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ACTUALITÉ TEMOIGNAGE ENQUÊTE PRATIQUE

INTERVIEW

“ Les distributeurs n’existent pas

sur le Web ”
I Ancien président de Ford France, Éric Saint-Frison est aujourd’hui un expert ès-Internet
qui met son savoir numérique au service des professionnels de l’automobile. À la tête de
la société Go Between Conseil, ce dynamique entrepreneur vient de lancer Digital Dealer.
Il porte un regard sans concession, mais empli d’optimisme sur la place – légitime – que
les distributeurs doivent reprendre sur le Web.

Q Vous avez créé la société Go Between Conseil
en 2007. Quelle est sa particularité ?
J’ai créé Go Between Conseil afin de met-
tre en relation mes connaissances dans le
secteur automobile, dans une logique de
business et à une échelle internationale. J’ai
parallèlement beaucoup travaillé sur le
Web et l’automobile jusqu’à bâtir une
solution complète d’accompagnement bap-
tisée Digital Dealer qui deviendra, d’ici à
la fin de l’année, une société à part entière.
J’en serai l’actionnaire principal aux côtés
d’un distributeur, d’un infomédiaire et de
mes collaborateurs.
Q Qu’est ce que Digital Dealer ?
J’ai étudié le savoir-faire du secteur auto-
mobile outre-Atlantique, notamment au
sein du groupe de distribution “ Group 1
Automotive” à Houston (États-Unis). Leur
activité marketing Internet est excep-
tionnellement aboutie.
À la tête de l’entreprise, Earl
J. Hesterberg (ndlr : ancien vice-
président de Ford Europe), m’a mis en
relation avec des fournisseurs de services
digitaux. Dans un souci de pragmatisme
et d’efficacité, j’ai entrepris de travailler
sur les contenus et les outils digitaux
adaptés aux besoins des concessionnaires
français.
Q Les professionnels de l’automobile sont-ils
à ce point en retard concernant l’usage et
l’utilisation commerciale du Web ?
Ils n’existent pas sur le Web ! Pendant des
années, ce territoire a été laissé aux mains
d’autres acteurs : les mandataires, les info-
médiaires, les marchands de VO ou de cré-
dits, etc. Autant de professionnels qui
étaient au départ satellisés très loin du
cœur du marché automobile et qui, sur
Internet, se sont retrouvés au centre. Dans
ce laps de temps, le distributeur qui avait
d’autres préoccupations en tête à soit fait
confiance à son constructeur pour déve-
lopper des stratégies alternatives à son
service, soit a pensé que le Net ne mar-
cherait jamais. Les constructeurs ont réussi
à rester dans la sphère puisqu’ils sont les
seuls à offrir une information complète et
“glamour” de leurs produits. Mais la tech-
nologie Flash qu’ils doivent employer n’est
pas reconnue par les moteurs de recher-
che. Pour exister en ligne, les constructeurs
payent donc des fortunes.
Q Les distributeurs sont-ils vraiment absent
de la galaxie Internet ?
Ils sont satellisés en dehors ! Il y en a
quelques-uns qui, à force d’efforts person-
nels et financiers comme Édouard Colin,
Jean-Patrice Bernard, Bruno Picard
ou encore Jacques Hess ont réussi à se
rapprocher du cœur, mais ils n’y sont tou-
jours pas ! Le projet de Digital Dealer
consiste précisément à faire exister un
distributeur dans la galaxie automobile,
sur sa planète locale. C’est à la portée de
tout le monde, tant en termes de moyens
que de technologies.
Q Comment expliquer qu’une majorité des
professionnels de l’automobile soit restée
sur le bord de la route ?
90% de la réponse tient aux constructeurs.
Quand, au début des années 2000, les
réseaux sont allés voir leur concédant en leur
demandant ce qu’il fallait faire concernant
Internet, les constructeurs avaient déjà leur
site institutionnel et craignaient que leurs
représentants ne construisent leurs propres
outils sans respecter leur charte graphique,
en affichant des prix promotionnels qui
court-circuiteraient leurs stratégies marke-
ting… Ils ont donc répondu qu’ils s’en oc-
cupaient pour eux en incluant un espace
“trouver mon concessionnaire” sur leur por-
tail. Les concessionnaires étaient ravis que
cela ne leur coûte rien. C’est à ce moment-
là que les mandataires ont investi un champ
vacant en exploitant précisément la notion
de “prix” que les constructeurs et les distri-
buteurs refusaient d’intégrer. Suite page 10 

Éric Saint-Frison
Dirigeant-fondateur de Go Between Conseil
8 SUPPLÉMENT INTERNET AU N°1281 NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT
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Q 52 ans – Diplômé de l’EDC et titulaire d’un certificat de marketing à l’université de Duke (Caroline, États-Unis)
Q 1982 – Vendeur de la concession Alfa Romeo de Boulogne-Billancourt (92)
Q 1983 – Responsable du département lubrifiant automobile chez Opal
Q 1986 – Intègre le groupe Ford France en qualité de chef de région pièces détachées
Q 1995 – Responsable marketing Europe des VUL de Ford Europe
Q 1996 – Directeur des ventes de Ford Mexique
Son parcours

Q 1999 – Directeur régional des ventes de Ford France

Q 2001 – Succède à Claude Brunet au poste de président de Ford France
Q 2006 – Quitte Ford France
Q 2007 – Dirigeant-fondateur de Go Between Conseil
Q 2009 – Crée Digital Dealer

NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT SUPPLÉMENT INTERNET AU N°1281 9

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ACTUALITÉ TEMOIGNAGE
INTERVIEW
Q Dans ces conditions, com-
 Suite de la page 8
ment les professionnels peuvent-ils émerger
et peser de leur poids sur le Web ?
Il faut que les acheteurs, en phase d’in-
formation, surfent sur le site du cons-
tructeur et aillent ensuite, au moment de
la phase d’achat, sur le site du distributeur
local le plus proche. Dans la réalité, ils vont
aussi sur mandataires.fr pour comparer les
tarifs. Distributeur.fr doit donc être sur le
Web en adoptant une stratégie de pré-
sentation agressive de prix de ses VN. C’est
ce que fait le groupe Colin sur son site
Epicar.com.
Q Le Web est-il en train de révolutionner le
négoce automobile ?
Non, il l’accélère. L’outil Internet ne mo-
difie en rien la distribution auto, mais
c’est, par exemple, un accélérateur de la
connaissance pour les clients. Ces der-
niers devaient, auparavant, acheter un
kilo de papiers de presse spécia-
lisée pour faire leur “shopping
list”, se rendre chez les conces-
sionnaires pour visualiser et es-
sayer les modèles, aller voir leur
banquier, rappeler le distribu-
teur… Six semaines – études à transfert de pouvoir ”
l’appui – s’écoulaient entre le mo-
ment où le consommateur décidait
d’acheter sa voiture et le moment où il
signait le bon de commande. Aujourd’hui,
il va sur Internet, tape “ford fiesta”, se ren-
seigne, tape “ford fiesta prix”, puis “ford
fiesta Essonne”, tombe quasi-imman-
quablement sur les sites parfaitement
référencés des mandataires, va éven-
tuellement confronter son jugement sur
des for ums de consommateurs. Il
appelle souvent le concessionnaire – sans
se déplacer – afin de demander le prix
consenti. Quand le client se retrouve en
face du vendeur, il en sait plus que lui,
donc il prend le pouvoir. Quand il va
s’agir de négocier le prix, les options, les
extensions de garantie, les financements,
bref les services associés sources de
marges pour les réseaux de distribution,
le vendeur n’est plus en situation de
force pour négocier un crédit à 9 points.
Internet est un outil qui, utilisé par les
clients, devient un outil de transfert de
pouvoir. C’est pour cela qu’aujourd’hui,
le client gagne le bras de fer.
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ENQUÊTE PRATIQUE
Q Faut-il traiter les clients internautes
différemment ?
Aux États-Unis, la moyenne des ventes
dont l’origine est le Web (envoi d’une de-
mande ou réponse à une sollicitation par
e-mail, etc.) est de 20 %. L’objectif des
distributeurs américains consiste à
atteindre 100 % car ils traitent les clients
internautes avec deux structures séparées
bien rôdées. D’un côté, un beau
showroom, de l’autre, un plateau de
télé-opérateurs qui passent leur temps à
communiquer avec les clients, à répondre
à leurs demandes, à envoyer des mails…
Ce sont eux qui concluent la vente façon
“ Ok pour la Camaro à 32 500 euros, mais il
faut dire oui maintenant”, puis “RDV tel jour,
telle heure, avec le vendeur X qui terminera
la vente ”. Le jour J, l’internaute vivra une
expérience de vente classique avec un ven-
deur élégant, puis un F&I qui lui signera
le crédit et les autres prestations. D’ici à
“ Internet
devient un outil de
deux ans, tous les grands groupes auront
des structures de web marketing et fonc-
tionneront de la sorte. Les call center
sont déjà un pas vers cette finalité.
Q Certains craignent que les constructeurs
profitent d’Internet pour rationaliser leurs
coûts de distribution automobile. Ont-ils
raison d’avoir peur ?
Ils ont tort. Internet est un bon moyen de
rationaliser les coûts de communication
pour tout le monde, distributeurs compris.
Un e-mailing coûtera toujours moins
cher qu’un mailing papier. En plus, il
sera plus efficace car on saura, par exem-
ple, combien de personnes l’ont ouvert.
À l’exception de certains constructeurs
Premium qui ont peut-être encore trop
de points de vente par rapport à leur
volume, les ajustements ont déjà été faits.
Il y aura surtout des rationalisations
intergroupes. Des petites concessions
deviendront peut-être des centres de
livraison et des ateliers à dix baies de
services rapides.
Q Comment procèdent les internautes français
en phase d’achat automobile ?
Le cabinet Cap Gemini a interrogé les
consommateurs français sur le temps qu’ils
accordent à un concessionnaire pour les
rappeler après l’envoi d’un e-mail. 75 %
d’entre eux demandent une réponse sous
24 heures. Sans réponse dans ce délai,
une partie d’entre eux change de marque
ou change de distributeur et une partie non
moins négligeable échange des deux. La
conséquence est donc terrible ! C’est pour
cela que je dis à mes clients que s’ils n’ont
pas la volonté d’éduquer leurs équipes à la
réactivité, il vaut mieux ne même pas créer
l’outil de communication. L’entreprise
risque de se discréditer et de rendre son
investissement négatif.
Q Les acheteurs d’automobiles en France
sont-ils cependant tous internautes ?
Dans le domaine du VO, plus d’un ache-
teur sur deux va finaliser son
achat grâce à Internet. Côté
VN, ce sont 70 % des acheteurs
qui vont sur la Toile pour struc-
turer leur recherche. Internet
sert avant tout à avoir une
chance d’exister aux yeux de
50 % des acheteurs de voitures
ou de services.
Q Les concessionnaires seront donc dans
un espace intermédiaire ?
L’idée consiste à ce qu’ils ne perdent pas
leur client internaute par manque d’une
information que celui-ci irait chercher
ailleurs. Sur le Net, un client est vite perdu.
Comme dans la vraie vie, il ne doit pas sor-
tir de la boutique ! Ainsi peut-on imaginer
qu’ils aient, dans le futur, aussi un confi-
gurateur sur leur site – j’ai un partenaire
qui en a élaboré un – ou que des groupes
se fédèrent autour d’un site générique de
bonnes affaires opportunément discount
regroupant leurs VD, fin de séries, voitu-
res en fin de vie… Histoire d’occuper le
territoire des mandataires.
Q Que conseillez-vous aujourd’hui aux distri-
buteurs ?
Il n’y a pas une bonne réponse. Ce serait
un mensonge. En revanche, il y a une
réponse qui correspond à chacun. La pro-
blématique n’est pas la même pour un dis-
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tributeur parisien ou un concessionnaire
d’une petite ville de province. Les inter-
nautes n’ont pas les mêmes modes opéra-
toires en fonction de la facilité avec laquelle
il se déplace.
Q Combien coûte l’adoption d’une stratégie
Internet ?
Cela représente un investissement qui va
de quelques milliers à quelques dizaines de
milliers d’euros. Mais le Web doit d’abord
être considéré comme un média de
substitution. Si vous dépensez 100 euros,
dans votre périmètre budgétaire, il faut
conserver ce montant en le réaffectant sur
du online au détriment des tracts et des
annonces en PQR.
Q Vous en avez beaucoup parlé. Que pensez-vous
des sites des mandataires ?
Ils sont là parce que le système les a fa-
briqués…
Q Sont-ils des acteurs incontournables de la
chaîne ou sont-ils voués à disparaître sitôt
que les distributeurs auront pris leur
cyber-destin en main ?
Ils disparaîtront. J’en suis profondément
convaincu. Sur les douze derniers mois, ils
ont développé des activités VO, des activi-
tés de vente de services supplémentaires,
de stages autos, de pilotages, etc. Il y a de
plus en plus de poissons dans leur étang et
donc ils ont de plus en plus de mal à pêcher.
Q Conclura-t-on une vente de VN sur Internet
en France et à quelle échéance ?
Bien sûr ! Il y aura toujours un acheteur
de Hummer prêt à le payer en ligne et qui
exigera de l’avoir garé devant chez lui le
surlendemain… L’échéance n’a pas d’im-
portance puisque cela existera, mais de
façon marginale.
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Q Cela passera-t-il par du pré-paiement ?
Le pré-paiement n’existe pas aux États-
Unis. C’est une particularité française.
Mais on peut imaginer une nouvelle Mini
en série limité avec une couleur spécifique
réservée aux 100 premiers clients qui la
réserveraient en ligne avec leur carte ban-
caire. Mais le besoin visuel et tactile res-
tera prédominant dans l’automobile. Elle
reste un produit passionnel et physique.
Q Il y a bien eu, cet été, une opération outre-
Atlantique entre GM et eBay…
Cela n’a pas marché. C’est un échec total
au regard de l’industrie automobile califor-
nienne qui vendra 1 million de voitures cette
année. Seulement 2400 voitures ont été
commandées à la fin de la première
semaine de septembre dans le cadre de cette
opération. Pour rappel, des véhicules étaient
mis à prix façon enchères et c’est le conces-
sionnaire qui disait: ok, je prends à ce tarif.
L’internaute pouvait aussi acheter immé-
diatement le véhicule à un prix promo-
tionnel. Vu le résultat, j’assimile cette opé-
ration à une campagne de pub. Un seul client
a réservé avec sa carte de crédit. Donc, je
ne crois vraiment pas à la vente 100% vir-
tuelle. Du moins pas d’ici à deux ans.
Q Côté VO, le pli semble pris depuis plus long-
temps avec l’explosion des annonces en ligne.
Va-t-on, dans ce domaine, vers un modèle
100 % Web ?
C’est de la recherche multiproduits large.
Le consommateur a besoin d’énormément
d’informations. Avant il prenait sa page de
La Centrale ou de l’Argus, il lisait et cochait
200 annonces avant de choisir les dix
offres qui l’intéressaient, d’appeler les dix
propriétaires, de leur demander où ils
habitaient, de les questionner sur l’état de
la voiture. Maintenant, il le fait sur le Web,
c’est juste du transfert.
Q Où en sont vraiment les pros à ce niveau-là
et comment peuvent-ils aller encore plus loin?
Il y a plein de choses à faire sur le VO
puisque toutes les annonces n’ont pas en-
core de photos! Et bien souvent, les photos
sont d’une nullité technique affligeante car
surexposées, prises de loin, trop sombres.
Demain, dans un grand showroom VO, on
peut imaginer de placer une caméra Web
derrière chaque modèle. Quand l’inter-
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naute clique, la caméra s’actionne et il vi-
sionne vraiment la voiture. On peut imagi-
ner aussi que le consommateur ne voudra
plus s’embêter à ouvrir dix sites infomé-
diaires différents pour trouver sa voiture.
Qu’il y aura un consolidateur de recherche.
Q La Toile est également un magasin virtuel où
acquérir des VO facilement sur des supports
B to B (Manheim, Autorola, BCA, etc.). Les
professionnels exploitent-ils ce créneau ?
Certains distributeurs profitent de ces op-
portunités en mettant une partie de leur
stock à disposition d’autres pros et en se
fournissant chez des confrères. C’est la
solution optimale. Ces outils de négoce
B to B vont assurément se développer.
Q Ce développement du business sur Internet
va-t-il avoir de fortes répercussions sur les
structures physiques des réseaux ?
Cela ne changera rien au niveau de l’atelier.
On ne va pas réparer les voitures en ligne!
Ni au niveau du magasin de pièces ou des
bureaux. Seule 30% de la surface d’une
concession, le showroom, est donc concer-
née. Ce n’est pas la partie la plus chère puis-
qu’il ne s’agit que de mètres carrés. Or, les
gammes étant élastiques, il en faudra
toujours. Aucune répercussions, donc.
Q Comment dématérialiser la reprise ?
Aujourd’hui, il y a des sites et rubriques
d’évaluation de VO qui existent (ndlr :
schuller.fr/evaluer-ma-reprise.html). C’est
un service qui permet de générer des
contacts. L’intérêt, c’est que le client dit où
il habite, ce qu’il a comme voiture et dans
quel état elle est. Les études montrent que
63% des personnes qui font cette demande
sont acheteurs d’une voiture dans le mois
qui suit. Digital Dealer commercialise ce
genre de données sous forme de fichiers.
Mais je proposerai aussi d’installer cette
rubrique sur le site des distributeurs avec
l’aide d’un partenaire.
Q Conclusion ?
Internet est un outil d’économie pour les
professionnels qui colle très bien au dés-
tockage tout en servant parfaitement à va-
loriser une marque ou une entreprise. En
ce sens, leur site doit simplement être le re-
flet exact de leur boutique.
Propos recueillis par Eloïse LeGoff-Bernis