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Introduction à l’éthologie – Introduction à l’éthologie

Apprendre à observer
Aude Caussarieu
Enseignante chercheuse en didactique des sciences

Je suis Aude Caussarieu et je suis enseignante chercheur en didactique des sciences. Dans
cette vidéo, nous allons parler d’observation et d’apprendre à observer. Donc, pourquoi
s’intéresser à l’observation avec les chevaux ? Pourquoi observer les chevaux ?

Plusieurs raisons : la première, peut-être la plus évidente, c'est qu’en tant que propriétaire ou
professionnel du monde du cheval, comme chaque cheval est différent, il est vraiment important
de bien les observer pour comprendre s’il y a quelque chose de différent, et donc voir quelque
chose d’anormal, ça, c’est le premier élément. Le deuxième élément, c’est pour mieux
comprendre les chevaux de manière générale. Plus on les observe, mieux on décrypte leur
langage corporel, et mieux on comprend leurs relations. Et le troisième élément, qui en est la
continuation, c’est pour produire de nouvelles connaissances. L’éthologie est une science qui
repose sur l’observation et donc quand vous souhaitez étudier l’éthologie, il est important de
comprendre l’observation.

Donc, l’observation en éthologie sert à répondre aux questions des éthologues. Quelles sont les
questions que les éthologues se posent ? Tinbergen propose de les découper en 4 questions,
des questions sur les causes proximales : qu’est-ce qui déclenche le comportement ? Pourquoi

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Ce document est une transcription écrite de l’intervention orale de la vidéo réalisée par l’intervenant.
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mon cheval a ce comportement à un moment donné ? Les causes ultimes : qu’est-ce que ce
comportement apporte au cheval ? L’ontogenèse : comment le comportement apparaît chez un
individu ? Et la phylogenèse : comment le comportement apparaît au sein d’une espèce dans
l’évolution ?

Pour les trois premières questions qu’on se pose, vous voyez qu’il est très important d’observer.
Et les éthologues, pour faire cela, vont soit observer en suivant des protocoles, par exemple ils
vont aller sur le terrain, comme quand ils vont étudier les Przewalski ; soit ils vont suivre des
protocoles expérimentaux, par exemple pour faire des tests d’intelligence. Dans un deuxième
temps, à partir de leurs observations, ils vont analyser leurs données, les notes de terrain, pour
en faire une interprétation. Et donc, on voit qu’il est important de distinguer la phase
d’observation de la phase d’interprétation. Là, à l’écran, vous voyez quelques exemples
d’observations : par exemple, « il fait 5° », c'est une observation ; « il fait très froid aujourd'hui »,
c’est une interprétation. « Tango a la tête basse », c’est une observation, « Tango est déprimé »,
c'est une interprétation. Et on peut continuer : « Caramel accélère devant les obstacles », c’est
une observation, « Caramel aime l’obstacle », c’est une interprétation. Alors, ce qu’on voit, c'est
que dans les observations, c'est avec nos cinq sens : c'est ce que je vois, ce que j’entends, ce
que je sens, ce que je goûte aussi. L’interprétation, c’est ce que j’en pense, ce que j’en déduis.

Et dans l’éthologie, ou quand on étudie les chevaux, à chaque fois que je dis ce qui se passe
dans la tête du cheval, ou ce que pense le cheval, là je suis dans l’interprétation. Et
l’interprétation il faut s’en méfier parce que, souvent, on va faire de l’anthropomorphisme, c'est-
à-dire qu’on va interpréter depuis notre cadre à nous, qui est un cadre d’humain, au risque de
passer à côté d’éléments de contexte, on va interpréter, on n’aura pas vu tous les éléments
auxquels l’animal a réagi pour produire un comportement donné. Et puis, dans l’observation, si
on est là, le cheval nous voit, et donc quelque part on modifie la situation.

Quand les éthologues décrivent ce qu’ils observent, qu’ils essaient de faire le moins
d’interprétation possible, le curseur n’est pas très strict. Si j’ai sur cette photo un cheval de
Przewalski, la tête en bas, le niveau de description avec le moins d’intentionnalité, le plus objectif
on pourrait dire, le plus descriptif, ce serait de dire : le cheval a la tête basse, les oreilles en arrière,
et il se dirige vers un autre cheval. Un niveau avec un peu plus d’interprétation, ce serait de dire :
le cheval fait une conduite, ce comportement s’appelle une conduite. Et puis encore plus, je
pourrais dire : le cheval ramène une jument vers son groupe. Là, je donne carrément une

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intentionnalité à ce que fait le cheval. Les éthologues, dans la phase d’observation, vont utiliser
un vocabulaire qui fait consensus pour décrire ce qu’ils observent. Donc, la conduite c'est
quelque chose qui fait consensus. Un autre éthologue qui verrait la même scène la décrirait de
la même façon, c’est ça qui compte. Donc souvent, dans les études, les vidéos prises des
comportements vont être visionnées par deux personnes, par deux chercheurs, et on va vérifier
qu’ils les décrivent de la même manière. L’interprétation suit la phase d’observation, c’est dans
un deuxième temps, et c’est quelque chose qu’on va soumettre à la critique des éthologues.
Donc, l’observation et l’interprétation n’ont pas le même statut en science, et il est important de
savoir les distinguer.

Deuxième point, on a parlé de conduite ; en fait c'est un vocabulaire spécifique, et donc la


description des comportements des chevaux va faire l’objet d’un vocabulaire spécifique qui a
fait l’objet d’un consensus, c'est-à-dire qu’un ensemble de chercheurs se sont mis d’accord
pour utiliser le même vocabulaire pour un même comportement. Là, vous avez à l’écran des
exemples d’un répertoire comportemental, et c'est quelque chose que vous verrez plus
précisément dans une prochaine vidéo.

Le deuxième point sur l’observation, c'est que souvent on croit à l’observateur naïf, on croit qu’on
peut observer sans idée préconçue, de manière objective, que ce soit moi ou vous qui fassiez
l’observation, on va voir la même chose. C’est ce qui est présenté dans cette citation de Claude
Bernard qui va dire : « l’observateur constate purement et simplement le phénomène, il est le
photographe, il est passif… », c’est faux. On va prendre plusieurs exemples pour se rendre
compte que c'est un mythe.

La première chose à savoir c’est qu’on observe à partir de schémas mentaux. Je vous mets
cette première image, selon comment vous la regardez, vous allez voir soit un visage de femme,
soit un joueur de saxophone, et puis un visage de femme ou un joueur de saxophone. Vous
voyez bien que dans cette tache noire et blanche, c’est votre cerveau qui reconstruit ce qu’il voit.
Un deuxième cas, c’est celui-ci où l’on a des bouts de cercle, des bouts de droites, des
segments, et vous, vous voyez deux triangles. C’est ce qu’on appelle de la closure, on va
refermer les schémas, et là encore c’est la preuve que le cerveau interprète les signaux donnés
par les yeux, et donc on voit en fonction de ce qu’on a dans la tête. Ce dernier exemple est peut-
être le plus intéressant : si vous ne connaissez pas cette image, vous voyez juste des taches
noires. Si je vous dis qu’il y a un dalmatien en train de renifler quelque chose au sol, d’un coup,

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vous ne voyez plus que ça au milieu de l’image. C'est bien la preuve que, lorsqu’on observe
quelque chose, ce que l’on voit dépend de l’idée qu’on se fait de ce que l’on va voir.

C’étaient des exemples tout à fait hors des sciences, on peut voir des exemples dans les
sciences en regardant des images, comme une échographie ou un ciel étoilé, quand le novice
va voir un truc gris ou bien un ensemble de petits points ou d’étoiles, l’expert va voir un tendon,
des ruptures, des trucs normaux, la constellation de la Grande Ourse, alors que le novice ne
verra rien.

Ce que ça dit aussi c’est qu’il faut s’entraîner à observer, parce que la différence entre le novice
et l’expert vient de deux points : d’une part de savoir ce qu’il y a comme schémas mentaux et,
d’autre part, d’avoir entraîné son œil à reconnaître d’infimes différences. Si vous avez la chance
d’aller étudier, d’aller voir les chevaux de Przewalski par exemple, en Lozère, au début vous
verrez à quel point il est difficile de reconnaître un cheval d’un autre cheval. Alors que, pourtant,
vous avez l’habitude de reconnaître les chevaux, mais ces chevaux sont quasiment tous les
mêmes. Et puis au bout d’un certain temps, vous les voyez, vous les reconnaissez.

Et donc, s’entraîner à observer ça va aussi nous permettre d’être sensibles à des signaux de
plus en plus fins. On voit sur l’image ci-dessous deux photos d’un cheval : à gauche il ne souffre
pas, à droite il souffre - vous aurez aussi une vidéo plus tard sur l’expression de la douleur chez
le cheval - ce sont des signes très fins. Et plus on a passé d’heures à observer les chevaux, plus
on est capable de distinguer ces toutes petites modifications.

Donc, il faut s’entraîner à observer en étant conscient de ses modèles mentaux, des stéréotypes
qu’on a dans la tête. J’aime bien la citation qui dit : « quand on n’a qu’un marteau, tous les
problèmes ressemblent à des clous. ». Ça veut dire que quand on n’a qu’une idée, qu’un modèle
pour expliquer les choses, toutes les situations on dit que ce sont ces choses-là. Je prends un
exemple : dans les années 50, on a eu une première description des comportements de meutes
de loups avec les membres alpha, vous en avez probablement déjà entendu parler. Dans les
années 70-80, ça a commencé à être pas mal partagé, relayé, pas mal connu dans le grand
public. Et donc les gens, dans les années qui ont suivi, dans les troupeaux de chevaux, ont
observé ou ils pensaient observer une hiérarchie avec des membres alpha. Ils ont donc utilisé
leurs observations pour justifier des pratiques sur cet argument, des pratiques de
horsemanship. Pourtant, plus tard, ou même peut-être au même moment, des études

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scientifiques en éthologie équine montraient que ce n’était absolument pas la structure sociale
chez le cheval. Mais, l’observation a été biaisée par le fait qu’on avait un cadre mental
d’interprétation qui était déjà disponible.

De la même manière, lorsqu’on observe, on est aveugle à certains évènements. Une expérience
célèbre est un test de perception dans lequel on vous demande de compter les passes réalisées
par l’équipe de joueurs en tee-shirt blanc. Vous aurez le lien et vous pouvez le faire. Ce que
montre cette expérience c’est que lorsqu’on est concentré sur quelque chose, on loupe
forcément d’autres informations. Plusieurs expériences ont été faites sur ça, celle dont je viens
de vous parler, que je vous engage à essayer ; une autre consistait à montrer des radios des
poumons avec des petits nodules à détecter, on avait des experts et des novices à qui l’on
demandait de faire ça. Donc, il fallait cliquer sur les différents nodules sur chacune des radios.
Les personnes détectent ces nodules et, à la fin, on leur demande : « est-ce que vous avez vu le
chimpanzé ? » 4 personnes seulement sur 20 chez les spécialistes l’ont détecté, 0 sur les
novices. Le chimpanzé c’était un petit insert en haut à droite de l’image qui était 30 fois plus
gros que les petits nodules. Quand on leur montre après, évidemment, tout le monde le voit,
mais ils étaient tellement concentrés sur la tâche qu’on leur a donnée de compter les petits
nodules, qu’ils n’ont pas vu l’autre chose. Donc, cela veut dire que quand on observe une scène,
on est en général guidé par une question, on observe rarement naïvement, on veut comprendre,
on cherche quelque chose, et donc souvent on peut passer à côté d’autre chose.

En conclusion, l’observation ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire. L’observation
c’est la description des faits et ce n’est pas l’interprétation qui est de donner du sens aux faits.
Et surtout, ce qu’il faut bien retenir, c’est qu’on observe en fonction de ce que l’on sait déjà, de
nos connaissances, de notre expérience, quand on a plus d’expérience on voit plus de
choses ;de nos préjugés ou de nos stéréotypes, ce qu’on pense voir dans la situation ; et enfin
de ce que l’on cherche à savoir. Voilà pour cette vidéo, merci de votre attention

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