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Philippe Favier
Exposition du 16 décembre 2008 au 17 janvier 2009
Vernissage mardi 16 décembre de 18h30 à 21h
Dans un entretien avec Jean-Maurice Montremy daté de Janvier 93, Jean Tardieu disait de la comédie
qu’elle est « le sentiment d’être dedans et dehors ». Le travail de Philippe Favier est empreint de cette
distanciation ironique.
L’ironiste dit autre chose que ce qu’il pense, mais à la différence du menteur ou de l’hypocrite, il fait
comprendre autre chose que ce qu’il dit. L’ironie s’arrête en chemin, et brise la continuité par trop
linéaire d’un discours, pour instaurer la dialogue. « Vanité » de la série MATA-HARI est ironique. Elle
fait montre d’une tonalité dérisoire qui incline une conscience neutre vers le sourire.
L’art est poreux comme un os et c’est à travers lui que les mondes communiquent. Le réveil de l’ardeur
morale à l’âge baroque se traduisit, entre autres, par l’apparition d’un nouveau discours sur la mort, le
QUOTIDIE MORIOR, lequel requiert une constante préparation à la mort, par le biais d’exercices
spirituels propres à en rappeler aux hommes l’imminence. La méditation sur le crâne et les efforts de
vision apriorique du cérémonial funéraire en font partie. Dans le travail de Philippe Favier, le propos
moraliste est atténué.
Approchez le crâne…au-delà de l’allégorie, il condense toutes les questions de la représentation. La
drôlerie s’allie à l’étrangeté, qui pourrait être terrifiante si elle n’était pas médiatisée, désamorcée par le
titre. Philippe Favier a été impressionné, enfant, par les squelettes de Lucas Signorelli (« La
résurrection de la chair » à la Chapelle de San Brizio). L’œuvre elle-même interroge, y compris dans
son mode de composition, à savoir le photogramme.
Le photogramme sur verre tiré sur papier baryté est selon la définition de Man Ray « une photographie
obtenue par simple interposition de l’objet entre le papier sensible et la source lumineuse ». Il
bouleverse nos habitudes et conventions liées à la perception visuelle, où le noir est perçu comme
forme et le blanc comme fond (par exemple la page blanche sur laquelle on trace des lettres noires).
Le photogramme opère un renversement de ces habitudes en produisant un effet de distanciation entre
l’objet réel de départ et sa représentation. Dans la vie courante on regarde les objets, mais rarement
leur ombre ; dans le photogramme, les ombres deviennent des objets de contemplation.
Et de songer à cette belle pensée de Tardieu : « L’espace : étant donné un point, que se passe-t-il
derrière ? ». D’ailleurs, le travail sur la graphie est une constante du parcours foisonnant de Philippe
Favier. La suite de gravures dites « Abracadavra » est née de la rencontre fortuite, sur un marché aux
puces, de l’artiste et d’un lot de plaques de cuivre ayant appartenu à un graveur de cartes de visite.
Dans le sillage du cadavre exquis surréaliste, l’artiste entremêle mots, rébus, figures. Ce prolongement
d’objet est, pour reprendre Philippe Favier lui-même, une »métempsycose laïque ». Le rébus, le
spectre, ou la douce ponctuation du manifeste et du latent. La graphie est un besoin assumé qui
« cloue le bec aux images ».
Mais chez cet artiste obsessionnel du classement et pourtant inclassable (qui s’en plaindrait ?), il y a
aussi la miniaturisation. Un travail se doit d’être regardé, pas simplement vu. Comme une mélodie se
doit d’être comprise et pas seulement entendue-enregistrée. Toujours entre l’équilibre et la chute.
Des paysages hantés de petits squelettes très affairés. Esseulés, ils errent, se déhanchent, imprimant
de leur fuite un long sillage. Squelettes miniaturisés au creux de vastes espaces, la série ETHER
D’AMBONIL joue avec les frontières imperceptibles de notre regard. Une histoire familière et
inquiétante nous est narrée : toujours la vanité. OMNIA VANITAS. De petites scénettes ou la mort
s'étire et mime nos travers. La mort se joue de nous. A regarder de plus près, elle est un éternel
mouvement. Ces petits os nous ressemblent et ils dispensent le docte enseignement de la ponctuation.
Les boîtes en bois théâtralisent leur monde, le circonscrivent. La couleur est le contrepoint de cette
énergie insufflée aux vivants. Un grand débordement qui s'écoule en ligne de fuite. Si le squelette est
l'architecture du vivant, cette suite en est la mise en abime dédramatisée. Philippe Favier a réussi à
nous faire don de petits sarcophages portatifs et méditatifs.
Françoise FAUCHE-GROS