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Les pratiques dʼexpression

en arts plastiques
auprès dʼenfants et dʼadolescents
présentant
des troubles psychologiques
accueillis en établissements spécialisés

Patricia Sigwalt
Formatrice au Cnefei
Cnefei 2005
Patricia Sigwalt
Formatice au Cnefei
Octobre 2004

Les pratiques dʼexpression en arts plastiques


auprès dʼenfants et dʼadolescents
présentant des troubles psychologiques
accueillis en établissements spécialisés

Sommaire
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 4
1. De lʼart moderne au post-modernisme
lʼart est désormais à la portée de tous . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 4
2. La place de lʼart et de la culture
dans la construction de la personnalité de lʼenfant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 7
Lʼart pour entendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 8
Lʼart pour relier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 8
Lʼart pour surmonter les angoisses. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 9
Lʼart comme activité de sublimation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 9
Lʼart comme entrée dans le pacte symbolique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .p. 9
3. Les pratiques artistiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 10
Vers une définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 10
Fonctions, intérêt éducatif et pédagogique des pratiques artistiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 11
4. Lʼenfant est-il un artiste ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 12
LʼIME Michel de Montaigne. Chelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 13
LʼArt Brut. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 17
« Les Ateliers Extraordinaires » de Saint-Germain-en-Laye . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 18
5. Enseigner les arts plastiques en IME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 23
Lʼaide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 25
La relation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 25
La méta cognition. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 26
Le niveau dʼexigence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 26
6. Quatre séquences dʼarts plastiques à lʼIME de Fontenay-sous-Bois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 26
7. Enseigner les arts plastiques en Institut de rééducation (IR) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 31

Ressources . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 33

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Introduction sʼagit de leur difficulté à utiliser le langage comme un
outil de réflexion, de construction de soi et du savoir.
Cʼest par lʼavènement de lʼindividualisme et du Ces élèves acceptent dʼêtre dans le faire, mais ils ne
temps libre privilégiant lʼexpression et valorisant la parviennent guère à dire sur le faire, à se distancier
création, que la culture de masse a été rendue possible. ainsi de leurs actions et de leurs expériences.
Lʼétonnant, cʼest quʼen quelque sorte lʼavant-garde À lʼIME de Chelles les pratiques artistiques qui
y a également contribué en expérimentant sans seront évoquées sʼapparentent davantage à lʼart
cesse de nouveaux matériaux et agencements, en thérapie ; à Fontenay-sous-Bois, les séquences
déclassant le métier au profit de lʼimagination et de présentées auront une orientation plus pédagogique ;
lʼidée. Lʼart moderne a dissous à ce point les normes Les Ateliers Extraordinaires à Saint-Germain-en-Laye
esthétiques quʼun champ artistique ouvert à tous offrent aux enfants déficients mentaux lʼoccasion
les niveaux, à toutes les formes dʼexpression a pu de pratiquer les arts comme un loisir sans autre but
apparaître : des artistes se sont intéressés à lʼart des que celui de prendre du plaisir à créer ; quant aux
« fous » et à celui des enfants, allant comme Dubuffet pratiques dʼexpression à lʼinstitut de rééducation
jusquʼà en faire le principal moteur de sa force « Les Glycines », elles relèvent de lʼenseignement
créatrice. Au passage, on se demandera : les enfants, de lʼart à proprement parler tout en étant un moyen,
les déficients mentaux sont-ils des artistes ? sachant un outil pédagogique privilégié pour des enfants qui
quʼun marché de lʼart se développe ; en effet la mode ne se sont pas constitués comme ayant de la valeur
est au Raw art, à lʼOutsider Art, à lʼArt Singulier. pour lʼautre. Les activités dʼexpression sont toutes
Lʼavant-garde a facilité et déculpabilisé les essais et les activités où lʼenfant se donne à voir. Il y a un lien
démarches artistiques de tous, elle a creusé le sillon entre lʼamour de soi et la possibilité dʼaller vers les
permettant lʼéclosion dʼune expression artistique savoirs. Lʼenfant en se donnant à voir, ou en donnant
de masse ; lʼenseignement de lʼart sʼen est trouvé à voir ce quʼil a produit, pourra alors recevoir des
considérablement modifié. marques de reconnaissance sociale positives, il pourra
Néanmoins, la confusion règne sur le statut de se construire un narcissisme secondaire qui viendra
lʼart et de la culture en ce début de millénaire, il pour partie, réparer le manque à être initial.
conviendra donc de sʼinterroger sur la place quʼil faut
accorder à lʼun et à lʼautre dans le développement de 1. De lʼart moderne au
lʼenfant, cela afin de nous éclairer sur la justesse des
pratiques artistiques à développer dans lʼéducation. post-modernisme
Deux perspectives : enseignement de lʼart comme (Comprendre dʼune certaine manière, ce qui a permis
discipline spécifique avec des didactiques et des de faire évoluer lʼenseignement des arts plastiques
savoirs particuliers et enseignement par lʼart où vers des pratiques contemporaines).
lʼactivité artistique se constitue elle-même comme Lʼart moderne loin de renvoyer à une esthétique de
un facteur de structuration dʼune pensée apprenante. la sensation brute, est inséparable dʼune recherche
Lʼart sʼouvre alors à la fois comme objet et comme originaire, dʼune investigation portant sur les critères,
processus de savoir pouvant être réinvesti auprès de les fonctions, les constituants ultimes de la création
lʼensemble de la connaissance. artistique, avec pour conséquence une ouverture
La prise en compte des enseignements artistiques permanente des frontières de lʼart. Cʼest pourquoi
sur le terrain de lʼAIS implique ces deux dimensions manifestes, écrits, tracts, préfaces de catalogues vont
du de et du par lʼart. Une caractéristique centrale devenir si fréquents à partir du début du XXe siècle.
peut être avancée à propos des élèves concernés. Il Jusquʼalors les artistes se contentaient dʼécrire des

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romans et de peindre des tableaux, désormais ils lʼabstraction poussée à son extrême, quand lʼœuvre
expliquent au public la signification de leur travail, arrive au point du « Carré blanc sur fond blanc », le
ils deviennent théoriciens de leur pratique. Dans la discours sur lʼœuvre est plus important que lʼœuvre
période classique qui pourrait sʼarrêter, en gros, à la elle même : « The less you have to see, the more
fin du XVIIIe siècle – avec des signes avant-coureurs you have to say » dit-on joliment en Amérique. Il
du modernisme – les normes étaient fixées et il fallait apparaît dans les écrits de Gilles Lipovetsky (Lʼère
les respecter. Le consensus était stable et on consi- du vide, essais sur lʼindividualisme contemporain,
dérait que des conventions absolues et universelles Folio essais 1983), que lʼœuvre moderne est en quête
déterminaient le beau, le vrai, le sublime en soi. La de tout ce qui rompt avec lʼexpérience subjective et
période moderne commence avec le doute porté sur volontaire, avec la perception et les significations
cet universel. Ceux que lʼon a appelés les philosophes conventionnelles. Expérimentation qui repose sur
du soupçon, Nietzsche, Marx, Freud, pour ne citer le dépassement des limites du moi, sur lʼexploration
quʼeux, portent des coups de boutoirs décisifs à de ce qui excède lʼintentionnel et le délibéré, lʼart
lʼabsolu des classiques. Les valeurs prétendument moderne est obsédé par lʼœil et lʼesprit à lʼétat sauvage
universelles sont suspectées. Pour Nietzsche, elles (écriture automatique, dripping, cut up). Il valorise
émanent dʼune « volonté de puissance », pour Marx lʼinsolite, le non concerté et lʼirrationnel.
elles sont issues de la légitimation dʼun groupe « Lʼœuvre moderne littéraire ou plastique, est ouverte »
social qui les impose, pour Freud elles trouvent leur (Umberto Eco, LʼŒuvre ouverte, Paris, Seuil, 1965,
explication dans un désir inconscient. La croyance p. 22). « Le roman nʼa plus ni commencement ni fin
reposant sur une réalité en soi nʼest plus possible. véritables, le personnage est inachevé à lʼinstar dʼun
Lʼartiste ne peut plus représenter la Vérité mais intérieur de Matisse ou dʼun visage de Modigliani ».
des petits mondes perspectifs (Nietzsche), petits De plus par sa recherche inlassable de nouveaux
mondes de lʼindividu. Fin du monde en soi, début matériaux, de nouveaux agencements de signes
du monde pour soi. Les théoriciens marxistes de sonores ou visuels, le modernisme détruit toutes les
lʼart comme Lukacs ou Goldman avancent quant à règles et conventions stylistiques ; il en résulte des
eux que lʼartiste représente non pas un petit monde œuvres déstandardisées, personnalisées, au sens où la
individuel mais la vision du monde dʼune classe ou « communication » est de plus en plus indépendante
dʼun groupe social. Pour eux les valeurs de lʼartiste de toute esthétique codée, quʼelle soit musicale,
transcendent les particularismes mais ne peuvent linguistique ou optique. Le modernisme personnalise
prétendre à lʼuniversel. Cela, en effet, nʼest plus la communication artistique plus quʼil ne la détruit,
possible dans un monde multicommunautaire sur confectionne des « messages » improbables où le
le plan social et ethnique. Cette disqualification des code est lui-même à la limite singulier. Lʼexpression
valeurs universelles va encourager le relativisme et sʼélabore sans règle préétablie, sans langage commun,
donner le coup dʼenvoi à un avant-gardisme de plus conformément à la logique dʼun temps individualiste et
en plus débridé. libre. Simultanément, lʼhumour ou lʼironie deviennent
Lʼart moderne qui a pour objectif la spontanéité et des valeurs essentielles dʼun art souverain qui nʼa
lʼimpact immédiat sʼaccompagne paradoxalement plus rien à respecter et qui, dès lors, sʼouvre au plaisir
dʼune excroissance discursive. Ce nʼest pas là du détournement ludique. « lʼhumour et le rire – pas
une contradiction, cʼest le strict corrélat dʼun art nécessairement la dérision dépréciative – sont mes
individualiste dégagé de toute convention esthétique outils de prédilection » (Marcel Duchamp), le délestage
et requérant de ce fait lʼéquivalent dʼune grille de des codes sʼaccompagne dʼune décrispation du sens,
lecture, un supplément mode dʼemploi. À lʼépoque de dʼune personnalisation fantaisiste, ultime degré de la

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liberté artistique et de la dé-sublimation des œuvres. dʼune crise. Une crise permanente du sens, et le
La détente humoristique, élément crucial de lʼœuvre souhait de le reconstruire.
ouverte. Même les artistes qui sʼattacheront à dire La culture post-moderne est cette catégorie dési-
que le sens est vain, quʼil nʼy a rien à dire si ce nʼest gnant pour D. Bell « le moment où lʼavant-garde
la vacuité elle-même, lʼexprimeront encore dans la ne suscite plus dʼindignation, où les recherches
tonalité légère de lʼhumour (Beckett, Ionesco). Lʼart novatrices sont légitimes, où le plaisir et la stimu-
moderne nʼévacue pas la fonction de communication, lation des sens deviennent les valeurs dominantes
il la personnalise en désocialisant les œuvres, en créant de la vie courante. » Alors que le modernisme était
des codes et messages sur mesure, en pulvérisant le exclusif, le « post-modernisme est inclusif au point
public désormais disséminé, instable et circonscrit, dʼintégrer jusquʼau purisme de son adversaire quand
en brouillant dans lʼhumour la division du sens et la chose paraît justifiée » (C. Jencks, Le langage de
du non-sens, de la création et du jeu. lʼarchitecture post-moderne, Paris, Denoël, 1979,
Lʼart moderne est ouvert, il requiert lʼintervention p. 7). Post- modernisme au sens où il ne sʼagit plus
manipulatrice de lʼutilisateur, les résonances mentales de créer un nouveau style mais dʼintégrer tous les
du lecteur ou du spectateur, lʼactivité combinatoire et styles y compris les plus modernes : on tourne la page,
aléatoire de lʼinterprète musical. Cette participation la tradition devient source vivante dʼinspiration ;
réelle ou imaginaire, est désormais constitutive de au même titre que le nouveau, lʼart moderne tout
lʼœuvre et tient au fait que « lʼambiguïté, lʼindéter- entier apparaît lui-même comme une tradition parmi
mination, lʼéquivocité sont devenues des valeurs, dʼautres. Deviennent prédominants lʼéclectisme,
de nouvelles finalités esthétiques » (Umberto Eco). lʼhétérogénéité des styles au sein dʼune même
Par la valorisation de lʼarbitraire, du fortuit et de œuvre, le décoratif, le métaphorique, le ludique,
lʼautomatisme, de lʼhumour et des calembours, le le vernaculaire, la mémoire historique. Le post-
refus des séparations classiques, celles de lʼart et modernisme sʼinsurge contre lʼunidimentionnalité
de la vie, de la prose et de la poésie, du mauvais de lʼart moderne et appelle de ses vœux des œuvres
goût et du bon goût, du jeu et de la création, de fantaisistes, insouciantes, hybrides : « les édifices les
lʼobjet usuel et de lʼart, le modernisme libère le plus représentatifs du post-modernisme témoignent
spectateur ou le lecteur de la « suggestion dirigée » en effet dʼune dualité très nette, dʼune schizophrénie
des œuvres antérieures. Lʼart moderne dissout les délibérée » (C. Jencks).
repères de lʼart, explore toutes les possibilités, fait Cependant le post-modernisme nʼa pour objet ni
sauter toutes les conventions sans poser de limite a la destruction des formes modernes ni la résurgence
priori. Lʼœuvre est ouverte parce que le modernisme du passé, mais la coexistence pacifique des styles,
lui-même est ouverture, par le fait quʼil propose la la décrispation de lʼopposition tradition/modernité,
destruction des encadrements et critères antérieurs, le desserrement de lʼantinomie local/international,
et la conquête dʼespaces de plus en plus inouïs. À la déstabilisation des engagements rigides pour la
partir des années soixante, lʼavant-garde dans sa figuration ou lʼabstraction, bref la décontraction de
recherche de lʼoriginalité à tout prix atteindra des lʼespace artistique parallèlement à une société où les
sommets dans lʼescalade de lʼinnovation permanente, idéologies dures ne prennent plus, où les institutions
pour devenir un nouvel académisme paradoxal marchent à lʼoption et à la participation, où les
que les créateurs eux-mêmes ne tarderont pas à rôles et les identités se brouillent, où lʼindividu est
condamner. Ce qui caractérise les artistes de la flottant et tolérant. On note un retour à la fable en
période post-moderne, que lʼon sʼaccorde à dater littérature, alors que le roman dʼavant-garde refusait
autour des années quatre-vingt, cʼest la conscience toute fiction cohérente. Retour aussi des personnages

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dans le théâtre. On retrouve une certaine figuration
en peinture, on abandonne la musique sérielle… 2. La place de lʼart et
Le modernisme était une phase de création révolu-
tionnaire dʼartistes en rupture, le post-modernisme
de la culture dans la
est une phase dʼexpression libre ouverte à tous. construction de la per-
sonnalité de lʼenfant
Prolifération des groupes de théâtre-amateur, des
groupes de musique, passion de la photo et de la
vidéo, engouement pour la danse, pour les métiers Les théoriciens actuels de la culture nʼont cessé de
dʼart et dʼartisanat, pour lʼétude dʼun instrument, montrer les dangers de notre « société du spectacle »
pour lʼécriture ; cette boulimie nʼa dʼégale que celle où les statuts ontologiques du « réel » et du « fictif »
des sports et des voyages. Tout le monde a peu ou sont souvent enchevêtrés de façon inextricable ou
prou, une volonté dʼexpression artistique, on entre écrasés lʼun sur lʼautre.
vraiment dans lʼordre personnalisé de la culture. Où est la frontière du réel entre des émissions
de « réality show » de plus en plus surréalistes et
des fictions de violences et de sexe de plus en plus
réalistes ? Lʼindustrie du spectacle (cinéma, télévision,
mais aussi édition) débite une culture de masse qui nʼa
plus rien de populaire au sens noble du terme. Elle ne
permet plus de trouver des repères pour discerner le
réel (personnel et social), pour lʼassumer, et si besoin
est, pour le transformer. Il nʼest alors pas étonnant
que des personnalités fragiles cessent de distinguer
les bornes et perdent pieds en fuyant dans lʼévasion
passive ou le passage à lʼacte délirant.
Quʼen est-il de lʼart dans ce contexte ? Ne risque-t-il
pas dʼaggraver les choses ? Lʼart est-t-il lʼécole du
Jean-Michel Basquiat, Famous Moon King 1984,
huile et acrylique sur toile 180x260 cm factice ?
De nombreux auteurs lʼont cru et ont accusé lʼart de
faciliter la fuite dans lʼimaginaire et dans les dangers de
la mimésis. Ainsi, pour Platon dans La République, les
poètes sont des menteurs. Selon Saint-Augustin dans
Les Confessions, il faut se méfier de la littérature car
les adolescents en viennent à pleurer sur les malheurs
de la Reine Didon mais ne savent plus affronter leurs
propres difficultés psychologiques et spirituelles.
Pour Cervantes dans Don Quichotte, si le pauvre
Don Alonzo a basculé dans la folie au point de se
prendre pour un chevalier errant cʼest à cause dʼune
certaine forme de récit. Quant à Rousseau, il regrettait
lʼimmoralité des fables de La Fontaine et pensait que
Jean Dubuffet, Dévidoir Enregistreur 1978,
acrylique sur papier entoilé, 49 pièces rapportées collées ;
lʼart détourne lʼenfant de sa propre enfance. Plus
201x291 cm. Albright Knox gallerie, New- York près de nous, le sociologue Durkheim pensait quʼil

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y avait un antagonisme absolu entre lʼart et le réel. par ce quʼil voit et par ce quʼil entend » (Revue :
À lʼopposé, certains philosophes comme Alain (Les Lʼœil écoute).
Arts et les Dieux, Paris, Gallimard, 1937) ou Sartre
(Lʼimaginaire, Gallimard 1940), ont soutenu que Lʼart pour relier
lʼartiste ne se complaît pas dans un monde imaginaire Lʼart produit de la reliance ; « Il relie, à condition
de rêveries stériles mais opte délibérément pour le quʼil ne relie pas comme on rattache ou comme on
réel : il réalise et interprète. colonise, mais quʼil relie comme on appelle, comme
Le théâtre met en scène des interprétations du on est capable de faire entendre son écho » (Edgar
monde, la danse montre les capacités que possède Morin). Lʼexpression plastique répond au besoin
le corps pour renouveler sans cesse les formes en de communiquer. Le dessin est un appel ; un enfant
mouvement, le chant incite à travailler lʼinstrument dessine toujours pour quelquʼun.
quʼest la voix pour faire entendre le son le plus pur, La « reliance » elle est à voir dʼabord dans le fait
les arts plastiques permettent dʼinvestir le champ même que lʼenfant grandit. Grandir, cʼest relier
des possibles pour donner à voir des œuvres qui lʼenfance à son accomplissement dans un adulte maître
sʼinscrivent dans la réalité en tant que représentations de sa destinée ; toutes les actions de lʼenfant, toutes
particulières issues dʼun esprit particulier. Pour les ses rêveries ont le même objet « aller de lʼavant ».
enfants la pratique des arts doit être perçue comme Ce verbe dʼaction est à lʼorigine de tout ce quʼil
un facteur privilégié de progrès intellectuel et comme représente quand celui-ci dessine. Au moment où tout
un préalable à lʼacquisition dʼautres connaissances. le ramène à cette préoccupation de devenir grand,
« La pratique artistique nʼest pas à considérer comme par les apprentissages scolaires et la famille. Cʼest
une valeur refuge ou comme un luxe superfétatoire, ce schème de liaison qui est traduit dans ses dessins
mais comme étant étroitement associée aux autres et qui par cette expression lui permet de supporter
secteurs de lʼactivité humaine » (Daniel Lagoutte, lʼénorme pression de son environnement. À lʼécole
Enseigner les arts visuels, Paris, Hachette, 2002). primaire, représenter des images de liaison se fera
par des figurations de routes, de véhicules variés, et
Lʼart pour entendre tout sera prétexte à la représentation de déplacement.
Aucun art nʼest non discursif ; même les arts Lʼenseignant doit fournir à lʼenfant quʼil a en charge
plastiques se parlent : les tableaux se titrent, les dʼautres occasions dʼexprimer ce schème de manière
émotions se disent et sʼéchangent. Lʼœil sʼéduque par à lʼenrichir par des expériences variées dʼécoulement
les mots : les noms des couleurs, une bonne palette dʼeau par exemple, cheminements labyrinthiques,
de substantifs, nous entraînent à mieux discriminer croissance des plantes, etc. Le schème est donc
entre les tons. « Les bons poètes nous exercent à le véritable moteur de lʼaccomplissement dʼune
mieux voir et leurs mots pourtant sont aveugles. Un action, à lʼorigine des opérations de création. Pour
rouge coquelicot est incolore, le concept de chien Lagoutte, le schème directeur sʼexprime en schème
nʼaboie pas » (Régis Debré, Vie et mort de lʼimage. de figuration par des images. Il peut être affectif,
Une histoire du regard en occident, collection NRF, opératif (agir) ou configuratif (la recherche de soi-
Paris, Gallimard) ; Bergotte sort de chez lui pour aller même). « Quand lʼenfant dit quʼil veut représenter
au Luxembourg parce quʼil a lu la veille un article telle ou telle chose, il cède à un impératif affectif,
très détaillé dʼun critique, sur lʼart de Vermeer. Sans quand il a envie de dessiner mais quʼil ne sait pas
ce texte, il nʼaurait jamais vu le pan de mur jaune. quoi, il est animé par un désir de pratique opérative,
Et regarderions-nous aujourdʼhui Vermeer avec les et quand il dessine seul à la quête dʼune solution dont
mêmes yeux sans le récit de Proust ? « Lʼœil sʼéduque il ne veut pas vous entretenir, il est dans une phase

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de recherche configurative. Les relations entre le de possession de la réalité, elles sont également
schème et son expression ne sont en rien univoques ; des activités de sublimation. Freud met à jour
ainsi relier peut sʼexprimer de manière affective (la ce mécanisme qui permet de détourner lʼénergie
représentation dʼun défilé), opérative (coller des sexuelle des voies dʼune satisfaction directe pour
papiers découpés en forme de wagon pour figurer un la canaliser vers des activités socialement accep-
train) et configurative (le dessin gestuel réalisé par tables. « On appelle capacité de sublimation cette
un handicapé moteur) ». On mesure tout le champ capacité dʼéchanger le but qui est à lʼorigine sexuel
des applications qui sʼoffrent à lʼexpression plastique contre un autre qui nʼest plus sexuel mais qui est
et à lʼenseignant pour faire progresser lʼenfant dans psychiquement parent avec le premier ». Le but vise
lʼexpression de ses images fondatrices. Lʼenfant la purification morale, par des réalisations dʼordre
détient par le dessin le moyen dʼexplorer, de conjurer esthétique, intellectuel et religieux, cʼest-à-dire
ce qui lʼinquiète, ou de tuer symboliquement. Il y des buts qualifiés de sublimes. La sublimation est
a de la magie derrière ces pratiques. Dessiner une le résultat dʼun renoncement à un but pulsionnel.
chose cʼest posséder la chose. Cela ne peut être réussi quʼà travers un processus de
deuil. « Chaque aspect de lʼobjet, chaque situation
Lʼart pour surmonter les angoisses qui doit être abandonné dans le processus de crois-
« Lʼart peut être une manière dʼintroduire une sance donne lieu à la formation de symboles » (H.
dimension anthropologique des questions fonda- Segal). Les créations des enfants laissent paraître
mentales sous une forme acceptable par lʼimaginaire le sentiment nostalgique quʼelles drainent. Mélanie
enfantin. Cette forme acceptable doit à la fois être Klein explique comment lʼagressivité vis-à-vis des
efficace en terme de rapport entre les moyens et le parents entraîne un sentiment de culpabilité dʼoù
résultat, en terme dʼellipse : il faut laisser lʼenfant lʼenvie de réparation soit de « lʼobjet » père/mère,
penser cʼest pour cela que le contraire de lʼart nʼest soit du sujet, le moi. Cette réparation sʼaccomplit
pas le non – art mais lʼobscénité, à savoir ce qui dit dans la création. « Le créateur lutte contre la perte
tout mais ne permet pas de penser, ni dʼimaginer, dʼun objet dʼamour en sʼauto-étayant sur sa création ;
ni de trouver sa propre place. » (Philippe Meirieu, véritable réorganisation interne ou (auto-cure) ».
Lʼart dans lʼéducation, poudre aux yeux ou discipline
fondamentale ?). On voit bien que lʼart va donner la Lʼart comme entrée
possibilité dʼaccéder à ces questions-là, de réinscrire dans le pacte symbolique
lʼenfant dans une chaîne généalogique, ce qui est Si les mots permettent une meilleure connaissance
essentiel pour grandir. Il faut que je sente que mes de lʼart, les enseignements artistiques selon le linguiste
angoisses ne sont pas seulement à moi, ce qui leur J.-C. Callias contribuent à lʼémergence de la parole,
donne de lʼampleur. Et cʼest parce que je sens quʼelles la construction du langage nécessaire à lʼentrée dans
sont aussi à dʼautres que je les relativise, que je peux le monde du symbolique.
les apprivoiser et vivre avec elles. Lʼart va favoriser Lʼétymologie du mot « symbolique » selon Francis
et permettre cela sous des formes diverses, picturales, Imbert vient de sym-boilos : « sans javelot », cʼest-à-
théâtrales, musicales, etc. dire sans la violence, le passage à lʼacte. La capacité
de symboliser, cʼest la capacité de vivre dans un
Lʼart comme activité de sublimation univers où on ne passe pas à lʼacte, dʼaccéder à ce
Outre le fait que les pratiques artistiques répondent geste premier de lʼhumain que lʼon trouve si bien
au besoin de communiquer, de se détourner du exprimé par exemple dans la métaphore des chevaliers
réel tout en étant sous dʼautres formes une prise de la Table Ronde : déposer son épée à lʼentrée.

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Symboliser cʼest pouvoir se représenter lʼobjet communément partagé – « le sens des mots de la
absent. Cʼest le vécu corporel intégré mentalement tribu » ?
et transformé en images mentales, en représentations. Lʼart fait apparaître tout un « espace intermédiaire »
Pour Jacques Lacan le symbolique fait partie intégrante (celui du jeu chez Winnicott, qui en a analysé lʼintérêt).
du sujet avec le réel et lʼimaginaire. Il sʼétablit dans Or le jeu nous ramène à lʼart. Si tout jeu nʼest pas
et par le langage et dans la culture « le geste montre, art, tout art est pour une bonne part jeu. Lʼart est une
puis raconte avant de pouvoir expliquer ; il nʼimagine mimésis que lʼon peut rappeler sans crainte de la voir
rien sans mise en scène ». se déchaîner en violence puisquʼelle est ludique, donc
Le symbole est un objet de convention qui a pour prise dans les réseaux de règles et de codes qui sont
raison dʼêtre lʼaccord des esprits et la réunion des là pour remettre en mémoire que les hommes se sont
sujets. Symbolique et fraternel sont synonymes : on déjà réconciliés et quʼils ont convenu ensemble pour
ne fraternise pas sans quelque chose à partager, on ne la construction de lʼaventure culturelle.
symbolise pas sans unir ce qui était étranger. Lʼantonyme
exact du symbole, en grec, cʼest le diable : celui qui 3. Les pratiques artis-
sépare. Dia-bolique est tout ce qui divise, sym-bolique
tout ce qui rapproche. « Quand on enseigne il convient tiques
donc dʼêtre attentif à tous les éléments du dispositif :
le cadre matériel, les matériaux et les outils mis à Vers une définition
disposition, la règle quʼon énonce, qui sont autant de Le domaine de lʼArt est vaste et ses frontières
manières concrètes de dire comment on se propose sont floues. Il est découpé en plusieurs disciplines
de symboliser, cela rend possible certains modes de artistiques classiques ou en mutation (danse, théâtre,
symbolisation et en exclut dʼautres » (Bernard Cadoux peinture, sculpture, architecture, littérature etc.).
psychologue clinicien chargé de cours à lʼuniversité Les pratiques artistiques sont nées au croisement de
Louis Lumière Lyon 2). certains domaines culturels : religion, rite, politique,
Tout langage repose sur la confiance en ce partage thérapie, éducation sont à lʼorigine de lʼart sacré,
qui permet à chacun dʼattribuer du sens aux signes lʼart rituel, lʼart révolutionnaire, lʼart thérapie, les
et aux messages. Conventions sur la correspondance pratiques éducatives artistiques. Lʼétymologie comme
entre mots et référence désignée, sur les règles toujours étant riche dʼinformations, dans pratiques
syntaxiques, sur lʼusage des tours de parole, des artistiques, il peut être intéressant de sʼarrêter sur
rituels langagiers, des règles de politesse, sur ce chacun des mots.
dont il convient de parler et comment. Toutes les Art vient du latin (ars, artis) qui veut dire : com-
productions artistiques reposent sur des conventions. binaisons techniques, moyen, manière de, savoir
La production ou la réception de significations faire… Lʼorigine du mot insiste sur les règles de lʼart,
reposent sur un pacte symbolique que les hommes lʼaspect technique et sa transmission. La distinction
conviennent ensemble. entre les beaux-arts dʼun côté, propre de lʼartiste, et
Dans lʼenseignement spécialisé, nous rencontrons lʼartisanat, propre de lʼartisan, nʼinterviendra quʼà
des enfants qui ne sont pas encore, ou pas complè- la Renaissance. La notion de pratiques, de son côté,
tement, ou plus, dans le pacte symbolique. Ils sont sʼéclaire lorsquʼon la met en relation avec le concept
en deçà de la définition conventionnelle de signes de praxis (concept que lʼon trouve chez Aristote,
quʼils réfèrent à leurs pulsions ou à leurs craintes. Kant, Marx, Paul Ricœur etc.). La praxis est un
Comment dès lors, trouver les moyens à la fois processus de transformation qui opère non seulement
de dramatiser leurs pulsions et dʼaccéder au sens sur lʼobjet et les matériaux produits, mais aussi sur

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le sujet producteur. Dans les pratiques artistiques, les Fonctions, intérêt éducatif et pédagogique
élèves sont transformés par les modifications quʼils
font subir aux matériaux, selon la logique des règles
des pratiques artistiques
et des codes utilisés et en fonction du processus Lʼart ne sʼenseigne pas seulement en termes
de communication instauré entre les sujets. Les dʼapprentissages cognitifs et techniques. La création
matériaux peuvent être concrets (bois, métal, terre, artistique se fonde sur le non- programmable, lʼaléatoire,
toile…) ou plus abstraits (couleurs, sons, mots…). lʼimprévu. Elle prend en compte la multiplicité des
Lʼélève va découvrir les exigences des matériaux, les individualités et lʼémotion personnelle, génère la
règles, les codes, les lois des genres, la nécessité du diversité qui est par nature incontrôlable, implique
maniement des outils, les protocoles traditionnels, une communication par sympathie, sans lʼaide de
lʼévolution des techniques. Il va découvrir aussi les mots. On constate pour le déplorer que lʼenseignement
lieux et les espaces des pratiques artistiques (musée, souvent est logocentrique, il sʼadresse à lʼintellect,
théâtre, opéra…). utilise le verbal et ne permet pas à lʼélève dʼélaborer
Lʼaction profonde de lʼart sur lʼhomme a souvent des significations au niveau du non verbal, des affects
été définie par les théoriciens de lʼart, à la suite du ou des percepts.
grand précurseur que fut Aristote (333 av. J.-C., Les aspects de la personnalité (ensemble de
Athènes). Dans la Poétique, à travers les concepts caractéristiques dynamiques prises dans un système
de mimésis et de catharsis, le philosophe décrit global : le corps, la psychomotricité, lʼaffectivité, le
quelques aspects des fonctions essentielles de lʼart. mental, le moral…), ne sont pas oubliés ni disjoints
La mimésis consiste à représenter en les imitant, dans les pratiques artistiques, ils sont au contraire
la nature et les actions humaines. Notre époque, convoqués dans leur synergie. Cela est appréciable
on le sait, critique cette fonction de représentation pour les élèves souvent clivés ou morcelés selon les
de lʼart, en glosant à lʼinfini sur la fonction de activités scolaires.
catharsis. La catharsis, cʼest la purge, la purgation Enseigner les arts plastiques cʼest instaurer une
ou la purification des passions mauvaises des pratique qui se fait jour par lʼusage de procédés,
spectateurs (Aristote, fils de médecin emprunte de techniques mais surtout par des actions, cʼest-
ce terme au vocabulaire médical). La tragédie à-dire des opérations répondant à des sollicitations
purge les mauvaises passions du spectateur comme de tous ordres., Ainsi la pratique du dessin est-elle
lʼhybris (la démesure) ou la pitié, pour en faire des une autre manière de questionner le monde ; par ce
citoyens modérés et sereins, prêts à sʼengager pour questionnement, lʼenfant construit son savoir.
la cité. La catharsis décharge le trop plein dʼaffects Un projet artistique répond dans lʼidéal, aux critères
qui empêche la cohésion du groupe. Elle opère non suivants : il doit donner aux enfants la capacité
seulement sur le spectateur mais aussi sur lʼacteur dʼacquérir et dʼutiliser des outils dʼexpression, leur
des différentes pratiques artistiques. À partir de offrir lʼoccasion dʼêtre en relation avec la création
ces quelques réflexions on peut tenter dʼébaucher et les œuvres artistiques, les amener à suivre un
une définition : « les pratiques artistiques sont des processus de création et les mettre en état de produire
processus qui mettent en relation des gens, des un objet artistique à « hauteur dʼélève ». Enfin, il doit
matériaux, des codes, en purgeant et élaborant les permettre aux enfants de « mentaliser » ce quʼils font,
affects pour produire des objets, des significations, dʼacquérir le vocabulaire pour parler de ce quʼils
des valeurs et des personnes ». (Marie-Louise découvrent, de ce quʼils ressentent… La pratique
Martinez, actes du colloque : les enjeux des pratiques des arts plastiques permet de créer les conditions
artistiques dans lʼéducation). les plus favorables pour révéler à chacun ses dons

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cachés, lui fournir des occasions de les exprimer et espace de liberté mais il faut se méfier dʼune application
de les développer. En somme, on apprend en faisant. mécanique ou bureaucratique qui le scléroserait et
La dimension sociale de la production plastique est pervertirait la démarche.
un facteur de progrès pour lʼenfant « Celui-ci répète, Les élèves de lʼAIS que ce soit en littérature,
puis innove par hasard ou par imitation, en est étonné, danse, musique, arts plastiques ont besoin dʼune
montre son essai qui, obtenant la reconnaissance du médiation forte. Lʼenseignant ou lʼéducateur, ou
milieu social ou familial, est considéré comme une lʼanimateur artistique se doit dʼêtre un médiateur
réussite. Lʼenfant flatté, reproduit le schéma récemment actif, en proposant des consignes, un environnement
découvert. Alors un nouveau cycle recommence, stimulant, des protocoles, des codes, des modèles
depuis la répétition mécanique, jusquʼà la prochaine (parmi les plus prestigieux) tout en nʼhésitant pas
réussite » (Lagoutte). à sʼengager lui-même dans les tâches proposées.
Le rôle de lʼenseignant est dʼêtre un catalyseur ; Étayant les apprentissages, faisant émerger les
le maître établit une communication entre lui et réponses, amenant à lʼexigence tout en encourageant
lʼintelligence de lʼenfant quʼil met en mouvement. la confiance en soi.
Il est important que lʼenseignant ait un œil averti, un
esprit cultivé, une formation artistique approfondie 4. Lʼenfant est-il un ar-
afin dʼéviter quʼil devienne le diffuseur des stéréotypes
les plus éculés. Si la dimension artistique doit être tiste ?
présente dans lʼunivers de lʼenfant, il faut également Le regard sur le dessin dʼenfant sʼest modifié, il
quʼelle le soit « comme une exigence pour lutter est entré dans lʼenseignement par lʼéducation quʼa
contre la dispersion permanente de la quotidienneté, amené le rapport à lʼart moderne et contemporain.
la tentation de lʼimmédiateté… exigence de la con- Les artistes et par la suite les enseignants ont su
centration, de lʼattention, de lʼécoute, exigences qui regarder le dessin enfantin dʼun autre œil parce quʼils
sont fondamentales pour lʼaccès au symbolique et ont trouvé des convergences permanentes entre ce
dans la construction de la personnalité ». quʼils font, ce quʼils sont, ce quʼils savent, et le
La société crée des enfants zappeurs, « cʼest à lʼécole mode de création de lʼunivers de lʼenfance. Ce qui
de leur enseigner lʼarrêt sur image. Car le risque est se fait en classe nʼest pas de lʼart mais quelque chose
grand aussi pour lʼart et la culture de recourir au zapping, qui sʼen approche, et de cette approche découle la
de calibrer les arts quʼon enseigne afin dʼobtenir une richesse dʼun enseignement qui ne vise pas seulement
médiocrité acceptable ». (P. Meirieu). Pour Jack Lang lʼapprentissage de la démarche artistique en tant
« lʼart en classe permet de prendre en compte la totalité que telle, mais lʼéducation au sens propre du terme :
de lʼêtre, de ses dimensions sensibles… Lʼéveil de la apprendre à voir, à savoir, apprendre à vivre. Les
sensibilité est un merveilleux sésame pour les autres enfants nʼont pas conscience de produire un objet
formes dʼintelligence… La pratique dʼun art est ainsi un porteur dʼindices esthétiques qui seraient repérés
puissant antidote à lʼabsence de motivation, à lʼennui, comme tels par un groupe ou une clientèle… Ils
à la vacuité de lʼesprit. Elle est la réhabilitation de nʼappliquent pas une technique pour fabriquer un
la sensibilité comme clé de lʼépanouissement et de objet… Ils ne cherchent pas la nouveauté… Pourtant
lʼaccès aux savoirs ». La sensibilisation à lʼart pour chacun sait quʼils peuvent créer des espaces, des
tous les élèves telle quʼelle est voulue dans le projet histoires ; quand ils jouent, un bâton peut devenir une
de lʼancien ministre est une bonne chose, cependant épée, et le même bâton si lʼon se met à califourchon
il ne faut pas perdre de vue que sa qualité dépend des deviendra un fier destrier… Très nombreux sont les
acteurs du terrain. Ces propositions peuvent offrir un artistes qui sʼinspirent de lʼobjet collecté, de la chose

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ravie ou du fragment isolé de son sens premier pour possible. « Passage obligé » dirait-on pour ces enfants
le réorienter vers une fonction imaginaire, ludique qui réaliseront peut-être plus tard quʼil faut souvent
ou symbolique… Lʼartiste serait donc lʼhomme qui dépasser la simple habileté technique pour créer
veut continuer à jouer. Mais il emploie le mot travail. une œuvre dʼart. Laissons-nous aller à supposer que
Le jeu est devenu travail et exercice conscient de sa cette prise de conscience découlera de la qualité de
pensée. Comme si le passage du jeu de lʼimaginaire lʼenseignement quʼils auront reçu.
à celui de lʼœuvre ouverte ne pouvait se faire que par
le sérieux de lʼart ; un art qui est plus quʼun jeu même LʼIME Michel de Montaigne (Chelles)
sʼil se joue parfois de son sérieux. Continuer à jouer Des enfants présentant à des degrés divers des
au moyen de lʼart pour un artiste, cʼest alors se fixer troubles psychologiques réalisent des œuvres dʼune
lui-même une règle pour de nouvelles représentations grande qualité plastique. Est-ce de lʼart ?
ou rechercher des règles qui garderont la trace de À lʼIME Michel de Montaigne, des enfants souffrant
ses jeux et de ses transformations. Lʼenseignant peut à des degrés divers de troubles de la communication
proposer comme tâche le détournement dʼobjet, un exposent des œuvres bien particulières : les pro-
travail sur les traces, les empreintes, les rythmes ductions que lʼon peut voir ne ressemblent pas du
picturaux etc. le champ est vaste… Toutefois, il est tout aux habituelles productions enfantines ; elles
impératif pour la mise en œuvre de ses séquences font inévitablement penser aux œuvres de certains
quʼil tienne compte du fait que les enfants ont besoin peintres contemporains et pas des moindres, sans que
de raconter, de sʼexprimer sur ce quʼils connaissent, les adultes présents autour de lʼenfant y soient pour
ce quʼils aiment, ce quʼils vivent ; en effet, ceux-ci quelque chose (Ils proposent un lieu, du matériel
peuvent être conduits très loin dans la recherche et regardent ce qui se passe). La question se pose
plastique à condition quʼils puissent donner du sens à de savoir quelle valeur clinique, quel poids de sens
ce quʼils créent. Un enfant de quatre ans peut réaliser nous supposons à ces travaux dʼenfants. Sont-ils
des apparences de Pollock sʼil suffit dʼéclabousser ou les messages codés dʼune détresse caractéristique ?
de faire couler de la peinture dʼune boîte de conserve Alain Gillis, médecin psychiatre à lʼinstitut éducatif
trouée… Le problème de lʼenfant cʼest de raconter des Michel de Montaigne et auteur dʼun livre retraçant
histoires par des dessins et non de faire des giclures. lʼexpérience artistique de ces enfants (Le bazar du
Lʼartiste envisage les arts plastiques pour résoudre génie, Ed. A. Biro), commente ces « œuvres » et insiste
des problèmes permettant lʼaccomplissement de son sur le fait quʼil nʼa pas « lʼintention dans son propos
art alors que lʼenfant pratique les arts plastiques pour de rechercher et de trouver les signes dʼun drame
sʼaccomplir lui-même. On constate dʼailleurs chez de la communication ». En revanche il sʼinterroge
presque tous les enfants particulièrement intéressés longuement : peut-on assimiler ces œuvres à des
par les arts plastiques, le besoin de représenter la œuvres dʼart ? On peut traiter ce problème selon Gillis
réalité de façon à leurs yeux, plus convaincante. Ils « en entreprenant dʼabord une sorte dʼenquête, à la
répugnent à la déformation, aux matériaux « sales ». recherche de tout ce qui pourrait faire la différence.
Néanmoins, ils font ce que demande le professeur des Lʼélément décisif que lʼon ne tarde pas à découvrir
écoles ou du collège (ça fait partie du programme), est lʼabsence « dʼintention dʼart ». Ces œuvres sont
mais chez eux, en privé, ils sʼadonnent à lʼexercice de réalisées sans espoir particulier, avec détachement,
la copie afin dʼobtenir des dessins « bien dessinés », sans aucun repentir. Une fois la peinture réalisée,
« ressemblants » car ils ne cherchent pas à être lʼenfant sʼen détache, le succès ou le destin de son
originaux mais au contraire à rendre compte des œuvre le laissent indifférent… le peintre de métier
objets du monde de la façon la plus standardisée est constamment conscient de la liberté quʼil prend.

Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005 13
Cette conscience est une responsabilité, un souci, un troubles de la communication viennent-elles à nous
équivalent dʼintention dʼart qui doit absolument être comme des objets naturels à la manière des galets
sensible dans lʼœuvre. Si lʼévolution des pratiques ou des bois flottés ? Non, parce que lʼhomme, ainsi
artistiques allait jusquʼà la recommandation dʼune que lʼêtre le plus « innocent » est dans le souci écrit
inconscience absolue, qui se voudrait incorrigible, A. Gillis, « souci qui lʼoblige à se tenir au monde, à
alors, en droit, je ne voit pas ce qui sʼopposerait à lʼhabiter. Et le souci nʼest pour rien dans le mouvement
la coïncidence parfaite entre les œuvres dʼenfants naturel des marées qui détermine lʼélégante érosion
présentant des troubles autistiques et celles des du galet et le patient polissage du bois. La création
artistes qui auraient emprunté cette voie ». Gardons est prise dʼemblée dans un traitement y compris
à lʼesprit que ces artistes, dès lors quʼils auraient celle des enfants déficients, et les œuvres de ceux-ci
décidé dʼagir ainsi, auraient pris position par rapport montrent, sinon lʼapplication de principes destinés à
à lʼart du moment. Ils auraient fait un choix. (celui séduire lʼentendement, du moins une orientation, un
de miser sur lʼinconscience – ce qui a tout lʼair aspect sensé, une composition… autant dʼindices de
dʼêtre une gageure- à moins dʼopérer sous lʼemprise la mainmise du souci sur le peintre et sur son objet.
de drogues diverses, ce qui a été souvent tenté), Ainsi ces peintures nʼarrivent pas comme des objets
et ce choix à lui seul ferait la différence. Lʼart du naturels : elles apparaissent comme un traitement
moment, autrement dit le post-modernisme a permis du réel. Réel travaillé, passé par le souci ». Rien
aux peintres compte tenu de leur orientation de dʼétonnant à ce que ces productions « esthétiquement
favoriser la survenue de formes qui sont parfois à pertinentes », aient été remarquées par les peintres et
la portée de certains enfants. « On peut dire de ces que certains aient cherché à les imiter. Pour y parvenir
peintures quʼelles sont des créations issues dʼun mode ils durent transgresser, abandonner certaines modalités
particulier de lʼexistence, lorsque la conscience ne de lʼinterprétation figurative. Cʼétait, à une époque,
sʼaperçoit dʼelle-même quʼen de brefs instants et ne faire preuve dʼune grande audace. Lʼaudace suffit-
peut déranger lʼaccomplissement du geste venu de elle pour faire une œuvre dʼart ? Certainement non ;
soi, dans lʼici et le maintenant. Le sujet (est-ce là pourtant il semblerait quʼelle soit encore suffisante
sa déficience ?) fait alors le tableau de son paysage de nos jours pour faire « des artistes » ou prétendus
irréfléchi. Ce qui manque ce nʼest pas la conscience. tels. Question dʼépoque.
Si je le sollicite, je peux constater que lʼenfant est Lʼart et lʼœuvre dʼart ne doivent leur définition
conscient. Ce qui le distingue des autres enfants, cʼest quʼà lʼensemble des pratiques, des évènements et
le refus ou lʼincapacité de faire de cette conscience des conventions en vigueur dans le temps de leur
une thèse, une instance capable de se voir ou de se manifestation. Lorsquʼen 1910 Wassily Kandinsky
penser ». Lʼacte et la pensée restent confondus. Alain réalise la première aquarelle abstraite il va plus loin
Gillis émet lʼhypothèse que le mode dʼapparition de que lʼexpressionnisme, plus loin que le cubisme, plus
ces peintures serait plus proche de celui des objets loin que le futurisme. Lʼartiste racontait volontiers
naturels auxquels les hasards du temps ont donné la manière dont il était parvenu à lʼabstraction :
lʼallure dʼune construction préméditée. Ainsi ces galets en rentrant dans son atelier il avait été fortement
appelés parfois « pierres images » que lʼon trouve, impressionné par la « présence » étonnante dʼune
travaillés par lʼusure et qui montrent à leur surface toile posée à lʼenvers sur une des parois ; la peinture
un paysage étonnamment précis : des arbres, des qui à lʼendroit représentait un paysage, proposait
maisons, des animaux même, apparaissent finement désormais au regard des formes possédant une exis-
ciselés. Ou bien ces bois flottés dont les formes sont tence propre indépendamment de la représentation.
si belles. Les peintures dʼenfants présentant des Cette révélation fut pour le peintre le point de départ

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dʼune nouvelle manière picturale. Et il ne sʼagissait toute logique, certains peintres ont tenté de se passer
à ses yeux, ni dʼun coup dʼessai, ni dʼune expérience de toutes en présentant des toiles vierges. Mais ce
sans lendemain, mais dʼune nécessité de lʼépoque qui compte à tous coups, cʼest la valeur de révélation
qui engageait lʼart tout entier. Peut-être nʼaurait-il que renferme lʼacte ».
jamais sauté le pas sans la lecture dʼAbstraction und Aujourdʼhui lorsque nous contemplons une peinture
Einfühlung de Worringer, lʼessai brillant - paru en de Pollock, dit A. Gillis, « nous lʼapprécions pour
1907 – dʼun jeune historien dʼart dont tout le monde ce quʼelle est, mais aussi pour tout ce quʼelle nʼest
parlait en Allemagne, dans les milieux dʼavant-garde. pas, parce que nous nʼignorons pas ce que lʼart a déjà
« La tendance à lʼabstraction est la conséquence produit au cours de son histoire. Une toile de Pollock,
dʼun trouble profond devant le monde », écrivait si monumentale soit-elle, resterait comme invisible,
Worringer. accident matériel insignifiant si nous nʼavions pas
Kandinsky abandonna donc la figuration mais son quelques connaissances de lʼhistoire de lʼart. Nous
cours au Bauhaus ne donna pas moins lieu à une étude savons que le peintre qui a décidé dʼabandonner des
systématique et concrète, pratiquée de lʼintérieur, des savoir- faire, pour sʼenfoncer toujours plus avant
éléments : couleurs, formes, plans et leurs rapports, dans certaines voies, y compris les plus archaïques,
par le rappel des connotations psychologiques, le fait toujours en ayant connaissance de son milieu
biologiques, symboliques, littéraires, physiologiques culturel ; il signale ses écarts, il les cultive. Il
et autres, qui leur sont liées dans lʼesprit humain. approche ainsi, néanmoins, la situation de lʼenfant
Pour ce théoricien, avec lʼart abstrait on atteignait déficient, lequel, actionne les traits et les points,
« les éléments purs » et lʼon pouvait « aborder la les surfaces et les couleurs en restant confondu
composition selon des lois ». Ainsi y avait-il une à ce quʼil produit. Dans les dernières œuvres de
« libération progressive de la couleur puis de la Dubuffet, dans les Mires, Les Sites, les Non-lieux,
forme, par rapport à lʼobjet ». lʼartiste, « laisse la main parler », il compte sur les
Si lʼart abstrait de la première heure avait eu improvisations rapides où la délibération nʼa pas eu le
besoin dʼêtre légitimé par des apports théoriques temps dʼintervenir. La perte dʼintention, lʼindigence
complexes, plus tard les peintres de New York, ceux calculée, ont pour effet de produire des œuvres qui
de lʼExpressionnisme abstrait, nʼeurent ni manifeste, nous ramènent immédiatement aux productions des
ni programme ni théorie dʼensemble. Les œuvres enfants présentant des troubles de la pensée ». Mais
dʼArshile Gorky issues du surréalisme laissent le champ Dubuffet entretient sa défaillance consciemment, il
libre à lʼinconscient en donnant à voir des sortes de la cultive. Et cette peinture qui paraît si « facile »
paysages intérieurs. Et cela sʼaccentue avec Kline, obéit à des règles auxquelles « mine de rien » le
De Kooning ou Pollock, lequel dès 1947 sʼexprime maître se plie pour que son « écart » lui appartienne
au moyen du « dripping » avec une fougue inconnue en propre, pour quʼon le reconnaisse comme étant de
jusquʼà lui « je ne travaille pas à partir de dessins ou lui. En arts plastiques, on incite souvent les enfants à
dʼesquisses. Ma peinture est une peinture directe. Ma œuvrer « à la manière de ». Dans les écoles, on voit
façon de peindre résulte de la croissance naturelle fréquemment des travaux élaborés à la manière de
dʼun besoin. Je veux exprimer mes sentiments plutôt Matisse, de Picasso… de Dubuffet ! Pourquoi ? parce
que les illustrer ». Harold Rosenberg va plus loin : quʼon reconnaît un « Dubuffet », de la même façon
« On nʼa pas chassé les pommes pour faire place à que lʼon reconnaît un « Matisse » ou un « Picasso ».
de parfaits rapports dʼespace ou de couleur… Forme, Autrement dit pour « faire œuvre », derrière lʼintention
couleur, composition, dessin ne sont plus que des quelle quʼelle soit il y a une personne qui affirme
composantes dont aucune nʼest indispensable ; en à un moment particulier de sa vie, une manière de

Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005 15
procéder. Oui sans doute, et cependant la « manière » les effets dʼune contrainte intérieure : accumulation
on la trouve aussi chez les peintres déficients ; à vrai de formes fermées, juxtaposées, remplies de couleur,
dire, on ne voit quʼelle. espace entièrement occupé pour pallier « lʼhorreur du
À lʼIME de Chelles, Nicolas, enfant présentant vide », et non pas gestes désordonnés – non maîtrisés
des troubles de la communication, avait douze ans – par lesquels il aboutirait à une réalisation cohérente
quand on a déroulé pour lui sur un mur un grand pan sous le seul effet du hasard. Il reste pour finir, que
de papier craft. Depuis, tous les jours, il peint. On cʼest le regardeur qui fait le tableau et il est facile de
reconnaît un « Nicolas », sa « facture » est inchangée vérifier que la distinction entre ce qui est de lʼart et
depuis quatre ans et cela sans intention délibérée : ce qui nʼen est pas ne peut résulter que dʼun climat,
mêmes couleurs vives (celles quʼon avait mises à dʼune atmosphère, dʼune théorie de lʼart ambiante
sa disposition), mêmes formes sinueuses cernées de conforme redisons-le, à lʼesprit de lʼépoque : la
noir. Van Gogh a fait du « Van Gogh » toute sa vie « Fontaine », le « Porte-bouteilles » de Duchamp, les
(on se plaît à pointer partout dans ses toiles la touche Amas de graisse et de feutre de Joseph Beuys ont leur
épaisse, nerveuse, « en virgule »), mais son œuvre place dans lʼhistoire de lʼart jusquʼà aujourdʼhui sans
est figurative, pour cette raison, on nʼéprouve pas le que la pertinence esthétique y soit pour grand-chose.
sentiment de répétition que lʼon éprouve à la vue des A. Gillis, médecin psychiatre à lʼInstitut médico
productions plastiques de Nicolas. Dʼailleurs aucun éducatif Michel de Montaigne doit bien le savoir,
artiste même le plus obsessionnel, ne fait la même et pour cause : il se trouve quʼil est aussi peintre.
chose toute sa vie. Les plus répétitifs comme Viallat, Ca nʼest pas un simple violon dʼIngres. Très au fait
Buren, pour ne citer quʼeux, sʼattachent à travailler de la peinture contemporaine, il expose, (sʼexpose)
sur des variantes à lʼinfini. Les autres, changent de fréquemment dans des espaces parisiens.
manière au gré des époques et de leurs aspirations. « La peinture ne transmet pas un sens mais elle fait
Picasso a passé sa vie à élargir dans son œuvre, le sens par elle-même, pour le regardeur selon ce quʼil
champ des possibles « je ne cherche pas, je trouve » est » (Soulages). Le propre de lʼart moderne est de ne
disait-il. Est ce que la peinture de Nicolas évoluera sʼadresser quʼà des individus. De toute image on peut
sʼil continue de peindre ? Elle évoluera si Nicolas et on doit parler ; mais lʼimage elle-même ne le peut.
change (si ses troubles se modifient) ou bien si on lui Chaque époque, en Occident, a eu sa façon de lire
apporte une aide extérieure : changement dʼoutils, de les images de la Vierge Marie et du Christ, comme
support, de médium, de format… Quand bien même elle a eu sa façon de les styliser. Ces « lectures »
il se mettrait à peindre autrement, ce serait sans en nous en disent plus sur lʼépoque considérée que sur
avoir affirmé clairement lʼintention. Et donc ceci les tableaux ; ce sont autant des symptômes que des
suffirait à étayer la thèse de A. Gillis selon laquelle analyses. Les œuvres des enfants déficients peuvent
« les œuvres des déficients mentaux bien quʼesthéti- être regardées comme des œuvres dʼart ou pas, pour
quement pertinentes, ne sont pas des œuvres dʼart ». la raison quʼelles sont le fruit de notre époque. Et si
Et pourtant ces œuvres-là il éprouve le besoin de on décide de les regarder comme des œuvres dʼart
les faire connaître ; il leur consacre des livres ; il les (admettons quʼon les fasse entrer au musée), elles
donne à voir dans des expositions ; il nʼen a jamais fini seront comme les autres, des « images » définitivement
avec elles. Cʼest lʼintention qui fait lʼartiste mais pas énigmatiques, sans « bonne leçon possible ». parmi
seulement : ce sont aussi, redisons-le, les contraintes toutes les versions potentielles aucune ne peut faire
quʼil se donne et auxquelles il se plie (la contrainte autorité (pas plus celle de lʼauteur quʼune autre, pas
extrême est peut-être celle de les refuser toutes). Or, plus celle du regardeur que du regardé). Polysémie
on perçoit dans les productions de Nicolas comme inépuisable. Auberge espagnole du visible.

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Lʼart brut
Quand lʼœuvre de certains déficients mentaux
acquiert une valeur commerciale.
Picasso se trouve à chaque moment devant lʼœuvre
en état de virginité, dʼaventure absolue depuis quʼil
sʼest libéré (intentionnellement !) des contraintes
de lʼintention. Lʼœuvre dʼart peut à tout instant
bifurquer parce quʼil a oublié le propos de départ.
Si lʼon regarde du côté de lʼArt Brut, on trouve
certains obsessionnels sʼadonnant à une activité
quasiment automatique, celle à laquelle nous nous
livrons quand nous sommes distraits, quand nous
téléphonons, quand nous écoutons quelque chose
dʼennuyeux. Le crayon court sur le papier, crée
des surfaces aléatoires propices au visionnement.
Illustrations tirées du « Bazar du génie »

« Les obsessionnels de lʼart brut sont enclins à


visionner dans leur surface hachurée toute sorte
de fantasmes auxquels ils acquiescent ; Dès lors
156.5 x 118,5 cm, Nicolas treize ans. IME Michel de Montaigne, Chelles ils orientent leurs dessins, automatiques au début,
vers le développement de ces figures. Dès que le
stéréotype revient, par exemple une tête, un être
humain etc. alors il y a de nouveau une injection
dʼirrationalité, cʼest-à-dire des hachures, une
gymnastique manuelle, bref, un va-et-vient entre une
matière informe qui est donnée par le corps et une
projection qui est donnée par lʼesprit, et on passe
de lʼun à lʼautre » Propos tenus par Michel Thévoz
(Directeur de collection de lʼArt Brut de Lausanne,
Psychologue clinicien- Psychomotricien).
Lʼart brut nous renseigne bien que ça ne soit pas
intentionnel sur les processus mêmes de la création.
Dans le Rorschach on présente des images aléatoires
quʼil faut interpréter. Ces images, dans leur fabrication,
résultent dʼune feuille repliée sur une tache, mais
sont déterminées dans leur interprétation. « Tout se
passe avec les obsessionnels comme si on avait un
Rorschach où le fabricant et lʼinterprète étaient le
même. Ce qui conduit lʼaventure plus loin. Le sujet
intervient sur lʼimage en étant à la fois lʼauteur et le
regardeur, cela donne lieu à des inventions formelles
169.5 x 118,5 cm, Nicolas quatorze ans. IME Michel de Montaigne, Chelles et figuratives imprévisibles ».

Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005 17
Les dessins de la distraction sont communs à tout le Il est à noter que la première conséquence de
monde. Cʼest une pulsion créatrice que notre culture cette mise en scène des productions artistiques des
nous entraîne à refouler parce quʼelle privilégie personnes présentant des handicaps est la création
lʼapprentissage de la pensée abstraite et des valeurs dʼun véritable marché de lʼart avec son cortège
technocratiques. Les auteurs dʼArt Brut nʼont pas classique de nuisances : spéculation sur le prix des
cette docilité. Leur imagination est constamment en œuvres, apparition dʼaffairistes qui sillonnent les
opposition à lʼordre symbolique et cʼest cet imaginaire lieux de création, achètent à vil prix pour revendre à
qui prend le dessus. Par rapport à la spontanéité factice des sommes prohibitives des œuvres enlevées à leurs
dʼun certain art contemporain, on peut dire que les créateurs, et cela pas toujours avec les avertissements
auteurs dʼart Brut donnent une leçon de travail. Certains et les précautions liées à lʼexploitation de celles-ci.
passent beaucoup de temps sur leurs peintures. On Certes les lois existent – lois sur la propriété des
ne peut pas parler de « spontanéité » en ce qui les œuvres et article 9 du code civil – mais faute dʼun
concerne mais plutôt de « déviance » par rapport aux dispositif de veille suffisamment efficace, ces lois
modèles du moment, le développement complexe des sont comme les mailles trop larges dʼun filet.
facultés psychiques de certains nʼétant pas légitimé
par notre culture. Voire ! aujourdʼhui, la mode est au
raw art, cʼest-à-dire à lʼart brut, ou à lʼoutsider art,
lʼart singulier. Éditée à New-York, Raw Vision, revue
dʼart brut dont la qualité plastique et éditoriale nʼa
rien à envier aux autres revues dʼart, fait la tendance
sur le marché. Elle sort les artistes de lʼanonymat,
met en avant les lieux de création et dʼexposition et
indique tout ce qui ce publie de mieux en la matière.
Longtemps épargnée par ce phénomène, la France
et lʼEurope se mettent au diapason : Paris a ses lieux
dʼart brut reconnus que ce soit la Halle Saint Pierre
(2, rue Ronsard - Paris 18e), ou encore la galerie
Béatrice Soulié (21, rue Guénégaud - Paris 6e). La
province nʼest pas en reste puisque Grenoble tient
régulièrement son salon dʼArt Singulier qui réunit Auguste Forestier (1887-1958)
des artistes américains, hollandais, français… Dans Personnage aux oreilles de loup assis sur une vache.
Assemblage de pièces de bois sculptés
les villes de Strasbourg, Bègles, Moëlan-sur-Mer et matériaux divers.
Interné à vingt-sept ans et jusquʼà sa mort en 1958
(29), des galeries se consacrent régulièrement à lʼart à lʼhôpital de Saint- Alban, il fabriqua toute sa vie
des assemblages figuratifs constitués dʼobjets de rebut.
brut. À Liège (Belgique), lʼassociation CREAHM
vient dʼouvrir un nouvel espace, le musée de lʼArt
Différencié. À Lausanne, la galerie Collection de
lʼArt Brut (avenue des Bergières 11, 1104 Lausanne)
expose les rétrospectives des artistes les plus en « Les Ateliers Extraordinaires »
vogue. Rotterdam, Londres, Norfolk ont chacune de Saint-Germain-en-Laye
leurs galeries cotées sur le plan international. Des enfants déficients mentaux qui choisissent en
Alors ? Pas de lʼart, les œuvres des personnes dehors de lʼinstitution de pratiquer les arts avec des
présentant des troubles mentaux ? animateurs et des artistes bénévoles.

18 Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005
surprend, cʼest lʼefficacité esthétique de la peinture
de ses enfants qui semble empruntée à la maturité
artistique de certains peintres contemporains alors
quʼils ne reçoivent aucun enseignement particulier en
arts plastiques (il serait intéressant de voir comment
évoluerait leur œuvre si cʼétait le cas).
À lʼassociation « Les Ateliers Extraordinaires » à
Saint-Germain-en-Laye, des jeunes présentant des
troubles variés produisent des œuvres de grande
qualité, dans des lieux « de convivialité, de socia-
lisation, de coopération, dʼécoute de lʼautre, de
Jean Dubuffet fut lʼun des premiers artistes à sʼintéresser
à « lʼart des fous »
partage ». Lʼassociation est née en février 1997 au
Dhothel nuancé dʼabricot 147 sein de lʼInstitut médico-pédagogique et professionnel
« Les Glycines » et accueille des jeunes handicapés
mentaux de la région.
Ces ateliers ne sʼinscrivent en aucun cas dans un
dispositif thérapeutique ou pédagogique mais ont
Aloïse (Aloïse Corbaz). (1986- pour objectifs de favoriser lʼaccès à lʼexpression,
1964)
Internée en 1918 à lʼhôpital
à la création artistique, et de permettre aux jeunes
psychiatrique de Cery près de fragilisés de vivre dignement.
Lausanne. Importante production
graphique presque entièrement Lʼassociation accueille de jeunes enfants et ado-
détruite jusquʼà ce que certaines
personnes sʼintéressent à son lescents, garçons et filles, de 10 à 20 ans environ,
œuvre (notamment le professeur
Hans Steck, et le docteur Jacque-
déficients intellectuels. Une quarantaine de jeunes
line Porret- Forel qui prirent soin sont répartis dans 5 ateliers de création artistique,
de conserver ses travaux et de lui
procurer du matériel) encadrés par des intervenants, artistes professionnels
rémunérés et des animateurs bénévoles, à raison de
séances dʼune heure et demie à 2 heures par semaine
et par activité. À ce jour il existe :
- 2 séances de peinture dʼune heure et demie chacune,
encadrées par une artiste peintre et une animatrice
Si lʼon en croit Alain Gillis, le dispositif mis en bénévole ;
œuvre pour les enfants de lʼIME de Chelles est des plus - 1 séance de théâtre de 2 heures encadrée par deux
simples : de grands lais de papier craft sont accrochés comédiennes ;
aux murs et sont peints directement sans préparation. - 1 séance de danse primitive dʼune heure et demie
Peinture, brosses, eau, chiffons… sont à disposition. Il encadrée par une danseuse et un percussionniste ;
nʼy a pas dʼhoraires réservés, aucun rituel particulier, - 1 séance de sculpture dʼune heure et demie encadrée
aucun conseil, pas de consigne. Le seul soutien apporté par un peintre sculpteur ;
est celui dʼune « présence bienveillante ». Lʼassiduité - 1 séance de musique, percussions dʼune heure et
est de durée variable, souvent plusieurs années, et demie par mois encadrée par un musicien.
puis elle disparaît. « Cette intéressante disposition Certains jeunes participent à deux activités.
est davantage lʼindice du passage par une période Lʼassociation insiste sur lʼimportance dʼembaucher
que le signe dʼune inspiration géniale », mais ce qui des artistes créateurs qui pratiquent leur art en dehors

Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005 19
des ateliers, afin que ceux-ci mettent leur compétence - la chaîne câblée régionale Yvelines Première,
au service de ces jeunes, les faisant bénéficier de leur - le monde de la peinture et de la sculpture avec la
expérience. Lʼartiste établit un type de relation permettant rencontre de Pierre Alechinski et de Ladislas Kijno,
de porter un autre regard sur le handicap ; chaque jeune peintres contemporains de renommée internationale
est détenteur dʼun potentiel créateur qui se construit et de Dodie Yencesse sculpteur.
autour de cette relation : « Cʼest sur les planches dʼun Les locaux de lʼatelier dʼarts plastiques ne sont pas
théâtre, entre les cimaises dʼun musée, dans lʼintimité grands mais le matériel mis à disposition est varié
dʼun atelier, au détour dʼune lecture ou dʼune écoute et de qualité. Les murs sont recouverts dʼœuvres
que se glissent les clefs de cette expérience créative, dʼartistes ainsi que de productions dʼenfants. Ils sont
de main à main de lʼartiste à lʼenfant » sept ou huit enfants trisomiques ou présentant des
Les objectifs des ateliers sont de favoriser lʼaccès troubles mentaux à venir travailler ici de leur plein
à lʼexpression et à la création artistique et de per- gré, uniquement pour le plaisir. Pas dʼenseignement
mettre à ces enfants fragilisés de vivre dignement. particulier, lʼentrée dans la tâche est le résultat
Pour cela les ateliers se doivent dʼêtre des lieux dʼune incitation bienveillante ayant pour point de
de convivialité, de socialisation, de coopération, départ des reproductions variées de lʼœuvre dʼun
dʼécoute de lʼautre, de partage, dʼémulation par le artiste contemporain. Dans lʼatelier, lʼimitation
travail de groupe, de participation à lʼélaboration nʼest pas disqualifiée, au contraire elle nʼest jamais
dʼœuvres aussi bien individuelles que collectives. contraignante, plutôt « vagabonde » pour certains,
« Il ne sʼagit pas seulement de rendre possible lʼaccès qui pratiquent une sorte de va-et-vient entre les
à la culture pour ces jeunes fragilisés, mais de leur œuvres proposées – prenant ici un personnage, là,
permettre dʼêtre véritablement acteurs dans lʼespace une forme vivement colorée… Elle est à voir comme
culturel proposé, ce qui nécessite de rétablir le lien un moment psychologique pour lʼenfant ; imiter
social, dʼélargir les espaces de liberté au moyen cʼest sʼessayer à lʼautre. Au plan artistique cʼest un
dʼactivités de création privilégiant leur autonomie, moment du devenir. Accompagnés en permanence
leur intégration, tout en respectant leur sensibilité par une artiste peintre et une animatrice bénévole, les
propre et leur singularité ». enfants ne sont pas pour autant laissés à eux-mêmes,
Six années de pratique ont permis par le biais des et ils sont tous très demandeurs dʼaide :
expositions, des représentations de théâtre et de danse - « Cʼest bien comme ça ? Je peux mettre du
données dans des lieux publics, hors du contexte bleu ? »
institutionnel, médical et familial dʼétablir un réseau - « Regarde ! Je fais des points sur le bonhom-
relationnel entre : me ! »
- les jeunes artistes des ateliers, leur famille, Lʼanimatrice (elle montre le haut de la feuille) :
- les intervenants artistes et animateurs bénévoles, « Et si tu mettais du jaune là ? »
- les membres de lʼassociation et de lʼinstitution, - « Non ! pas là ! pas là ! Du vert là ! » (lʼenfant
- les parrains et donateurs, montre le bas de la feuille).
- les équipes des différentes mairies, les élus (villes Lʼanimatrice : « Cʼest une bonne idée ça, je nʼy
de Saint-Germain-en-Laye, Montesson, Maisons- avais pas pensé ! Nʼoublie pas de faire un grand rond
Laffitte, Chatou, Chambourcy, Mesnil-le-Roi, Le comme sur lʼimage… »
Pecq-sur-Seine…), - « Le rond je le fais là » (lʼenfant montre un espace
- les médias, (le journal de Saint Germain en Laye, resté libre sur sa feuille).
le courrier des Yvelines, le journal du Pecq en Les enfants sont en confiance, le fait dʼêtre soucieux
scène…), de bien faire et de plaire à lʼadulte ne les empêche

20 Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005
pas de prendre des initiatives lesquelles sont toujours plastique au point quʼon a jugé bon de les éditer
reçues positivement. Celles qui sʼécartent trop de en cartes postales. Les travaux sont régulièrement
lʼobjectif à atteindre sont diplomatiquement discutées exposés dans la ville et aux alentours ; ils sont
avec lʼenfant lequel accepte généralement de se plier fréquemment lʼobjet dʼarticles dans les journaux
à quelques contraintes. Il peut arriver quʼun enfant se locaux, lʼobjectif de lʼatelier étant de faire connaître
bloque, dans ce cas les animatrices nʼinsistent pas. le travail des participants car pour les animatrices de
Elles ont constaté que la plupart du temps celui-ci lʼatelier « il nʼy a guère de bénéfice en peinture, en
finit toujours par se remettre au travail. Il ne faut pas sculpture, si lʼœuvre produite nʼest pas médiatisée,
oublier que ces enfants ont choisi de faire partie de si personne nʼen reconnaît la valeur et le sens… dʼoù
lʼatelier, ils ne sont obligés à rien et peuvent partir lʼimportance de donner à voir, par des expositions,
quand ils veulent. des représentations qui sont lʼaboutissement dʼun
Les productions des enfants faites dʼaprès lʼœuvre travail permettant aux enfants la prise de conscience
dʼAlechinsky ont toutes quelque chose à voir avec de leur valeur personnelle et la reconnaissance dʼun
le travail de lʼartiste et sont dʼune belle qualité public de non avertis… »

Alechinsky. Astre et Désastre 1969.


Acrylique sur papier marouflé 155x155cm

Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005 21
Travaux dʼenfants

22 Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005
5. Enseigner les arts transformation : Botticelli affirmait que le simple fait
de lancer une éponge chargée de diverses couleurs
plastiques en IME sur un mur y laisse une trace où se voit un beau
paysage. Ainsi on peut amener lʼenfant à ce quʼil
Dʼabord, dʼune manière plus générale, enseigner prenne conscience quʼil est possible de tirer parti
les arts plastiques cʼest viser à mettre la pensée en de nombreuses situations ; par exemple on peut :
marche. Plastique signifie modelable, façonnable ; la exploiter la production dʼun artiste en lʼutilisant
sculpture, la peinture, le dessin, permettent aux formes comme un document pour réaliser autre chose ; utiliser
de prendre corps. La pensée plastique se caractérise la parodie en travaillant sur une œuvre connue afin
par sa mobilité dans le champ de lʼordre discursif ; dʼen renouveler lʼactualité ; tirer parti dʼun point de
tous les courts-circuits, les détours et les imprévus vue inhabituel, un cadrage imprévu, un fragment
comme les déplacements et les condensations de sens singulier ; se servir du hasard ; gérer les contraintes
sont rendus possibles. Le savoir en arts plastiques (matériaux, outils, gestes…).
nʼest pas linéaire, hiérarchisé, cumulatif ; il est fondé Quelques exemples dʼopérations plastiques et les
sur lʼexpérience. Notre environnement est devenu questions indispensables que lʼenseignant et les élèves
un réservoir de matériaux quʼil sʼagit de transformer qui en sont capables doivent se poser :
(lʼopération plastique de transformation est au centre Isoler
des programmes). Ce sont les conduites créatrices Reproduire quoi ?
qui doivent être enseignées avec pour objectifs : Associer pourquoi ?
- dʼinstaurer une perception esthétique : Transformer comment ?
collecter, collectionner ; présenter (cadrer, recadrer) ; Lʼenfant à besoin de « co naître », autrement dit
expérimenter de nouveaux matériaux. de naître avec les autres, pour cela il doit prendre
- de pratiquer les pouvoirs de création : conscience que la pratique artistique est aussi une
copier et reproduire ; mettre en forme ; jouer avec pratique sociale, fortement ancrée dans la culture.
les formes. Lʼhomme a besoin dʼétablir une relation entre lui
- de sʼapproprier des moyens dʼaction sur les et lʼhumanité dont il se sent solidaire ; ce sont ses
matériaux : véritables racines. Il faut toujours créer en compagnie.
acquérir des moyens techniques ; expérimenter des Créer en compagnie des artistes permet dʼaller bien
opérations plastiques. au-delà de soi-même ; dʼoù lʼimportance de visiter des
- de développer des capacités dʼexpression : musées, de regarder des reproductions, de constituer
mettre le corps en action ; laisser traduire les sentiments des musées personnels et des musées de classe.
et lʼimaginaire ; raconter et communiquer. Lʼorganisation dʼune séquence nécessite de penser
- de découvrir le champ culturel et artistique : lʼobjectif qui déterminera le choix des contenus.
interroger les images, les œuvres ; approcher de Lʼenseignant doit prévoir très précisément la mise
manière diversifiée les productions artistiques de en œuvre ; en fonction de son public sʼattacher à
tout ordre. rechercher les actions quʼil veut susciter et préparer
- dʼévaluer une réalisation : le matériel adéquat. Plusieurs possibilités sʼoffrent à
chercher des critères ; justifier son jugement ; apporter lui pour engager les élèves dans la tâche :
des améliorations. - La consigne : cʼest une instruction stricte, elle
Lʼélève en arts plastiques progresse dʼabord par indique une tâche nette.
lʼaction mais on ne peut pas agir à partir de rien ; des - La proposition : elle est plus ouverte et entraîne
images tirées de revues offrent de bons supports à une multiplicité de réponses ; par exemple lancer

Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005 23
un mot, une phrase, montrer des images porteuses, connaître les programmes des classes ordinaires.
donner un ou des verbes dʼaction… Les enfants et adolescents présentant des troubles
- La sollicitation : inviter à lʼaction par la présentation psychologiques, sʼils ont des difficultés, ont aussi
alléchante de matériel ; dʼobjets insolites… (une des potentialités et des compétences que lʼenseignant
chaise à demi peinte, une surface où sont collés des devra sʼefforcer de rechercher, dʼutiliser, et de
galets tandis que dʼautres sont posés à terre…). mettre en valeur.
- La transgression : cʼest la pensée divergente, En IME, les phénomènes de fatigabilité sont
lʼinvention voire la réponse hors cadre de lʼélève fréquents, ils sont liés aux troubles de lʼélève, et
(la non-observation de la consigne), que souvent aux efforts quʼil fournit pour les compenser et
il faut savoir saisir en la refusant, en lʼacceptant, aussi au fait que ses capacités sont souvent plus
en la relevant ou en la valorisant. La transgression vite saturées. On peut rencontrer des troubles
volontaire est rare, elle veut peut-être marquer une praxiques (conception et réalisation des gestes).
opposition, faire passer un message. Si elle est Ils sont pénalisants lors de la réalisation de tâches
systématique elle est sans doute due à des facteurs qui demandent de la manipulation plus ou moins
plus profonds quʼil conviendra dʼélucider. La précise : découper, coller, tirer un trait continu…
transgression involontaire est un signe de maladresse Des difficultés dans les domaines sensoriels moteurs
ou dʼincompréhension face à une tâche qui peut- ou comportementaux, peuvent interférer avec les
être aurait été mal définie au départ. On peut être problèmes strictement cognitifs. (Rappelons que
amené à accepter la transgression sans pour autant certaines difficultés demandent lʼintervention dʼun
en faire un système. rééducateur). La variation des rythmes biologiques
- Lʼévaluation : Il va sans dire quʼil convient dʼéviter et psychologiques provoque chez tout un chacun des
les jugements péremptoires ; lʼévaluation sauf cas décalages dans les performances, a fortiori chez ces
exceptionnel, portera davantage sur les procédures enfants présentant des troubles. Irrégulier, précipité,
que sur le produit fini. lent… le rythme sera à prendre en compte dans la
Enseigner, cʼest solliciter des aptitudes et les préparation dʼune séance.
développer ; cʼest mettre en place des situations qui Quand les compétences et le savoir attendu font
habituent à chercher les réponses adéquates ; cʼest défaut, il faut pouvoir envisager leur acquisition sur
en règle générale inciter à la recherche, provoquer le le long terme. Lʼenseignant doit pouvoir moduler
désir, faire apprécier le plaisir. Le premier but visé la durée de lʼactivité (donner plus de temps pour
est lʼautonomie de lʼélève, sa capacité dʼinvention. mener à bien une tâche, ou bien raccourcir la durée
Pour y parvenir, lʼenseignant spécialisé se devra dʼune séquence si lʼenfant ne parvient plus à se
dʼobserver lʼenfant en situation dʼapprentissage concentrer), voire ménager des moments de repos
scolaire, dʼévaluer ses acquis dans différents domaines dans la réalisation du travail. Un travail quʼil faudra
dʼactivité, de définir un projet individuel en fonction peut-être réduire, alléger ou aménager pour éviter les
de ses besoins spécifiques, dʼétablir une progression, efforts inutiles par rapport à lʼobjectif qui est visé.
dʼadapter les contenus disciplinaires aux difficultés Fournir des supports préparés, photocopier plutôt que
de lʼenfant, de proposer une pédagogie différenciée, reproduire, utiliser des images, des photographies,
de réfléchir aux stratégies à mettre en œuvre. Enfin, des objets du quotidien, des objets de rebuts, des
il évaluera régulièrement les progrès de lʼenfant afin éléments récoltés dans lʼenvironnement… Le
de réajuster son action. travail de lʼenseignant spécialisé consiste souvent
Les activités conduites en classe spécialisée à penser à réduire les contraintes pour augmenter
relèvent de lʼenseignement et nécessitent de les ressources.

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Lʼaide donne à ce quʼil fait : on peut dans le déroulement
de lʼactivité montrer à lʼélève lʼutilisation future de
Il est important dʼobserver le comportement général ce quʼil réalise, et établir des rapprochements avec
de lʼenfant face à une tâche, la manière de produire des activités antérieures. La restitution est favorisée
et les productions elles-mêmes, en ayant en tête, si on fournit à lʼenfant des indices de rappel.
un certain nombre de questions : Comment lʼenfant Lʼenseignant doit être particulièrement vigilant au
se comporte-t-il devant le travail ? Dispose-t-il de degré de complexité du langage utilisé, la part dʼin-
connaissances préalables pour le réaliser ? Comment connu peut renvoyer à plusieurs niveaux dʼignorance :
prend-t-il lʼinformation ? La forme de présentation celui du sens des mots employés, de la syntaxe ou du
de lʼactivité lui convient-elle ? Comment réagit-il thème abordé. Il ne faut pas craindre la redondance
devant la difficulté ? Fait-il des liens entre la situation en matière dʼexplications. En arts plastiques, les
présente et les travaux précédents ? Demande-t-il de moyens visuels ne manquent pas pour accompagner
lʼaide ? Que fait-il de lʼaide quʼon lui apporte ? le discours ainsi que les exemples que peut proposer
Il est nécessaire de proposer dans un premier temps, lʼenseignant en guise dʼamorce en mettant lui-même
ainsi quʼoccasionnellement dans lʼannée, des tâches au besoin, la main à la pâte : (si le travail demandé est
simples et habituelles pour obtenir des productions bien compris mais que lʼenfant manque des compé-
correctes et viser à donner confiance. Un contrôle et tences ou des capacités nécessaires à sa réalisation,
une graduation de la complexité et de la difficulté des lʼenseignant pourra réaliser dans un premier temps,
activités proposées se présentent comme un moyen avec ou à la place de lʼélève, une partie de la tâche).
efficace pour développer les capacités dʼattention. Cependant anticiper ne signifie pas que lʼon doive
Par exemple, en peinture, on peut commencer par systématiquement éloigner toute difficulté des enfants :
faire découvrir des outils variés : pinceaux plats, lʼaide nʼa de véritable valeur que si elle les laisse
ronds, gros, fins, au manche court et long, éponges, actifs dans une tâche non édulcorée qui garde toute
brosses… Des médiums : encres, peintures fluides, sa pertinence par rapport aux savoirs travaillés et à
épaisses… Quʼon utilisera sur des supports de tailles laquelle chacun peut donner un sens approprié.
et de textures différentes (Canson, calque, buvard,
bois, tissu etc., posés sur la table, sur le mur, au La relation
sol). On amènera alors à lʼenfant à produire toutes Il est important de rester un interlocuteur privilégié,
sortes de gestes qui mettent en mouvement la main, de savoir maintenir le contact, dʼêtre patient. Tout
lʼavant-bras, le corps tout entier. savoir passe par des canaux affectifs. En entrant en
La complexification se fera progressivement avec, communication avec lʼenfant on veillera à lʼaccueillir
par exemple, lʼintroduction dʼune ou deux consignes tel quʼil est, en respectant son mode de communication
à respecter : nʼutiliser que deux pinceaux… Donner sans exiger de lui ce dont il nʼest pas encore capable.
aux traces une orientation… Sans oublier de veiller Une fois la relation établie, il faudra le reste du temps
au cours de la réalisation, à stimuler lʼenfant et à le assurer son maintien.
recentrer pour éviter le décrochage. Certains enfants peuvent fuir le contact ou le
Afin de faciliter la mémoire de travail, lʼenseignant perturber. Dʼautres auront tendance à établir une
devra veiller à ne pas solliciter deux modalités relation fusionnelle avec lʻadulte et parviendront
sensorielles en même temps mais successivement ; mal à maîtriser leurs affects. Lʼenseignant ne peut se
contrôler le nombre dʼinformations ; aider à faire des limiter à des réponses en terme de manquements à la
liens avec les connaissances à évoquer. Le sens se règle et se doit dʼorganiser son cadre pédagogique
détermine aussi pour lʼindividu par lʼobjectif quʼil de manière à créer les conditions dans lesquelles les

Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005 25
élèves se sentiront assez sécurisés pour mettre en Toutes les productions des enfants devront être
route une véritable activité mentale sur des objets dʼune manière ou dʼune autre valorisées à leurs yeux
dʼapprentissage. Une certaine tolérance permet parfois et à celui de leurs pairs : affichage dans la classe,
de réserver ses exigences pour la tâche proprement expositions dans lʼétablissement, dans la ville…
dite. On gagne parfois à laisser se dérouler certains Les relations avec les parents, primordiales, sont à
rituels sʼils ne perturbent pas la classe. Avant de construire par lʼenseignant afin de faire comprendre
démarrer lʼactivité, lʼenfant peut avoir des habitudes ses actions et dʼexpliquer le bien fondé de ses
(rangements, placement dʼobjets…), qui ont une aménagements pédagogiques.
fonction de réassurance.

La méta cognition
6. Quatre séquences
Une conscience de ce quʼil fait est indispensable dʼarts plastiques à lʼIME
à lʼenfant pour ses apprentissages. Lʼactivité méta
cognitive est présente quand lʼélève est capable
de Fontenay-sous-Bois
dʼévoquer son cheminement de pensée. Lʼenseignant • Bastien et Valéry : portraits de deux enfants autistes
devra la faire émerger au moyen de questions simples : (présentés par lʼenseignante)
comment as-tu fait ? Par quoi as-tu commencé ? en le « Bastien, est un jeune adulte de 20 ans. Assez calme,
poussant à verbaliser ou expliciter sous dʼautres formes plutôt craintif et angoissé, voire inhibé, présentant
ce quʼil a pensé ; en lʼaidant à analyser les différentes différentes stéréotypies discrètes, mais aucun signe
phases de son activité. Il semble aussi pertinent de dʼagressivité, il a le souci de la perfection. Il veut
prendre le temps de revenir avec lʼenfant sur le toujours bien faire et manifeste son mécontentement
déroulement de lʼactivité, de souligner les rapports quand il nʼest pas satisfait de son travail. Néanmoins,
entre les opérations de pensée et les productions. il a parfois du mal à se concentrer et il faut souvent lui
rappeler ce quʼil doit faire. En arts plastiques, il nʼest
Le niveau dʼexigence pas très à lʼaise ; il accepte mal dʼutiliser la gouache
Il est important, sauf indications particulières, car il a horreur de ce qui salit. Il aime ce qui est net,
de ne pas poser dʼa priori dans le choix du travail précis, ce qui ne déborde pas, nʼéclabousse pas, ne coule
à proposer. Il faut éviter de penser une situation pas. Pour se rassurer il a besoin pendant un moment
complexe comme obligatoirement difficile : les de regarder faire Valéry pour consentir à se mettre au
situations les plus riches sont les plus utiles. Les travail. Sur le plan scolaire, il a actuellement un niveau
activités dʼexpression sont à voir comme une forme de cycle 1 avec des compétences très hétérogènes : il ne
dʼapprentissage scolaire impliquant une participation sait pas lire mais déchiffre son planning ; il a beaucoup
active des élèves, il ne sʼagit pas de leur faire enfiler de difficultés au niveau du graphisme, compte jusquʼà
des perles. Il faut éviter de tomber dans le piège qui dix, possède des facultés de communication mais a
consiste à penser quʼenseigner à des enfants déficients du mal à se faire comprendre du fait de ses difficultés
nécessite une baisse du niveau dʼexigence. La barre dʼarticulation. Dans lʼinteraction, il entre en contact
peut rester haute tant que les moyens de lʼatteindre avec ses pairs par le biais du toucher en associant
sont pensés avec le plus grand soin par lʼenseignant. le prénom. Lorsquʼil veut me solliciter, il attire mon
Néanmoins il est important de tolérer des productions attention en me regardant fixement. »
non conformes aux normes lorsquʼelles résultent « Valéry a 16 ans. Il ne parle pas mais semble bien
dʼun véritable travail de lʼélève empreint dʼefforts comprendre ce quʼon attend de lui et participe de bon
et dʼessais pour suppléer sa difficulté. cœur aux activités proposées. Sa compréhension est

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davantage liée au contexte de situations connues quʼà fait preuve dʼune grande mémoire visuelle quand
la compréhension du langage, mais cela traduit déjà il écrit sans faute au tableau des dizaines de mots.
un niveau de compétence. Spontané, il est parfois Bastien consent quant à lui à se mettre au travail après
un peu brutal dans son approche mais ne manifeste avoir regardé faire Valéry). Il a semblé intéressant à
ni stéréotypies, ni auto-agressivité. Cʼest aussi un lʼenseignante de proposer des activités en arts plastiques
excellent comédien qui feint la tristesse et les pleurs qui offraient lʼutilisation dʼun matériel concret ainsi
lorsquʼil nʼobtient pas lʼattention ou lʼapprobation que des supports visuels susceptibles dʼapporter une
souhaitée. Lors de nos interactions, si on ne veut aide qui soit en mesure dʼexploiter les facultés de ces
pas déclencher un trouble du comportement, il est jeunes. La perception visuelle joue un rôle important
préférable dʼéviter de prononcer trop fréquemment dans les apprentissages car elle permet dʼintroduire
le mot « non » car il lʼassocie systématiquement à une alternative aux consignes verbales. Les supports
un interdit ou à une punition. « attends… Pas comme visuels tels que des pictogrammes constituant un
ça… Regarde… Doucement… » sont des termes plus répertoire dʼactions, dʼoutils, de médiums, se sont
appropriés. Dès quʼil a un moment de libre, il aime avérés dʼune grande utilité pédagogique pour ces
écrire au tableau, en lettre dʼimprimerie des mots, jeunes autistes qui avaient souvent besoin quʼon leur
toujours les mêmes, correctement orthographiés et décompose la tâche du fait quʼils ne mémorisaient pas
qui indiquent ses centres dʼintérêt (en particulier les toujours convenablement la succession des étapes.
noms dʼune dizaine de clubs de football). Valéry ne Lʼenseignante avait pour objectif dʼobserver une
sait pas lire mais utilise correctement son planning. progression en organisant un dispositif à partir du
Pendant lʼactivité arts plastique, il se montre toujours « faire ensemble », de lʼimitation, de la reproduction
bien disposé mais il est tellement pressé dʼagir quʼil de motifs simples, espérant provoquer quelques prises
ne prend pas le temps dʼécouter la consigne jusquʼau dʼinitiatives voire lʼenvie de « faire seul ».
bout. Il faut donc souvent freiner son impatience et Séances de graphisme
lui demander dʼattendre, de regarder. Lʼattention Objectifs :
soutenue que demande toute activité pour ces - faire en sorte de maintenir lʼattention, le regard
jeunes est source de fatigue quʼils traduisent au pour amener les jeunes à imiter : des gestes, des
bout dʼun moment par des signes dʼénervement, formes…
une mauvaise coordination des gestes, un manque - observer les capacités sur le plan de la coordination
soudain dʼapplication. Ce désengagement indique oculo-manuelle, la précision des gestes.
quʼil est préférable dʼaccorder un temps de repos - évaluer les compétences en motricité fine ainsi
avant de poursuivre lʼactivité. » que les capacités à sʼadapter à des instruments
Pour répondre aux besoins particuliers de ces deux différents.
adolescents autistes déficients intellectuels sévères
que lʼenseignante avait à sa charge, celle-ci a dû
dans un premier temps, bien cerner leurs troubles
spécifiques afin de prévoir un aménagement du
temps, de lʼespace et des relations au sein de la
classe. Aménager celle-ci afin de pouvoir anticiper 1. Contourner des obstacles
sur le où ? Quand ? Comment ? Et combien de temps ?
permettait de se représenter la tâche en posant des
repères indispensables facilement utilisables car les
enfants autistes sont avant tout des visuels (Valéry

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Première séance : des ronds
a) Inciter les jeunes à répartir dans la feuille (format
A4) des ronds prédécoupés de tailles différentes
et leur demander de les coller où ils veulent sur
la surface.
b) Leur demander de choisir une couleur de
feutre
c) Tracer une ligne continue autour des formes
rondes, (faire une démonstration préalable) ; Contourner du haut vers le bas
continuer lʼexercice jusquʼà obtenir des ara-
besques. Renouveler lʼexpérience avec de Deuxième séance : des triangles
la peinture et un pinceau brosse. Consigne :
1) : « tu te « promènes » sur la feuille avec le
feutre autour des ronds sans les toucher ».
2) : « tu te « promènes » sur la feuille avec ton
pinceau autour des ronds sans les toucher ».
d) Tracer un trait continu à partir du haut de la feuille
(point de départ en rouge) vers le bas (jusquʼau
point dʼarrivée) et contourner chaque obstacle a) Positionner les triangles prédécoupés et les coller
rencontré sans le toucher, mais en respectant la sur la feuille.
taille et lʼarrondi. Consigne : « Tu commences b) Contourner les obstacles en respectant les points
la promenade en haut de la feuille à partir dʼun de départ et dʼarrivée. (point de départ en haut
point rouge, tu descends… Et chaque fois que tu de la feuille, arrivée en bas).
rencontres un rond tu passes à côté sans le toucher c) Remplir totalement la feuille autour des obstacles
et tu rejoins le point rouge en bas de la feuille ». sans laisser de blanc, puis mettre de la couleur
e) Renouveler lʼopération sur un format plus grand sur les triangles.
avec des médiums (gouache, encre, gros pastels…)
et des outils plus adaptés gros pinceaux, brosses,
éponges…), voire sur un support autre que le
Canson (papier Craft, toile, papier chiffon, papier
calque, papier journal, support en bois…)

Contourner les triangles de droite à gauche

Contourner de la gauche vers la droite

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orientation, dʼutiliser des outils et des médiums
différents.
2. Suivre le contour dʼune forme :
Quatrième séance :
a) Proposer différents gabarits selon un thème
(végétation, animaux, personnages, objets…)
b) Demander aux enfants de choisir trois formes
dans les gabarits du thème que lʼon se propose
de traiter.
c) Montrer comment on peut reproduire un motif
posé et tenu fermement sur la feuille en suivant
Troisième séance : des formes géométriques son contour au moyen dʼun feutre large. Inciter
Contourner et entourer les surfaces géométriques
les enfants à en faire autant
d) Faire reproduire les motifs choisis (en contournant
les gabarits) au DOS dʼun travail graphique
de la séance précédente. Découper les motifs
obtenus de façon à obtenir des formes pleines
et libres (qui une fois retournées se présenteront
décorées de graphismes) ainsi que des pochoirs
(au moyen du support évidé).
e) Élaboration dʼune composition à partir des
motifs découpés des deux jeunes (formes pleines
et pochoirs faisant apparaître des graphismes
colorés une fois retournés), collés sur un support
préalablement peint.

Contourner les obstacles en proposant des variantes


selon la motivation des enfants : départ en bas de la
feuille, arrivée en haut, ou encore : progression du
trait de droite à gauche et vice-versa.
- Outils : feutre ou crayon de couleur ou pastel ou
gouache… À utiliser séparément ou à mélanger. Valéry et Bastien,
travail collectif.
- Travailler avec une seule gamme de couleur ou Reproduction de figures
plusieurs (sachant que la contrainte est plus grande en contournant des
gabarits,
pour ces jeunes de travailler une seule tonalité : par découpées en veillant
à constituer des
exemple le bleu qui peut être clair, foncé, transparent, pochoirs ;
collées sur un support
opaque, émeraude… en fonction des médiums, des préalablement peint et
outils, des supports utilisés). cernées au pastel gras.

Pour ces jeunes en grande difficulté ce type de


séance simple leur aura permis : de faire des choix
(emplacement des formes, choix de couleurs, choix
dʼoutils), dʼexécuter des tracés continus selon une

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Comportement des deux jeunes dans les activités travers les différentes étapes ou diriger leurs gestes.
(notes de lʼenseignante). « Jʼai pu constater que souvent, si le résultat obtenu
Valéry et Bastien ont bien accepté lʼensemble ne correspondait pas à celui attendu, cela était dû en
des activités proposées. Ils parurent ravis que le grande partie au fait que je nʼavais pas su anticiper
travail terminé fut affiché dans le couloir et admiré leurs difficultés ou que ma consigne nʼétait pas
par les adultes et les enfants de lʼIME. Néanmoins suffisamment précise. Lors du premier travail sur
jʼai pu constater des différences de comportement le graphisme par exemple, je nʼai pas réalisé tout
liées à leur caractère leurs goûts respectifs et à leur de suite quʼil était important de placer en bas et en
« handicap ». haut de la feuille des points de repères indiquant le
Valéry est prêt à se lancer dans lʼactivité rien quʼen départ et lʼarrivée du trait continu ».
voyant le matériel ; il faut calmer son impatience Les apprentissages ont porté sur lʼimitation
pour quʼil écoute la consigne. Il aime peindre, (reproduire un geste, une action), les perceptions
dessiner, mais il fait tout un peu trop vite. Découper, visuelles (formes, couleurs, dimensions), la motricité
coller proprement, colorier avec précision, sont fine (contourner et reproduire une forme, découper,
des activités qui lui demandent beaucoup dʼefforts coller, manier divers outils), la coordination oculo-
de concentration, dʼattention et de persévérance. motrice (colorier, repasser sur) et lʼapproche de
Il faut souvent lui demander dʼaller moins vite. certaines notions (grand/petit, haut/bas, droite/gauche,
Lorsque Valéry est fatigué il sʼagite ; il nʼest alors plein/vide…). Lʼintérêt des jeunes sʼest maintenu au
plus possible de lui demander de faire des efforts fil des séances ainsi que la communication à travers
(il sʼinstalle de lui-même dans son coin repos). En tout ce que peut traduire comme émotion un regard,
revanche, il nʼaime pas arrêter un travail qui lui une mimique, un geste :
semble inachevé. Il a besoin de signaler avant de - Communiquer son malaise : « Bastien manifeste sa
se lever quʼil a fini : « i-ni ! i-ni ! ». crainte de ne pas pouvoir répondre à mon attente
Bastien quant à lui est trop appliqué : cherchant en me regardant, en se penchant sur ce que fait
toujours à bien faire, il nʼavance pas très vite. Il ne son voisin ou en utilisant une stéréotypie ».
se lance dans lʼactivité que lorsquʼon le sollicite et - Communiquer sa joie et son impatience : « Valéry
lʼencourage et éprouve souvent le besoin de regarder sʼinstalle à sa table avec un grand sourire, il émet des
ce que fait son voisin. Il a des difficultés sur le plan sons de contentement et sʼempare frénétiquement
de la motricité fine ; il est très crispé et a du mal à dʼun pinceau, comprenant en voyant les pots de
tenir son crayon. Ses tracés et ses découpages sont peinture posés au milieu de la table que lʼon va
maladroits. Nʼétant pas sûr de lui, il nʼopère pas de peindre ».
choix personnels : il choisit les mêmes couleurs, les - Communiquer sa fatigue : « Valéry prend un
mêmes motifs que son camarade. Il recherche sans air boudeur, pose lʼoutil quʼil avait en main ; il
cesse mon approbation avant de commencer ou de regarde de plus en plus souvent le coin repos et
poursuivre une nouvelle phase de lʼactivité. Lorsque finit par aller sʼy installer. Je le laisse faire quand
Bastien est fatigué, il se démobilise. De plus, il nʼaime jʼestime quʼil a bien travaillé ».
pas reprendre un travail qui lui semble achevé. Lʼenseignante est consciente que des performances
Les travaux réalisés montrent lʼimplication des cognitives comme lʼidentification des formes et des
jeunes dans les activités proposées. Néanmoins, couleurs, le choix et la prise dʼinitiatives, la compré-
aucune des productions nʼa été réalisée sans lʼaide hension de la finalité des actions réalisées ainsi que les
de lʼenseignante qui a dû parfois intervenir pour les capacités verbales relatives à lʼexpression des termes
aider à rattraper quelques maladresses, les guider à liés à lʼactivité ou à la compréhension des consignes

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nʼont pas été travaillées de façon systématique au le plus souvent par des échanges verbaux agressifs.
cours de cette expérience. Quatre séances étaient Ces jeunes ont pourtant une intelligence « normale ».
insuffisantes pour envisager des performances plus Lʼexpression de leurs troubles est de deux ordres :
complexes lesquelles nécessitaient la mise en place une grande violence ou une forte inhibition. Nous
dʼun dispositif sʼinscrivant dans la durée. travaillons dans des établissements que lʼon peut
qualifier dʼexplosifs » (J.-M. Delaune enseignant
7. Enseigner les arts spécialisé à lʼIR lʼÉclaircie).
Les élèves de lʼIR ont toujours besoin dʼêtre orientés,
plastiques en Institut contrôlés, aidés. La médiation aux savoirs doit être

de rééducation (IR)
forte. Lʼenseignant se doit pour pouvoir travailler,
dʼêtre un adulte fiable pour des enfants qui ont eu
Les jeunes accueillis en Instituts de rééducation souvent à faire à un environnement familial défaillant.
présentent le plus souvent des troubles du compor- Le but premier dans un Institut de Rééducation est
tement lesquels sont définis comme une déficience la réparation de la faille narcissique. Les activités
par lʼOrganisation mondiale de la santé (OMS). plastiques, discipline scolaire où la réussite nʼest pas
La déficience est selon lʼOMS « une perte de directement liée à la reconnaissance du code écrit,
substance ou altération dʼune structure (fonction peuvent permettre de contribuer à la revalorisation
psychologique, physiologique ou anatomique) ». Cet de lʼestime de soi pour ces élèves qui ont souvent
aspect lésionnel du handicap peut être temporaire de grosses difficultés de lecture et de compréhen-
ou permanent. De cette déficience résultent diverses sion. Lʼenseignant devra se référer du programme
incapacités. On constate en IR que certains adolescents élémentaire voire sʼappuyer sur les instructions du
éprouvent de la difficulté à éviter les évènements programme du collège à condition dʼy apporter
mettant le corps en danger : certains peuvent pratiquer quelques aménagements.
lʼauto mutilation, ou ne pas savoir se protéger dʼun Pour J.-M. Delaune, la démarche de Daniel Lagoutte
danger extérieur ; (un enfant contraint de rester en (Inspecteur pédagogique régional, chargé dʼune
classe est allé jusquʼà tenter de se précipiter par mission dʼinspection générale en Arts plastiques)
la fenêtre du premier étage). Dʼautres sont dans nʼest pas sans soulever quelques difficultés si on
lʼimpossibilité de comprendre, dʼinterpréter, et de lʼapplique sans nuances à des élèves dʼIR. En
faire face à une situation ; toute nouvelle rencontre effet : « Si lʼidée du musée personnel peut séduire
les terrorise. Lʼacquisition de connaissances scolaires les enfants de lʼécole il est fort probable que les
ou professionnelles peut poser un problème pour adolescents dʼInstitut de rééducation sʼy opposeront
ceux qui fuient lʼentrée dans le monde des adultes car beaucoup réagissent fortement aux récits de la
responsables. « On voit aussi des jeunes qui éprouvent vie personnelle et à leur intrusion dans la vie de la
des difficultés à participer à des activités scolaires classe. De plus une exposition dʼobjets auxquels
tant ils sont dans le refus de coopérer avec dʼautres les élèves sont attachés risquerait dʼêtre rapidement
que ce soient les pairs ou les enseignants. La scolarité dégradée tant il est vrai que les vols et la casse sont
dans ce cas est intermittente voire impossible. La fréquents ». Lʼenseignant a intérêt cependant de
seule solution trouvée à lʼIR pour amener un de tenter de trouver des solutions pratiques : fermer
ses occupants à rester dans la structure, a été de lui la classe à clé, mettre les objets sur des étagères
donner la responsabilité de rénover un bâtiment pour difficilement accessibles… Envisager dʼavoir recours
le transformer en foyer, en lieu de vie. Pour beaucoup, à la photographie… J.-M. Delaune ajoute : « Les
les relations sont pauvres et limitées et se traduisent pulsions de ces élèves sont à dominante sexuelle…

Les pratiques dʼexpression en arts plastiques auprès dʼenfants et dʼadolescents présentant des troubles psychologiques accueillis en établissements spécialisés • Cnefei 2005 31
Mieux vaut ne pas travailler sur le nu même si lʼon Il est important que les activités proposées soient
en trouve dans de nombreuses œuvres, de Matisse élaborées en faisant référence au champ artistique.
à Combas en passant par Modigliani et Picasso. Un travail sur lʼéclaboussure et le « dripping » peut
Il ne sʻagit pas de censure mais il convient de se voir le jour après avoir regardé des œuvres de Sam
poser des questions : Quʼen ferions-nous ? Quelle Francis et de Pollock. Déchirer, coller des affiches
serait sa place dans une classe ? quelles seraient après avoir pris connaissance du travail de Raymond
les conséquences sur le groupe ? ». Lʼenseignant Hains par exemple ; trouer du papier et du carton,
dans ce type dʼétablissement comme dans dʼautres en faisant référence au « Concetto Spaziale » de
se doit dʼavoir une fonction « contenante » ; les Lucio Fontana.
arts plastiques comme les autres activités dʼex- Sur les murs de la classe doivent figurer des œuvres
pression, représentent un danger de débordement dʼartistes prestigieux de préférence, avec en bonne
non négligeable ; il convient donc dʼêtre prudent. place les productions des élèves. Rien ne doit être
Lʼenseignant doit également se garder dʼinterpréter négligé pour mettre en valeur le mieux possible
les productions. Si quelque chose venait à le choquer leur travail. Expositions dans divers endroits de
il lui reviendrait alors de prévenir le psychiatre ou lʼétablissement : couloirs, halls, grands murs… Voire
le psychothérapeute. dans des locaux de la ville.
Lʼenseignant doit élaborer ses séquences de façon Lʼévaluation est formative. Elle se pratique en
à placer lʼélève face à un problème à résoudre et non classe sous forme dʼentretiens entre lʼenseignant
devant une tâche à exécuter. Une des compétences du et lʼélève ; ce dernier rend compte de sa démarche,
cycle 3 stipule que « lʼenfant doit être capable de réaliser justifie ses choix en argumentant. Lʼenseignant
une production en fonction dʼune intention, en trouvant quant à lui apprécie, valide ou non les progrès et
des règles dʼorganisation des formes, des couleurs, des les efforts par rapport aux capacités et à lʼévolution
matières, des objets, des images ; en choisissant une du jeune ; en la présence et avec si possible lʼaccord
technique en fonction du projet visé ; en utilisant un de celui-ci. Les nombreuses compétences acquises
projet dʼexpression en fonction du but recherché ; en en arts plastiques sont transversales et peuvent être
connaissant des aspects de la démarche de lʼartiste et réinvesties dans dʼautres disciplines.
se constituer une première culture artistique ».

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