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Normalisation et développement durable

Faten Loukil
Dans Innovations 2009/1 (n° 29) , pages 35 à 57
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1267-4982
ISBN 9782804102708
DOI 10.3917/inno.029.0035
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NORMALISATION
ET DÉVELOPPEMENT DURABLE
Faten LOUKIL
Université de Tunis, UAQUAP, ISG Tunis
faten.loukil@gnet.tn

INTRODUCTION
La normalisation connaît aujourd’hui une évolution importante aussi bien
dans le secteur industriel que dans le domaine des services. En 2005, près de
33 % des certificats ISO 9001 relatifs à la mise en place d’un système de
management de la qualité et 31 % des certificats ISO 14001 liés à l’engage-
ment dans une démarche de management environnemental ont été délivrés
à des organismes et entreprises dans les différents secteurs des services (ISO
Survey, 2005). Le second pourcentage montre également la contribution des
démarches volontaires comme la normalisation au développement durable.
Les institutions de normalisation se présentent alors comme un appui à la
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réglementation divergente qui caractérise aujourd’hui l’environnement inter-
national.
Par ailleurs, la littérature économique replace aujourd’hui les institutions
économiques au centre de l’analyse de la croissance et du développement des
économies (Le Bas, 2003). Les conditions d’émergence de nouvelles insti-
tutions ou de renforcement de celles existantes constituent des questions
d’actualité dans les débats économiques. La mobilisation des approches
néo-institutionnaliste, conventionnaliste et évolutionniste fournit un cadre
théorique qui assimile les organismes de normalisation à des institutions
contribuant à l’enrichissement de l’environnement institutionnel.
Dans le domaine du développement durable, ce cadre théorique s’associe
avec une actualité économique qui est le projet en cours de la norme ISO
26 000 relative à la responsabilité sociétale des organisations et dont la pu-
blication est prévue en 2009. La nouvelle norme, un nouveau domaine ex-
ploré par l’organisation internationale de normalisation, apparaît comme
une créativité institutionnelle censée accompagner les organisations dans
leur démarche de développement durable. Mais des interrogations nouvelles
se posent quant aux conditions d’émergence et d’efficience de la nouvelle
norme (Amable et Lung, 2003) ?

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Faten LOUKIL

Pour apporter des éléments de réponse à ces différentes interrogations,


l’article est structuré en deux sections. La première s’interroge sur la transpo-
sition du concept de développement durable à l’échelle de l’entreprise et
montre qu’au-delà d’une nouvelle contrainte à intégrer dans la stratégie de
développement, le développement durable est porteur de nouvelles opportu-
nités à saisir. La normalisation est alors présentée comme le moyen d’aider
les entreprises à profiter des opportunités sur le marché. La deuxième section
s’intéresse au projet en cours de la norme ISO 26000 comme l’exemple d’une
créativité institutionnelle dans le domaine du développement durable. Or
on ne peut parler d’innovation institutionnelle sans aborder la question de
la conduite d’un changement institutionnel (North, 1990). La mise en relief
de la notion de dépendance de sentier nous amène à mettre l’accent sur l’his-
toire de la nouvelle norme qui apparaît comme la résultante d’un processus
de négociation et d’interaction spécifique entre les différents acteurs.

ENTREPRISE ET DÉVELOPPEMENT DURABLE,


QUELLE PLACE A LA NORMALISATION ?
Le concept de développement durable commence aujourd’hui à influencer
les pratiques des entreprises et des institutions publiques. Si la commission
Brundtland (1987) le définit comme celui « qui permet à toutes les popula-
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tions vivant actuellement sur Terre de satisfaire leurs besoins sans compro-
mettre les possibilités des générations futures », le sommet de la Terre à
Johannesbourg apporte encore plus de précision en soulignant la nécessité
d’assurer un compromis entre les dimensions économiques, environnemen-
tales et sociales.
Incontestablement, le concept de développement durable a entraîné une
révolution importante en mettant l’accent sur les nouvelles questions aux-
quelles les sociétés sont confrontées : repenser la mesure de la croissance
économique afin de refléter les dimensions économiques, environnementa-
les et sociales du développement durable, tenir compte des besoins des géné-
rations présentes et futures et aussi articuler les dimensions globales et locales.
Transposé à l’échelle de l’entreprise, le concept de développement durable
soulève de nouvelles interrogations : comment concilier les objectifs écono-
miques, sociaux et écologiques et comment faut-il s’y préparer ? L’engage-
ment dans un processus de développement durable se résume-t-il à assumer
de nouvelles contraintes ou s’accompagne-t-il des nouvelles opportunités à
saisir par les entreprises durables ? Comment aider les entreprises à saisir les
nouvelles opportunités ?

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Normalisation et développement durable

L’entreprise et le développement durable,


contraintes et opportunités
Dans le cadre du développement durable, l’entreprise est confrontée à des
pressions nouvelles qu’elle doit intégrer comme une contrainte supplémen-
taire dans sa stratégie de développement. La notion de contrainte apparaît à
travers les nombreux textes réglementaires nationaux et internationaux qui
appellent l’entreprise à assumer sa responsabilité sociétale. Le livret vert
publié par la Commission européenne (2001) a pour objectif de « promou-
voir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises ». Plus
encore, depuis des années, la publication par les entreprises des rapports
sociaux et environnementaux est, dans certains pays, obligatoire. Les con-
traintes internationales pèsent notamment sur les comportements polluants
de certaines entreprises d’autant plus que les consommateurs sont de plus en
plus sensibles au développement durable dans leur comportement de consom-
mation. Les Organisations non gouvernementales (ONG) sont les ambassa-
drices des consommateurs et exercent des pressions de plus en plus fortes sur
les entreprises en instaurant soit des démarches d’opposition soit des démar-
ches d’accompagnement ayant pour objectif de favoriser le recours à des
actions durables. A titre d’exemple, la global Reporting Initiative (GRI),
lancée en 1997 par l’ONG américaine CERES, le Tellus Institute et l’Asso-
ciation of Charterd Certified Accountants vise à intégrer les pratiques du
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développement durable au sein des entreprises via la diffusion d’indicateurs
relatifs à la performance économique, sociale et environnementale (GRI,
2002).
A cet égard, la notion de performance mérite d’être définie dans une nou-
velle logique de développement durable et être associée à une réflexion sur
les choix du mode de développement. La question qui s’impose est comment
orienter les entreprises vers le choix de ces nouveaux modes de performance.
Quelles sont les incitations au « management responsable », qui ne se réduit
plus à la performance financière et s’étend aux sphères sociales (ou sociéta-
les) et environnementales (Capron et Quairel-Lanoizelée, 2004).
Plusieurs entreprises affirment aujourd’hui que le développement durable
est un axe majeur de leur stratégie de développement alors que dans la théo-
rie économique le profit réalisé baisse si les firmes sont soumises à des con-
traintes supplémentaires. Or, au-delà du seul profit, l’objectif de la firme
apparaît comme une fonction complexe. Berle et Means (1933) ont déjà
montré que, la séparation entre les propriétaires (les actionnaires de l’entre-
prise) et les dirigeants (managers) devenue une caractéristique des entreprises
modernes, peut s’accompagner d’un conflit d’objectifs. Des nouvelles voix ont
suggéré qu’il existe des arbitrages différents entre les objectifs de profits, de

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croissance des ventes (Baumol, 1959), du taux annuel de croissance (Marris,


1964), etc. Dans l’analyse d’Alchian et Kessel (1962), l’objectif de la firme
est de satisfaire les membres et les groupes qui la composent, elle poursuit alors
des objectifs pécuniaires et non pécuniaires. Dans l’analyse « behaviouriste
de la firme », Cyert et March (1963) poussent encore plus loin l’analyse de
Berle et Means, en soulignant que l’objectif de la firme ne s’exprime qu’à tra-
vers des sous-objectifs qui sont soumis à l’influence des groupes de pression.
L’entreprise apparaît alors comme un lieu de négociations.
Le développement durable s’intègre alors dans les objectifs de l’entreprise
en s’inscrivant dans la satisfaction de ses parties prenantes : l’environne-
ment, les communautés, les ONG et les autres groupes de pression. Dans ce
cadre, l’enquête sur le management environnemental menée en 2003 auprès
de 270 Établissements industriels Français par l’ADEME en collaboration
avec l’OCDE (Glachant et Vincent, 2004), révèle que le groupe le plus
influent sur le comportement environnemental des entreprises est les auto-
rités publiques, viennent ensuite les groupes internes : le siège de l’entreprise
et la direction de l’établissement. Ainsi, la prise en compte des dimensions
sociales et environnementales contribue à des gains économiques pour la
firme. Un meilleur usage des matières premières réduit les coûts pour l’entre-
prise et assure des gains d’efficacité. Des nouvelles opportunités de part de
marché et de profit sont aujourd’hui, à saisir pour les entreprises qui s’affi-
chent comme respectueuses de l’environnement. Dès lors, une entreprise qui
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s’investit dans des normes sociales ou environnementales peut gagner des
parts de marché sur ses concurrents.
La performance se conçoit aussi dans l’articulation entre le long terme et
le court terme. Comme la réglementation en matière de développement du-
rable va probablement évoluer et devenir plus contraignante, les entreprises
qui ont intégré aujourd’hui le développement durable dans leurs pratiques ma-
nagériales seront épargnées dans le futur contre les baisses du profit dues à des
nouvelles réglementations. Les risques financiers relatifs à des nouvelles régle-
mentations ou sanctions sont à leur tour réduits. Par ailleurs s’engager dans
une démarche de développement durable améliore l’image de marque de l’en-
treprise particulièrement dans certains secteurs polluants. Elle montre ainsi sa
loyauté et son respect pour ses clients et ses salariés en assumant sa responsabi-
lité sociale. L’engagement des entreprises dans le processus du développement
durable semble alors motivé non seulement par des facteurs incitatifs comme
la réglementation mais aussi par des facteurs attractifs. Cependant s’afficher
comme une firme socialement responsable comporte des risques de crédibilité
et de légitimité car l’entreprise doit apporter la preuve de son engagement
sinon elle court le risque d’être traitée de manipulatrice ou de recourir à la
communication mensongère. Dans ce cadre, la normalisation, en tant

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Normalisation et développement durable

qu’un vecteur informationnel qui renforce la transparence sur la qualité en-


vironnementale et sociale des entreprises, occupe une place importante dans
le processus d’institutionnalisation du développement durable.

Apport de la normalisation dans la stratégie


de développement durable d’une entreprise
Le développement durable soulève aujourd’hui plusieurs interrogations no-
tamment sur la nature du cadre institutionnel et le rapport entre les démarches
volontaires et les démarches réglementaires. En effet, on assiste aujourd’hui à
un véritable processus d’institutionnalisation du développement durable (Bodet
et Lamarche, 2007 ; Petit, 2003) qui implique que des règles, des conven-
tions, et des droits se développent. Dans ce processus d’institutionnalisation,
la norme joue un rôle important.
En effet, le marché ne permet pas d’assurer le développement durable.
L’intervention de l’État et la réglementation des services afin de pallier les
dysfonctionnements du marché ne permettent pas non plus d’atteindre
l’objectif d’un développement durable. D’un côté, plusieurs insuffisances ont
été reprochées au monopole étatique notamment la faible efficacité des ins-
truments traditionnels et la sous-représentation de certains intérêts dans les
processus de décision politique. D’un autre côté, les barrières réglementaires
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représentent aujourd’hui un obstacle mineur devant l’évolution des presta-
tions par voie numérique.
Ces motivations légitiment la régulation des enjeux de développement
durable par des acteurs non gouvernementaux. Dans un tel système, des nor-
mes largement acceptées et équilibrées peuvent accroître la transparence du
marché et encourager le développement d’un environnement institutionnel
favorable au développement durable. La mobilisation des théories des coûts
de transaction, conventionnaliste et évolutionniste met en évidence l’ap-
port de la normalisation dans la stratégie de développement durable d’une
entreprise.
Dans l’analyse transactionnelle, la normalisation 1 se présente comme le
dispositif d’élaboration des documents de références qui jouit (Coase, 1937 ;
Williamson, 1975, 1985, 1991) d’un rôle informationnel de réduction de
l’incertitude en fournissant une définition des produits et de leurs caracté-
ristiques. Elle contribue à l’accroissement de connaissances des agents en
1. Elle se distingue de la standardisation qui renvoie expressément à l’uniformisation et à la
réduction de la diversité (Foray, 1996). La certification, en revanche est la procédure par laquelle
une tierce partie apporte l’assurance écrite qu’un produit, un service ou un organisme est con-
forme aux exigences spécifiées (Couret et al., 1995).

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assurant une meilleure transparence du marché. En effet, le recours aux nor-


mes est un moyen de réduire l’opportunisme des agents en palliant les risques
de manipulation de l’information et en réduisant les procédures de contrôles
et de supervision des contrats. Mais, l’opportunisme dépend de la notion de
spécificité des actifs. Plus l’actif est spécifique, plus difficile son redéploie-
ment vers d’autres utilisations sans une dépréciation de sa valeur. Or, dans
un contexte où l’incertitude est faible, on n’est plus confronté à un problème
d’opportunisme, ni de spécificité de la transaction et le marché devient le
mode d’organisation le plus efficace. En revanche, dans le cas de biens spéci-
fiques qui ne peuvent faire l’objet d’une certification, Williamson recom-
mande l’intégration qui exclut d’office le recours à des normes pour garantir
la qualité des transactions. Ainsi, dans l’analyse transactionnelle, l’apport de
la normalisation se limite à définir les caractéristiques des produits et à sou-
tenir la coordination marchande.
Le cadre de l’approche conventionnelle (Thévenot, 1989 ; Eymard-Duver-
nay, 1989 ; Favereau, 1989) est en revanche plus adéquat pour expliquer
l’émergence des normes et leurs fonctions dans le processus de production.
Une caractéristique importante de la recherche conventionnaliste est l’étude
de formes de coordination non marchande : organisation, institution, stan-
dards techniques, normes de comportement, règles morales. Le recours au
terme « dispositifs cognitifs collectifs » employé par Eymard-Duvernay (1994)
présente l’avantage d’être plus général que la notion de règle et englobe les
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entités sur lesquelles s’appuient les individus pour se coordonner. Ces dispo-
sitifs cognitifs sont collectifs car ils permettent aux acteurs de s’appuyer sur
le savoir des autres pour surmonter leur ignorance. La norme apparaît ainsi
comme un dispositif cognitif collectif.
Sa fonction informationnelle (un dispositif cognitif) est envisagée à tra-
vers le partage de l’ensemble d’éléments techniques, scientifiques ou de réfé-
rences. Elle se présente comme un savoir partagé et un langage commun qui
facilite les échanges. Ainsi, les normes sont aujourd’hui un appui et un com-
plément à la réglementation dans le domaine du développement durable. En
effet, devant les multiples problèmes à résoudre, la réglementation se recen-
tre aujourd’hui sur les objectifs essentiels de politique publique ; elle trouve
dans la normalisation des solutions techniques mises au point par les acteurs
eux mêmes, gage de leur application effective sur le terrain. La procédure de
normalisation repose sur la participation et la concertation de toutes les par-
ties concernées par l’accord et aboutit à l’accroissement des informations
codifiées et transférables. La norme possède ainsi la propriété d’être faculta-
tive et d’application volontaire. Cette absence de contrainte obligatoire à
son application lui confère le rôle de promouvoir l’innovation et le progrès
technique.

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Normalisation et développement durable

Cependant, des interrogations persistent sur la légitimité des institutions


privées comme l’ISO, à définir des attentes sociales qui sont de la compé-
tence d’organisations intergouvernementales comme l’Organisation inter-
nationale de travail (OIT). A cet égard, la Confédération européenne des
syndicats s’inquiète de voir les démarches volontaires se substituer à la régle-
mentation sur des questions comme les normes environnementales ou sociales.
Mais, en raison d’une lente réaction et construction des organisations inter-
nationales par rapport aux problèmes internationaux, on s’appuie aujourd’hui
davantage sur les démarches volontaires comme la normalisation qui, issue
d’un processus de négociation collective ouvre la voie à la réglementation.
Le programme d’action de Johannesbourg (Nations Unies, 2002) propose
aussi d’aider les entreprises à améliorer leurs résultats dans les domaines social
et environnemental en encourageant le recours à des initiatives volontaires
comme la mise en place des systèmes de management de l’environnement ou
de la sécurité à condition que ces nouvelles normes n’imposent pas un coût
économique et social injustifié pour les pays en développement.
Mais, une norme reflète aussi les valeurs et principes de fonctionnement
des participants au réseau, une différenciation possible eu égard à l’histoire
de l’entreprise et à sa réputation construite à travers le temps. La fonction de
sélection des partenaires par la norme s’explique par le mouvement de seg-
mentation des processus de production et la spécialisation progressive des
firmes. En effet, les entreprises ont tendance à se désintégrer verticalement
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par la décentralisation de certaines activités. Ce mouvement de décentrali-
sation s’accompagne d’une interrogation sur les compétences possédées par
les entreprises auxquelles se voient confier certaines tâches. L’entreprise, en
exigeant de ses partenaires l’engagement dans des normes sociales et envi-
ronnementales, exporte les pratiques de responsabilité sociétale des entrepri-
ses. La mondialisation favorise la diffusion des pratiques de développement
durable entre les pays et particulièrement dans les rapports entre les pays du
nord et les pays du sud. L’inscription dans une démarche de développement
durable est envisagée comme un investissement spécifique (Williamson,
1983) mobilisant des ressources irrécupérables qui confortent l’intention de
l’entreprise au respect de ses engagements. Les ressources spécifiques con-
tribuent à promouvoir les conditions de travail décentes et à respecter les
principes du commerce équitable particulièrement dans les pays où la ré-
glementation est faible ou inexistante.
Ce système de réseau soulève toutefois, des interrogations sur le rôle des
normes comme une arme discrétionnaire pour les grandes entreprises et un
mal nécessaire pour les PME à la conquête de nouveaux marchés. La diffu-
sion des normes peut, en effet, être abordée comme un effet de réseau sem-
blable à celui de l’innovation dans l’analyse de Tirole (1988). Une entreprise

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engagée dans une démarche de développement durable ne peut qu’être sen-


sible à une initiative analogue de son partenaire. À cet égard, si on examine
l’évolution du nombre de certificats ISO 14001 dans le monde, on s’aperçoit
que l’évolution a été importante d’abord auprès des entreprises asiatiques qui
craignaient l’utilisation de la norme comme une barrière à leurs exportations
en Europe. Les certificats se sont ensuite accrus en Europe sous les exigences
de certains clients vis-à-vis de leurs partenaires. En revanche, les entreprises
américaines ont été réticentes vis-à-vis des normes environnementales car
elles estimaient que la réglementation américaine est plus exigeante que la
norme ISO 14001 (ISO Survey, 2004).
Dans ce système, la normalisation se présente comme une réponse à
l’évolution de l’environnement et en particulier à l’évolution de l’organisa-
tion de l’industrie. Le système de normalisation est ainsi amené à évoluer et
à se transformer pour suivre les différents mouvements de réorganisation
industrielle et de ce fait accompagner les changements organisationnels. Mais,
le caractère librement consensuel de la norme laisse la place à une nécessité
économique. L’organisation industrielle et le système de normalisation ont
tendance à évoluer de façon parallèle car les normes reflètent un « choix col-
lectif raisonné » compatible avec les techniques actuelles et les intérêts de
toutes les parties concernées.
La question de la stratégie de la firme devient alors une composante
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importante quand il s’agit d’investir le sujet de la responsabilité sociale.
L’apport de Teece et al. (1990), inspiré de Penrose (1950) et de Chandler
(1977) est central car reliant la stratégie de la firme à ses savoirs et compé-
tences. Il introduit la notion de « compétences dynamiques » pour désigner
le caractère changeant de l’environnement et la nécessité d’une réaction
rapide face à l’accélération de l’innovation. Une compétence est alors dési-
gnée comme stratégique, lorsqu’elle est unique, destinée à un certain usage
et difficile à copier. Teece et al. (1994, 1997) définissent trois dimensions à
prendre en considération lors d’une décision d’investissement destinée à
renforcer les connaissances et compétences de la firme. D’abord, le processus
organisationnel se réfère à la manière dont la firme fait les choses ou ce qui ren-
voie donc à ses routines ou ses méthodes pratiques et son apprentissage.
Ensuite, son positionnement est déterminé en fonction de ses bases techno-
logiques, intellectuelles et ses relations avec ses fournisseurs et ses clients.
Enfin, sa trajectoire d’évolution fait référence aux différentes stratégies pos-
sibles suivies par la firme et à l’attractivité des différentes opportunités qui se
présentent. La firme poursuit alors une croissance et une évolution dynami-
que qui respecte une certaine cohérence stratégique pour ne pas disperser ses
ressources. Toutefois, pour permettre une communication effective dans une
organisation, il est nécessaire de choisir un langage commun ou un code par-

42 innovations 2009/1 – n° 29
Normalisation et développement durable

tagé par tous les membres de l’organisation. Les normes environnementales


et sociales s’inscrivent bien dans l’accroissement de l’efficience du système
de communication à la fois interne et externe et se présentent comme un
investissement qui facilite l’acquisition et la création d’autres connaissances
(Loukil, 2005).

NORMALISATION,
CRÉATIVITÉ INSTITUTIONNELLE
ET DÉVELOPPEMENT DURABLE
Le système de normalisation et l’organisation industrielle évoluent dans le
même sens. Le projet en cours de la norme ISO 26000 relative à la responsabi-
lité sociétale des organisations révèle l’intérêt porté au développement durable
dans la stratégie des firmes. Cependant, si l’intention de l’organisation inter-
nationale de normalisation était au départ de produire un système de mana-
gement de la responsabilité sociale certifiable comme la norme ISO 9001
pour le système de management de la qualité ou la norme ISO 14001 pour le
système de management de l’environnement, les négociations ont abouti à
une norme de lignes directrices non certifiable.
L’objet de la section est de montrer à travers une mobilisation de la litté-
rature économique que les normes sont des dispositifs institutionnels qui
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enrichissent l’environnement institutionnel. Mais, l’histoire de la normali-
sation dans le domaine du développement durable soulève la complexité et
l’originalité des interactions qui ont accompagné le processus de création de
la norme ISO 26000 notamment la participation accrue des pays en dévelop-
pement et des catégories d’acteurs à ressources limitées comme les ONG et
les groupes des consommateurs.

La norme ISO 26000, un nouveau dispositif institutionnel


En juin 2002, un rapport de la commission des consommateurs de l’ISO
(COPOLCO, 2002) recommande à l’ISO de se lancer dans la préparation
d’une nouvelle norme internationale relative à la responsabilité sociale. Au
cours de l’année 2003, l’ISO a constitué un groupe consultatif stratégique sur
la responsabilité sociétale afin de réfléchir sur la valeur ajoutée de l’ISO dans
le domaine de la RS par rapport aux différentes pratiques et initiatives pri-
vées existantes. Après 18 mois de débats et travaux intensifs, le groupe consul-
tatif stratégique (SAG) a conclu que la RS touche des domaines nouveaux
pour l’ISO qui devrait revoir ainsi, ses processus internes afin de s’ouvrir sur
les syndicats et les organisations non gouvernementales. En effet, le processus

n° 29 – innovations 2009/1 43
Faten LOUKIL

d’élaboration des normes ISO a souvent été critiqué, dans le passé, en raison
d’une sous représentation des groupes minoritaires par manque de ressources
économiques et techniques.
Établi en 2005, le groupe de travail relatif à la norme ISO 26000 se com-
pose de 300 experts provenant de 54 pays membres de l’ISO et 33 liaisons
organisationnelles qui représentent six groupes de parties prenantes : l’indus-
trie, le gouvernement, les syndicats, les ONG, les organismes de soutien et
les organisations de recherches et autres. Dans l’histoire de l’ISO, c’est le
groupe de travail le plus important en terme de nombre mais aussi de diver-
sité de participants. La norme ISO 26000 qui va apparaître au cours de
l’année 2009 constitue-t-elle un nouveau dispositif institutionnel au profit
du développement durable ? Les approches néo-institutionnalistes, conven-
tionnalistes et évolutionnistes envisagent de manière différente la contribu-
tion des institutions dans la coordination des échanges.
Dans l’analyse de Williamson, la révision de la conception dichotomique
firme-marché (Williamson, 1975) et l’adoption de modalités intermédiaires
de coordination (Williamson, 1985) ouvrent la voix à de nouvelles perspec-
tives pour l’analyse des organismes de normalisation et de certification comme
des appuis institutionnels aux relations industrielles. L’analyse des formes
hybrides remonte aux travaux de Davis et North (1971) qui ont introduit le
concept d’environnement institutionnel défini comme un ensemble de
règles politiques, sociologiques et légales censées gérer l’ensemble des rela-
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tions de production et d’échange. Ils ont fait la distinction entre l’environ-
nement institutionnel et les arrangements institutionnels. En effet, ce sont
les institutions, des entités administratives, qui ont la charge de renforcer les
échanges et les accords privés. Elles produisent ainsi l’environnement dans
lequel des arrangements ou des structures de gouvernance peuvent exister.
L’approche de Williamson semble ambiguë pour définir un cadre économi-
que qui assimile les organismes de normalisation et de certification à des ins-
titutions (Menard, 1995, 2000). En effet, si on considère qu’un dispositif de
normalisation est une institution, on doit supposer que son existence pré-
cède les structures de gouvernance et qu’il est un facteur exogène dans un
cadre institutionnel défini à l’avance.
De façon générale, on se réfère à la définition de North (1991) des insti-
tutions comme « un ensemble de règles formelles et informelles ». Au même
titre, l’institution apparaît dans l’approche conventionnaliste comme un
« objet collectif et intentionnel » (Salais, 1998), jugée sur sa capacité à édic-
ter et à respecter des règles qui assurent l’intérêt général. Elle se définit alors
comme « un système cohérent de règles, associé à une entité collective clai-
rement identifiable et généralement sanctionné par le droit » (Favereau,
1996). Les institutions exercent donc une influence sur les organisations et

44 innovations 2009/1 – n° 29
Normalisation et développement durable

les individus en déterminant le cadre des interactions 2. La coexistence d’ins-


titutions différentes permet de soutenir des dispositifs différents de coordina-
tion contribuant ainsi à la stabilisation des échanges.
La future norme ISO 26000 s’attachera, en s’appuyant sur les initiatives
existantes, à établir une compréhension partagée de la RS et à fournir des
lignes directrices aux organisations pour la mise en œuvre. Son champ
d’application ne se limite pas aux entreprises mais concerne toutes les orga-
nisations. Elle est donc porteuse d’un système de règles qui devra ainsi, facili-
ter la réflexion stratégique permettant à chaque acteur d’identifier les enjeux
significatifs et de s’investir dans une démarche de progrès. Cette phase
nécessite une connaissance du cadre institutionnel, des attentes des parties
intéressées et des risques et des opportunités offertes et implique notamment
une coopération avec d’autres acteurs.

Encadré 1 – Architecture de la norme ISO 26000

0. Introduction
1. Domaine d’application
2. Références normatives
3. Termes et définitions
4. Le contexte de la responsabilité sociétale dans lequel les organisations opèrent
5. Les principes de la responsabilité sociétale relatifs aux organisations
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6. Lignes directrices sur les questions centrales / sujets centraux de la responsabilité
sociétale
7. Lignes directrices sur la mise en œuvre de la responsabilité sociétale
8. Annexes
Bibliographie
Source : ISO/TMB, 2005.

Qui se charge de l’exécution et de l’application de ces règles de jeux.


Brousseau (2000) définit les institutions comme une combinaison de règles
et de décisions établies par des organisations institutionnelles qui assurent trois
fonctions essentielles : intégrer les règles dans le comportement des agents,
2. Cette distinction peut paraître trop générale car certaines organisations produisent des règles
du jeu et donc contribuent à l’enrichissement de l’environnement institutionnel. Les travaux de
Bessy et Favereau (2003) ont l’avantage de préciser le rapport des institutions avec les conven-
tions et les organisations. En effet, ce sont les conventions en tant qu’objet collectif qui permet-
tent l’interprétation, l’application et la révision des institutions. En revanche, les institutions se
présentent comme un ensemble de règles de jeu préexistants et objectivables à la disposition des
agents économiques pour résoudre leurs problèmes de coordination. Dans ce modèle à trois com-
posantes : conventions, institutions et organisations, les organisations sont le milieu où les règles
de jeu sont activées. Elles utilisent des règles institutionnelles mais par la même occasion créent
de nouvelles règles qui leur sont propres.

n° 29 – innovations 2009/1 45
Faten LOUKIL

fournir des interprétations lorsque les règles sont vagues et ambiguës et enfin
s’assurer que les règles sont bien appliquées. Ceci renvoie à l’existence d’un
système « d’enforcement » qui veille à l’application et aux contrôles des
règles ainsi qu’aux sanctions en cas de non application. A partir de cette
définition, on peut concevoir les normes comme des règles de comportement
générées par des institutions de normalisation. En revanche, les organismes
de certification sont des organisations institutionnelles qui jouissent d’un
pouvoir d’autorité pour vérifier la conformité aux normes. Or, la norme ISO
26000 apporte des lignes directrices pour les entreprises mais elle n’est pas
certifiable. Elle énonce des principes d’actions mais ne précise pas la manière
de faire et laisse donc l’organisation employer sa propre démarche pour
atteindre les objectifs définis. Cependant, d’autres vérificateurs informels et
non officiels comme les associations non gouvernementales disposent d’autres
moyens de sanctions à l’encontre des organisations. Aoki (2001) montre que
les règles du jeu deviennent « self-enforcing » à travers les interactions stra-
tégiques des agents. La perte d’un client ou d’un marché, une publicité défa-
vorable qui affecte l’image de marque d’une organisation et le boycott des
produits sont des mécanismes de sanctions informels.
Dans ce système, les firmes multinationales jouent un rôle important
dans la diffusion des normes ISO 26000. En effet, devant une réglementation
divergente et parfois absente dans certains pays, elles sont amenées à impo-
ser des règles internes qui sont souvent critiquées par les autorités locales. Le
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recours à la norme ISO 26000 permet de structurer les réseaux sur la base des
normes profitant d’une légitimité internationale (Castka et Balzarowa, 2008).
Ainsi, les organisations désirant rejoindre le réseau d’une firme multinatio-
nale doivent adopter la norme ISO 26000.
A ce titre, la norme ISO 26000 apparaît comme un nouveau dispositif
institutionnel. Or on ne peut parler de créativité institutionnelle sans aborder
la question de la conduite d’un changement institutionnel (North, 1990). Il
existe un vrai débat au sein des approches institutionnalistes sur l’efficience
des institutions car certains estiment que les institutions créées par des
agents économiques rationnels sont forcément efficientes alors que d’autres
soulignent la complexité du processus d’émergence des institutions. En effet,
North (1990) montre l’existence de chemins de dépendance institutionnels.
Ces chemins traduisent l’incapacité de copier les institutions les plus perfor-
mantes même sur une longue temporalité. L’hypothèse de rationalité limitée
explique chez North, le maintien d’institutions inefficaces même à long
terme. Les institutions ne sont pas toujours socialement efficaces mais elles
ont été parfois créées par des individus jouissant du pouvoir de les imposer et
ce dans l’objectif de défendre leurs propres intérêts. Ainsi, les institutions
développent des règles de jeu qui délimitent l’ensemble des possibles. Cette

46 innovations 2009/1 – n° 29
Normalisation et développement durable

délimitation est une contrainte qui peut amener les organisations à tenter de
modifier les règles du jeu et conduit à un processus continu de changement
institutionnel. Pour explorer l’existence ou non de ces stratégies dans le pro-
cessus d’émergence de la norme ISO 26000, on propose de reconstruire l’his-
toire de ce projet comme recommandé par North.

Le projet de la norme ISO 26000,


une perspective historique
Retracer le processus d’émergence d’un projet de norme relative au dévelop-
pement durable n’est pas une tâche facile et la liste des facteurs définis ici ne
peut être exhaustive. Cependant, on estime que le projet de la norme ISO
26000 est l’aboutissement de deux facteurs majeurs : d’une part l’évolution
de la normalisation internationale et l’extension de son champ d’activité à
plusieurs domaines et secteurs d’activités, d’autre part la propagation du con-
cept de responsabilité sociale dans les pratiques des entreprises. Le croise-
ment de ces deux axes aboutit à distinguer les phases suivantes :

Phase 1 : Tertiarisation de l’économie et évolution


de la normalisation organisationnelle

L’organisation internationale de normalisation (ISO3), créée à Genève en


1947 s’est rendue compte, dans les années quatre vingt de l’importance que
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l’assurance de la qualité est en train d’acquérir et du rôle que peut avoir la
diffusion des normes. En 1979, une commission a été chargée d’étudier les
différentes normes d’assurances de la qualité et de les regrouper en un ensem-
ble de normes d’une portée multi-sectorielle et internationale, publiées en
1986 sous l’appellation ISO 9000. D’abord destinées à des grandes entrepri-
ses industrielles, les normes se sont propagées auprès des entreprises de peti-
tes tailles et des entreprises de services. Par ailleurs, une réforme importante
de la norme a abouti à une nouvelle version en 2000 qui introduit plus de
souplesse et laisse une marge de manœuvre aux entreprises pour adapter les
normes à la spécificité de leur organisation. La nouvelle version a été moti-
vée par la nécessité d’adapter la norme aux nouvelles exigences du marché et
notamment le recours croissant des entreprises de services à la normalisation.

3. L’ISO a pour mission de promouvoir l’échange des biens et services à travers des normes inter-
nationales volontaires. Elle intervient ainsi dans tous les secteurs d’activités à l’exception de
l’ingénierie électrique et électronique et des télécommunications qui sont respectivement du ressort
de la commission Electro-technique Internationale et de l’Union Internationale des Télécommu-
nications. La première norme ISO « Température normale de référence des mesures industrielles de
longueur » a été publiée en 1951.

n° 29 – innovations 2009/1 47
Faten LOUKIL

En effet, la tertiarisation de l’économie s’est accompagnée de produits de


plus en plus complexes et attachés à des services (Gadrey, 2000). Cette com-
plexité est source d’incertitude sur la qualité puisque le terme « produit »
s’avère dans plusieurs cas inadapté, mais offre un éventail plus large de diffé-
renciation des produits. Dans les travaux de Chamberlin (1933), les biens
diffèrent les uns des autres suivant des degrés différents, des différences qui
peuvent être inhérentes à des caractéristiques liées au produit lui-même ou
encore aux conditions générales de vente comme la réputation du vendeur,
la commodité de son emplacement et les liens personnels qui l’attachent au
client. Le produit est alors rendu unique par sa spécificité lui infligeant un
aspect monopolistique mais reste soumis à la concurrence des autres pro-
duits. Le défaut de concurrence entre les entreprises, conséquence de la sin-
gularisation des produits augmente le nombre des entreprises intervenantes
sur le marché. Il en résulte une forte dispersion du secteur liée à une faible
structuration du marché. Le cas des services est particulièrement intéressant
dans la mesure où derrière la forte dispersion de tels secteurs se cache une fai-
ble objectivité des services. La définition d’une prestation de service propo-
sée par Gadrey (2000) conçoit l’achat d’un service par un agent économique
B (individu ou organisation) comme l’achat à une organisation A du droit
d’usage pour une période déterminée des capacités techniques et humaines
possédées et gérées par l’organisation A dans le but de produire des effets uti-
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les portant sur l’agent B ou le bien C propriété ou sous la responsabilité de
l’agent B. A partir de cette définition, on peut déduire que lors d’une presta-
tion de service, l’évaluation ex-ante de la qualité porte sur la capacité
humaine et technique mobilisée par une organisation. Gadrey (2000) insiste
sur l’importance du concept d’organisation dans une économie de produc-
tion de services pour renforcer l’engagement et assumer la responsabilité de
la livraison à temps. Ainsi, dans une économie de service, le jeu stratégique
de qualification ne porte plus sur le positionnement de produits mais sur le
positionnement d’une capacité humaine et technique dont l’usage permet
d’aboutir aux effets sollicités par l’acheteur. Dans un objectif de différencia-
tion, l’organisation positionne alors cette capacité socio-technique sur un
segment de qualité bien déterminé. On passe alors d’un positionnement de
produits à un positionnement d’organisations.

Phase 2 : L’évolution de la normalisation environnementale et sociale

Mais, la notion de la qualité s’est encore élargie pour intégrer des dimensions
environnementales et sociétales relatives au processus de production. Les
externalités environnementales et leur internalisation deviennent une nou-
velle exigence dans l’évaluation des performances des entreprises et de leur

48 innovations 2009/1 – n° 29
Normalisation et développement durable

différenciation. Ceci est valable autant pour les biens industriels que pour les
services qui participent à peu prés aux trois-quarts de la richesse et de l’em-
ploi crées dans les pays riches. Les pressions et les attentes des communautés
locales, des consommateurs et des associations environnementales et socia-
les ont contribué à une prolifération des normes et certifications environne-
mentales et sociales.
Dans le domaine de l’environnement, le nombre important des référen-
tiels, dans les décennies 1980 et 1990 s’accompagne non seulement de risque
de contradiction entre des normes différentes mais aussi de coûts de transac-
tion élevés (Grolleau et Mzoughi, 2005). Pour remédier à cette situation, la
norme ISO 14001 représente l’aboutissement à une nouvelle solution collec-
tive qui remplace des référentiels séparés et parfois incompatibles. A la fin de
l’année 2005, au moins 111 162 certificats ISO 14001 (versions 1996 et 2004)
ont été délivrés dans 138 pays avec une augmentation de 24 % par rapport à
l’année 2004. 31 % des certificats ISO 14001 sont délivrés à des prestataires
de services (ISO Survey, 2005). En effet, l’harmonisation des normes permet
d’abaisser les barrières à l’entrée qui sont relativement plus importantes dans
les secteurs de services que dans les échanges internationaux de marchandi-
ses. C’est le cas surtout du secteur des services aux entreprises qui entretient
des forts liens en aval avec les autres secteurs (OCDE, 2007).
Ces chiffres nous amènent à réfléchir sur la contribution des normes
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environnementales au développement d’une économie durable et écologi-
que des services. Par ailleurs, les travaux de Gadrey (2008) ont mis l’accent
sur le caractère polluant et consommateur de ressources naturelles des acti-
vités de services. Une économie durable de services ne peut alors se concré-
tiser que si on prend en considération certaines spécificités des services
comme l’intégration des facteurs matériels de la co-production d’une part et
la consommation de ressources naturelles par le facteur humain de produc-
tion d’autre part. Une norme environnementale de services doit s’orienter
davantage vers un renouvellement des processus de production des services
pour les rendre plus économes en matière de consommation des ressources
naturelles. Certes, la norme ISO 14001 est basée sur une approche de maî-
trise des processus de production, mais elle demeure davantage destinée aux
entreprises industrielles.
Dans le domaine social, l’histoire des normes du travail remonte à la créa-
tion de l’Organisation internationale du travail (OIT) qui a déjà adopté en
octobre 1919 les six premières Conventions internationales du travail rela-
tives aux heures de travail dans l’industrie, le chômage, la protection de la
maternité, le travail de nuit des femmes, l’âge minimum, et le travail de nuit
des jeunes dans l’industrie. A partir de ces différentes conventions, certaines

n° 29 – innovations 2009/1 49
Faten LOUKIL

initiatives ont mis au point des normes de travail. Le référentiel OHSAS 4


18001 accompagne les entreprises dans la maîtrise des risques d’accidents au
travail. Il a été développé par un groupe de treize organisations de normali-
sation et d’audit. La norme SA8000, développée en 1997 par l’organisation
nord-américaine Social Accountability International (SAI) fournit une base
de certification fondée sur le respect des droits fondamentaux des travailleurs
et destinée aux entreprises possédant des centres d’achat ou de production
dans des pays où il est nécessaire de s’assurer que les produits sont réalisés
dans des conditions de travail décentes. Mais, la faiblesse de cette norme
réside autant dans son contenu trop général qu’en l’absence de mécanismes
de vérification.

Phase 3 : Des référentiels privés intégrés au projet


de la norme ISO 26000

L’entreprise est tenue aujourd’hui d’intégrer les dimensions environne-


mentales et sociales dans sa stratégie de développement. Des institutions
de normalisation nationales proposent, aujourd’hui, des normes relatives
au développement durable. Ainsi, le projet britannique SIGMA est une
initiative de British Standards Institution (BSI), qui propose une stratégie
de gestion et valorisation de cinq types de capitaux : naturel, social, humain,
technologique et financier.
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Le guide SD 21000, premier document publié par l’Association française
de normalisation (AFNOR, 2003), est réalisé dans le but d’élaborer des
recommandations pour la prise en compte des enjeux de développement
durable dans la stratégie et le management des entreprises. Il aide les entre-
prises à hiérarchiser les enjeux et à organiser les relations stratégiques avec
les parties externes. Le SD 21000 permet à l’entreprise d’intégrer dans son
système de management des principes et des valeurs qui n’étaient pas prises
en compte avec les normes ISO 9001 et ISO 14001.
Les deux référentiels (SD 21000 et SIGMA) affichent une approche
substantive de la responsabilité sociale en intégrant des enjeux tels que la
préservation des ressources, le respect des droits universels de l’homme ou du
travail, etc. Ainsi, la responsabilité sociétale va au-delà de la prise en compte
des parties prenantes pour s’intéresser aux acteurs faibles ou généralement
absents (Brodhag, 2006 ; Brodhag et al., 2004). En revanche, d’autres réfé-
rentiels comme le Q-RES élaboré par le centre d’éthique et d’économie
(CELE) de l’université de Castellanza en Italie, ou le AA1000, un référentiel
britannique de l’AccountAbility, organisation professionnelle internationale,

4. L’OHS est l’abréviation de l’expression anglaise Occupational Health and Safety

50 innovations 2009/1 – n° 29
Normalisation et développement durable

défendent davantage une approche de la responsabilité sociétale basée


exclusivement sur la satisfaction des parties intéressées.
La prolifération de ces référentiels privés reflète l’inquiétude croissante
quant à l’intégrité sociétale des entreprises et soulève des interrogations sur
le positionnement de la nouvelle norme internationale relative à la respon-
sabilité sociale des entreprises dans l’environnement institutionnel. La
norme ISO 26000 est-elle un substitut à des référentiels privés ? Si plusieurs
auteurs avancent que la prolifération des référentiels s’accompagne de coûts
de transactions importants, la diversité des institutions demeure un facteur
d’enrichissement de l’environnement institutionnel à l’origine de la trajec-
toire d’évolution spécifique à chaque institution. A cet égard, on estime que
les institutions entretiennent des relations de complémentarité car chacune
est amenée à influencer la trajectoire de l’autre (Aoki, 2000).
Les institutions sont complémentaires si la performance économique et
le « bien-être social » engendrés par la coexistence de deux ou plusieurs ins-
titutions sont supérieurs à ceux de chaque institution prise individuelle-
ment. La cohérence doit aussi être assurée entre les institutions formelles et
informelles et veiller à ce que les nouvelles institutions formelles ne soient
pas en opposition avec les institutions informelles existantes (Nee, 1998).
Les institutions informelles désignent ici les normes sociales, les habitudes
comportementales et les croyances culturelles. L’introduction d’une nouvelle
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institution qui ne respecte pas ce principe de cohérence peut avoir des résul-
tats néfastes sur le comportement des acteurs et la structuration de l’organi-
sation industrielle. Le processus de création de la norme ISO 26000 répond-
t-il à ce principe de cohérence ?
La norme ISO 26000 est l’aboutissement de trente ans de réflexion sur les
recommandations des grandes institutions internationales comme l’OIT ou
l’OCDE. L’ISO a mis en place un processus inédit puisque les délégations na-
tionales sont composées de six représentants de six intérêts différents : en-
treprises, gouvernements, syndicats, consommateurs, associations et autres
organismes de conseil et de recherche 5. Le Groupe de Travail de l’ISO
26000, rassemblant tous les experts internationaux, est coprésidé par un pays
industrialisé, la Suède, et un pays en développement, le Brésil. Le jumelage
entre un pays développé et un pays en développement est un nouveau dispo-
sitif introduit par le bureau de gestion technique de l’ISO (TMB) qui vise
à renforcer la participation des pays en développement. En effet, le nombre
important des pays en développement engagés dans le processus a pour

5. Dans la procédure classique d’élaboration d’une norme ISO, chaque pays membre délègue un
expert sur le sujet pour participer aux négociations internationales.

n° 29 – innovations 2009/1 51
Faten LOUKIL

objectif d’éviter que la nouvelle norme devienne une barrière à l’entrée con-
tre les commerces des pays en développement.
Par ailleurs, on voit que l’élaboration de la norme ISO 26000 répond à une
véritable recherche de consensus entre les différentes parties intéressées :
66 pays et 32 organisations internationales participent au Groupe de Tra-
vail. Le nombre des experts des pays en développement représentent 45 %
des experts ce qui est une représentation significative comparée à la partici-
pation des PVD dans l’élaboration des normes internationales comme l’ISO
14001 ou l’ISO 9001. En revanche, un déséquilibre persiste dans la représen-
tation des différents groupes d’acteurs (ISO/TMB, 2006). Ainsi, les groupes
Industrie et Organismes de soutien sont les plus présents dans les différentes
rencontres. Par contre, la participation des organisations syndicales et des
consommateurs est relativement faible en raison essentiellement d’un man-
que de moyens. De même, dans le groupe gouvernement, il y a plus des repré-
sentants des États que des collectivités locales.
De façon générale, dans un processus de décision, chaque participant
définit ses objectifs en fonction de ses préférences. Mais pour défendre ses
objectifs dans le cadre du processus de décision, il est amené à prendre en
considération le contexte institutionnel, la règle de décision collective et les
stratégies des autres acteurs (Elster, 1996). La norme ISO 26000 se trouve
face à un défi difficile, celui d’arriver à un consensus sur les principes de res-
ponsabilité sociétale. Ce consensus est d’autant plus difficile qu’il doit se
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faire à deux niveaux : entre les principaux acteurs d’une part et entre les pays
ou groupes de pays d’autre part.
Le projet de la norme ISO 26000 est l’occasion pour les organisations in-
tergouvernementales de diffuser à grande échelle les chartes et conventions
relatives à la responsabilité sociale. La pression syndicale a permis la signa-
ture d’un accord entre l’ISO et l’Organisation Internationale de travail (OIT)
qui stipule que la norme ne peut être publiée sans le consentement de l’OIT
qui peut émettre son veto. L’organisation internationale du travail a aussi
imposé la participation de la confédération internationale des syndicats li-
bres (CISL) au processus de l’ISO. Cependant, les syndicalistes demeurent
faiblement représentés dans les débats sur la responsabilité sociale. Les délé-
gations nationales sont, en effet, indépendantes et n’adhèrent pas tous à la
CISL. Certains représentants expriment la position de l’autorité dans leurs
pays en même temps que la position des travailleurs. Ainsi, les discussions
n’ont pas abouti à un bouleversement du concept de responsabilité sociale.
Les syndicalistes ont approuvé le passage de la notion de responsabilité sociale
et environnementale des entreprises au concept de responsabilité sociétale,
afin d’interpeller les entreprises autant sur leur responsabilité interne vis-à-
vis des employés que sur leur responsabilité externe vis-à-vis des parties pre-

52 innovations 2009/1 – n° 29
Normalisation et développement durable

nantes. Mais la suppression de la référence aux entreprises sollicitée par les


employeurs estimant ne pas être les seuls responsables socialement, peut en-
traîner une confusion dans les responsabilités. Certes, les parties prenantes
ont une responsabilité à assumer dans la société mais le rôle des entreprises
demeure prépondérant.
Par ailleurs, même si le groupe industrie est largement représenté dans le
processus d’élaboration de la norme ISO 26000, l’étude de Perera (2008)
portant sur la probabilité que les petites et moyennes entreprises recourent à
la norme ISO 26000 révèle une faible représentation des PME dans le pro-
cessus d’élaboration de la norme ISO 26000 pouvant être à l’origine d’un fai-
ble recours de cette catégorie d’entreprises à la norme. Les entreprises de
services ne sont pas à leur tour représentées alors que les travaux de Gadrey
(2008) soulignent la nécessité de prendre en considération la spécificité des
entreprises de services dans la définition d’une stratégie de développement
durable.
Lors des négociations relatives à l’élaboration d’une vision partagée de la
responsabilité sociale, deux visions se sont affrontées : une vision contrac-
tualiste anglo-saxonne qui conçoit la responsabilité sociale comme indivi-
duelle portant sur les acteurs et une vision institutionnaliste européenne où
la responsabilité sociale est basée sur des choix politiques collectifs. Un con-
sensus a été recherché sur deux points fondamentaux : d’une part ce qu’on
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peut exiger d’une organisation et d’autre part sur la démarche d’opérationna-
lisation des exigences. Il semble cependant que la vision institutionnaliste a
dominé les négociations.
Au niveau des possibilités de certification, les anglo-saxons ont réclamé
un référentiel éthique portant sur le système de management et qui peut être
vérifié par une tierce partie. Or la vision institutionnaliste a rejeté la possi-
bilité d’une norme unique en raison d’une variété des organisations et du
contexte dans lequel elles exercent et privilégie une approche qui s’intéresse
davantage aux enjeux qu’au système de management.
L’importance accordée aux parties prenantes était aussi un point de dé-
saccord dans les négociations. En effet dans la vision contractualiste, la
contribution de l’organisation au développement durable se fait à travers la
satisfaction des engagements vis-à-vis des parties intéressées. En revanche,
l’approche institutionnaliste considère que l’entreprise ne peut pas satisfaire
la demande de toute partie prenante et qu’elle peut envisager d’autres objec-
tifs de performances à atteindre. L’approche contractualiste est ici d’autant
plus critiquable qu’il s’agit des pays en voie de développement où les parties
prenantes manquent souvent de compétence et de pouvoir pour exercer des
pressions sur les entreprises.

n° 29 – innovations 2009/1 53
Faten LOUKIL

Pour les pays en développement, la participation à l’élaboration de la


norme ISO 26000 garantit une prise en considération des stratégies nationa-
les de développement durable qui s’orientent davantage vers les questions de
la réduction de la pauvreté et des inégalités. Or, les lacunes de connaissances
et d’apprentissage sur le sujet de la responsabilité sociale associées à un man-
que de temps et de moyens financiers entraînent un alignement des enjeux
sur ceux des pays développés. La langue a aussi constitué une barrière à la
participation des pays francophones dans les débats sur la norme. Le recours
à la traduction des documents ne résout pas complètement le problème car
le temps nécessaire à une bonne traduction empêche de préparer les com-
mentaires et de les envoyer dans les délais au groupe de travail de l’ISO.

CONCLUSION
L’article s’est penché sur l’examen de la contribution de la normalisation au
développement durable. La mobilisation des approches institutionnaliste,
conventionnaliste et évolutionniste d’une part et l’examen du processus de
l’émergence de la future norme ISO 26000 relative à la responsabilité socié-
tale d’autre part, nous ont permis de mettre en exergue une véritable dynami-
que institutionnelle. En effet, le développement durable, en pénétrant
l’organisation industrielle, a influencé aujourd’hui le système de normalisa-
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tion. L’organisation internationale de normalisation s’est lancée dans la ré-
flexion sur une nouvelle norme relative à la RS qui s’est accompagnée des
innovations dans son processus d’élaboration et notamment la recherche
d’un équilibre entre les représentants des différents acteurs : parties prenan-
tes, pays du sud et pays du nord, etc.
D’un autre côté, la normalisation participe activement au processus d’ins-
titutionnalisation de développement durable, en élaborant un cadre interna-
tional qui reprend et divulgue d’une part les meilleurs pratiques et initiatives
privées développées dans le domaine de la RS et d’autre part les déclarations
et conventions correspondantes des Nations Unis et de ses institutions spé-
cialisées.
Cependant et au-delà de cette dynamique institutionnelle, on estime que
les années à venir vont être marquées par une évolution importante dans la
normalisation relative à la RS. En effet, plusieurs référentiels spécifiques
vont se développer pour accompagner l’évaluation des pratiques de respon-
sabilité sociale dans différents secteurs d’activité, notamment dans le secteur
des services, et contribuer à l’interprétation des lignes directrices de la norme
ISO 26000.

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