Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 68 (2020) 150–152

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Mise au point

Horloge interne, sommeil et médias électroniques : le comportement

à risque des adolescents
Internal clock, sleep, and electronic media: The risky behavior of adolescents
Y. Touitou
Unité de chronobiologie, Fondation A. -de-Rothschild, 25, rue Manin, 75019 Paris, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Mots clés : L’horloge interne représentée par les noyaux suprachiasmatiques de l’hypothalamus, est sous le contrôle
Adolescents de la lumière, principal synchroniseur de notre horloge. L’horloge est désynchronisée lorsqu’il n’y a plus
Désynchronisation de relations de phase entre l’heure biologique (l’horloge) et l’heure astronomique (la montre). Un nombre
Media électroniques
croissant d’enfants et adolescents subissent une désynchronisation liée à une utilisation abusive, y com-
Lumière
pris tard le soir, de médias électroniques. On observe alors un déplacement de la phase des rythmes
Sommeil
Système circadien circadiens (retard de phase lors d’une exposition nocturne à la lumière ) conduisant à des troubles
Horloge interne du sommeil qui est raccourci et retardé, de l’humeur, de la fatigue, des performances scolaires etc. Ce
Comportement comportement à risque des enfants et adolescents constitue un problème de santé public.
© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t

Keywords: The internal clock located in the suprachiasmatic nuclei of the hypothalamus is controlled by genetic
Adolescents factors (clock genes) and environmental factors (light-dark and sleep-wake alternations). Light is the
Desynchronization major component of the clock control. Clock desynchronization occurs when the internal clock is no longer
Electronic media in phase with the environment resulting in a phase shift (phase advance or phase delay depending of the
Light
time of exposure to light). An increasing number of children and adolescents are experiencing chronic
Sleep
exposure to light at night due to misuse, including late at night, of electronic media. This results in a clock
Circadian system
Clock desynchronization, i.e. a shift of the clock circadian phase (which is delayed with exposure to light at
Behavior night) with concomitant health issues: disturbances of sleep which is both shortened and delayed, mood
alterations, fatigue etc. This risky behavior of children and adolescents is becoming a public health issue.
© 2020 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Lumière artificielle, horloge interne et synchronisation
L’horloge interne, localisée dans les noyaux suprachiasmatiques
de l’hypothalamus antérieur, est sous le contrôle de facteurs géné-
tiques (les gènes d’horloge) et de facteurs environnementaux (les
alternances de lumière-obscurité et de veille-sommeil) dont la
lumière est l’élément déterminant. Au niveau de l’œil, les cellules
ganglionnaires rétiniennes prennent en charge le signal lumineux
grâce à un photorécepteur, la mélanopsine, sensible à la raie bleue
(460–480 nm) du spectre lumineux [1]. Le signal est ensuite trans-
mis à l’horloge interne pour aboutir, après plusieurs relais, à la
Adresse e-mail : yvan.touitou@chronobiology.fr
glande pinéale qui secrète la mélatonine, hormone clé considérée
comme l’aiguille de l’horloge [2–4]. Au total, le système circadien
est un ensemble dont l’origine est la rétine et l’étape terminale est
la glande pinéale qui produit la mélatonine, neurohormone essen-
tielle au fonctionnement de l’horloge.
La lumière, y compris celle de faible intensité (LEDs, tablettes,
portables), contrôle la sécrétion de mélatonine de manière diffé-
rente en fonction de l’heure d’exposition, de l’intensité, du spectre
lumineux et de la durée d’exposition [5–7]. Lorsque l’exposition
a lieu la nuit au moment du pic de sécrétion (02–03 h), la sécré-
tion de mélatonine est totalement inhibée pendant toute la durée
d’exposition en raison de la neutralisation par la lumière de
l’activité de l’enzyme clé de la synthèse de l’hormone, la N-
acétyltransférase. Une exposition le matin entraîne une avance de

https://doi.org/10.1016/j.neurenf.2020.01.008
0222-9617/© 2020 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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phase, en soirée elle entraîne un retard de phase. Cette courbe de
réponse de phase est conceptuellement très importante, car elle
est à l’origine du traitement de patients dont l’horloge est désyn-
chronisée par exposition à la lumière dans les créneaux horaires
opportuns en fonction du sens de leur désynchronisation [8,9].
2. Désynchronisation du système circadien
Un nombre important d’adolescents sont en situation de désyn-
chronisation. Il s’agit d’un état dans lequel le temps biologique
(l’horloge) et le temps astronomique (la montre) sont dissociés.
Elle est liée à la modification du cycle lumière-obscurité retrouvée
dans un certain nombre de situations : vol transméridien, travail
posté et de nuit, cécité, vieillissement, prise d’alcool et de certains
médicaments [10–14].
Les symptômes cliniques de la désynchronisation sont aty-
piques : fatigue persistante, troubles du sommeil jusqu’à l’
insomnie chronique, troubles de l’humeur jusqu’à la dépression,
troubles de l’appétit, diminution des performances cognitives et
physiques et de la vigilance [15–19].
Une désynchronisation est mise en évidence par l’utilisation
des rythmes circadiens de certaines variables considérées comme
marqueurs du système circadien, car les rythmes de ces variables
sont reproductibles, fiables et de grande amplitude. Il en est ainsi
du rythme circadien du cortisol, de la mélatonine et de l’activité
motrice [20].
3. L’enfant face aux médias électroniques, une cause de
désynchronisation
Un sommeil de qualité est essentiel pour la santé physique
et mentale de l’enfant, car il permet un développement har-
monieux, restaure les fonctions de l’organisme, lutte contre la
fatigue et favorise les apprentissages [21,22]. Chez les adolescents,
grands consommateurs de consoles (smartphones, ordinateurs,
tablettes. . .) à toute heure de la journée y compris tard le soir, la
perte voire la dette de sommeil et le retard de phase qui lui sont
associés, sont responsables des troubles de désynchronisation de
l’horloge [23].
Un certain nombre d’éditeurs de journaux destinés aux enfants
(Hachette, Bayard. . .) se sont associés pour publier, de façon
régulière, les résultats d’une enquête barométrique intitulée
« Junior Connect » réalisée par Ipsos sur des enfants et adoles-
cents interrogés online. Des indications utiles sont apportées
sur le comportement des enfants et des adolescents en France.
L’étude Junior Connect 2017 montre que 81 % des 13–19 ans et
24 % des 7–12 ans ont un smartphone. Les 13–19 ans utilisent
leurs smartphones pour communiquer dans les réseaux sociaux
et les messageries, voir des vidéos, alors que les 7–12 ans pri-
vilégient les applications de jeux ; 35 % des 7–19 ans ont une
tablette. Le mobile est allumé en permanence chez 57 % des
garçons et 64 %des filles. Il est frappant et inquiétant de constater
que 5 à 15 % des enfants se réveillent la nuit pour une activité
connectée. Le temps hebdomadaire d’Internet et de 4h37 pour
les 1–6 ans, 6h10 pour les 7–12 ans, et 15h11 pour les 13–19 ans
(https://www.ipsos.com/fr-fr/junior-connect-2017-les-jeunes-
ont-toujours-une-vie-derriere-les-ecran).
4. Retard de phase de l’horloge et sommeil
Une enquête internationale, intitulée Health Behaviour in
School-Aged Children (HBSC), est réalisée tous les 4 ans dans
41 pays, pour la plupart européens, sous l’égide du bureau Europe
de l’OMS. Elle collecte des données sur la santé, le vécu scolaire
et les comportements préjudiciables ou favorables à la santé des
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élèves âgés de 11, 13 et 15 ans avec une méthodologie standardisée
(https://www.ofdt.fr/enquetes-et-dispositifs/hbsc/). Il ressort de
la dernière livraison publiée en 2014 les éléments suivants : les
adolescents ont perdu en moyenne 50 min de sommeil, la dette
de sommeil concerne 30 % des adolescents de 15–19 ans, 17 %
des adolescents sont insatisfaits de leur sommeil et 12 % ont une
insomnie chronique.
Un nombre croissant d’enfants et d’adolescents ont ainsi des
troubles du sommeil car, bien que les besoins en sommeil de
l’adolescent se situent aux environs de 9 h/nuit, 25 % d’entre
eux ne dorment que 7 à 8 h en période scolaire. La mauvaise
qualité du sommeil a pour corollaire une altération des capaci-
tés d’apprentissage entraînant une faible réussite pouvant aller
jusqu’au retard scolaire, des troubles d’anxiété, de dépression et
du comportement avec violence et hyperactivité [21,22,24]. Il faut
à nouveau souligner que même une intensité lumineuse faible
comme celle apportée par les LEDs dans les écrans d’ordinateur
ou de télévision, le téléphone portable ou les tablettes est capable
d’agir sur l’horloge en entraînant un retard de phase et de freiner
la sécrétion de mélatonine. Par ailleurs, l’exposition a la lumière
la nuit augmente la vigilance, favorise le coucher tardif, accroît
la privation de sommeil et freine la sécrétion de mélatonine, une
hormone elle-même impliquée dans l’endormissement [5,6].
Chez les adolescents très amateurs de toutes sortes de consoles
y compris tard le soir, le retard de phase est souvent associé à terme
à une dette de sommeil retrouvée chez 30 % des ados de 15–19 ans ;
12 % se plaignent d’insomnie chronique. Ces perturbations du som-
meil sont en rapport avec une désynchronisation appelée « jet lag
social », car l’horloge n’est plus en phase avec la vie sociale. La priva-
tion de sommeil entraîne des désordres notables qui se manifestent
par une fatigue et une somnolence diurne unanimement remar-
quées dans les établissements scolaires, des troubles de l’humeur,
des perturbations métaboliques, une dégradation de l’appétit, voire
des troubles neuro-cognitifs avec diminution de la vigilance et de
l’attention. La baisse des performances scolaires et le repli sur soi
de l’adolescent sont deux signaux essentiels qui doivent alerter les
parents. Il faut souligner la fausse bonne idée d’une récupération
du sommeil le week-end qui, en réalité, ne fait que conforter la
désynchronisation de l’enfant [21].
5. L’addiction aux écrans
Ces pratiques de connexion digitale génèrent parfois des com-
portements problématiques, voire de nouvelles formes d’addiction,
notamment à Internet ou aux jeux vidéo. La difficulté réside dans le
fait que la définition même de l’addiction aux écrans est différente
d’un pays à l’autre, ce que reflètent les contradictions de la littéra-
ture sur le sujet, la prévalence de l’addiction se situant entre 0,2 %
et 30 % [25].
Près d’un adolescent sur deux joue plus de trois heures par
semaine aux jeux vidéo. Certains auteurs considèrent que 1 à 5 % des
adolescents ont une dépendance à ces jeux et 12 % ont un usage pro-
blématique d’Internet (Gaming disorder des Anglo-saxons) [25,26].
L’OMS a reconnu en 2018 les jeux vidéo comme une maladie. Les
jeux de rôle en ligne massivement multijoueurs (MMORPG pour
Massively Multiplayer Online Role Playing Games des Anglo-saxons)
sont ceux qui sont le plus à même d’entraîner une dépendance chez
les utilisateurs à risque [27,28].
6. Conclusions
L’exposition à la lumière artificielle la nuit est considérée comme
une source nouvelle de pollution, car elle affecte le système circa-
dien.
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Horloge interne, lumière et mélatonine forment un ensemble
cohérent, le système circadien, très finement régulé par des gènes
d’horloge et par divers facteurs de l’environnement dont le plus
important chez l’homme est la lumière. L’organisme est syn-
chronisé lorsque cet ensemble fonctionne de façon harmonieuse.
À défaut, des troubles des rythmes circadiens apparaissent en
lien avec une désynchronisation de l’horloge interne par rap-
port aux facteurs environnementaux. Un modèle instructif de
désynchronisation de l’horloge et des troubles du sommeil a été
particulièrement bien étudié chez les personnes en travail posté
ou de nuit pour lesquels des effets délétères sur la santé ont été
rapportés. Ces effets sont également liés à la perte de synchronisa-
tion entre l’horloge interne et son environnement et à la dette de
sommeil, l’ensemble étant en rapport avec l’exposition chronique
de ces travailleurs à la lumière artificielle la nuit [13].
Cette désynchronisation circadienne peut poser problème chez
l’enfant et l’adolescent qui s’exposent de façon indue la nuit à
diverses consoles (ordinateurs, téléphones portables, consoles de
jeux), avec comme conséquences une diminution du temps de
sommeil pouvant aboutir à une dette de sommeil avec toutes les
conséquences délétères sur leur santé.
Quatre points méritent d’être soulignés en conclusion :
• la raie bleue (460–480 nm) du spectre lumineux qui se retrouve
dans tous les média électroniques utilisés par les enfants est la
plus inhibitrice de la sécrétion de mélatonine ;
• la mélatonine, neurohormone impliquée dans le sommeil, est
encore plus inhibée par la lumière la nuit chez l’enfant que chez
l’adulte [7] ;
• la raie bleue est très active sur le système circadien qu’elle
est capable d’avancer ou de retarder en fonction de l’heure
d’exposition [29], même avec des flashs de lumière très courts
de quelques millisecondes [5] ;
• l’exposition chronique des enfants et adolescent à la lumière arti-
ficielle la nuit s’installe comme un problème de santé publique
[21,23,30].
7. Recommandation
La baisse des performances scolaires et le repli sur soi de
l’adolescent sont deux signaux essentiels qui doivent alerter les
parents. Insistons à nouveau sur la fausse bonne idée d’une récupé-
ration du sommeil le week-end qui, en réalité, ne fait que conforter
la désynchronisation de l’enfant.
Au total, les parents sont les éléments essentiels de préven-
tion de ces troubles et conduites à risque qui peuvent aller jusqu’à
l’addiction.
Financement
Cet article n’a reçu aucun financement.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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