qu'environ une espèce sur huit des plantes connues est
menacée d'extinction. Chaque année, entre 17 000 et 100 000 espèces disparaissent de
notre planète, et un cinquième de toutes les espèces vivantes pourrait disparaître en 2030.
Il y a consensus sur le fait que l'homme en soit la cause, en particulier par la fragmentation
des habitats et/ou la destruction des écosystèmes abritant ces espèces. Sans négliger
l'évolution même des espèces ni leur mise en place au cours du temps dans des espaces
donnés, on ne peut que constater en termes de bilan que les pertes quantitatives et surtout

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Dr. Adama Sow
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Economie de la biodiversité et des services écosystémiques

Séquence 1 : Chapitre I : Définitions et enjeux de la biodiversité et des services écosystémiques

qualitatives sont énormes, et qu'à l'échelle planétaire ces dernières s'effectuent de manière
régulière et pernicieuse.
Outre la surpêche et la surexploitation des forêts, la déforestation et la destruction des forêts
anciennes par la sylviculture, des phénomènes sociaux aussi divers la collection
(d'animaux, de plantes, d'invertébrés, de coquilles, etc. ou l'élevage domestique d'espèces
rares prélevées dans la nature, ou l'intérêt pour l'or (cf orpaillage destructeur en Amazonie
par exemple), ou l'intérêt pour des sous-produits animaux rares (caviar, fourrure), voire
l'impact de certaines médecines traditionnelles prélevant leurs ressources dans la nature
non-cultivée), du tourisme de nature ou encore de la pêche ou de la chasse de loisir...
aggravent la situation.
Au-delà de ces résultats, les auteurs de l’EEM portent leur espoir sur des interventions
économiques et financières qui pourraient constituer de puissants instruments de régulation
de l’usage des biens et services procurés par les écosystèmes.

Conclusion
La biodiversité est devenue un motif de préoccupation mondiale. Tout le monde n'est pas
d'accord sur le fait qu'une extinction massive est ou non en cours, mais la plupart des
observateurs admettent la disparition accélérée de nombreuses espèces, et considèrent
essentiel que cette diversité soit préservée, selon le principe de précaution.
La présence de l'homme, mais surtout l'intensivité de ses actions perturbent les équilibres
écologiques avec, notamment dans les plaines, une destruction et fragmentation croissante
des habitats, devenus deux des principaux facteurs de la perte d’un haut niveau de richesse
biologique, l'autre étant les invasions biologiques. Une grande partie des activités humaines
semblent compatibles avec le maintien d’une biodiversité importante à condition que
certaines règles de gestion et d’aménagement soient respectées. Certaines demandent de
profonds changements, sociaux, politiques et économiques. La volonté d’utiliser des outils
économiques pour évaluer la biodiversité en terme monétaire et ainsi orienter le
comportement de l’Homme soulève cependant deux questions majeures : est-ce acceptable
d’un point de vue éthique ? Est-ce faisable techniquement?
C’est sur l’ensemble de ces questions et de ces considérations que nous tenterons
d’apporter un éclairage dans le chapitre II.

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Dr. Adama Sow
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