Ctringe Hontalle, wi wentinent que fe o!avaly jamais
éprouvé aupinivant, et a nouveauté me frappa proton-
dément. C’était in mélange d'angoisse ct de profond
désir, comme si je rittiin quelque chose d'extrémement
important. J’avais la claire sensation, en approchant de
Los Angeles, que tout ce qui s'était passé a Yuma com-
mengait 4 s’estomper avec la distance, mais cela ne fai-
sait qu’intensifier cette curieuse nostalgie.Lintention de Vinfini
«Je voudrais que tu fasses l'effort de te remémorer
exactement, dans les moindres détails, ce qui s'est passé
entre toi et les deux hommes qui t’ont en fait mené vers
oi — Jorge Campos et Lucas Coronado — et que tu me
le racontes », m’avait dit don Juan.
Il ne m'était pas facile de satisfaire sa demande, mais
je pris un réel plaisir 4 me souvenir de tour ce que
m'avaient dit ces deux personnes. I] voulait connaitre
les plus infimes péripéties de cet épisode, et je dus
pousser ma mémoire 4 son extréme limite.
[histoire que don Juan voulait me voir retracer avait
débuté 4 Guaymas, une ville de la province de Sonora,
i Mexique. A Yuma, en Arizona, on m’avait donné les
noms et adresses de quelques personnes qui pourraient
peut-étre éclaircir le mystére entourant le vieil homme
rencontré @ la gare routiére. Mais lorsque je vis ces
pens, ils me déclarérent que non seulement ils n’avaient
jamais entendu parler d’un vieux chaman a la retraite,
mais qu’ils doutaient méme qu’un tel homme ait jamais
existé. En revanche, ils avaient tous la t@te farcie d'his-
toires terrifiantes sur les chamans Yaqui et sur I'hu-
meur souvent belliqueuse de ces Indicns. Is ajoutérent
que je trouverais sans doute 4 Vicam —1ne station fer-
roviaire située entre Guaymas et Civil Obrepon —
61quel un qui pour nm orienter dang la bonne direc
tion,
« Dois-je m'udresser dune personne en particulier ?
Jeur avais-je demanelé
—Le mieux pour vous serait de parler 4 un inspecteur
de la banque du gouvernement, m’avait-on suggéré.
Cette administration a de nombreux inspecteurs itiné-
rants qui connaissent bien les Indiens du coin, car c’est
elle qui achéte leurs récoltes. Tous les Yaqui sont culti-
vateurs. Is possédent un lopin de terre qui en quelque
sorte leur appartient tant qu’ils le cultivent.
— Connaissez-vous |’un de ces inspecteurs ? » leur
demandai-je.
Is se consultérent du regard et m’adressérent un sou-
tire d’excuse. Ils n’en connaissaient aucun, mais me
recommandaient vivement de rencontrer l'un d’eux et
de Jui exposer mon probléme.
Arrivé 4 Vicam, je tentai d’entrer en contact avec ces
fonctionnaires, mais j’échouai lamentablement. Je dis-
cutai successivement avec trois d’entre eux qui me
regardérent aussitét d’un air terriblement méfiant. Is
me soupconnaient d’étre un espion envoyé par les Yan-
kees pour leur créer des problémes — problémes qu’ils
ne pouvaient clairement définir, et 2 propos desquels ils
faisaient les spéculations les plus folles, allant de l’agita-
tion politique a |’espionnage industriel. Les gens du
coin croyaient, A tort d’ailleurs, qu'il y avait sur les
terres des Indiens Yaqui des gisements de cuivre que
convoitaient les Yankees.
Aprés cet échec retentissant, je retournai 4 Guaymas
et m’installai dans un hotel situé 4 deux pas d’un res-
taurant fabuleux oti j’allais trois fois par jour, La nour-
riture y était délicieuse ct me plaisait tellement que je
restai dans cette ville plus d’une semaine. J’avais prati-
quement élu domicile au restaurant et ¢’est pourquoi je
m’étais lié avec son propriétaire, M. Reyes.
62Un apréwmidl, aloo que |'y déjounals, eeluiel vine a
Hie fable avec uo de sea amis comme Jorge Campos,
wll me prevent comme un honime dlalfalres, un
fallen Yaqui de souche qui, ayant vécu en Arizona
iia na fouriews parlait anglais i li perlection et était,
sion pout dire, encore plus américnin qu'un véritable
— Aniéticnin. M. Keyes me fit son éloge, m’assurant que
8 exemple montenit bien que le labeur et le dévoue-
Merl pouvaient faire d'un homme normal un étre
exeeptionnel,
M. Reyes s'esquiva et Jorge Campos s’assit a c6té de
ol, Prenant immeédiatement la parole, il déclara avec
Jie lolnte mocestie ne pas mériter ces compliments,
Jout on étant visiblement ravi de tout ce qu’on avait dit
de lui J’eus cl'emblée la nette impression que les
alliiven dont s‘oceupait Jorge Campos étaient de celles
dul ve traitent dans les bars ou aux carrefours de rues
aimee et Consistent a essayer de vendre une idée ou
slinplement trouver un moyen d’extorquer aux gens
Jeune éeonomies.
lore Campos avait un physique agréable. Il était
jfaricl cL mince, mais il avait ’estomac proéminent des
‘wens d'alcool, Son teint était trés foncé, légérement
vliviire, ct il portait des jeans cofiteux et des bottes de
vow hoy tutilantes, aux bouts trés pointus et aux talons
ubliques, de ceux qu’on enfonce dans le sol pour résis-
(er lu traction d’un animal pris au lasso.
bu chemise écossaise était impeccablement repassée.
{I avait glissé dans sa poche droite un étui en plastique
ulwvitant une rangée de stylos, J’avais yu le méme chez
dex employés de bureau qui ne voulaient pas tacher
Venere le fond de leurs poches. Sa tenue comportait
‘ust une veste 4 franges en daim roux qui avait dé
colter une fortune et un grand chapeau de cow-boy de
alyle texan, Son visage rond, inexpressif, Gait dépourvu
tle rides alors que ’homme me paraissait avoir la
63cloquantalie, Sane savole pourguol, [ets I'impression
quiil eral lar IPOPOUN
« Tréx heureuy de lalee votre connaissance, monsieur
Campos, lui dis je en eapaynol en lui tendant fa main.
—Ne faisons pas de maniéres, me répondit-il égale-
ment cn espagnol, cn me donnant une vigoureuse poi-
gnée de main. Je préleve traiter les jeunes sur un pied
d'épalité, sans tenir compte de la difference dage.
Appelez-moi Jorge. »
Il attendit un moment, guettant sans doute ma réac-
tion, Je ne savais que dire. Je ne voulais surtout pas me
moquer de lui, mais je ne voulais pas non plus le
prendre trop au sérieux.
« Je suis curieux de savoir ce que vous faites 4 Guay-
mas, poursuivit-il nonchalamment. Vous n’avez pas l’air
d'un touriste, ni d’un amateur de péche hauturiére.
~ Je suis évucdiant en anthropologie, et j’essaie de me
faire introduire auprés des Indiens locaux pour effec-
tuer des recherches sur le terrain.
—Qu’a cela ne tienne | Moi, je suis dans les affaires,
ct mon travail consiste 4 fournir des informations, a ser-
vird’intermédiaire. Vous avez un besoin, j’ai la solution.
Je fais payer mes services, mais ils sont garantis. On n’a
rien 4 payer si l'on n’obtient pas satisfaction.
—J’ai personnellement besoin d’informations, lui dis-
je. et je vous paierai sans problémes ce que vous me
demanderez,
— Parfait ! s’exclama-t-il. Il vous faut certainement un
puide, quelqu’un de mieux éduqué que les Indiens du
cru, pour yous montrer Je coin. Avez-vous une bourse
du gouvernement des Etats-Unis ou d’un autre orga-
me important ?
— Oui, j’ai une bourse de la Fondation Esotérique de
Los Angeles. »
Je mentais, mais je vis une lueur de convoitise dans
yeux.
64« Formidible | C'est ane gracile inwticuiien &
Ten quando, tal répondlite
Bonté divine, c'étit done gat dit il comme al mes
paroles lit expliquiient entin co qu'il voulalt savoir Ee
maintenant, puis-je vous cemuandee, si j'oxe me per
mettre, de miinciquer le montane de youre bourse ?
Combien d'argent vous ontils donné ?
Quelques milliers de dollars pour un travail de ter-
raln préliminaire, »
C'était un nouveau mensonge, mais je voulais voir ce
qu'il allait dire.
« Parfait | J’aime les gens directs, dit-il en savourant
nex paroles. Je suis sir que nous allons nous entendre.
Je vous offre mes services de guide, car je peux étre une
clé qui yous ouvrira de nombreuses portes secrétes chez
les Yaqui. Et vous voyez 4 mon allure que je suis un
homme de godt quia les moyens !
{ vrai, vous avez trés bon gotit, lui affirmai-j -JE.
Ce que je veux vous dire, c'est que pour de faibles
honoraires, que vous trouverez trés raisonnables, je
vous introduirai auprés des bonnes personnes, a qui
yous pourrez poser toutes les questions que vous vou-
rez. Et avec un tout petit supplément, je vous tradui-
iii textuellement leurs paroles, en espagnol ou en
snplais, Je peux également parler francais et allemand,
inutis je ne pense pas que cela vous intéresse.
Vous avez raison, ces langues ne m’intéressent pas.
{it quel serait le montant de vos honoraires ?
Le montant de mes honoraires | » dit-il en sortant
in calepin de cuir de sa poche arriére. II J’ouvrit pres-
toment, y gribouilla quelques notes rapides, le referma
(nssi see et le remit.en place d’un geste vil et précis.
|'tuis sGr qu'il voulait me donner une impression d’ef-
licucité et de célérité dans son calcul.
¢ vous prendrai cinquante dollars par jour, trans-
port "Edne mes repas en sus. Je veux dire que je
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