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les accords d'Evian et l'avenir de la révolution algérienne


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DANS LA MÊME COLLECTION :

P. Nenni La guerre d'Espagne.


F. Fanon L'An V de la Révolution algérienne
G. Suffert Les catholiques et la gauche.
J. Baby Critique de base.
M. Maschino Le Refus.
P. Nizan Aden Arabie,
préface de J.-P. Sartre.
G. Boffa Le grand tournant.
R. Barrat Officiers en Algérie.
P. Nenni Vingt ans de fascismes.
F. Maspero Le droit à l'insoumission.
J. Vergès... Défense politique.
A. Mandouze La Révolution algérienne par les texte
M. Péju Le procès du réseau Jeanson.
M. Maschino L'Engagement.
A. R Abdel Kader Le conflit judéo-arabe.
P. Togliatti Le parti communiste italien.
P. Péju Les harkis à Paris.
J. Grignon-Dumoulin Fidel Castro parle...
G.-M. Mattéi Disponibles.
F. Fanon Les damnés de la terre,
préface de J.-P. Sartre.
Ratonnades à Paris.
E. Copfermann La génération des blousons noirs,
préface de C. Bourdet.
M. Merlier Le Congo, de la colonisation à l'ind
pendance.
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serge moureaux

les accords d'évian


et l 'avenir de
la révolution algérienne

FRANÇOIS MASPERO
40, rue Saint-Séverin ( V
PARIS
1962
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Il a été tiré de ce volume


250 exemplaires numérotés
marqués « exemplaire d'abonné »

Exemplaire d'abonné N°

© 1962, François Maspero, éditeur, S.A.R.L.


40, rue Saint-Séverin, Paris ( 5
Tous droits réservés
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A v a n t p r o p o s

Au moment où ce livre est mis sous presse, le


déchaînement des tueurs de l'O.A.S. à Alger et à
Oran, la criminelle inertie des autorités chargées du
maintien de l'ordre risquent de compromettre l'ap-
plication effective des accords d'Evian. Mais ils font
aussi ressortir, par contraste, la volonté farouche
des masses algériennes — à l'appel du G.P.R.A. —
de s'en tenir, jusqu'à l'extrême limite, à leur respect
intégral.
Ces accords, que sont-ils donc et que signifient-
ils ? C'est ce qu'ont voulu préciser les rédacteurs du
présent ouvrage, en procédant à une analyse r i g o u
reuse de tous les textes officiels et en s'entourant des
garanties désirables. Œuvre collective, donc, ce livre
a été rédigé, d'autre part, dans des délais extrême-
ment courts, car c'était la condition première de
son utilité. De là, sans doute, quelques imperfections
et peut-être, parfois, u n certain manque d'homo-
généité, que le lecteur voudra bien excuser.
Les rédacteurs, cependant, pensent avoir atteint,
pour l'essentiel, le double but qu'ils s'étaient pro-
posé : d'une part, mettre à la disposition des spécia-
listes un recueil de textes aussi complet que possible;
d'autre part, fournir aux militants algériens et à tous
ceux qui ont œuvré pour la victoire du peuple
algérien la preuve — textes à l'appui — que le
résultat atteint est à la mesure de leurs espérances
et de leurs sacrifices.
La première phase de la Révolution algérienne se
clôt p a r une victoire incontestable. Il était bon que
cela fût souligné.

NOTE DE L'EDITEUR: L'analyse des accords a été


faite par trois avocats et luristes belges spécialisés dans
les affaires algériennes : Marc de Kock, Roger Lallemand
et Serge Moureaux.
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Avertissement

Dans l'analyse que nous ferons des accords, nous


utiliserons, p o u r qualifier certains textes des expressions
simplifiées :
— Accord de cessez-le-feu en Algérie :
L'accord de cessez-le-feu.
— Déclarations gouvernementales du 19 mars 1962 rela-
tives à l'Algérie :
Les accords d'Evian.
— Déclaration de principes relative à la coopération
économique et financière :
Les accords de coopération économique et
financière.
— Déclaration de principes sur la coopération p o u r la
mise en valeur des richesses du sous-sol du Sahara :
Les accords s u r le Sahara.
— Déclaration de principes relative à la coopération
culturelle :
Les accords culturels.
— Déclaration de principes relative à la coopération
technique :
Les accords de coopération technique.
— Déclaration de principes relative aux questions
militaires :
Les accords sur les questions militaires.
— Décret N° 62-305 du 19 mars 1962 portant règlement du
referendum d'autodétermination dans les départements
d'Alger, Batna, Bône, Constantine, Médéa, Mostaganem,
Oasis, Oran, Orléansville, Saïda, Saoura, Sétif, Tiaret,
Tizi-Ouzou, Tlemcen.
Règlement de l'autodétermination.
— Décret N° 62-306 du 19 mars 1962 p o r t a n t organisation
provisoire des pouvoirs publics en Algérie :
Règlement organique de la période transi-
toire.
— Décret N° 62-307 du 19 mars 1962 instituant u n tribunal
de l'ordre public en Algérie :
Décret instituant le tribunal de l'ordre public.
— Décret N° 63-327 du 22 mars 1962 portant amnistie des
infractions commises au titre de l'insurrection algé-
rienne ;
— Décret N° 63-328 du 22 mars 1962 portant amnistie
de faits commis dans le cadre des opérations de
maintien de l'ordre dirigées contre l'insurrection
algérienne :
Décrets d'amnistie.
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I
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La conclusion des accords d'Evian marque une


étape décisive sur la voie de l'établissement d'un
Etat algérien indépendant et de sa construction
selon les principes révolutionnaires qui ont animé
la lutte de libération nationale.
Certains avaient craint, au cours des négocia-
tions, que les accords ne comprennent des clauses
susceptibles d'entraver, à l'avenir, le développe-
ment de la Révolution et l'édification d'une indé-
pendance réelle.
Il est capital, dès lors, en étudiant les accords
conclus à Evian le 18 mars 1962, de vérifier si des
concessions irréversibles ont été faites par le
G.P.R.A. ou si, au contraire, rien de fondamental
n'a été compromis. Pour formuler à cet égard une
opinion éclairée, il est nécessaire de voir quels
étaient les objectifs que s'étaient assignés les pro-
moteurs de la Révolution, quels étaient les senti-
ments des autorités françaises lors de son déclen-
chement et enfin, confrontant les deux politiques,
de déterminer laquelle a marqué de son empreinte
les accords du 18 mars.
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Définition des objectifs de la


r é v o l u t i o n a l g é r i e n n e par
l'étude des textes du F . L. N .

Il est frappant que la Révolution algérienne n'ait


pas débuté dans l'équivoque. Dès le 1 novembre
1954, les responsables du C.R.U.A. diffusaient sur
l'ensemble du territoire algérien une proclamation
destinée à donner son sens à l'insurrection armée,
déclenchée dans la nuit sur l'ensemble du terri-
toire. Cette proclamation du F.L.N. — la première
en date et sans doute l'une des plus importantes
— est adressée « au peuple algérien et aux mili-
tants de la cause nationale ». Elle témoigne d'une
analyse lucide des événements politiques mondiaux
et algériens et de la volonté de fonder la lutte sur
des bases solides. L'importance d'une définition
idéologique précise, au seuil d'un combat de cette
ampleur, apparaît clairement. L'une des raisons
majeures qui condamne à l'échec l'action de
l'O.A.S. est précisément l'absence de toute défini-
tion des objectifs poursuivis, l'absence de toute
analyse correcte de la situation nationale et inter-
nationale, l'absence enfin de compte rendu à ceux
pour lesquels on prétend lutter. Le Front de Libé-
ration Nationale était, lui, intimement mêlé à la
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masse et pouvait, dès lors, s'adresser à elle pour


expliciter le sens du combat. Les auteurs de la
déclaration du 1 novembre l'affirmaient :

« ... notre souci, en diffusant la présente pro-


clamation, est de vous éclairer sur les raisons
profondes qui nous ont poussés à agir, en vous
exposant notre programme, le sens de notre
action, le bien-fondé de nos vues dont le but
demeure l'indépendance nationale dans le cadre
nord-africain. »

Et, après une analyse de la situation intérieure


du mouvement national divisé en deux factions,
et de la situation internationale jugée favorable
par l'effet de la détente, les responsables du
C.R.U.A. ajoutaient que ce but serait atteint par
la restauration d'un Etat algérien démocratique
et social et le respect des libertés fondamentales.
Après avoir défini les moyens de la lutte et sou-
ligné l'importance tant de l'action militaire à l'in-
térieur que de l'action diplomatique pour faire
connaître la Révolution algérienne (cet aspect fut
l'un des succès les plus originaux et les plus remar-
quables de la Révolution) le texte de la procla-
mation en venait à définir d'une manière extrême-
ment précise les bases sur lesquelles une négo-
ciation pourrait s'ouvrir pour mettre fin au conflit :
« ... afin d'éviter les fausses interprétations et les
faux-fuyants, pour prouver notre désir réel de
paix, limiter les pertes en vies humaines et les
effusions de sang, nous avançons une plate-forme
honorable de discussion aux autorités françaises
si ces dernières sont animées de bonne foi et
reconnaissent, une fois pour toutes, aux peuples
qu'elles subjuguent le droit de disposer d'eux-
mêmes :
1° La reconnaissance de la nationalité algérienne
par une déclaration officielle abrogeant les édits,
décrets et lois faisant de l'Algérie une terre
française en déni de l'histoire, de la géographie,
de la langue, de la religion et des mœurs du
peuple algérien;
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2° L'ouverture de négociations avec les porte-


parole autorisés du peuple algérien sur les bases
de la reconnaissance de la souveraineté algé-
rienne, une et indivisible ;
3° La création d'un climat de confiance par la
libération de tous les détenus politiques, la levée
de toutes les mesures d'exception et l'arrêt de
toutes les poursuites contre les forces combat-
tantes. »

Les responsables de l'insurrection ne se faisaient


certes aucune illusion sur l'immédiateté de cette
éventuelle négociation puisqu'ils formulaient cette
prophétie : « La lutte sera longue mais l'issue est
certaine. »
C'est le Congrès doctrinal du 20 août 1956, réuni
dans la vallée de la Soummam, qui devait définir
de la manière la plus précise non seulement les
moyens de la lutte, les techniques à utiliser et les
organes à mettre en place pour aboutir à la vic-
toire, mais encore les objectifs de paix de la Révo-
lution et même le cadre, tracé à grands traits, du
futur Etat algérien. Nous aurons l'occasion, au
cours de cet ouvrage, de revenir à plusieurs
reprises sur les termes de cette plate-forme de la
Soummam qui a toujours été considérée par les
responsables et les militants algériens comme la
base fondamentale de leur action. Sous le titre
« pourquoi nous combattons », la plate-forme défi-
nissait d'abord les buts de guerre, envisageait
ensuite le cessez-le-feu et, enfin, les négociations
pour la paix. L'examen des buts de guerre permet
de se rendre compte que le F.L.N. s'est scrupuleu-
sement attaché à les respecter.

« Les buts de guerre, affirmait la plate-forme,


c'est le point final de la guerre à partir duquel
se réalisent les buts de paix. Les buts de guerre,
c'est la situation à laquelle on accule l'ennemi
pour lui faire accepter nos buts de paix. Ce peut
être la victoire militaire sans conditions... ou
bien la recherche d'un cessez-le-feu ou d'un
armistice en vue de négociation. » « Il ressort,
ajoutait la plate-forme, que, vu notre situation,
nos buts de guerre sont politico-militaires. »
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Le premier objectif (affaiblissement total de


l'armée française pour lui rendre impossible une
victoire par les armes) a été atteint puisque si la
victoire de l'A.L.N. était devenue improbable à
brève ou moyenne échéance, par ailleurs, la vic-
toire militaire française était, en 1962, devenue
impossible. C'est de cette constatation qu'est parti
le Chef de l'Etat français pour se décider à entre-
prendre les négociations avec le G.P.R.A. La plate-
forme de la Soummam préconisait ensuite la dété-
rioration de l'économie colonialiste, la perturba-
tion de la situation en France sur le plan écono-
mique et social et aussi l'isolement politique de la
France en Algérie et dans le monde. On peut dire
que ce dernier objectif a été atteint d'une manière
particulièrement remarquable, la France n'ayant
cessé, au cours des dernières années de la guerre,
de mener un combat de repli sur le plan inter-
national. Enfin, la plate-forme assignait au F.L.N.
la mission de « soutenir le peuple devant les efforts
d'extermination des Français » et surtout de don-
ner à l'insurrection un développement tel qu'il
la rende conforme au droit international. Et elle
précisait :
« Personnalisation de l'armée, pouvoir politique
reconnaissable, respect des lois de la guerre,
administration normale des zones libérées par
l'A.L.N. »

On remarque que par la création du G.P.R.A.,


par l'adhésion de celui-ci aux Conventions de
Genève, par la lutte incessante en vue de faire
reconnaître aux combattants de l'Armée de Libé-
ration le statut des prisonniers de guerre, le F.L.N.
n'a cessé, par tous les moyens directs et latéraux,
de tendre vers ces objectifs et qu'il les a finalement
parfaitement atteints. Nous avons vu que la plate-
forme définissait les buts de guerre comme étant
« le point final à partir duquel se réalisent les
buts de paix ». Les buts de paix du Front de Libé-
ration Nationale étaient d'abord le cessez-le-feu
et, ensuite, les négociations proprement dites pour
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la paix. La plate-forme définissait ainsi les condi-


tions du cessez-le-feu :

« a) Politiques :
1. Reconnaissance de la Nation Algérienne indi-
visible. Cette clause est destinée à faire dis-
paraître la fiction colonialiste de l' « Algérie
française » ;
2. Reconnaissance de l'indépendance de l'Algérie
et de sa souveraineté dans tous les domaines,
jusques et y compris la défense nationale et
la diplomatie ;
3. Libération de tous les Algériens emprisonnés,
internés ou exilés en raison de leur activité
patriotique avant et après l'insurrection natio-
nale du 1 novembre 1954 ;
4. Reconnaissance du F.L.N. comme seule orga-
nisation représentant le peuple algérien et
seule habilitée en vue de toute négociation. En
contre-partie, le F.L.N. est garant et respon-
sable du cessez-le-feu au nom du peuple
algérien.
b) Militaires :
Les conditions militaires seront précisées ulté-
rieurement. »

Ensuite, la plate-forme indiquait les têtes de


chapitre en vue des négociations pour la paix. Ces
têtes de chapitre ont été presque textuellement
reprises lors des négociations d'Evian. Les voici :
« 1. Les conclusions sur le cessez-le-feu étant
remplies, l'interlocuteur valable et exclusif
pour l'Algérie demeure le F.L.N. Toutes les
questions ayant trait à la représentativité du
peuple algérien sont du ressort exclusif du
F.L.N. (gouvernement, élections, etc.) Aucune
ingérence de ce fait de la part du gouverne-
ment français n'est admise ;
2. Les négociations se font sur la base de l'indé-
pendance (diplomatie et défense nationale
incluses).
3. Fixation des points de discussions : — Limites
du territoire algérien (limites actuelles y
compris le Sahara algérien).
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— Minorité française (sur la base de l'option


entre citoyenneté algérienne ou étrangère
— pas de régime préférentiel — pas de
double citoyenneté algérienne et française).
— Biens de l'Etat français.
— Biens français des citoyens français.
— Transfert des compétences administratives.
— Formes d'assistance et de coopération fran-
çaises dans les domaines économique, moné-
taire, social, culturel, etc.
— Autres points.
Dans une deuxième phase, les négociations sont
menées par un gouvernement algérien chargé de
préciser le contenu des têtes de chapitre. Ce
gouvernement est issu d'une assemblée consti-
tuante elle-même issue d'élections générales. »

Sur la base de ce texte schématique, combiné


avec la déclaration du 1 novembre 1954, on peut
aisément résumer quels étaient les objectifs fon-
damentaux de la Révolution algérienne :
1. Négociations avec le Front de Libération
Nationale, garant des accords de coopération ;
2. Reconnaissance de la Nation et de l'Etat
algériens indépendants ;
3. Intégrité du territoire algérien, y compris le
Sahara ;
4. Unité du peuple algérien et refus de tout
statut privilégié pour la minorité européenne
d'Algérie.

Ces quatre notions devaient toujours se retrou-


ver dans les déclarations ultérieures du F.L.N. et
du G.P.R.A. et servir de base à la pensée, à l'action
et à la politique, tant intérieure qu'étrangère, du
gouvernement algérien.
Lorsque, le 16 septembre 1959, le Chef de l'Etat
français proposa d'avoir recours à l'autodétermi-
nation des « populations algériennes », le G.P.R.A.
— dans une déclaration du 28 septembre —
accepta la négociation sur cette base. On pourrait
croire qu'il s'agissait là d'une évolution par rap-
port à la plate-forme. Il n'en est rien. Le G.P.R.A.
considéra, à juste titre, que la reconnaissance du
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droit à l'autodétermination comportait, ipso


facto, la reconnaissance du droit du peuple algé-
rien à l'indépendance qui était, en quelque sorte,
le préalable qu'avait toujours fixé le F.L.N. pour
l'ouverture d'une négociation. On aura noté, en
effet, que le processus proposé par la plate-forme
de la Soummam est divisé en trois phases. Dans
la première, il s'agit de négocier les conditions
politiques et militaires du cessez-le-feu. Dans la
deuxième, de débattre des conditions du rétablis-
sement de la paix, notamment par un accord
de coopération et la fixation du statut des Euro-
péens. Dans une dernière phase — postérieure à
l'indépendance, à l'élection d'une Assemblée
Constituante et à la formation d'un gouvernement
algérien — les négociations d'Etat à Etat déter-
minent d'une manière précise les traités d'al-
liance, de coopération ou d'assistance entre l'an-
cien colonisateur et l'ancien colonisé. Mais, ainsi
que l'analyse du texte de la Soummam le révèle,
les négociations pour la paix, qui ont pour but
de dessiner le cadre général des futures négocia-
tions entre Etats souverains et les négociations
sur le cessez-le-feu se déroulent concomitamment.
Quand M. Guy Mollet crut voir dans le tryptique
« cessez-le-feu, élections, négociations » une for-
mule, il prouvait simplement qu'il ignorait ou
voulait ignorer la position des Algériens. Ceux-ci
ont toujours considéré que le cessez-le-feu ne
pouvait intervenir sans que soient, en même
temps, réglées les questions politiques essen-
tielles, et en premier lieu la reconnaissance
formelle du droit du peuple algérien à l'indé-
pendance. Lorsque le Général de Gaulle fit sa
proposition d'autodétermination, le 16 septembre
1959, il avait enfin rompu avec la politique de
M. Mollet puisqu'il reconnaissait le droit à l'in-
dépendance, préalable indispensable à l'ouverture
d'une négociation. La déclaration du 16 septembre
ne permit cependant pas une négociation fruc-
tueuse à cause des réserves, des réticences et des
appréciations erronées dont elle était entachée.
Mais pour notre analyse, c'est la phrase finale
de la déclaration du 28 septembre 1959, par
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laquelle le G.P.R.A. acceptait la négociation sur


base de l'autodétermination qui est essentielle :
« Le Gouvernement Provisoire de la République
Algérienne est prêt à entrer en pourparlers avec
le Gouvernement français afin de discuter les
conditions politiques et militaires du cessez-
le-feu, des conditions et des garanties de l'appli-
cation de l'autodétermination. »

Lorsqu'on confronte ce texte avec celui de la


plate-forme de la Soummam, on s'aperçoit immé-
diatement que le gouvernement provisoire de la
République algérienne, en se déclarant prêt à
discuter des « conditions politiques et militaires
du cessez-le-feu », usait exactement des formules
qui figurent dans la plate-forme.
Dans son numéro du 15 octobre 1959, El Moud-
jahid, organe central du F.L.N., indiquait bien
l'esprit dans lequel le G.P.R.A. avait formulé son
offre de négociation :
« L'exercice de l'autodétermination est pour nous
le moyen de légaliser pacifiquement... la renais-
sance de l'Etat algérien sous la forme d' une
république algérienne. Non pas une Algérie
balkanisée ou amputée d'enclaves côtières et
sahariennes, mais une Algérie algérienne, partie
intégrante du Maghreb, largement ouverte à une
coopération fructueuse avec tous les peuples du
monde, et le peuple français en particulier, sur
des bases nouvelles. Une république algérienne
généreuse et tolérante, garantissant, parce que
pleinement responsable, le sort des minorités
qui font partie de l'Algérie...»
Et M. Ferhat Abbas, dans sa déclaration du
31 octobre pour le cinquième anniversaire de la
Révolution algérienne, soulignait :
« Quelles que soient leurs origines et leur
confession, les Algériens doivent donc saluer
comme une grande espérance la reconnaissance
du principe de l'autodétermination. A l 'exception
des colonialistes, tous les Algériens, chrétiens,
israélites, musulmans, doivent avoir confiance et
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foi dans l'avenir de leur pays qui sera, nous en


sommes convaincus, un avenir de travail fécond
et de fraternisation réelle. »
Toutes les déclarations ultérieures du G.P.R.A.
devaient, d'ailleurs, aller dans le même sens et
confirmer que l'acceptation de l'autodétermina-
tion ne pouvait pas être interprétée comme une
modification de la politique du Front de Libé-
ration Nationale telle qu'elle était définie depuis
le 1 novembre 1954. El Moudjahid, le 20 février
1960, précisait encore :
« La grave faiblesse de la déclaration du 16 sep-
tembre réside dans la conception que se fait le
général de Gaulle de l'Algérie et de son histoire.
C'est de cette conception foncièrement erronée
que découlent toutes les divergences qui oppo-
sent le G.P.R.A. à la France sur la manière de
définir et d'appliquer l'autodétermination. »
Dans son numéro du 16 mars de la même année,
El Moudjahid prévenait, une fois de plus :
« L'autodétermination est une procédure sans
plus. Son acceptation par le F.L.N. ne saurait
remplacer ou atténuer le combat révolutionnaire
pour l'indépendance. »

Il était donc prévisible que les négociations ne


s'engageraient utilement entre la France et le
G.P.R.A. que le jour où le gouvernement français
admettrait qu'il ne fallait pas seulement négocier
un arrêt des combats mais aussi les conditions
politiques de celui-ci. Ce n'est que parce que le
Chef de l'Etat français a progressivement admis
la position du F.L.N. que les négociations ont
pu s'engager et aboutir, après plus d'un an de
tergiversations, aux accords d'Evian.

Ces points clarifiés, nous allons essayer de défi-


nir quelles étaient, au moment de l'ouverture des
négociations, les positions du F.L.N. sur les points
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en discussion. Autrement dit, nous ne cherche-


rons pas à déterminer quelles furent les attitudes
du Front au départ de la négociation elle-même,
mais bien ce que le F.L.N. souhaitait voir consa-
crer dans les accords.
Nous allons donc examiner, chapitre par cha-
pitre, quels étaient les principes fondamentaux
de la Révolution algérienne sur les problèmes en
discussion.

Le statut de la minorité européenne.

I. Statut des personnes.


a) Déclaration du 1 novembre 1954 :
« Tous les Français désirant rester en Algérie
auront le choix entre leur nationalité d'origine
et seront, de ce fait, considérés comme étrangers
vis-à-vis des lois en vigueur ou opteront pour
la nationalité algérienne et, dans ce cas, seront
considérés comme tels en droits et en devoirs.

b) Plate-forme de la Soummam :
« Minorité française (sur la base de l'option entre
citoyenneté algérienne ou étrangère — pas de
régime préférentiel — pas de double citoyenneté
algérienne et française). »
c) Article d'El Moudjahid du 10 mai 1959 :
« Nous savons que demain nous aurons des
Européens en Algérie, que les Israélites resteront
là. Ce que nous voulons, c'est qu'ils soient Algé-
riens à part entière. »
d) Déclaration de Ferhat Abbas du 17 février
1960 :

« L'Algérie est le patrimoine de tous. Depuis plu-


sieurs générations, vous vous dites Algériens !
Qui vous conteste cette qualité ?... Les patriotes
algériens qui ont accepté de mourir pour vivre
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libres ne vous marchandent pas le droit d'user


de la même liberté. S'ils se refusent à être des
hommes de seconde catégorie, s'ils se refusent
à reconnaître en vous des super-citoyens, par
contre ils sont prêts à vous considérer comme
d'authentiques Algériens.
L'Algérie aux Algériens, à tous les Algériens,
quelle que soit leur origine. Cette formule n'est
pas une fiction. Elle traduit une réalité vivante,
basée sur une vie commune. »

e) Déclaration de Frantz Fanon, délégué de


l'Algérie à la Conférence d'Accra (avril 1960) :
« Nous ne disons pas au colon vous êtes un
étranger, allez-vous-en... Nous lui disons : « Nous
sommes des Algériens. Bannissons de notre terre
tout racisme, toute forme d'oppression et tra-
vaillons pour l'homme, pour l'épanouissement de
l'homme et pour l'enrichissement de l'huma-
nité. »
2. Statut des biens.

En ce qui concerne le statut des biens des Euro-


péens, les textes du F.L.N. sont très peu explicites.
La plate-forme de la Soummam avait intégré ce
point parmi ceux qu'il conviendrait de régler lors
des négociations pour la paix et la déclaration du
1 novembre indiquait simplement : « Les inté-
rêts français, culturels et économiques, honnê-
tement acquis, seront respectés ainsi que les per-
sonnes et les familles. » Cette même garantie des
intérêts légitimes se retrouve dans la plupart des
déclarations du F.L.N. et notamment dans l'appel
adressé le 17 février 1960 par M. Ferhat Abbas
aux Européens d'Algérie.

Les problèmes de la coopération entre la France


et l'Algérie.

La plate-forme de la Soummam se borne à


indiquer que les formes d'assistance et de coopé-
ration françaises dans les domaines économique,
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monétaire, social, culturel, etc., constituent l'un


des chapitres de la négociation pour la paix. La
déclaration du 1 novembre 1954 était quelque
peu plus explicite :
« Les liens entre la France et l'Algérie seront
définis et feront l'objet d'un accord entre les
deux puissances sur la base de l'égalité et du
respect de chacun. »
Si l'intensification de la guerre devait amener
le F.L.N. à s'abstenir d'envisager dans ses textes
une future coopération entre l'Algérie et la
France, à partir du 16 septembre 1959, la notion
de coopération commença à réapparaître dans
les déclarations officielles du Gouvernement algé-
rien. Pour n'en citer qu'un exemple, relevons que
dans son appel au peuple algérien du 27 janvier
1960, Ferhat Abbas déclarait :
« L'indépendance de l'Algérie n'est nullement un
obstacle à l'établissement de nouveaux rapports
entre la France et l'Algérie. Ces rapports seront
d'autant plus fructueux qu'ils seront fondés sur
le respect de la souveraineté de chacun des deux
pays. Au surplus, cette indépendance peut seule
ouvrir des perspectives nouvelles à la coopéra-
tion avec tous les autres pays. »

Le Sahara.

En ce qui concerne le Sahara, les prises de posi-


tion du F.L.N. sont surtout fréquentes depuis
que les Français ont prétendu appliquer à cette
partie du territoire algérien un statut différent à
la suite de la découverte des richesses qu'il recèle.
Toutefois, dans la plate-forme de la Soummam,
le F.L.N. précisait déjà que les limites du terri-
toire algérien comprenaient, évidemment, le
Sahara. Jamais, le F.L.N. ne devait modifier son
attitude et, tant que le gouvernement français
refusa de reconnaître la souveraineté algérienne
sur le Sahara, la discussion fut infructueuse.
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Le problème de la souveraineté était d'ailleurs


le seul problème capital aux yeux des Algériens.
Ils ont toujours déclaré, pour le reste, qu'une
coopération pour son exploitation était indispen-
sable. Dans une interview au journal marocain
Ar Tahrir, Ferhat Abbas déclarait, en octobre
1959:

« La question du Sahara, en ce qui concerne la


possession, l'exploitation et l'utilisation de ses
richesses est un bien qui revient au premier rang
aux peuples du Maghreb arabe qui doivent le
mettre à profit pour relever le niveau de vie de
la population. Néanmoins, les capitaux investis
par la France et autres pays, les travaux néces-
sités par les opérations de prospection et de
recherches constituent un droit que l'Algérie
indépendante s'engage à respecter à la condition
qu'il ne puisse y avoir aucune intervention ni
prétention relative à la propriété même du ter-
ritoire saharien. »

Organisation du scrutin d'autodétermination.

En ce qui concerne la mise en œuvre de l'auto-


détermination, les textes du F.L.N. sont égale-
ment concordants. Citons un exemple particuliè-
rement n e t . s'agit d'un article d'El Moudjahid,
d2u0 février 1960, au sujet du dépouillement
régional du scrutin préconisé par le gouverne-
ment français :

« L 'Algérie serait ainsi divisée en un certain


nombre de « communautés » — Arabes,
Kabyles, Mozabites, Européens, etc. — auxquelles
correspondraient autant de provinces. Un tel
découpage répondrait au souci de voir s'appli-
quer l' autodétermination « dans le cadre d'une
démocratie authentique qui préserverait avec
soin la faculté de choix de chaque communauté. »
La division de l 'Algérie en « communautés » n'est
pas plus serieuse que la conception historique
dont elle s 'inspire. Mais cette balkanisation, en
soi irréalisable parce que faisant bon marché
de l' unité de la nation algérienne, contient en
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germe l'israélisation du pays qui, elle, n'est pas


irréalisable dans la mesure où les colonialistes
tableraient sur l'existence d'une minorité euro-
péenne non intégrée au peuple algérien.
C'est pourquoi le projet de balkanisation de
l'Algérie doit être vigoureusement dénoncé avec
toutes les menaces qu'il fait planer sur la patrie
algérienne une et indivisible... »

La réforme agraire.

La réforme agraire est déjà prévue dans la plate-


forme de 1956, où il est précisé que « solution
patriotique de la misère des campagnes, elle est
inséparable de la destruction totale du régime
colonial ». Ce texte, rédigé dans la deuxième année
de guerre, a évidemment mis l'accent sur la mobi-
lisation des paysans au service de la Révolution
et contre le colonialisme. Ce n'est que par la suite
et notamment dans les déclarations de l'Union
Générale des Travailleurs Algériens, qu'un contenu
sera donné à cette réforme agraire dont la néces-
sité est unanimement proclamée par les respon-
sables et les militants du F.L.N. dans toutes leurs
déclarations, tant privées que publiques. Rele-
vons cet extrait de L'Ouvrier Algérien du
1 novembre 1958 :

« Actuellement, plus de 80 % des Algériens


vivent de l'agriculture. C'est donc, avant tout,
sur ce plan que l'on devra demain porter le
premier effort. Il ne s'agira pas, pour l'Algérie
indépendante, de créer quelques réalisations
spectaculaires, des fermes coloniales modernes
ou même un quelconque département-témoin.
Nous organiserons la levée en masse des paysans
algériens dans la bataille des aménagements
ruraux : irrigation, reboisement, cultures en ban-
quettes. »
L'organe central du F.L.N., El Moudjahid, du
31 mars 1960, l'affirme lui-même :

« Chaque jour de guerre qui passe précise davan-


tage l'avenir. Les déplacements de populations
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rurales rendent inéluctable la réalisation d'une


des plus profondes aspirations de nos masses
paysannes : la réforme agraire ».

Et le même journal ajoute plus loin :


« La réforme agraire de demain sera obligatoi-
rement, inéluctablement, une révolution agraire
ou elle ne sera pas. »

Voilà quelles étaient, d'après ce que l'on peut


déduire des textes, les positions des négociateurs
algériens à la veille d'entreprendre des pourpar-
lers qui devaient mener au cessez-le-feu. C'était
ce point de vue qu'ils devaient faire triompher
pour obtenir à la fois l'aval du Conseil National
de la Révolution algérienne et l'approbation du
peuple algérien, auquel seule la confrontation des
objectifs définis publiquement et des résultats
obtenus devait permettre de contrôler le succès
ou l'échec de ses représentants.
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La q u e s t i o n a l g é r i e n n e
André Mandouze La révolution algérienne par les
textes
(troisième édition mise à jour : Mai 1962)
Thomas Oppermann Le problème algérien
Données historiques, politiques, juridiques.
Frantz Fanon L'an V de la Révolution algé-
rienne
(troisième édition : Février 1962)
Maurice Maschino Le Refus
Maurice Maschino L'engagement
Robert Barrat Officiers en Algérie
Jacques Vergès Défense politique
Marcel Péju Le procès du réseau Jeanson
Paulette Péju Les harkis à Paris
G.M. Mattéi Disponibles

Problèmes du tiers-monde
Frantz Fanon Les damnés de la terre
préface de J. P. Sartre
présentés par J. Grignon-Dumoulin
Fidel Castro parle... textes de la révolution cubaine
E. Che Guevara La guerre de guérilla
Jomo Kenyatta Au pied du Mont Kenya
Michel Merlier Le Congo, de la colonisation
belge à l'indépendance
A.R. Abdel Kader Le conflit judéo-arabe
V. Lanternari Les mouvements religieux d e s
peuples opprimés

François maspero éditeu r


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