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Patrice Jean Gbakré GNETO

Chercheur Institut d’Histoire, d’Arts et d’Archéologie


Africains (IHAAA)
Université Félix Houphouët Boigny-Abidjan Cocody
dobezohi@gmail.com

LES DIDA ET LEURS ALLIES EN CÖTE D’IVOIRE :


MODALITES ET SENS D’UN RAPPROCHEMENT FECONDANT

Revue Africaine d’Anthropologie, Nyansa-Pô, n° 24 - 2017

RESUME

Les alliances interethniques ou alliances à plaisanteries, très


fortes en Côte d’Ivoire mais également dans de nombreux pays de la
sous région ouest-africaine, sont de puissants facteurs de solidarités
et de cohésion sociale entre peuples. Héritée de l’histoire précoloniale,
la tradition orale raconte que cette coutume a été instituée par
nos alleux comme moyen, pour désamorcer les tensions entre
ethnies voisines ou clans familiaux. Cet héritage de la diplomatie
précoloniale, les dida l’ont pratiqué à grande échelle, faisant de ce
groupe, celui qui a le plus d’alliés en Côte d’Ivoire.
Selon Emmanuel Terray, “la forme d’extension du réseau des
alliances politiques unit seuls les Dida à tous les peuples voisins qu’ils
ont côtoyés dans le temps. Et chacun de ces peuples Abey, Abidji,
Attié, Adjoukrou, Alladian, Ahizi, etc, n’est allié qu’aux Dida. Les
Dida sont pour ainsi dire, le nœud et le centre unique de ce réseau.
Cette réflexion sur “ Les dida et leurs alliés en Côte d’Ivoire
: modalités et sens d’un rapprochement fécondant “, est une
interrogation sur les raisons qui peuvent amener un peuples à
conclure autant d’accords avec ses voisins immédiats ou lointains.
Mots-clés : alliances interethniques, facteurs de solidarités,
diplomatie coloniale, Dida, réseau, alliés,
patrice jean gbakré gneto

ABSTRACT
Inter-ethnic alliances or alliances with jokes, very strong in Côte
d’Ivoire but also in many countries of the West African sub-region, are
powerful factors of solidarity and social cohesion between peoples.
Inherited from pre-colonial history, oral tradition tells us that this
custom was instituted by our allies as a means to defuse tensions
between neighboring ethnic groups or clans. This legacy of pre-colonial
diplomacy, dida practiced it on a large scale, making this group, the
one with the most allies in Cote d’Ivoire.
According to Emmanuel Terray, “the form of extension of the network
of political alliances only unites the Dida to all the neighboring peoples
that they have rubbed shoulders with each other in time. And each of
these peoples Abey, Abidji, Attié, Adjoukrou, Alladian, Ahizi, etc, is
allied only to Dida. The Dida are, so to speak, the node and the unique
center of this network. This reflection on “The dida and their allies in
Côte d’Ivoire: modalities and sense of a fruitful rapprochement”, is
an interrogation on the reasons that can lead a people to conclude so
many agreements with its immediate or distant neighbors.
Keywords: interethnic alliances, solidarity factors, colonial
diplomacy, Dida, network, allies,

INTRODUCTION

Les alliances interethniques ou alliances à plaisanteries, très


fortes en Côte d’Ivoire mais également dans de nombreux pays de la
sous-région ouest-africaine, sont de puissants facteurs de solidarités
et de cohésion sociale entre peuples.Héritée de l’histoire précoloniale,
la tradition orale raconte que cette coutume a été instituée par nos
alleux comme moyen, pour désamorcer les tensions entre ethnies
voisines ou clans familiaux. Des sortes de remparts aux conflits,
elles constituent des garde-fous contre toutes sortes de dérapages
dans nos sociétés en banalisant les faitsles plus graves. En somme,
c’est un héritage de la diplomatie précoloniale. Cette diplomatie
précoloniale, les dida l’ont pratiquée à grande échelle, faisant de ce
groupe, celui qui a le plus d’alliés en Côte d’Ivoire.

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Selon Emmanuel Terray, « la forme d’extension du réseau des


alliances politiques unit seuls les Dida à tous les peuples voisins
qu’ils ont côtoyés dans le temps. Et chacun de ces peuples Abey,
Abidji, Attié, Adjoukrou, Alladian, Ahizi, etc, n’est allié qu’aux Dida.
Les Dida sont pour ainsi dire, le nœud et le centre unique de ce
réseau » Emmanuel Terray (1969, p.340).
L’on pourrait s’interroger, pourquoi les Dida ont-ils un nombre
aussi important d’alliés ? Quelle signification peut-on donner à ce
fait ?
Cette réflexion sur “ Les dida et leurs alliés en Côte d’Ivoire:
modalités et sens d’un rapprochement fécondant“, est une
interrogationsur les raisons qui peuvent amener un peuples à
conclure autant d’accords avec ses voisins immédiats ou lointains.
La méthodologie adoptée est une fusion de la méthode
ethnologique, sociologique et historique. L’utilisation de cette
méthode pluridisciplinaire a un avantage certain.En effet, la question
essentielle que nous nous posons sur les raisons de l’existence
d’un vaste réseau d’alliance des Dida avec l’extérieur, trouve sa
réponse dans des considérations à la fois historiques, ethnologiques,
sociologiques et anthropologiques.
Cette étude s’articule autour deux axes principaux de réflexions à
savoir : Les alliés extérieurs des Dida et les circonstances de la
signature de chaque accord non écrits et les raisons qui peuvent
pousser un peuple à établir autant d’alliances.

1. LE DIDA ET SES ALLIES EXTÉRIEURS DU MONDE AKAN ET


KROU
Nous ne pouvons parler des alliés extérieurs des dida sans
définir l’alliance inter- ethnique et certains concepts dérivés qui vont
avec. L’alliance interethnique est un accord entre des personnes,
des groupes de personnes. C’est un pacte non signé, conclu, entre
deux peuples ou des groupes ethniques. Unis par alliance, ceux-
cideviennentdes parents ou des alliés.
La parenté peut être définie comme une relation de consanguinité
ou d’alliance qui unit des personnes entre elles. Ainsi, le système
de parenté est un ensemble cohérent de relations existant entre les

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parents d’une même famille. Lorsque ce système se caractérise par


un jeu ou une plaisanterie au moyen d’une jonglerie langagière pour
une libération de soi dans le respect de l’autre à dessein d’amuser,
l’on parle deparenté à plaisanterie.
Le type d’alliance entre les dida et les autres groupes ethniques,
ci-dessous présenté s’appelle « meinou », en dida. « Meinou » chez
les Dida de Lakota signifie, alliance. Les dérivés de « Meinou » sont
entre autres, « Meinou-gnon », c’est-à-dire mon allié et « Meinou-wan »
pour les alliés. Nous allons donc dresser la liste des alliés ou les
« Meinouwan » des Dida que nous trouvons aussi bien dans le monde
akan que dans le groupe krou et donner le caractère « interpélatoire »
d’un si grand nombre d’alliés.

1.1. Les alliances dans le monde akan


Abron / Agni
Agni/ Baoulé
Abbey /Abidji
Abidji /Dida
Abbey / Dida
Adjoukrou /Dida
Adjoukrou /Ahizi
Ahizi /Alladian
Dida /Attié
Adjoukrou / Allandjan
Dida/Kodê (Baoulé)
Dida/Allandjan
Dida /Tiagba(Tchagba)
Dida /Akouri
Dida/Avikam

1.2. Les alliances à l’intérieur du monde krou


Dida/Neyo
Dida /Godié
Dida /Kroumen

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L’on remarque bien l’importance du nombre d’alliés que les dida


ont avec l’extérieur. Dans cet important réseau des alliances (15)
que compte le monde akan et krou proches des Akan, les dida en
compte plus de la moitié, soit dix (10). Quelles sont cependant les
circonstances de la signature de ces nombreux accords entre dida
et chaque peuple allié. Quelle histoire lie chaque peuple aux Dida ?

1.3. Les circonstances de la naissance des accords entre


Dida et chaque peuple allié

Si les origines de cet important mécanisme ne peuvent être


déterminées avec exactitude, le décryptage de nombreux mythes
donne des hypothèses: Un groupe tire un autre d’une situation
difficile telle que la guerre ou la famine ; A l’issue d’un conflit, deux
peuples s’accordent pour signer un pacte de fin de guerre et d’amitié
sous la forme d’un rituel pour conjurer à jamais le mauvais sort ;
Suite à des échanges matrimoniaux répétés dans le cas d’une alliance
à parenté ; suite à l’incapacité d’un groupe de payer l’amende à lui
infligée en cas de violations des bonnes mœurs, telles que l’adultère
ou le meurtre.

1.3.1. L’alliance conclue, suite à l’incapacité d’un groupe


de payer l’amende à lui infligée en cas de violations
des bonnes mœurs, telles que l’adultère ou le meurtre
Un seul accord s’inscrit dans ce registre. Il s’agit de l’alliance qui
unit les Dida au plus illustre de leurs alliés, les Abbey. C’est d’ailleurs
le plus connu des alliés extérieurs des Dida. Cette alliance est dite
« une alliance forte » à cause de ses nombreux interdits inviolables.
Selon la tradition orale, elle aurait été conclue, suite à l’incapacité
des Dida à payer une amende (un éléphanteau), infligée par les
Abbey, après un adultère. Mais, selon l’histoire, ce fût les Abbey qui,
les premiers, commirent l’adultère et s’acquittèrent l’amende (une
petite panthère) à eux infligée par les Dida.
Pour conjurer le mauvais sort d’un conflit qui était latent, les
deux peuples s’accordèrent à sacrifier une fille vierge et un poulet
qui furent fendus et chaque parti emporta sa part. Cetacte fort dit
pacte de sang, interdit à jamais Dida et Abbey de se verser le sang
mutuellement et de s’arracher les femmes. Entrent également dans

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ces interdits, les blessures faites consciemment ou inconsciemment,


incluant même les mariages. Les interdits vont également à la vue
d’un corps d’allié.
Le mariage est possible, seulement après avoir sacrifié au rituel qui
veut qu’on fende un cabri vivant. Dida et Abey se le partage et chaque
entité fait cuire et consomme la viande sans y associer l’autre. Et cela
en souvenir du sacrifice rituel qui consacra cet accord d’alliance.
Le doyen GBAHI Carlos1, un Dida établie à Agboville depuis plus
de trente ans, dit avoir participé à plusieurs cérémonies de ce genre,
pour conjurer le mauvais sort qui surviendrait, suite au mariage
entre un dida et un Abbey. Il a même cité des exemples. Mais il
a également énumérer des cas de violations de ces principes, qui
ont entrainés le désastre du couple. Selon GBAHI Carlos, l’alliance
Dida/Abbey est si forte que tous ceux, des deux communautés
qui dérogent à ces interdits, surtout dans le cas du mariage, sont
frappés de malheurs entrainant parfois la mort d’un ou des deux
conjoints. Dans le moindre des cas, les enfants nés de cette relation
sont amorphes ou mongoliens.
Cette alliance dite forte, a des ramifications en pays Abidji et attié.
Qu’en est-il de cette alliance qui lie les Dida aux Abidji ou aux Attié ?
L’alliance qui met en relation Dida et Abidji, repose sur l’accord
conclue avec les Abbey. Ce sont leurs frères. Aussi, ont-ils servi
de témoins, lors de la signature la convention entre Dida et
Abbey, rapportent les sources orales2. L’alliance dida /abidji n’est
pas un pacte de sang. Elle pouvait être qualifiée d’alliance par
rapprochement, comme celle qui lie les dida aux Attié, n’eut été
le rôle majeur d’arbitrage des Abidji, dans le règlement du conflit
latent qui opposait dida et abbey. Cela dit, Dida/Abidji et Dida/Attié
peuvent se marier.
A coté de cette alliance dite de sang, on note de nombreuses
alliances à parenté conclues, suite à des échanges matrimoniaux
répétés ou, à la suite de la migration d’anciens groupes dida partis
du pays dida actuel.
1 GBAHI Carlos, 60 ans, Instituteur à la retraite. Entretien privé du le 06 juillet
2017 à Agboville.
2 ATTE Augustin, militaire à la retraite. Entretien privé du 07 mai 2017 à Katadji,
S/P de Sikensi.

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1.3.2. L’alliance dite de parenté des Dida et leurs frères


Adjoukrou ou, Ahizi et Avikam
Il s’agit des alliances entre Dida/Adjoukrou, Dida/Ahizi et Dida/
Avikam. Les Adjoukrou et les Ahizi sont d’anciens groupes partis du
pays dida actuel, avant les grandes migrations du XVIème siècle. Il
s’agit des Oborou3, des Boubouri et des Tchagba de Dabou.
Les Adioukrou d’origine dida habitaient la région de Divo,
notamment les villages de Bagrou, Ménéhiri, Yade et Kagba. Ils
étaient constitués de huit sous-groupes dont les Abadjra, les
Akpossa, et les Orgbaf. C’est au XVème siècle qu’ils amorcent leur
migration par vagues successives en direction de l’Est. Leurs départs
sont motivés, semble-t-il, par les guerres tribales qui sévissaient à
l’époque (Memel-Fotê, 1980, p.276).
A cette première vague d’Adjoukrou d’origine dida, il faut ajouter
les Tchagba (Ahizi) qui eux sont venus de Néko-Tchagba, dans le
canton Néko (Sous-préfecture de Lakota). Cette vague d’anciens
Dida se retrouve essentiellement dans les villages Tchagba (Tiagba)
et chez les Boubouri4 (Gneto, 2012, p.110).

3 L’histoire raconte que ce sont les Oborou qui les premiers, quittèrent leur pays
originel, celui des Dida. La migration les mènera successivement dans les régions
de Tiassalé et de Dimbokro, après avoir remonté le N’zi. Ils partirent ensuite vers
l’Est dans le Moronou, avant de revenir s’installer dans le Sud, à l’Est des Abidji,
dans la région de Dabou.
4 A l’origine, les habitants de Tiagba, actuel village lacustre de la Sous-préfecture
de Jacqueville étaient entre Sokotohué, village Tigrou du département de Lakota
et Gnahoréhué, un village de la Sous-préfecture de Gagnoa. Ils y ont été chassés
par les Gnakobrognoa du département de Lakota. Ils vont d’abord s’établir dans
le Néko, une tribu actuellement rattachée au canton Tigrou. La migration les
conduira successivement à Lozoua, Yocobué, N’zida, Nadibo, puis enfin dans le
pays Ahizi, près de Jacqueville. Il semble qu’en venant de Néko, un second groupe
ait choisi de passer par Tiégba, chez les Goboa, près de Guitry, en direction des
lagunes. Dans le dialecte parlé par ces populations Ahizi de Tiagba, on retrouve
quelques mots dida, signe de leur appartenance à cette origine.
Les Tiagba ont laissé trois villages dans le Néko : ce sont les villages de Gobouo,
Zikobouo et Gnéprouboué qui regroupent dans la tribu Néko, les Tchagba encore
appelés Néko-Tchagba. A ce propos, d’autres sources pensent que ces trois villages
tout comme les autres Tchagba, seraient plutôt venus de cette autre localité de
Guitry, du même nom. Mais en réalité, le village de Tiégba proche de Guitry n’est
qu’une étape de la migration des Tiagba partis du pays dida en direction de leur
résidence actuelle.

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Tous ces groupes originaires du pays dida constituent la première


vague d’immigrants venue s’installer dans l’Odjoukrou. Ils y
forment quatre sous-groupes : les Oborou, les Ossrou-Okpodjou,
les Aggbadzou et les Akpassou, tous originaires du pays dida (S.-P.
EKANZA, 2006 pp.33-34). Certains alliés des Dida sont de souches
Avikam, ayant transité par le pays dida proche du littoral5. Il s’agit
des Kpanda-Edjin, des Orgbaf, et des Edzem-Edjin.
L’alliance de parenté entre dida et Avikam tire ses origines de
l’accord qui mit fin au conflit entre Dida de Zéhiri, alors premiers
habitants de Lahou plage et Avikam, venus plus tard. Ces derniers
voulurent s’installer de force sur cette plage de Lahou, où étaient déjà
présents les dida de Zéhiri. Ce conflit décima les Zéhiri et réduisit
leur nombre à vingt quatre (24) survivants. Les Avikam payèrent aux
autochtones dida, un tribu comme droit de sol. Il s’agit d’un bol de
perles appelé Edi. Un autre groupe côtier, celui des Ahizi, compte
également au nombre des alliances dites de parenté avec les Dida.
Qu’en est-il de cette alliance avec les Ahizi ?
Certains ouvrages dont celui de BONNEFOY (Bonnefoy, 1954,
p.21) et les traditions orales ahizi et dida affirment que certains
filets Ahizi auraient leurs origines en pays dida où ils ont encore
des souches. Les Néko-Tchagba du village de Néko, près de Lakota
sont formelles sur cette question. Ils affirment que certains de leurs
parents seraient partis s’installer en pays Ahizi où ils constituent
aujourd’hui encore, une frange de la population Tchagba-Ahizi.

5 Un grave conflit fratricide opposa les Kpanda du clan Affè au clan Bobi qui bouta
hors du pays Avikam, les premiers cités.Ces derniers vont errer cinquante années,
durant lesquelles, ils vont fonder au cours de leurs différentes migrations en pays
dida, les villages Kpanda que nous connaissons. L’histoire raconte que le clan Bobi
chassé du pays Avikam, s’établit d’abord non loin de Fresco, sur le littoral, en un
endroit que les anciens appellent Ekôyô-Kpandon. Ce village existe présentement
et les Godié l’appellent Kpanda-Dou. Là encore, ils sont retrouvés et poursuivis
par les Affê. Ils durent se débarrasser de leur ennemis en prenant la direction
du Nord sous la direction d’un chef appelé Zeglé Bhlakpa pour se retrouver en
pays Diès (Djès), où ils fondent le village de Gbloudoukou–Kpanda. De nouvelles
vicissitudes les emmenèrent à Brahéri chez les Goboua d’où ils durent partir
encore vers le Sud en direction de leur terre d’origine. lls arrivèrent à Yocoboué
d’où ils préparèrent une revanche qui leur permit à nouveau de s’installer sur la
terre de leurs ancêtres. Au cours de cet exil, certains auraient choisi de s’établir
en pays adioukrou où ils fondèrent le village de Kpada appartenant à la phratrie
Oborou de Dabou.

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Fort de ce lien, tous ces anciens Dida, sont restés très proches
de leur anciens pays d’origine. Aussi, y viennent-ils chercher leur
femme à marier. C’est pourquoi, la plupart des hommes de Lahou,
Dabou, Jacqueville, avaient pour épouse des femmes d’origine dida.
Du fait de cette situation, l’on comptera dans les localités sud proches
de la côte, bon nombre de femmes d’origine dida.
Cette alliance est donc née des liens de parenté avec le pays
dida. Mais à cette qualité d’anciens groupes dida, entretenue par
des échanges matrimoniaux répétés, il convient d’ajouter celle
d’unebonne position géographique ayant facilité ce lien. Ce sont eux
les pays côtiers, intermédiaires du commerce transatlantique entre
européens et pays de l’hinterland forestier que sont les Dida.
En effet, ils seront les leviers du commerce avec les européens à
une époque où les produits manufacturiers étaient très prisés des
pays de l’hinterland forestier (C. WONDJI, 1985. p.163).Toutes ces
conditions, dis-je, ont été des facteurs favorisants la conclusion
d’alliances.
A propos des Néyo et des Godié de Sassandra faisant partie des
sous groupes proches du monde dida, leur alliance avec ces derniers
pourrait être qualifiée d’alliance de parenté ou d’alliance interne,
parce qu’elle ne concerne que des accords qui les lient seulement à
d’autres sous groupes dida.
Certains accords ne s’inscrivent cependant, dans aucun des
cas cités. Ce sont plutôt des pactes de sangs tissés par crainte de
représailles de nouveaux arrivants, de plus en plus envahissants.
C’est certainement dans cet ordre que peuvent s’inscrire, l’alliance
qui lie les dida aux Baoulé-Kodê. Avoir un nombre aussi important
d’alliés a un caractère interpellateur. Cela nous emmène à nous
interroger sur les raisons qui ont pu pousser tout un peuple à tisser
autant d’alliances.
Quelles significations peut-on donner à la conclusion d’une
multitude d’alliances par un seul groupe?

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2. LES FONDEMENTS ET LA SIGNIFICATION DE CES


NOMBREUSES ALLIANCES
Ces nombreuses alliances reposaient d’abord sur une diplomatie
de survie. Mais notons cependant quele bon accueil de l’étranger
constitue également une institution d’hospitalité propre à la culture
dida.

2.1. Une diplomatie de survie

C’était une diplomatie de survie d’une société sans Etat, pour


contenir les guerres éventuelles ou imminentes, aux XVIème, XVIIème,
et XVIIIème siècles, face aux invasions incessantes de nouveaux
migrants, de peuples mieux organisés politiquement et militairement.
Notons que nous sommes pendant la période des grands
mouvements de populations. A cette époque, la lutte pour l’acquisition
de nouvelles terres fait rage.Et certains peuples s’imposent à d’autres,
notamment aux plus faibles, pour les repousser le plus loin possible
et prendre possession leurs terres.
L’arrivée des Baoulé–Assabou dans la région de Tiassalé, entre
1720-1730 par exemple, illustre bience que nous avançons.Le
rapport du Lieutenant Couder en 1904 sur les peuples présents
dans la région de Tiassalé avant la conquête baoulé, précise que trois
ethnies se partageaient le secteur. Ces immigrants, dès leur arrivée,
refoulèrent vers l’Est Abidji et Abey et vers l’Ouest, les autochtones
dida (Coudert, 1904).
Les alliances interculturelles et les parentés à plaisanteries, ces
puissants mécanismes de maintien de relations pacifiques entre
les peuples, mécanismes mis en place par de nombreux peuples
ivoiriens en vue du renforcement de leur cohésion, le peuple dida
va en faire le moyen privilégié de sa diplomatie, pour faire face à ces
nouveaux arrivants. Mieux organisés et plus nombreux que leurs
hôtes dida, ces derniers vont s’allier à eux, au lieu de les affronter.
C’est certainement à cette stratégie de rapprochement, à une période
où les guerres tribale font rage et les plus forts s’imposant aux plus
faibles, que les dida, un des plus anciens peuples du sud-ouest
forestier de la Côte d’Ivoire doit sa survie.

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2.2. Le bon accueil de l’étranger, une institution


d’hospitalité propre à la culture dida
Le bon accueil de l’étranger fait partie de la culture dida. En effet,
l’étranger en pays dida est roi. On lui réserve un très bon accueil.
S’il est un allié, tout lui est permis. Ainsi, intégrer de nouveaux
arrivants au sein des familles d’accueils et en faire des alliés était
des pratiques très fréquentes dans la société dida précoloniale.
Avant la colonisation, de nombreuses familles dida pour accroitre
leur nombre, ont accepté en leur sein des étrangers trouvés en forêt
et ramenés au village. Des exemples sont légion à Gogobro (S/P de
Divo), Satroko, Globia ou à Néko ( S/P de Lakota). C’est un fait que
nous avons pu noter au cours de notre enquête dans le pays dida
(Gneto, 2012, p.115).
Entre 1920-1960, de nombreux accords de fait ont été conclus
avec des étrangers venus des terres intérieures (Haute-Volta, Soudan
français, Niger, Haute Côte d’Ivoire), à la faveur desmigrations de
travail que l’Etat colonial a organisé, dans le cadre de la mise en
valeur de la basse Côte d’Ivoire qui, fait notable, fut contrariéeau
moment même où une pénurie chronique de main d’œuvre sévissait
sur place, c’est-à-dire en zone forestière (Chikouna, 2013, p.20).
L’histoire du vieux Robert Gbéto (un dida), est bien illustrative
de ce que nous disons.Avant l’indépendance, et même peu
après, des convois entiers de migrants Soudanais(Maliens),
Voltaïques(Burkinabé), Guinéen, Nigériens et Ivoiriens du Nord
en quête d’un mieux être, arrivaient régulièrement en Basse Côte
d’Ivoire. Ces convois déferlaient en direction des forêts du Sud
forestier ivoirien, où la cacaoculture et celle du caféfaisaient la
prospérité du pays tout entier. Et le pays dida qui n’était pas en
reste, va recevoir, bon nombre de ces migrants-travailleurs.
Dans le village de Tchékpokué, nous avons interrogé grand-mère
DOKPA6, considérée comme une personne ressource avisée7sur la
question des alliances. Dans l’entretien que nous avons eu, il ressort
qu’un convoi de ce type, chargé de ces immigrants, arrive un jour

6 DOKPA Tadjo, 90 ans, ménagère Entretien privé du 23 mars 2008 à Satroko


7 Une anecdote raconte qu’elle était d’une hospitalité si légendaire, qu’elle arpentait
des fois les soirs, la rue principale du village à la criée, pour demander si quelqu’un
avait reçu un étranger pour lui apporter à manger.

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de l’année 1953 à Satroko8. Comme tous les autres habitants du


village, le vieux Robert GBETO s’approche du camion et choisi un
travailleur, le jeune Losseni. Il lui prend par la main et l’entraine
chez lui en ces termes, à l’intention des badauds : « Mon père m’a
mis au monde seul. Celui-ci sera mon frère et allié ».
Peu après, il lui indique la plantation à entretenir, mais l’autorise
également à créer sa propre plantation, sur ses terres. Cette licence
n’a pas donné de limites d’exploitation à Losseni. Selon les indications
du vieux Robert GBETO, il lui était permis d’exploiter cette forêt,
autant que faire se peut. Losseni fera venir sa famille pou l’aider
à en exploiter une bonne partie. Il est aujourd’hui installé sur de
vastes exploitations de terres, que lui contestent les enfants du vieux
GBETO. Cet accord non écrit ne reposait que sur un accord tacitede
fait, entre deux personnes qui s’étaient alliés. L’exemple du vieux
Robert GBETO n’est pas un cas isolé. Bon nombre d’accords de ce
genre ont été conclus dans tout le pays krou.
Notons que le Dida, tout comme les autres peuples de l’Ouest
forestier ivoirien, a cette fâcheuse tendance à vouloir tisser un pacte
d’alliance avec tout étranger qu’il croise ou qui s’aventure dans leur
pays pour prévenir, disent-ils toutes velléités. L’administrateur
Georges Thomann9 qui a fait le constat, l’a noté dans son “carnet
de route en Côte d’Ivoire (1893-1902) “, lorsqu’il parcourait le pays
Bété. A chaque étape, les chefs des contrées traversées voulaient
signer avec lui, un pacte de sang. De ce fait, il en a conclu plusieurs,
depuis le périple qui l’a mené de Sassandra à Daloa.Parlant lui-même
de ces accords, il écrit ceci : « Mes porteurs ont fait le fétiche Mê
(mêno) avec les indigènes » (Thomann, 1999, p.227). Un peu plus
loin, il note encore : « mes porteurs ont fait l’échange véritable de
sang » (Thomann, 1999, p.235).
Selon Christophe WONDJI, le Mê (mêno) n’est pas un fétiche
mais une cérémonie visant à sceller un pacte de sang ou d’alliance
perpétuelle après une guerre particulièrement meurtrière (Thomann,
1999, p.227). Ce serment d’alliancerepose sur l’échange véritable
de sang, c’est-à-dire par une opération qui consiste à inciser les
personnes en cause et à procéder à l’injection du sang de l’un dans
le corps de l’autre et vice versa (Thomann, 1999, p.235).

8 Localité située à 30 kilomètre à l’Est de Lakota.


9 Administrateur des colonies, il fut le premier blanc à franchir le pays Bété.

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Ce genre d’accords, les chefs de lignages majeurs dida en ont


conclus également une multitude. Chaque village visité a eu son mêno
avec l’étranger de passage.Ce pacte en vérité, est un acte d’amour
pour montrer sa loyauté envers l’étranger qu’on a en face. Par ce
pacte de sang, l’on montre à l’étranger qu’on ne le trahira jamais.
Et de manière implicite, on lui exige de même, à en faire le serment.
Aujourd’hui, ces accords se sont mués en alliances à plaisanteries
ou parenté à plaisanterie, qui voudraient qu’il y ait toujours un
problème de possession, en tous cas ! Chacun veut que l’autre
soit esclave. Bref, chacun est l’esclave de l’autre, ce qui concilie le
sentiment de supériorité et la réciprocité. La hiérarchie proclamée
par l’autre groupe est simplement inversée. Cette fraternisation
aboutissant irrémédiablement à une théâtralisation et à une
dédramatisation de faits graves.
La théâtralisation permet ici de désamorcer beaucoup de choses.
Elle permet par exemple d’atténuer certaines frustrations. En
s’amusant, on se libère. Desdialogues pendant des palabresavec des
attaques frontales du genre :
« Tu es qui ? un homme parle et tu parle ? »
« Mais, qui es-tu pour me parler de la sorte ? Hoo! C’est un
« mênognon », un allié. Parlez avec lui. L’autre protagoniste désarmé
du fait de la présence d’un allié en face, se retire de la palabre pour
laisser place aux pourparlers, à travers le jeu des alliances.
Même en temps de deuil, la dédramatisation de la perte d’un
être cher atténue toutes les douleurs des cœurs meurtris, après les
propos d’un allié. Des propos de plaisanterie du genre : « pourquoi
avez- vous une mine de défaite pour si peu ? un esclave meurt et
vous vous lamentez ? ».
S’adressant au défunt, il dit ceci : « Lèves toi, qu’on parle. Tu n’as
pas dit que c’était toi le patron ? ». « Regardez, comme il est couché,
parles maintenant ? ».
L’air médusé, les proches du défunt regardent impassibles se faire
toutes cette théâtralisation d’alliés. C’est une manière à eux, d’apporter
leur assistance à la tristesse. De même, qu’ils sont associés aux
épreuves, ils sont aussi intégrés à la joie en période de fête.

Revue Africaine d’Anthropologie, Nyansa-Pô, N°24 - 2017 147


patrice jean gbakré gneto

Ce comportement, cette bonne qualité des relations des Dida avec


certains peuples, a dû interpeller d’autres peuples qui l’on entendu.
C’est ce qui explique certainement cet important réseau d’alliances
du monde dida avec l’extérieure.
Quel constat fait-on aujourd’hui, à propos de ces alliances ? Quelle
forme ces alliances prennent-elles de nos jours ? Marchent-elles
encore comme du temps de nos grands parents ? Voilà autant de
pistes de recherches qui s’ouvrent à nous pour des études futures.

CONCLUSION

Il est à souligner queles pactesd’alliances constituentune coutume


très répandue dans tout le groupe krou. Et l’amour de l’étranger est
une pratique inscrite dans la tradition dida-bété, qui s’étendait à tous
les autres peuples des l’Ouest forestier ivoirien. C’était une pratique
déjà appliquée dans la société dida d’avant les grandes migrations
du XVIème siècle. Cela montre que le peuple dida n’est pas un peuple
belliqueux et qu’il est très hospitalier. Cette tradition d’hospitalité
est la conséquence directe de la conclusion des nombreux accords
d’alliances, noués avec l’extérieur que nous connaissons aujourd’hui.
Les retombés de ces relations d’amitiés, dans l’évolution de la société
dida sont énormes : Ces accords vont consacrer son ouverture sur
l’extérieur, en lui permettant de prendre une part active au commerce
international naissant sur la côte.
Aussi, ces pactes d’alliances vont-ils le mettre à l’abri des
agressions, le préservant de tous conflits majeurs avec les peuples
de migrants qu’il aaccueillis sur ses sols. De ce fait, l’histoire ne
mentionne pas de conflit important ayant opposé des Dida à d’autres
peuples. Bien au contraire, le Dida est reçu chaleureusement partout
où il va, du fait de ses nombreux alliés.

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les dida et leurs allies en cöte d’ivoire : modalites et sens d’un...

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Sources orales
ATTE Augustin, militaire à la retraite. Entretien privé du 07 mai 2017 à
Katadji, S/P de Sikensi.
DOKPA Tadjo, 90 ans, ménagère Entretien privé du 23 mars 2008 à Satroko.
GBAHI Carlos, 60 ans, Instituteur à la retraite. Entretien privé du le 06 juillet
2017 à Agboville.

Sources imprimées
Archives Nationales de Côte d’Ivoire (ANCI), 1. EE 152 (2)- Rapport du
Lieutenant Couder, 1904.

Ouvrages généraux
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Eburnéennes, 3 : 7-129.
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GNETO Gbakré Jean Patrice, 2012, Les Dida, origines, migrations et peuplements,
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lignagère à classes d’âge. Côte d’Ivoire, Abidjan, Présence Africaine, NEA.
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d’Ivoire », in Annales de d’Abidjan, Série F : 375.
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L’Harmattan.

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