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Collection ditigée par Lidia Breda Walter Benjamin Je déballe ma bibliothéque Une pratique de la collection Préface de Jennifer Allen Traduit de Vallemand ‘par Philippe Ivernel Rivages poche Petite Biblioth@que _ fo thaque 0 Couverture DLR. «Fi arme Samer S, 598-601 au: « Kleine Pros Baudelie-Ubertragungen » Band IVI der Gesammicten Schriften von Waker Benjamin, Unter Micwirkung ‘von Theodor W-Adoeno nd Gerthom Scholem herausgegeben ‘on Reif Tiedemann und Hermann Schueppenhitser “Iikstierte Aufitze» S. 607-425 aus: Kleine Prost ‘Baudehire-Ubertragungen Band 1V.2 + Verzeichnis dr glesenen Schriften» §. 437-477 a "Nachirige Band VIL © 1972, Suhekamp Veg (© 2000, Eaitions Payor & Ravages ‘oul tradaction fansise 106, bl Sain-Germsin ~ 75006 Pie ISBN :2-7436-0701-7 ISSN = 1158-5600 Préface «Chaque livre posséde deux poids différents une part, un poids physique et, autre part, un poids subject qui se rapporte au contenu du livre, voire a son importance. Combien de fois nous retrouvons-nous, en quittant un lieu, devant ces décisions difficile: quels livres aimerions-nous ou pourrions-nous emporter ?'» Le poids de ces décisions a di hanter la vie de Walter Benjamin, marquée par autant de lectures que de voyages. Ses lettres attestent Tampleur de cette double passion, de plus en plus impossible & entretenir au fil des années. Les premiers déplace- ments volontaires ~ ses érudes Pamnent de Berlin 4 Fribourg, Munich, Berne, Francfort ; se jours, i Paris, Moscou, Marseille, Bergen, Ibiza, entre autres destinations — deviennent obligatoires en 1933, quand Benjamin quite I'Allemagne définitivement pour Paris, quoique a ville ne lui offre qu'un abri précaire (une liste de domiciles, dressée en 1938 en vue d'une demande de naturalisation en France, indique au moins quinze changements <'adresse). A partir de juin 1940, son exil se transforme brus quement en fite devant la Gestapo et s'achéve avec 7 ‘8 mort a la frontiére espagnole en septembre de la ‘méme année. Plus nombreuses que les adresses indiquées au debut ou i la fin de ses lettres sont les références aux livres. Méme si Benjamin ne pouvait pas toujours cemporter s bibliothéque lors de ses errances, les livres fournistent le paysage fixe de sa correspon dance, Benjamin parle de ceux qu'il est en train de lie ~ de l'étude philosophique au roman policier (un de ses genres préférés) -, de ceux qu'il aimerait ‘emprunter ou récupérer et, bien sir, de ceux qu'il fest en train d'écrite. Dans les lettres des années frente, alors que se prolongent les périodes of il est séparé de sa bibliothégue, les descriptions de son isolement +non seulement par rapport aux gens ‘mais en plus par rapport aux livres» deviennent plus fiéquentes. Benjamin, toujours sur le point de partir, devait se trouver souvent confronté i ces «decisions difficiles». Que prendre avec soi? Que faire parvenir oi et a qui? Quel destin attend les livres abandonnés? Dés Fenfance, la fiévre de voyage semble avoir fusionné avec le désir de collectionner. Benjamin croit que la clé de son destin remonte & sa premigre collection de cartes postales, continuellement aug- ‘mentée par les dons de sa grand-mére maternelle, qui lui envoyait les vues pittoresques, récolte de mains voyages', Les influences ne semblent pas manquer du cété paternel, puisque le pére de Benjamin travaillait comme antiquaire et marchand d'art (une description de son marteau de commis- 8 saire-priscur apparait dans la Chronique berinoise) et possédait une collection importante dautographes, comprenant une lettre de Martin Luther’. En 1913, Benjamin pére, ayant passé une parte de sa jeunesse 4 Paris, offre & son fil ainé un premier voyage dans 1a capitale frangaise. Alors que l'amour des livres se cxistallise chez Benjamin dans ses lectures d’enfance, «le besoin intérieur de posséder une bibliothéque » ne se ressent que vers 1916, lors de ses études uni- ‘vernkaires’. A cette Epoque, le voyage et Je livre coexistent dans une tension productive, une passion déjouant Vautre, puis Pattisant. Parfois, Benjamin se retrouve dans ces situations heureuses auxquelles il fait allusion dans Je débale ma biliothéque, ot la douleur des séparations se voit adoucie par de nou- velles acquisitions 3 l'étranger (ses assauts straté- ‘giques des marchands de livres d'occasion & Paris en 1924 aboutissent & un petit trophée de victoire : un catalogue de lenfer de la Bibliothéque nationale, ddressé par Guillaume Apollinaite). Léat d'une collection révéle le bien-étre de son propriétaire et Benjamin ne fait pas exception. La dissolution de sa bibliothéque refléte ses dificultés sur le plan financier, personnel et, plus tard, poli- tique ; comme le note Pierre Missa, «histoire de Benjamin bibliophile prend la forme d'un progressif| fet pathétique dépouillement®». Linflation alle- ‘mande, qui atteint son sommet en 1923, ruine le capital de la famille Benjamin (la lettre de Martin Luther, entre autres, est vendue). Dés 1920, Benja~ min se voit obligé de vivre avec sa femme Dora et 9 son fils Stefan chez ses parents dans la maison famni- liale a Grunewald, Berlin + ouest-ouest », comme il appelle le quartier bourgeois”. La brocante et le toc allaientétre ses modes d'acquisition principaux dans cette période, car, malgré ses difficultés financiéres, Benjamin annonce dans une lettre de 1931 écrite 3 Gershom Scholem que sa bibliothéque est passée de 1.200 § 2000 ouvrages, la plupart des livres de ce deuxi¢me inventaite étant nouveau” (le fit d’avoir presque doublé ses possessions témoigne de I'habi- leté de Benjamin, qui a probablement réalisé ses gains aux dépens des libraies) Liinventaire de 1931 n’inelut pourtant pas la col- lection de livres pour enfants qui, lors du divorce des Benjamin, devient un terrain de lutte sur lequel personne ne veut céder (Dora Benjamin, dans une lettre & Scholem en 1929 : «Je Ini ai donné tous les livres, le lendemain il demande également la collec tion de livres pour enfants»). Ses tentatives pour récupérer cette partie de sa collection ~ Olga Parem, tune amie russe de Franz Hessel, intervient dans le ‘processus juridique — se soldent par un échec. Les livres pour enfants restent avec Dora Benjamin, qui les fait transporter en 1934 de Berlin 4 San Remo, oi elle gére une pension, Villa Verde, qui fat souvent tun abri économique pour Benjamin lors de ses années d'exil. Malgeé ses difficultés conjugales, Ben- jamin ne semble pas avoir dit renoncer entiérement 3 cette collection, car en 1932, et méme en 1937, iL propose a des maisons d’édition une publication sur les livres pour enfants, projet qui ne ft jamais réalisé 10 Avec la prise de pouvoir d'Hitler en janvier 1933, les pertes deviennent 4 la fois plus drama- tiques ct permanentes. Benjamin, qui quitte Berlin au mois de mars, arrive i récupérer certains manus- crits grice aux amis, tlle Gretel « Felizitas » Karplus (ha future épouse de Theodor W. Adorno). Un an plus tard, son cousin Egon Wissing fait expédier la ‘moitié de sa bibliothéque, néanmoins ¢ a moitié la plus importante »°, comme Benjamin lécrit i Ber- tolt Brecht en 1934. Max Horkheimer, de l'Institut de Recherche sociale reconstitué i New York, acquitte les frais de transport, mais C'est Brecht qui héberge les livres dans son nouveau domicile a Vétranger, 4 Skovsbostrand prés de Svendborg au Danemark. Le 15 mars 1934, Margarete Steffin, qui vit en exil avec les Brecht, annonce Parrivée des livres, ¢cing ow six caisses, en tout «469 kilo~ rammes»,«joli tas, rouve mon voisin [Brecht] »". partir de 1934, Benjamin fait tois séjours 4 Svendborg, ce qui lui permet d'économiser de Pargent et de travaller avec sa collection. En 1938, quand Benjamin posséde enfin un domicile fixe & Paris, Steflin s'occupe de Vexpédition ~ +les livres sont si affreusement lourds + -, ajoutant que Brecht a peur de ne plus voir Benjamin une fois que les livres seront partis*. En effet, lors de sa derniére visite chez les Brecht en automne 1938, Benjamin cemballe «quelques centaines de livres» pour le ‘eansport 3 Paris, bien gue, estime-til, cette dest- nation ne soit pour les livres comme pour lu: qu'un ‘lieu de transit», u De se retrouver avec es restes de s bibliothéque ine semble pas avoir rajeuni Benjamin ; aucune men- tion de arrivée du transport ne figure dans la cor- respondance publige jusqu’a présent. Cependant, dans une lettre 3 Adrienne Monier, éeite en 1940 propos des commentaires de Georges Salles sur le collectionneur, Benjamin parle de son rapport 3 sa propre collection, dévoilant les effets des pertes et des séparations:« Pourquoi enfin, ne pas vous avouer que j'ai une raison intime pour aimer ce livre [Le Regard de Georges Salles]. ai connu une suite d’an- inées of les transports les plus doux m'ont été inspi- 1és par les pices d'une collection que javais rassem- blées avec une patience ardente. Depuis sept ans que Jai di men séparer, je n’ai plus conn cette brame ‘qui, se formant 4 Tintérieur de la chose belle et convoitée, vous grise. Mais Ia nosalgie de cette ivresse m'est restée, Nvayant eu ni la force ni le cou- rage de me refiire une collection, un transfert s'est copéré en moi. Grice a lui des passions qui, autrefois, allaient vets les pices qui m’obsédaient se sont tour rnées vers une recherche abstr, vers essence de la Collection elle-méme. Ou bien vers ce mystérieux genre d’homme, qui, avec Léon Deubel, peut dire “Je cris... mon ime :la Chose Cette erecherche abstraite se réalse dans le projet sur les Passages parisiens, une vaste collection de citations, qui semble avoir remplacé la collection de livres pour Benjamin (la phrase de Deubel part au début de la section « H.» dans les matériaux ras- semblés sur Ie collectionneur)*. Pour créer cette 2 version abrégée d'une bibliotheque, Benjamin dépend forcement de la propriété publique il puise dans les collections de la Bibliothégue nationale, copiant les citations qui, elles, partie collective du livre, peuvent étre reproduites sans la permission de Vautcur. Pierre Missac voit derritre ce projet Vin carnation du personage de Jean Paul cité dans Je déballe..:e pauvre maitre d’école Wuz qui écrit sa bibliothéque entiére,fagon «a plus glorieuse» de se procurer des livres. Malgré cette gloire initial, le Livre des Passages, comme tout document de culture, reste un document de barbarie. C'est le travail d'un auteur dépouillé non seulement de sa bibliothéque mais aussi de signature. Benjamin figure sur la liste des auteurs dont les euvtes sont brilées la nuit du 10 mai 1933 sur la Place de Opéra i Beslin®, 3 deux pas de la Staatsbibliothek, oi il a rédigé son livre sur le drame baroque, probablement jeté au few avec Sens unique, A partir de 1933, ss articles paraissent sous des noms chrétiens ~ Detlef Holz, C. Conrad, K.A. Stempflinger afin d'eviter la cen~ sure. Le penchant pour les « mots d’occasion » chez Benjamin ~ Hannah Arendt l'idensifie comme son mode de composition préféré® — a fait du livre un ready-made, Mais Vanonymat qu'offrent les citations aurat pu facilter la publication et la lecture du livee en Allemagne. Benjamin ne cermine ni ses recherches abstrites sur le collectionneur, ni le livre sur les Passages pa siens. Pew aprés la déclaration de guerre en sep- tembre 1939, son internement comme Allemand ~ B bien quill ait déja éé privé de sa citoyenneté — Taloigne pendant deux mois de ses recherches 4 la Bibliotheque nationale. Sa libération du camp des travailleurs « volontaires» 4 Nevers ~ due largement aux efforts d'Adrienne Monnier et du diplomate Henri Hoppenot ~ Iui permet de retourner i Paris au mois de novembre, mais son retour s'avére étre ‘temporare, Benjamin se voit obligé de quitter Paris de toute urgence peu avant le 14 juin 1940, date de Frarrivée des forces allemandes dans la ville. Les cir- constances de son dépare furent telles qu'il n'a pu prendre que son « masque & gaz et [ses] effets de toi Tette #, La question du sore de ses manuscrits et de ses effets personnels revient dans les letres écrites & Lourdes pendant I'été, avant sa tentative de franchir la frontire espagnole 4 Port-Bou. Comme il 'écrit 3 Hannah Arende au début du mois de juillet 1940 ‘Je scrais plongé dans un cafard plus noir encore ue celui qui me tient & présent, si, tout dépourvu ue je suis de lives, je n’avais pas trouvé dans mon seul [live] la devise qui sapplique le plas magnifi- quement & ma condition actuelle; Sa paresse l'a soutenus avec gloite, durant plusieurs années, dans obscurité d'une vie errante et cachée.” (La Roche- foucauld en parlant de Retz.) *™ 1 Les textes regroupés dans la présente collec tion, publiés tous avant 1933, représentent la partie 4 plus heureuse de cette histoire — le travail de Ben- Jamin sur les livres de sa bibliotheque et done le bonheur propre au collectionneur, « bonheur de Vhomme privé». Bien que Hannah Arendt ait situé Teuvre de Benjamin dans le sillage de Vehomme de lettres ®" ~ de penseurs comme La Rochefoucauld, Montaigne, Pascal et Montes- quiew dont la fortune leur permettait de se tenir 4 Técart de 'Btat et de la société -, les textes de Benjamin réunis ici participent pleinement de la tradition d'une autre clase singuliére d’intellec~ tuels: les amateurs de vieux livres. Soit & titre de bibliophile, soit a titre de bibliomane, les amateurs ‘ransforment leur passion en vocation au moment ‘oi débute une production en masse, qui menagait dobscurité les anciens livres et créait de nouveaux genres éphéméres. Ils laissent, non pas des traités, des essais ou des maximes, mais des bibliographies, surtout au dix-neuviéme siécle, bibliographies ddédiées aux livres rates, voire rarissimes ; leurs des criptions, fnement détaillées et parsemées d’anec~ dotes, sont parfois signées d'un pseudonyme. Bien que ses textes dépassent la simple préoccupation relative a la provenance des livres commentés, Benjamin reste fidéle & la tradition des amateurs en choisissant les curiosités de s9 biblioth@que, plutét ignorées par le monde savant, Lui qui possédait des raretés ressort les livres les plus étranges et sire ment les moins cotiteux de ses étagéres. Ses por~ traits de livres auraient pu paraitre dans les pages de Enigmes et découverte: bibliographiques du biblio~ 15 phile Jacob ow de Bibliographie des fous de Chatles Nodier" Chez Benjamin, la fascination pour les livres de fous remonte jusqu’a 1918, lors de ses études docto- rales 4 Bere. Selon Scholem, il a participé 4 un séminaire sur la théorie des pulsions de Freud, ce qui lui a permis de découvrir Denkuiirdigheitn eines Nenenkranken (Mémoires d'un névropathe) de Daniel Paul Schreber®. Benjamin est plus équi- voque Facquisition du livre de Schreber chez un libraire bernois précéde et/ou suit sa lecture de Freud, De toute évidence, les théories du président sfavéraient plus intrigantes que celles du docteur et ont constitué le fonds modeste d'une « bibliothéque pathologique ». Malgré cette nomenclature, Benja- rin ignorait top la pathologie etl psychologic des auteurs pour comprendre entigrement leurs tenta- tives de structurer le monde, qui se rapprochent plurée, comme le note Scholem, de la réflexion phi- Jorophique®. A cet égand, la dimension iconoga- phique des livres ~ les dessins, les tableaux et les schémas qui accompagnent et explicitent les sys- témes de pensée ~ était indispensable pour Benja- ‘min, qui y voyait la création d'un monde imaginatif associations”. Les deux textes sur les vieux livres pour enfants témoignent également d'un intérét pour Ticono- graphic. Benjamin développe ce domaine de spécia- lisation 3 Berne, mais la collection est débutée en fait plus t6t 4 Berlin; comme il Yannonce dans une lettre de 1918 4 Eenst Schoen, « Lorigine de la col- 16 lection provient d'un immense pillage que je fis Juste temps dans la bibliothéque de ma mére, mon ancienne bibliothéque enfant ». Selon Scholem, Jes dons additionnels venaient de Dora Benjamin, 4qui aimait particuliérement les légendes et les livres de contes tous deux cherchaient les lives illustrés, surtout les exemplares coloriés i la main, destinés & décorer la table d’anniversaire de chacun”, A cette Epoque, Benjamin avait Phabitude de faire des cexposés sur les livres devant sa femme et Scholem ‘Les dessins, déterminés de fagon associative, qu'il trouvait dans ce genre de livres le captivaient déji de la méme maniére que plus tard la Melancotia de Diirer et les livres d'emblémes des xvi et Xvi" sigcles” », Benjamin, convaincu du lien entre Jes illustrations pour enfants et les emblémes baroques, Eargit la collection vers 1924 : «ai main- tenant deux ouvrages d'emblémes gui manguent tous deux 4 la bibliothéque”'», Ses commentaires sur toutes les illustrations de ce recueil font preuve d'un ceil la fois érudit et «hanté», pour reprendre tun terme de Georges Salles. Benjamin remarque les sceaux de bibliothéques dans les romans lus par les servantes ; aprés avoir manié certainement des cen- taines de lives pour enfants, il note la disparition de 1a pyramide dans les contes de Noél, cout comme kt présence de Venfant pauvre 4 la fenétre, eaché dans Je coin d'une des illustrations. ‘Ala humitre de Tesi de 1933 sur Vorigine du langage, les livres pour enfants seratent le hiew d'une pratique plus rudimentaire de la faculté mimétique _Je déballe ma biblioth2que Un discours sur Vart de colletionner Je déballe ma bibliothéque. Voili. Elle n’est done ‘pas encore dressée sur les étagéres, le eger enmui du jent ne Ia pas encore enveloppée. Je ne peux plus marcher le long de ses rangées pour les en revue, accompagné d'auditeurs amis. Tout la, done, vous n’avez pas a le redouter. Me voici it 4 vous prier de vous transporter avec moi le désordre de caisses éventrées, dans une sphére saturée de poudre de bois, sur un sol thé de papiers déchirés, au milieu de piles de rmes exhumés depuis peu 3 la lumiére da jour deux années d'obscurité, pour que d'entrée de vous partagie? un peu I'humeur, nullement élé- yue mais au contraire impatiente, qu'il éveillent Yauthentique collectionneur. Car c’en est un i vous parle et tout compte fait uniquement de Ne serait-il pas dés lors présomptueux de vous érer ici, en me prévalant d'une apparente ‘objectivité ou sobriét, les pidces et sections princi- pales d'une bibliothéque, ou de vous exposer sa _gentse, voire son utiité pour ’fcrivain? En ce qui “me concerne, en tout cas, je vise dans ce oui suit quelque chose de moins voile, de plus tangible ; ce 4 ‘qui me tient 4 corur, c'est de vous permettre un regard sur la relation d'un collectionneur a ses richesses, un regard sur acte de collectionner plu- tét que sur une collection. Or il est parfaitement arbitraire que je le fase au moyen de considérations sur les divers modes d’acquisition des livres. Le recours 3 une telle disposition ou 3 toute autre encore n'est jamais qu'une digue contre le flot juillisant de souvenirs qui déferle sur tout collec- ‘ionneur s‘occupant de son bien. Toute passion, certes, confine au chaos, l passion du collection- neur, en ce qui la regarde, confine au chaos des sou- venirs. Mais jirai plus loin : le hasard, le destin, qui de leurs couleurs imprégnent le passé sous mes yeux, ils s‘offrent la en méme temps aux sens, 3 tra- vers Ihabituel fouillis de livres. Car ce genre de pos- session, qu'est-ce d’autre qu'un désordre ot Phabi- tude s'est faite si fimiligre qu'elle peut apparaitre ‘comme un ordre ?Vous avez déji entendu parler de gens que la perte de leurs livres a rendus malades, et autres que leur acquisition a rendus criminels. Tout ordre, dans ces domaines précisément, nest qu'un éat de suspens au-dessus de abime. «unique savoir exact, disait Anatole France, est la conmaissance de la date de parution et du format d'un livre.» En effet, sil existe une contrepartie au déréglement d'une bibliothéque, cest bien la régu- Iarité de son catalogue. Ainsi existence du collectionneur est-elle régie par une tension dialectique entre les péles de Vordre ct du désordre 2 Elle ext naturcllement lige & bien d'autres choses encore. A une selation fort énigmatique envers Ja possesion, sur laquelle il conviendra de dire quelques mots encore ultérieurement. Ensuite : 3 tune relation envers les choses qui Join de mettre 2 premier plan chez elles la valeur fonctionnelle, done lear utilité, leur usage posible, les étudie et les aime au contraire commie la scéne ou le théite de leur destin, C'est le plus profond enchantement du col- lectionneur que d'enclore Vexemplaire dans un cercle envolité of, parcouru de Tuktime frsson, celui Pavoir &€ acquis, il se pétrifie. Tout ce qui relive [i de la mémoire, de la pensée, de le ‘conscience, devientsocle cadre, reposoi,fermoir de sa posession. Lépoque, le paysage.|artisamat, le pro- pritaire dont provient ledt exemplaire tout cela se assemble aux yeux du vrai colleetionneur en cha- ccune de ses possessions, pour composer une ency= lopédie magique dont la quintessence n'est autre aque le destin de son objet. Tei done, dans ce champ étrvit, i est loisible de supputer comment les grands physiognomonistes ~ et les collectionneurs en sont, fice au monde des choses ~ se miuent en interprétes du destin. I sufit observer un collectionneur maniant les objets de ssa vitrine. A peine les tient-il en main que, dans une inspiration, il semble les taverser du regard pour ateindre leur lointain, Voila ce que je pourras dire ddu cété magique du collectionneur, de son appa- rence de viillrd. Habent sua fata libel ~ cette for~ ule a peut-dtre été congue comme s appliquant 4B sgénéralement aux lives. Les lives, done La Divine Comédie, ou L'Ethique de Spinoza, ou L!Origine des ‘pes, ont bien leur destin, Mais le collectionneur interpréte différemment le dicton latin. A ses yeux, ce ne sont pas tant les livres que les exemplars qui font leur destin. Et dans son esprit, le destin clé de tout exemplaire, c'est a rencontre avec Iui-méme, avec sa propre collection. Je n'exagie pas: pour le vrai collectionneut, acquisition d'un live ancien équivaut 3 sa remaisance. Et en cela réside Faspect enfant qui, chez le collectionneur, se compénéere avec Faspect vieillard. En effet, les enfants comman- dent au renouvellement des livres comme 4 une praxis démultiplge, jamais 3 court, Chez les enfants, Vacte de collectionner n'est qu'un procédé de renouvellement parmi d'autres, tls la peinture des objets, ou le découpage, ou encore le décalque, et, de la sorte, toute la gamme des modes d'sequisition enfantine, depuis la prise en main jusqu’a la nomi. nation, ce sommet. Renouveler le monde ~ c'est fi instinct le plus profond dans le désir qu'éprouve le collectionneur d'acquérir de nouveaux objets, et vwil pourquoi le collectionneur de livres anciens se trouve plus prés de la source de tout acte de collec= tion que Tamateur de nouvelles éditions pour bibliophiles. Mais quelques mots & présent sur la rmaniére dont les livres franchissent le seuil d'une collection, tombent dans la propriété d'un collec tionneur, bref sur I'histoire de leur acquisition, armi coutes les fagons de se procurer des lives, hh plus glorieuse, considére-t-on, est de les écrire “4 soi-méme. Maints d’entre vous se rappelleront ici avec plaisir de la vaste bibliothéque que, dans sa pauvreté, le petit maitre d’école Wuz, chez Jean Paul, sétait constituée & la longue en écrivant lui- méme, faute de pouvoir les acheter, tous les fouvrages dont les titres l'intéressaient dans les cata- ogues de foire. Les éerivains sont effectivement des {gens qui écrivent des livres non par pauvreté, mais ar insatisfaction envers ceux quills pourraient acheter mais qui ne leur plaisent point. Vous allez prendre cela, Mesdames et Messicurs, pour une définition saugrenue de lécrivain; mais rout est saugrenu de ce qui se dit, sous Pangle de vue d'un -collectionneur authentique. Parmi les modes d'aequi- ition les plus courants, celui qui convient le mieux es collectionneurs serait emprunt non suivi restitution. Lemprunteur de geande envergure, {tel que nous lenvisageons ici, se révéle un collee- ionneur invétéré de livres, non seulement 4 cause Vardeur avec laquelle il velle sur le trésor amassé emprunts, et fait la sourde oreille 4 toutes les en garde venant du quotidien de la vie juri- fe, mais encore et surtout du fait que lui non ne lit pas les livres. Si vous voulez en croire ‘expérience, il mest souvent arrivé qu'on me le 4 Foccasion un livre prété, plutét qu'on ne it lu. Ce serait alors ~ demanderez-vous ~ la marque propre des collectionneurs que de ne pas fire! Voila qui est nouveau. Eh bien, non. Les ‘experts vous confirmeront que c'est au contraire fort ancien, et je me bornerai a citer la réponse que 45 France, lui encore, tenat en réserve 4 destination du béotien qui admirait sa bibliothéque pour en arriver finalement 3 la question inévitable :« Et vous avez hu tout 2, Monsieur France?» ~ «Pas le dixiéme. Ow bien est-ce que par hasard vous dineriez tous les jours dans votre service de Sévres? » De la légitimité d'une telle attcude, au demeu- rant, j'ai fait l contre-épreuve. Durant des années = soit un bon premier tiers de son existence jusgu’'a maintenant , ma bibliothéque n’a pas consisté en plus de deux ou trois angées, qui ne croissaient que d'un centimetre par an. Ce fut son époque martile, Puisque aucun livre navait le droit d'y penéerer avant que je ne lui aie pris son mot d’ordre, que je ne Vaie In. Et je ne serais done peut-éere jamais par ‘venu 3 constituer ce qu’on peut appeler, au regard de la discussion, une bibliothéque, sans Vinflation qui tout 3 coup fit basculer V'accent mis sur les choses et mua les livres en. valeurs réelles, ou du ‘moins en biens dificilement accessibles. Telle sem- bat en tout cas la situation en Suisse. Et c'est de B bas effectivement que, a la douziéme heure, je fis ‘mes premiéres commandes assex importantes de livres, et pus eneore mettre en sireté des choses aussi irremplagables que Le Cavalier blew ou La Ligende de Tanaguil de Bachofen, encore trouvables chez l’éditeur & époque. ~ Bon, estimerez-vous, aprés tant de déambulations en tous sens, nous devrions enfin déboucher, en matigre d'acquisi- tions, sur cette large rue qu’est lachat. Oui, une large rue, mais pas tranquille pour autant. Les achats 46 «du collectionneur de livres offrent trés peu de res- semblance avee ceux qu’effectuent, dans une libra rie, un éuudiant pour se procurer un manuel d’en- seignement, un homme du monde pour faire un ‘eadeau A sa dame, un voyageur de commerce pour labréger son prochain trajet en chemin de fer. Mes plus mémorables, je les a faits en voyage, tel un pas- fant. Lientrée en possession et avoir ressortssent at “domaine de la tactique. Les collectionneurs sont des Aindividus pourvus d'instinct tactique ; d’aprés leur rience, lorsqu'ls conquiérent une ville étran- le magasin de livres anciens le plus minuscule signifier un fort, a papeterie la plus éloignée position clé, Combien de villes ne se sont-clles ouvertes devant moi au cours des marches avec uelles je partas 4 la conquete de livres Certes, seule une partie des achats les plus 3s passe par la visite rendue & un commer it Les catalogues jouent un rble bien plus grand aussi parfaitement que acheteur connaisse le commandé de la sorte sur catalogue, l'exem- recu reste toujours une surprise, et la com- garde toujours quelque chose d'un hasard. 5,4 c6té des déceptions cuisantes, ily a les trou- gui vous comblent de bonheur. Ais, je me jens d'avoir un jour commandé, pour ma collection de livres d’enfants, tel live avec “Images en couleur uniquement parce qu'il renfer- ‘ait des contes d’Albert Ludwig Grimm et que son flew de publication s'appelait Grimma, en Thuringe. ‘Or de Grimma provenait un fablier justement édite "7 par ce méme Albert Ludwig Grimm, Et le fablier fn question, dans 'exemplaire possédé par moi, était avec ses seize images le seul témoignage qu'on ait conservé des débuts du grand illustrateur allemand Lyser, lequel vécut Hambourg au milieu du sidcle précécent. Eh bien, ma réaction ila consonance des hhoms s'était_montrée exacte. Li également, je découvrais 8 nouveau les travaux de Lyser, 3 savoir ‘une ceuvre ~ Linas Miichenbuch (Le Livre de contes de Lina) — restée inconnue de tous ses biblio- ‘graphes, alors qu'elle mérite une mention plus déaillée que celle-ci, la premiére que je fasse. On n’en a mullement fini, dans acquisition des livres, avec argent seul ou avec la compétence seule, Et méme les deux ensemble ne sufisent pas pour fonder une authentique bibliothéque, qui garde toujours quelque chose 'impénétrable et incomparable en méme temps. Pour acheter sur catalogue, il faut encore avoir, outre ce qu'on vient de nommer, un flair subtil. Les dates, les liewx, les formats, les propriétaires antéricurs, les reliues, etc, tout cela doit parler 3 Vacheteus, et dire des choses nnon pas séchement cloisonnées dans leur en soi et Pour soi, mais consonantes au contraire, et Ini de son cété doit pouvoir reconnaitre, d'aprés Iharmo- nie et Vénergie de la consonance, si ce genre de livre Iui revient ou non. Ce sont encore de tout autres capacités que requiert du collectionneur une vente aux enchéres. Au lecteur de catalogue doit parler sculement le livre, et en tout état de cause son Dropriétaire antérieur si la provenance de l'exem- 48 plate se trouve établie, Mais quand on veut interve hur dans une vente aux enchéres il faut diriger son attention parts égales sur le livre et sur les concur- rents, et en outre garder suffisamment la téte froide pour éviter de sacharner dans une lutte entre rivaux ~ comme cela se produit chaque jour ~ et de ‘ester finalement accroché, avec un prix d'achat ~ evé, au niveau of on a surenchéri, davantage pour ir sa place que pour acquérir le livre. En che compte parmi les plus beaux souvenits du ctionneur Tinstant od il a bondi au secours livre auguel il n’avait peut-ttre jamais consacré pensée dans sa vi, & plus forte raison un sou- parce que le live en question restait ainsi sé, abandonné sur le marché libre et que lui etait, comme dans les contes des mille et une le prince peut acheter une belle esclave, afin fui donner la liberté. Pour le collectionneur de ,en effet, la vraieliberté de tous les livres se quelque part sur ses propres rayon Tel un monument de mon expérience la plus te de vente aux enchéres, se dresse aujour- encore dans ma bibliothéque, au-dessus de 1s rangées de volumes frangais, La Peau de cha- de Balzac, C’était en 1915 4 la vente Riimann’ 1. De Anhur Riimann (1888-1963), auteur d'études Whtiographiqus sur Dore, Chodowiecks, Daur, sur le Wore allemand ius des 18 et 19" sles, encore sur les ‘eu ives iss pour enfants, Rumann éathu-méme fallectonneue [Nd T} 49 chez Emil Hirsch, un des plus grands connaisseurs de livres et en méme temps un des plus remar- quables vendeurs. Lédition en question parut en 1838 Paris, place de la Bourse. Juste en prenant ‘mon exemphaire en main,j/apergois devant moi non seulement le numéro de la collection Riimann, mais surtout l'étiquette de la libraiie oi Pacheta le premier acquéreur il y a quatre-vingt-dix ans, pour Te quatre-vingtiéme de son prix actuel environ. Il stagit done de la papeterie I. Flanneau, Fameuse Epoque que celle of! des ceuvres aussi somptucuses ~ car les gravures sur métal de ce live ont été dessi- nées par le plus grand dessinateur frangais et exé- cutées par les meilleurs graveurs — of done un pareil livre pouvait encore s'acheter dans une pape- Aerie. Mais je voulais raconter Uhistoire de son acquisition. Jétais venu chez. Emil Hirsch pour exa- miner la collection au préalable, j'avais fait passer entre mes mains quarante ou cinguante volumes, et celui-ci en souhaitant ardemment ne plas jamais, devoir le licher, Vint le jour de la vente aux enchéres. Un hasard youlut que dans Vordre d’appel cet exemplaire de La Peau de chagrin fit précédé par la série compléte de ses illustrations en tirés 4 part sur chine. Les enchériseeurs étaient assis a une longue table ; de biais en face de moi, Thomme sur lequel convergérent tous les regards dans la vente qui allait s'ensuivre: le baron von Simolin, le fameux collectionneur munichois. I] s'intéressit 3 cette série, ne manquait pas de concurrent, bref on cen vine & une lutte sévére, dont le résulta fut Voffte 50 la plus élevée de toute la vente, un prix dépassant largement 3000 reichsmarks. Apparemment, per- fonne ne sétant attendu 4 une telle somme, un ‘mouvement traversa les présents. Emil Hirsch nen pit pas note, et soit pour épargner du temps, soit pour d'autres considérations il passa au numéro sui~ ‘Yant, dans T'inattention générale de Vassemblée. I le prix, je montai un peu au-dessus avec un me battement de ceeur et en ayant clairement ‘ence de ne pouvoir rivaliser avec aucun des collectionneurs présents. Mais le commis- -priseur, sans contraindre 'atention de Vassem- procéda adjudication avec les formules en , «plus personne» et trois coups de marteau ‘ce qui me concerne, ils me parurent séparés les des autres comme par une éternité, Pour moi, , la somme était encore bien assez élevée' Ja matinge du lendemain au mont-de-piété ne plus partie de Whistoire ; au liew de cela je pré- évoquer un événement que j’appellerai volon- Je négatif d'une vente aux enchéres. C’était A Berlin, année précédente, Proposée 4 la tne série de livres fort disparates quant & la ‘ou au sujet, parm Iesquels seuls méritaient quelques ouvrages rares ayant trait i 1. Vschae de La Peau de chagrin, lors de la vente de la ‘election Rimann, est mentionné dans le Jahrbuch der ‘Reherreve [catalogue annacl des prix des livres] par fap éd. Otto Harassowit, Leipzig, 1918, années XI et Wil, p2i,en date da 27 novembre 1916 [NT] 51 Voccultisme et i la philosophie de la nature, en chérisais sur certains d'entre eux, mais ne tardai pas & remarquer dans les premiers rangs, chaque fois que Finterenss, un monseur qui semblit wate que mon offre pour lancer la sienine 4 n'importe auelle hauteur. Apres avoir sufisamment wu ete experience se répéter,j'abandonnai tout espoir d'ac- quétir le livre auquel je tenais le plus ce jour-h. Crétaient les précieux Fugmente aus dem Nachlase ines jumgen Physikers (Fragments des ceuvres post- ‘humes d'un jeune physicien), que Johann Wilhelm Ritter avait publiés en 1810 4 Heidelberg, en deux volumes. Leuvre n'a jamais connu de réimpression, ‘mais la préface ot éditeur donnait une présentation de sa propre vie sous forme d’éloge funébre pour un ami anonyme prétendumene défunt qui n'état autre que lui-méme, cette préface donc mest apparue depuis toujours comme la prose de style personne! ‘ha plus significative du romantisme allemand. A T'ins- fant od on appela Je numéro, me vint une illumina- tion. Toute simple : comme mon offre allait procurer infailliblement le numéro a autre, je pouvais n’en faire aucune. Prenant sur moi, je restai muct, Alors se produisit ce que javais espéré: pas d'intérét soulevé, pas dof, le live Fut retire. Je jugeai bon de laisser passer quelques jours encore, Et en effet, lorsque je éapparus au bout d'une semaine, je découvris le livre chez le libraite, et je trai donc profit, en I'ac- quérant, du peu d'intérét qu'on lui avait témoigné, Que de souvenirs ne se pressent-ils pas, une fois qu'on s'est rendu dans la montagne de cases pour 52 saraire les livres par une exploitation au jour, ou ux a la nuit tombée. Rien ne saurait mieux sivstrer le cBté fascinant de ce déballage que la dit- fheulté quion éprouve a Sarréter. Javais commence Amid cil était bien minuie avant que jaie entre prs les derniéres caisses. Mais voili qu’ la fin me fombent entre les mains deux volumes cartonnés fen point, qui strictement parler n'ont pas du leur place dans une caise de livres; deux de figurines! en papier pressé que ma mere collées quand j'étas enfant, et dont jai hévté. sont li les semences d'une collection de livres ‘enfants qui aujourd'hui encore continue sans pousser, bien que ce ne soit plus dans mon = IL n'existe pas de vivante bibliothEque qui chee elle un certain nombre de créatures ues venues de zones frontaliéres. Ce ne seront forcément des albums de figurines ou des de famille,ni des autographes ou des reliures pandectes ou textes élifiants a Tintéricur collectionneurs sattacheront aux tracts et tus, d'autres encore aux fic-similés de seri ou aux doubles dactylographis de ives wables, et 4 plus forte raison les revues peu- former les bords prismatiques d'une i2que, Mais, pour revenir & ces albums, hér ‘st & vrai dite le plus solide moyen de parvenir 3 1, oben A origine; eis en ie stelle, Benj ‘win évoque ici des images naives, fortement colorées, tes Pun papier presé qui leur confére un tebe [NT]. 53 tune collection, Car Patitude du collectionneur vis ‘vis de ses richesses prend source dans le sentiment obligation que le possédant a cnvers sa possession ‘st done Tattitude de Ihéritier au sens le plus élevé. Une collection a pour plus beau titre de noblesse de pouvoir se léguer. En disant cela, 'x fort précisément conscience — vous devez le savoir ~ qu’une telle évolution du monde des représenta- tions investies dans Lacte de collectionner renfor- cera beaucoup d'entre vous dans leur conviction que cette passion est intempestive, et dans ls Iméfiance qu'ils éprouvent 3 l'éyard du type du col- lectionneur. Rien n'est plus étranger 3 mon propos que de vous ébranler dans cette opinion ou dans cette méfiance. Et il faudrait encore ajouter une derniére chose :le phénoméne de la collection, en perdant le sujet qui en est artisan, perd son sens. Sill se peut que les collections publiques soient ‘moins choquantes sous laspect social et plus utiles sous Vaspect scientifique que ne le sont les collec- tions privées, celles-ci seules rendent justice aux objets cux-mémes. Au demeurant, je sais que sur ce ‘ype humain dont je parie ici, et que j'ai représenté devant vous un peu ex ofc, la nut est en train de tomiber. Mais comme le dit Hegel: c'est seulement avec l'obscurité que la chouette de Minerve com mence son vol, C'est sculement 3 Theure od il s'éteint que le collectionneur est compris. Mais voici que minuit a déji sonné depuis longtemps devant la dernire case videe 3 dem D’autres pensées m’emplissent que celles dont js) 54 yurlé. Non pas des pensées; des images, des souve- ts. Souvenirs des villes of j'ai trouvé tant de choses: Riga, Naples, Munich, Danzig, Moscou, Hlorence, Bile, Paris; souvenirs des somptucuses salles munichoises de la librairie Rosenthal; souve- ‘hits du Stockturm’ de Danzig, of habita le défant Rihaue, de la cave aux livres moisis de Sien- Berlin-Nord; souvenirs des slles de séjour of t place ces livres, de ma turne d’étudiant 3 ich, de ma chambre 3 Berne, de la solitude de ld sur le lac de Brienz et enfin de ma de garconnet, d’oi_proviennent juste quatre ou cing’ des plusieurs milliers de ui commencent a s'amonceler autour de Bonheur du collectionneur, bonheur de privé. I! n’existe personne qui ait donné A moins de recherches et nul ne s'en est mieux que cet étre qui a pu continuer son existence famée sous un masque 4 la Spitzweg’. Car 1 de lui ont élu domicile des esprits, du de petits, qui font que pour le collectionneur, | Reste de fortifications anciennes,cete tour emble- de la ville de Danzig a longtemps servi de prison, désignant un instrument de bois pour entraver les pi Le Hans Rhave dont pare Benjamin semble di identifier [NT]. “Franz Cask Spiteweg (1808-1885) a peine avec des scénes vues relatives la vie des petits-bour- Wm des originaux de Tépogue Biedermeier (entre Seve Le Podte pre, 1839, 04 La Let d'amour, 1845, 208, ‘owmpter un Amateur de lr) [Nd-T) 55 JJentends le vrai, le collectionneur tel qu'il doit étre. la possession es a relation ls plus profonde que l'on Puisse entretenir avec les choses ion qu’alors elles Pour colletionneus pauvres soient vivantes en lui, c'est Iui-méme au contrite qui habite en elles, Ainsi ai-je édifié devant vous un de ses réceptacles, dont les livres fourissent les Picrres de construction tle voici & présent qui dis- parait dedans, comme il est juste et bon. est comprehensible que, parmi les nombreuses méme de rendre un livre curieux et unique yeux d'un collectionneur, puisse également de temps a autre son prix d'achat ; que Justifie par son importance un grand effort sureux propriétare, ou qu'il représente par sa ge un triomphe de ses qualités de limier les deux cas s'en trouvera augmentée la joie 4 acquisition. En principe naturellement ne parler ici que du second cas - il n’existe livre, aussi précieux soit-il, qu'on ne saurait ir 4 un prix bon marché ou méme « cadeau ‘dans la pratique, les choses se présentent diffé- tant donné que, chez nous dr moins en ic, a main privée saffaiblit de plus en plus Ja quantité de livres tombant dans le circuit commerce officiel de la librairie de livres va sans cesse en saccroissant, on voit d’un es prix céder un peu de terrain par suite d'une Ce texte a déji fait objet de plusieurs traduction ¢1 fangais, celle de Mare B, de Launay dans L'Humidité n° 25 printemps 1978, reprise dans Epi, janvier 1982; celle : ; Murda Busses Suck Le Papuan oo meet, anaes surabondante, tandis que de autre se raréfient Acembre 1981; celle de Jean-Francois Poitier et Jon plus en plus les livres échappant au traitement Lacoste dans Walter Benjamin, Image de pense, Chris. __-Smyptent des libraires anciens et suscepribles dere Bourgois 61998, ‘olevés pour rien 4 un innocent. Or, comme il doit 57 étre question ici du livre bon marché, il nous semble plus utile, au lieu de livrer en piture, pour amusement, quelques anecdotes sur des cas d’ex ception, sur la chance légendaire du trouveur le long des quais de Paris ou méme ~ ce serait déji plurét Vexpérience vécue d'un Miinchhausen bibliophile ~ dans les voitures a lives berlinoises, i ‘nous semble plus utile, donc, @'attirer Tattention de Tami des livres sur quelques possibilités qui, avec la meilleure volonté du monde, ne peuvent lui cotter bien cher, et sur des domaines of n'a pas encore débuté la formation des prix Mais avant que nous admettions le novice dans ce pays de Cocagne de la bibliophilie, celui-ci pourra glutonnement faire son chemin dans ls montagne de riz que représente la réflexion sui- vante la production croisante de livres, en accélé- ration constante jusque trés récemment, a eu pour conséquence que s'est glssée, entre les livres anciens ‘is dans le commerce par la librairie spécialisée et les livres nouveaux de la librarie d'assortiment, une troisiéme catégorie intermédiaire bien diseréte dont personne ne s'occupe et qui attend sans la moindre défense le collectionneur prét 3 leur don ner asile: ce sont les livres veil. Le commerce de livres anciens forme encore des prix pour ce genre douvrages vieilis et disparus, quand ils appartien- nent 4 la production de jeunesse d'écrivains exes en renom. Pour Hier de Hofinannsthal, ou Vie quot dienne de Rilke, le collectionneur est obligé de dépenser sans compter. Dés quien revanche il s 58 me ves es premires rues dates qu n'ont pas particuliérement un rang européen, il voit fost i coup devant ba des brochures e des pes volumes pour lesquels on ne lui demande pas beau- ‘coup plus que le coi du paper. Ilva de soi que de Ibs ouvrages — on va en citer immédiatement ques-uns ~ en disent souvent tout autant pour signature litéraite de leur époque, et méme re plus que les esas titonnants de poétes qui sont trés t5t hissés dans une sphére supérieure fla proposition que nous avons 3 faire serait de ses yeux vers les premieres ceuvres des écri- pas fianchement éminents, ou davantage re vers les petits lives parfois extrémement ants de ces auteurs disparus qui n’allérent js au-dela de deux ou trois volumes: gens qui Jaissrent pas d’ceuvres rEunies, qui n’occupérent plus de quelques centimétres dans les his- de la htérature, et qui néanmoins ont & dire leur époque des choses bien plus nowbles que yup d'autres €crivains qui sont arrivés. Ft dans un bean désordre, maintenant, quelques de petits crits ainsi veils ou d'éerivains dis- de ces derniers temps: en tee, nous placerons Wedekind’, le frére du dramaturge, auteur du 1, Donald Enzelin Wedekind (1871-1908), esprit sen= tt talenteux pour ceux qui Font approché, met fn 3 jours en 1908. Les principaitx ditionnaires de la htéra- toujours pas ses Grits roman Ultra montes aux Editions von Costenoble Tena, présentement ln maison de pointe pour les ‘ouvrages sur la technique du bois. Donald Wedekin! a publié en outre quelques petits volumes de kttéra ture érotique, Seul, semble-til, a pris note jusqu'ic: de son existence Ferdinand Hardekopt’, et ce demic: Saffirme ausi dans notre série avec beaucoup dc dignité par ses premiéres ceuvres, le mervelleux di logue Der Abend (Le Soir), les captivanes Lesesticks @Pigces de lecture). On reste toujours dans |i ‘meilleure compagnie en se tournant vers les pre ‘mires euvres d'un Salomo Friedlaender’, dont on pout se borner A citer ici deux petits livres aussi dis parates que Rosa, Die sce Schutzmannsfiu (Rosa, i belle femme de policier) et Logik fir Arbiter (Logiqu 1 Fefinand Hardee (18761957) ws lig deus mines recs gn scr sont gs spon e Teste Hao cede ent 1911 e 19163 Pane des praca vu ‘du jeune mouvement, Die Aktion (Nod. T]. oe 2 Som ‘edaener (87-1946), sous le pseu done de Mynona ngrme de anny) «put dns ites eer xpress ds tet dnt ‘tporgucn Il dent double exsence pic, ¢ Sex +Sonnet crimindss sont ane apologe cyique eurtierinclectuel dirigée conte 1k morte bour- Webe Frank Wedckind ct Carl Stereim ont influence Se thts, non pubié pour une grace prt. tend 3 som- ‘er parla ite dans a héraur rive (NT. 6

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