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Directeur de la publication : Edwy Plenel Directeur éditorial : François Bonnet

Les socialistes du Finistère interdisent déjà à leurs élus de


cumuler (enfin presque...)
Par Mathilde Mathieu
Article publié le jeudi 03 septembre 2009

Sur le non-cumul des mandats, les socialistes sont-ils prêts à don- élections, face à une majorité non bridée ? Pourquoi se tirer une
ner l’exemple ? Martine Aubry a décidé d’«avancer drastique- balle dans le pied ? La résistance est en marche.
ment» et d’en remontrer à la droite : plus question, pour la pre- Pour se faire une idée des empoignades à venir, Mediapart s’est
mière secrétaire, d’«attendre des lois qui ne viennent pas» . Le penché sur la fédération du Finistère qui a pris un train d’avance :
28 août, à l’université d’été de La Rochelle, elle a annoncé une le 25 juin dernier, les militants ont en effet adopté une «Charte de
consultation de tous les militants au 1er octobre, qui débouchera la rénovation» qui interdit aux parlementaires socialistes finisté-
sur une modification des statuts du PS. L’objectif : empêcher les riens de participer à tout exécutif local. En clair : plus question,
élus «maison» d’empiler les casquettes. quand on siège à l’Assemblée nationale (ou au Sénat), d’endosser
Cet horizon fixé, le flou règne pour l’instant : s’agit-il d’imposer en sus un costume de président (ou de vice-président) de conseil
le mandat unique aux parlementaires ? Et/ou aux élus locaux ? De général (ou régional). Au PS, c’est une première.
limiter le nombre de mandats identiques consécutifs ? Mardi 1er Pour «vendre» cette Charte, le «patron» de la fédération, Marc
septembre, la rédaction du questionnaire, dont chaque mot devra Coatanéa, 35 ans, a en effet usé son «bâton de maréchal» , sec-
être pesé au trébuchet, a été confiée à une commission pléthorique tion après section, pour convaincre. Il a dû, surtout, lâché du lest.
de seize membres, présidée par Arnaud Montebourg, secrétaire
national à la rénovation. De «grands élus» réticents
Le sujet ? serpent de mer au PS ? est ultra-miné. Les débats in- Il avait, à l’origine, élaboré une série de mesures plus ambi-
ternes n’ont en effet jamais cessé depuis les lois de 2000 du gou- tieuses : pas de mandat local du tout pour les parlementaires, limi-
vernement Jospin, qui ont encadré le cumul. Pour cause : ces tation à «trois mandats identiques consécutifs» pour l’ensemble
textes continuent d’autoriser l’addition de deux mandats locaux et des élus, «interdiction du cumul entre un mandat de conseiller
permettent toujours à n’importe quel sénateur (ou député) de sié- régional et tout autre mandat exécutif» (de maire, vice-président
ger en parallèle dans une assemblée locale ? et même dans deux, de conseil général...), et même «plafonnement des indemnités à la
puisque les conseils municipaux des petites communes (moins de hauteur de celles versées aux parlementaires» (afin d’éviter que
3.500 habitants) ne comptent pas. des considérations financières incitent à cumuler).
Au fil des mois de discussions, Marc Coatanéa a dû revoir ses am-
Du coup, seize membres du groupe PS à l’Assemblée poussent bitions à la baisse, au point que son «ami» Jean-Jacques Urvoas,
l’engagement politique jusqu’à «pointer», par exemple, dans un député finistérien, héraut du non-cumul et «jusqu’au-boutiste»
conseil municipal et un conseil général... Et seulement 29 dépu- (selon ses propres termes), parle aujourd’hui d’une «charte ra-
tés «roses» pratiquent le mandat unique (14% du groupe, contre bougrie» et clame sa «déception» .
12,8% à l’UMP et 4,3% au Nouveau centre).
«Quand j’ai soumis en mars 2009 mon projet aux militants, je
Ci-dessous, les huit parlementaires PS qui cumulent avec une me suis heurté à une fronde , explique Marc Coatanéa. Certains
présidence de conseil régional : Michel Vauzelle (PACA), Jean- ont voulu y voir une machine à perdre et l’ont critiqué assez vio-
Jack Queyranne (Rhône-Alpes), Victorin Lurel (Guadeloupe), lemment ; des sections ont renvoyé des tonnes d’amendements.»
Alain Rousset (Aquitaine), Jean-Pierre Masseret (Lorraine), Da- Pragmatique, soucieux d’aboutir, il a soumis in fine deux proposi-
niel Percheron (Nord-Pas-de-Calais), François Patriat (Bour- tions seulement aux 2700 adhérents, qui ne concernaient plus que
gogne), Alain Le Vern (Haute-Normandie) les parlementaires : d’un côté la prohibition de tout mandat local,
de l’autre l’interdiction de siéger dans un exécutif local (solution
permettant aux sénateurs et députés de rester conseillers munici-
D’ici le 1er octobre, les débats s’annoncent donc houleux. paux de base, généraux ou régionaux).
Nombre de barons locaux, tel Gérard Collomb (sénateur et maire La seconde version, la plus «light», l’a donc emporté, avec une
de Lyon) ou François Rebsamen (sénateur et maire de Dijon), ont cinquantaine de voix d’avance ? 478 militants ont voté pour, 182
d’ores et déjà montré les crocs et dégainé l’argument fatal : pour- contre, 83 se sont abstenus. Marc Coatanéa y voit déjà une belle
quoi le parti devrait-il s’infliger un tel handicap aux prochaines avancée, décrochée malgré les «conservatismes» .

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«Plus on cumule, moins on passe de temps sur ses dossiers ; c’est le risque d’aller trop vite, d’essuyer les plâtres. J’aurais préféré
mathématique» , juge Rebecca Fagot, 26 ans, responsable à Brest qu’on soumette une proposition [à Solferino], qu’elle soit validée
de la plus grosse section socialiste du Finistère, qui a soutenu la au niveau national... Là, j’aurais signé des deux mains.»
Charte. Elle aussi l’aurait souhaitée plus musclée : «Le non-cumul Interrogé sur le mandat unique , il souffle que ce serait une «bonne
[dans l’espace et dans le temps], c’est le seul moyen d’accélérer orientation»... plutôt pour «2012» . Et puis il rappelle l’urgence,
le renouvellement de nos élus, de favoriser la parité, la diversité.» avant toute nouvelle restriction du cumul, d’un véritable «statut
À ses yeux, Martine Aubry doit foncer : «Si la consultation na- de l’élu» , avec indemnités, régime de sécurité sociale et de re-
tionale du 1er octobre débouche sur de nouveaux statuts, il faut traite corrects («surtout pour les maires des petites et moyennes
se les appliquer au plus vite, dès les régionales [de mars 2010] ; communes» ). En clair, Jean-Luc Fichet temporise. Dans sa sec-
si on repousse une première fois, on risque de se trouver des ex- tion de Lanmeur, la Charte a d’ailleurs fait de mauvais scores.
cuses aussi pour les cantonales de 2011, puis les sénatoriales. À
l’arrivée, c’est la parole politique qu’on décrédibilise.» «La limitation du cumul, c’est une très belle idée, mais dans la
réalité, c’est casse-gueule , estime ainsi Annie Loneux, 63 ans,
Dans le Finistère, la quasi-totalité des parlementaires socialistes camarade du sénateur à Lanmeur. Ce sont plutôt les jeunes et les
ont d’ailleurs anticipé l’application de leur Charte départemen- urbains qui la défendent, des gens de Quimper ou Brest. Ici, à
tale. S’il était prévu que la nouvelle règle anti-cumul n’entre la campagne, on est pragmatique. Je ne suis pas pour un maxi-
en vigueur qu’aux prochaines élections, plusieurs sénateurs et cumul, mais en milieu rural, les électeurs font confiance à des
députés ont d’ores et déjà rendu leur tablier de vice-présidents gens qui ont fait leurs preuves, qui ont géré des collectivités. Pour
du conseil général. Ainsi, plus aucun parlementaire finistérien les sénatoriales de 2011, par exemple, le PS a besoin de candidats
n’exerce de mandat exécutif local ? ou presque. qui ont accumulé un crédit de confiance.»
Car Marylise Lebranchu, députée de Morlaix et ancienne garde La gauche, qui croit en ses chances de remporter pour la pre-
des Sceaux, très proche de Martine Aubry, a pour sa part conservé mière fois la Haute Assemblée, aurait «tort de s’accrocher un
sa casquette de vice-présidente du conseil régional : «La Charte boulet» . Annie Loneux a donc voté contre la Charte, et se réjouit
n’était pas d’application immédiate...» , justifie-t-elle. La dépu- au passage que le texte ait ménagé, «dans un petit paragraphe»
tée, en fait, n’a jamais été emballée par l’initiative de Marc Coata- , «la possibilité de déroger à la règle» ? si 3/5es des membres
néa. «Marylise m’a toujours dit, amicalement : “Tu vas te casser du conseil fédéral l’autorisent. «En clair, on va très vite avoir
la gueule !”» , sourit ce dernier. plein de belles exceptions !» , rigole la militante. Pour des ar-
Marylise Lebranchu juge la Charte finale «intéressante» , mais guments «plus fouillés » , elle renvoit vers Michel Loussouarn,
n’aurait pas aimé que le principe du mandat unique soit retenu : jeune conseiller municipal de Rosporden, ancien assistant parle-
«Il faut faire attention , souligne-t-elle. Quand un député perd mentaire du sénateur François Marc et juriste de formation.
son ancrage, ça n’est pas simple. Sans mandat local, on peut très Cet ancien partisan de la Convention pour la VIe République,
vite se passionner pour le travail législatif et la beauté d’un texte, ex-pourfendeur du cumul des mandats, a évolué sur le sujet au
se faire avaler, mais perdre le sens de la réalité.» Une position contact du terrain. Aujourd’hui, il regrette que la Charte fixe des
qui tranche singulièrement avec celle de Martine Aubry à La Ro- «règles aussi strictes» . «Aux militants de choisir lors des investi-
chelle, qui s’est déclarée «favorable» au mandat unique des par- tures aux élections, s’ils veulent [un cumulard] ou non» , déclare-
lementaires... t-il.
D’autres «grands élus» se sont montrés bien plus réticents en- Michel Loussouarn préfère qu’on laisse au parti une marge d’ap-
core, au fil des débats préalables. «Le sénateur François Marc, préciation : «Député et maire de Nantes, par exemple, ça ne de-
par exemple, s’est opposé à la Charte , pointe Marc Coatanéa, vrait pas être possible. Mais d’autres cumuls ne sont pas problé-
«pas gêné » de livrer quelques noms. Le maire de Brest, Fran- matiques ; il faut garder de la souplesse . Si le mandat unique des
çois Cuillandre, n’était pas non plus chaud bouillant...» parlementaires peut faire partie du programme socialiste pour
Sollicité par Mediapart, François Marc (que les rumeurs disent 2012, très bien, mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs.»
intéressé par la présidence du conseil général en 2011), n’a pas Et de comparer les députés français avec leurs homologues amé-
souhaité «commenter la vie interne du parti» . Tant pis. ricains : «Ted Kennedy avait un staff de 50 personnes derrière
lui, quand nos parlementaires n’ont pas suffisamment de moyens ;
Le cumul, une façon d’avoir des moyens de travailler pour travailler, ils ont besoin de collaborateurs au conseil gé-
Son collègue Jean-Luc Fichet, maire de Lanmeur, conseiller néral, au conseil régional, d’avoir des administrations derrière
général et sénateur, reconnaît lui ses «réticences» initiales : eux.» Bref, de cumuler. Selon lui, le non-cumul se justifierait
«J’estimais qu’une charte départementale, propre au Finistère et davantage dans un «véritable régime parlementaire» : «Aujour-
sans rayonnement [hexagonal], allait nous compliquer la tâche , d’hui, les députés moulinent, s’opposent sans effet à l’Assemblée ;
affirme-t-il. Sur les scrutins de liste [comme aux régionales], on a c’est dans les collectivités qu’ils construisent.»
besoin de gens bien identifiés, déjà implantés. La fédération a pris Martine Aubry n’est pas au bout de ses peines.

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