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Histoire et économie J.K, GALBRAITH 1929: KRACH A WALL STREET Px EG Sous fa prisidence da Calvin Coolidge, iy enum toon économique aux Etats-Unis. Cepend Teposat sr des bases masaines. Hover ayant suchd& Cong, suit wn 1828 a yanque bourse ql 8. ua Amin Etats-Unis, 1929 — Lorsque, le 6 novembre 1928, Herbert Hoover succtde & Calvin Coolidge, c'est te. technicien de ta prospérits » qui semble presider a la prosperité. « Nous, en Amérique, s'éerie Hoo- ver, nous sommes plus prés du iriomphe sur la pausreré gu'aucun peuple ne Ua jamais &é au cours de son histoire, » Moins d'un an plus tard, le 21 octobre, c'est la plus grande panique de Vhistoiee finan- ciére qui débuse aux Etats-Unis et ses conséquences se feront sentir en Europe, donnant ainsi une dic ‘mension mondiale d la crise du capitalieme, SS HISTOIRE ET ECONOMIE: ‘indice des prix des 25 actions indus- I itielles du New York Times, qui était de 110 au début de 1924, est passé a 135 au début de 1925, Le 2 janvier 1929, il a atteint 338,35, Le boom de économie américaine, en 1928, a provoqué une montée de la spéculation d'une ampleur sans précédent, Prés d'un mil- lion de personnes jouent & la Bourse ; le jeu a Wall Street est encouragé par les banques, par Findustrie et par le gouvernement. Trois raisons au moins incitent les gens a acheter des actions en 1929, Pour les uns, il sagit de participer aux bénéfices réalisés par lune entreprise. Pour autres, les plus nom- breux, c'est un moyen de s'enrichir. Enfin, ily a les spéculateurs, qui achétent les actions en fai- son du boom et sont pres a s’en debarrasser ds les premiers signes d'un malaise. La spéculation est bien organisée. Pendant les heures de Bourse, es téléseripteurs font connai- tre dans tout le pays les transactions qui s‘effec tuent & Wall Street. Des milliers de bureaux ont ainsi 8 eréés dans tous tes Etats-Unis : on y re- 4goit les ordres de Bourse, qui sont transmis a ‘Wall Street. Au bout de quelques minutes, le client regoit confirmation de son ordre d’achat fou de vente, Aucune enquéte préalable n'est faite sur le capital des nouveaux clients, qui, grice 4 une petite provision immédiatement versée, peuvent acquérir des actions cofitant trois 4 cing fois plus. Les intermediaires font credit pour le reste, En fin de compre, c'est Ia banque d’émission qui met ses crédits & la dis- position des clients. En. 1927, ces crédits de Bourse atteignent 3 milliards de dollars. Au cours deete de 1929, ils augmentent au rythme {de 400 millions de dollars par mois. En septem- bre, ils atteignent 7 milliards de dollars. Avec l'augmentation journaliére des transac- tions a Wall Street, de nouvelles categories dlacheteurs se pressent sans cesse a la Bourse. ‘Comme personne ne veut se débarrasser de ses. actions sans un bénéfice substantiel, les cours ‘montent verticalement, Une folie de spéeulation Sempare des fats-Unis. Au cours de cette pé- riode, presque tous ceux dont elle s'est emparce gagnent de l'argent, Jamais on ne s’était enrichi de cetie maniére, ni si vite. Le samedi 19 octobre 1929, on apprend que le seerétaire Etat’ au Conimerce, Lamont, connait des difficultés pour se procurer sur les fonds d'Ftat les 100.000 dollars nécessaires entretien du yacht Corsair; dont le financier John Pierpont Morgan vient de tire don au gouvernement. La presse a fait état, Ia veille, d'un marché faible et Vindice des valeurs du. ‘New York Times a chute de 7 points. En quel ‘ques heures, 3488 100 actions changent de mains, et 'indice du New York Times enregistre tune nouvelle baisse de 12 points, Le dimanche, Ja dépression A la Bourse fait les gros titres des journaux. Mais on atiend wne intervention de soutien du marché Le lundi 21 est un jour sombre. Les ventes actions atteignent un sommet avec 6 091 870. transactions. Linguiétude sempare des cen- suivent l'évolution de la situation. Le ticker (te [eseripteur) ne rend compte de la situation qu’avec retard, On a le sentiment que l'on peut Gire complétement ruiné, et ce, sans le savoir. Toutes les dix minutes, les cours des actions Slimpriment sur fa bande de Fappareil : Pécart se ercuse & vue dail entre Jeur valeur préce- dente et celle qui s'inscrit. De plus en plus, on se dit qu'il faut vendre. Cependant, a fa ferme: ture du marché, les cours se sont raffermis et indice des valeurs du New York Times n'a bais. s€ que de 6 points oursuivra des. mois durant. Une conclu: sion sera trouvéo aprés une tournbe triomphale a travers le pays. En dépit des dedasztions rassuramtes du Pr Fisher, selon qui «la spéculation ne touche ‘qu'une frange marginale du marché », le 23 oc- tobre, les réves de nouveaux gains se transfor- ment en lourdes pertes. 2 600 000 actions sont Schangées a des prix catastrophiques. Une heure avant la fermeture de Wall Street, 'indice tombe de 415 4 384, retrouvant le niveau de juin, Pour ajouter a la panigue, une tempéte de neige interrompt les communications dans le Middle West. Dans l'aprés-midi et le soir, des milliers de gens decident de se débarrasser de leurs actions, pendant qu'il est encore temps. La foule attend que Vemployé des buildings se précipite dans le vide A Washington, le Pr Fisher se montre plus ré= servé, Devant plusieurs banquiers, il déclare «Il n'y a pas dVinflation sur les valeurs sires, pour la plupart d'entre elles, du moins.» Ce- pendant, partout on annonce un soutien du ‘marché pour le lendemain, Le jeudi 24 — Ie « jeudi noir » — sonne le glas de la prospérité américaine. La panique régne a Wall Street. 12 894 650 actions changent de mains dans la journé On ne sait qui a mis en vente pendant les pre- mites heures d’ouverture une telle masse d’ac- tions ; on ne sait sit s'agit d'un amoncellement aecidentel de petits ordres ou de l'intervention de gros spéculateurs, En tout eas, les cours s‘ef- fondrent, A 11 heures du matin, ce qui avait et tun marché n’est plus que confusion et désordre. ‘La panique se propage dans tout le pays. Par- tout on se presse devant les tiokers et dans es ssuceursales des bureaux des courtiers pour sui- vre le naufrage. lls indiquent un effondrement Vertigineux. L'incertitude s'empare des gens qui ne pensent plus qu’a vendre. Oui, mais, de «leurs » actions, la plupart d'entre eux ne sont propriétaires qu'k 20-01 30%, et les cours ont deja baissé avant que lordre de vente ait &6 18 digé. Les indications des tickers retacdent sut la réalité et le public se debarrasse de ses actions 2 nimporte quel prix. A Textérieut, dans Broad Street, on entend des rumeurs de oltre. La foule s'est rassembiée devant la Bourse ; la police prend position pour protéger les lieux. On apergoit un ouvrier qui ‘vient accomplir des travaux dentretien sur le toit d'un des grands buildings. La foule, persua- dée qu'il s'agit d'un désespéré, attend qu'il se précipite dans te vide... A 12h 30, la galerie du public, & Wall Street, est fermée. ‘A midi, un élément nouveau intervient. En- fin, le soutien du marché, tant attendu, arrive, Les six banguiers les plus puissants de New York se réunissent a la banque Morgan, qui fait face a Bourse, en présence du secrétaire Etat au Commerce, Thomas W. Lamont. Tous tombent d'accord pour soutenir Je marché et mettre en commun 240 millions de dollars pour procéder a des achats massifs d'actions. A | sue de {a réunion, Lamont indique aux jour- aux qu'une petite panigue s'est emparée du Stock Exchange. Ii ajoute que ce malentendu st dO « plus a des raisons techniques qu’ une cause fondamentale p. Il dit encore que Ja situa- tion est susveptibie de s’améliorer. La nouvelle de la réunion des banauiers et des mesures de soutien se répand a la corbeille, Aussitt, les prix montent. Quelgues minutes plus tard, le vice-président de la Bourse de News ‘York apparait en personne dans la salle ct donne a haute voix des ordres d'achat a un ni- eau que l'on n’avait pas atteint de la journée. La confiance se rétablit et le marché connait a ‘nouveau une hausse, Il Mléchit quelque peu en. fin de journée, mais Ia baisse est de beaucoup inférieure a celle de la velle Ce raffermissement est de peu d'intérét pour les centaines de milliers de gens qui ont vendu leurs actions et vu s’effondrer leurs réves d’opus Tence. I est 20 heures lorsque le ticker termine I= compte rendu de oeite journée catastrophique. Dans les salles, les spéculateurs qui se sont dé- barrassés de leurs actions depuis le matin sont assis, prostrés, devant les appareils, Des représentants do trente-cing agences de transmission parmi les plus importantes se réu- nissent et déclarent aux journalistes que le mar~ ché est « fondamentélement sain» et qu'il est HISTOIRE ET ECONO SS SSS Weshington (1929), Conséquences ‘quatre milions de chémeurs. Les cones ‘accueil de New York sont surpeupés, Las distibutewss soupes populaies ofent un bol de café et un ‘morceau de pain pa jour. ‘«techniquement bien meilleur quill ne I'a été depuis des mois . Pendant deux jours, Pintervention du syndi- cat de soutien des banquiers se poursuit avec suecés. Les cours, dans l'ensemble, restent sta bles. La moyenne accuse une légére hausse le vendredi, mais recommence & baisser le samedi. Ona confiance dans intervention des bangues, (on lui ateribue le rétablissement de (a situation. Le New York Times écrit: « Rassurés en sa- chant que les banques les plus puissantes du pays sont prétes a empécher un retour a la pani- que, les milieux financiers sont apaises aujourd'hui. » Pour les pasteurs, la crise nest peut-étre pas tout a fait imméritée De tous edits ce ne sont que déclarations ras- surantes, Le colonel Leonard Ayres de Cleve- Jand, estime qu’aucun autre pays nvaurait pu surmonter aussi bien une telle-erise. Eugene M. Stevens, président de la Continental Ilinois Bank, déclare :« Rien dans la situation actuelle rautorise Pinguiétude.» Pour Walter Teagle, i n'y a aucun changement fondamental dans le marche du pétrole qui justfi anxité, Charles M, Schwab indique que l'industrie de Vacier @ conmu des progres reels, ajoutant que la situa- tion «fondamenialement sine» en est la cause. Bt le président Hoover reacherit : « Les principales asivtés du pays, cest-d-dire la pro- action eta distribution de biens, sont fondées sur des bases solides. Achetez maintenant, le prosperté est au coin de la rue. » Une soule note discordante dans ce concert optimise, Ia voix dv gowverneur Franklin Roosevelt, qu critique la «Fieve de spécula- tion » Le dimanche, dans leurs sermons, 1es pas- into del Bourse de Now York quelques jours vt rie ave Winston Corel, ocEtats-Uni, I vist la eile | 1 | teurs suggérent que ce fléau n'est peut-tre pas tout & fait immeérite, Pour la plupart des gens, la crise ext terminée et 'on va pouvoir se remettre a spéculer sérieusement. Les journaux sont rem: plis de perspectives encourageantes pour la se- maine 2 venir. Les actions, s'accorde--on & re connate, sont de nouveal 8 bas prix et il de- vwrait en résulter une fievre d’achat. Les jour- aux de 28 octobre déclenchent une offensive conceriée, incitant & des achats immédiats et massifs. Co méme lundi commence le désastre. Le lundi 28 octobre, 9 212 800 actions chan- gent de mains. Liindice des valeurs du New York Times accuse une baisse de 49 points La chute, en ee seul jour, est plus importante que celle qui a été entegisizee tout au long de la semaine précédente. Une fois de plus, le ticker Iaisse dans Nignorance des millions de gens gut ie savent pas exuctement ce qui se passe, sinon ue ga va mal On attend une nouvelle intervention du syn- dicat des banquiers. Elle ne viendra pas. Com- ment, en effet, un soutien, organisé ou non, pourrait-il enrayer eette frénésie de vente qui ‘est emparée de tous ? Une réunion se tient ce- pendant de 16h 30 a 18h 30a la banque Mor- an. Les banquiers déclarent a la presse : « La situation comporte des éléments encoura- Mais, Je « jour le plus long » dans 1 de cette crise se stue le lendemain, mardi. Les ventes massives d'actions interviennent tout de suite, Au cours de la journée, 16 410 000 actions sont jetées sur le marché ! Cette fois, c'est la ca- tastrophe ¢t la panigue s'installe. Si la semaine précédente avait vu le « massa cre des innocents», maintenant c'est au tour des possédants, hommes d'affaires et profes- sionnels, de faire 'amére expérience de legali- tarisme. Les banquiers se réunissent a plusieurs reprises dans la journée, mais sans résultat. Ce jour-li, leur prestige est encore plus bas que les. Ce gui caractérise le mieux la erise de 1929, ce sont les hauts et les bas qu'elle a connus, son Evolution en dents de scie. On passait de Mes- poir au désespoir. Ft méme le 30 octobre, on fp pas touche le fond, car la baisse se poursui- vra dans les semaines ei les mois & venir. L’in- dice des valeurs du New York Times, qui était tombé 4 224, le 13 novembre, sesituera & 58,46, Te 8 juillet 1932 1 Le probléme de savoir si une crise compara- ble a celle de 1929 pourrait se reproduire peut ‘ire posé. On ne peut en écarter Ihypothése. Si Histoire ne se répete jamais exactement de [a méme fagon, on ne peut cependant jurer de . Mais le jour od des gens importants re ‘commenceront a expliquer que cela ne peut se produire car les conditions sont « fondamenta- Tement saines », ily aura liew de s"inquiéter, J.K. GALBRAITH Hisioria- Magazine XX¢stécle,

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