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« Oui. Toujours. Cela faisait vingt ans. Il avait commencé comme enseigne sur
la frégate Bersagliere - un bâtiment militaire chargé de la surveillance des côtes
au large de Bari. Puis il avait quitté les Pouilles pour la Sicile. Il avait été promu,
au fil des années, jusqu'à diriger la frégate Zeffiro. Cela faisait trois ans qu'il
occupait ce poste. Il patrouillait le plus clair de son temps au large de l'île de
Lampedusa et partageait ainsi sa vie entre son navire, les escales de
Lampedusa et son port d'attache, Catane. Mais au fond, depuis cette époque où
il était un jeune homme passionné de mer, fier de la rutilance de son uniforme
et qui aurait avalé tous les océans avec un appétit féroce, rien n'avait changé.
Les Albanais avaient fait place aux Kurdes, aux Africains, aux Afghans. Le
nombre de clandestins n'avait cessé d'augmenter. Mais c'était toujours les
mêmes nuits passées à l'écoute des vagues, traversées, parfois, par les cris d'un
désespéré qui hurle vers le ciel du fond de sa barque. Toujours les mêmes
projecteurs braqués sur les ondes à la recherche d'embarcations. Toujours ces
foules hagardes de fatigue qui n'ont ni joie ni terreur lorsqu'on les intercepte.
Des hommes sans sacs. Ni argent. Au regard grand ouvert sur la nuit et qui ont
soif, au plus profond d'eux-mêmes, de terre ferme. Toujours des cadavres,
aussi. Ceux qui se sont perdus trop longtemps et qui, faute de vivres ou faute de
force pour continuer à ramer, gisent à fond de barque, les yeux ouverts sur le
vent qui les a perdus. Ou ceux noyés par les flots parce que leur embarcation
s'est renversée et qu'ils ne savaient pas nager, qui s'échouent après des jours de
ballottements dans les vagues, sur les plages de Lampedusa ou d'ailleurs, au
milieu des vacanciers. Vingt ans de ces nuits lui avaient usé le visage et cerné
les yeux. »
Eldorado, Laurent Gaudé, 2006, p. 21-22

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