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Anzieu Premmereur
Anzieu Premmereur
Christine Anzieu-Premmereur
Dans Revue française de psychanalyse 2011/5 (Vol. 75), pages 1449 à 1488
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0035-2942
ISBN 9782130587460
DOI 10.3917/rfp.755.1449
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 11/11/2023 sur www.cairn.info via Université de Strasbourg (IP: 130.79.14.140)
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Christine Anzieu-Premmereur
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à ta mère, par ton rire,
que tu la reconnais…
Prends l’initiative, petit enfant, celui qui n’a
pas vu ses parents lui sourire
ne sera pas digne de la table des dieux ni de
la couche d’une déesse. »
Virgile, 4e Églogue.
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sur l’appareil psychique donnent la mesure de l’importance quantitative et
qualitative de l’environnement humain pour la constitution du sujet. Le maternel
est basique, ce sont les fondations sur lesquelles nous sommes construits. C’est
ce support vital, qui s’observe quand on travaille avec des nourrissons et leurs
parents : le soutien narcissique dont parle Grotstein (1981) comme du soutien
du dos, réel et métaphorique, et que Geneviève Haag (1990) a superbement
développé dans ces observations de tout-petits. Une « matrice » encadrante, une
surface et un contenant dont les qualités de support et de souplesse dépendent
des premiers contacts avec le maternel des parents. Ce serait le fond originel,
Grund chez Freud, ou l’archaïque, base de l’inconscient, Ungrund.
Le maternel apparaît dans les rêves comme l’écran sur lequel se créent les
représentations, tout comme il est associé au fantasme de retour dans l’inanimé
originel.
Une jeune patiente, qui a vécu des séparations précoces d’avec ses parents
divorcés, se souvient qu’à l’âge de trois ans, loin de sa mère, elle ne pouvait
s’endormir qu’avec la vision d’une grande surface blanche qui se développait
dans ses rêves en prenant des formes de volcan qui faisaient penser au
sein. Plus âgée, angoissée à la peur que sa mère ne soit morte chaque fois
qu’elle partait chez son père, elle faisait le cauchemar de la surface blanche
couverte de boules agitées dont les ombres se projetaient à l’infini, lui faisant
éprouver la terreur de ne jamais en sortir malgré sa familiarité. Terreur proche
de l’inquiétante étrangeté, associée au « fantasme de la vie dans le ventre
maternel ». Un retour morbide à la confusion entre soi et l’espace maternel.
Un moment proche de la désintrication pulsionnelle au moment où elle aurait
pu éprouver une culpabilité œdipienne.
Le sujet qui éclôt des premières indifférenciations a intégré le maternel,
ses qualités et défauts : « Soit un soi qui soit bien ce contenant, ce fond stable,
permanent et unique… présence, certitude impalpable, invisible, silencieuse
et pourtant essentielle, à la fois assise constitutive du sujet et réalité vivante »
(Cahn R., 1991).
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Quelles sont les qualités et les fonctions du sujet « maternel » qui permet
tent cette rencontre originaire essentielle ? D’ou vient cet investissement ?
« Les enfants satisfont notre désir d’immortalité » écrit Freud en 1900.
« His Majesty the Baby » investi de tout le narcissisme parental, reviviscence
du narcissisme infantile, est source d’un amour intense, d’un transfert des
idéaux et espoirs qui vont permettre aux capacités maternelles de se mettre
en place avec l’adaptation aux besoins incessants et exigeants du nourrisson.
Le maternel est en équilibre entre initiatives adaptées à l’enfant et passivité
nécessaire pour recevoir l’expérience primaire du bébé, ce qui mobilise le
masochisme féminin et entre en conflit avec les désirs de la femme sexuée.
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Entre trop d’excitation et pas assez d’attention, le maternel se manifeste avec les
pathologies de l’intrusion et de la négligence. Hélène Deutsch (1944) affirmait
que les bonnes mères étaient des femmes frigides. Michel Fain (1971) a mis en
valeur le rôle de « censure de l’amante » de la mère qui met des limites entre
elle et l’enfant afin de lui laisser son espace fantasmatique.
On doit aux psychanalystes anglais d’avoir décrypté les spécificités du
fonctionnement maternel en le nommant « dévotion ». Melanie Klein a posé
le maternel bisexuel en fondateur du monde psychique, l’objet-mère y est
omniprésent, mais ses qualités maternelles ne sont pas en jeu.
C’est Winnicott (1956) qui insiste sur la nécessaire sensibilité maternelle
au développement psychique du nourrisson ; reconnue plus comme un environ
nement pare-traumatisme que comme une personne, la mère aux capacités
maternelles, « mère dévouée ordinaire » est capable de s’identifier à son enfant,
d’avoir l’intuition de ses besoins non seulement physiques mais émotionnels.
Elle sera « suffisamment bonne » quand elle pourra doser ses interventions, être
en empathie sans envahir et se retirer progressivement pour laisser le champ au
moi de l’enfant qui grandit. Le maternel est le soutien au moi immature, grâce
aux capacités de sollicitude. C’est la « préoccupation maternelle primaire », état
d’hypersensibilité apparu en fin de grossesse, qui permet l’adaptation délicate et
sensible au nourrisson. La folie maternelle va s’ouvrir sur l’espace du transitionnel,
car le maternel, c’est aussi la capacité de se laisser quitter.
On risque de dériver loin de la séduction réciproque, loin du fantasme,
quand on fait référence au maternel sans évoquer la personne de la mère. Le
maternel comme prolongement sans limite de l’enfant, continuité indivise fait
disparaître l’espace fantasmatique et érotique de la mère.
La notion de relation fusionnelle obstacle à l’accès au symbolique est
dépassée par Bion (1979). La rêverie maternelle contient aussi l’amour pour
le père. Fonction de contenance des événements émotionnels, elle opère leur
transformation en penser. On peut parler de capacité maternelle de l’analyste
aux prises avec les débordements et les attaques psychotiques.
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Le maternel manifeste quelle est la place de l’autre ; depuis l’emprise sur
un objet considéré comme une partie narcissique de soi, jusqu’à l’attention
pour l’autre dans sa différence et sa spécificité, sans qu’il ne soit nié du fait
de son existence séparée. Les tableaux des vierges de la Renaissance déclinent
les variantes de la place de l’autre pour une mère. Les relations amoureuses, les
situations de soins et d’éducation rejouent sans cesse les enjeux du maternel.
L’objet maternel revient sur le devant de la scène analytique postfreudienne
autour de la qualité de sa présence, bien avant de saisir les effets de son
absence. Le rôle majeur de cette présence dans les constructions primaires
est maintenant éclairé par les troubles du narcissisme et de la symbolisation
associés aux défauts de l’investissement du maternel.
Ce fut difficile pour Freud de penser la figure maternelle et son rôle aux
débuts de la vie. Cela aurait requis une identification féminine à laquelle il a
toujours dit être réticent. Entouré de mère, nanny, sœurs, femme et six enfants,
il a eu l’occasion d’observer le maternel, pourtant, dans ses écrits, il semble
avoir été plutôt indifférent à la complexité de la relation précoce (Whitebook J.,
2011 ; Anzieu D., 1974).
Freud n’a pas commenté les qualités maternelles de sa femme Martha.
C’est Anna qui a eu un rôle maternel auprès de son père vieillissant et c’est à
elle à qu’il s’adressera au moment de mourir. Dans la reconstruction de son
enfance, il perçoit que l’identification avec la mère le conduirait à se soumettre
à la passivité. C’est après le décès de sa mère Amalia, âgée de 90 ans, que Freud
a dit la libération ressentie à pouvoir envisager sa propre mort. Il écrit alors le
texte sur la sexualité féminine dans lequel il évoque la relation préœdipienne
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Dès l’Esquisse, Freud met en place l’objet sein, associé à la mère qui
répond aux besoins, pare-excitante autant que séduisante. Réponse qui permet
que les pulsions sexuelles s’étayent sur celles d’autoconservation, que l’activité
fantasmatique l’accompagne, que le soi se développe et s’autonomise par
intériorisation des fonctions du maternel.
La notion de structure encadrante proposée par André Green (1983), et le
rôle actif de l’hallucination négative de la mère, manifestent le rôle essentiel du
maternel. Ces enjeux autour de la représentation se relient au stade du miroir,
et sont en lien avec les travaux des Botella sur l’hallucinatoire (2001).
Durant cette période d’omnipotence, le narcissisme infantile investit
l’identification primaire à la mère toute puissante, et se poursuit avec le moi
idéal. Le sentiment océanique du moi primitif que Freud décrit dans Malaise
dans le Civilisation, sensation d’éternel éprouvé dans le narcissisme originaire,
est comparé aux vestiges de la Rome antique. Romain Rolland le définit comme
transfert maternel originaire.
C’est dans Léonard de Vinci que Freud aborde la place de la figure maternelle.
La tendresse illimitée, la séduction maternelle qui abolit la place du père est
menace de castration et Freud généralise sur l’amour maternel : « L’amour de
la mère pour le nourrisson qu’elle allaite et soigne est quelque chose qui va
bien plus en profondeur que son affection ultérieure pour l’enfant qui grandit.
Il est de la nature d’un rapport amoureux pleinement satisfaisant. »
Freud réaffirme, à la fin de sa vie dans la Féminité, que pour un fils l’amour
maternel a une parfaite qualité. Mais il affirme l’insatisfaction de la femme,
c’est en devenant mère qu’elle trouverait une totale satisfaction ; la fécondité,
le désir d’enfanter ne seraient pas touchés par la menace de castration. Dans
Contribution à la psychologie de l’amour, Freud maintient un clivage entre la
plénitude idéale de celle qui est mère et les désirs érotiques féminins.
Est-ce que cette intense satisfaction associée aux jeux naïvement éro
tiques entre mère et fils peut être reliée à l’excès de refoulement qui atteint
plus tard l’enfant névrosé ? Cet amour maternel séducteur serait source de
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passe par le dépassement de la pensée animique associée à la toute-puissance
et sa relation avec l’univers maternel, royaume du sensoriel.
Il évoque la puissance originaire des « grandes déesses mères », déesses
porteuses d’un savoir qui alimente toute la curiosité infantile et la quête de
connaissance, dans une forme primitive du fantasme œdipien énoncé par Lacan
« l’Autre à jamais en sa jouissance ».
Dans le Motif du choix des coffrets, Freud parle « du fil d’un lien archaïque »
qui mène « aussi bien aux déesses de la vie et de la fécondation qu’aux déesses
de la mort ». Catherine Couvreur commente : « Lorsque les mères vacillent,
l’enfant imaginaire, celui du temps mythique de la complétude narcissique
absolue, est livré sans recours à la solitude, au silence, et à l’obscurité de la
séparation. » Elle cite la lettre de Freud du 3 juillet 1899 à Fliess, quand sa
propre mère et sa femme enceinte sont toutes deux malades : « Étrange et
inquiétant lorsque vacillent les mères, les seules à se tenir encore entre nous
et la délivrance. »
La lettre de Freud à Stefan Zweig du 2 juin 1932 regrette que la maternité
imaginaire d’Anna O n’ait pas pu ouvrir sur la connaissance : « Breuer avait
à ce moment-là la clé qui nous aurait ouvert “les portes des Mères”, mais
il l’a laissée tomber. » Le mystère des mères aurait-il été accessible grâce
l’hystérie ? L’univers des mères est celui des pulsions à l’origine du vivant, le
narcissisme à sa source, lieu imaginaire de l’illimité et du mortifère.
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difficulté de connaître ce domaine primitif : « Tout ce qui touche au domaine
de ce premier lien à la mère m’a paru difficile à saisir analytiquement, blanchi
par les ans, semblable à l’ombre à peine capable de revivre comme s’il avait
été soumis à un refoulement particulièrement inexorable » (Freud S., 1931).
C’est justement cette ombre qui poursuit la femme devenue mère (Schaeffer J.,
1999).
Que reste-t-il de l’infantile ? Des traces sensorielles, des représentations
retravaillées par les effets de l’après-coup, des constructions imaginaires fondées
sur les imagos parentales de la petite enfance, des résidus de l’identification
à la mère de cette époque révolue, celle dont la fonction a été introjectée,
dont les avatars ont été sources d’idéaux. Si la maternité s’associe à une levée
partielle du refoulement et permet des retrouvailles avec ces traces, c’est une
régression qui peut aussi bien alimenter l’amour passionné de la mère pour son
bébé que le compromettre (Anzieu-Premmereur C., Cornillot M., 2003).
Une jeune patiente qui s’est décrite comme une enfant négligée par des
parents trop préoccupés par leur carrière, vient d’apprendre qu’elle est enceinte
et rapporte un rêve qui illustre ces retrouvailles avec un objet maternel de
qualité ancienne : « Je suis dans la mer, au milieu de nulle part et je cherche
ma direction. Un petit bateau finalement passe, et c’est une femme qui me
montre l’horizon, je reconnais l’ombre de ma maison, mais c’est une longue
distance et la solitude m’écrase, alors j’ai peur des monstres qui sont au fond
de la mer. Je me sens entre deux eaux, c’est une mer qui ne me porte pas. »
Rêve transférentiel au moment où elle doit s’absenter et retrouver les monstres
anciens de sa rage d’avoir perdu l’objet maternel.
La maternité s’étaye sur les conflits du féminin et du corps sexué bouleversé
par la grossesse et la naissance. C’est un danger pour le moi de certaines qui
ne pourront accéder à la capacité maternelle, prises dans la dépression ou la
psychose et l’absence d’investissement amoureux de l’enfant ; détachées ou
mécaniques, elles seront pour l’enfant des infirmières sans émotion, comme
la « mère morte » de Green (1983) ; d’autres seront envahies de haine pour
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cet objet dépendant d’elles mais qui ne peut satisfaire leur besoin de fusion.
Enfin certaines seront passionnément amoureuses, désirant un éternel lien
narcissique avec un enfant objet partiel qu’elles vont posséder et maîtriser,
sans pouvoir le considérer comme un être séparé aux besoins propres. On
peut ainsi décliner toutes les variantes du maternel « fou ». La seule folie qui
autorise une illusion partagée entre mère et enfant est la « folie de tendresse »
dont parle Margaret Mahler (1975) ; folie pleine de sollicitude où l’enfant se
construit en symbiose pour s’individuer ensuite.
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NAISSANCE DU SUJET ET FONCTION MATERNELLE
état qui ressemble à l’absence de besoin. Dans Pulsions et destin des pulsions,
Freud note : « Bien sûr, l’état originaire narcissique ne pourrait prendre ce
développement si chaque être individuel ne passait par une période de désaide
et de soins, cependant que ses besoins pressants, satisfaits par le concours de
l’extérieur, seraient ainsi tenus à l’écart du développement. »
La protection fournie par la mère prévient les manques qui empêcheraient
l’accès au développement vers le moi-réalité final en imposant trop tôt à
l’appareil psychique immature une expérience de réalité qui laisserait une
trace indélébile dans le moi.
« Quand la personne secourable [hilfreiche] a exécuté pour l’être impuissant [hilflos]
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l’action spécifique nécessaire, celui-ci se trouve alors en mesure, grâce à ses possibilités
réflexes, de réaliser immédiatement, à l’intérieur de son corps, ce qu’exige la suppression
de stimulus endogène. L’ensemble de ce processus constitue un “fait de satisfaction” qui a
dans le développement fonctionnel de l’individu les conséquences les plus importantes »
(Freud S., 1895).
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dans le vide, je tricote et ça fait venir des pensées. »
Narcissisme et autoérotisme
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la nécessité de la position première, sous la forme de quelque chose qui est entfremde,
étranger à moi tout en étant au cœur de ce moi, quelque chose qu’au niveau de l’inconscient,
seule représente une représentation. »
Mère calmante ou trop stimulante, elle apporte une satisfaction qui n’est
jamais parfaite, décalée dans le temps ou dans sa qualité. L’enveloppe narcissique
n’est pas étanche au monde extérieur. La réalité de l’environnement s’impose
dans l’écart entre le fantasme et la satisfaction éprouvée dans la rencontre
avec l’objet. Il est essentiel que cet écart n’apparaisse que progressivement,
rappelle Winnicott (1970), sinon le monde externe fait une intrusion trau
matique dans l’appareil psychique immature : écart source du penser, qui
s’origine dans le fonctionnement psychique de la mère, dans ce qui produit en
elle ou non du maternel ; et un maternel de quelle couleur ? Amoureux, tendre,
froid, passionnel, affolé, déprimé, indifférent…
Le maternel procure un soutien essentiel aux besoins de sécurité. Non pas
que la mère doive être là de façon constante, mais la qualité de son souci et
de ses gestes donne l’expérience d’une continuité prévisible (Yi Mi-Kyung,
2006).
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Les petits de moins de trois ans que je vois en consultation, souvent
diagnostiqués dans le registre de l’autisme mais dont le retrait est dépressif,
reviennent à la vie et à la relation quand la mère soutenue par l’analyste offre
à l’enfant l’expérience d’être deviné, « embrassé ». De la même façon que
le mot comprendre provient de « prendre avec », il s’agit ici de contenir et
avec le corps, embrasser, et avec l’esprit, comprendre (verstehen en allemand
dont le sens est aussi entourer). La mère entoure l’enfant avec son corps
et ses pensées, le libidinal se joint au symbolique, elle interprète (Anzieu-
Premmereur C., 2010).
L’attachement
s’est sentie aimée par son bébé et lui a renvoyé un miroir qui témoigne de son
investissement, calmant aussitôt le bébé qui a retrouvé l’appétit. La pulsion
d’attachement est satisfaite, et c’est le moi-peau, interface entre mère et enfant,
enveloppe, qui prend forme et donne un « élan intégratif » au moi en ébauche
(Cupa D., 2002).
Le concept winnicottien de holding s’applique ici, le bébé ne pouvait pas
s’agripper au sein absent, ni au regard de la mère, trop préoccupée elle-même
par sa détresse d’un sevrage précoce. Pour se sentir tenu, rassemblé, un bébé doit
être porté par une mère qui peut ressentir ce qui se passe, offrir un miroir, une
harmonisation autant physique que psychique. Cléopâtre Athanassiou (1994)
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rapporte la conception d’Esther Bick sur l’agrippement : « L’attention maternelle
est ce qui donne à la tenue physique du bébé la valeur d’une tenue psychique et
lui permet de sentir ce rassemblement des différents éléments de lui-même qui,
si sa mère le lâche, vont provoquer l’angoisse d’une chute sans fin. »
Le maternel regroupe donc le pare-excitation essentiel, le holding contenant
les angoisses d’anéantissement et la mère libidinale au contact érogène.
S’y ajoute la mère-processus de transformation, que Christopher Bollas
(1979) a nommé l’objet transformationnel, processus d’intégration et de soutien
des transformations internes. Bollas affirme que la mère est ressentie comme
le support des changements dans l’expérience d’être ; c’est, plus que le désir,
la transformation de soi-même qui est au centre. Le maternel environnement-
facilitateur reste associé aux changements de soi et c’est la source, à l’âge
adulte, de la quête d’un objet qui continue à permettre de se développer.
Le maternel, c’est aussi tolérer d’être le réceptacle des rejets projectifs
du bébé pour qui l’objet n’est pas que source de gratification, mais cible où
évacuer les expériences émotionnelles « non digérées » liées à la tension :
autant qu’au besoin de sein, l’enfant est sensible au besoin de se débarrasser
de ce que Bion appelle le non-sein.
« Au niveau des besoins psychiques premiers, écrit Wilfrid Reid (2010), la mère doit
maintenir l’illusion première de l’enfant d’être à l’origine de sa propre satisfaction […].
Ainsi les réponses premières de la mère aux mouvements et état affectif et pulsionnel de
son enfant se comportent-elles comme une espèce de “miroir” premier de l’être […]. Dès
lors on peut comprendre toute l’importance de la transitionnalité qui s’établit entre mère et
bébé, c’est un système antitraumatique qui évite de placer l’enfant devant un dilemme qu’il
ne peut traiter : ceci est-il de mon fait ou de celui de l’autre ?
C’est ainsi que se fixe, quand les soins sont mal adaptés ou inadéquats, ou encore quand la
fonction pare-excitante de l’environnement est défaillante, un noyau de culpabilité primaire,
un noyau de mal-être, l’enfant se sentant alors à l’origine de ce qui dysfonctionne. »
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(1970), ce qui va assurer sa permanence, protection contre l’anéantissement
en cas d’absence.
On connaît l’interprétation lacanienne du stade du miroir, quand le sujet
sort de l’indifférenciation avec la mère et naît au désir, pris dans le désir de
l’Autre (Célérier M.-C., 1982). La mère doit être suffisamment tolérante pour
laisser s’installer entre elle et son bébé cet espace transitionnel, modulable
selon l’état de l’enfant et garantie contre la relation d’emprise.
Jean a treize mois, il s’est replié dans le sommeil et l’anorexie depuis l’âge
de trois mois quand les angoisses de la mère qui n’a pas pu l’accueillir ont
conduit à un sevrage brutal. Il n’a aucun langage, ne tient pas debout, ne joue
pas. Mais il me regarde, souvent avec effroi et je lui dis sa peur des étrangers,
le vide dans sa bouche depuis le sevrage, son besoin d’être blotti contre sa mère
que j’encourage à le tenir, tout en évoquant sa rancune à l’égard de ce petit qui
ne se développe pas. C’est le père qui réagit en prenant l’enfant dans ses bras.
Jean décide alors de s’approcher de moi qui lui tends un jouet mou, continue
son chemin et passe devant le miroir, il s’interrompt, interloqué, me voit dans
le miroir, hurle d’angoisse ; je parle de lui séparé de maman quand il voit mes
yeux, de son besoin d’être comme elle, avec elle, et qu’elle le voit quand il
se regarde. Il met le jouet mou dans la bouche, repart courageusement vers le
miroir, le touche et me regarde, cette fois-ci avec intérêt. Je lui dis bonjour
Jean, et combien il se sent étonné d’être lui devant moi. L’anorexie va cesser
dès cette première rencontre et toutes les séances vont ensuite commencer
avec Jean glissant vers le miroir et attendant mon bonjour.
L’équilibre psychosomatique
et émotions, qui peuvent être alors ressenties comme « vraies » (Debray R.,
1987).
Le maternel a pour rôle la liaison pulsionnelle, l’intrication de la pulsion
de mort à la libido. Ferenczi a associé les troubles de l’humeur, les « fractures
de l’élan vital », aux pulsions de destruction qui se meuvent aussitôt que
l’investissement maternel se défait. Ce qui rejoint la notion de Benno Rosenberg
(1991) sur le masochisme gardien de la vie par intrication de la destructivité,
opposé au masochisme mortifère désobjectalisant. Michel Fain (2001)
l’explicite : « L’investissement libidinal maternel neutralise la pulsion de mort
présente dans le ça de l’enfant par la force de cohésion contenue dans son
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instinct maternel. » L’activité hallucinatoire et le rêve sont forces de cohésion
qui dépendent de la fonction maternelle.
Le message transmis par la mère lors de l’endormissement assure autant
de la tendresse maternelle que de l’existence d’autres investissements de la
mère. Le maternel de la mère est gardien du sommeil du bébé, le féminin de
la mère qui exerce la « censure de l’amante » ouvre à la scène primitive, au
tiers.
Rémi a cinq ans, enfant d’un couple où le père manifeste une empathie
maternelle car sa mère n’a pas pu le tenir dans ses bras à la naissance, elle
n’a pas senti « ce dont parlent les autres femmes, ce grand élan de tendresse,
non, juste l’angoisse » qui a empêché le corps à corps. Ce fils qui grandit sans
la soucier commence des épisodes de terreurs nocturnes. Rémi n’a aucune
conscience de ses épisodes et déteste que ses parents parlent d’une partie de lui
qu’il ignore, cela le dépersonnalise. Il est d’ailleurs très mécontent que sa mère
ne se souvienne jamais des épisodes qui le marquent, les films, promenades
dont il aime faire le récit, elle ne sait jamais de quoi il parle. Elle ne contient
pas, son sac est vide, elle oublie le goûter, son attention est impossible à
fixer sur l’enfant, en séance elle lui demande de se taire et de ne pas jouer
bruyamment et s’il régresse, elle s’irrite, elle ne l’a pas en tête, même si elle
est bienveillante.
Dès le second entretien avec les parents, avant même que je ne reçoive
Rémi, les terreurs nocturnes qui existaient depuis quatre ans ont cessé et ils ne
sont plus inquiets d’en être responsables. Je suis devenue une figure de mère
contenant les peurs de tout le monde et suscitant une grande ambivalence.
Une fonction maternelle s’est remise en place, de pare-excitation, dans les
retrouvailles pour la mère avec un objet qui ne soit pas un surmoi cruel.
Rémi vit avec un compagnon imaginaire, un fantôme. Dès la première
séance où il est seul avec moi, il dessine le fantôme, cet être ambigu « toujours
dans le dos ». Depuis l’arrêt des terreurs nocturnes dont il n’a aucun souvenir,
il a des cauchemars qu’il s’empresse de me dire. Je suis devenue confidente,
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qui t’écoute ». Il associe sur les coquillages ronds qu’il aime collectionner
et je parle du plaisir de les coller à l’oreille pour écouter le « bruit de la
mer », jouant sur « la mère » ce qu’il comprend aussitôt ; nous sommes
dans les représentations du sein. Oui, dit-il, la musique c’est ce qui permet
de retrouver maman dans les souvenirs, pas les bonbons car elle n’en donne
pas et lui n’a jamais d’appétit. L’univers pulsionnel a repris ses droits. En
quelques rencontres, nous aurons une complicité autour de la vie des fantômes,
et ils vont disparaître. J’apprends alors que Rémi était allergique et souffrait
d’eczéma depuis toujours, maladie qui a disparu avec les séances. Ce garçon
trop sage, inhibé, anorexique, devient « libidinal », affamé, viril, joueur de
foot, bruyant et joyeux.
Quand il revient quelques années plus tard, sa première question est :
« As-tu toujours le chien ? » car dans sa reconstruction après-coup de nos
rencontres, il a toujours été accompagné d’un grand chien blanc très doux qui
dormait à mes pieds, condensation des pulsions contenues et des retrouvailles
sensuelles avec un objet maternel.
L’accès à l’Œdipe
Fonctions maternelles
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Aimer signifie investir sans trop exciter, se dévouer avec tendresse sans se
laisser envahir par la haine inévitable, séduire et être séduite, savoir se laisser
utiliser sans souffrir ou se venger. Un équilibre délicat du plaisir.
Soigner, c’est offrir le soutien holding, un comportement physique et
psychique adéquat aux besoins handling, être disponible au bon moment
comme le bon sein idéal object-presenting, être fiable. C’est possible s’il y a
empathie, identification, adaptation à la détresse sans trop de toute-puissance
ni d’angoisse (Winnicott, 1970).
Nourrir c’est savoir donner, mais aussi s’arrêter et accepter la frustration
de ne pas être totalement indispensable, pour créer l’espace de l’absence.
Contenir demande de supporter la tension de l’angoisse devant l’inconnu,
d’accepter de recevoir les émois non organisés du bébé, de les transformer en
pensées pour agir et calmer.
Introduire à l’ordre symbolique se fait dès que la mère favorise le
dégagement de la fusion initiale, révélant la place du tiers paternel, et pense
un projet éducatif envisageant l’évolution dans le temps de l’enfant, quand elle
accepte les séparations face à celui qui grandit.
Fondamentalement économique et source de maintien du calme, la
fonction maternelle est aussi la mise à feu de la sexualité infantile. Si la
sexualité génitale de la première séductrice vient instiller de l’énigmatique
dans la relation, il est cependant requis que la mère ait refoulé désirs et
fantasmes érotiques afin de doser les soins donnés à l’enfant. Les explosions
psychotiques du post-partum donnent parfois une lecture crue de cet enjeu.
Le maternel peut ne pas être accessible à certains et certaines. Le narcissisme
endommagé, les relations avec une imago maternelle terrifiante, les haines
inconscientes créent un désastre lors de l’arrivée d’un enfant. Le maternel
impossible, quand la capacité d’attention à l’autre dans sa réalité est
impossible, éclaire combien le non-maternel est associé à la protection ultime
d’un moi encore dépendant du soutien d’une maternel qui a été inaccessible
(Anzieu-Premmereur C., 1985).
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être satisfaits par la grossesse ou l’arrivée de l’enfant, par la découverte de la
réceptivité maternelle. Le maternel qui s’actualise dans l’après-coup révèle les
conflits primaires autour du féminin. Certaines femmes aux investissements
phalliques « s’arrondissent » avec la maternité, d’autres sont confrontées
avec l’horreur de la régression et le dégoût à l’égard du corps maternel et
du nourrisson démuni. Certaines au narcissisme endommagé découvrent au
contraire un support dans l’accès aux identifications maternelles qui leur
offrent la possibilité de créer une fonction maternelle qui les soutiendra elles-
mêmes (Anzieu A., 1993).
La bisexualité des femmes et des hommes est source de transformation en
étant rejouée sur une nouvelle scène quand le maternel est mis en action par
l’arrivée d’un enfant ou une pratique de soins, professionnelle ou non.
Enfin le maternel n’est pas que du registre sensoriel ou empathique, la
mère oppose son refus à l’enfant, l’ouvre sur le monde, nomme toutes choses,
étaye le langage. La qualité du lien initial à l’objet maternel donne à la scène
primitive une valeur structurante, permet l’accès à l’Œdipe.
La relation précoce est essentielle au système de représentation et de
symbolisation. Les défaillances de la fonction maternelle fragilisent les identi
fications primaires de l’enfant, altèrent le processus hallucinatoire et activent
des défenses antitraumatiques. Entre trop d’excitation et pas assez d’attention,
le maternel se manifeste aussi avec les pathologies de l’intrusion et de la
négligence.
La discontinuité et l’absence de sécurité laissent des traces sérieuses dans
le tissu psychique, des défenses paranoïdes aux défauts de représentation, de
la quête constante d’un objet maîtrisable aux défenses primaires de maintien
de soi par la protection autistique ou les secondes peaux et autres enveloppes
pathologiques. Les patients chez lesquels un tissu représentatif nécessaire au
travail mental ne peut se maintenir nous montrent combien les ruptures de
la cohérence des productions mentales sont la conséquence des faillites
de l’investissement maternel (Anzieu-Premmereur C., 1985).
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tionnement psychique maternel.
« De ma mère à moi au maternel chez moi : quel trajet ! Difficile mais nécessaire
pour qu’il y ait vie psychique, mobilité interne, du jeu » (Pontalis J.-B.)
Déesse maternelle de la Terre, Déméter est étroitement unie à la fille qu’elle
a eue avec Zeus, Perséphone. Amoureux, son oncle Hadès l’enlève. Dès lors
commence pour Déméter la quête angoissante de sa fille. Durant neuf jours et
neuf nuits, sans se nourrir ni boire ni se laver, elle erre. Quand le soleil lui révèle
le coupable, irritée, elle décide de ne plus retourner au ciel et abdique sa fonction
divine. Son exil du ciel rendant la terre stérile, Zeus ordonne à Hadès de rendre
Perséphone, mais elle a rompu le jeûne en avalant une graine de grenade qui la lie
définitivement aux Enfers. Un compromis est trouvé : Déméter reprend sa place
dans l’Olympe et Perséphone partage l’année entre les enfers en hiver où la terre
reste stérile, et le printemps quand elle rejoint sa mère.
Mère et fille comme modèle du maternel, de la transmission de la
capacité de prolonger l’espèce humaine ? Au centre du mythe est la séparation
impossible, forcée par l’homme. Identification primaire, intimité fusionnelle et
capacité de se séparer sont au cœur du maternel.
Toujours recouverts par le niveau œdipien, l’identification primaire à la
mère, les failles ou les excès de l’objet maternel, donnent forme au transfert
à travers les quêtes de retrouvailles avec un objet primaire. Évelyne Séchaud
(2008) remarque combien la sensorialité maintient la trace de la relation au corps
maternel. « Le désir de sa recherche anime le transfert narcissique primaire. Les
représentations, notamment verbales, sont issues du deuil ultérieur de l’objet
maternel et permettent l’évocation de l’objet maternel en son absence. »
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Woody Allen l’a bien dit : « Mon amour, nous ne ferons qu’un… moi. »
Freud, en 1910, décrit la relation d’amour première apportant « une
satisfaction plénière » qui comble, « une des formes du bonheur », favorisant
chez la mère une régression « à des désirs anciens refoulés et que l’on devrait
qualifier de pervers ». Cette régression qui va permettre l’identification au
nourrisson, réactive les expériences infantiles de la mère, d’avidité, de satis
faction et de frustration, d’image maternelle aimante ou menaçante, et de
l’enfant comme destructeur ou menacé. Elle permet une maturation de la mère,
de ses identifications et de ses mouvements œdipiens. Si le moi est débordé,
le risque est grand de désorganisation et de souffrance du narcissisme. Les
maladies du post-partum en témoignent.
La folie maternelle primaire est cette capacité régressive de la femme qui
peut s’identifier au bébé, éprouver physiquement et psychiquement qu’il est une
partie d’elle à laquelle elle est totalement attentive. Cet amour est narcissique,
la mère retrouve des gestes et attentions associés à des mouvements intérieurs
primitifs, et le maternel est beaucoup plus une association de sensations, affects
et pensées s’adressant à elle enfantine qu’à l’enfant réel. L’amour maternel est
amour de soi-même transféré sur le bébé si celui-ci n’est pas trop différent de
l’enfant rêvé et reste en bonne santé ; car alors il s’agit du devoir de prendre
soin, parfois sans pouvoir aimer.
Le dévouement maternel est une activité fondée sur un plaisir narcissique.
Le bébé qui reçoit les soins maternels et l’amour se sent compris et choyé, mais
cet amour fait aussi intrusion en lui. Il a besoin de satisfaction et de calme, il
reçoit en plus le plaisir excitant et l’amour qui le contraint à faire l’expérience
du réel dirait Lacan, du monde extérieur, dirait Winnicott.
Meira Likierman (1988) décrit dans ses observations de nourrisson
combien les mères manifestent un besoin intense que leurs actions les fassent
se sentir bonnes, appréciées. Cette satisfaction narcissique renforce l’amour
maternel et permet de recevoir et contenir l’angoisse en même temps que la
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haine inconsciente. Le bébé ne prend pas soin d’elle et attend une illusion
de fusion dans laquelle ses besoins sont satisfaits quel que soit le prix pour
celle qui donne. Le maternel intellectuel des devoirs surmoïques, associé à un
vécu parfois dépressif, ne renvoie pas à l’enfant la qualité psychique vivante
qui nourrit le bon objet. Les mères ont besoin des réponses de l’enfant pour
confirmer qu’elles sont bonnes mères, que c’est un plaisir de les avoir comme
mères. Le jeu de miroir est narcissique, mais pas seulement pour l’enfant. Le
bébé est moins un objet qu’une partie du moi de la mère.
L’amour dit inconditionnel est affaire de « jouissance ». L’enfant aime
dans sa mère son désir à elle pour lui et pour elle-même. « La mère aime
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en son enfant sa splendeur phallique » écrit Franz Kaltenbeck (2003) citant
Lacan (1975) : « Le rôle de la mère, c’est le désir de la mère. C’est capital. Le
désir de la mère n’est pas quelque chose qu’on peut supporter comme ça, que
cela vous soit indifférent. Ça entraîne toujours des dégâts. » C’est bien de ce
premier amour que viennent à la fois le moteur libidinal et la créativité, autant
que les dégâts, les troubles dépressifs et narcissiques.
Le narcissisme de la mère souffre d’avoir à investir l’enfant qui l’empêche
de vivre pour elle-même, la contraint à renoncer à une part de sa vie de
femme. Si une mère peut être prête à donner sa vie pour son enfant, elle doit
aussi contre-investir la violence pulsionnelle de ses propres mouvements
d’autoconservation, son envie de faire disparaître cet enfant tyrannique, pour
trouver la tendresse. Sans doute la réponse de l’enfant et des autres objets de
la mère sont essentiels pour lui donner une assurance narcissique.
C’est quand l’enfant grandit que les conflits se manifestent de façon
bruyante, une mère contrôle moins bien son ambivalence quand le petit de
deux ans s’enfuit sans l’écouter, refuse la propreté, fait des colères quand il
la retrouve après une séparation. Margaret Mahler a décrit dans la phase de
rapprochement combien les mères sont aux prises avec leur propre agressivité
face aux jeunes enfants agités par un conflit d’ambivalence (1975).
L’emprise maternelle trouve là sa possibilité d’action. Maintenir ce
lien narcissique peut s’opérer en deçà de l’amour, c’est la « face obscure
de la séduction maternelle » dont parle Françoise Couchard (2003), quand
le dévouement se fait totalitaire, souvent dans la figure du sacrifice et de la
douleur maternelle.
« Sa majesté le Bébé » est rêvé par la mère, porteur de l’espoir
d’accomplissement des rêves irréalisés. La fonction maternelle s’établit dans
les rêves, qui seront « le berceau psychique du nouveau-né ». Le rétablissement
de la fonction onirique de la mère dans les thérapies mère/nourrisson est
toujours un moment essentiel de changement car l’enfant est apaisé par la
protection retrouvée dans le pare-excitation maternel.
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Une jeune mère de quatre enfants hurle en séance son désespoir à laisser son
mari duquel elle divorce avoir les enfants des journées entières tandis qu’elle
devra rester seule, elle qui se consacre à eux jour et nuit dans un dévouement
total et jouissif. Enfants dont elle dit qu’ils sont l’étayage indispensable à
sa fragilité narcissique et sa quête de sens. Sans fonctionnement maternel
continu et souci pour ses propres enfants, elle s’effondre, elle dont la mère a
été accaparée par une fille handicapée. Mère pour laquelle elle découvre en
analyse une haine intense. Le clivage des objets internes idéaux et haïs apparaît
à travers un transfert maternel et des exigences de toute-puissance qui donnent
lieu à des affrontements autour du maintien du cadre : elle veut imposer des
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changements d’horaire de dernière minute autour des modifications de vie
de ses enfants auxquelles elle se sent dans l’obligation de s’ajuster, avec un
immense plaisir. Si j’étais pour elle une mère dévouée, alors nous serions
toutes deux dans une similarité narcissique parfaite.
Identifiée à une image idéalisée d’elle enfant qui aurait été l’objet d’amour
total de ses parents, la mère soigne l’enfant comme elle aurait voulu être
aimée, et son narcissisme est gratifié par les réactions que suscitent ses soins.
La représentation des parents, les investissements œdipiens associent l’enfant
au père et au père de la mère, conflictualisant la relation, d’autant plus que
la réalité du bébé peut être source de déséquilibre pour cet investissement
(Bydlowski M., 1978).
Encore faut-il que le narcissisme de la femme s’investisse dans le
maternel et l’objet bébé. L’ambivalence est plus vivide chez celles qui voient
leurs propres enjeux narcissiques remis en cause par la maternité, leur corps
déformé et source d’angoisse, leurs idéaux professionnels ou d’indépendance
en conflit avec le dévouement nécessaire à l’enfant. Les mères qui ont fait
un travail de deuil de leur fécondité et font appel à la médecine pour pouvoir
procréer ont souvent une mobilisation narcissique puissante pour investir cet
enfant qui pourtant n’a pas les qualités idéales de l’enfant imaginaire.
La relation à l’enfant ne contient pas seulement les idéaux maternels, mais
aussi les aspects négatifs et surmoïques de la relation de la mère avec ses
parents, avec tous les conflits associés qui vont colorer la relation maternelle.
Les défauts ou manques dans l’objet-enfant sont l’ombre de l’investissement
maternel.
L’identification à la fonction maternelle de la mère, la formation de la dyade
est un espace clos de relation spéculaire, homosexuelle primaire en double.
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Winnicott voit « un désir de possession, un appétit et même un élément équi
valent à “vouloir envoyer l’enfant au diable” ». C’est la haine reconnue, la
colère maternelle acceptée qui facilitent le plaisir du maternage. L’enfant est
source de haine pour la mère, Winnicott l’a bien décrit, il envahit son espace
intime et si la fusion est protectrice, elle est parfois de trop pour elle. Entre haine
plus ou moins bien intégrée et passion amoureuse, le maternel est violent.
La maternalité
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mis en évidence les enfants « thérapeutes symbiotiques » qui sont contraints
à « un dévouement véritablement altruiste, à la nécessité de compléter le moi
de la personne maternante… qui exige que l’enfant fasse constamment partie
d’elle ».
Enfin, l’enfant dans sa réalité influence la capacité maternelle ; s’il a des
défauts physiques, des troubles ou un handicap, il ne donnera pas à la mère la
possibilité de satisfactions réparatrices, et suscitera l’angoisse.
M. Klein (1932) analyse le sadisme féminin, résultat des sentiments
primitifs, comme source des conflits qui accueillent la naissance d’un enfant.
« Les vœux qu’elle forme pour sa croissance et son bonheur traduisent son secret désir
de transformer rétrospectivement sa propre enfance malheureuse en un temps de félicité
[…]. En le mettant au monde, elle apporte le plus énergique démenti de la réalité aux
craintes nourries par ses fantasmes sadiques […]. Avoir un enfant sain et vigoureux est
une réfutation vivante de ses angoisses, autant les confirme un enfant anormal, maladif ou
simplement qui laisse à désirer ; il finit même dans certains cas par devenir à ses yeux un
ennemi, un persécuteur. »
est indispensable, mais dangereuse, car reconnaître et contenir les pulsions pour
les renvoyer acceptables à l’enfant requiert une capacité d’élaboration qui peut
être débordée. L’amour maternel est « intuitif et spontané », mais soumis aux
capacités psychiques de la femme. La folie maternelle est moins psychotique
qu’état-limite. Si l’activité de liaison pulsionnelle est défectueuse, « le moi
aura à faire à la double angoisse d’intrusion et de séparation ». Sinon c’est
l’excitabilité hystérique qui dominera. L’élément essentiel de médiation entre
mère et enfant est le père, celui qui peut limiter la folie maternelle « en tant
que l’amour de l’enfant ne saurait à lui seul combler la mère ». S’il contient les
angoisses de la mère et offre d’autres satisfactions, l’intensité pulsionnelle ne
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se déchargera pas sur l’enfant. Il prépare à la séparation et limite le danger de
passivation qui menace l’individuation. « Le rôle des soins maternels passive
l’enfant. Pour que la pulsion ne soit pas vécue comme dangereuse, il faut qu’il
puisse compter sur l’objet ? »
Exaltation narcissique, amour passionné pour le bébé, identification folle,
tout dans le maternel paraît excès qu’il faut savoir contenir. Cet amour peut
être désorganisateur pour elle et totalitaire pour l’enfant.
C’est la gestion des affects et l’équipage défensif de la mère qui est en
question ; sa capacité de penser en présence de l’enfant est au cœur de la
régulation des émois archaïques : capacité de rêver, d’associer même dans le
chaos de stimuli du post-partum, de transformer l’expérience émotionnelle
par le fonctionnement alpha décrit par Bion (1979). Imagination et insight,
déploiement de métaphores et d’images, la rêverie maternelle transforme les
projections du bébé. Il en est alors délivré et reçoit la capacité préconsciente
à organiser les ressentis. Le plaisir calme de la rêverie maternelle encadre les
décharges pulsionnelles.
Deuils et séparations
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en arrière-plan. « La relation mère-enfant nécessairement incestueuse » écrit
André Green (2001), évoquant un inceste homosexuel et narcissique qui se
rejoue quand la fille devient mère à son tour. Mais le maternel, justement,
implique que cette transgression ne soit pas franchie. « La fonction maternelle
comme limite, comme inceste impossible » écrit Nathalie Zaltzman (2001).
La relation corps à corps du bébé avec la mère laisse cette trace incestueuse,
devenue interdit du toucher à l’âge œdipien, et c’est cette limite qui permet de
garder la force érotique des investissements amoureux de l’âge adulte.
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la réponse de l’enfant qu’elle magnifie et encourage, favorisant le plaisir
de penser […]. La suffisamment bonne mère serait celle qui sait s’absenter pour
céder la place au plaisir, pour l’enfant, de la penser. Une sorte de matricide
symbolique s’opère ainsi. »
Le cadre
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l’entends depuis la rue tant ses hurlements sont stridents. Ses parents sont
démunis, et je vais la chercher devant la porte de l’immeuble pour maintenir
le cadre à l’intérieur de mon bureau. J’aide le parent à la contenir en disant
combien c’est important d’être solidement tenue par lui qu’elle frappe de
toutes ses forces ; elle finit par être déposée dans mon bureau hurlante, en
sueur, et toute parole de ma part entraîne des coups, je lui offre de rester seule
dans un coin. Elle choisit le placard, assise serrée entre des piles de livres et
elle se calme. Nous pouvons alors commencer la séance où elle me dit sa haine
de l’obliger à venir, qu’elle déteste sa mère qui refuse toutes ses demandes et
qui reste en arrière-plan dévaluée car stérile, incapable de la porter ni dans
son ventre ni dans sa tête. Je lui fais remarquer que sa colère n’a pas détruit
notre relation ni celle avec ses parents, et je parle de sa douleur et de son
insécurité.
Le travail avec les parents en parallèle avec la thérapie va porter ses fruits.
Émilie leur fait peur, ils ont le fantasme d’avoir adopté une psychotique. Mais
cette petite fille intelligente a une volonté de changement et s’est engouf
frée dans l’analyse. Quand l’enfant est devenue tendre, sa mère va se révéler
réconfortante alors qu’Émilie avait été pour elle un reproche vivant, comme
est sa propre mère. Emboîtées dans les projections de mauvais objet, elles
restaient collées dans la haine.
Émilie fait en pâte à modeler des cœurs, des maisons où nous créons
ensemble des habitants dont nous prenons soin avec minutie, nous sommes
maternelles ensemble. Elle est émue par les retrouvailles avec les couleurs
de mon bureau, l’odeur de la pâte qu’elle hume avec délice, la douceur des
coussins où elle s’enroule quand elle est triste. Je lui dis qu’elle retrouve
chez moi ses souvenirs de bébé tenu dans les bras de sa maman, combien
elles ont été contentes mais embarrassées d’avoir à apprendre à se connaître
dans l’orphelinat. Elle va trouver un nom pour ces moments de régression
contenue : la sérénité, mot découvert dès l’entrée au cp car elle veut trouver
les mots pour dire son ressenti. Les séances sont alors très silencieuses, je
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suis juste là, disponible et attentive, sans risquer une parole qui ait une valeur
intrusive. Dans le transfert, je suis passée d’une figure punitive à un double
narcissique puis un objet maternel idéalisé, enfin à une imago grand maternelle
qui va contenir ensemble mère et fille : « Tu es vieille, dit-elle depuis qu’elle
est entrée dans l’ère œdipienne, à la fois rivale et pleine de souci maternel à
son tour, alors tu peux aider ma maman aussi. »
Harold Searles (1979) nomme symbiose de transfert les situations avec
des patients psychotiques où le thérapeute assume « les attributs de la mère
perçus très tôt », dans la relation préobjectale, et doit identifier en lui les
mouvements de haine, emprise, rejet induit par le système dans lequel il est
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englobé, pour « parvenir au noyau narcissique de la répétition traumatique »
écrit Pierre Fédida (1999). Le dégagement de cette emprise ouvre sur un autre
mode d’être et de relation nouveau avec l’objet.
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La mère dans l’analyste serait d’emblée attentive au transfert négatif, la
mauvaise mère projetée ou la bonne mère détruite.
La capacité de rêverie de l’analyste, d’associer sans se précipiter à inter
préter, de se laisser aller au « partage d’affect », relève du féminin de l’ana
lyste. Il s’agit moins de sollicitude, de représentations maternelles de soins
psychiques que de capacité à supporter l’inconnu et l’irreprésentable. L’atten
tion flottante à contenir l’affect et l’intervention pour le transformer sans
heurter sont qualités maternelles, recevoir, accueillir, savoir attendre, comme
l’a montré Janine Chasseguet (1988).
Quel que soit son sexe, l’analyste joue avec ses identifications féminines
maternelles, couplées avec ses qualités phalliques, sa règle interne, et peut se
laisser « passiver » pour analyser les projections du patient. Ne pas se précipiter
à des interprétations de contenu, écouter le mouvement et ses ruptures dans le
flot verbal, attendre en silence – sans laisser le patient dans le vide – respecte
l’association libre et l’élaboration silencieuse.
Trop de maternel sur le mode réparateur des manques primitifs fait disparaître
le désir et la sexualité. On le voit dans certains mouvements analytiques où le
rêve et la sexualité on disparu au profit d’un modèle normatif.
Laisser agir l’autre en soi, mettre à l’écart les mouvements pulsionnels,
œuvrer à un langage commun où les affects peuvent être partagés, en particulier
avec les patients psychotiques, favorise l’émergence de l’Être, de la continuité
du sentiment d’exister sans lacune, et nourrit la capacité de faire des liens
(Press J., 2001).
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et leur cortège de réactions destructives de la pensée sont associés aux failles
de l’analyste et reprises dans la tiercéité. Remettre en route des mouvements
libidinaux est lutte contre le vide, André Green (2001) rappelle l’influence de
la relation maternelle fusionnelle sur la libido « plus libre que liée ».
La transitionnalité est essentielle, jouant sur le paradoxe d’être et de n’être
pas, du semblable et du différent. L’espace transitionnel doit être continuellement
récréé, et si l’espace de jeu est rétréci par la perte de confiance dans l’imago
maternelle, l’analyse doit être le « pont jeté vers le monde » comme le dessine
Lore Schacht, et qui réanime l’espace potentiel de créativité.
Fonction de contenant
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mes propres fantasmes que les siens car mon contre-transfert était bousculé
au point que parfois je ne savais plus où en étaient les limites. J’ai pensé la
relation plutôt en termes économiques au début de nos rencontres.
Sylvie va retrouver sa capacité de rêver quand je vais arrêter de me
concentrer sur les aspects actuels du traumatisme et retrouver ma capacité de
rêverie en séance, quand l’écoute flottante sera accessible et que j’aurais enfin
dépassé mon contre-transfert maternel plein de souci pour elle et son bébé.
Dans la force traumatique des événements autour de la grossesse et l’attente
avide la patiente d’être entendue et contenue, un mouvement transférentiel,
avec mes réactions jumelles en écho, a permis une emprise qui paralysait
ma pensée. L’analité agressive mise en jeu par les emboîtements maternels
– elle enceinte et affolée à l’idée de perdre le bébé, moi anxieuse de son état
somatique, partageant la haine pour la figure de la mère borderline de la
patiente – cette agressivité n’a cédé que lorsque j’ai relâché ma vigilance et
subi un moment contre-transférentiel quasi hallucinatoire.
Sylvie est enceinte de quatre mois quand je fais sa connaissance. Elle est
insomniaque, désorganisée, elle a peur de devenir folle. Une répétition morbide
d’événements traumatiques, autant médicaux que familiaux, avait mis cette
jeune femme en grande vulnérabilité psychosomatique et psychique, car elle
avait traversé un épisode de dépersonnalisation. (Pour les détails cliniques,
on peut se référer au texte du rapport sur la maternel : Christine Anzieu-
Premmereur, 2011.)
Devant le déluge d’expériences d’effroi rapportées par Sylvie, je me
suis sentie comme une mère épuisée qui berce un nourrisson en train de se
désorganiser, sans vraiment comprendre mais en faisant l’effort de le calmer.
La crainte d’un malaise somatique durant les séances et mon souci pour le bébé
ne faisaient qu’aggraver mon impression d’être dans une collusion narcissique
entre femmes, une symbiose comme Sylvie avec sa mère. Cette mère est une
femme anxieuse qui envahit sa fille de fantasmes destructeurs. En séance,
j’associe sur l’expérience de perte des limites, elle rapporte un souvenir, les
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migraines de sa mère qui l’ont rendue indisponible. Je lui dis que son vécu
d’abandon et sa rage à l’égard d’un médecin indisponible pouvaient être un
écho du passé. Elle réagit en demandant comment je peux faire des liens et pas
elle. Dans la séance suivante elle va essayer, de façon volontaire, suivant mon
« modèle », de retrouver des éléments de son enfance. Elle est très contente
de venir en séance, c’est le seul moment de la journée où je pense, dit-elle. Le
travail en double fonctionne.
Mais sa mère fait intrusion dans notre enveloppe à qualité homosexuelle.
Elle lui a raconté un cauchemar et Sylvie se sent empoisonnée, se dit que sa
mère détruit ses capacités maternelles, elle ne peut plus s’arrêter de revoir
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les images du rêve de sa mère. Elle est étonnée que je ne prenne pas position
pour dire que sa mère est une mauvaise mère ; je vais parler de rivalité entre
femmes, c’est la première fois qu’elle a ce genre de pensée. C’est mon calme
qui l’intéresse, et elle décide que pour garder le sien, elle doit interrompre le
téléphone avec sa mère. Les mouvements d’envie entre femmes s’ouvrent sur
l’imitation-identification à contenir les affects.
Introduire un tiers a été un exercice répétitif jusqu’au point où le mari de
Sylvie a commencé à exister dans les séances.
Contre-transfert en « double »
plus l’enfant dans son lit le soir ; en état de panique, elle ne pouvait quitter la
chambre de l’enfant qu’elle finissait par réveiller ; seuls les cris du bébé lui
redonnaient la preuve qu’il était vivant.
Elle décida de venir avec le bébé pour une séance où je pourrais évaluer
l’état de l’enfant. Le petit garçon de cinq mois était un bébé tranquille. Après
un moment de perplexité, regardant sa mère, il sourit, se mit à babiller,
suçant ses doigts, curieux du monde extérieur dès que le regard de sa mère
lui confirmait qu’elle faisait attention à lui. La qualité de leur relation et des
jeux autoérotiques de l’enfant m’a permis d’intervenir pour dire ma surprise
qu’elle puisse penser qu’un enfant aussi solide et aimant la vie puisse se
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laisser étouffer sans réagir. J’ai affirmé que ce bébé intéressé par le monde
extérieur avait un plaisir à vivre qui lui appartenait en propre et ne dépendait
pas complètement d’elle. Pour Sylvie, ce fut une nouvelle façon de penser : ils
n’étaient pas tous deux en symbiose et elle pouvait lui faire confiance. L’enfant
avait pu être « montré » quand il avait acquis un statut d’objet libidinal plus
que narcissique. Les symptômes disparurent. Elle rapportera combien l’aspect
non verbal de cette séance avait été intense pour elle, mes regards, surtout le
rythme des paroles.
Une mère en difficulté garde ou retrouve une capacité maternelle si
l’environnement familial ou professionnel la soutient et la requalifie dans son
identité en mettant en valeur sa position contenante pour l’enfant. Le maternel
s’emboîte toujours sur une autre capacité maternelle. Les identifications
paternelles et maternelles de l’analyste ou des soignants permettent un jeu émo
tionnel qui facilite un féminin maternel à l’abri de l’incestuel et de la capture
narcissique. Quand le bébé a acquis son propre fonctionnement transitionnel,
Sylvie s’est dégagée de ses retrouvailles envahissantes avec le passé. Elle joue
avec les mots, parlant de la distance établie avec ses parents : « Ce n’est pas
la mer à boire. »
La créativité de l’analyste est essentielle dans ces cas difficiles, comme
une réponse maternelle qui permet le dégagement de la pulsion, l’apaisement
des enjeux de perte, car le maternel c’est savoir jouer (Schacht L., 2001).
Fonction d’intrication des pulsions, de la destructivité, le maternel manifeste
métaphoriquement chez l’analyste le holding, par un fonctionnement en
double indispensable au passage du sensoriel à l’activité de représentation.
Être en empathie, faire sien l’autre, construire la structure encadrante, mais
jouer avec la perte et l’absence, font travailler la bisexualité de l’analyste
dans son désir d’apporter un mode maternel à sa présence : créer des liens,
manifester une présence étayante. Les enfants en détresse comme les patients
états limite manifestent l’intensité des atteintes précoces du narcissisme.
L’importance de la relation à l’objet primaire maternel se rejoue dans le
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POUR CONCLURE
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des mouvements psychiques et de la névrose. L’école anglaise a mis l’accent
sur la fonction primaire de l’objet maternel et les processus archaïques.
La pensée analytique contemporaine, confrontée à la difficulté de traiter
les patients limites, s’est tournée vers la place de l’objet externe, l’influence de
l’environnement, le poids de la réalité dans le développement psychique.
Le maternel revient alors sur le devant de la scène, avec son cortège
d’excès et de manques. La puissance de l’investissement narcissique, le souci
pris à cette partie de soi qu’est l’enfant, biologique ou non, créent la passion
amoureuse maternelle. La perméabilité à l’autre qui favorise les soins adéquats
met en danger le moi du parent qui s’y engage. Cette fusion étayante peut
pêcher par excès, se faire intrusive ou empiétement, entamant la construction
du self, ou c’est la carence, l’absence de réponse au besoin, qui laisse une
effraction indélébile, une amputation de soi. Le fonctionnement psychique des
parents a alors pris le pas sur la dynamique interne du sujet.
Les défaillances du maternel et les déceptions déstructurantes qui s’ensui
vent nous confrontent à l’extension du champ du travail analytique. Troubles
identitaires, maladies du narcissisme, pathologies du comportement et de
l’addiction mènent les analystes à repenser théories et pratiques hors du cadre
classique. Maternel et paternel sont indissociables, tous deux aussi facilement
violents et destructeurs que structurants et sources d’énergie créatrice. Nous
conjuguons les deux dans le travail analytique, et il ne faut pas craindre
d’étendre le champ d’investigation et d’intervention du psychanalyste.
Pour construire un appareil psychique propre à analyser, l’analyste
fait appel aux traces infantiles de cette disposition maternelle à entendre
l’autre, à maintenir sans effroi cette relation d’étrangeté. Comme le montre
Jean Guillaumin (2000), c’est de la solidité et la plasticité des enveloppes per
sonnelles de l’analyste qu’il s’agit, qui comme toute fonction maternelle, doit
être entretenue en s’étayant sur les identifications avec l’entourage.
Appuyé sur sa propre assise maternelle, l’analyste contient, rêve, pense, fait
face aux enjeux difficiles des troubles du narcissisme endommagé. Il bénéficie
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