CITATIONS
Pendant qu’il leur disait ces paroles, le moine entra
tout hardi
Et leur demanda : « D’où êtes-vous, vous autres
pauvres gens ?
-De Saint-Genou.
-Et comment se porte l’abbé Tranchelion, le bon
buveur ? dit le moine. Et les moines, quelle chère
font-ils ? Le corps Dieu, ils baisottent vos femmes
pendant que vous pèlerinez.
PROCEDES
Proposition subordonnée circonstancielle de temps
Verbe d’action passé simple
CCM
Marque du discours direct
Interrogative partielle
Apostrophe + double sens « pauvres »
Nom de lieu qui peut paraître fantaisiste mais qui
existe réellement
Apposition étrange pour qualifier un religieux
Interrogative partielle : question étrange associée
aux moines qui font vœu de pauvreté et de frugalité
Juron, blasphème
Diminutif (différents sens : soit donner des baisers
nombreux, soit faire l’amour souvent et
médiocrement)
INTERPRETATIONS
Alors que les pèlerins s’entretenaient avec
Grandgousier, frère Jean interrompt ce dernier en
train de souligner l’inutilité des pèlerinages. Vive
entrée en scène. On pourrait croire que le moine
pourrait soutenir une opinion inverse mais le
lecteur connaît l’originalité de ce personnage qui a
déjà remis en cause la religion.
FJ interroge les pèlerins sur leur lieu d’origine. Sa
façon de les désigner est ambiguë : pauvres dans
le sens de misère matérielle ou dans le sens
pathétique, pauvres = qui êtes à plaindre (et
notamment en raison de leur naïveté).
La réponse des pèlerins peut faire sourire car le
nom paraît fantaisiste en associant la qualification
de Saint et une partie basse du corps. On pourrait
croire à un clin d’œil à la position de prière, aux
génuflexions souvent imposées par les rites
chrétiens. Toutefois, ce village existe réellement
dans l’Indre. Rabelais l’a d’ailleurs déjà
mentionné au début du récit puisque la sage-
femme qui a assisté Gargamelle lors de la
naissance de Gargantua venait de ce village.
Enfin, Grandgousier vient de nous apprendre que
le véritable saint Genou a pu être accusé de
déclarer la goutte chez ses fidèles. Or, la goutte est
une maladie provoquée par un excès de bonne
chère (donc allusion possible au fait que les
pèlerins sont des bons vivants qui ne respectent
pas le vœu de frugalité).
La réplique de frère Jean est des plus choquantes
pour un religieux car il va mettre en lumière le
comportement des moines, bien peu en accord
avec les règles religieuses qu’ils doivent
normalement respecter : le détachement des
préoccupations matérielles et des besoins
primaires, la modération, la vie sans excès ne
 Proposition subordonnée circonstancielle de temps
(simultanéité entre le pèlerinage et le cocufiage)
-Hin, hin, dit Lasdaller, je n’ai pas peur de la mienne. Mot-valise associant l’adjectif « las » signifiant
Car qui la verra de jour ne se rompra pas le cou pour « fatigué » et son complément avec le verbe de
aller la retrouver la nuit. mouvement à l’infinitif « d’aller ».
Onomatopées
Phrase à la forme négative
Conjonction de coordination
Proposition relative au futur prophétique, allure de
proverbe
-C’est un très mauvais argument, dit le moine. Elle Terme péjoratif renforcé par l’adverbe intensif
pourrait être aussi laide que Proserpine, elle aura, par Comparatif d’égalité
Dieu, la saccade puisqu’il y a des moines autour. Métaphore triviale, sexuelle
Proposition subordonnée circonstancielle de cause
Juron, blasphème
Car un bon ouvrier met indifféremment toutes les Conjonction de coordination
pièces en œuvre. Que j’aie la vérole si vous ne les Proverbe, métaphore sexuelle
trouvez pas engrossées à votre retour. Rien que Subjonctif à valeur de souhait, d’ordre
l’ombre du clocher d’une abbaye est féconde ! CCT
Exclamative + hyperbole
semblent en effet pas à l’ordre du jour. Le juron
associant le nom de Dieu et l’acte sexuel est
sacrilège, d’autant plus dans la bouche d’un
moine ! FJ souligne ainsi la grande naïveté des
pèlerins qui partent sur les routes, laissant leurs
femmes aux mains de ceux qu’ils croient chastes
alors qu’ils en profitent sexuellement.
Le nom du pèlerin « Lasdaller » est quant à lui
représentatif de la dimension comique de
l’onomastique rabelaisienne. Le pèlerin, qui est
par définition un croyant effectuant de longs
déplacements pour aller prier dans des lieux
saints, est donc exténué et en a marre de ce type
de voyages.
La réponse de ce dernier, qui a l’air un peu
stupide, relève du comique grossier. Les
remarques sur sa femme sont misogynes et des
plus humiliantes pour son épouse qu’il considère
comme passablement laide. Et par conséquent, le
pèlerin pense ne pas avoir à craindre l’adultère.
FJ détrompe le pèlerin en lui indiquant la faiblesse
de son raisonnement. Il explique que l’aspect
repoussant de son épouse n’empêchera pas les
moines de profiter d’elle sexuellement. Il associe
une référence mythologique (la laideur de la
déesse des enfers) et une image obscène (acte
sexuel). Propos une nouvelle fois blasphématoire.
La proximité des religieux implique forcément
l’acte sexuel (on est encore une fois bien loin du
vœu de chasteté !).
Il indique que les moines ne sont pas difficiles et
qu’ils s’occuperont sexuellement parlant de toutes
les femmes. Le souhait d’avoir la vérole (maladie
sexuelle) est comique et choquante dans la bouche
d’un moine. Il insiste encore sur la naïveté des
pèlerins qui sont faits cocus pendant leur voyage.
La dernière phrase renvoie à la pratique sexuelle
débridée des moines et transforme le clocher en
symbole phallique !
C’est comme l’eau du Nil en Egypte si vous en croyez Arguments d’autorité Gargantua rebondit sur cette dernière image en
Strabon, dit Gargantua, et Pline, livre VII, chapitre III, Comparaison proposant sa propre comparaison mais dans un
affirme que ça vient du pain, des habits et des corps. » incise niveau de langue plus élevé, révélateur de son
humanisme. En effet, il convoque deux figures
d’autorité de l’Antiquité : Strabon (géographe
grec) et Pline (écrivain romain) connus pour avoir
évoqué que l’eau du Nil rendait les femmes
fertiles, les quadruplés n’étant pas rares en cette
région dans l’Antiquité.

Alors Grandgousier leur dit : « Allez-vous-en, pauvres
gens, au nom de Dieu le créateur, qu’il vous guide
perpétuellement. Et dorénavant ne soyez pas si faciles
à faire ces oiseux et inutiles voyages. Entretenez vos
familles, travaillez chacun selon votre métier,
instruisez vos enfants et vivez comme vous l’enseigne
le bon apôtre saint Paul.
En faisant cela vous aurez la garde de Dieu, des anges Gérondif (simultanéité)
et des saints avec vous, et il n’y aura ni peste ni mal Enumération à rythme ternaire
qui vous nuise. »
Puis Gargantua les mena se refaire dans la salle, mais
les pèlerins ne faisaient que soupirer, et ils dirent à
Gargantua : « Oh qu’heureux est le pays qui a un tel
homme pour seigneur ! Nous sommes plus édifiés et
instruits dans ces propos qu’il nous a tenus que dans
tous les sermons qui nous furent jamais prêchés dans
notre ville.
-C’est ce que dit Platon dans sa République, livre V :
que les Etats seraient heureux quand les rois
philosopheraient ou que les philosophes
règneraient. »
Apostrophe pathétique Grandgousier va incarner la raison et la sagesse
Invocation grâce à un discours didactique. L’invocation à
Verbe mélioratif + adverbe de temps Dieu reprend ici une dimension plus sérieuse et
Récurrence des impératifs contraste avec le comique populaire de FJ. Dieu =
Argument d’autorité protecteur des Hommes. Les pèlerinages sont
dénigrés. Grandgousier reprend les préceptes de
Saint-Paul enjoignant à choisir une vie simple et
studieuse, fondée sur des actions (et non sur de la
paresse) et sur l’importance du foyer.
Un comportement exemplaire entraîne forcément
une protection divine. Les bonnes actions
Négations garantissent le salut par la grâce divine.
Futurs prophétiques Grandgousier affirme ici sa foi en Dieu. Il apparaît
comme un guide spirituel dont le discours
s’apparente aux prêches religieux. Il incarne le
souverain humaniste // François 1er
Exclamative, invocation caractéristique des élégies Gargantua prend le relais de son père et s’inscrit
latines dans la même dimension humaniste en faisant
Superlatif preuve de générosité à l’égard des pèlerins. Ces
Rythme binaire d’adjectifs mélioratifs (lexique de derniers sont en admiration totale face à
l’éducation) Grandgousier et à sa sagesse. Le discours de celui-
Vocabulaire religieux ci est supérieur à ceux des prêtres.
Argument d’autorité Gargantua reprend alors la parole pour proposer
chiasme un nouvel argument d’autorité tiré des Anciens.
Incarne une figure humaniste (on voit l’évolution
du personnage depuis qu’il a bénéficié de
l’éducation de Ponocratès, on peut faire un
 parallèle avec le discours d’Eudémon chap.15).
La citation de Platon est véridique. Elle renvoie au
philosophe-roi, figurant du dirigeant idéal de
Callipolis, la cité idéale imaginée par Platon dans
le livre V de La République. Le philosophe, ne
désirant pas le pouvoir pour lui-même, pourrait
faire un usage raisonné de celui-ci.

Puis il leur fit emplir leurs besaces de vivres, leurs Polysyndète Le passage s’achève sur la générosité de
bouteilles de vin, et il donna à chacun un cheval pour Importance des pluriels Gargantua à l’égard des pèlerins (rappel de la
les soulager dans le reste du chemin, et quelques Verbes relatifs à la générosité pratique du mécénat de François Ier ?)
carolus pour vivre.

Introduction : rappel Rabelais, présentation de l’œuvre…

Ce passage met en scène les mêmes pèlerins qu’au chapitre 38. Croyant être considérés comme des espions par Gargantua, ils avaient failli être dévorés en
salade. Cinq d’entre eux furent sauvés des mains de Picrochole et Frère Jean des Entommeurs, le moine combattant, les conduit à Grandgousier. Dans cet
extrait, comique et sérieux sont une nouvelle fois associés. On peut se demander comment Rabelais propose ici une critique de la religion tout en faisant
l’éloge du bon prince humaniste.

Mouvement 1 : du début jusque « des habits et des corps » : l’intervention de Frère Jean, une satire violente des moines

Mouvement 2 : de « Alors Grandgousier leur dit » jusque « qui vous nuise » : intervention didactique de Grandgousier

Mouvement 3 : fin de l’extrait : la définition du bon prince

Conclusion : La dimension comique a permis de critiquer le comportement des moines, bien loin de respecter leurs vœux et l’inanité des pèlerinages. En
contrepoint, Grandgousier et Gargantua incarnent des modèles humanistes de monarques sages et généreux (à l’image de François Ier). La tonalité comique
permet la satire et s’associe à la tonalité didactique pour prôner un style de vie simple et raisonné.

Ouverture : chapitre suivant qui illustre la magnanimité de Grandgousier