Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Eugène Bois
Adjudant au 150ème Régiment d’Infanterie
Tué le 16 avril 1917
Au Mont Sapigneul (Marne)
Abstract
Ninety years after the end of the awful WWI, pains and sufferings
of the soldiers are mainly documented across families archives.
The body of this soldier having never been found, his widow sought
in writing the testimonies of her comrades-in-arms to know in
which conditions her husband had been killed.
It is these testimonies that you can read in the pages which follow.
•2•
In Memoriam Eugène Bois
•3•
In Memoriam Eugène Bois
Dès l’annonce de la disparition présumée de son mari, Elise Bois a sollicité les récits de
témoins directs ou indirects. Compte tenu des difficultés de correspondance, dues aux
hostilités en cours, ils s’échelonneront sur plusieurs mois.
L’ordre chronologique de rédaction des courriers a été retenu. Chaque fois que cela est
possible, l’expéditeur et le destinataire sont identifiés. Les textes sont reproduits intégralement
en conservant les ponctuations et les éventuelles fautes d’orthographe.
On voit, au fil des missives, se préciser les circonstances de la mort d’Eugène Bois. On perçoit
aussi les efforts conjugués de plusieurs membres de la famille Marciel (parents, frères, beau-
frère) pour connaître la vérité sur ses derniers instants.
Jean-Paul Bois-Margnac
Hélas ! J’ai une bien triste nouvelle à vous annoncer, ma sœur vient de me confirmer la
mauvaise nouvelle que nous avions apprise samedi.
Deux soldats du même bataillon à qui elle avait écrit, ont répondu que ce pauvre Mr Bois
avait été tué le 16 avril à 7 heures du matin. Il n’en est resté que 17 sur le bataillon. Pauvre
Mme Bois, comment lui apprendre une chose pareille, sa vie est brisée maintenant, pauvre
petit Pelot [son fils, Pierre Bois]! Je ne vais pas y aller ce soir, elle se figurera que la réponse
n’est pas arrivée ; je l’ai écrit à Milou tout à l’heure. Mon Dieu, quel chagrin, comment lui
apprendre sans lui faire beaucoup de mal.
Chère Madame et cher Monsieur, nous devions aller jeudi à Chatellerault, mais peut-être
lui direz-vous ce jour-là ; devons-nous y aller, voudrez-vous être assez aimable de nous faire
savoir télégraphiquement ce que je dois faire. Si cette pauvre Mme Bois veut aller à Chartres,
qu’elle désire n’importe quoi, que je puisse lui aider, soyez sûre (sic) que je ferais tout ce que
je pourrais pour atténuer un peu son chagrin.
Soyez assurés, chère Madame et cher Monsieur, que je prends une très grande part à
votre peine.
Mes amitiés à Lilyte.
Meilleurs baisers pour vous.
Signé : Mounette
•4•
In Memoriam Eugène Bois
10 mai1917
Monsieur,
21 mai1917
Monsieur
Les renseignements que j’ai recueilli au sujet de mon ami l’adjudant Bois ne sont
malheureusement pas bons – Blessé au début de l’action, il est retourné à sa compagnie où
paraît-il, il fut blessé à nouveau très grièvement.
Depuis on n’a pas eu de ses nouvelles au 150 – J’espère qu’il a été ramassé par les
Allemands et qu’il est soigné chez eux mais il est possible qu’il soit mort sur le champ de
bataille – J’espère qu’il n’en sera rien –
En tous cas si vous avez quelques renseignements, transmettez les moi.
Adieu Monsieur croyez que je participe à votre douleur et que personnellement je
regrette beaucoup votre beau frère qui était pour moi un excellent camarade.
Signé : Archambault
Médecin auxiliaire en trait (sic) - 150éme d’infanterie (barré à l’encre)
premier bataillon (barré à l’encre) - hôpital 50 - 4 rue de Presbourg - Paris
•5•
In Memoriam Eugène Bois
Nous recevons, avec la plus vive douleur, la lettre de Monsieur Marciel nous annonçant la
mort de Monsieur Bois.
Jusqu’à maintenant, nous voulions espérer malgré tout et nous comptions toujours sur
de nouveaux renseignements nous permettant d’attendre, avec confiance, des nouvelles de
lui ; on m’avait signalé la présence à Poitiers, probablement à l’hôpital du Pont Achard, d’un
capitaine et d’un lieutenant appartenant au 150ème et je me disposais à aller les voir et les
interroger au moment où la lettre de Monsieur Marciel est venue nous enlever notre dernier
espoir.
Puisque, hélas !, le sacrifice est maintenant entièrement consommé et qu’il n’est plus
possible de venir vers vous avec des mots d’espérance, je voudrais au moins essayer, en vous
disant toute la part que nous prenons à votre immense douleur, de vous apporter quelques
paroles de consolation.
Votre mari vous laisse, et laisse à son petit Pierre, un héritage moral dont vous pouvez et
devez être fiers.
Dès notre première rencontre, je m’étais senti attiré vers Monsieur Bois, parce que
j’avais deviné en lui des qualités que nos relations ultérieures m’ont permis de voir se
manifester pleinement. Dès le début, je l’avais jugé modeste, loyal et bon ; l’avenir devait
prouver qu’il était aussi courageux et héroïque, et les circonstances de sa mort sont de celles
qui commandent la plus respectueuse admiration.
Il est de ceux qui ne meurent pas tout entier, car ils laissent au cœur de tous ceux qui
les ont connus, le souvenir d’une âme élevée et modeste, d’un caractère froid et ferme, d’un
cœur délicat et tendre. Nous sommes, ma femme et moi, de tout cœur avec vous en ces
terribles moments.
Nous avons appris avec émotion que votre petit Pierre avait déjà le sentiment que c’était
à lui, désormais, qu’incombait le devoir de consoler et de soutenir sa mère et nous espérons
que son affection vous aidera à supporter plus courageusement votre peine. Nous lui envoyons
tous les trois nos meilleures caresses. Nous vous prions, Madame, de nous rappeler au bon
souvenir de toute votre famille et vous prions de croire à notre très sincère amitié.
Signé : R Vau…
•6•
In Memoriam Eugène Bois
27 juillet 1917
Madame,
Signé : Archambault
•7•
In Memoriam Eugène Bois
Support : Papier à lettres petit format bordé d’un large liseré noir sous enveloppe « deuil ».
Cachet : TRESOR ET POSTES (à demi effacé)
Mention manuscrite : Franchise postale Militaire.
Destinataire : Madame E. Bois. Institutrice à Parcay-Meslay ( Indre et Loire )
Expéditeur : Commandant P. de Roucy
Madame,
Excusez mon retard à vous répondre. La vie aux tranchées laisse peu de loisirs pour la
correspondance et je profite d’un instant de calme pour vous donner les renseignements que
très légitimement vous me demandez.
Votre mari, l’adjudant Bois, après avoir été adjudant de bataillon pendant un certain
temps, avait été depuis la fin de l’année dernière, affecté comme chef de section à la 1ère
compagnie. C’est dans ces conditions qu’il participa à l’attaque du 16 avril dernier, attaque
extrêmement sanglante pour le 150ème d’Infanterie.
La première compagnie était en première ligne pour l’assaut et peu après être sorti
vaillamment, en tête de sa section, des tranchées françaises, Bois reçut un éclat d’obus à la
main. Le lieutenant Girard lui donna l’ordre d’aller au poste de secours pour se faire panser. La
blessure était peu grave mais demandait des soins immédiats. Sorti du poste de secours,
l’adjudant Bois n’eut qu’un désir, celui de rejoindre sa Cie engagée sous le feu dans les
tranchées allemandes conquises. En traversant seul la 1ère tranchée allemande, Bois fut frappé
d’une balle en pleine tête et tomba raide mort.
Je m’associe de tout cœur, Madame, à votre douleur d’épouse et à la tristesse de votre
vie actuelle, mais vous pouvez avoir une légère consolation, celle de savoir que votre mari qui
était un modèle de sang-froid sous le feu, est tombé la tête haute, face à l’ennemi, en faisant
tout son devoir.
L’adjudant Bois avait été longtemps avec moi auprès du Chef de Bataillon et j’avais
toujours admiré ses grandes qualités de bravoure et de dévouement et en particulier son
mépris le plus absolu du danger.
Votre fils, Madame, pourra être fier plus tard de son père qui est l’un de ces nombreux et
modestes héros que seuls savent apprécier les combattants et dont le souvenir doit passer à la
postérité.
Croyez, Madame, à ma grande sympathie en cette douloureuse circonstance et daignez
agréer mes très respectueuses condoléances.
•8•
In Memoriam Eugène Bois
23 novembre 1917
Madame,
Vous voudrez bien m’excuser de répondre si tardivement à votre aimable lettre datée du
22 septembre que je n’ai reçue que le 5 novembre ( date à laquelle je suis de retour au
régiment ) parce que depuis le 10 septembre j’avais été évacué pour maladie – Enfin !
Madame sachant maintenant que vous connaissez officiellement l’affreuse nouvelle de votre
Cher Mari pour lequel j’apportais ma plus grande amitié – Je ne puis me refusé (sic) de vous
faire connaître qu’elles (sic) en sont les circonstances –
Je ne l’ai pas vu tombé (sic) au moment où il fut frappé, n’étant pas avec lui à l’instant
où ce 16 avril dernier ( face au mont Sapigneul ) tous nous partions à l’assaut des tranchées
ennemies –
Ce n’est que le soir lorsqu’il nous fallut après une violente contre-attaque abandonner ces
dernières conquises par nous – Que j’ai vu en nous repliant vers nos anciennes premières
lignes le corps de M. l’Adjudant Bois que je ne fut (?) aller reconnaître pour bien m’assurer que
c’était bien lui – Je ne pourrais vous dire si son corps a été ramené vers l’arrière pour être
inhumer (sic) parce que sitôt après l’attaque ( c’est à dire dans la nuit du 16 au 17 avril ) nous
avons immédiatement étaient (sic) relevés par un autre régiment et n’étant par la suite jamais
retourner (sic) dans ce secteur je ne puis de ce faites (sic) rien vous certifié (sic) à ce sujet –
Mais j’ose tout de même espéré (sic) ? que nos remplaçant (sic) ont fait le nécessaire –
Ne voyant plus d’autres renseignements dont je regrette de ne pouvoir vous donnés (sic)
plus précis –
Veuillez agrée (sic) Madame l’expression de mes sentiments respectueux –
•9•
In Memoriam Eugène Bois
Le 19 décembre 1917
Excusez-moi du retard que j’ai apporté à ma réponse. J’ai voulu, au préalable, interroger
quelques hommes qui, selon moi, avaient dû assister à ce drame, mais je n’ai rien appris de
nouveau de ce que je savais déjà.
Notre cher camarade Bois fut blessé à la main d’un éclat d’obus, le 16 avril vers six
heures du matin. Après son pansement au poste de secours, il fut renvoyé en ligne. C’est en
allant reprendre sa place, en plein combat, qu’il reçût dans la tête cette malheureuse balle qui
le tua net. Il resta donc, dans le boyau qui réunissait les deux tranchées adverses, jusqu’à la
relève, qui se fit, le lendemain, par le 114ème.
Je ne sais pas si ce pauvre Bois a été enlevé par les brancardiers. Mais je pense plutôt
qu’il a dû être jeté sur le parapet car, j’ai entendu le capitaine du 114ème, qui nous relevait,
donner des ordres pour qu’il en fût ainsi de tous les cadavres qui … « encombraient » son
secteur. Je crois devoir ajouter que le secteur fut agité pendant un mois, et c’est justement
cela qui me renforce d’idée que le corps de notre pauvre ami restera à jamais introuvable.
Ce cher Bois était aimé de tout le monde. Je dis aimé, le mot n’est pas trop fort car il a
toujours été pour tous un bon papa. Et c’est même son bon cœur et son caractère affable qui
l’ont perdu. Autrement, il serait resté au bataillon et, ma foi, il y aurait eu beaucoup de
chances pour qu’il fût encore en vie.
Voilà tout ce que je peux vous dire sur ce pauvre Bois. Je reste néanmoins à votre
disposition pour tout renseignement qui vous intéresserait.
Veuillez accepter, cher adjudant, une bonne poignée de main du tout votre,
J’ai tardé à te répondre mais il n’y a pas de ma faute, comme tu le verras par la lettre du
sergent auquel je m’étais adressé pour pouvoir expliquer à ta pauvre Belle sœur la fin tragique
de son mari.
Le Rat m’est arrivé ces jours derniers sans s’annoncer, comme tu le penses je l’ai engueulé
comme il le méritait. On n’a pas idée de venir ici. Enfin c’était son idée. Il est fourrier à ma
compagnie et remplace actuellement le sergent-major un peu à l’arrière. Il n’est pas à
plaindre.
Je te quitte mon vieux ayant un nombre incalculable de babillardes en retard. J’espère que
tu m’accuseras réception de la présente.
Je te les serre vigoureusement
Ton vieux et fidèle
Signé : Maliquière ( ?)
• 10 •
In Memoriam Eugène Bois
Ce 19 février 1918
Madame,
J’ai bien reçu votre lettre du 24 janvier (1918) qui du 332ème R.I. m’a suivi à mon
nouveau poste.
Obligé de réclamer les renseignements que vous désirez, d’avoir des témoignages, je ne
sais quel temps cela demandera et si je réussirai dans ces démarches. Soyez persuadée,
Madame, que je ferai tout ce qui est possible pour vous donner satisfaction et pour apporter un
soulagement à votre si grande douleur. Je viens donc seulement vous prévenir, pour vous
éviter une attente anxieuse, que j’attends des informations.
Blessé dès le début de cette journée si glorieuse pour le 150ème, mais si chèrement
payée, j’ai demandé des nouvelles de tous ceux que je connaissais. Les camarades qui sont
revenus en si petit nombre n’ont pas toujours pu me renseigner. Beaucoup de braves sont
tombés sur un terrain dont on n’a pas pu maintenir la conquête.
Il est impossible d’admettre que nos ennemis, quelle que soit leur barbarie, n’aient
donné une sépulture à ces héros, tombés en si grand nombre dans le plus courageux assaut.
Comme à tous les destins de la Providence on cherche des causes humaines vous vous
êtes demandé si votre mari ne serait pas encore vivant s’il était resté adjudant de bataillon.
Son remplaçant n’est pas revenu et a été tué m’a-t-on dit.
L’emploi d’adjudant de bataillon réclame une activité de plus en plus grande avec les
conditions de la guerre, l’adjudant Bois n’y suffisait pas et je ne me suis séparé de lui qu’après
bien des expériences. J’avais toujours admiré son courage et son calme dans toutes les
situations ; c’était un homme de devoir et son changement n’entachait pas son honneur de
soldat. Vous pouvez être fière de lui et le donner en exemple à son fils.
Veuillez agréer, Madame, l’hommage de mes sentiments de profonde sympathie.
Signé Hermitte
• 11 •
In Memoriam Eugène Bois
Annexes
L’efficacité de la Croix-Rouge internationale
Elise Bois et son père ont aussi mené des recherches en direction de la Croix-Rouge
internationale à Genève.
L’Agence Internationale des Prisonniers de Guerre leur répondit le 20 décembre 1917 en leur
communiquant le témoignage d’un sergent fourrier du 150ème recueilli dans le camp où il était
retenu prisonnier en Allemagne.
Ce récit recoupe les autres informations relatives aux circonstances du décès d’Eugène Bois.
Les sites traitant de la Guerre de 14-18 sont nombreux et souvent très documentés. Ceux qui
les créent et les animent, contribuent à préserver de l’oubli la mémoire de cette
incommensurable tragédie. Aujourd’hui, la troisième génération a repris le devoir du souvenir,
gommant par la modernité de ses moyens de communication le côté souvent caricatural des
« anciens combattants ».
Voilà par exemple, un récit très intéressant trouvé sur des « pages perso » :
« Plus au sud, sur Sapigneul, la 40e division d'infanterie (150e,161e et 251e régiments
d'infanterie), se fit tuer sans pouvoir progresser.
Cependant, les admirables fantassins de cette division bousculèrent les deux premières
lignes allemandes, malgré des pertes énormes.
Mais, rapidement décimée et désorganisée par la mort de la plupart des officiers, la 40e
division ne put résister à une violente contre-attaque, et il lui fallut regagner les
tranchées de départ. Il est heureux que les boches n'aient pas poursuivi leur offensive
sur ce point, car personne ne résistait plus, et nous aurions été, sans contredit,
bousculés de l'autre côté du canal.
Nos pertes étaient grandes, et le résultat mince. Cependant nous n'eûmes pas le chiffre
de pertes qui fut mis en circulation â cette époque et entraîna l'arrêt de l'offensive a la
suite d'incidents parlementaires que l'on connaît. »
• 12 •
In Memoriam Eugène Bois
Le site officiel des archives militaires a récemment mis en ligne le fac simile des notices
relatives aux les soldats tués par fait de guerre. C’est ainsi que j’ai rapidement trouvé la fiche
de mon grand-père et d’utiles précisions pour d’autres recherches, comme son numéro
matricule.
• 13 •
In Memoriam Eugène Bois
• 14 •