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Neowmodine SASD) Le dans lo Aussi loin quill se souvienne, depuis ce pre- mier Petit Robert regu en prix de dictée, il a toujours aimé feuilleter les dictionnaires, lais- sant vagabonder son imagination sur les mots alignés comme les tombes au cimetitre. Ainsi vyoyage-t-on & travers les albums de photogra~ phies ou réve-t-on dans les livres d'images & des pays inconnus. ‘Ayant tourné nonchalamment la page, il esquisse un soudain sourire 4 lévocation d'un 4° souvenir lointain. «Bau. Jépelle: e, 2, 0.» Il se rappelle toute Pattention et les efforts quil lui avait fallu pour écrire convenable- ‘ment, comme disait la maitresse, le mot «cau».4 S Immanquablement, a chaque dictée, il glissait l'a dans Pe. Comme pour Pe dans Lo de «ceil» Ce rest que tard, bien plus tard, sur le divan de Fexil, que lui revint la répétitive raison de sa faute. On met tant de temps pour comprendre 2 les secrétes associations. Une histoire d'ceil et d'eau. Tel un tombeau mal fermé. Comme bat le rappel de Penfance, ou surgit la fulgurance d’un mot, il lui revient que durant 2S longtemps il ne pouvait écrire le frangais qu'en le pensant en arabe. Ainsi, il traduisait inconsciem- ment czil par ‘ain, qui signifie dans la langue de sa mére & la fois Porgane de la vue ct la source, ou alors ma, par ce doublet qui désigne la mére’30 et eau. Voila que lui revient ainsi Ain ef Ma, la source de son enfance. Ise revoit livrant a sa psychanalyste, comme sil fexpliquait son institutrice, Mme Jevackini, 35 que lorsque ses yeux plongeaient dans le jaillis- sement de la source, imaginant plus loin des rus, des ruisseaux se jetant dans la riviére derriére Ja colline, il transformait les eaux en Bhn'y a pasdles dene GE demgue | Céditercde tube, 2008 ) 40 d'immenses cascades impétueuses se jetant fracassées au-dessus de la mer. La mer. Longtemps il a aimé ce mot, confondant sa musicale sonorité et son sens. 4S En-ce temps-la, il n’avait encore jamais vu Ia met. Sa mére & lui venait de mourir. On disait qu'elle était retournée & Dieu et il croyait que Dieu se trouvait dans la mer, que Dieu était So bleu parce que le ciel aimait cette couleur. Et il demeurait souvent, pendant un long moment, les cils la poursuite du soleil. ‘Au-dessus de Chellata. Le cimetiére oit repose sa niére, en haut, au-dessus du village. SS Il faisait toujours bleu 4 Chellata et lorsquil pleuvait, il croyait que Dieu pleurait. ‘Comme tous les enfants orphelins, il aimait se dire: Quand maman ne sera plus morte, je la rejoindrai au ciel. A cette époque, il avait perdu toute attention, révassait toujours en classe, le regard vide rivé sur la vieille carte de géographie accrochée au mur ; et il simaginait seul, abandonné au milieu de la mer, cette «Mer du Milieu», comme la nommait la maitresse, livré aux vagues lemportant vers ce qu’il appellera plus tard, dans Vexil, le Pays au-dela des Mers. Ain el Ma, la source de son enfance. 63 Ilse souvient quill avait assisté A sa naissance. 6O a &

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