A.

Maurois LETTRE A UNE ETRANGERE

Vous mavez parl de Paris, que vous naviez jamais vu, avec tant damour authentique que jai souhait vous le montrer. Je devrais plutt dire: vous aider le retrouver, car vous y avez tant vcu en pense que vous le connaissez mieux que moi. Vous avez err avec Quasimodo et la Esmeralda dans la vieilles rues autour de Notre-Dame, vous avez explor avec Rastignac des pensions de famille, aujourdhui dmolies; vous tes monte avec lui au Pre-Lachaise et vous avez, de cette colline, dfi la ville tendue vos pieds; vous avez accompagn Carco qui vous a rvle Montmartre, Romains, Belleville, Colette, le Palais-Royal et Sartre, Montparnasse. Les peintres, eux-aussi, ont t vos guides. Vous aimez la Seine, tendre et lisse, glauque et forte. Bref, vous venez ce rendez-vous avec Paris prpare par des annes dattente et despoir. Vous ne saurez pas tre due. Vous ne serez due, car Paris est plus parfait encore et plus divers que vous ne croyez. Je vous demande d'y passer des mois, peut-tre des annes, parce que sa varit est une de ses beauts. Le climat de Paris est sans excs. Le printemps y est tendre. Une brume bleute monte de la Seine. Un peu d'or flotte dans lair. L't qui suit est sans rudesse. Si vous restez Paris en t, vous ne le regretterez pas. Le Paris dAot est exquis : la chaleur sy fait caresse non brlure. Vous y dinerez en plein air, dans les restaurants du Bois, des ChampsElyses, de Montmartre. "L tout nest pas quordre et beaut, luxe, calme et volupt." Les beaux vers de l' "Invitation au voyage" ne sappliquent pas Paris quen partie. Le luxe nest pas ici ce qui plat. Mais lordre et la beaut, omi, certainement. Paris a grandi, au cours des sicles, comme une personne vivante, poussant dans toutes les directions ses membres et ses tentacules. L'histoire lui a impos des rsistances, mais l'a orn de monuments admirables. Il n'y a pas densemble architectural plus beau que celui qui va de lArc de Triomphe au Louvre et de la Madeleine au Palais-Bourbon. Descendre la Seine de Notre-Dame au Palais de Chaillot, cest vraiment suivre la voie triomphante de la France. Vous dcouvrerez vite que Paris est, pour la France, plus quune capitale. Paris est le cerveau de ce grand corps. Non que les provinces franaises ne produisent des hommes remarquables. Mais les grands hommes de province viennent tous se faire sacrer Paris. Un crivain franais, sil ne vit a Paris, doit tous les ans se replonger dans cet air o les ides semblent natre plus vite, ou prir aussitt si elles ne sont pas dignes de vivre.