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Troisième approche thématique :

LE PHENOMENE SUICIDAIRE CHEZ LES


PERSONNES AGEES

Les évènements, les ruptures, les tensions vécues.

En Bretagne, le suicide n’est pas une fatalité

CONFERENCE DE CONSENSUS :
Comprendre ensemble pour agir
Première partie : Débats de la séance publique

30% des suicides bretons sont le fait des 65 ans et plus. Ces chiffres pourraient être plus
élevés si l’on pouvait prendre en compte les équivalents suicidaires (glissement, refus de
s’alimenter…). Cependant, plus que les nombres ou les pourcentages, c’est la radicalité des
modes opératoires, la détermination à mourir, qui interroge la puissance publique en ce
qu’elle traduit le désespoir d’une frange de la population âgée. Cette interrogation est
d’autant plus nécessaire que la population des 65 ans et plus devrait progresser de plus 30%
à l’horizon 2030 de sorte que l’on peut craindre une augmentation du nombre de tels
suicides dans les années à venir.

Le processus de vieillissement s’accompagne d’un certain nombre de pertes (perte


d’autonomie, de sociabilité, de réseau, du conjoint, de revenu, de statut social…). La
situation est particulièrement critique passé 80 ans. Dans cette tranche d’âge, la part
croissante de personnes âgées vivant seules, l’augmentation de la dépendance et une
certaine paupérisation peuvent accentuer les sentiments d’ennui, d’inutilité, d’abandon,
multipliant en conséquence les risques de repli sur soi, d’isolement et par hypothèse de
suicide.

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1 INTERVENTION DU MONSIEUR PIERRE-YVES MALO, PSYCHOLOGUE
CLINICIEN :

Questions posées par le comité de pilotage :

 Quel lien peut-on faire entre la dépression, l’isolement et le suicide des personnes
âgées ?
 Quelles sont les grandes caractéristiques de cette dépression ? Comment la prendre
en charge ?
 Comment pendre en charge la grande dépendance et les souffrances qui lui sont
associées ?
 Quels sont les dispositifs existants en la matière ? Comment les optimiser ? Que
faudrait-il expérimenter en ce domaine ?

1.1 PROPOS LIMINAIRES


On ne parle pas beaucoup du suicide des personnes âgées qui, pourtant, existe dans
d'importantes proportions.

Ainsi, à 75 ans, on se suicide 3 fois plus qu'à 25, et à 85 ans, 4,4 fois plus. Cette surmortalité
par suicide est surtout marquée chez les hommes âgés qui, après 75 ans, sont 5 fois plus
nombreux que les femmes à se suicider. Le taux de décès par suicide des hommes est ainsi
dix fois plus élevé après 84 ans qu’entre 15 et 24 ans.

L’autre particularité est le taux particulièrement faible de parasuicide chez les gens âgés.
Ainsi, si à 20 ans on dénombre un suicide pour 22 tentatives chez les hommes et un pour 160
chez les femmes, après 65 ans, ces taux sont proches de un pour un chez les hommes et de un
pour trois chez les femmes. Cela dénote une forte intentionnalité du geste suicidaire chez les
personnes âgées, marquée aussi par les moyens utilisés, le plus souvent violents : pendaison,
défenestration, noyade, armes à feu.

Malgré cette terrible réalité épidémiologique, le suicide de la personne âgée reste un sujet peu
évoqué et donc peu connu du grand public. On peut penser que cela tient au fait qu’il s’agit
d’une classe d’âge où la mort est considérée comme habituelle, alors que chez les jeunes le
suicide apparaît toujours comme un scandale insupportable. Le regard porté est aussi biaisé

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par le fait que le suicide représente la deuxième cause de décès chez les 15-44 ans (15 % des
décès), alors qu’il ne représente que 1 % des décès après 85 ans.

Enfin, les représentations collectives et les attitudes culturelles face au suicide des personnes
âgées constituent en elles-mêmes des facteurs de risque du fait que les personnes âgées elles-
mêmes partagent ces représentations. Il arrive par exemple que des journaux saluent les
suicides des personnes âgées célèbres comme des gestes de courage et de fierté.

1.2 LES DETERMINANTS

S’il va de soi que les différents facteurs de risque s’intriquent d’une manière dynamique,
singulière à chaque personne, pour autant, certains facteurs de risque sont prépondérants et
l’on estime ainsi que 90 % des sujets décédés par suicide souffraient d’un trouble
psychiatrique majeur.

 La dépression

Cette pathologie se caractérise, entre autres par une diminution de l'estime de soi et un
sentiment d'incurabilité qui peuvent entraîner la personne au passage à l'acte suicidaire. Elle
représente le facteur de risque le plus important et, plus le sujet décédé est âgé, plus
« l’autopsie psychologique » retrouve fréquemment la dépression.

Or, si la dépression est fréquente chez le sujet âgé (la prévalence de l’épisode dépressif
majeur et de la dépression chronique est de l’ordre de 5 à 15 % chez le sujet âgé), elle est
souvent sous-diagnostiquée et pas ou mal prise en charge. Cette sous-estimation est sans
doute due pour une bonne part au fait que l’on considère collectivement que la tristesse et le
ralentissement sont inévitables dans le vieillissement. Cette tristesse perçue comme
« normale » ne sera donc pas prise en compte pour ce qu’elle est parfois : le signe d’une
pathologie grave. Ainsi, si dans la majorité des cas les personnes ayant commis un acte
suicidaire ont vu leur médecin traitant dans le mois précédant le geste, seulement 12 % des
suicidés bénéficiaient d’un traitement antidépresseur.

Une autre cause de sous-estimation tient au fait que la dépression du sujet âgé ne se présente
pas toujours sous la forme classique chez l’adulte plus jeune, associant tristesse, anhédonie,
idées noires, perte de l’estime de soi, ralentissement, troubles du sommeil et de l’appétit. La
dépression peut, chez l’individu âgé, se trouver masquée derrière un symptôme d’une autre
nature : agitation, confusion, hypocondrie, agressivité, trouble cognitif (pseudo-démence),
délire… qui prend alors le devant de la scène et rend le diagnostic de dépression moins
évident à formuler.

Quelle que soit la forme que prend la dépression, un certain nombre de facteurs peuvent
participer à la survenue du trouble et qui se rencontrent fréquemment au cours du
vieillissement. On peut notamment citer la solitude et l’isolement social, le veuvage ou la
perte de proches, le passage à la retraite, les problèmes financiers, l’entrée en dépendance,
l’entrée en institution, la douleur physique, les pertes sensorielles, ou encore certaines
médications, plusieurs de ces facteurs pouvant se potentialiser.

Il faut aussi noter que le risque suicidaire est particulièrement accru chez les personnes qui,
par le passé, on déjà traversé des crises suicidaires et on tenté de mettre fin à leurs jours.

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 Les troubles délirants
Ils peuvent favoriser le passage à l’acte suicidaire, par exemple pour échapper à un
persécuteur dans une psychose paranoïaque ou pour apaiser une culpabilité délirante dans
une mélancolie…

 Les états névrotiques


Sous l’effet d’un accroissement de l’angoisse, parfois dû à la proximité de la mort, il peut se
produire un effondrement du système défensif laissant alors resurgir une angoisse
insupportable propice à l’émergence de la crise suicidaire.

 Les troubles du narcissisme


Au cours du vieillissement, les pertes peuvent aussi être vécues au niveau du corps (perte de
capacités, d'attraction…), provoquant des "failles" narcissiques importantes, souvent à la base
de dépressions. Le corps devient un mauvais objet qui rappelle sans cesse sa condition de
personne âgée. Le suicide peut alors intervenir comme moyen ultime de faire disparaître ce
corps qui ne fonctionne plus. Le raptus suicidaire se produit alors parfois à la suite d'un
incident d'apparence minime, comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

 Les pathologies somatiques


En particulier les affections chroniques, douloureuses ou entraînant une dépendance forte
(telles que les atteintes sensorielles : surdité, cécité). Parfois, le facteur déclenchant sera
l’annonce d’une maladie avec un pronostic péjoratif (cancer, maladie d’Alzheimer…).

 Les facteurs environnementaux et familiaux


A ce niveau, à la croisée entre les dimensions psychologiques et sociologiques, l’isolement
social provoquant un sentiment de solitude est un facteur de risque majeur. Or, la perte des
proches de la même génération, la difficulté à se déplacer sont fréquents à cet âge de la vie.
L’éclatement géographique accru des familles amplifie aussi ce phénomène d’isolement.

 En fin de vie
Pourquoi se suicider alors qu'on va mourir ? Parfois justement parce que l'angoisse de mort
devient insupportable. Le suicide peut alors devenir pour la personne le seul moyen de
"maîtriser" cette mort et de sortir de cette angoisse. Les demandes d'euthanasie peuvent
avoir la même origine, mais l'expérience montre que c'est souvent la douleur ou la peur de
celle-ci qui les motive. Quand des traitements antalgiques efficaces sont prescrits, ces
demandes se font très rares.

1.3 LA PREVENTION

 Prévention primaire
Elle en est la pierre angulaire, mais aussi sûrement la plus difficile à mettre en œuvre.

Elle consisterait d’abord à changer le regard que notre société occidentale porte sur le
vieillissement, perçu essentiellement comme une accumulation de pertes entraînant un
retrait, une inutilité, propices au désengagement et à la tristesse.

Elle impliquerait ensuite une réflexion accrue sur le lien social tout au long de la vie et sur la
question de l’intergénération. L’accroissement de l’espérance de vie, s’il est bien sûr positif, se
traduit aussi par un étirement de la vie en solitaire au cours de la vieillesse. La lutte contre les
solitudes est donc plus que jamais essentielle. Elle passe par un travail local de renforcement
des solidarités de voisinage, dans les quartiers comme dans les campagnes. Elle peut aussi se

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concrétiser par la généralisation d’expériences actuellement menées d’animations à domicile
qui démontrent leur efficacité (cf. en Finistère, l’expérience de l’UDARPA 29), mais on peut
citer aussi les réseaux d’entraide, la mise en place de co-voiturage, les réseaux de sentinelles
(facteurs, commerçants…).

La solidarité économique est aussi un point non négligeable. Les dépenses entraînées par la
dépendance, à domicile comme en institution, sont synonymes de perte de la transmission du
patrimoine. Le sentiment d’inutilité peut alors se trouver doublé de celui de déposséder
chaque jour un peu plus ses enfants. On peut d’ailleurs noter que la fréquence du suicide est
plus importante dans les milieux défavorisés.

 Prévention secondaire
Le désir de mort est souvent exprimé de façon nette dans le discours du vieillard suicidaire. Il
ne doit pas être banalisé. La formation des médecins au dépistage et au traitement de la
dépression du sujet âgé est sans doute une première étape nécessaire à ce niveau, mais il
s’agirait plus globalement d’y sensibiliser progressivement l’ensemble du réseau
gérontologique qui prend de l’ampleur actuellement. La génération actuelle des personnes
âgées n’a pas été habituée à avoir recours aux psychologues et ne fera le plus souvent la
démarche d’en rencontrer un que si on l’y incite et lui explique ce qu’elle peut retirer d’une
telle rencontre.

Des actions de prévention du suicide peuvent être imaginées, telles que celle mise en place à
Saint-Etienne et qui consiste à maintenir un lien téléphonique régulier avec des personnes
âgées à risque.

On peut remarquer aussi que la psychiatrie de la personne âgée et très âgée n’existe
quasiment pas, alors que la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent existe depuis maintenant
30 ans.

Une attention particulière devrait être portée à la préparation de l’entrée en institution et à


l’acclimatation de la personne après l’entrée. On sait que trop souvent encore des personnes
âgées sont « placées » en institution, parfois contre leur gré. Or, les conditions d’entrée en
établissement accroissent les risques suicidaires, plus que l’institution en elle-même, et c’est
au cours du premier mois que les risques sont les plus élevés.

Des actions d’accompagnement des veufs et veuves devraient aussi pouvoir être plus souvent
proposées, le risque le plus important se situant au cours de la première année de veuvage.

1.4 CONCLUSION

La question de la prévention de la dépression et du suicide du sujet âgé ne peut se passer d’un


vaste débat de société. Le suicide des vieilles personnes, contrairement à celui des jeunes
aujourd’hui, est passé sous silence, dans l’opinion publique mais aussi dans le monde médical
ou celui de la recherche qui ne s’y intéressent pas. Or, ce n’est qu’en en parlant que l’on
pourra imaginer ensemble les réponses à y apporter.

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2 INTERVENTION DE MONSIEUR BERNARD ENNUYER, DOCTEUR EN
SOCIOLOGIE ET DIRECTEUR D’UNE STRUCTURE DE MAINTIEN A DOMICILE :

Questions posées par le comité de pilotage :

 Quelle prise en compte de cette perte et cet isolement dans le cadre des politiques
favorisant le maintien à domicile ?
 Qu’attendre en la matière des différents intervenants auprès des personnes âgées
vivant à leur domicile ?
 Comment améliorer la prise en compte de cette problématique ?
 Comment prévenir plus globalement le suicide des personnes âgées vivant à leur
domicile ?

2.1 QUELLES PRISES EN COMPTE PAR LES POLITIQUES FAVORISANT LE


MAINTIEN A DOMICILE ?

On pourrait répondre lapidairement que les politiques de maintien à domicile sont d’une part
largement sous-développées en France contrairement au « discours politique » qui fait du
domicile la priorité des politiques publiques depuis le début des années 19601….et que
d’autre part cette question de l’isolement, voire du confinement à domicile, a été très peu
étudiée. Quant au suicide à domicile des personnes très âgées, il n’en est quasiment jamais
question dans les colloques professionnels de gérontologie (pas de texte récent en dehors de
l’excellent numéro de la Revue Francophone de Gériatrie et de Gérontologie de Mai 2005,
relatant un colloque tenu à Nancy en Novembre 2003, numéro consacré au suicide du sujet
âgé). Pour être plus précis, depuis que les politiques publiques ont annoncé que le maintien à
domicile devait être leur priorité puisque répondant très majoritairement au souhait des
personnes vieillissantes, aussi bien l’insuffisance des heures d’aide à domicile attribuées aux
personnes âgées quand elles ont des incapacités importantes pour effectuer les actes
essentiels de la vie quotidienne que l’insuffisante formation professionnelle des intervenants
à domicile n’ont pas permis de résoudre cette question de l’isolement à domicile, faisant
quasiment porter tout le poids de cette question sur l’environnement familial qui n’en peut
mais, vu la charge de travail matériel et surtout psychologique que l’accompagnement d’un
parent âgé fait peser sur ce milieu familial2.

2.2 QU’ATTENDRE DES DIFFERENTS INTERVENANTS AUPRES DES


PERSONNES AGEES VIVANT A LEUR DOMICILE ?

On peut attendre des intervenants professionnels (médecins généralistes, aides à domicile,


aides soignantes, infirmières libérales ou salariées, kinésithérapeutes, pédicures, etc.) qu’ils
soient davantage sensibilisés dans leurs études à cette question de l’isolement et par
conséquent davantage formés pour repérer les situations à risque (veuvage, isolement accru,
épisodes dépressifs de tous ordres). Actuellement il ne semble pas que la question de la
dépression et du suicide des gens très âgés soit considérée comme importante dans les
formations en gérontologie, sauf peut être dans les secteurs spécialisés de la psychologie et de
la psychiatrie.

1ENNUYER B. (2006). Repenser le maintien à domicile, enjeux, acteurs, organisation, Paris, Dunod.
2DREYER P., ENNUYER B. (2007). Quand nos parents vieillissent, prendre soin d’un parent âgé,
Paris Editions Autrement.

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Il faudrait qu’au cours de leur travail, ces thèmes de l’isolement, de la dépression et du
suicide soit abordés par ces différents « soignants » dans les groupes d’élaboration des
pratiques professionnelles, comme cela existe par exemple dans certains services d’aide et de
soins à domicile.
En ce qui concerne les familles, extrêmement présentes dans l’accompagnement à domicile
de leurs parents vieillissants, le premier constat est aussi celui de leur isolement, car
beaucoup de ces familles accompagnent leurs parents tout seul faute de savoir ou de vouloir
demander de l’aide aux professionnels. Or quand leurs parents ne vont pas bien, souvent ces
familles se sentent coupables et ont encore moins le désir d’en parler à des professionnels
pour se faire aider, on verra plus loin que la solution de fond est que ces « choses là puissent
être parlées », cela veut dire que la société reconnaisse que le suicide des personnes très
âgées est une question qui se pose véritablement et qu’on doit absolument en parler.

2.3 COMMENT AMELIORER LA PRISE EN COMPTE DE CETTE


PROBLEMATIQUE ?

Au niveau individuel, on vient de le voir, il y a tout un travail de sensibilisation et de soutien à


faire tant auprès des professionnels du domicile, toutes professions confondues, qu’auprès
des accompagnants familiaux. Mais il nous semble évident que la réflexion de fond est à faire
au niveau collectif : Il y a un déficit colossal de réflexion en France, sur les questions de la
vieillesse, du vieillissement, du handicap et de la dépendance, mais aussi surtout sur la fin de
la vie. On ne pourra faire évoluer les façons de voir le suicide des personnes âgées que si on
accepte collectivement de poser la question de la grande vieillesse, de ses incapacités
éventuelles physiques et/ou psychiques, du sens que peut avoir cette vieillesse dans une
société devenue phobique de la mobilité, de l’instantané, de la vitesse, toutes « valeurs » que
le passage du temps vient mettre à mal.
Il serait donc urgent de réfléchir enfin à la question que posait le rapport Laroque en 1962….
« Quelle place peut et doit être faite aux personnes âgées dans la société française
d’aujourd’hui et plus encore dans celle de demain ? »3.

Comment prévenir plus globalement le suicide des personnes âgées vivant à leur domicile ?

Le maintien à domicile a été édicté en 1962 comme la priorité des politiques publiques, mais
de fait après le rapport Laroque fondateur de cette orientation, on peut dire qu’il n’ya plus eu
de véritable réflexion sur les moyens que suppose une telle politique, moyens humains et
financiers. Si effectivement ce maintien à domicile est fait « au rabais » avec peu de moyens
financiers, cela signifie à la fois des heures de présence et d’aide insuffisantes auprès des
personnes qui sont handicapées dans leur domicile, donc très concrètement un isolement à
domicile voire pour certaines personnes un véritable confinement à domicile dont on a vu
qu’ils pouvaient devenir des facteurs favorables à des tentatives de suicide. Cela signifie aussi
du personnel mal formé, mal encadré, mal payé… pour un travail qui justement demande une
formation excellente et un soutien psychologique important. Or malgré des efforts
importants de la part des services d’aide à domicile, les financements publics toujours
insuffisants dans le champ du domicile ne permettent pas une véritable prévention de
l’isolement et des syndromes dépressifs. Seule une nouvelle réflexion sur ce que veut dire
rester chez soi à domicile aujourd’hui couplée avec la réflexion collective que nous
demandions plus haut peut amener une véritable amélioration des conditions de fin de vie
des personnes très âgées et une diminution des suicides pour ces personnes.

3 Haut Comité consultatif de la population et de la famille (1962). Politique de la vieillesse. Rapport de


la commission d’études des problèmes de la vieillesse présidée par Monsieur Pierre Laroque, Paris, La
Documentation française, p. 4.

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3 INTERVENTION DE PATRICE GAUDY, CONSULTANT, ANCIEN GESTIONNAIRE
D’ETABLISSEMENT D’HEBERGEMENT POUR PERSONNES AGEES ET
DEPENDANTES :

Questions posées par le comité de pilotage :

 Quelle réalité du risque suicidaire en établissement ? (données de cadrage,


caractéristique et importance du phénomène)
 Quelle politique de prise en charge de la dépression et du risque suicidaire en
établissement ?
 Quelles sont les actions ou les améliorations à promouvoir ?

Comme chaque semaine, mardi dernier, je demande aux stagiaires en formation de me


présenter les résidents que nous prendrons en soin dés le lendemain matin. Parmi ces
résidents, Madame Paulette X, 80 ans, présente depuis huit mois dans l’EHPAD. Les dix
soignants (8 AS et 2 IDE) me la décrivent de la façon suivante :

Elle est arrivée dans l’Etablissement après un séjour à l’hôpital. Un accueil fait dans
l’urgence, sans repasser par le domicile… Elle marchait il y a encore quelques mois,
aujourd’hui les temps « debout » se limitent aux transferts lit fauteuil, après une toilette au
lit. Elle ne participe pas à sa toilette, peut même être opposante aux soins. Communiquer
avec elle est difficile.

Quelle perspective offre l’institution à cette dame (et aux autres résidents) aujourd’hui ?

- Devenir grabataire (plusieurs études ont montré que la perte de la marche était dans
80 % des cas, iatrogène),
- Perdre son autonomie,
- Ne plus être reconnue comme un être humain parmi les humains.

Comment, dans ces conditions, ne pas être dépressif ? Comment entretenir une pulsion de
vie contrecarrée par l’institution en présentant cet avenir là ? Mon propos n’est pas de mettre
en cause les soignants aujourd’hui. Pour travailler avec eux chaque semaine, je sais que ce
sont des personnes extraordinaires, le plus souvent qualifiées et expérimentées. Nous
sommes donc là face à un paradoxe : Des institutions qui rendent les vieilles personnes
grabataires en dépit d’un personnel soignant de qualité!

 Comment en est on arrivé là ?


Une première explication : Notre culture

Culture dans laquelle le patient, je dirais même le bon patient, est celui qui souffre et qui se
tait, qui patiente. Les soignants savent ce qui est bon pour lui, à sa place. Historiquement, le
patient n’est pas autonome. En témoignent les réflexions que l’on entend encore dans nos
services : « C’est pour votre bien, ça ne va pas durer longtemps … »

C’est également ce qui a été dit à cette dame opposée au soin qu’on lui imposait (une douche),
qui a subi ce soin, pour son bien, et qui, dans le quart d’heure qui a suivi, s’est jetée du
troisième étage, PROPRE ! Hors, préserver l’autonomie de nos résidents en prenant en
charge leur dépendance, c’est la base de notre métier. Considérer une personne dépendante
comme n’étant plus autonome, c’est détruire sa santé !

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D’autre part, et un grand publicitaire l’a bien compris, notre culture fait que, pour nous, un
bon patient doit prendre des antibiotiques et être … couché ! La toilette au lit est encore, dans
de nombreux IFSI, la principale toilette enseignée. En tout cas, celle choisie pour les MSP
(anecdote). Une culture du couché qui induit la grabatisation des vieilles personnes.

 Notre culture du soigner :


Les soignants des EHPAD vous le diront, lorsqu’ils voient partir un de leur résidents à
l’hôpital, la première question qui leur vient à l’esprit c’est : « Dans quel état va t il nous
revenir ». Non pas que l’on soit inquiet de la capacité de l’hôpital à faire un diagnostic
médical, à mettre en place des actions pour combattre la pathologie, bien au contraire. Ce qui
inquiète le soignant c’est la partie saine du résident, ce qui fonctionnait bien avant son départ
et qui, du coup, ne sera pas considéré et ne sera pas pris en soin.

Ainsi, Madame Paulette qui a été hospitalisée quelques jours pour un problème pulmonaire
bénéficie de soins pour ses poumons. Elle restera quelques jours alitée sans être verticalisée
dans la journée. A son retour dans l’institution, ses poumons vont beaucoup mieux.
S’agissant de la verticalité et de la marche, c’est beaucoup moins bien. Elle a perdu beaucoup
de forces. Parce qu’elle est fatiguée, elle sera de moins en moins mise debout, se retrouvant
sur la voie la plus directe menant à la grabatisation. Face à ces pertes cumulées, elle peut et
va dans le cas qui nous préoccupe, glisser dans la dépression. Cette dépression, non identifiée
et/ou non soignée peut cheminer vers :
a) le suicide actif
b) le suicide passif (syndrome de glissement)
c) une agressivité (encore pulsion de vie) qui peut se retourner contre les soignants.

Mise hors humanité, elle va rejoindre la troupe des vieilles dames dites sauvages ou en
syndrome d’immobilisme. Dans le cas qui nous intéresse, la dépression de Mme Paulette X va
être identifiée et traitée par une chimiothérapie adaptée. Cela suffit il ?

 La mise hors Humanitude :


Les études ont montré que Madame PAULETTE risque de ne plus se reconnaître comme un
humain parmi les humains. Lorsqu’elle est regardée par les soignants, quand elle l’est, leur
regard lui signifie sa non ressemblance aux humains. En effet, inconsciemment et
naturellement, les soignants ne regardent pas suffisamment les personnes âgées en général
et celles qui souffrent de troubles mnésiques en particulier. Une réaction de défense, de
protection inconsciente face à l’insupportable : l’extrême vieillesse et la mort.

Comme le dit BERTRAND VERFAILLE : « Quiconque est mis en présence d’un paquet de
douleur, y compris dans le cadre des relations les plus intimes, a un mouvement de
répulsion et veut réduire cet objet, en oubliant que dans l’affaire, il y a un sujet. »

J’existe dans le regard de l’autre, je ne peux pas exister autrement. Anecdote « Grignette »

Il est difficile de communiquer avec une personne qui ne vous répond pas ou qui a des
réponses non raisonnées. Il a été mis en évidence que les temps de communication avec les
soignants sont très faibles : 120 secondes par 24 heures, ce qui ne permet pas, là encore à
Madame PAULETTE d’être maintenue dans le monde des humains.

Les touchés dont elle bénéficie sont des touchés techniques, protocolisés : les soins, la
toilette. Elle peut avoir l’impression de n’intéresser l’autre, le soignant, que si elle se trouve
enfermée dans des difficultés : la souffrance, la dépendance et, du coup, trouver un intérêt à
rester dans cette situation pour que le soignant continue de s’occuper d’elle !

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Ce touché technique, contrairement au touché tendresse, risque parfois d’être vécu comme
agressif. Dans tous les cas, il n’autorise pas le bénéficiaire à se reconnaître comme
appartenant au groupe des humains.

Nous avons tous besoin d’être regardé, d’échanger de communiquer, de toucher et d’être
touché pour exister. Le régime de CEAUCESCU, en Roumanie, a mis en évidence que des
enfants qui n’étaient pas regardés, auxquels on ne parlait pas et que l’on ne touchait pas
tendrement mouraient ou développaient des troubles psychiatriques graves.

Penser que cela serait sans conséquence sur nos vieilles personnes est une hérésie !

Alors quelle politique pour nos institutions ?

 Une politique de respect de l’autonomie :


Former les soignants à reconnaître l’autre non plus comme un tout autre, qui n’est pas moi,
mais comme un semblable, comme une personne unique, AUTONOME, qui a des problèmes
de santé ou qui s’en préoccupe, à laquelle je vais apporter mon aide, sans faire à sa place, en
lui proposant de mettre, à sa disposition, mes connaissances, mon expérience.

 Une politique du prendre soin :


C’est revoir toute l’organisation de l’institution en permettant à l’infirmière de remplir son
rôle propre.

Nous avons vu qu’il y a une réelle nécessité à évaluer, la pathologie bien sûr, mais également
les capacités restantes de la personne, sa partie saine pour fixer un objectif de soin qui me
permettra en fonction du pathos soit :
- de les améliorer
- de les conserver
- d’accompagner leur perte avec un maximum de confort et de bien-être.

C’est le rôle propre de l’infirmière qui a le devoir de faire cette évaluation qu’Yves GINESTTE
appelle « Toilette évaluative » pour faire un diagnostic infirmier qui permettra d’établir une
prescription infirmière que respectera l’aide-soignante.

Cette démarche redonnera du sens à nos actions, transformant la toilette en soin de nursing
et le toiletteur en soignant.

 Une politique d’humanisation de l’institution


Madame Paulette X, exclue par manque de regard, de parole, de toucher du monde des
humains elle le quittera d’autant plus facilement.

Pour permettre à Madame X Paulette d’être maintenue en humanitude, il faut former les
soignants à professionnaliser leur regard, leur parole, leur toucher.

La formation des soignants, c’est également ce que préconise le Haut Comité de Santé Public
qui précise dans son dernier rapport que les soignants ne savent plus ou ne peuvent plus
offrir ce qui est nécessaire : le temps, la patience, la permanence, l’information, la liaison avec
les autres soignants et la prévention. Une raison identifiée tient à la formation des
professionnels mis en cause…

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4 QUESTIONS COMPLEMENTAIRES POSEES PAR LE JURY AUX EXPERTS

Nous souhaiterions d’abord rappeler que le suicide reste l’une des formes de liberté
ultime. Nous devons garder cette dimension à l’esprit dans le sens où le suicide des
personnes âgées pose aussi la question du suicide assisté et de l’accompagnement à la
fin de vie. Toutefois, le suicide des personnes âgées comme vous nous l’avez montré ne
s’explique pas uniquement par la dépendance ou la souffrance physique, elle s’explique
également par l’isolement, la solitude, le sentiment d’être inutile…C’est pourquoi nous
souhaiterions vous poser trois questions :

Le suicide des personnes âgées interpelle comme vous le soulignez dans vos réponses
écrites le regard que nous portons sur le vieillissement et sur les processus de
dégradation identitaire qui accompagnent la retraite. Regard qui rend la vieillesse
inacceptable et conduit certaines personnes âgées à se retirer de la vie sociale. Commet
modifier ce regard ? Par où commencer ? Comment parler de la vieillesse ? Comment
sensibiliser ? Comment donner à voir la vieillesse autrement que sous l’angle de la
dépendance ou celui plus caricatural des papys casse-cous ?

Vous insistez sur la nécessité de former les personnels intervenant auprès des personnes
âgées. Nous souhaiterions avoir des précisions sur ce point. Quelles formations faut-il
développer : faut-il en particulier insister sur l’accompagnement à la fin de vie, sur la
prise en charge et l’accueil des personnes en institution (comment limiter sa violence et
le choc qu’elle représente), sur la formation des aides soignantes mais aussi des autres
aidants (en particulier les aides à domicile), notamment sur les thématiques
d’isolement, d’angoisse face à la dépendance, au veuvage… ?

Enfin, au-delà des moyens qui peuvent être mobilisés pour la garde à domicile, n’y a-t-il
pas d’autres pistes à explorer pour rompre l’isolement et agir sur la dépression des
personnes âgées. Ne peut-on par exemple mobiliser davantage le voisinage dans la
prévention de l’isolement et du risque suicidaire ? Des expériences de ce type ont-elles
été tentées ?

4.1 REPONSE DE PIERRE-YVES MALO

Par rapport à votre première question « comment changer notre regard sur la vieillesse ? »,
pour moi psychologue, il y a une évidence : ça implique déjà de changer notre regard sur la
mort. Et, c’est bien tout le problème de nos sociétés développées aujourd’hui que de ne plus
avoir de discours autour de cette question de la mort. Elle n’est plus parlée ou alors elle est
virtualisée. C’est la mort qu’on voit à la télé ou play-station mais ce n’est pas vraiment la
mort, on revit après. C’est vrai que la mort est aujourd’hui peu dite, peu parlée, y compris
chez les enfants. Il est tout à fait remarquable, par exemple, de voir que la littérature
enfantine sur les personnes âgées, c’est effectivement une démonstration du grand-père sur
des rollers et de la grand-mère qui fait du vélo mais pas du tout de la personne âgée en
institution, etc. Donc, on vit dans un petit nuage rose où les choses qui nous inquiètent, au
fond, on ne les voit pas. Et on n’en parle plus non plus parce qu’il n y a plus d’endroits où
parler de ces choses là. Avant on en parlait à l’église, à l’école, lors des veillées funèbres où les
enfants étaient aussi présents. Aujourd’hui, il y a un évitement considérable, social, de la
mort qui fait que tant qu’on ne pourra pas voir la mort, on ne pourra pas parler du
vieillissement. Parce que le vieillissement conduit inéluctablement à la mort. Ça je pense que
c’est vraiment la première chose à pointer comme quelque chose de fort : il est urgent de se
remettre à intégrer cette dimension de la mort dans la vie.

12
De votre deuxième question, la partie qui m’intéresse le plus, je laisserai Mr Gaudy répondre
pour le reste, c’est la question du passage. On sait que dans les institutions type EHPAD, il y a
entre 60 et 70% de personnes qui ont des troubles des fonctions supérieures. Ce n’était pas le
cas il y a 15 ans. Il y a 15 ans, c’était environ 30%. On sait aujourd’hui donc que la grande
majorité de ceux qui y vivent ont des troubles des fonctions supérieures. La maladie est
arrivée progressivement, ces personnes n’entrent pas en institution au début de la maladie. Il
y a là déjà tout un ensemble de personnes pour qui on peut anticiper un possible passage un
jour dans l’institution. Cette anticipation du passage permet déjà de dédramatiser
l’institution, de passer par des biais qu’on sait extrêmement utiles comme l’accueil de jour ou
l’hébergement temporaire dans ces institutions, qui familiarisent les personnes avec cette
dimension institutionnelle. Et on sait aujourd’hui, par expérience, combien cela facilite pour
ces personnes, ensuite, le passage dans l’institution, de façon beaucoup plus souple. Reste les
autres personnes effectivement, pour qui ce peut être plus difficile parce que ça peut être à la
suite d’un coup dur ou d’un accident vasculaire cérébral, quelque chose qui arrive
brutalement, sans anticipation possible de ce passage dans l’institution. J’insiste là-dessus :
aujourd’hui, le passage, pour peu que l’on arrive à faire que les personnes l’anticipent et qu’il
puisse y avoir un travail autour de cela, peut se faire dans bien des cas, assez bien.

4.2 REPONSE DE BERNARD ENNUYER

Moi, je vais répondre sur le regard parce que c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup.
C’est notre question à nous, citoyens, la question du regard. Après la canicule qui a été un
gros électrochoc, la Ville de Paris est venue trouver les experts pour demander : « est-ce
qu’on pourrait réfléchir ensemble à ce qui s’est passé ? ». Notre Maire est assez phobique de
son vieillissement, donc on ne l’a pas vu beaucoup mais la Maire adjointe est très intéressante
et très intéressée. J’ai dit à Danielle Hoffman-Rispal, la Maire adjointe, « puisque en tant que
Maire adjointe, vous allez dans tous les quartiers de Paris pour discuter avec les citoyens
parisiens de la vie quotidienne : la question du vieillissement, la question de la vieillesse, ce
sont des questions de la vie quotidienne. Il faut donc que, vous, dans votre responsabilité
d’hommes et de femmes politiques, vous introduisiez ce débat entre les citoyens : comment
est-ce qu’on veut vivre avec des gens qui vieillissent et quelquefois dans de mauvaises
conditions ?»

C’est donc une question centrale. C’est un travail de fourmi, moi je le fais beaucoup, je discute
beaucoup avec toutes sortes de publics. A Dijon, la semaine dernière, c’était avec des gens de
80 ans en moyenne, voire plus, on discutait de leurs conditions de vie. Ça, si vous voulez, je
vous interpelle parce que c’est notre rôle, à tout un chacun, en tant que citoyen, de provoquer
ce débat et de remettre entre nous en circulation ce débat autour de : à quel âge est-on âgé ?
(ce qui est une bonne question, aujourd’hui), à quel âge est-on vieux ? Est-ce que c’est à 45
ans pour les chefs d’entreprise ? Est-ce que c’est à 90 ans pour certains qui sont encore en
poste à cet âge là et pourquoi pas ? C’est tout le débat aussi – Je ne vais pas sortir vivant ! –
sur l’allongement de la durée de carrière et tout ça. C’est le contrat social et le contrat social,
il nous appartient. Je dis souvent, parce qu’on a les hommes et femmes politiques qu’on
mérite, que c’est notre responsabilité de citoyens de mettre ce débat en route parce que, pour
moi, il est pas suffisamment en route. Ca, c’est la première chose. Donc, je vous invite
fortement à parler de ces questions-là.

La formation, je laisserai mon voisin en parler. Je dirais d’un seul mot, la formation que je
vois dans le secteur de la vieillesse et du handicap, elle est beaucoup trop technique alors que
d’abord cette formation devrait être au sens des relations humaines. Je ne dis pas qu’il n’est
pas intéressant que mes aides à domicile sachent bien faire la cuisine, détacher les sols mais
si vous n’apprenez pas aux gens à rentrer en contact – et ce n’est pas évident – elles ne

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sauront pas. Donc on a des dérives techniciennes des formations que je réprouve
complètement. Ca c’est des choses sur lesquelles il faut travailler.

La troisième chose, l’isolement, je vais citer des gens que j’aime beaucoup, des gens de Dijon.
A Dijon, depuis des années, ils ont fait tout un travail. Je pense à une banlieue de Dijon, une
petite commune qui s’appelle St Apollinaire, en matière d’isolement, ils ont eu avec le maire
une réflexion globale sur les lieux de vie. On a vu tout à l’heure qu’en EHPAD les conditions
de vie sont compliquées, mais je crois que dès qu’un EHPAD dépasse 40 ou 50 personnes, on
a des règles collectives. Donc, il s’est introduit en France des notions de domicile collectif, de
domicile protégé. Les scandinaves ne font plus de l’hébergement, ils ne font plus que des
domiciles collectifs. Et cette petite commune de 5000 habitants a mis en place tout un
réseau, entre les haltes garderies, entres les crèches, entre les domiciles collectifs, entre le
voisinage, pour que, naturellement, les gens dans leur vie quotidienne, fréquentent des gens
qui ne vont pas bien, et qu‘il y ait un brassage inter génération aussi bien entre professionnels
qu’entre citoyens normaux. Ca s’appelle St Apollinaire, si vous voulez vraiment voir quelque
chose de relativement original. Mon copain de Dijon s’occupe de ça : depuis 20 ans ils ont
commencé à sortir les gens de l’HP. C’était en 88, ils ont sorti les gens de l’HP pour les mettre
dans les appartements thérapeutiques et ils ont continué. Et il y a plein de petits endroits où
des initiatives locales –comme tu disais tout à l’heure, qui fonctionnent d’elles mêmes –
prouvent que rien n’est perdu et qu’on peut faire des choses intéressantes. Il suffit d’un peu
de volonté politique et encore une fois que les citoyens peut-être se mêlent de ce qui vraiment
les concerne. Voilà ce que j’ai envie de vous dire.

4.3 REPONSE DE PATRICE GAUDY

« Comment changer le regard de la société sur la vieillesse ? » : ça je laisserai plutôt mon ami
Pierre Yves en parler.

En tout cas, je crois qu’il y a une urgence à changer le regard des soignants - que ce soit à
domicile ou en institution – sur la vieillesse et sur les vieux. De permettre ce que je disais tout
à l’heure, de faire en sorte qu’ils puissent se reconnaître, les ramener dans le monde des
vivants, des humains. Les aider à se reconnaître comme faisant partie du monde des humains
et en tant qu’humains. Il faut, je crois, chasser le naturel. Autant une personne lambda de la
rue peut, elle, regarder de la façon dont elle le souhaite les personnes âgées, c’est la société ;
autant le soignant a le devoir d’être un soignant, c’est à dire, de remettre en humanité,
Gineste dit « en humanitude » les personnes dont elle prend soin. Il faut aussi former les
soignants non plus à soigner – alors, bien sûr, il faut soigner mais on est plutôt au point sur
la technique -, ce qu’il faut c’est changer le regard de la personne âgée, changer la relation,
apprendre à se faire reconnaître de ces personnes qui souffrent de troubles cognitifs
amnésiques, de troubles des fonctions supérieures, qui sont souvent opposantes aux soins
agressifs. Et bien que les soignants sachent se faire reconnaître auprès des personnes âgées
comme des amis plutôt que comme des agresseurs. Et du coup, les soins se passeront dans le
confort et dans le bien-être alors qu’aujourd’hui, ce n’est quand même pas le cas. On est le
plus souvent dans des soins imposés et on sait que le soin imposé détruit la santé de la
personne. Et si on est soignant, on ne peut pas nuire, je crois que la réflexion a été faite de
matin.

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5 QUESTIONS COMPLEMENTAIRES POSEES PAR LES PARTICIPANTS AUX
EXPERTS

- « Je suis infirmière et je voudrais vous ramener un petit peu sur la question des
soignants. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. Ma question : je voudrais
savoir quel était le nombre de soignants dans l’institution que vous dirigiez
auparavant ? Une autre petite question, je reviens sur la toilette complète au lit, je
pense qu’au niveau du temps c’est vrai que c’est plus facile de faire une toilette
complète au lit que de maintenir une autonomie et de faire simplement une aide à la
toilette mais je reviens simplement au problème de personnel et au rapport
soignant/soignés. Je pense qu’il y a une très grande frustration chez les soignants,
que si il y avait un nombre suffisant, je pense que les soignants préfèreraient faire
une aide à la toilette plutôt qu’une toilette totale au lit ».

- Moi, je rejoins, j’approuve ma collègue. Dans une maison de retraite où j’étais


membre du Conseil d’Administration, on a décidé, faute de personnel, de ne plus
faire les levers de personnes âgées parce qu’il n’y avait pas assez de personnel ou le
personnel était défaillant. Donc, toutes les personnes âgées restaient couchées.

REPONSE DE PATRICE GAUDY

Si vous voulez me faire dire que les institutions n’ont pas assez de moyens pour une prise en
charge correcte, oui je suis d’accord avec vous. Je n’ai pas voulu non plus attaquer le travail
des soignants. Je me considère moi aujourd’hui comme un aide-soignant, je passe toutes les
matinées de la semaine à prendre en soins des personnes, à faire des soins de nursing. C’est
ce qui m’autorise aujourd’hui à dire, puisque j’ai l’expérience, que l’histoire du temps et des
moyens n’a rien à voir (pas complètement mais quand même) avec la prise en soins. Je passe
dans beaucoup d’établissements où il y a suffisamment de soignants, suffisamment de
moyens et pour autant la prise en soin n’est pas satisfaisante. Je passe dans d’autres
établissements où il y a moins de moyens, moins de personnels, où la prise en soins est
correcte. Ça tend à dire qu’il n’est pas question du temps là dedans mais d’une philosophie de
la prise en soin et de la formation des soignants. Le temps dont vous allez disposer pour la
prise en soins va jouer sur la quantité de soins effectués mais pas forcément sur la qualité,
jusqu’à un certain point bien sûr et là, je vous rejoins.

- « Bonjour, je suis infirmière scolaire et j’étais en train de penser depuis quelques


jours à un partenariat avec des élèves en situation d’échec scolaire et des maisons de
retraite. Je voulais savoir si vous aviez des exemples précis de projets, pas que de la
simple visite et quel genre de personnes âgées on peut toucher pour que ce soit bien et
pour les jeunes et pour les personnes âgées ?Jusqu’à quelle dépendance ? »

REPONSE DE PIERRE-YVES MALO

Oui, ce sont des idées qui ont été mises à l’épreuve des faits dans un certain nombre de cas,
généralement avec bonheur, donc n’hésitez surtout pas. On parlait d’intergénération tout à
l’heure, ça peut aussi se faire par ce biais là de faire venir des jeunes dans les structures, bien

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sûr. Ca peut aussi être d’amener les personnes âgées à l’école, c’est aussi intéressant pour leur
faire revisiter leurs jeunes années. Il y a des expériences, par exemple, pour ne donner qu’un
exemple mais qui est intéressant dans le sens où c’était aussi des élèves en difficulté scolaire,
mais c’est à eux qu’on a demandé d’apprendre aux personnes âgées à se servir d’un
ordinateur. Ce qui les mettait eux en position de savoir par rapport à quelqu’un de plus âgé et
en même temps créer un lien de connivence entre les personnes âgées et les enfants. C’est un
exemple parmi d’autres, mais c’est vrai qu’il y a pas mal d’exemples de ce type là qui ont été
expérimentés et qui généralement marchent bien. L’essentiel, j’ai envie de dire, dans
l’histoire c’est de créer beaucoup de bonheur de part et d’autre. Le reste après, ça suit tout
seul.

- Question de Mme LE BAIL membre du jury :


« Je suis un peu troublée, je voudrais poser une question. J’ai entendu parler de
moyens ce matin, les jeunes du Conseil Régional des Jeunes ont parlé moyens. Ils ont
dit « nous n’avons pas d’infirmières, nous n’avons pas d’assistantes sociales ». On
leur a répondu sur le plan psychologique, estime de soi, on leur a répondu sur le
suicide. On parle de personne âgée et on parle de moyens. Qu’est-ce qui fait la
différence entre le suicide d’un jeune et le suicide d’une personne âgée ? Là, on ne
parle plus suicide, on parle moyens. Est-ce que vous pouvez m’éclairer là-dessus ? »

REPONSE DE BERNARD ENNUYER

Je veux bien essayer de répondre. Si vous m’avez entendu tout à l’heure, j’ai dit que je prenais
le suicide comme analyseur d’une société. C’est-à-dire que je ne parle pas de suicide
individuel, je laisse ça aux des gens dont c’est le métier, parce que j’estime que c’est pas mon
métier, c’est le métier de Pierre-Yves ou des gens qu’on a eu ce matin, des psychiatres, donc,
la dimension individuelle que je reconnais tout à fait. Moi, j’essaie de voir collectivement ce
que ça veut dire. Vous avez dû voir ça ce matin, que Durkheim a fait un bouquin qui a fait un
tabac. Lui, il a analysé la dimension collective. Dans la dimension collective que je vois dans
le suicide, une des choses qui sortent, c’est le manque de moyens des politiques publiques.
Mais ce n’est pas que ça. J’ai dit tout à l’heure, je crois l’avoir dit suffisamment, c’est aussi
peut-être aussi le manque d’implication que nous avons, nous, dans la société de tous les
jours. Je ne voudrais pas dire, ça vient d’être dit, que le manque de moyens n’explique pas
tout. Donc, j’entends bien, vous avez raison de préciser, quand on regarde collectivement, il
sort le manque de moyens, c’est vrai que si on avait plus de personnels en établissement et à
domicile, ça irait peut-être un peu mieux. Mais, on pourrait avoir beaucoup plus de fric, ça ne
résoudra pas forcément toutes les questions existentielles. Quelles sont les implications que
chacun d’entre nous met ou ne met pas dans son projet. Et je vous rappelle, comme disait
Norbert Elias, qu’on est indissociablement individu singulier et individu collectif. Et moi, je
parle à votre part d’individu collectif.

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- Mme LE BAIL :
Merci, parce que je pense effectivement qu’il faut que l’on ressorte avec une note
d’espoir et qu’il est nécessaire de remettre l’homme dans la société, de le remettre au
cœur de nos préoccupations, peut-être qu’on redonnera aussi aux jeunes envie de
vivre et envie de vivre dans cette société.

REPONSE DE PIERRE YVES MALO

Vous avez là-dessus tout à fait raison. C’est vrai que c’est aussi la question de l’image de la
vieillesse dont on parlait tout à l’heure. Il est urgent de se représenter de vieillir autrement
parce que demain, c’est notre tour. Et si on en fait une image tellement noire, quand on y sera
ce sera d’autant plus difficile. Donc, c’est tout un travail et tout un travail qui, à mon avis,
débute dans l’enfance. Vous avez raison, la note d’espoir peut être là.

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Deuxième partie : Préconisations du jury

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1. NE PAS SE TROMPER SUR LE SENS DU SUICIDE DES PERSONNES AGEES ET
FAIRE RECONNAITRE LES PERSONNES AGEES COMME UNE POPULATION A
RISQUE

Malgré sa terrible réalité épidémiologique, les différents intervenants, qu’il s’agisse des
experts ou des membres du groupe bibliographique, ont tous insisté sur la faible visibilité du
suicide chez les personnes âgées. De son côté, le grand public se maintient dans une relative
ignorance vis-à-vis du phénomène, de l’autre, les politiques de santé publique accordent au
suicide des personnes âgées une place hors de proportion au regard de son importance
« statistique » et de la souffrance qu’il traduit.
Selon les experts, cette relative clandestinité tient pour partie à une méprise consistant à se
représenter le suicide des personnes âgées non comme l’expression d’une souffrance, mais
comme l’expression du choix laissé à chacun de déterminer la manière dont il entend finir sa
vie, comme le choix de préférer à l’agonie et à la déchéance, une mort dans la dignité. Pierre-
Yves Malo rappelle sur ce point la manière dont les media célèbrent parfois le suicide des
personnes âgées en l’associant à un acte de courage et de fierté.
A l’encontre de toutes les autres formes de suicide, celui des personnes âgées s’inscrirait ainsi
dans une sorte de normalité dont on ne pourrait finalement que saluer la grandeur et
l’abnégation (ne pas être un poids et un « coût » pour son entourage et la société). Cette
célébration produit en elle-même des effets pervers dans le sens où les présupposés qu’elle
induit sont en partie partagés et réappropriés par les personnes âgées elles-mêmes. Elle les
confirme dans leur sentiment d’inutilité et de poids mort.
Il y a là une méprise sur les motivations qui conduisent les personnes âgées à se suicider.
Pierre-Yves rappelle notamment que les sujets âgés manifestant l’envie de mourir
n’expriment plus de demandes de mort lorsque le corps médical est en mesure d’atténuer
leurs souffrances physiques. Il rappelle également la forte prévalence de la dépression chez
les personnes, leur souffrance à la mort du conjoint, leur souffrance face à leur
désocialisation et leur isolement.
Il est en conséquence prioritaire de faire reconnaître les personnes âgées comme une
population à risque pour, enfin, engager des politiques de santé publique qui soient à la
hauteur du problème posé.

2. REFLECHIR AUX MANIERES DE CHANGER LE REGARD SUR LA VIEILLESSE ET


SUR SON PROPRE VIEILLISSEMENT

Les trois experts ont tous, d’une manière différente, souligné les effets dévastateurs d’une
incapacité à penser la vieillesse en dehors des pathologies qu’elle induit. La dépendance
enferme les personnes âgées dans une identité hyper réductrice difficilement acceptable.
Cette incapacité produit ses effets. Les plus notables se traduisent par une incapacité des
personnes âgées à s’accepter « vieux » et à faire le deuil de leur vie passée. Elle s’accompagne
d’une péjoration de soi marquée par l’intériorisation d’une image négative et une forte
réticence à aller vers les autres (peur de sortir, peur de gêner, peur de demander). On peut en
conséquence légitimement se demander si l’image de la vieillesse, sa péjoration, les
présupposés qu’elle induit en termes de problématiques médicosociales, permettent
réellement aux personnes âgées de vivre positivement leur vieillesse.
Il convient à cet égard de réfléchir globalement au statut accordé aux personnes âgées et à la
manière dont la communication donne à voir la vieillesse et la dépendance. On ne peut que
constater le lien fort entre l’isolement (en particulier lorsqu’il est choisi) et le refus des
personnes âgées d’être réduites à leur âge ou à leur pathologie. Il est, de ce point de vue,
nécessaire de s’interroger sur les effets induits d’une communication centrée sur les
problématiques sociales et médicosociales, ne montrant que très rarement les personnes

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âgées en situation d’intelligence, d’expérience ou d’expression d’un jugement sensible. Il faut
les redonner à voir en dehors des problématiques vieillesses, interroger leurs goûts et leurs
opinions, solliciter leurs points de vue et leurs analyses, quels que puissent être par ailleurs
leurs problèmes de dépendance ou de désorientation.
Les solutions concrètes à mettre en œuvre sont hors de portée du travail du jury et ne
trouvent par ailleurs pas de véritables pistes dans l’audition des experts. Il n’en demeure pas
moins qu’il s’agit là d’un chantier prioritaire dont l’un des principaux axes serait de restituer
les personnes âgées dans toutes leurs dimensions identitaires et humaines.

3. CHANGER LE REGARD SUR LA MORT ET REINSCRIRE LA MORT DANS LA VIE

Ce dernier point suggère une réflexion plus générale sur la capacité de notre société à parler
de la fin de vie, de la mort, sur sa capacité à la maintenir visible, sur sa capacité à l’inscrire
dans des rituels et à la préparer. Comme le souligne Pierre-Yves Malo, il n’y a plus d’endroit
où parler de la mort et du sens de la vie, plus d’endroit où parler des questions existentielles.
Or il est impossible de parler de la vieillesse, d’en changer les représentations sans
réintroduire la question de la mort. Il est donc essentiel de réapprendre à parler de la mort et
de la dépendance pour changer le regard sur le vieillissement et le grand âge. Il faut recréer
des espaces où « ces sujets sont parlés et discutés ».

4. REPERER ET PRENDRE EN CHARGE LA DEPRESSION

Le risque suicidaire est pour partie lié à l’état dépressif dans lequel s’enferme une frange de la
population âgée (la prévalence de l’épisode dépressif majeur et la dépression chronique chez
le sujet âgé est de l’ordre de 5 à 15%). La dépression des personnes âgées est un phénomène
connu mais qui trouve encore peu de réponses en termes de prise en charge. Pierre-Yves
Malo rappelle ce point essentiel : « si dans la majorité des cas les personnes ayant commis
un acte suicidaire ont vu leur médecin traitant dans le mois précédant le geste, seulement 12
% des suicidés bénéficiaient d’un traitement antidépresseur ». Ce phénomène s’explique,
d’une part, par la difficulté à détecter les signes de dépression chez le sujet âgé (signes
souvent masqués par d’autres pathologies) et d’autre part, par l’insuffisance de formation et
d’information des médecins généralistes sur cette question (Pierre-Yves Malo rappelle que la
psychiatrie du sujet âgé n’est pratiquement pas développée. Ce qui est paradoxal si l’on tient
compte des perspectives de vieillissement de la population).
La formation et l’information des médecins généralistes constituent l’une des préconisations
essentielles. Elles doivent notamment insister, premièrement, sur les risques présentés par
les situations de ruptures majeures (mort du conjoint, perspective de survenue d’une
dépendance, problèmes financiers, perspectives d’entrée en institution…), deuxièmement,
sur la manière d’établir un diagnostic de dépression, troisièmement, sur les possibilités
d’accompagnement du sujet âgé dépressif par les psychologues et quatrièmement, sur les
manières d’encourager les personnes âgées à accepter ce type de prise en charge.

5. MIEUX PRENDRE EN CHARGE LA DOULEUR ET LA SOUFFRANCE PHYSIQUE

Les rares travaux sur la douleur chez les personnes âgées montrent que 45% des sujets âgés
ont au moins une douleur quotidienne, dont 38% l’éprouvant en permanence. La douleur
constitue l’une des portes d’entrée de la dépression, il est en conséquence essentiel de la
prendre en charge. Le jury s’inquiète sur ce point de la faiblesse des travaux engagés sur cette
question en France et invite à étudier l’opportunité d’ouvrir des programmes de recherche en
la matière.

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6. METTRE EN ŒUVRE UNE STRATEGIE D’ACCOMPAGNEMENT DES RUPTURES

La vieillesse s’accompagne d’une série de ruptures (veuvage, passage en institution, mise sous
curatelle, perte d’autonomie…). Leurs effets peuvent être divers (perte de l’estime de soi,
angoisse, dépression…) mais présentent tous un risque suicidaire. Il est en conséquence
essentiel de mettre en place des dispositifs permettant d’accompagner les personnes âgées
lors de ces phases critiques (ces dispositifs pourraient trouver un relais pour les familles
auprès des médecins généralistes).

7. ENCOURAGER LES PERSONNES AGEES A ANTICIPER LEUR VIEILLISSEMENT

L’effet des ruptures induites par le vieillissement, en particulier la survenue d’une


dépendance, est amplifié par une relative impréparation de la population aux défis qu’elle
aura à relever. Cette impréparation est d’abord psychologique. Elle conduit à vivre de
manière extrêmement brutale les changements qui peuvent survenir. C’est par exemple le cas
lorsque les personnes âgées sont obligées de quitter dans l’urgence leur logement pour un
habitat plus adapté ou une entrée en institution. Il y a donc lieu d’encourager les personnes
âgées à anticiper leur vieillissement, c’est-à-dire les conduire à accepter de le penser. Cette
acceptation nécessite au préalable de ne pas occulter le vieillissement et la dépendance.

8. PREPARER L’ENTREE EN INSTITUTION

Cette préconisation s’inscrit dans le fil de la précédente. L’entrée en institution est souvent
vécue comme un traumatisme lorsqu’elle n’est pas préparée. Il faudrait sur ce point
développer une politique d’accueil graduée : accueil de jour puis accueil temporaire
permettant aux personnes âgées de dédramatiser l’entrée en institution.
L’accueil réservé aux personnes âgées dans les institutions doit par ailleurs faire l’objet de la
plus grande attention. Les experts rappellent que c’est au cours du premier mois que le risque
suicidaire est le plus élevé. Il faut donc être très attentif à la manière dont sont accueillies les
personnes âgées et à la manière dont elles sont intégrées à la vie de l’institution.
Un diagnostic global de l’accueil des personnes âgées en institution permettrait d’engager un
travail collectif qui pourrait se solder par la rédaction d’une charte permettant de définir les
modalités d’accueil les moins traumatisantes.

9. CHANGER LE REGARD DES PERSONNELS SOIGNANTS. PASSER DU


« PRENDRE EN CHARGE » AU « PRENDRE EN SOINS »

Si l’on suit Patrice Gaudy, l’institution du fait de ses modes de prise en charge tend « à
grabatiser » les personnes qui y rentrent. Ce constat est sans doute trop général, mais il a le
mérite de poser la question de la prise en soins des personnes en institution. Le constat est
fait d’une perte d’humanité dans la prise en charge, celle-ci a notamment été pointée par le
Haut Comité de Santé Publique qui précise dans son dernier rapport que les soignants ne
savent plus, ou ne peuvent plus, offrir ce qui est nécessaire : le temps, la patience, la
permanence, l’information, la liaison avec les autres soignants et la prévention.
Un diagnostic global doit, sur ce point, être engagé afin de s’assurer de la qualité et de
l’humanité des prises en charge en institution. Il doit s’accompagner d’une réflexion sur la
formation des personnels et sur les modes de prise en soins, dans une perspective de
maintien de l’autonomie et de respect des personnes.

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10. LUTTER CONTRE L’ISOLEMENT

Les aides à domicile jouent un rôle central dans la prévention de l’isolement. La diminution
des heures financées a pour effet pervers un recentrement des prestations sur les tâches
ménagères au détriment des aspects plus sociaux de leur intervention. Les orientations prises
par les caisses de retraite risquent à cet égard de priver la puissance publique d’un des
principaux leviers de lutte contre l’isolement en particulier auprès des personnes faiblement
dépendantes (GIR 5 et 6).
La question des moyens est de fait centrale. Elle n’exonère toutefois pas d’une réflexion sur la
manière de mobiliser l’ensemble de la société sur cette question. La lutte contre la solitude
passe notamment par un travail de renforcement des solidarités de voisinage dans les
quartiers et les campagnes. Les différentes études conduites montrent qu’une partie
importante de la population est prête à s’investir sur ce registre. Plusieurs expérimentations
locales ont d’ores et déjà été conduites en la matière (confère texte d’Arnaud Campéon en
annexe). Il serait pertinent d’en tirer les enseignements et de travailler à leur développement
ou à leur généralisation à l’ensemble du territoire régional.

11. SOUTENIR LES AIDANTS FAMILIAUX

Une personne dépendante sur deux vit à son domicile. Dans trois cas sur quatre, un conjoint
est présent à ses côtés. Les enquêtes montrent toute la difficulté et parfois la souffrance des
conjoints auxquels la collectivité demande de supporter l’essentiel des conséquences du
maintien à domicile de personnes désorientées ou grabataires. C’est sans doute auprès de ces
populations que les situations d’isolement sont les plus prégnantes et les risques de
« déprise » les plus importants. Il est donc essentiel de mieux soutenir les aides familiales en
développant les accueils temporaires, les dispositifs d’accompagnement à domicile, les
réseaux d’écoute et de solidarité.

12. ETRE ATTENTIF A LA PROGRAMMATION URBAINE ET FAVORISER DES


FORMES DE RESIDENTIALISATION INNOVANTE

L’isolement des personnes âgées est dans un certain nombre de cas renforcé par
l’inadaptation de leur habitat. Dans les grandes villes, de nombreuses personnes âgées vivent
dans des petits collectifs sans ascenseur. Elles sont pour une partie d’entre elles dans
l’incapacité de sortir de chez elles conduisant parfois à une situation d’isolement absolument
inacceptable. D’une manière générale, la prise en compte de la dépendance dans les
programmes locaux d’habitat semble insuffisante en regard des questions posées par le
vieillissement de la population résidant dans le parc social. Il faut en conséquence que ces
questions soient sérieusement traitées dans les PLH.
Il y a également lieu d’encourager de nouvelles formes de résidentialisation (maison
collective entre plusieurs couples de personnes âgées, colocation entre les générations…) dont
le mérite est de prévenir l’isolement et faciliter l’entraide entre les copropriétaires ou les
colocataires. Là encore, des expériences ont été tentées. Il faut en tirer les conclusions et
élaborer des programmes d’actions en conséquence.

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