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DIETRICH
l PAR
GEORGE SAND
(L.-A. AURORE DU PIN) >
1 VEUVE DE M !.E BARONOUUEVANT
PARIS
CALMANN Ï.BVY, A~ÏTBUR
ANCiE~NB MAIBON MICHEL t.ÊVY FR&&BS
3, aBZ ACBtB, 3
Ï897
B~<t<<t~MdMMNKt~<t)t<a«tM*<Mn<t
CÊSARINE
DIETRICH
Vousadmettezqu'unefemmepeut êtreconstam-
ment raisonnable,et que par conséquentelle a te
droit de se dégagerde toute contrainte? Y
J'admets qu'unefemmepuisseêtre raisonnable,
parce que je l'ai toujoursété, sans grand effort et
sans grandmérite. Quantà l'indépendanceà laquelle
eue a droit dans ce cas-là, sansêtre unelibre ~t-
MMse bien prononcée,je la regardecommele privi-
Mged'unemison parfaiteet bien prouvée.
Et vouspensezqu'à setzeans Césarineest déjà
cette merveillede sagesseet de prudencequi ne doit
obéir qu'à elle-même? y
Noustravaillonsà ce qu'elleledevienne.Puisque
sa passionest de ne pas obéiret de ne jamaiscéder,
encourageonssa raisonet ne brisonspas s&volonté.
Ne sévissez,monsieurDietrich,que le jour où vous
verrezune fantaisieMamable.
Voustrouvezrassurantecetteirrésolutionqu'eue
vous a confiée, cette prétendue ignorance de ses
goûts et de ses désirs? T
Je la crois sincère.
Prenez garde, mademoisellede Nermont vous
êtes charmée,fascinée vousaugmenterezson esprit
de dominationen le subissant.
Il protestait en vain. U le subissait,lui, et bien
plusque moi.La supérioritéde sa fille,en se révé-
lant de plus en plus, lidcréaitune étrangesituation
elleflattaitson orgueilet froissaitson amour-propre.
il eût préféré Césarineimpérieuseavec les autres,
soumiseà lui seul.
M CtSAMNK MBTMCtt
M faut, lui dis-je, avant de nous quitter, con-
clure déBnitivementsur un point essentiel. 11faut
pour seconder vos vues, si je les partage, que je
sache votre opinion sur la vie mondaine que vous
redouteztant pour votre ftlle. Craignez-vousque ce
ne soit poureUeun enivrementqui ta* rendraitfri-
vole1
Non,elle ne peutpas devenirfrivole elle tient
de moi plusque de sa mère.
Nie vousressemblebeaucoup,doncvousn'avez
rien à craindrepour sa santé.
Non,eUen'abuserapas du plaisir.
Alorsque craignez-vous donc?Y
Hfutembarrassépour me répondre. 11donnaplu-
sieurs raisonscontradictoires.Je tenais à pénétrer
toute sa pensée, car mon rôle devenait difficile,si
M.Dietrichétait inconséquent.Forcetne fut de con-
stater intérieurementqu'ill'était, qu'il commençaità
le sentir, et qu'il en éprouvaitde l'humeur.Césarine
l'avaitbienjugé en somme.Il avaitbesoinde lutter
toujourset n'en voulaitjamais convenir.H termina
l'entretienen me témoignantbeaucoupde déférence
et d'attachement,en me suppliantde nouveaude ne
jamaisquittersa fille, tant qu'ellene serait pas ma-
riée.
Pour queje prenne cet engagement,lui dis-je,
il faut quevousmelaissiezlibre de penser à maguise
et d'agir, dans l'occasion,sous l'inspirationde ma
conscience.
Ouicertes, je l'entendsainsi,s'écria-t-il en ru-
C~BAMNtt BtMMOM 37
pirant commeun hommequi échappeà l'anxiétéde
l'irrésolution.Je veux abdiquer entre vos mains,·
pour éleverune femme,il fautune femme.
En effet,depuisce jour, il se nt en lui un notable
changement.Il cessade contrariersystématiquement
les tendancesde sa fllle,et je m'applaudisde ce ré-
sultat, queje croyaisle meilleur possible.Me trom.
pais-je? N'étais-jepas à moninsula complicede Cé-
sarinepourécarterl'obstaclequi limitaitsonpouvoirÏ
M. Dietrichavait-ilpénétré dans le vrai de la situa-
tion en me disant que j'étais charmée,fascinée,en-
chaînéepar mon élève?
Si j'ai eu cette faiblesse,c'est un malheurque de
graveschagrinsm'ontfait expierplus tard. Je croyais
sincèrementprendre la bonne voie et apporterdu
bonheur en modulantl'obstinationdu père au profit
de sa Sue ce profit,je le croyaistoutmoralet intel-
lectuel,car,je n'enpouvaisplus douter,onne pouvait
diriger Césannequ'en lui mettantdans les mainste
gouvernailde sa destinée,saufà veillersur les dan-
gers qu'elle ignorait, qu'elle croyaitfictifs,et qu'il
faudraitéloignerou atténuerà son insu.
L'hiver s'écoulasans autres émotions.Cesdames
reçurentleursamiset ne s'ennuyèrentpas; Césarine,
avec beaucoupde tact et de grâce,sut contenirla
gaietélorsqu'ellemenaçaitd'arriver aux oreilles de
son père, qui se retirait de bonne heure, maisqui,
disait-elle,ne dormaitjamaisdes deuxyeuxà la fois.
Il fautqueje diseun mot de la sociétéintime des
demoisellesDietrich.C'étaientd'abord trois autres
a
38 C&SAMNE BïSTMCH
Pourquoin'avez-vousjamaisvoulu me voiren
familleY
Matantea dAvouale dire je n'ai pas de loisirs.
Vousen trouvez pourtantpour causeravecdes
gensgraves.My a icides savants.Je leurai demandé
s'ns vousconnaissaient,i!s m'ont dit que vouaétiez
un jeune hommetrès-fort.
–En thèmeÏ
En tout.
Et vousavezvouluvousen assurer!
–Ceci veut être méchant.Vouane m'en croyez
pas capable!
C'est parce que je vous en crois très-capable
que mon petit orgueilse refuseà l'examen.
Elle n'a pas répondu,ajouta Paul, et, reprenant
ce jeu d'éventail queje trouve agaçant commeun
écureuiltournantdans une cige, elles'est écriéetout
d'un coup
Savez-vous,monsieur, que vous me faites
beaucoupde mal?
Je me suis ievé tout effrayé, me demandant si
mon pied n'avaitpas heurté le sien.
Vousne me comprenezpas, a-t-eUedit en me
faisant rasseoir.Je suis nourrie d'idéesgénéreuses.
Onm'a enseignéla bienveillancecommeune vertu
sœurde la charité chrétienne,et je me trouve, pour
la première fois de ma vie, en faced'une personne
dénigrante,visiblementprévenuecontre moi. Toute
injusticeme révolteet me froisse.Je veux savoirla
causede votre aversion.
C~SAMtttt BttTRMet 89
j'ai en vain protesté en termespolis de ma com-
plète indifférence,eue m'a répondu par des sophis-
mes étranges.Ah ma tante, tu ne m'asjamaisdit la
vérité sur le compte de ton élève.Droiteet simple
commeje te connais, cette jeune perversea dû te
fairesouffrirle martyre,car e!!eest perverse,je t'as-
sure jene peux pastrouverd'autre mot. Mm'estim-
possiblede te redire notre conversation,cela est
encoreconfusdans ma tête commeun rêveextrava-
gant maisje suissur qu'elle m'a dit queje l'aimais
d'amour,que ma ménance d'elle n'était que de la
jalousie. Et, commeje me défendaisd'avoir gardé
le souvenirde sa figure,ellea prétenduqueje men-
tais et que je pouvaisbien lui avouerla vérité, vu
qu'elle ne s'en offenseraitpas, sachant,disait-elle,
qu'entre personnes de notre Age, l'amitié chez
l'hommecommençaitinévitablement,fatalement,par
l'amourpour la femme.
J'ai demandé, un pi brutalementpeut-être, si
cette fatalitéétait réciproque.
Heureusementnon, a-t-elle répondud'un ton
moqueurjusqu'à l'amertume,que contredisaitun
regard destinésans douteà me transpercer.
Alors, comprenantque je n'avais pas affaire &
une petite folle,mais à une grandecoquette,je lui
ai dit:
Mademoiselle Dietrich,vousêtes trop fortepour
moi,vousadmettezqu'unejeune fille pure permette
le désir aux hommessans cesser d'être pure c'est
sans doute la moralede ce monde que je ne con
M C~NttOt MMMCN
nais pM. et que je ne connattraijamais, car, grâce
à vous,je vois que j'y seraisfort déplacéet
m'y de.
plairaissouverainement.
Si Je n'ai pas dit ces mots-là, j'ai dit
quelque
chose d'analogue et d'assez clair pour
provoquer
l'accèsde fureur ou elle entrait quand tu os venue
noussurprendre.Et maintenant,ma tante,direz-vous
que c'est là une enfantgâtéeun peu coquette Je dis,
moi,que c'est une femmedéjà corrompueet très-
dangereusepour un hommequi ne serait pas sur ses
gardes; elle a cru que j'étais cet homme-ta, eUe
s'est trompée.Je ne la connaissaispas, elle m'était
indifférente;à présentelle pourraitm'interrogeren-
core,je lui répondraistout franchementqu'ellem'est
antipathique.
C'estpourquoi,moncher enfant,il ne faut plus
t'exposerà être interrogé.Tu vaste retirer, et, quand
tu viendrasme voir, tu sonnerastrois foisa la petite
grille du jardin. J'irai t'ouvrir moi-même,et à nous
deux nous saurons faire faceà l'ennemi,s'il se pré-
sente. Je vois que Césarinet'a fait peur; moi, je la
connais,je sais que toute résistancel'irrite, et que,
pour la vaincre,e!ieest capablede beaucoupd'obs-
tination.TeUequ'elle est, je l'aime, vois-tu! On ne
s'occupe pas d'un enfant durant des années sans
s'attacherà lui, quel qu'il soit. Je sais ses défautset
ses qualités.J'aieu tort de t'amenerchezelle,puisque
le résultatest d'augmenterton éloignement pourelle,
et qu'il y a de sa faute dans ce résultat.Je te de-
mande,par affectionpour moi, de n'y plus songeret
efhAtUMBMT!UCH 9i
d'oubliercette absurdesoirée commesi tu l'avais
revëe.Est-ceque celate sembledifMcilo!
Nullement,ma tante, il me semble que c'est
déjà fait.
Je n'ai pas besoinde te dire que tu dois aussià
mon affectionpour Césarinede ne jamais raconter
à personnel'aventureridiculede ce soir.
Je le sais, ma tante, je ne suisni fat, ni bavard,
et je saisfort bien que le ridiculeserait pour moi.Je
m'envais et ne vousreverraipas de quelquesjours,
de quelquessemainespeut-être mon patron m'en-
voie en Allemagnepour ses affaires,et ceci arrive
fort à propos.
Pour Césarinepeut-être, ei!e aura le tempsde
se pardonnerà elle-mêmeet d'oubliersa faute.Quant
à toi, je présume que tu n'as pas besoinde temps
pour te remettred'une si puérileémotion?
Marraine,je vousentends,je vousdevine;vous
m'aveztrouvé trop ému, et au fond cela vous in-
quiète. Je ne veux pas vousquitter sans vousras-
surer, bien que l'explicationsoit délicate.Ni mon
esprit, ni moncceurn'ont été troubléspar le langage
de mademoiselleMetrich. Au contraire mon cœur
et mon esprit repoussent ce caractèrede femme.H
y a plus, mes yeux ne sont pas épris du type de
beauté qui est l'expressiond'un pareil caractère.En
un mot, mademoiselleDietrichne me plait même
?as mais,belleou non, unefemmequis'offre,même
quand c'est pour tromperet railler,jette !e trouble
dans les sens d'un homme de mon Age. On peut
92 C<SAMN)t MKTRM
manierla braisede l'amoursansse laisserincendier,
maison se brûlele boutdes doigts,Celairrite et fait
ma!. Donc,je l'avoue,j'ai eu la colère de l'homme
piquépar une guêpe. Voilàtout. Je ne craindraispas
un nouvelassaut; maisse battrecontreun tel ennemi
estai puéril queje ne m'exposeraipas à unenouvelle
piqûre. Je dois respecter la guêpe à causede vous;
je ne puis l'écraser.Cettebatailleà coupsd'éventail
me feraitfaire la Cgured'un sot. Je ne désirepas la
renouveler;mon indignationest passée.Je m'en vais
tranquille, comme vous voyez. Dormeztranquille
aussi; je vous jure bien que mademoiselleDietrich
ne fera pas le malheur de ma vie, et que dansdeux
heures, en corrigeantmes épreuves,je ne me trom-
perai pas d'une virgule.
Je le voyaiscalme en effet; nous nous séparâmes.
Quandje rentrai dansle bal, Césarinedansaitavec
le marquisde Rivonnièreet paraissaitfort gaie.
Le lendemain,elle vintme trouverchezmoi.
Sais-tu la nouvelledu bal? me dit-elle.On a
trouvémauvaisque je fusse couvertede diamants.
Tousleshommesm'ontdit queje n'en avaispas en-
core assez,puisque cela me va si bien; mais toutes
les femmesont boudé parce que j'en avais plus
qu'elles,et mes bonnesamiesm'ont dit d'un air de
tendre sollicitudeque j'avaistort, étant une demoi-
selle, d'afficherun luxe de femme.J'ai réponduce
quej'avaisrésolude répondre
a Je suis majeure d'aujourd'hui, et je ne suis
pas encoresure de vouloirjamaismemarier.J'ai des
CisA<t!N< ftBTRtCt! 93
\?;n~
98 CtaAMMttMMMCN
-.U est tout cela.
Jeuneît
Vingt-troisou vingt-quatreans.
C'est trop jeune, c'est un enfant1
J'empêchaiCésarinede répliquer.
C'estun enfant,répondis-je,et par conséquent
ce ne peut être qu'un brave garçondont le mérite
n'a pas porté ses fruits. N'écoutezpaf Césarino,eHe
est folle ce matin. Elle vient d'improviserle plus
insensé,le plus invraisemblable et le plus impossible
des caprices.Ellemet le combleà sa folieen vousle
disant devant moi. C'est un manque d'égards, un
manquede respectenversmoi, et vous m'en voyez
beaucoupplus offenséeque vous ne pourriez l'être.
M.Dietrich,stupéfaitde la dureté de mon langage,
me regardaitavecses beauxyeux pénétrants.11vint
à moi, et, me baisantla main
Je devinede qui il s'agit, me dit-it; Césarinele
connattdonc!y
Ellelui a parlé hier pour la premièrefois.
Alorsellene peut pas l'aimer! et lui?.
11 me déteste, réponditCésarine.
Ah! très-bien,dit M.Dietrichen souriant; c'est
pour cela Eh bien ma pauvre enfant,tache de te
faire aimer; maisje t'avertis d'une chose, c'est qu'il
faudral'épouser,car je ne te laisseraipas imposerà
un autre le postulatillusoirede M.de Rivonnière.Je
me suis aperçuhier au baldu ridiculede sasituation.
Toutle monde se le montraiten souriant;il passait
pour un niais; tu passes certainementpour une
C<tBA)HN< MXTMCH 99
railleuse,et de la à passerpour une coquetteil n'y a
qu'un pas.
Ehbien monpère,je ne paierai paspourune
coquette,j'épouseraicelui que je choisis.
–Y consentez-vous,mademoisellede Nermont? t
dit M.Dietrich.
Non,monsieur,répondis-je,je m'y opposefor-
mellement,et, si nous en sommeslà, au nomde mon
neveu,je refuse.
Tune peux pas refuser en son nom, puisqu'il
ne sait rien, s'écria Césarine;tu n'as pas le droitde
disposerde son avenirsansle consulter.
Je ne le consulteraipas,parcequ'il doit ignorer
que vousêtes folle.
Tu aimes mieux qu'il me croie coquette? 11
pourraitm'adorer,et tu veuxqu'il me méprise C'est
toi, ma Pauline,qui deviensfolle.Écoute,papa,j'ai
fait une mauvaiseaction hier, c'estla première de
ma vie, il faut que ce soit la dernière. J'ai voulu
punir M.Paul de ses dédains pour nous, pour moi
particulièrement.Je lui ai fait desavancesavec l'in*
tentionde le désespérerquandje l'aurais amené
mes pieds. C'esttrès-mal,je le sais,j'en suis punie
je me suisbrûléeà la flammequeje voulaisallumer,
j'ai sentil'amour me mordre le coeurjusqu'ausang,
et si je n'épousepas cet homme-là,je n'aimeraiplus
jamais,je resterai fille.
Turesterasaile, tu épouseras,tu feras tout ce
que tu voudras,exceptéde te compromettreVoyons,
mademoiselledeNermont,pourquoivous opposeriez-
MO ois~R!N*MtTtUCH
Tousa ce mattage,si l'intentiondeCésarinedevenait
aériouae! 1 Celapourraitarriver, et quant a motje no
M.GU.
pensepas qu'eMepot faireun meilleurchoix.
bert est jeune, maisje retire mon mot, il n'est point
un enfant. Sa fière attitude vis-à-vis de nous, ses
lettres que vous m'avez montrées,son courage au
travail,Fespëcede stoïcismequi le distingue,enCn
les renseignementstrès-sérieux et venant de haut
hier sur son
que, sans les chercher, j'ai rocueitiis
compte, voilàbien des considérations,sansparler de
sa famille,qui est respectable et distinguée,sans
parler d'une chosequi a pourtantun très-grandpoids
dans mon esprit, sa parenté avecvous, les conseils
qu'il a reçus de vous.Pour refuser aussi nettement
que vous venez de le faire, il faut qu'il y ait une
raison majeure.!l ne vousplattpeut-être pas de me
la dire devantma fille,vousmela direz, a moi.
Toutde suite, a'écriaCésarineen sortant avec
impétuosité.
Oui, tout de suite, reprit M.Dietrichen refer-
mant la porte derrière elle. AvecCésarine,il ne faut
laisser couveraucune étinceUesousla cendre. Crai-
gnez-vousd'être accusée d'ambition et de savoir-
faire?'l
Oui, monsieur,il y a cela d'abord.
Vousêtes au-dessus.
Onn'est au-dessusde rien dansce monde.Qui
me connaîtassezpour me disculperde toute prémé-
ditation,de toute tntrigue?Fort peu de gens;je suis
dans une positiontrop secondairepour avoirbeau-
etsAttt!<<:MKwaM <0i
coup de vrais amis.Lafaveurde mon neveu fera!'
beaucoupde jaloux. Ni lui ni moi n'accepterions,
eansune mortellesouffrance,les commentairesmal-
veillantsdovotre entourage,et votreentourage,c'est
tout Paris, c'est toutela France.Non,non, notreré-
putationnous eat trop chère pour la compromettre
ainsi!1
Si notre entourages'étend si loin, il nous sera
facile de faire connaitre la vérité, et soyez sûre
qu'elleeat déjà connue.Aucunedes nombreusesper-
sonnes qui vous ont vue ici n'élèvera le moindre
doute sur la noblessede votre caractère. Quantà
M.Paul, il foraitdes jaloux certainement,mais qui
n'en feraitpas en épousantCésarine?Sil'on s'arrête
à cette crainte, on en viendraà se priver de toute
puissance,de tout puccès, de tout bonheur. Voiia
donc, selon moi, un obstaclechimériquequ'il nous
faudraitmettresous nos pieds. Dites-moiles autres
motifsde votre épouvante.
Il n'y ena plusqu'un,maisvousen reconnaîtrez
!a gravité.Le caractèrede votre filleet celuide mon
neveusont incompatibles.Césarinen'a qu'une pen-
sée faireque toutlui cède.Pauln'ena qu'uneaussi
ne céderà personne.
Celaest graveen effet; maisqui sait si ce con-
traste ne feraitpas le bonheurde l'un et de l'autre!Y
Césannevaincuepar l'amour, forcée de respecter
son mariet l'acceptantpourson égal,rentreraitdans
le vrai, et ne nous effrayeraitplus par l'abusde son
8.
ioa C)6aAMM MttTtUCa
indépendance.Paul,adoucipar le bonheur, appren-
drait à céder à la tendresseet à y croire.
En supposant que ce résultat put jamais être
obtenu, que de tuttes entre eux, que de déchire-
ments,que do catastrophespeut-êtreNon, monsieur
Dietrich, n'essayons pas de rapprocher ces deux
extrêmes.Ayezpeur pour votre enfant commej'au-
rais peur pour le mien. Les grandestentativespeu-
vent être bonnes dans les cas désespères mais ici
vousn'avezaffairequ'a une fantaisiespontanée.!t y
a une heure,si j'eusse demandéà Césarined'épouser
Paul,elle se seraitétoufféede rire. C'estdevantmes
reproches que, se sentant coupable,elle a imaginé
cette passion subito pour se justifier. Dans une
heure, allezlui dire que vousne consentezpas plus
que moi; vous la soulagerez,j'en réponds, d'une
grandeperplexité.
Ce que vous dites là est fort probable je la
verraitantôt. Laissons-luile temps de s'effrayerde
son coupde tête. Je suis en tout de votre avis,ma-
demoisellede Nermont,exceptéen ce qui touche
votre fierté. S'il n'y avait pas d'autre obstacle,je
travailleraisà la vaincre. Je suis l'homme de mes
la
principes, je trouve équitable et noble d'allier
est
pauvretéà la richessequand cette pauvreté digne
d'estimeetde respect; je tiensdoncla pauvretépour
aoevertude premierordrede M.PaulGilbert.Sachez
qu'en l'invitantà venir chezmoi je m'étais dit qu'il
ne m'en
pourrait bienconvenirà ma fille,et que je
étaispoint alarmé.
CÔSARtNR BMTRtCa 103
Vousvoulezmemanager,mademoiselledo Ner-
mont, ou vous ne savez pas la vérité.Mademoisello
Dietrichaimequelqu'un.
Quidonc soupçonnez-vous?
Je ne sais pas qui, mais je le saurai.Ellea dis-
paru du bal un quart d'heure après avoirremisun
billet à Bertrand, son homme de confiance.Je l'ai
suivie, cherchée, perdue. Je l'ai retrouvéesortant
d'un passage mystérieux.Elle m'a pris vivementle
bras en m'ordonnantde la mener danser.Je n'ai pu
voirlapersonnequ'ellelaissaitderrièreelle,ou qu'elle
venait de reconduire; mais elle avait beau rire et
raillermoninquiétude,elle était inquièteelle-même.
Avez-vousquelqu'un en vue dans vos suppo-
sitions
J'ai tout le monde.Il n'est pas un hommeparmi
tous ceux qu'on reçoitici qui ne soit épris d'elle.
Vousme paraissezrésignéà n'être pointjaloux
de celuiqui vousserait préféré? Y
Jaloux,moi?je ne le serai pas longtemps,car
celui qu'ellevoudraépouser.
Eh bien! quoi?
Eh bien quoi? Je le tuerai, parbleu1
Que dites-vousla t?
Je dis ce que je pense et ce que je ferai.
Vouspartezsérieusement?
Vousle voyezbien, diMIen passantson mou.
choir avec un mouvementbrusque sur son front
baignéde sueur.
Sa belle figuredouce n'avait pas un
pli malséant,
C<SAMm! B!MtncB m
mais ses lèvres étaient pales et comme violacées.
Je fustrès-effrayée.
Comment,M dis-je, vous êtes vindicatifà ce
point, vousque je croyaissi généreux!
-Je suis généreuxde sang-froid,par réilexion
maisdansla colère, je vous l'avaisbien dit, je ne
m'appartiensplus.
Vousrénéchirez, alors1
Non, pas avant de m'être vengé, cela ne me
serait paspossible.
Vous êtes capable d'une colère de plusieurs
jours?
Deplusieurssemaines,de plusieursmoispeut-
être.
Alorsc'est de la haine que vous nourrissezen
voussans la combattre?Et vousvous vantieztout à
l'heure d'être philosophe1
Toutà l'heure je mentais,vousmentiez,made-
moiselleDietrichmentait aussi. Nousétionsdansla
convention,dansle savoir-vivre à présentnousvoici
dans la nature, dans la vérité. Elle est éprise d'un
autre hommeque moi, sansse soucier de moini de
rien au monde. Vous me cachezson nompar pru-
dence,mais vouscomprenezfort bienmonressenti-
ment, et moi je sens monterde ma poitrineà mon
cerveaudes flots de sang embrasé.Ce qu'il y a de
sauvagedans l'homme,dansl'animal,si vousvoulez,
prend le dessuset réduit à rienles 'bellesmaximes,
les beaux sentimentsde l'hommecivilisé.Oui, c'est
commecela toutce quevouspourrie.mediredansla
na CtaAtUNK BtRTRtOK
languede la civilisationn'arrive plus à mon esprit
C'estinutile.Il y a troia ansque j'aime mademoiselle
Metrich j'ai essayé,pour l'oublier,d'en aimerune
autre; cotte autre, je lalui ai sacriaëe,et c'a été une
très-mauvaiseaction,car j'avaisséduit une nilepure,
désintéressée,une fille plus belle que Césarineet
meilleure.Je ne la regrette pas, puisque je n'avais
pu m'attacherà e!ie; maisje sens ma faute d'autant
plus qu'il ne m'a pas été permis de la réparer. Une
petite fortune en billets de banque que j'envoyai
à ma victimem'a été renvoyéeà l'instant mêmeavec
mépris. Eueest retournéechezses parents,et, quand
je l'y ai cherchée,elleavaitdisparu,sansque, depuis
deuxans,j'aie pu retrouversa trace.Je l'ai cherchée
jusqu'à la morgue,baignéd'unesueur froide,comme
me voilàmaintenanten subissantl'expiationde mon
crime, car c'est à présent que je le comprendset
que j'en sens le remords. Attachéaux pas de Césa-
rine et poursuivantla chimère,je m'étourdissaissur
le passé. On me brise, me voilà puni, honteux,
furieux contre moi 1Jerevois le spectrede ma vic-
time.Il rit d'un rire atroce au fond de l'eau ob le
pauvre cadavre gtt peut-être. Pauvre fille tu es
vengée, va mais je te vengeraiencore plus, Césa-
rine n'appartiendraà personne.Ses rêves de bonheur
s'évanouironten fumée!Je tuerai quiconqueappro-
cherad'eDe! 1
Vous voulez jouer votre vie pour un dépit
d'amour?
le ne joueraipas ma vie, je tuerai,j'assassine-
c&sAKxm etttïMCM H3
III
le
géniede femme,et se persuadaitopérer sauvetage
des autres en les noyantpour se faireplace.
Eue était donc maîtressede la situation comme
toujours.Elle avait amené son père à tout accepter,
elle avait paralyséla vengeance du marquis, elle
m'avaitsurpriseet troubléeau point que je ne trou-
vais plus de bonnes raisonspour la résistance.Il ne
lui restait qu'à vaincrecellede Paul,et, commeelle
le disait, l'action était simpMoe. Les forces de sa
volonté,n'ayant plus que ce but à atteindre,étaient
décuplées.
Quecomptes-tufaimlui disais-je vas-tu en-
core le provoquermaigrele mauvaisrésultat de tes
premièresavances?
J'ai fait une école,répondait-elle,je ne la re-
commenceraipas. Je m'y prendraiautrement; je ne
sais pas encorecomment.J'observeraiet j'attendrai
l'occasion;elle se présentera, n'en doute pas. Les
choseshumainesapportenttoujoursleur contingent
de secoursimprévuà la volontéqui guette.pour en
tirer parti.
Cettefataleoccasionvinten effet, mais au milieu
de circonstancesassez compliquées,qu'il faut re-
prendre de plus haut.
Margueriten'avait pas caché a Paul la visite de
Césarine,et elle lui avaitassez bien décrit la per-
sonne pour qu'il lui tôt aisé de la reconnaître.H
m'avaitfait part de cette démarchebizarre,et je h
lui avais expliquée. II n'était plus possible de lui
cacher la vérité. Par le menu, H apprit tout; mais
MMMCB
CÊSAMM i69
nous eûmes grand soin de n'en pas parler devant
Marguerite,dontla jalousiese Mtallumée.
Pau*se montra, dans cette épreuve délicate,au-
dessus de toute atteinte. CommeU avait coutume
d'en rire quandje l'interrogeai je l'adjurai,un soir
que je l'avaisemmenépromenerau Luxembourg,de
me répondre sincèrementune foispour toutes.
Est-ceque ce n'est pas déjà fait! me dit-Havec
surprise; pourquoi supposez-vousque je pourrais
changerde sentimentet de volontét
Parce que lescirconstancesse modifientà toute
heure autourde cettesituation,parceque M.Dietrich
consentirait,parceque je seraisforcéede consentir,
parce que M. de Rivonnièrese résignerait, parce
qu'enfin tu n'es pas bien heureux avec Marguerite,
et que tu n'es pas lié à elle par un devoir réel. Son
sort et celuide l'en&ntassurés,rien ne te condamne
à sacrifierà une femmeque tu n'aimes pas le sort
le plus brillantet la conquêteh plus flatteuse.
Ma tante, répondit-il, vous jouez sur le mot
aimer.J'aime Margueritecommej'aime mon enfant,
d'abord parce qu'elle m'adonné cet enfant, et puis
parce qu'elle est une enfant elle-mème.Cette in-
dulgencetendre que h faiblesseinspire naturelle-
ment à l'homme est un sentimenttrès-profond et
très-sain,n ne donnepas les émotionsviolentesde
l'amour romanesque,maisil remplitles coeurshon-
nêtes, et n'y laisse pas de placepour le besoindes
passionsexcitantes.Je suis une naturesobre et con-
tenue. Cebesoin,impérieuxchez d'autres, est très-
iû
i70 CiSAMNtBÏMMCB
modéréchezmoi.Je ne auia pas attire par le plaisir
fiévreux.Mesnerfs ne sont pas entrâmesaux pa-
roxysmes,mon cerveau n'est guère poétique, un s
s
idéaln'est pour moi qu'une chimère, c'est-à-direun
monstreà beauvisagetrompeur.Pourmoi,le charme
de la femmen'est pas dans le développementextra-
ordinaire de sa volonté,au contraireil est dans l'a-
bandon tendre et généreuxde sa force. Le bonheur
parfait n'étant nulle part, car je n'appelle pas
bonheur l'ivresse passagèrede certaines situations
enviées,j'ai pris le mienà maportée, je l'ai fait à
ma taille,je tiens à le garder,et je déne mademoi-
selleDietrichde me persuaderqu'elle en ait un plus
désirable à m'offrir. Si elle réussissaitm'ébranler
en agissantsur mes sens ou sur mon imagination,
sur la partie folleou brutalede mon être, je saurais
résisterà la tentation,et, si je sentais le dangerd'y
succomber,je prendraisun grandparti j'épouserais
Marguerite.
ÉpouserMargueritece n'est pas possible,mon
enfant!
Cen'est pas facile,je le sais, maisce n'est pas
impossible.Cetteunionblesseraitvotre juste Berté;
c'est pourquoije ne m'y résoudraisqu'à la dernière
extrémité.
Qu'appelles-tula dernièreextrémité? Y
Le dangerde tomberdansune humiliationpire
le
que celle d'endosserle passé d'une fille déchue,
danger de subir la dominationd'une femmealtière
et impérieuse.Margueritene se fera jamais un jeu
c6SABt!<tt MSTKïCa 171
Marquiade RtvoH!<t6a<[.
défendud'avertirMarguerite,qui ne se doutederien
et no peut rien apprendre;maisil m'avaitremiscon·
ditionnellementune lettre d'adieuxpourvous, écrite
la nuit dernière.Commeil n'a mêmepas eu à essuyer
le feu de son adversaire, cette lettre ne peut plus
vousalarmer.Pondantque voushUre~ je vais cher-
cher des nouvellesdu pauvremarquis.Onn'espérait
pas touta~l'heure, peut-êtretout est-ilnni 1
Je veuxle voir, s'écriaCésarine.
Dubois qui était debout, allant avec égarement
d'une porto à l'autre, l'arrêta.M. Néiatonneveutpas,
lui dit-il; c'est impossiblea présent restez-la, ne
vousen allez pas, mademoiselleDietrich 1Ilm'a dit
toutbas
Lavoiret mourir1
Pauvrehomme pauvreami dit Césarine,reve-
nant étouffée par los sanglots.11meurt de ma
main,on peut dire Certesiln'a paseu l'intentionde
provoquerton neveu, il ne m'auraitpas manquédo
parole.lia été sincèreen voulantréparerletort qu'il
avaitfaità Marguerite. Il s'y est malpris, voilàtout.
C'estmonblâmequi l'aurapoussé à cette réparation
qu'ilpayede sa vie.
Dis-moi,Césarine,est-ce par l'effet du hasard
qu'il a rencontréhier Margueritecheztoi?
Qu'est-ceque cela te fait Vas-tume gronderY
ne suis-jepas assezmalheureuse,assezpunie?9
Je veuxtout savoir,repris-je avecfermeté.Mon
neveu pourrait être le blessé,le mourant,à l'heure
qu'il est, et j'ai le droit de t'interroger.Taconscience
CtSAMNE BtMMQa w
te crie que tu as provoquele désastre.Tu savait la
vérité,avoue-le;tu aa vouluen tirer parti pour rom-
pre le lienentrePaulet Marguerite.
Pourempêchertonneveude l'épouser,oui, j'en
conviens,pour le préserver d'une folie, pour te la
fairejuger inadmissible;maisqui pouvaitprévoirles
conséquencesde la rencontred'hier î N'étais je pas
d'avisde la cacherà M. Gilbert N'ai-jepas donné
touteslesraisonsqui nouacommandaientle silenceY
Pouvais-jeadmettreque le marquisferait de si dé'
plorablesmaladresses? Y
Ainsitu aa préméditéla rencontre,tu l'avouest
Je ne savaisvraimentrien, je me doutaisseule-
ment. Lemarquiss'étaitconfesséà moi, it y a long-
temps,d'une mauvaiseaction.Lenomde Marguerite
lui était échappéet n'était pas sorti de mamémoire.
J'ai voulutenter t'aventure maislis donc la lettre
qu'on vient de te donner tu saurasce qu'il faut pen-
ser de ce désastre.
Je lus la lettrede Paulet lalui laissailire,espérant
que la dureté avec laquelle il s'exprimaitsur son
comptela refroidiraitdéfinitivement.Il n'enfut rien.
Elleparut ne pas prendragarde à ce qui la concer-
nait, et loua avecchaleur la forme, les idéeset les
sentimentsde cettelettre.
C'estun homme, celui-là,disait-elleà chaque
phraseen essuyantses yeuxhumides,c'estvraiment
un grandcœur, un héros doubléd'un saint1
L'arrivéede Duboismit fin à cet enthousiasme.
t.e blessé avait supporté l'opération.Nélatonétait
100 0<SA)MNt M<T<t!Ca
parti contentde son succès maisle médecinM ré-
pondaitpas que le blessévécûtvingt-quatreheures.
M.de Valbonnevintnous chercherun instant après.
On doit consentir, nous dit-il, à ce qu'il vous
voietoutesdeux. Il s'agiteparce que je n'obéispas
aux ordres qu'il m'avait donnésavant le duel. Ma
toute sa tète, son médecin a comprisqu'il ne fallait
pascontrarier la volontéd'un homme qui, dans un
instant peut-être,n'auraplus devolonté.
Noussuivîmesle vicomtedansla chambredu mar-
quis. Atraversla pâleur de la mort, il souritfaible-
ment à Cësarine, et son regard éteint exprimala
reconnaissance.Paul, qui était assis au chevet du
moribond,s'en éloignasans parattre voir Césarine.
Je compris que m'occuper de mon neveu en cet
instant, c'eàt été le féliciter d'avoir échappéau sort
cruel que subissaitson adversaire.Césarines'appro-
cha du lit et baisale front glacéde son malheureux
vassal.Le médecin,voyantqu'il s'agissaitde choses
intimes, passa dans une autre pièce, et M. de
ValbonneCtentrer danscelleoù nous étions l'autre
témoindu marquiset les deuxtémoinsde Pau~.qu'il
avaitpriés de rester. Alors,nousinvitantà nousrap-
procher du lit du blessé, M.de Valbonnenous parla
ainsi à voixbasse, maisdistincte
Avantde me mettre, avecM.Campbel,en pré-
sencedes témoinsde M. Gilbert,Jacques de Rivon-
nière m'avaitdit
« Je ne veux pas d'arrangement,car je ne puis
assurer que je n'aie pas eu d'intentions hostileset
C)68AMttX MMtHCa Mt
malveillantesa l'égardde M. Gilbert.J~vais contro
lui de fortespréventionset une sorte de haine per-
sonnelle.Ladémarchequ'il a faiteen venantme de-
mander raisonet la manièredont il l'a faite m'ont
prouvéqu'il était homme de coeur, hommed'hon-
neur et même hommede bonne compagnie,car Ja-
maison n'a repousséuneinjureavecplus de fermeté
et de modération.Aucune parole blessanten'a été
échangéeentre nous dans cette entrevue. J'ai senti
qu'il ne méritaitpas mon aversionet que j'avais tous
lestorts. Je ne sais passi j'ai affaireà un hommequi
sachetenir autre chose qu'une plume, mais j'ai le
pressentimentqu'il aura la chancepour lui. Je serais
donc un lâchesi je reculais d'une semelle.Vousré-
glereztoutsansdiscussion,et, si le sort m'estsérieu-
sementcontraire,vousferez mes excusesà M. Paul
Gilbert.Vouslui direzqu'aprèsavoir essuyéson feu,
je ne l'auraispasvisé, ayant,pour respectersa vie,
desraisonsparticulièresqu'il comprendrafort bien.
Vouslui direzces chosesen monnom, si je suis mort
ou hors d'état de parler; vous les lui direzen pré-
sencede sestémoinset de toutesles personnesamies
qui se trouveraientautour de moià monheureder-
nière.
Espérons,ajouta M. deValbonne,que cette heure
n'est pas venue,et que Jacquesde Rivonnièrevivra;
mais j'ai cru devoir remplir ses intentionspour lui
rendre la tranquillité,et je croisvoir qu'il approuve
l'exactitudedes termesdont je me suisservi.
Tous les regards se tournèrent vers le marquis,
t02 MMMCN
C<aAMM
dont les yeux étaient ouverts, et qui Ct un faible
mouvementpour approuveret remercier.Nouscorn*
pr)mestous que nous devionslui laisser un repos
absolu, et noua sortîmes de la chambre, où Paul
resta avecM.de Valbonneet le médecin.Telétaitle
désir du marquis,quis'exprimaitpar des signesim-
perceptibles.
Césarinene voulait pas quitter la maison; elle
écrivit a son père pour lui annoncercette malheu*
reuse affaireet le prier de venir la rejoindre. Dès
qu'il fat arrivé,je courus chez MargueriteaQnde la
préparer à ce qui venait de se passer. Paul m'avait
fait dire par h jeune latour de vouloirbien prendre
ce soin moi-mêmeet de remettreen mêmetemps à
Marguerite,lorsqu'eUeserait bien rassurée sur son
compte,la lettre de pardonet d'amitiéqu'il lui avait
écritedurant la nuit.
Pour la première (ois, je vis Margueritecom-
prendre la grandeur du caractère de Paul et se
rendre comptede toute sa conduiteenverselle. La
vérité entra dans son esprit en même temps que le
repentir et la douleurs'exhalaientde son âme.Je lui
dissimulaila gravitéde la blessuredu marquis.Je la
trouvais bien assez punie, bien assez épouvantée.
La lettre de Paulachevacette initiationd'une nature
d'enfant aux vrais devoirsde la femme.Elle me la
nt lire trois ou quatre fois, puis elle la prit, et, à
genouxcontremonfauteuil,ellela couvritde baisers
en l'arrosant de larmes.Je dus rester deux heures
auprès d'elle pour l'apaiser, pour 1~ ~afesser et
CttSAMMtt MMMCN :M
aussi pour lenseigner, car elle m'accablaitde ques-
tionssur sa conduitetuture.
Dites-moibien tout, s'écriait-elle.Je ne dois
plus recevoirde lettres,je ne dois plus voir personne
sans que Paulle sacheet y consente,mêmes'il s'a-
gissait de mademoiselleDietricht
C'est surtout avec mademoiselleDietrichque
vous devez rompre dès aujourd'hui d'une manière
absolue.Renvoyez-lui ses dentelles.Je me chargede
vous procurer un ouvrageaussi importantet aussi
lucratif.D'ailleursil faut que Paul sache que votre
travailne voussufnt pas. Pourquoile lui cacher?
Pour qu'il ne se tue pas à force de travailler
lui-même.
Je ne le laisseraipas sa tuer. Il reconnattraque,
dans certainescirconstancescommecelle-ci,il doit
me laissercontribueraux dépensesde son ménage.
Non,il ne veut pas; il a raison.Je ne veux pas
non plus. C'est lâche à moi de vouloir être bien
quand il se souciesi peu-d'être mal.J'avaisaccepté
sa pauvreté avec joie, mon honneur est de me
trouver heureusecommecela.Il m'a gâtée je suis
cent fois mieuxaveclui, même dans mes moments
de gène,que je ne l'auraisété sanslui, à moins de
m'avilir.Je n'écouteraiplus les plaintesde la Féron.
Si elle ne se trouve plus heureuseavecnous, qu'elle
s'en aille Je suffiraià tout. Qu'est-ceque de souf-
frir un peu quand on est ce que je suis? Maisdites-
moi donc pourquoiPaul est mécontentdes bontés
que mademoiselleDietrichavait pour moi? Voila
S<~ C~SAHtM BtZTNMN
IV
Mtre ne cherchantaucunerécompense,Utrouvaitla
siennedans le succèsde ses effortspour combattre
l'ignoranceet le préjugé.C'étaitvraimentun digne
homme, d'un mérite solideet réel. Sonmanque de
popularitéen était la meilleurepreuve.
Césannes'affectaitpourtantde voir qu'on lui pré-
féraitdes notabilitésmédiocresou intéressées.Elle
l'avaitbeaucouppousséà la députation,dontil ne se
souciait pas, disant que certainesluttes valenttous
les effortsd'une volontésérieuse,maisque ceUesde
l'amour-propresontvaineset mesquines.
Cependantune questionlocaled'un grandintérêt
pour le bien-être des agriculteursdu département
s'étant présentéeà cette époque,il se laissavaincre
par le devoirde combattrele mal, et, au risqued'é-
chouer,il se laissaporter.Césarinese chargead'avoir
la volontéardente qui lui manquaiten cette circon-
stance.Elleavaitpeut-êtrebesoin d'un combatpour
se distraire de ses secrets ennuis. Son mariagelui
donnaitdroitàuneinitiativeplusprononcée,et M.Die-
trich, qui depuislongtempsn'avaitrésistéà sa toute-
puissanceque dans la crainte du qu'endira-t-on,
abandonnades lors à la marquise de Rivon~èrele
gouvernementde la maison et des relations, qu'il
avaitcherchéà rendre moinsapparentdanslesmains
de mademoiselleCésarine.Lesnombreuxclients qui
peuplaientles terresdu marquis,et quiavaientbeau-
coup à se louerde l'indulgentegestionde soninten-
dant, avaienteu peur en apprenantle mariageet l'ab-
senceindéfiniede leur patron. Us avaientcraint de
ase CËBAMM BtKMMH
tomberMas la coupede M.Dietrichet d'avoiràren-
dre comptede beaucoupd'abus. Quandils surentet
à
quand ils virent que Césarinene prétendait rien,
fermeset le châ-
qu'ellen'allaitpas mêmevisiterles
teau de son mari, il y eut un grand élan de recon-
naissanceet de joie. Dès ce moment,eUbput dispo-
ser de leur vote comme de celui de ses propres
tenanciers.
Mireval avaitété jusque-làune solitude.M.Dietrich
s'était réservéce coin de terre pour se recueillir et
se reposerdes bruits du monde.Césarine,respectant
son désir, avait paru apprécier pour elle-mémeles
utiles et salutairesloisirs de cette saisonde retraite
annuelle.Cettefoiselle déclaraitqu'il fallaiten faire
le sacrificeet ouvrir les portes toutes grandes ah
foule des électeursde tout ranget de toute opinion.
M.Dietrichse résignaen soupirant,la jeunemarquise
incessantes.
organisadonc un systèmede réceptions
On ne donnait pas de fêtes, disait-on, à cause de
l'absenceet du triste état du marquis; et puis onen
donnaitqui semblaientimproviséeslorsquele cour-
rier apportaitde bonnesnouvellesde lui, saufà dire
d'un air triste le lendemainque le mieuxne s'était
pas soutenu.
J'aimaisbeaucoupMireval,je m'y reposaisdu temps
le vis
perdu à Paris. Je ne l'aimai plus lorsqueje
envahicommeun petit Versailles ouvertàlacuriosité.
Danstoute agglomération humaine,la médiocritédo-
mine. Ces dtners journaliers d<t~quante couverts,
ces réjouissancesdans le parc, cet endimanchement
CÊSAMHX BMTMCa Mt
et de défiancede vous-même.Refaitesvotreouvrage,
sacrine~-enles trois quarts mais du dernier quart
composezun livre entier.Je vous réponds qu'il mé-
ritera d'être publié,et qu'il ne sera pas inutile. Quant
a la forme, elle est correcte et claire,pourtant un
peu lâchée. J'y voudrais l'énergie froide, si vous
voulez,maispuissante,d'uneconvictionqui vousest
chère.
Aucuneconvictionne m'est chère, reprit Césa-
rine, puisque j'ai fait ce travail avec indépendance.
L'indépendance,reprit-il, est une passionqui
mérite de prendre placeparmi les passionsles plus
nobles.C'estmême la passiondominantedes esprits
élevés de notre époque. C'est, sousune formenou-
velle, la passion de la liberté de consciencequi a
soulevéles grandesluttes de vos pères protestants,
madamela marquise.
Vousavez raison, dit-elle, vous m'ouvrez la
fenêtre,et le jour pénètreen moi. Je vous remercie,
je suivrai votre conseil; je referai mon livre, j'ai
compris,vousverrez.
U allaitse retirer, elle le retint.
-Vous avez peut-êtrea causeravec votre tante,
lui dit-elle.Restez,j'ai affairedans la maison. Si je
ne vous retrouvepas ici, adieu, et merciencore.
Blé lui tendit la main avec une grâce chaste et
affectueuseen ajoutant
Je ne vous ai pas demandédes nouvellesde
chez vous,j'en ai; Paulinevous dira que je lui en
demandesouvent.
a~ C~SAMNtt C!MMCB
C'estl'abnégation.
Qu'est-doncque maviealors' Je croyaisn'avoir
pas faitautrechosequedesacrifiertousmes premiers
mouvements.
A quoi! A la volontéde réussir en vue de toi
même.Lavolontéd'échouerpourqu'un autre triom
phe, tu ne t'aurasjamais.Celaest bienplusau-dessus
de toi que de Marguerite.
Tu vas faire d'elle une martyre, une sainte?
Nouveaupoint de vue 1
Ce qu'elle vient de faire en te priant de lui
garder son mari tous les soirs,aux heures où elle
s'inquièteet s'ennuie,est déjà assezgénéreux.Tune
daignespas y prendre garde,moi j'en suis frappée.
Il n'y a pas de quoi; Pauls'ennuie avec elle,
elle l'a dit; elle a peur qu'il ne s'ennuietrop et ne
cherchequelquedistractionmoinsnobleque macon-
versation.
Tucherchesà la rabaisser;tu es peut-êtreplus
jaloused'elle qu'ellene l'est de toi.
-Jalouse, moi, de cette créature!y
-Tu la hais,puisquetu l'injuries.
Je ne peuxpas la haïr, je la dédaigne.
Et toute cette bonté que tu dépensespour la
charmeretla soumettre,c'e~tl'hypocrisiedeton in-
atinct dominateur.
La pitié s'allie fort bien avecle dédain, elle ne
peut mêmes'allier qu'avec lui. La souffrancenoble
inspirele respect. La pitié est l'aumônequ'on fait
aux coupablesou aux faibles.
C<SA!HNB BtMMCB M9
Césarines'attendait à voir revenir Paul le soir
même.n ne revint pas, et, quelquesincèreque fût
le repentirde Marguerite,ilne reparut à l'hôtelDie-
trich que rarement et pour échangerquelquespa-
rolesà proposdu livre dont les premièresépreuves
étaienttirées. Il approuvaitles changementsque l'au-
leur y avaitfaits, mais il ne mecachaitpas que ces
améliorationsne réalisaientpoint ce qu'il avait at*
tendu d'une refonte totale de l'ouvrage. Césarine
n'avait pas atteint, selonlui, le completdéveloppe-
mentde sa lucidité.Il n'osaitpas l'engagerà recom-
mencer encore, et, comme je lui reprochais de
manquerà sa probitélittéraireaccoutumée,ilmeré-
pondit
Je necroispas y manquer,je ne vois pas pour-
quoila marquisede Rivonnièreserait obligéede faire
un chef-d'œuvre c'est ma faute de m'être imaginé
qu'elle en était capable. Ce qu'ellem'a demandé,je
l'ai fait j'ai dit monopinion,j'ai signaléles endroits
mauvais,les endroitsexcellents,les endroitsfaibles.
J'ai discuté avec elle, je lui ai indiqué les sources
d'instructionet les sujets de réflexion.Ce qu'elledé-
sirait,disait-elle,c'était de faireun travailtrès-lisible
et un peu profitable;elleest arrivée&ce but. Je suis
convaincuencorequ'avecplus de maturitéellearri-
veraità un résultat vraiment sérieux; maisson en-
touragene lui en demandepas tant; elle se faitillu-
sion sur le méritede s~n oeuvre,commeil arrive a
tous ceuxqui écrivent,ou bienelle est douéed'une
extrêmemodestieet se contented'un médiocreeffet.
~0 C<<tA!HtM !HffBMW
Je n'ai pao droitd'être plus sévèreet plusex~nt
qu'elle ne l'e~ poar eMo-meme.Si en lit peu son
livre, si on n'en parle que d<mssoncercle, cemesera
point un obstacleA unlivre meilleurpar !astato.
J'aimais toujours Césarinemalgré nosquereBea,
qui deveaaientda ptasen plus vives, et je l'aimais
peut-être d'autantplus queje la voyaisse fourvoyer.
Il devenait évident pour moi que Paul n'avait pas
pour eue l'amitiéenthousiaste,absorbante,dominant
tout en lui, qu'ellese flattaitde lui inspirer. Il était
capable d'une sérieuse affection,d'une reconnais-
sance volontairementacquittéepar le dévouement;
maisla passion n'éclataitpas du tout, et il ne sem-
blait nullement éprouver le besoin que Césarineet
Margueritelui attribuaient de s'enflammerpour un
idéal.
Déçuebientôt de ce côté-là,que deviendraitla ter-
rible volontéde Césarine,si ellene pouvaitse ratta-
cher à la gloiredeslettres!Je n'étaispas dupe de son
insouciante modestie. Je voyais fort bien qu'elle
aspirait aux grands triomphes et qu'elle associait
ces deux buts: le monde soumis et Paul vaincu
par l'édat de son génie.J'aurais souhaitéqu'à dé&ut
de l'une de ces victoireselle MmportaM'aatre.Je tâ-
chai de l'avertir, et avecle consentementde Paulje
lui ns connaîtreson opinion.Euefutun peu troublée
d'ahoni, puis ellese remitet medit
–<Je comprends;monlivre imprimé,il erett que
j'oacliezaile conseilutile et le correcteurdèvcué. H
veut prolongernos rapportad'iattmité il a raison
OËSAÏUN't BïBTKtta 2~1
Puisqueje vaismourir a
H t'arme, elle le lui dît. Hme trompepar vertu,
par bonté,maisit l'aime,c'est biensur. S'ilne le lui a
pas dit, eUel'a Mon vu, et moi aussi d'ailleursje le
voyaisMon. PauvrePaul,commeii a été malheureux
a causedo moi commen s'est détendu, commeil a
été grandet généreux!J'ai eu tort de luicacher son
bonheur. Mn'en eut pas profité tant que j'aurais
vécu c'est pour celt qu'il faut queje me dépêchede
partir. Je reste trop longtemps;chaquejour que je
vis, il mesemblequeje le lui vole.Ah j'ai été lâche,
~auraisdu lui dire
<t Laisse-moiencore quelques semainespour
bien regardermonpauvreenfant; je voudraisne pas
l'oublierquandje seraimorte Vadoncà ce rendez-
vous, ce ne sera pas le dernier vousvousaimeztant
que vousne saurezpas sivousêtescoupablesdevous
aimer; seulementne medisrien.Laisse-moi croireque
tu n'iras perpètre pas. Pardonne-moid'avoirété ton
fardeau,tongeôlier,tonsupplice;maissachequeje t'ai-
maisencoreplusqu'etlenet'aime,carje meurspourque
tu aiessonamour,et ellen'eûtpasfaitcelapourtoi. ·
Elleparlaencorelongtempsainsi avecexaltationet
une sorte d'éloquence;je ne l'interrompaispoint, car
Paul étaitentré sansbruit. U se tenait derrière son
rideauet l'écoutaitavec attention.Il voulaittout sa-
voir.Deson coté, ellem'avouaittout.
Vousmejustifierezquandje n'y seraiplus, di-
sait-elle;faites-luiconnattre que, si je ne suis pas
morte plus tôt, ce n'est pas ma faute.J'ai fait mon
CËMttM BnmtCt! 309
possiblepour en finir bien vite tous les remèdes
qu'on me présente,je les metsdansma bouche,mais
je ne lesavaleque quandon m'y forceen me regar-
dant bien.La nuit, quandon dort un Instant,je me
lève,je prendsfroid.Si on medit de prendrede l'o-
pium,j'en prends trop. Je cherche tout ce quipeut
me faire mal.Je Ma semblantde ne pouvoir dormir
que sur la poitrine,et je M'~ott~ «MM* jusqu'à ce
queje perde connaissance.Je voudraissavoirautre
chosepour me fairemourir1
Assez,Marguerite!luidit Paulen se montrant.
J'en saisassez pour te sauver,et je te sauverai;tu le
voudras, et nous serons heureux, tu verras! Nous
oublieronstout ce que nous avons souffert.Montre-
moicettelettredont tu parles,et ne crainsrien.
Il luiprit doucementla lettre, la lut sans émotion,
la jetapar terreet la roulasousson pied.
C'est une lettre infâme! s'écria-t-il; c'est une
insulteà monhonneur! Comment,j'aurais tendula
mainà son mari après le duel, j'aurais accepté ses
excuses,pardonné à son repentir, conseilléle tr
riage,et après le mariagele rapprochement,tout cela
pour le tromper,pourpossédersafemmeavantlui et
m'avilirà ses yeuxplus qu'il n'étaitaviliaux miens
par sa conduiteenverstoi! Tiens, cette femmeest
plus folle que lui, et sa démencen'a riende noble.
C'est l'égarementd'une consciencemalade,d'un es-
prit faux,d'un méchantcoeur.Je devraisla haïr, car
son but n'est pas mêmela passionaveugle ellea
espéré me punir des conseilssévèresque je lui ai
sio e~MtUM Mt:mCH
donnésen mettantdansmavie ce qu'euejugeaitde-
voir Atreaniregretpoignant,éternel.Ehbien! sais-tu
ce quej'eusse faitvis-a-visd'une pareillefemme,si
ni Jacquesde Rivonnière,ni ma tante, ni toi, n'eus-
siezjamaisexisté!J'auraisété à son rendez-vous,et
je luiaurais dit en la quittant
Merci,madame,c'est demainle tour de quelque
autre; je vousquitte sansregret1
Mais supposerque j'aurais avec elle une heure
d'ivresseau prix de mon honneuret de ta vie, ah1
Marguerite,ma pauvMchère enfant,tu ne me con-
naisdoncpas encore?Allons,tu me connattras En
attendant,jure-moique tu veuxguérir,que tu veuxvi-
vreRegarde-moi.Nevois-tupas dansmesyeuxque tu
es, avecmonPierre,cequej'ai de pluscherau monde
Il aHachercherl'entant et le mit dans les bras de
sa mère.
Voisdoncle trésor que tu m'asdonné dis-moi
si je peuxne pas aimerla mèrede cet enfant-Mt! Dis-
moi si je pourrais vivre sans elle!Mettonstout au
pi?e; supposequej'aie eu un capricepour cettefolle
que tu as toujours beaucoupplus admiréeque je ne
l'admirais,secait-ceun grand sacrificeà te faire que
de rejeterce caprice commeune chose malsaineet
funeste?Faudrait-ilun énormecouragepour lui pré-
férermonbonheurdomestiqueet l'admirabledévoue-
ment d'un cceur qui veut ~ct~er, commetu dis,
par amour pour moi! Non,non, ne l'étouffé pas, ce
coeur généMax qui m'appartient! Supposetout ce
que tu voudras, Marguerite admet?que je soismr
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Mt, une dupe vaniteuse,un libertin corrompu,.un
battre, je ne croyaispas mériterces suppositions;
maisau moinsne supposepas qu'en te voyant dé-
sirer la mort j'acceptele honteux bonheur que tu
veuxme laissergoûter. Allons,allons,lui dit-ilen-
coreen voyantrenattrele souriresur seslèvres dé-
colorées,relève-toide la maladieet de la mort, ma
paume femme,ma seule, ma vraiefemme!Ris avec
moide cellesqui, prétendantn'être à personne,tom-
beront peut-être dans l'abjectiond'être à tous. Ces
êtresforcéssont desfantômes.Lagrandeurà laquelle
ils prétendent n'est que poussière ils s'écroulent
devant le regard d'un hommesensé. Que la belle
marquisedeviennece qu'elle pourra,je ne me sou-
cierai plus de redresser son jugement; j'abdique
mêmele rôled'amidésintéresséqu'elle.m'avait im-
posé je ne lui répondraipas,je ne la reverraipas,je
t'en donneici ma parole,aussi sérieuse,aussi loyale
que si, pour la secondefois,je contractaisavectoi le
lien du mariage,et cequeje te jure aussi, c'est que je
suis heureuxet fierde prendre cet engagement-là.
Huit jours plus tard, Marguerite,docileà la médi-
cationet rassuréepourtoujours,étaithorsde danger.
Onfaisaitdes projets de voyageauxquelsje masso-
ciais; car mon cœur n'était plus avec Césanne il
était avecPaulet Marguerite.Je ne fisaucunrepro-
cheà Césannede sa conduiteet'ne lui annonçaipas
marésolution'de la quitter. Il eût fallu en venir à
des explicationstrop vives,et après'l'avoirtant'ai~-
mée, je ne m'en sentaispas le courage. Elleconti-
3t2 e<s*Nt ctBTxnca
nuait<tsoigneradmirablementMonson mari.Il était
ivrede reconnaissanceet d'espoir.M. Dietrichétait
ner de sa nlle tout le mondel'admirait.Onla pro-
posaitpour modèleà toutesles jeunes femmes.Elle
réparaitles allureséventéesde sa jeunesseet l'excès
de son indépendancepar une soumissionau devoir
et par une bontdsérieusequi en prenaient d'autant
plus d'éclat;eUepréparaittout pour allerpasserl'au-
tomneà la campagneavecson mari.
L'avant-veUie du jour Cxépour le départ,elleécri-
vità Paul
< Soyeza sept heures du matin à votre bureau,
j'irai vousprendre. à
Paul me montra ce billet en haussantles épaules,
mepria de n'en pointparlerà Marguerite,et le brilla
commeil avait broie le premier. Je vis bien qu'il
avait un peu de frissonnerveux.Ce fut tout. Il ne
sortit pas de chezluile lendemain.
Craignantque Césarine,déçue et furieuse,ne sàt
pas se contenir, je m'étais chargéede l'observer,
voulantlui rendrece dernierservicede l'empêcher
de se trahir. Elle sortità sept heures et fut dehors
jusqu'à neuf; elle revint, sortit encore et revint à
midi; ellevoulaitretournerencorechezLatouraprès
avoirdéjeunéavecson père. Je l'en empêchaien lui
disant,commepar hasard, que j'allaisvoir mon ne-
veu, qui m'attendaitchezlui.
Est-ce qu'il est gravementmalade! s'écna-
t-elle hors d'elle-même.
Il ne l'est pas du tout, répondis-je.
eËSAtUMBÏXTNMB Mt
J'avaisà lui parler de monMvre,je lui a! écrit
deuxfois. Pourquoin'a-t-it pas réponduï Je veuxte
savoir,j'irai chezlui avec toi.
-Non, lui disje, voyantqu'il n'y avaitplus rien a
ménager.Il a reçu tes deux billets et n'a pas voulu
yrépondre.!ts sontbraies.
Et il te lesa montrest
Oui.
Ainsiqu'à Marguerite!
–Non! 1
Voilàtout ce que tu as à me dire!t
C'esttout.
!t a voulunous brouilleralors,il m'a condam-
née à rougir devant toi1Il croit queje supporterai
ton blâme1
Tu ne dois pas le supporter,je vaisvivreavec
ma famille.
C'est bien, rëpiiqua-t-eUed'un ton sec et elle
allas'enfermerdans sa chambre,d'où elle ne sortit
que le soir.
Je fis mes derniers préparatifs et mes adieux à
M.Dietrichsans lui laisserrien pressentirencore.Je
prétextaisune absencede quelquesmois en vuedu
rétablissementde manièce.Nousétionsà l'hôtelDie-
trich, oùCésarineavaitdit à sonmarivouloirpasserla
journéepour préparerson départdu lendemain;elle
en laissatout lesoinà sa tanteHelmina,et, aprèsavoir
été tontel'après-midi enièrméesousprétextedeMgue,
ellevint dineravecnous;elleavaittantpieuréque cela
était visibleet que son père s'en inquiéta;ellemit le
M
3!& c<!sAatt«t CttTRtca
aplamdre.BtrahItsonaml,ilesthuml!lé,linnirapeut.
être mal, car c'est un hommesombre et mystique.
Sais-tu,ma tante,ajouta Paul, que cettefemme-la
a faillime fairebiendu mal, à mol aussi?Je peuxte
le dire à présent. J'étaisplusépris d'ellequeje note
l'aijamaisavoué.Je ne mesuis pas trahi devantelle;
maisellele voyaitmalgrémoi, c'est ce quit'explique
l'audacede ses aveux,et les rend,je ne dis pas moins
coupables,maismoinsimpudents.Ou en serais-jesi
n'avaispas eu un peu de forcemorale!Nem'a-KHo
pas misau bord d'un abîme?Si j'ai failli perdrema
pauvrefemme,n'est-cepasparceque,éblouiet trou-
blé, je manquaisde clairvoyanceet m'endoHnalssur
la gravitéde sa blessure! On n'est jamaisasse!:tort,
crois-moi,et ne me reprocheplus d'être un homme
dur à moi-même.Si Margueriten'eût été suMmo
danssa folle,j'étaisperdu. Je la laissaismourir sans
voirce qui la tuait. Elleavait sujet d'êtrejalouse.J'a-
vaisbeauêtre impénétrableet invincible,son coeur,
puissantpar l'instinct,sentaitle vertigedu mien.
Tout celaest passé, mais non oublié.La belle
marquiseeût été fort aisehierde mevoirrouler bon-
teusementdans la poussière,sous le sabot de son
destrier.Et moi,je me souvienspour me diMà toute
heure Nelaissejamaisentamerta consdence~el'é-
paisseurd'un cheveu.
Aujourd'hui,5 août 1866,Paul est l'heuMuxpète
d'unepetite Bl~eaj~salbello.qaeson frèpe.M.Die-
trich a voulué~e son parrain. Césannen'a-pasdonnés
mgnede vj~ et BpueM.en ~avoas ~é.
C~SAKtKE MRTRtCH 319
Je dois terminerun récit, queje n'ai pas fait en
vue de moi-même,par quelquesmotssur moi-même.
je n'ai pas si longtempsvécude préoccupationspour
les autres sans en retirer quelqueenseignement.J'ai
eu aussi mes torts, et je m'en confesse.Le principal
a été de doutertrop longtempsdu progrèsdont Mar-
gueriteétait susceptible.Peut-être ai-je eu des pré-
ventionsqui, à mon insu, prenaientleursourcedans
un reste de préjugés de naissanceou d'éducation.
Grâceà l'admirablecaractèrede Paul,Margueriteest
devenueun être si charmantet si sociablequeje n'ai
plus à faired'effortpourl'appelermanièceet la trai-
ter commema fille. Lesoin de leurs enfantsest ma
plus chèreoccupation.J'ai remplacémadameFéron,
que nous avons miseà même de vivredansune ai-
sance relative.Quant à nous, nous nous trouvons
très à l'aisepour le peu de besoinsque nousavons.
Nousmettonsen communnos modestesressources.
Je fais chez moiun petit cours de littératureà quel-
ques jeunespersonnes.Lesaffairesde Paulvonttrès-
bien. Peut-êtresera-t-ilun jour plus riche qu'il ne
comptaitledevenir.C'estla résultanteobligéede son
esprit d'ordre, de son intelligenceet de son activité
maisnousne désironspas la richesse,et, loin de le
pousserà l'acquérir,nouslui imposonsdesheuresde
loisirque nousnousefforçonsdelui rendredouces.
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Nohant, MTO.
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