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Sylvie Gauthier petits carnets (f)utiles ID TTM fe MIN ene Mang A TABLE Sylvie Gauthier Du bon usage d’étre DANS LA MEME COLLECTION: S + ROCK'N'RECORDS «LA LISTE DES LISTES = JET'AIME + LES 100 NOMS DE L'AMOUR + ELLES SONT TROPES ! + PORTE-BONHEUR « L'ESPRIT DE LA LETTRE + DICO MEMO » ASTUCES ET MANIPULATIONS MENTALES * PETITS SECRETS DE BEAUTE + CROYANCES ET SUPERSTITIONS DES GENS DE MER, * 60 PETITS JEUX ENTRE AMIS * 60 ANS DE HIT PARADES + 50 MOTS POUR COMPRENDRE LE DEVELOPPEMENT DURABLE * BIO, PETIT MANUEL A L’ USAGE DU CONSOMMATEUR = CuRIOSITES ET VERITES A PROPOS DE LA LUNE + PETITES HISTOIRES DES GRANDES RECETTES Ri TL © Editions Alternatives: 33 rue Saint-André-des-Arts, Paris VI¢ - 2009 www.editionsalternatives.com =a|z Sommaire 10 " 7 24 34 42 a 50 «Sz 53 7 59 61 3B 74 8&1 85 Préface Une table bien préparée « Maman, ou je mets la table ? » Le « nécessaire » de table LA NAPPE UASSIETTE LES COUVERTS: LES VERRES LA SERVIETTE LA TOUCHE FINALE Les temps du repas Du diner au déjeuner LE SERVICE A LA FRANGAISE LE SERVICE A LA RUSSE. PONCTUALITE DE RIGUEUR « MADAME EST SERVIE! » Des moments bien particuliers APERITIF ET COCKTAIL UART DU THE PAUSE CIGARE go 92 101 101 103 mW nS 121 133 134 Quand les maniéres s’en mélent Un peu de tenue ! Du doigté avec les objets LA SERVIETTE LES COUVERTS L'ASSIETTE ET LA TASSE Un air de politesse Vimprévu s‘invite 4 table Bibliographie Index Join OYA eR Préface Que celui qui n’a jamais été stressé par la perspective d’un diner rende sa serviette! Eh oui! Recevoir ou étre invité n'est pas toujours vécu comme une partie de plaisir. Et un diner n'est jamais de tout repos. Ce serait méme plutét l'aventure 4 chaque fois, au coin de Ja table: la, comme au théatre, chacun joue un réle, selon des codes patinés par le temps. Cété cour, Ja maitresse de maison, qui appréhende de ne pas disposer correctement couverts, assiettes et verres; qui craint de mal placer ses convives ; qui redoute une cata: strophe dans le dérou- lement du service. Cété jardin, l'invité, qui n’ose pas faire un geste par peur de commettre un impair; qui se tait pour ne pas risquer de mettre les pieds dans le plat. Mais voici de quoi vous rassurer, vous aider a composer quand ily a un raté, un blanc dans une conversation. Rien de tel en effet qu’une petite histoire pour faire passer la bévue. Car, ay regarder de prés, les bonnes maniéres ont une histoire, elles ont évolué au fil du temps, selon les pays. Pour les (ce)découvrir et mieux en faire usage, n’ayons pas peur d’'user et d’abuser encore de la table! «Un diner réussi ne réside pas tant dans les victuailles que dans OT Cite trie cei) ey Goldoni «MAMAN, OU JE METS LA TABLE ? » Nul n’y a échappé! Lorsqu’il s’agit de mettre la table, il y a toujours une bonne 4me pour demander d’un petit air innocent: «Et jelamets ot?», question qui selon ’humeur et le moment peut préter 4 rire ou 4 exaspération... Pourtant, elle a tout 4 fait sa raison d’étre! Des siécles durant, en effet, la table n’a été qu’un simple plateau rectangulaire posé sur des tréteaux dans la salle la plus commode choisie par le seigneur des lieux. Vite monté et démonté, ce systéme avait le mérite d’étre facilement trans- portable d’un chateau a autre, de réunir un grand nombre de convives et de ne pas prendre durablement trop d’espace. Cette fagon de faire est d’ailleurs 4 l’origine de l’expression encore utilisée : « dresser la table ». Une fois mis en place, les invités s’installaient le long d’un seul cété - le maitre de céans trénant en haut bout. Le c6té laissé libre facilitait le service des plats et permettait d’assister sans géne aux « entremets », les spectacles des troubadours. Au XVIFE siécle, la table en tant que meuble permanent et fixe finit par s’imposer. Ses formes et ses dimensions se diver- sifient, elle devient oblongue, ovale, au gré de I’ébéniste. A Yoccasion, il lui arrive de se transformer en « serviteur muet»: n’acceptant plus qu’un nombre de convives restreint, ce qui favorise lintimité et réduit le défilé des domestiques. 10 &= le savez-vous ? Pour profiter pleinement des plaisirs de la chair, des libertins eurent I'idée, au XVIII¢ siécle, d’une «table volante», qui les préservait des regards indiscrets lors de leurs parties fines. Un astucieux mécanisme permettait de faire disparaitre par le plancher la table dans la piéce en dessous od s‘activaient les domestiques. Elle en revenait ensuite garnie de nouveaux mets, d'une nouvelle chére. LE « NECESSAIRE » DE TABLE Fixe ou non, la table, endroit de convivialité par excellence, témoigne aussi de l’appartenance sociale de celui qui recoit. De tout temps, elle a permis d’étaler une certaine magnificence, que ce soit par l'abondance des victuailles, le raffinement de la cuisine ou la profusion des ustensiles et accessoires. Aujourd’hui, en dépit d'une certaine liberté qui autorise le mélange des genres, il est toujours convenu, quand on recoit des invités, de se soumettre aux régles de l'art. Lesquelles préconisent d’abord une belle présentation. LA NAPPE coe = Il n’est de belle table sans nappe. Blanche ou de couleur, en cotonnade provengale ou en organdi, c'est elle qui donne d'emblée la tonalité du repas: trés formel ou plus intime et amical. Et de tout temps, il en fut ainsi. n Du doublier tombé dans I’oub! Au Moyen Age, seules des personnes d’égale condition étaient admises 4 déjeuner « 4 la nappe », c’est-d-dire 4 partager laméme piéce de tissu. Des siécles durant, les nappes ont été en. lin blanc, Jusqu’au XIV¢ siécle, il s’agissait d’un large morceau de tissu que I’on pliait en deux, d’o son nom de «doublier ». On en recouvrait la table en faisant retomber le plus grand pan, du cété laissé libre pour le service, jusqu’a terre. Du méme coup, la partie inférieure du corps des convives échappait aux regards. &> le savez-vous? En tranchant avec son épée le morceau de nappe situé devant V'un de sesinvités, le seigneur faisait reproche & celui-ci de sa bassesse ou de sa lAcheté, lui montrait qu’il était en défaveur et donc qu’il n’était plus bienvenu au chateau. Un geste quia le mérite de la franchise ! On imagine ce que cela donnerait transposé aux banquets de nos gouvernants actuels... aux plis de repassage Au XVII siécle, la table, toujours plus longue que large, est couverte d’une nappe repassée de telle sorte qu’une fois déployée les creux et reliefs donnés par le repassage soient bien visibles. Il est également d’usage de la laisser tomber jusqu’au sol de tous cétés. Cette pratique n’a plus cours de nos jours, sauf lorsque le protocole exige une table de cérémonie. Mais le plus souvent, on s’en tient 4 une chute élégante du tissu. Pour y parvenir, il convient de choisir une nappe adaptée aux dimensions de sa table, puis de procéder 4 l’élimination de tous les plis. La table rectangulaire fait exception: c’est la seule qui commande de garder les pliures dans la longueur. Petit conseil aux empotés du fer a repasser: pour éviter, Jorsque vous repassez, que votre nappe ne garde la marque du plicentral, pensez avant de la replier 4 intercaler une feuille de papier de soie. B Blanche ou de couleur ? Devant le foisonnement de couleurs, de dessins, de matiéres, on a du mal a réaliser qu’il y a encore peu seul le blanc était admis. Or, la nappe, comme tous les autres linges et tissus destinés a étre en contact avec le corps, devait étre blanche. Outre la valeursymbolique attachée a cette couleur (la pureté, Yabsence de souillure), il existe sans doute une raison pratique : lavage aprés lavage, les teintes se décolorent, tandis que pour le blanc c'est inverse; bouilli et rebouilli, le linge sera encore plus net. A partir du xvi siécle, le linge damassé permet de rompre avec Ja sobriété en vigueur: les nappes s’ornent de motifs visibles par effet de contraste (mat sur fond satiné et satiné sur fond mat), elles s’ajourent, s’agrémentent de broderies, de dentelles. Mais le blanc reste la référence. Ce n’est que vers les années 1920 que la nappe, timidement, osera prendre des tons pastel, se faisant, dans le méme temps, plus légére avec des matiéres comme l’organdi ou le fil. &> le sav Traditionnellement, les nappes se « chiffrent » (c'est-a-dire s‘ornent d'une broderie) aux initiales des noms patrony- miques. Le chiffre est brodé, soit au milieu de la nappe, la base des lettres orientée vers I’un des grands cétés, soit 3 l’extrémité de la table (et non de la nappe), la base des lettres tournée vers les petits cétés de la nappe. Cette pratique, un peu tombée en désuétude ces derniéres décennies, retrouve aujourd’ hui une nouvelle jeunesse. La toile cirée, une «innovation charmante» L'invention, sous la Restauration, de la toile cirée, qualifiée 4 ’époque d’« innovation charmante », ne change rien al’affaire! Les critéres de dimensions et de blancheur sont les mémes que pourune nappe de tissu. Mais latoile ciréejaunit vite. Un défaut que n’acceptent pas les bourgeois de l’époque, d’autant plus qu’ils vivent mal sa popularité auprés des couches populaires. Aprés avoir porté la toile cirée aux nues, ils la rejettent et la reléguent a la cuisine - domaine des domestiques -, d’oti elle ne sortira plus. Set de table et autres napperons Dans l’Angleterre victorienne, des petits napperons disposés sur la nappe permettaient de protéger celle-ci des miettes de pain. On les retirait juste avant le dessert. A la méme époque, Pétiquette frangaise contaminée par «la mode anglaise » tolére que le couvert pour le déjeuner — 4 l’exclusion de tout autre repas — puisse étre mis sur des napperons de dentelle posés sur la table nue. Cela vous évoque quelque chose? Mais oui, bien sir: les sets de table, dont la fantaisie, les couleurs, égayent la plus triste de nos tables et dont nous aurions aujourd’hui du mal 4 nous passer. Le terme méme l’atteste, l’origine est anglaise. Mais le «set de table», de to set « poser, placer», n’est entré dans la langue que depuis les années 1930, avec une définition un peu différente de celle que nous lui octroyons maintenant, puisque le set comprenait un « ensemble de napperons assortis, utilisés en lieu et place d’une grande nappe». 16 &= le savez-vous? Al'époque médiévale, il était courant de souligner 3 table la démarcation entre les convives et le maitre par un petit linge, la touaille, que l'on posait sur la nappe devant ce dernier. Un set avant I’heure, en quelque sorte... On peut aimer les assiettes en porcelaine et savoir aussi se simplifier la vie avec des assiettes en carton. Attachement a la tradition et goiit pour le jetable, l’assiette symbolise tout cela ala fois. . Bien dans son assiette Liée au verbe «asseoir» au sens de placer, |’assiette a longtemps désigné la place que les convives occupaient autour de la table, puis par extension le plat servi au cours d’un repas, et enfin une petite vaisselle plate remplacant l’écuelle et surtout le tranchoir (la premiére réservée aux liquides, le second aux solides). D'abord collective, puisque longtemps on mangea a méme le plat posé sur la table, l’assiette s’individualise au XVIE siécle. Appréciée comme élément d’apparat lors des festins princiers, elle parait, cent ans plus tard, comme piéce de vaisselle plate devant chaque convive. 7 Surtout de la rondeur Jusqu’au XVIII siécle, les assiettes étaient en or chez le roi, en argent chez les puissants, en étain dans les couches moyennes de la population. Mais les guerres ayant mis 4 mal les caisses du Trésor, Louis XIV ordonna, 4 deux reprises, en 1689 et 1709, de faire fondre toutes les vaisselles d’or et d’argent pour les renflouer. Conséquence inattendue: les assiettes en faience et en porcelaine se généralisérent dans tout le pays et prirent alors une forme qui perdurera: ronde, avec un bord assez large, qui au gré des influences artistiques s’enrichit de moulures, de courbes et contre-courbes ou de décors plus ou moins alambiqués. Ce n’est que depuis le XX® siécle que les fabricants proposent des assiettes carrées, ovales ou hexagonales, raris- simes auparavant. 18 G= le savez-vous ? La pérennité de la forme ronde tient peut-étre a sa solidité, En effet, une assiette ronde s’ébréche moins que si elle a des angles. Or une assiette ébréchée est plus poreuse, elle retient les microbes, et par conséquent elle est moins hygiénique. L'influence de Picasso et des Demoiselles d‘Avignon «Je préférerais subir des assauts de pique-assiette plutét que les assiettes de Picasso» déclarait le peintre Jean- Gabriel Domergue (1889-1962). Pourtant, si Picasso a relancé la production de poteries 4 Vallauris, on ne peut guére lui attribuer une création phénoménale d’assiettes! En revanche, son influence a été considérable dans l’évolution des formes. A Vorigine de tout cela, Les Demoiselles d’Avignon, tableau «inachevé » de 1907, qui marque le point de départ du cubisme. En conférant aux volumes un aspect géométrique, Picasso révolutionne l’art et donne des idées aux orfévres de la table qui s’engouffrent dans la bréche et se dégagent des modéles passés. Désormais, la pureté des matiéres et les formes angulaires sont mises en avant au détriment des ornements. Une disposition au cordeau De la disposition des assiettes sur la table dépend l’empla- cement des convives. Pour que ceux-ci soient a leur aise, une certaine distance entre chacun est requise. Les régles, en la matiére, sont assez précises. Pour y satisfaire, le ruban de couturiére est incontournable, car la bienséance se mesure en centimétres: idéalement done, les assiettes se placent de 14 2cm du bord de la table et de 50 4 Go cm les unes des autres sila table est rectangulaire, 430 cm sielle est ronde. Pas besoin d’en faire trop: a chaque convive son assiette, pas une de plus! Inutile d’en ajouter une autre en prévision du plat suivant: on ne superpose jamais deux assiettes plates. Seule exception, quand on sert un potage, auquel cas l’assiette creuse se place surl’assiette plate. En revanche, la petite assiette a pain individuelle, indispensable pour les Américains et nos voisins 20 d’outre-Manche, doit impérativement figurer a table, 4 gauche de l’assiette, prés des verres (voir p. 31). Depuis quelque temps, les assiettes dites de présentation, plus grandes que les assiettes plates classiques, font florés. Cette mode, calquée sur la pratique des restaurants, est assez récente. L’assiette y retrouve paradoxalement la fonction qu’elle avait a Porigine: au XVIF siécle, elle servait avant tout d’élément de décoration plus que de couvert individuel. &= le savez-vous? Une assiette est « volante» lorsqu’on l’apporte, chargée de mets, directement de la cuisine sur la table il en est ainsi de Vassiette anglaise, composée de viandes froides et charcu- teries avec cornichons, olives ou mayonnaise, Mais gare a ne pas la prendre au sens littéral. Le diamétre d’une assiette classique est de 23 & 25 em, celui d’une assiette américaine de 26 cm et celui d’une assietie @ pain de 16 em. 2 > me yO 5 d. C'est pourquo est d dition de procéde 5 ye ee po e eille Quiz Wi || Au Québe, lorsqu’on se fait mal au derriére en tombant. Qu’est-ce qu'un platokaolit op oe collectionneur d’assiettes en faience, 1 i Dans quel pays dit-on qu'on se casse une assiette ? » | i Qui acréé une Nature morte 4 la pile d’assiettes? i Charles-Edouard Jeanneret dite Corbusier (1887-1965), | Qu un ami se présente a Pimpemsiece: et ‘Ton eajontert un couvert » table, un geste aussi banal etnaturel quel’expression elle-méme.Pourtant, ce petitattirail, composéd’une fourchette, d'une cuillére et d'un couteau encadrant une assiette, ne s’est imposé que lentement, méme parmi les classes les plus aisées. Le couvert individuel, une apparition tardive a table Des siécles durant, les doigts ont servi a porter la nourriture a la bouche. Mais les convenances de table suivent aussi Pévolution des mozurs. Au XVIII¢ siécle, on recherche avant tout I’élégance, laquelle est souvent entachée d’affectation. Désormais, on ne doit plus toucher les aliments avec les doigts. Seuls les couverts sont dignes de remplir cet office. Déja, vers 1650, quelques signes étaient dans l’air: on ne partageait plus une méme cuillére avec d’autres convives, et les hommes n’usaient plus de leur dague comme couteau de table. Devenu individuel, le couvert témoigne d’une nouvelle sensi- bilité, basée surl’intimité: on porte a sa bouche une nourriture intacte, non «souillée» par le voisin. Et depuis trois siécles, rien n’a changé. METTRE LE COUVERT : GA NE DATE PAS D'HIER ! a De tout temps, rois et princes eurent le privilége de bénéficier d'un service individuel. Mais le pouvoir et les honneurs ne sont pas sans danger. Pour écarter les risques d’empoisonnement, on apporteit les plats couverts d'un linge. Jusqu’au xvi siécle, on " prit ainsi Ifhabitude de « mettre le couvert», expression qui en int par Ia suite 3 désigner la vaisselle puis ce qui est propre a chaque. convive. Lacuillére Avec le couteau, la cuillére fait partie des trés anciens usten- siles de cuisine. Pendant longtemps, elle servit pour porter a la bouche tout ce qu’on ne pouvait prendre avec les doigts. D’abord d’un usage collectif pendant tout le Moyen Age et A la Renaissance, puisqu’on la partageait avec plusieurs convives ati cours du repas, elle devient peu 4 peuun élément du couvert individuel. Souvent le geste conditionne la forme d’un ustensile et vice versa. On peut ainsi vraisemblablement expliquer l’aspect a5 des cuilléres d’aujourd’hui par la mode des fraises, vers la fin du XVI° siécle: pour mieux contourner l’obstacle des larges collerettes empesées et amidonnées, on a allongé le manche; ensuite, celui-cis’estaplati eta pris une légére cambrure, tandis que le cuilleron se creusait et s‘ovalisait de plus en plus. Ala fin du XVIF siécle, est un objet raffiné, qui commence 4 étre miniaturisé : les petites cuilléres servent A accompagner le thé et le café -les nouvelles boissons alors en vogue en Europe. Celles 4 ceuf comportent un cuilleron en ivoire, en os ou en corne, des matiéres qui ne risquent pas de réagit chimiquement avec le jaune de I’ceuf (a l’inverse de l'argent). Aujourd’hui, la présence d’une grande cuillére 4 table n’est réservée qu’a la consommation du potage. > le savez-vous? Les petites cuilléres a entremets viennent entre I'assiette et le verre, manche a droite. Mais elles ne se mettenta l‘avance, surla table, que pour les repas familiaux. Le couteau Depuis ses lointaines origines, le couteau n’a guére varié dans sa conception: un manche et une lame qui s’y enfonce, avec ou sans virole. Au Moyen Age, selon le moment de l'année, la couleur du manche variait en fonction des grandes fétes votives ; noir (manche en ébéne) pendant les quarante jours du Caréme, blanc (manche en ivoire) pour Paques, et noir et blanc pour la Pentecéte. Bien avant Yemploi généralisé de la fourchette, le couteau servait 4 couper en petits morceaux les aliments qui ne pouvaient étre rompus avec les doigts et 4 les porter a la bouche grace ala pointe. Au cours du temps, il s’est spécialisé, et on ne compte plus aujourd’hui les couteaux a steak (lame crantée), & poisson (lame large), a beurre, d’office (petit et pointu), a fruit, a fromage... Celui a bout rond, premier véritable couteau de table, est une «invention » attribuée 4 Richelieu (1585-1642). Un jour qu’a la table du cardinal le chancelier Séguier se curait les dents avec la pointe de son couteau, Richelieu, choqué, appela son maitre dhétel et lui donna l’ordre d’épointer tous les couteaux. II promulgua ensuite un édit pour imposer la pointe arrondie aux couteaux mis 4 table. > le savez-vous ? Les couverts poisson sont assez récents et ne figurent pas dans l'argenterie des familles aristocratiques, lesquelles les considérent comme une marque « bourgeoise». Sile poisson a une chair ferme, comme le thon par exemple, on présente tout simplement des couverts 4 viande. 27 La fourchette Objet diabolique, la fourchette? En tout cas, pas toujours en odeur de sainteté! Connue en Italie au XI¢ siécle (et vraisem- blablement dés ’époque romaine), elle va mettre plus de sept cents ans 4 avoir sa place reconnue A table et A étre adoptée par Tensemble de la société. Car la fourchette est avant tout... une petite fourche, pourvue de deux dents a ’origine et donc assez menagante: elle permettait de saisir des fruits confits collants (son tout premier usage) sans s’en mettre plein les doigts mais n’incitait guére pour autant 4 manger avec; on craignait trop de se blesser. Catherine de Médicis la fait connaitre a la cour de France 28 vers 1530. Mais l’engouement d’Henri IIL, son fils, et de ses mignons pour la fourchette ne va pas aider a sa popularité: non seulement on la juge peu hygiénique (elle sert 4 plusieurs personnes), mais on l’associe a ces courtisans dont les moeurs sont réprouvées par l’Eglise. Vers le milieu du XVII¢ siécle, la fourchette se dote d’une troisiéme dent, puis d’une quatriéme quelques décennies plus tard. Et a partir des années 1700, il est recommandé, dans les classes aisées, d’utiliser une fourchette et de ne pas toucher Ja nourriture avec les doigts. Celle-ci a remplacé la pointe du couteau pour piquer les aliments et est devenue un élément incontournable du couvert individuel. Rabelais (v. 1483-1543) était déja 4a Vavant-garde: d’ltalie, il avait rapporté une fourchette qu°il gardait 4 la ceinture. Pléthore de couverts : un inventaire 3 la Prévert A la fin du xIXx¢ siécle, on adopta usage anglais qui consistait a changer les couverts aprés chaque plat. Encore fallait-il pouvoir disposer d’un wagon d’argenterie! A défaut,’étiquette imposait de ne le faire absolument qu’aprés le poisson. Néanmoins, c’est l’époque ot tire-moelle, cuillére 4 melon, casse-pattes pour crustacés, couteau a poisson, cuillére 4 verre d’eau, pince a asperges, couverts a écrevisses, pince et fourchette a escargots... se multiplient, grace 4 un nouveau procédé : le métal argenté. 29 DINER EN FRANCE DINER EN ANGLETERRE . €e°7e 9 10 1 N 7 6 assiette plate serviette pliée simplement couteau de table cdté tranchant vers I'assiette couteau a poisson (si le menu en comporte) cuillére a soupe caté bombé dessus fourchette de table dents dessous fourchette a paisson dents dessous coupe de champagne verre 8 eau verre 8 vin rouge ecarvauwawnpea a2 20 verre a vin blanc 3 12 ¢ 14 9 7 6 a 4 5 8 assiette plate serviette pliée simplement couteau de table coté tranchant vers l'assiette couteau a poisson (si le menu en comporte) cuillére & soupe, cOté creux dessus fourchette de table dents dessus fourchette 4 poisson dents dessus fourchette 4 huitres ou 4 melon (si le menu en comporte) en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, on place parfois une fourchette supplémentaire pour la salade 40. « beurrier » - assiette pain ‘1 couteau a beurre weawaunawna 7a verre aeau 43. verre avin rouge 14. verre avin blanc 30 31 Uargenterie et le métal argenté Lor et argent sont des métaux trop malléables pour étre utilisés purs. Ce qu’on appelle «argent massif» n’est en réalité qu’un alliage d’argent avec un autre métal, du cuivre le plus souvent. Quantau vermeil, il s’agit d'une couche d’or appliquée sur de l’'argent massif. Dans la seconde moitié du XIX¢ siécle, l’Anglais Elkington met au point un procédé que Charles Christofle va, 4 partir de 1844, exploiter pour la France: il s’agit de recouvrir, par galvanoplastie, un métal ordinaire avec une couche dargent. Cette invention du métal argenté allait permettre la fabrication des couverts en grande série et la prolifération de nouveaux modéles. Avant les couverts en métal argenté et les alliages, Vargenterie pouvait altérer le goiit des aliments, et les protéines ou acides réagir chimiquement et occasionner des troubles digestifs. C’était le cas par exemple avec I’ceuf, ’'asperge, la pomme de terre ou encore la salade assaisonnée de vinaigrette. 32 PACTE DE NON-A‘ Des couverts bien disposés Cuillére, fourchette et couteau se placérent longtemps tous les trois 4 droite de l'assiette, la droite étant symboliquement et traditionnellement associée au bon cété, tandis que la gauche revétait une connotation plus négative. La multiplication des couverts au XIX® siécle entraina un bouleversement des habitudes. Comme il devenait impossible de tout mettre a droite, on procéda 4 une nouvelle répartition des couverts: étrangement, la fourchette (qui avait eu tant de malas’imposer) se retrouva a gauche, tandis que le couteau et la cuillére restaient 4 droite. C’est la disposition que nous continuons A suivre aujourd'hui, avec quelques variantes selon les pays. 33 La guerre des couverts A Pendroit ou a fenvers? That is the question! Mais pour éviter de vains débats, sachez que selon que vous étes d’un cété ou de Tautre dela Manche, les meeurs en la matiére divergent. ~ En France, on dispose les pointes de la fourchette et le cuilleron dela cuillére tournés vers soi. Cette habitude remonte au XVIII¢ siécle, lorsque les grandes maisons qui possédent un bon nombre de couverts se mettent a faire graver, sur l’envers du manche, leurs armoiries. Chaque convive devait pouvoir admirer le travail d’orfévrerie des couverts mis sur la table. —En Angleterre, les armoiries existent aussi, mais elles sont gravées...Al’endroit du manche; par ailleurs, comme ilimporte d’épargner la finesse des nappes etnapperons, on veille pour ne pas les abimer a ne jamais poser directement dessus cuilleron " et dents de fourchette. LES VERRES Incontournables! C’est le mot qui vient immédiatement a esprit. Chez soi, au bureau, au bar, au restaurant, impossible de vivre sans eux... Et les jours de réception, ils sortent aussi le grand jeu. Histoire de mettre les petits verres dans les grands. Le fait du roi Coupes et gobelets, hanaps, chopines (munies d’un couvercle), gourdes, fioles, cruches et flacons en argent, en étain, en or, en vermeil ou encore en verre - une matiére connue depuis ’Antiquité... il y a toujours eu des récipients 4 boire. Mais leur présence a table est assez tardive. Et c’est A un roi qu’on la doit! 34 LES PRINCIPAUX VERRES A VIN bourgogne vin blanc ? fltite verre INAO hauteur totale ; 158 mm hauteur de la jambe: 48 mm diamétre du buvant: 46 mm diamétre maximal du calice : 66mm diamétre du pied : 64 mm Jusqu’a ce que Louis XV, en effet, décide de rompre avec les contraintes de Versailles: plus question d’avoir une desserte recouverte d’une nappe blanche avec-le rafraichissoir od reposent les verres, le roi les voulait sa table. II faudraattendre la Restauration pour que le service de verres— plusieurs verres, de méme modéle mais de tailles différentes, disposés devant Passiette de chaque convive —s’impose réellement. &> le savez-vous ? En principe, les Chinois ne boivent pas au cours du repas. Celui-ci est en effet congu de telle sorte que tous les plats suffisent 3 désaltérer les convives. A l'occasion d’un grand banquet, de I'alcool peut cependant étre présenté dans des petits verres, Iég@rement chauffé au préalable car rien ne doit altérer la température du corps. Mais jamais on ne vous servira un verre d'eau froide. Sans casse (téte) Formes, tailles, contenances de toutes sortes: la débauche de verres 4 laquelle on assiste ne date pas d’hier. Au XIX® siécle, déja, verriers et cristalliers rivalisaient d’audace en créant de véritables ceuvres d’art, parfois bien trop grandes ou excen- triques pour pouvoir durer. Puis il y eut la mode du verre de forme et de taille spécifiques, selon chaque vin. Chaque région se mettant en devoir d’imposer le sien pour promouvoir son vin: Bordelais, Bourgogne, Beaujolais... puis Anjou, Vouvray, etc., car aprés les régions, les appellations d’origine ne voulurent pas étre en reste.S'il faut en retenit quelques-uns, on fera dans les grands classiques, qui s’adaptent a toutes les situations. 36 Un beau cristal doit contenir plus de 24% de plomb. €> le savez-vous ? La boisson, c'est bien connu, éléve l'esprit. A-t-on jamais vu un vin de messe présenté dans un gobelet ? Dans un verre a pied, le voila éloigné du vulgaire, mis sur un piédestal. C’est pourquoi les boissons communes sont servies dans des verres simples, et celles plus raffinées dans des verres & pied. 37 Leverre INAO, késako ? Pour mettre bon ordre 4 ce foisonnement, I’Institut national des appellations d'origine (INAO) a mis au point, dans les années 1970, un verre étalon, appelé «verre INAO». En cristallin (contenant 9% de plomb et non pas 24% comme le vrai cristal), il arbore une forme tulipe, spécialement congue pour concentrer les arémes du vin, et affiche des mensurations qui lui permettent de garder... belle contenance: C’est le seul verre 4 étre utilisé lors des dégustations professionnelles. Etes-vous FLUTE OU COUPE ? ap Lhumanité se divise en deux catégories, souvent irréductibles : les adeptes dela flte et les tenants dela coupe. Il est vrai qu'une coupe déborde toujours, méme quand elfe n‘est pas remplie (mais c'est la loi de Murphy) ! Qu’elle condamne celui qui la tient a réduire l'amplitude de ces mouvements (mais c’est une fégle de savoir-vivre) ! Qu’elle fait baver (il est inévitable que les commissures de la bouche s'écartent dés lors que les lévres sont en contact avec le bord) ! A ces détracteurs, Madame de Pompadour, mattresse du foi Louis XV, amie des écrivains et des philosophes, aurait vraisemblablement trouvé d'autres réparties. Cette femme non seulement intelligente mais également belle aurait mis, dit-on, $a plastique a contribution pour honorer le champagne dont elle faffolait: dé son sein, on aurait fait le moule dela coupe. Oncomprend mieux pourquoi certains revendiquent haut et fort celle-ci plutot que la fldte, Pour cette derniére, on vous laissera imaginet ce quia pu servir de modéle. 38 Du bon dosage d'un service de verres Dans les années 1950, un service de verres comprenait au minimum 48 verres — le plus souvent 72! -, classés en quatre catégories selon leur usage: ~Verres 8 madre ; pour vins liquoreux ou alcoolisés (de 8 810 cl) ; ~Verres a bordeaux: pour vins blancs et vins rouges légers (de12.415 el) ; -Verres 3 eau (de 12416 cl); =Verres § champagne (de14 16 cl). Pouvaient s’y ajouter: —8 verres a apéritif ou a porto; -8 verres ou gobelets 4 cocktail en métal ; 8 verres a liqueur (de 243 cl) en métal (argent), verre ou cristal ; - 8 verres a dégustation (de 10 8 20 cl), de forme ballon, 4 ouverture rétrécie pour la dégustation des eaux-de-vie ; — 8 gobelets pour les jus de fruits et sirops (de 12, 14, 16 cl) et la biére (de 25 830 cl). En dépit des contenances assez limitées, le volume occupé par une telle quantité de verres laisse réveur quant aux dimensions du buffet pour les entreposer. A moins d’un bris régulier... toujours source de bonheur, assure-t-on. &> le savez-vous ? Briser son verre aprés l’avoir vidé fut trés en vogue a la Belle Epoque et jusqu’aux années folles. Tradition russe ? Pas si sir! Cette mode aurait plus vraisemblablement été laneée par une firme de verrerie francaise installée en Russie dans les années 1900, qui aurait trouvé ainsi le moyen de faire progresser (tras vite!) ses ventes et de confirmer le proverbe : « Qui casse ses verres les paie. » 39 GARDER BONNE CONTENANCE Qs En France, la biére reste la grande absente de la table, Dans d'autres pays, comme I’Allemagne, elle est au contraire fort prisée. Histoire de garder |a téte sur les épaules, voici quelques contenances qui lui sont spécifiques : -le bock correspond a12,5 cl; rledemi vautas cl; =le distingué équivaut 450 cl; le parfait vaut11; —le sérieux correspond 21; = le formidable (dont les effets le sont certainement moins) équivaut 43 ly Ala frangaise ou a l'anglaise : placer les verres Pour parer 4 toute remarque désobligeante de la part de votre belle-mére, on vous livre ici quelques secrets pour disposer les verres en bonne et due place. ~ Si votre belle-mére est frangaise. La bienséance impose de placer devant l'assiette de chaque convive, sur une ligne droite et par ordre décroissant de gauche A droite, les différents verres 4 vin. Selon Nadine de Rothschild, il peut y avoir, dans les grands diners, deux verres 4 bordeaux, l’un pour le vin qui accompagne la viande, l’autre Je fromage. En tout eas, «il faut toujours deux verres (méme dans les diners de famille), le verre a eau déja servi (pas trés plein) et le verre 4 vin». ~Si votre belle-mére n’est pas francaise. Mettez vos insomnies 40 4 profit pour comprendre la logique anglo-saxonne: « Dans les pays de langue anglaise, le verrea cau se placejuste au-dessus de la pointe du premier couteau, un peu en retrait vers l’intérieur. Le second verre - qu'il soit 4 vin blanc ou rouge importe peu en l’occurrence — vient a droite du verre & eau, légérement en avant vers le bord de la table. Quand ily a trois verres — généra- lement, lors d’un grand diner — le deuxiéme verre se décale vers larriére tandis que le troisiéme (donc le premier que J’on utilisera) occupe la place avant. Les trois verres forment alors un triangle. » REUSSIR UNE FONTAINE DE CHAMPAGNE i @o— Commencez par rassembler 105 coupes de champagne, soit | 60 pour la base, 30 pour le premier étage, 10 pourle deuxieme, 4 pour le troisiéme, et une au sommet. Puis versez le vin: mousseux dans le dernier verre qui surmonte l’édifice: il s’écoulera en une cascade joyeuse, remplissant les verres au passage. 4 Nappe et serviettes, c’est bien connu, vont de pair; un couple qui remonte d’ailleurs au Moyen Age. En effet, la pratique du doublier (voir p. 12), plié en deux, a progressivement été abandonnée au profit de la longiére: un morceau de toile posé sur la nappe et dans laquelle « collectivement» on s’essuyait la bouche et les doigts. Elle a remplacé la toile que l’on suspendait auparavant au mur, 4 proximité de la table, et qui remplissait le méme office. En dépit du soin apporté a ce linge, lavé, amidonné, parfumé aprés chaque repas puis entreposé dans un coffre, le c6té «individuel » va prendre le pas sur le « collectif » et favoriser l’avénement de la serviette individuelle. 42 Grande comme une fraise Pour nous, la fonction premiére d’une serviette est de s’essuyer la bouche au cours du repas et de protéger les vétements. Or, aussi habituel et évident qu'il paraisse, ce geste ne le fut pas pendant des siécles. Les Celtes, raconte Alexandre Dumas, s’essuyaient les doigts aux bottes de foin qui leur servaient de siége. Et les Spartiates réservaient 4 chaque convive un morceau de pain destiné au méme usage. Autres temps, mais meeurs similaires: dans le Japon d’aujourd’hui — une civili- sation qu'il serait difficile de qualifier de peu « hygiénique » -, la serviette ne figure pas au cours du repas. En France, c’est a la Renaissance que la serviette individuelle apparait... Et dans des proportions impressionnantes (1 métre carré!) mais nécessaires pour protéger les fraises, ces colle- rettes tuyautées et empesées alors 4 la mode. Sous le régne d@’Henri III, au seuil du XVI° siécle, chaque convive en a ainsi une — voire plusieurs puisque dans certaines maisons la serviette est changée aprés chaque service -—, nouée autour du cou grace 4 l'aide d’un domestique. Du lin au papier: réduite 4 peau de chagrin Comme pour tout le linge de maison, la matiére de prédilection jusqu’au XVII° siécle est le lin, simple avant d’étre damassé, brodé, monogrammé. L’introduction du coton importé d’Inde en Angleterre — et la fabrication industrielle qui s’ensuit au XIX® siécle—va avoirune conséquence, de taille une fois encore, sur la serviette: non seulement le coton prend la place du lin a table, mais la serviette adopte des dimensions plus discrétes et suit des pliages plus simples. Elle se met 4 visiter des registres B de couleurs autres que le blanc ow le beige, et a s’assortir avec lanappe, dont elle reprend le fil et ?organdi. Aujourd’hui, matiéres et coloris rivalisent d’ingéniosité. Lune des derniéres « découvertes révolutionnaires »? Tout simplement la serviette en papier qui se jette au panier aprés utilisation ! Pratique et hygiénique, elle a de beaux jours devant elle, méme si la bienséance proscrit son usage pour les repas un tant soit peu formels. 1931: Cette année-la, VAméricain Arthur Scott langait sur le marché la premiére serviette en papier, ouvrant la voie @ toute une gamme de produits «esstie-tout». Adopter le triangle ou le rectangle? Sur une nappe de couleur faisant ressortir la vaisselle blanche - ou, inversement, sur une nappe blanche agrémentée de vaisselle de couleur -, les serviettes parachévent joliment la disposition de la table... A condition que vous ne commettiez pas la maladresse de les mettre 1a od il ne faut pas, dans une forme qui ne leur sied pas. Résumons. Il s’agit d’un déjeuner? Alors, optez pour la serviette pliée en triangle et déposée dans lassiette. Cela concerne un diner? Cette fois, mettez-la sous la fourchette, a gauche de I’assiette, pliée en deux (en rectangle). &> le savez-vous ? Lerond deserviette, quiapparait dans les années1840, atteste de la diminution de la taille de la serviette — plus petite, elle se roule facilement et peut se ranger dans un tiroir de cuisine. Il fait également le bonheur des bouillons, ces restaurants ot les habitués retrouvent leur serviette maintenue par cet anneau de bois dans le casier marqué a leur nom. Des origamis de tissu Dans tous les cas, rejetez toute velléité de fantaisie dans ’agen- cement des serviettes de table et prenez-en votre parti: ce n’est qu’au restaurant que l’éventail déployé dans un verre — et qui vous plaisait tant — est admis. Il n’en.a pourtant pas été toujours ainsi. La mode des pliages, initiée dés la Renaissance, témoigne au XVII® siécle d’une belle inventivité: les serviettes se transforment en éventails, en poissons, en coquillages, en oiseaux, en animaux ou en fleurs. Pendant plus de deux cents ans, cet art va connaitre un 45 véritable engouement. Au début du XIX siécle encore, il était impensable 4 toute maitresse de trés bonne maison de ne pas s’abonner a un journal de New York pour se tenir informée des derniers pliages 4 la mode! Mais 4 la fin du siécle, un revirement s’amorce. Désormais, le bon ton enjoint de revenir a la simplicité. Et si aprés un siécle d’éclipse, les serviettes pliées en « bouton de rose», en « plastron de chemise» ou en «nénuphar» reviennent sur le devant de la scéne, ce n’est pas par la grande porte, pour une grande occasion, mais plutét pour un repas familial ou entre amis, pour une tablée plus informelle. 46 LA TOUCHE FINALE Accessoires et ornements divers contribuent au plaisir des yeux et excitent les papilles avant ’heure. Des bouquets... Que le diner soit plus ou moins sophistiqué n’influe guére sur Ja décoration florale, Tout au plus respectera-t-on davantage de sobriété pour un repas d’apparat. Dans tous les cas, les bouquets disposés sur la nappe doivent étre sans parfum ou trés peu odorants (pas question donc de placer un bouquet de muguet au centre de la table, méme lors de la féte du 1® mai!) et assez bas pour ne pas géner la conversation entre les personnes assises en vis-d-vis. Ils peuvent étre de couleurs variées, assorties ala nappe. Si cette derniére est blanche, pour un grand diner, les fleurs seront blanches ou dans des tons pastel. «Il est rare qu’on ne posséde pas quelques fleurs, un peu de verdure; on en ornera la table la plus modeste pour charmer Veil du convive. » Baronne Staffe Des bougeoirs... Les bougies (non parfumées, bien évidemment) apportent Aune table un éclairage plein de douceur qui, dans le cadre d'un téte-4-téte, accentue encore la sensation d’intimité. A condition, toutefois, qu’elles soient placées 4 hauteur des visages ou légérement au-dessus! On a tous fait ’expérience d'une lumiére éclairant un visage par en dessous: au mieux, la beauté de la jeune premiére y laisse des plumes ; au pire, son partenaire s’enfuit 4 la vue de... miss Hyde. D’ot l’utilité de recourir a des chandeliers plutét qu’a des photophores. 48 Du bristol, Pas de repas de réception ou de diner important sans un menu placé a chaque extrémité de la table! Il est méme préconisé d’en mettre un entre deux couverts dés que I’on dépasse les huit convives. Selon la baronne de Rothschild, tout menu devrait étre rédigé a la main, sur un bristol blanc cerné d’un liseré d’or: doivent y figurer la date, les plats dans leur ordre d’apparition (a l'exception des « fromages » car il ne saurait y avoir de bon diner sans fromages) et les différents vins. Concession au progrés; des logiciels informatiques permettent aujourd’hui de réaliser des menus imprimés en caractéres «manuscrits » ou autres. Pourquoi s’en priver? Concession A la flemme : si vous n’avez pas envie de rédiger un menu, annoncez simplement a vos invités une fois attablés ce que vous leur réservez. &> le savez-vous? Les premiers menus sont apparus a la table de Louis XV a Choisy, mais ce sont les grands restaurants qui ont impulsé leur succés : a la fin du xviie siécle, ces rectangles de carton ornés de motifs décoratifs étaient proposés avant le repas par le restaurateur aux clients. Petit 4 petit, «trnant» &l’entrée, ils sont devenus l’enseigne du restaurant. Au xixe siécle, les grandes compagnies de navigation et les chemins de fer vont sen emparer, puis les banquets de la scéne politique. Gagnant finalement toutes les couches de la population au cours du Xx¢ siécle, le menu est désormais incontournable au repas de communion ou de mariage. 49 «De quel repas se souvient-on? De ceux qui | furent délectables ou pour la bouche ow pour Vesprit. Ce ne sont pas toujours — les mémes. Les plus exquis de tous n’ont-ils pas été ceux que l’on improvisa ? On se souvient trente ans aprés de deux wufs sur CTR CM ey ee LOL RS sans doute — mais la main nait la poéle était DU DINER AU DEJEUNER Selon le protocole, on invite a déjeuner au restaurant et on regoit 4 diner chez soi. Une pratique largement imposée par le rythme de la vie professionnelle, mais qui s’inscrit dans une tradition plus lointaine: déja aux XVII° et XVIII* siécles, le repas principal était le diner... 4 une différence prés (et de taille), puisqu’il se prenait en milieu de journée, entre 11 et 13 heures! De fait, diner et déjeuner ont la méme origine — disjejunare en latin signifiant littéralement «rompre le jetine ». Le diner a donc pendant des siécles été assimilé au premier grand repas de la journée (ce que nous appelons aujourd’hui «déjeuner»), avec des horaires qui ont considérablement évolué au fil du temps, en fonction des activités sociales et politiques et selon les milieux sociaux, Pris vers 15 heures la veille de Révolution, le diner T’était plutét vers 17 heures sous la Restauration. Aujourd’hui, il est réguligrement servi vers 20 heures, al’heure du journal télévisé. C’est au moment de la Révolution que vient s’intercaler entre le petit déjeuner, simple collation, et le diner, un «déjeuner a la fourchette», avec des mets substantiels. Progressivement, ce déjeuner va s’imposer et gagner toutes les couches de la population. Mais (rancgon de sa popularité?) il souffre d'une petite connotation populaire ou familiale et, sauf circons- tances exceptionnelles (fiancailles ou mariage), ne bénéficie pas des honneurs et du décorum de table réservés au diner, plus complet, plus soigné. 52 &> le savez-vous ? Nos amis québécois continuent d’utiliser les termes «diner» pour déjeuner et « souper » pour le repas du soir. 42 minutes: c’est la durée moyenne d@’un diner. De 2 & 6 heures: le temps qu’il faut pour le digérer. LE SERVICE A LA FRANCAISE Que les plats soient de qualité et le service irréprochable, et les convives rentreront chez eux l’esprit apaisé et le ventre comblé, C’est le Xvir¢ siécle qui ouvre la voie a la gastronomie et régle l’ordre d’apparition des plats. Alors que la table médiévale faisait la part belle aux patés, tourtes, viandes et volatiles de toutes sortes, superbement parés pour le plaisir des yeux, l’époque classique s’attache 4 redonner aux aliments une saveur plus naturelle, sans que le gofit soit masqué par des épices ou des sauces sucrées. D’autant que, cété cuisines, le « potager » ("ancétre du fourneau) permet des cuissons et préparations plus délicates que dans la cheminée. Le (bon) gofit est 4 ordre du jour, les mets répartis par catégorie et présentés selon un enchatnement précis. Le repas s’organisé ainsi selon une succession de services, composés chacun d’un ensemble de plats apportés simul- tanément sur la table et desservis en méme temps pour étre remplacés par une autre série. Ce « service a la frangaise» va dominer jusqu’au milieu du XIX¢ siécle dans toute l'Europe. 53 N STYLE BIEN FRANCAIS @Q—=s Gyre eererindes médiévale: Pec des legumes longtemps méprisés, création de « liaisons »4 base de farine...) et _ des cuisines européennes d’alors, mais également un ensemble __denormes, de pratiques codifiées ~c’est-a-dire des « maniéres de table» = qui vont das lors marquer et souligner encore plus V'appartenance sociale. , Lordre de succession des plats: traditionnellement lié a la « diététique » La succession des plats au cours du repas refléte bien souvent Vidée qu’on se fait de la digestion. Ainsi, Al’époque médiévale, on pense que certains aliments ayant des propriétés spéci- fiques («tempérament froid ou chaud » par exemple), il faut en tenir compte dans l’élaboration des menus. Au XVI° siécle, un ordre commence 4 se généraliser: on débute par les aliments acides (fruits et salades), suivis des « potages » (c’est-a-dire des soupes, purées et plats en sauce), des rats et grillades, et enfin des desserts, fromages et fruits confits, tandis que des épices A mastiquer permettent a Tisstie du repas de se nettoyer la a4 bouche et de favoriser la digestion. Aujourd’hui, un déjeuner type avec crudités, plat principal accompagné de sa garniture et tarte pour finir obéit 4 la méme logique. > le savez-vous ? En Chine, la succession des plats 4 chaque service doit donner au convive I‘agréable sensation que l'inventaire des saveurs simples (salé, sucré, acide, amer, piquant) et de leurs combinaisons a été épuisé. De méme, les parfums, couleurs, volumes qui sollicitent les autres sens doivent créer une harmonie interne répondant a celle des autres plats. De la symétrie avant tout Le service 4 la francaise reprend l’ordre de succession des plats adopté dés la Renaissance, tout en se conformant 4 l’étiquette et au cérémonial en vigueur a la cour de Louis XIV. La maitrise de la symétrie, pratiquée dans l'architecture ou les jardins 4 la francaise, se retrouve ainsi dans la disposition et le nombre des plats: répartis de part et d’autre d’une piéce centrale, ils ont vocation d’orner la table. Les services, le plus souvent au nombre de trois — et parfois jusqu’a huit lors des grands repas - comprennent le méme nombre de plats. Chacun est libre de commencer par l'un ou Yautre, sachant que son choix est cependant limité par ceux disposés devant lui. Mais si le nombre de plats présentés est considérable, donnant une sensation de profusion, les quantités en revanche sont limitées: plus que de manger une portion, on se contente de bouchées. Peu 4 peu, le service ala francaise devient de plus en plus lourd et compliqué a gérer. 55 : ] ; ] ; D’autant qu'il a un inconvénient majeur: méme placés sur des réchauds et couverts d’une cloche, les mets sont consommés froids! &> le savez-vous ? Qu’on ne s’y trompe pas ! De nombreux plats ont beau, dans le service a la frangaise, étre disposés a |avance sur la table, il s’agit bien d’un banquet et non pas d’un buffet! L'ancétre de ce dernier étant plutét « I'ambigu », dont le nom tient au fait qu'on ne savait, selon Grimod de la Reyniére, célébre gastronome du xvui siécle, «si on en [était] aux entrées, au roti, aux entremets ou au dessert». LE “SERVICE ALA RUSSE 1789-1848, Entre ces deux révolutions, une troisiéme, lus modeste mais moins anodine qu'il n’y parait, bouleverse les usages: le service 4 la russe, qui pour l’essentiel régit toujours nos pratiques de table. A l’étranger, le service des plats a déja été largement simplifié. Mais le prince Alexandre Borissovitch Kourakine, ambassadeur de toutes les Russies en France, va en lancer la mode vers 1810: les mémes mets (préalablement découpés en cuisine) sont servis 4 tous les convives, et les plats se succédent sans jamais tréner sur la table (exception faite des desserts présents pendant la durée du repas). L'aliment au cceur du repas Avantage de taille avecle service alarusse: les plats n’attendent plus et sont mangés chauds! Une «innovation», qui va 7 permettre aux cuisiniers de préparer différemment les mets, @innover dans les appréts et d’accorder A I’aliment une place de choix. Grimod de La Reyniére (1758-1837) y gagnera le titre de «premier grand critique gastronome»! A son initiative, en effet, est créé un «Jury dégustateur» qui gofite un plat sans en connaitre l’auteur et publie ses conclusions dans une revue, l’Almanach des gourmands. C’est 1a l’origine des chroniques gastronomiques et celle d’un célébre guide... &> le savez-vous? Uhétellerie de palace du début du XX® siécle distingue trois services : a la francaise, a l’anglaise et a la russe (dit aussi « au guéridon »). Ces pratiques concernent la fagon dont on sert les plats plut6t que leur enchainement. 58 ‘PONCTUALITE DE RIGUEUR Dans le service a la frangaise, le plat est présenté par la gauche au convive, qui se sert lui-méme; dans celui a ‘anglaise, le serveur porte le plat sur une main et sert chaque convive ; enfin, dans le service 4 la russe, le plat est présenté aux convives, puis déposé sur un guéridon, un serveur étant alors.chargé de dresser les assiettes, qui sont ensuite posées devant chaque convive. Dans son traité de la Physiologie du goat, Anthelme Brillat. Savarin écrivait : « De toutes les qualités du cuisinier, la plus indispensable est Pexactitude. Elle doit étre aussi celle du convié. » Et il est vrai qu’attendre trop longtemps un retarda- taire pour passer a table peut charger l’atmosphére de tensions et débuter un repas sous de biens mauvais auspices. Qu’on y ajoute la perspective d’un soufflé trop cuit ou retombé, et cela risque de virer au cauchemar. En France, la personne qui invite tient pour acquis que ses invités respecteront un quart d’heure de courtoisie (qui parfois peut aller jusqu’a la demi-heure, notamment en ville et plus spécifiquement a Paris ot les embouteillages sont légion en début de soirée). Au XIX® siécle, al’époque de la baronne Staffe, il s’agissait d’un quart @heure... d’avance. Aujourd’hui, ¢’est Yinverse! Mais passé ce délai, il est indispensable de prévenir de son retard et de s’en excuser auprés de ses hétes. Quant 4 arriver plus t6t que ’heure dite, est risqué non pas de trouver porte close mais de mettre son hétesse dans l’embarras. 59 Alétranger En Allemagne, un retard de dix minutes au plus est toléré, Au-dela, vous risquez les foudres teutonnes. En Suisse alémanique, la ponctualité est d’une rigueur encore plus prussienne et ne tolére aucun écart. I] en va de méme pour les pays nordiques: Finlande, Danemark, Norvége. En Espagne, il est préférable d’arriver avec moins d’une demi- heure de retard. Tandis qu’en Italie, le «délai de grace» est sensiblement le méme qu’en France, environ 15 minutes. En Hollande, le souci de l’exactitude est tel qu’on peut se permettre d’arriver avec 5 minutes d’avance. En Chine et au Japon, l’absence de ponctualité témoigne d'un manque de savoir-vivre. En Amérique du Sud, au contraire, on apprécie modérément les adeptes forcenés de la ponctualité. Eternels retardataires, voici pour vous le pays révé! 60 « MADAME EST SERVIE! » La porte a double battant du salon vient de s’ouvrir: le maitre d@hétel parait et prononce gravement la formule rituelle: «Madame est servie». La scéne est familiére, qu’on l’ait vécue ou, plus communément, vue dans un film. A lorigine de la formule, sans doute le cérémonial instauré a la cour de Versailles ot le roi était averti par «Les viandes sont servies». Aprés la Révolution, on serait passé 4 « Le menu est servi», avant de rendre hommage 4 Madame, au siécle bourgeois. Le placement des convives Exception faite des repas intimes ou informels ot chacun se place a son gré - les hommes alternant généralement avec les femmes -, le placement a table est une véritable épreuve pour la maitresse de maison. Car pour éviter de commettre un impair ou de froisser la susceptibilité d'un invité, elle doit prendre en compte un certain nombre de paramétres: age (plus ou moins respectable), sexe (plus ou moins faible), fonction occupée (plus ou moins ministérielle), situation familiale (plus ou moins célibataire). Sans compter la forme de la table (ronde ou rectangulaire) et la sensibilité culturelle de Phétesse: rompue aux moeurs frangaises ou influencée par la mode anglo-saxonne. Pour que la prise de téte ne dégénére pas ultérieurement en prise de bec, on peut retenir que: ~ en France, le maitre et la maitresse de maison sont assis au centre de la table, I’un en face de l'autre; chez les Anglais et assimilés, ils si¢gent chacun a un bout; 61 —les places 4 droite et 4 gauche de la maitresse de maison sont occupées par les hommes que l'on veut honorer, celles a droite et A gauche du maitre de maison par leur femme ; — lorsque les invités sont tous sur le méme plan social, les places d’honneur sont attribuées soit aux personnes invitées pour la premiére fois, soit aux plus agées, le savez-vous ? Dans les diners de cérémonie, ot! les convives sont placés par petites tables, il est de tradition de séparer les couples, sauf les marigs qui le sont depuis moins d'un an. Diner de tétes Ceux qui patiemment, ceux qui prudemment, ceux qui doctement élaborent des plans de table... tous ceux-la savent concilier l’expérience, la délicatesse et le bon sens, plus stirement que le plus complet des manuels. Que la réception regroupe des notabilités exceptionnelles, et le protocole teprend ses droits, avec un ordre de préséances bien arrété, cela va de soi: —cardinal et duc, —maréchal, ~ archevéque et évéque, — ministre, ~ général. Les femmes, quant elles, bénéficient d'un rang correspondant A celui de leur époux et vice versa. => le savez-vous ? C'est pour éviter toute querelle de préséances que les cheva- liers du roi Arthur prenaient place autour d’une table... ronde. Nombre maléfique Et si le plus a craindre était le 14? L’un de vos invités vient de téléphoner pour s’excuser d’un empéchement de derniére minute. Et voici votre beau plan de table réduit 4 13 convives, un nombre qui, comme chacun sait, porte malheur dans la plupart des pays occidentaux. Que faire? -miser sur le fait qu’il y aura au moins un convive qui mangera pour deux; 64 ~ procéder a un tour de table des dames invitées et demander si Tune d’elles n’attend pas un heureux événement; - faire ’autruche, en pariant que personne ne s’en apercevra ou que si quelqu’un le remarque, il se taira par courtoisie; — ou, plus radical, faire d’une pierre deux coups en supprimant votre époux. Mais en vérité, comme |’écrivait Grimod de La Reyniére: «Treize 4 table n’est A craindre qu’autant qu’il n’y aurait a manger que pour douze. » &> le savez-vous ? Chez les Romains, les convives étaient habituellement3 oug : autant que les Graces, pas plus que les Muses. Les Grecs, eux, aimaient le nombre 10, parce qu’il est rond. Quant 8 Platon, il préférait les banquets 8 28, le nombre de jours que met la Lune pour accomplir son cycle. Qui sert qui et comment ? Ilya service et service! Tout dépend du repas: sil s’agit d’un diner cérémoniel, la présence de serviteurs est requise, et le service prend alors des allures de ballet, selon des régles bien déterminées... qui sont, 4 quelques détails prés, les mémes que pour un déjeuner plusinformel.Le principe de base est simple: un plat est toujours présenté par la gauche (et la sauciére parla droite). Le serveur, quand il y en a un, sert d’abord les femmes, en commencant par celle assise a droite du maitre de maison, puis celle 4 sa gauche et celle en face, avant de poursuivre avec la voisine de droite de la maitresse de maison, puis celle de sa 65 gauche, la maitresse de maison étant la derniére servie. Vient ensuite le tour des hommes, en commengant par celui 4 droite de l’hétesse, puis 4 gauche, etc. Le maitre de maison vient en tout dernier. Se servir soi-méme Lorsqu’il n’y a pas de serveur, la maitresse de maison assure le service en présentant au convive d’honneur le plat avec les couverts de service tournés vers lui, de sorte qu'il puisse les prendre facilement. Une fois que ce dernier s’est servi, il replace les couverts dans le plat, pointes en bas, et présente le plat 4 son voisin, du cdté entamé. &> le savez-vous? En cas de préparation particuligrement délicate, la maftresse de maison peut garder le plat & cété d’elle et proposer de servir tout le monde. Dans ce cas, on évitera de brandir son assiette sous le nez du voisin ! Les erreurs a éviter En principe, on évite de servir au cours d’un méme repas: — deux tartes (par exemple, une quiche en entrée et une tarte aux fraises en dessert); ~ deux plats en sauce (par exemple, des asperges sauce hollan- daise et un poisson au beurre blanc) ; ~ deux féculents (par exemple, un taboulé en entrée et des pommes dauphine en garniture) ; ~ deux plats ayant la méme base (par exemple, une terrine de poisson en entrée et un saumon a l’unilatérale en plat); 66 — deux vinaigrettes (si vous servez un carpaccio de tomates/ mozzarella a la vinaigrette en entrée, vous ne présenterez pas de salade avec le fromage). Quant aux plats trop épicés ou aillés, ils sont également déconseillés. Dans les diners un peu cérémonieux, le poisson est de rigueur; en revanche, les crudités en sont proscrites (mais elles sont présentes au déjeuner), et on sert plutét un potage ou une entrée chaude en hiver (et froide en été). 67 Le service du vin Alors que les plats sont présentés 4 chaque convive par la, gauche, les vins, 4 ’inverse, sont servis par la droite... avec - cela s'impose — doigté et maestria: la bouteille est tenue parle corps et non par le col, et bien évidemment jamais appuyée sur le buvant du verre. Comme le vin se réchauffe vite, les verres ne doivent jamais étre beaucoup remplis (et jamais a ras bord): pour un blanc ou un rosé, il est préférable de ne pas dépasser le tiers; pour un rouge, un verre rempli aux deux tiers est parfait, le vin aura le temps de s’aérer et de prendre un ou deux degrés. Un grand vin rouge supporte d’étre carafé quelques heures & Vavance, cela lui permet de s’aérer et d’exalter ses aromes. Mais attention! A vouloir tout carafer - c’est trés tendance -,on peut obtenirl’effet inverse, c’est-a-dire casser le bouquet et le charme du vin, voire se couvrir de ridicule... sl s’agit d’un vin blanc! &= le savez-vous? En principe, une femme ne se sert jamais a boire; c’est son voisin qui doit penser a le faire. A défaut d’attendre patiemment, sans piper mot, elle peut faire le geste de glisser discrétement son verre vers lui ou le soulever légérement. «Il y a au commencement de chaque grand repas deux sortes de regards furtifs: celui qu’on lance vers le décolleté de la belle madame, celui qu’on lance vers Vétiquette de la bonne bouteille, » Ramon Gomez de la Serna 68 Ordre et températures de service des vins Vous apprécierez d’autant mieux les vins si vous suivez ces quelques régles simples: —les blancs précédent les rouges; —les blancs secs se servent aprés les demi-secs, les moelleux ou les liquoreux; —un vin jeune vient avant un millésime plus ancien; — un vin rouge fruité précéde toujours un rouge plus corsé, plus tannique; De méme, une température mal adaptée suffit 4 déflorer, voire a casser la subtilité aromatique et la finesse d’un vin. Alors, avis aux amateurs: ~un vin blanc ne se sert jamais glacé, ni frappé ; la meilleure température est entre 8°C et 13 °C; -un blanc moelleux se sert 4.9 °C ou 10 °C; jo — les vins rouges, généralement « chambrés », sont servis trop chauds; la température idéale se situe entre 15°C et 18°C; —un rosé se sert entre 8°C et 10°C; —un champagne se sert également frais (8-10 °C). &> le savez-vous ? Autrefois, les vins étaient servis 3 la température ambiante de la chambre... laquelle n’excédait guére 18 °C. Aujourd’hui, les pices étant surchauffées, « chambrer» le vinne peut que lui nuire. « La biére est certainement aprés le vin la meilleure liqueur fermentée, elle est infiniment plus répandue que ce dernier et se fabrique dans tout l’univers. » Alexandre Dumas val Débarrasser sans embarrasser TLy a des indices qui ne trompent pas: des couverts posés dans des assiettes plus ou moins vides indiquent qu’il est temps de passer au plat suivant (ou 4 d’autres réjouissances si le repas est terminé). Dans le cadre d’un repas de cérémonie, le serveur procédera avec discrétion et dextérité au changement @assiettes et de couverts. Sinon, c'est ala maitresse de maison de le faire: de sa place, elle présente d’une main une assiette propre et prend de l'autre la sale qu’on lui tend (et non pas Tinverse), édifiant au fur et mesure une pile d’assiettes sales sur ume table, roulante de préférence, afin d’escamoter rapidement les reliefs du repas. ES MOMENTS BIEN PARTICULIERS Petitdéjeuner, déjeuner, diner ponctuent lajournée etrégissent depuis des siécles nos mceurs alimentaires, avec pour seule dérogation des glissements d’horaires. Aujourd’hui, méme avec l’accélération du rythme de la vie quotidienne, ils conti- nuent d’étre des repéres fixes dans le temps et les garants de la convivialité. S’y ajoutent des moments particuliers comme le cocktail, ou le thé, dont certains pays ont fait une véritable cérémoriie. 3 APERITIF ET COCKTAIL Depuis longtemps, il est courant avant le repas de prendre un «apéritif». Le mots’est d’abord appliqué, au XVIII siécle, a tout aliment capable d’ouvrir et de stimuler l’appétit. Puis lapéritif est devenu une boissonalcoolisée, quia varié selon les époques, s’accompagnant ou non de petits-fours salés, amuse-gueules et autres fruits secs 4 grignoter. Le cocktail, beaucoup plus récent, est quant 4 lui un mélange a base d’alcool, qui peut étre aussi un bitter, c’est-a-dire une liqueur apéritive amére. &> le savez-vous? Au Moyen Age, des vins liquoreux et aromatisés avec des herbes étaient servis avant le repas. Le plus connu est sans doute I’hypocras, un vin sucré et parfumé a la cannelle, aux clous de girofle, au gingembre et a la cardamome, qui était présenté avec « I’assiette de table », c'est-a-dire un « premier mets» composé de fruits et préparations légéres. «Apéro = verres de contact». Telle est la définition - particuliérement sobre! - que faisait Antoine Blondin de Vapéritif. Trinquer «Vous prendrez bien un verre?» Comment résister 4 une proposition si alléchante! Déja vous tendez la main vers le verre qu’on vous tend... Attention! Ce geste, apparemment anodin, en a envoyé plus d’un ad patres. Quatre cents ans plus 74 tét, aucun grand du royaume ne s’y serait risqué sans s’étre assuré au préalable qu’aucune main malveillante n’avait glissé subrepticement une funeste dose de poison, De 1a découle notamment le rituel, toujours d’actualité, de trinquer. Choquer plus ou moins fortement son verre contre celui du voisin en le regardant droit dans les yeux, c’est d’une part lui signifier sa confiance (qui regarde franchement ne saurait étre parjure), et @autre part mesurer quand méme le danger (si tu as cherché A m’empoisonner, les gouttes qui jaillissent de mon verre en tombant dans le tien risquent, elles aussi, de causer ta perte). Porter un toast Dans la bonne société, choquer son verre contre celui du voisin peut paraitre.., choquant ou du moins trivial, trop populaire. Le débat ne date pas d’hier; la baronne Staffe y faisait déja allusion, ily a plus d’un siécle, dans ses Usages du monde: «On voulait faire renaitre la vieille mode du choc des verres, en buvant Ala santé les uns des autres, usage de trinquer aimé de nos aieux. Ce n’est pas encore réadopté, On toaste comme en Angleterre; ou mieux, on porte lasanté des gens, ce qui est une coutume frangaise aussi.» Mais une fois le vin versé, il faut le boire! Et le plus souvent cul sec. &> le savez-vous? Une anecdote circule dans les cercles d’expatriés: lors d'une réception a Pékin, les membres de la délégation francaise levérent leur verre en lancant un vibrant «tchin-tchin». La réponse ne se fit pas attendre: « Flance-Flance », fit un Chinois avec un large sourire. ve) Une habitude so British Le toast fait doncle style. Ce geste élégant et discretdeleverson verre tient en fait son origine d'une vieille pratique francaise. En effet, la tostée désignait une tranche de pain grillé trempée dans le vin. Nos voisins d’outre-Manche ont adapté cette coutume a leurs maniéres : quand ils buvaient 4 la santé d’une dame, ils faisaient ainsi circuler une chope de vin contenant un morceau de pain, symbolisant la dame elle-méme. Au final, c’est l’auteur du voeu quis’en régalait. Voltaire, de retour d’Angleterre, rappelle que «c’est parmi eux un grand sujet de dispute si une femme est tostable ou non, si elle est digne qu’on la toste». Les dames d’aujourd’hui apprécieront... 76 Un excés de propreté nuisible au champagne? Le champagne est l’apéritif par excellence, et sa mousse évoque irrésistiblement la féte. Pas question de se priver du joli cordon de bulles qui monte; qui monte... Il arrive pourtant que la mousse se tarisse pour cause d’un excés de propreté. En effet, excepté le premier jet résultant du contact avec l’air, ce vin ne donne pas de bulles lorsqu’il est servi dans un verre rincé mais non essuyé (un chiffon laisse Pi toujours des peluches, méme infimes, sur les parois, ce qui augmente la mousse). Pour éviter ce qui apparait 4 certains comme un réel désagrément, le fond des verres 4 champagne est souvent gravé d’une étoile ou de rayures, pour favoriser le bon dégagement du gaz. A chacun sa danseuse Dans les années 1900, les jeunes lords de la cour d’Edouard VII défrayérent la chronique en buvant du champagne dans un chausson de ballerine. Y gagnaient-ils la vertu de la danseuse ou un supplément de bulles? L’histoire ne le dit pas. En revanche, elle fit assez de bruit pour que la baronne Staffe la réprouve 78 fortement: «Chacun sait quel jeu de mots et quelle galanterie singuliére a donné naissance, en ce pays [I’Angleterre], A ’usage dont nous nous occupons. Chez les Polonais, aprés une mazurka échevelée, ilarrive qu’on porte la santé de sa danseuse en buvant du vin de Champagne versé dans sa bottine toute chaude. Le prince Gedroyc usa ainsi, en guise de verre, du soulier avec Jequel Taglioni* avait dansé un ballet en cing actes. » La « boisson du batard » Quelques gouttes de cognac, un trait d’angostura bitter, un morceau de sucre brun... le champagne accepte de bon gré quelques ajouts pour se transformer en une nouvelle boisson de plaisir: le cocktail. Apparus en France dans les années 1880, ces mélanges colorés, nés aux Etats-Unis, vont connaitre une véritable vogue entre les deux guerres, période of s’ouvrent des bars dans les hétels célébres. Le succés des cocktails est tel que le mot en vient désigner non plus seulement une boisson, mais également un mode de réception... Sile glissement sémantique est évident, l’origine du terme est plus incertaine. L’une prédomine: cocktail, de argot anglo- américain, serait la contraction de cocktailed horse, «un cheval auquel on a coupé la queue de sorte qu'elle se redresse en haut », une pratique qui ne concerne que les chevaux batards. I] wen fallait pas beaucoup pour passer de ce «cheval de moindre valeur» a un «homme aux meeurs abAtardies.», et finalement a un alcool mélangé a autre chose. * Marie Taglioni (1804-1884) est considérée comme la premiere grande ballerine romantique. 79 &=> le savez-vous ? Les cocktails se scindent en deux catégories : les short drinks et les /ong drinks, « boissons courtes » ou « boissons longues », selon qu’ils sont servis secs ou allongés d’un liquide ajouté (eau ou autre). 1933; La prohibition de alcool est abolie aux Etats-Unis. La méme année nait le Bloody Mary. Le sens du buffet Lors d’un cocktail, des serveurs circulent parmi les invités en leur proposant un rafraichissement alcoolisé ou non, En revanche, les invités se servent généralement eux-mémes au buffet. La pile d’assiettes, les couverts et les serviettes placés & Tun des bouts sont une précieuse indication pour savoir dans quel sens évoluer. Le plus souvent, la progression s’effectue de Ja droite vers la gauche. La raison? La plupart des gens sont droitiers! > le savez-vous ? Si les Francais ont adopté le mot anglais drink pour désigner une boisson alcoolisée, les Anglais, eux, ont préféré unterme d'origine francaise pour les boissons sans alcool : beverage. 80 D’origine incertaine - Chine, Birmanie, Inde? -, d’abord consommeé pour ses vertus médicinales, le thé a fini par conquérir toute la planéte. Ce breuvage qui est plus qu'une eau chaude a su s’adapter a toutes les civilisations. Dans certains pays, il est méme devenu un temps fort de la vie sociale. Vous avez dit five o’clock tea? Peut-on imaginer un Anglais sans cup of tea? Passionnés de thé et passés maitres dans cet art, les Britanniques le déclinent a Yenvi, de la premiére tasse prise le matin au réveil a celle servie avec viande froide, poisson, terrines, fruits et toasts a la place du repas du soir (meat tea). Quant a l’afternoon tea, c’est un moment sacré, que nul cataclysme ne saurait troubler. Lamode en est lancée dans les années 1840 par Anna, septiéme duchesse de Bedford. Les horaires des repas ayant évolué (voir p- 52), elle décida d’inviter quelques amies 4 venir prendre le thé chez elle pour combler I’attente entre déjeuner et diner. Fixé initialement 4 16 heures, ce thé se transforma en five o’clock tea a Vinitiative de la reine Victoria, qui jugeait ’horaire plus adéquat. Un thé anglais comprend traditionnellement des scones, des muffins, des cakes et autres patisseries accompagnés de marmelades, de confitures, etc., avec parfois des petits sandwichs au concombre. La boisson elle-méme se sert avec du lait ou de la créme, voire une rondelle de citron, et du sucre. Et la question continue d’alimenter les conversations: faut-il mettre en premier dans la tasse le lait ou le thé? 81 &> le savez-vous? New York, 1908. En envoyant a ses clients des échantillons de thé dans du tissu de soie, Tomas Sullivan n‘imaginait pas que ceux-ci allaient les faire infuser tels quels, dans leur emballage ! Sans le vouloir, il venait de lancer la mode des sachets de thé. Ailleurs aussi Il y a un fossé, et parfois méme un abime, entre la maniére anglaise de boire le thé et celle d’autres peuples. Petit inventaire. e Alarusse Ou quand thé noir rime avec samovar, car cest autour de cet objet (sorte de bouilloire, dont apparition coincide avec Yintroduction du thé en Russie) que s'est développée depuis le XIX® siécle la tradition d’en boire 4 tout moment de la journée. La préparation est simple: dans une petite théiére posée au sommet du samovar se trouve un concentré de thé noir qu’il suffit d’allonger d’eau chaude a volonté, grace au petit ro| situé a la base de l’appareil. En accompagnement? une petite coupelle de confiture le plus souvent. « Alamarocaine Dans les pays du Maghreb, le thé, symbole de l’hospitalité, s’offre avec de délicieuses patisseries. Sa préparation reléve du chef de famille, qui fait infuser thé vert, feuilles de menthe et sucre ensemble dans une théiére. Puis il verse le thé dans des petits verres, de trés haut pour bien l’oxygéner. Il procédera ainsi trois fois, Comme le dit le proverbe touareg: « Le premier verre est aussi fort que la vie, le deuxiéme aussi bon que l'amour, le troisiéme aussi doux que la mort.» 82 + Alachinoise S’il n’a jamais fait Pobjet d'une cérémonie aussi strictement ritualisée qu’au Japon, le thé est cependant un élément incon- tournable de la culture chinoise et de la vie quotidienne. Seule exception? table. En effet, contrairement a ce qui se pratique dans les restaurants asiatiques en Occident, en Chine on ne boit pas de thé au cours du repas. Un rituel au Japon Plus qu’un breuvage national, le Japon a fait du thé une philo- _ sophie et un art. Ainsi, 6 millions de Japonais pratiquent le cha no yu, la «cérémonie du thé», une pratique qui s'imscrit dans la tradition zen. Le maitre de thé recoit ses invités dans un petit pavillon, réservé a cet usage, et procéde a la préparation du matcha (thé vert). II Poffre au premier invité qui en boit trois gorgées, avant de le passer a son voisin. Puis il présente des patisseries 84 suivies d’un thé plus léger. La cérémonie s’achéve dans le recueillement et la contemplation des calligraphies de la piéce. Pureté, raffinement et recueillement... cette cérémonie, en apparence simple, vise la perfection et nécessite de longues années d’apprentissage. 1800 milliards: c’est le nombre de tasses de thé bues chaque année dans le monde, avec une moyenne de... 3 tasses par jour et par habitant en France. PAUSE CIG Aprés le café pris au salon, rien n’est meilleur qu’un cigare vous diront certains. En proposer quelques-uns de marques différentes reléve donc de la plus élémentaire des courtoisies. Et ne vous offusquez pas si l’un de vos invités, en amateur avisé, sort de sa pochette son havane préféré, Ce geste peut, ARE. certes, passer pour un manquement aux régles de savoir-vivre, mais rien n’empéche non plus d’y voir aussi la marque d’une belle vertu: « Fidéle a son cigare, fidéle 4 son amour»! &> le savez-vous ? Si les cigares sont originaires de plusieurs pays, les marques les plus prestigieuses proviennent de Cuba: Montecristo, H. Upmann, Romeo y Julieta, Partagas ont approvisionné le monde entier en havanes, et fait réver d’un bout 4 l’autre de la planate. 85 Le fumoir ou le boulevard? Longtemps, les chiqueurs ou autres priseurs de tabac n’ont dérangé personne. Si les bonnes manieéres interdisaient de ne pas garder la chique en bouche devant une dame, nul ne se plaignait de cette consommation. II en alla tout autrement quand commencérent 4 émerger pipes, cigares et cigarettes. Dans les années 1830, fumer devient une véritable mode. D’emblée, aussi, la fumée apparait comme le point délicat de ce nouveau type de plaisir. Pleins de prévenance envers les bronches des dames, les messieurs prennent alors ’habitude de se retirer, a l’issue du repas, dans un endroit of fumer 4 leur aise. A défaut de fumoir, ils se satisfont de l’escalier ou’ de la rue... Battre la semelle sur les trottoirs transformés pour occasion en fumoirs de service ne date donc pas d’hier. &> le savez-vous? Balzac, grand consommateur de café, exécrait les fumeurs (sans renier pour autant le houka, sorte de narguilé indien), jugeant que «le cigare infeste I’état social» et allant jusqu’a suggérer au préfet de Paris de « parquer les fumeurs»... «Les Parisiennes n’ont que deux antipathies: les crapauds et la fumée de tabac.» Balzac Une jaquette pour fumer En 1853, 58 millions de cigares étaient fumés en France; dix ans plus tard, le chiffre était multiplié par dix. On comprend qu’a ce rythme la fumée et l’odeur de tabac froid aient été 86 le cauchemar des maitresses de maison. Au final, elles y gagnérent le smoking. C’est dans la bonne société anglaise que se mit en place la pratique d’apporter aux convives masculins un vétement pour fumer: ils ’endossaient aprés avoir 6té leur frac, puis le dernier cigare éteint, remettaient habit et retrou- vaient les dames, sans crainte de les incommoder par une odeur désagréable. Aujourd’hui, le smoking a déserté les maisons bourgeoises et ne se porte plus qu’a la faveur de grandes réceptions. L’usage du tabac, lui, est resté, mais dans la sphére strictement privée. Lors d’un déjeuner ou d’une soirée, ce sont désormais les fumeurs qui font, 4 défaut de leurs poumons, le sacrifice de leur plaisir. Sauf si leurs hétes les invitent a fumer. 87 &> le savez-vous ? Le havane est le produit d’un terroir mais aussi l’ceuvre du torcedor, celui qui le fagonne manuellement. On distingue trois parties : la tripe, la sous-cape et la cape. Ce sont ces assemblages de feuilles qui communiqueront au cigare sa force, sa puissance, ses arémes ainsi que sa couleur. Allumer son cigare Gay est, vous en avez un dans la main. Mais vous n’y connaissez rien et ’angoisse vous ¢treint: par quel bout le prendre? Pas de panique, il n’y en a que deux, facilement identifiables. —La partie arrondie, fermée, proche de la bague, est la «téte»; c'est elle que vous sectionnerez avant d’allumer votre cigare, de préférence avec un outil dévolu a cet usage: ciseaux ou guillotine, et surtout pas avec les dents! ~ A Vopposé, se trouve le pied, que vous embraserez a Yaide d'une grande allumette; le briquet 4 essence ou la bougie sont a éviter, car ils communiquent une odeur désagréable au cigare. Ensuite, prenez le temps de savourer votre vitole (cigare) en découvrant les senteurs et saveurs particuliéres qui s’en dégagent. &> le savez-vous? Uncigare-surtouts’il est bon !~peutserallumer. Néanmoins, il est préférable de faire cela chez soi; lorsqu’on est invité, mieux vaut s’en abstenir. De méme, il se furne jusqu'au bout. Mais si vous le jugez trop roboratif, inutile de vous donner la nausée ; déposez-le dans un cendrier. 88 250000! C’est le nombre de cigares que Winston Churchill, mort a 91 ans et grand amateur devant VEternel, aurait fumé au cours de sa vie, a@ raison de 5 vitoles en moyenne par jour. : 4 : i Se eee ea ae eee ne de manger le mammow avec ses doigts et com CE MC te a a) des convenances. San-Antonio x UN PEU DE TENUE! Et de la tenue, il en faut 4 table! C’est la, en effet, que dés son plus jeune age, l’enfant commence a entendre le refrain des «tiens-toi droit», «ne parle pas la bouche pleine», «mets ta serviette », etc. qui le poursuivra une bonne partie de sa vie. Alors, a moins d’étre en téte-a-téte avec soi-méme (et encore!), pas question de se laisser aller A manger vautré sur sa chaise ou de se lancer dans l’étude attentive de quelque mucosité nasale... Les gestes comme les paroles trahissent la bonne ou la mauvaise éducation. : : Tout cela ne date pas d’hier. En 1530 est publié 4 Bale De civilitate morum puerilium (La Civilité puérile), dont Y’auteur n’est autre qu’Erasme (v. 1469-1536), le grand humaniste hollandais. Ce traité dédié 4 Henri de Bourgogne, fils du prince de Veere, enseigne aux enfants les préceptes a suivre dans les différentes circonstances de leur vie (comment se vétit, se comporter & table, etc.). S’il reprend des notions de morale et d’hygiéne, déja en vigueur 4 l’époque médiévale, il met surtout en avant - 3) gui peg une éthique de vie basée sur le respect de soi et des autres. Cet ouvrage, qui parait 4 un moment ot émerge une nouvelle aristocratie distincte de ’ancienne noblesse féodale, va étre 4 Vorigine d’un trés grand nombre de recueils de civilité puis de manuels de savoir-vivre. Les codes bourgeois font des petits Avec la fin de Ancien Régime, |’éducation propre a l’aris- tocratie périclite. Elle est remplacée au XIX® siécle par de nouveaux codes institués par la bourgeoisie, la nouvelle classe 92 dominante, qui se veut l’égale et la rivale de la noblesse. Vont ainsi se multiplier des traités de savoir-vivre, rédigés par des auteur(e)s doté(e)s d'une particule vraie ou fausse. La plus connue sans doute? La baronne Staffe. Sous ce pseudonyme, se cache Blanche Soyer (1843-1911), une célibataire modeste de Savigny-sur-Orge. Avec ses Usages du monde - Regles du savoir-vivre dans la société moderne, elle va acquérir fortune et tenommée en donnant le ton des convenances a des généra- tions de Frangaises et de Frangais. Mais bien d’autres ajoutent leur pierre a l’édifice de la politesse: Mme de Bassanville (Code du cérémonial — Guide des gens du monde, 1873), la comtesse de Gencé (Savoir-vivre et usages mondains, v. 1890), Mme Louise @Alq (Le Nouveau Savoir-Vivre universel ou la science du monde, 1880), Jules Clément (Traité de la politesse et du savoir-vivre, 1878) ou encore, quelques années plus tard, Liselotte (Le Guide des convenances, 1915). A partir des années 1950, le savoir-vivre s’ouvrira a |’international et s’assouplira. Mais, dans les. grandes lignes, les régles de la bienséance, bien qu’un peu moins strictes, restent en vigueur. Sans mollesse et sans raideur A partir du XVIF° siécle, la notion d’intimité (et par conséquent «de territoire») devient trés présente. Et les bonnes maniéres ne manquent pas de s’en faire l’écho. Désormais, tne certaine distance corporelle est de rigueur, sauf dans des occasions trés précises, comme le baisemain par exemple. Pas question non plus de s’affaler sur un siége, une telle attitude apparai- trait comme un manque de respect ou la volonté de prendre possession du territoire d’autrui ou d’un espace commun. 93 Inversement,iln’est pasadmis de setenirtropraide:celadénote quelqu’un de mal a Paise, dépourvu de I’élégance «naturelle» des gens distingués... Il faut donc concilier les deux. Une sorte de «code de maintien du corps» se met alors progressivement en place. Il n’a guére varié depuis. &> le savez-vous ? La position assise pour manger n'est pas aussi naturelle qu’elle y parait, ni universelle, loin s’en faut. Jusqu’au xx® siécle, dans de nombreux pays du monde, les repas se prenaient accroupis, a genoux ou sur une banquette basse. Sans oublier nos ancétres les Romains qui banquetaient accoudés. A cet égard, la derniére mode 4 New York, dans des restaurants branchés, est de manger... a I’horizontale ! Juste retour aux sources ou signe de décadence ? A bonne distance de la table Le corps a table doit essayer de se faire le plus discret possible. Dvailleurs, les régles de savoir-vivre ne transigent pas: elles imposent de ne pas étre rivé 4la table, ne pas en étre distant de plus de 50 cm; se tenir droit, sans se pencher ou s’affaler, pour éviter tout contact—hormis les avant-bras—aveclanappe. Pour s’assurer une belle prestance, certains proposent d’imaginer avoir un chat endormi, lové sur les genoux, et une souris entre soi et le dossier de la chaise. Objectif: éviter que le chat ne se réveille.,. of La bonne maitrise des coudes «Enléve ton coude!» s’entendaient dire les enfants, il n’y a pas si longtemps encore, quand sous l’effet d'un petit laisser-aller ilss’appuyaient sur la table. Menace ultime : «Toute chair posée surla table sera coupée.» Eh oui, la bonne éducation impose de ne pas mettre les coudes (ni les avant-bras) sur la table, ni de manger en s'appuyant dessus. Quant 4 les écarter pour venir 4 bout d’un morceau de viande récalcitrant, c'est risquer sinon Yexclusion sociale, du moins l’opprobre général. 95 Jeu de mains... En matiére d’usages et de protocole, la France s’oppose 4 la perfide Albion depuis des lustres. Les mains en sont un exemple frappant. Alors qu’en France il est impoli de poser ses poignets ailleurs que sur la nappe, de l’autre coté de la Manche est l'inverse: les mains doivent étre sous la table, 4 plat sur les genoux. A Porigine, des mains bien visibles prouvaient qu’elles ne portaient pas d’armes. AV’inverse, des mains cachées laissent la porte ouverte a toutes les supputations: les Anglais procédent- ils ainsi par excés de puritanisme et souci d’estomper encore plus le moindre recoin de peau? Pour montrer qu’ils ne sont absolument pas belliqueux et que leurs intentions sont pures? Ou, plus prosaiquement, pour dissimuler au regard d’autrui une passion dévorante pour les roses... et cacher leurs ongles ornés de terre? «jeu de vilain Mieux vaut, en bonne société, et encore plus a table, éviter de parleravecles mains. Nonseulementun peu tropdevéhémence peut avoir des conséquences regrettables sur la vaisselle, mais elle témoigne trop ouvertement d’un tempérament passionné. Or passion et bienséance ne font pas bon ménage. Modestie, discrétion et mesure: tel est le credo du beau monde. Faire des grands gestes dénote une origine vulgaire. Et du méme coup révéle l’'absence de maitrise de soi — le fameux self-control anglais. 96 MORALE CHRETIENNE U SAVOIR-VIVRE Doigts autorisés ! Les régles sont faites pour avoir des exceptions, et la pratique pour conforter la théorie. Voici donc un petit tableau des aliments A consommer sans modération, tous doigts en mouvement! Pour étre certain d’étre dans le bon, confor- mez-vous aux gestes de la maftresse de maison. Sachez également que, lors d'un diner un peu cérémonieux, on vous présentera les aliments apprétés de telle sorte que vous n’ayez pas a utiliser vos doigts. Mieux encore, on s’abstiendra purement et simplement de vous les servir. — Artichaut: en le maintenant de la main gauche, prélevez une feuille dela main droite et trempez|’extrémité tendre une seule 7 fois dans la sauce ; progressez ainsi feuille par feuille, de l’exté- rieur vers le centre; lorsque vous avez atteint le foin, retirez-le avec votre fourchette puis dégustez (enfin!) le fond. — Asperge: pour certains, ce légume se mange avec les doigts, mais de préférence dans les diners intimes (et proprement) ; tenez-le par le bout de la tige, plongez la pointe dans la sauce... et avalez l’asperge en entier, car un bon cuisinier veille 4 ne laisser aucune partie dure. ~ Crevette: tout en tenant la téte de la main gauche, effectuez un mouvement de torsion de Ja main droite pour la rompre et Ja défaire du corps; détachez la queue, puis enlevez la carapace de avant vers l’arriére a l'aide du pouce et de l’index droits. _Crustacés :casse-noix et fourchette a crustacés sont présentés en méme temps que les langoustines, écrevisses, homards et autres crabes; saisissez le corps du crustacé de la main gauche et tordez l’appendice caudal de la main droite; brisez les pattes et les pinces a aide du casse-noix, puis extrayez la chair avec la fourchette a crustacés. - Epi de mais: particuliérement apprécié aux Etats-Unis, ce légume ne figure que rarement a notre table; pour le déguster plus commodément, on peut insérer des petites piques en métal ou en bois a chaque extrémité pour le tenir afin d’y mordre a pleines dents. 98 {> le savez-vous? Louis XIV mangeait avec ses doigts. Napoléon les préférait, lui aussi, a la fourchette et au couteau dont il maitrisait moins bien l’usage. Quant & son plus jeune frére, le roi Jérame de Westphalie, il mangeait, rapporte la princesse Mathilde sa fille, «la salade avec ses doigts », et répliquait quand on lui disait que ce n’était pas propre que «de son temps, il aurait été grondé s'il ne |’avait pas fait» et accusé «d’avoirles mains sales», Rince-doigts obligatoire Pain excepté, dés que les doigts sont sollicités pour manger, chaque convive se voit pourvu d’un rince-doigts. Ce petit bol en faience, porcelaine ou métal, rempli d’eau tiéde agrémentée de quelques gouttes de citron ou de fleur d’oranger et de 100 quelques pétales de fleurs est posé sur la table 4 la gauche des couverts, et retiré en méme temps que les assiettes. N’en profitez cependant pas pour y faire vos ablutions, méme par temps de canicule. Se laver les mains, comme on le faisait au XVII® siécle, au-dessus d’un bassin tandis qu’un serviteur versait l'eau d’une aiguiére, est un usage révolu. Aujourd’hui, la bienséance impose de ne tremper que le bout des doigts, de les mouiller 4 peine, pour éliminer petits résidus et odeur un peu trop prégnante. DU DOIGTE AVEC LES OBJETS Nous les connaissons depuis I’enfance. Mais aussi familiers soient-ils, n’oublions pas qu’ils peuvent se transformer en démons. A nous alors de les maitriser pour qu’ils ne se déchainent pas et ne s’échappent pas... au moins le temps d’un diner. Conseils 4 tous les empotés des objets. Outre son réle décoratif dans la présentation de la table (voir p. 42), la serviette a une fonction hygiénique, Et si ses dimen- sions plus restreintes protégent de moins en moins des éclaboussures et des taches (mais, en principe, on ne mange pas comme un cochon!), elle sert toujours 4 s’essuyer les doigts discrétement ou a éliminer toute trace de rouge 4 lévres ou de sauce génante sur sa bouche avant d’avaler une gorgée de vin. 101 Avant/aprés Pas question, quand vous prenez place a table, de vous saisir de votre serviette, de la secouer d’un geste de la main pour la déplier avant de vous en couvrir le haut des cuisses. Méme sile «vintage» est dans l’air du temps, inutile d’adopter une mode passée d’époque | Depuis le siécle bourgeois, on laisse sa serviette pliée en trois, simplement dépliée dans la longueur avant de la poser sur ses genoux. Le repas terminé, inutile de s’évertuer a vouloir lui redonner sa forme initiale. Ce serait comme vouloir remettre ¢a et s’inviter une seconde fois... Les plats ont beau avoir été de qualité, il n’est peut-étre pas judicieux de le souligner de cette fagon. D’autant que ce serait mettre en évidence certaines décorations que votre serviette n’aura pas manqué d’acquérir entre-temps. Plus simplement, posez-la dépliée, sans en faire un tas bouchonné, a droite de votre assiette. Au cou ou sur les genoux ? Ali-Bab (1855-1931), célébre gastronome du début du XX® siécle, ne se démontait jamais. Quand il mangeait, il mangeait. Quitie a choquer l’assemblée. Ce qu’il fit sans aucun doute ce jour ot il dégusta, au chateau de Grosbois, le fameux liévre a la royale du chef cuisinier. En occurrence, ce qui choqua ne fut pas tant la délectation et le plaisir qu’il y prenait... que la serviette qu'il avait nouée autour de son cou. Car, et cela découle de ce qui précéde, la serviette ne se met jamais ni dans l’échancrure de son corsage, nia sa boutonniére, encore moins autour du cou! Moralité: si vous aimez le liévre a la royale, savourez-le dans Pintimité. 102 > le savez-vous? | arrive parfois que la serviette ait des velléités d'indépen- dance. Qu’elle se soit incidemment glissée sous la fesse de votre voisin(e) ou qu’elle ait chuté a terre, faites comme pour un couvert; laissez-la tranquille, et ne la prenez pas pour vous en servir 4 nouveau ! S COUVERTS En employant des couverts a table, ’homme ne fait rien d’autre que d’affirmer sa suprématie sur le monde animal. Se diffé- rencier de la béte, tel est le principe fondamental qui sous-tend les bonnes maniéres. Non seulement, il faut savoir jongler-avec assurance — avec son couteau, sa fourchette et sa cuillére, mais le faire aussi en toute discrétion. Car il est rare, méme pour de fervents adeptes de musique concréte, que des grincements ou des raclements dans une assiette réjouissent loreille. La meilleure fagon de s‘en servir Il est parfois délicat de manier ses couverts avec adresse et de passer de l'un 4l’autre sans en mettre partout sur lanappe. Bref, leur maitrise reléve de Vart... variable selon les continents. ~ Ala mode «européenne », la fourchette est tenue de la main gauche, dents vers le bas, de maniére a piquer l’aliment, tandis que le couteau est dans la main droite. ~ A Peaméricaine» (méthode également dite « zigzag»), fourchette et couteau sont tenus de facon similaire mais uniquement quand i] s’agit de couper l’aliment. Ensuite, les choses divergent: on pose le couteau dans l’assiette pour venir 103 s’emparer de la fourchette avec la main droite et porter aux lévres la bouchée désirée; et quand il n’y a pas lieu d’utiliser son couteau, on garde sa fourchette dans sa main droite. Le débat en la matiére reste ouvert — et seuls les gauchers pourront dans l’affaire agir 4 leur guise et tirer leur couteau du jeu. Pourtant, sur un point au moins, les deux méthodes ‘accordent: les couverts doivent rester 4 ’horizontale (surtout jamais dressés a la verticale!), l’index de chaque main prenant appui sur le tiers supérieur du manche. &=> le savez-vous ? Ce sont toujours les couverts les plus éloignés de l'assiette qui sont 4 prendre en premier. Si certains vous intriguent car vous les découvrez pour la premiére fois, ne vous démontez pas: observez les maitres de maison ou vos voisins pour savoir comment vous en servir, La cuillére : par devant ou sur le cété Des «jusqu’au-boutistes » s’affrontent quant 4 la question de manger avec la cuillére: faut-il la porter a ses lévres par le grand cété ou par le petit bout? Réponse de Normand: les deux facons sont correctes, mais la premiére est anglaise, tandis que Ja seconde est frangaise. Cuillére et spaghettis Qui dit Italie pense aussitdt spaghettis. Et l4-bas, pas question de servir des pates en garniture d’une viande ou d’un poisson. Non! La pasta vient avant, juste aprés les antipasti. Question de tempo. Question également de doigté. Au risque d’offusquer vos amis italiens, ne vous avisez jamais d’utiliser un couteau pour manger des spaghettis, votre amitié en serait « entaillée ». Et si Pon vous propose une cuillére, sachez que c'est sans doute pour vous éviter de recourir 4 la premiére expectative: le couteau. Mais la cuillére n’est pas admise dans la bonne société! Alors, seule possibilité: maitriser cette longue nouille avec la fourchette. Commencez par en prendre une ou deux et tournez votre fourchette lentement, en l’appuyant contre Passiette et en la tenant trés droite. Observez les spaghettis: peu a peu les premiers entraineront les seconds, comme Panurge ses moutons. Le couteau : un «succédané » d’arme Alevoir prendre place quotidiennement table, onen oublierait presque que le couteau a été et reste une arme. Heureusement, les bonnes maniéres sont 1a comme une piqiire de rappel. Avec les injonctions suivantes: ne pas pointer son couteau vers 106 quelqu’un, ne pas le tenira pleine main comme un poignard, ne jamais le poser la lame tournée vers l’extérieur mais toujours vers soi; et enfin ne pas s’en servir pour porter un aliment a sa bouche. Quant 4 le lécher, c’est vouloir tenter le diable, et prendre le risque d’avoir la langue fourchue! Frappé d’interdit, le couteau l’a souvent été au fil des siécles, notamment pour certains aliments... dont la salade (le métal avait la méchante tendance 4 s’oxyder sous l’action de la vinai- grette, voir p. 32). Il permettait également de vérifier l’origine sociale du convive confronté a ladite verdure: difficile, en effet, pour qui ne s’est pas exercé dés le plus jeune age, de plier une feuille avec la fourchette dans une main et un petit bout de pain dans l’autre pour en faire une jolie petite bouchée. Tout cela avec délicatesse et naturel. On ne vous fera pas injure de vous demander de vous entrainer avec de la frisée... Du bon usage des couverts a dessert Les fruits se coupent et se pélent avec une fourchette et un couteau a dessert. Ce qui nécessite, dans le cas de la pomme par exemple, de la couper d’abord en quartiers (seule fois ott il est permis dela prendre avec les doigts); puis, tout enla maintenant avec la fourchette de la main gauche, de la peler avec le couteau de Ja main droite. Vient alors l’opération délicate: retirer le coeur, sans P’'expédier manu militari dans l’assiette voisine. La virtuosité 4 se sortir de cette situation périlleuse dénote, aujourd’hui, des maniéres exemplaires et l’appartenance A la bonne société. Pourtant,jusqu’au milieu du X1X¢siécle, cen’ était pas tant aux convives 4 faire la preuve de leur bonne éducation qu’a la maitresse de maison. Du coup, il était préconisé de 107 présenter les fruits déja pelés, recouverts de leur pelure, afin que les convives puissent manger proprement. On alla méme jusqu’a les servir, quelques années plus tard, coupés en petits morceaux. Heureux temps... &> le savez-vous? La tarte se coupe en petits morceaux 4 I’aide du tranchant de la fourchette a dessert. La cuillére n'est utilisée que pour la créme. Un code dans Iassiette La derniére bouchée avalée, les couverts en main, vous hésitez. Qu’en faire? Les poser sur la table? Dans l’assiette? Au tournant du XX®siécle, il était prescrit deles garderalamain, sous prétexte que les poser et les reprendre était non seulement inélégant mais également... une perte de temps! (Avantage corollaire: on mangeait moins de pain, car tenirA la fois ses couverts et rompre son pain en morceaux relevait tout simplement de l’exploit!) Dans un monde ot le temps est synonyme d’argent, cette pratique sera peut-étre remise a I’honneur dans quelques années. En attendant, A défaut de porte-couteau — actuellement Alamode aprés une longue période de rejet des tables raffinées (voir p. 28) -, vous n’avez pas le choix: c’est l’assiette! Pas n’importe comment, cependant. Car selon que vous mettez vos couverts d’une fagon ou d’une autre, vous indiquez que vous faites une petite pause ou que vous avez complétement fini. — Vous faites une pause? Alors, ne posez pas vos cotverts 4 cheval sur la table et l’assiette mais préférez plutét les réu- nir dans celle-ci, les pointes de la fourchette vers le bas et le 108 couteau 4 l’extérieur, la lame tournée vers la fourchette. ~ Vous avez terminé? Rassemblez-les, toujours parallélement, comme une pendule qui marquerait 16 heures 20. Surtout, ne les croisez pas. Cette pratique, en vigueur dans les années 1930, est passée a la trappe. D’autant que, dans certains pays, deux couverts croisés dans une assiette ont la méme signification que deux épées sur une carte: le symbole d’une bataille. De laa penser que le repas a viré au pugilat... jurchette....du moins en France «De tous les plaisirs, quand il n’en reste plus, il reste toujours celui de se lever de table aprés un repas ennuyeux.» Paul Claudel 109 es, se coupent non pas aa. Quand tout marche aux baguettes Les baguettes, en bois ou en bambou pour les plus simples, en bois laqué, en os ou en ébéne pour les plus raffinées, font désormais partie des objets quotidiens de la table. Connues en France depuis le XX° siécle, et notamment les années 1950, avec les différentes vagues d’immigration, elles sont devenues d’un usage quasiment banal. Mais un maniement approximatif, s'il est toléré dans les restaurants asiatiques, risquerait de choquer profondément vos hétes japonais ou chinois. Gros plan sur des convenances ane pas oublier: —les baguettes se posent a la droite du convive; ~on les tient d’une seule main, la droite, toutes les deux dans 10 le méme sens, et on ne doit pas les utiliser pour «jouer de la batterie » sur le bol ou sur la table; -onne les prend pas dans le poing, on ne les pointe pas non plus vers quelqu’un, ce qui est pergu comme une attitude belli- queuse ; — on ne s’en sert pas comme d’une fourchette : pas question de les planter dans un aliment pour le saisir, et encore moins dans le bol de riz blanc, ce qui correspond a un rituel funéraire; — on ne se passe pas un aliment de baguettes a baguettes; -on ne les fait pas tourner au-dessus d’un plat, en hésitant sur le morceau 4 prendre; —on ne doit absolument pas les lécher; —ala fin du repas, on ne les garde pas Ala main, onne les repose pas non plus dans lassiette ou sur le bol, mais sur le porte- baguettes ou, a défaut, alignées sur la table. L'assiette accompagne tout le repas. La tasse, elle, indique sa fin, Mais se servir de l’une et de l’autre, sans commettre d'impair, ne coule pas toujours de source. Voici donc quelques points a ne pas ignorer. S‘incliner devant elle ? Il n’y a que devant quelqu’un qu’il soit permis de s’incliner! Une assiette, aussi richement parée et aussi tentante soit-elle, ne mérite jamais cet excés @’honneur. C’est ainsi la cuillére que Von porte aux lévres, pas le cou que on plonge a la fagon d’un cheval vers sa mangeoire. Et pour confirmer, si besoin est, que am homme a bien domestiqué l’animal, il faut éviter tout bruit de succion: le potage ne se lape pas, ne s’aspire pas, il s’avale a petites cuillerées. &=> le savez-vous? Un potage s‘apprécie encore plus quand il est servi chaud. Pas question, cependant, de vous briler dés la premiére gorgée. Attendez qu'il ait égérement refroidi... mais n’accélérez pas le processus en soufflant dessus. «L’amour c’est comme le potage: les premiéres cuillerées sont trop chaudes, les derniéres sont trop froides. » Jeanne Moreau Puis I'achever ? Le fond, c’est bon, Encore plus quand on sait qu'il faut s’en priver! Triste sort de I’étre humain en bonne compagnie: de combien de fonds d’assiettes doit-il faire le deuil tout au long de sa vie? Car pencher son assiette, ou pire caler un morceau de pain ou une fourchette dessous, pour recueillir les derniéres gouttes de consommé ou de vinaigrette n’est pas admis. L’assiette ne doit jamais bouger de la table. Elle ne doit pas non plus avoir un aspect de sou neuf: seul le chien léche parfai- tement son écuelle! L’hétesse, elle, recourt au lave-vaisselle. n2 &> le savez-vous ? En Chine aussi, il est poli de laisser quelque chose dans son assiette. Sinon, vos hétes, offensés, penseront que vous n’avez pas assez mangé ! Tasse et soucoupe: sans trembler «Trembleuse», tel est le nom donné au XVIII° siécle a la tasse logée dans une haute soucoupe pour empécher qu’elle ne se renverse trop facilement... et, avec elle, le chocolat qu’elle contenait. «Tremblante » , telle est la main qui prend une tasse de café ou de thé. Car boire l’une ou l'autre de ces boissons chaudes est une épreuve redoutable. Il faut, en effet: —tenir la soucoupe tout en soulevant sa tasse par l'anse ; —ne pas écraser son sucre avec la cuillére mais le laisser fondre doucement; ~—ne pas laisser la cuillére dans la tasse mais la poser sur la” soucoupe; — €viter de renverser le contenu sur son décolleté. Petit doigt au garde-a-vous Ambiance feutrée, délicieux effluves de thé... Gros plan sur une main tout juste French manucurée qui vient de s’emparer d’une tasse d’Earl Grey. Malheur! II s’en est fallu d’un petit doigt dressé pour casser la grace de ce moment. Pour éviter tout ridicule, mieux vaut donc vous abstenir de boire votre thé ainsi! Un geste d’autant plus décalé qu’il correspond 4 une pratique d’un autre age: certains nobles, voulant affirmer leur origine sociale, s’enorgueillissaient ainsi de montrer leurs ongles longs, preuve qu’ils ne travaillaient pas. n3 UN AIR DE POLITESSE Certaines maniéres relévent de la simple politesse en société et s’apprennent dés le plus jeune Age. D’autres se forgent sur le tard, au fil des fréquentations et rencontres de la vie. Mais en matiére de savoir-vivre, la subtilité est de mise. Et comme tout Je monde n’a pas la chance d’étre tombé dans la marmite, on ignore que certains gestes ou expressions se donnent des airs, qui parfois ne sont pas trés comme il faut. « Bon appétit ! » ternel paradoxe de la bienséance a table? On accorde un grand soin a la préparation et la présentation des aliments, a la fagon de les servir et de les saisir. Mais une fois passé le stade des lévres, c’est... motus et bouche cousue! Rien ne doit évoquer leur destin final, Rien, non plus, ne doit rappeler les pulsions qui régissent l’étre humain. Du coup, n’allez pas lancer «bon appétit » a la cantonade! Ce souhait est a limiter uniquement a la sphére familiale: car qu’est-ce que l’appétit, sinon la manifestation d’un besoin du corps, en quelque sorte un «vif désir», voire «de la convoitise», comme le signifie appetitus, le mot latin dont il dérive. &>le savez-vous ? Si quelqu’un vous souhaite « bon appétit », ne lui jetez pas un regard glacial. Il agit sans doute ainsi par force de I’habitude ou dans d'un élan de gentillesse. Répondez d’un sourire en disant « merci», mais sans retourner la formule ! 15 & le savez-vous ? Au Japon, le repas s’ouvre par une formule de politesse, ttadakimasu, qui signifie littéralement « merci pour ce repas » et concerne non pas celui qui va le manger mais celui qui \'a préparé. Ce n’est pas fondamentalement éloigné de la pratique chrétienne, qui des siécles durant a voulu que l’on récite le bénédicité avant de commencer a manger. «Ala tienne, Etienne!» Qu’il est plaisant le petit bruit des verres qui s’entrechoquent! Gage de convivialité par excellence, que l’on renforce avec un «Tchin-tchin!», «Santé! », «A la tienne!»... Mais, recu parfois assez sévérement par les tenants du savoir-vivre. Car si le toast (accompagné généralement d’un petit discours bien tourné) est censé traduire une certaine éducation, en revanche le fait de trinquer, et plus encore de s’exclamer, trahit un cété plus «populo» qu’«aristo ». Difficile de trouver 14 un exemple de la discrétion si chére a la bonne société... Malgré tout, une certaine tolérance se fait jour: 4 condition de ne pas étre trop nombreux, il est possible de heurter légérement son verre contre celui du voisin... mais sans manifestation verbale. «— Messieurs, je bois au beau sexe des deux hémisphéres. - Et moi, je bois aux deux hémisphéres du beau sexe.» Alexandre Dumas n6 &> le savez-vous? Evitez de dire « tchin-tchin » a des Japonais. Vous les plon- geriez dans la plus extréme confusion. Comment réagiriez- vous si l’on vous disait « zi-zi» pour boire a votre santé ? Une conversation au métronome En supplantant progressivement le service a la francaise (voir Pp. 53), le service la russe a contribué fortement A dégarnir le décor de table. Du moins dans un premier temps. Trés vite, les artistes ont imaginé de combler le vide laissé par les plats qui étaient plus la par des piéces décoratives: corbeilles de fruits, plateaux 4 multiples étages, etc. Leur imagination s’est envolée, et avec elle la hauteur des décors. Tant et si bien qu’il était parfois impossible de parler avec son vis-a-vis. De li provient WwW larégle de parler alternativement ses voisins, mais en gardant le buste tourné vers la table de facon a n’incliner que la téte vers son interlocuteur. Et sans tourner, bien évidemment, le dos a l'autre. Le rythme a adopter? Au premier plat, conver- sation légére avec le voisin de droite; au deuxiéme plat, propos sans conséquence avec le voisin de gauche... et au dessert, ce que vous voulez avec qui vous plait! Cette pratique de l’alternance est fortement ancrée aux Etats- Unis, ot nul n’oserait s’y soustraire. D’oi l’anecdote suivante. Une dame, n’ayant aucune sympathie pour !’un de ses voisins de table, lui aurait déclaré: «Je ne vous parlerai pas, mais par égard pour notre hétesse, je vais vous réciter... une table de multiplication.» Rire n'est pas sourire Le rire a beau étre le propre de l’homme, il n’est guére pergu comme poli, ni parfois méme comme humain. « Un gros rire gtas qui éclate comme des cymbales et que l’on entend 4 trois lieuesirrite, exaspére, horripile. » Bien longtemps avant Nadine de Rothschild, Erasme condammnait ceux « qui enriant semblent hennir» ou «qui rient en ouvrant horriblement la bouche, en se plissant les joues et en découvrant toute la machoire: c'est le rire d’un chien ou le rire sardonique ». Cette opinion est largement partagée dans la civilisation occidentale. Si le rire dérange, c’est qu’un débordement de joie est toujours proche de l’incontrélable, du «fou rire »; et nest donc pas loin d’évoquer, dans une perspective chrétienne, la marque ou le rictus du diable. Aussi faut-il rire discrétement, subtilement: cela témoigne d’une belle allégresse et d’une 18 bonne humeur plaisante. En bref, ne donnez pas des coups de coude dans les cétes de vos voisins, ne vous tapez pas les cuisses en ouvrant une bouche béante, mais adoptez une figure dange. « Souriez, vous étes invité», &> le savez-vous? nt, les Japonais se cachent-les dents avec la «Le sourire est le signe le plus délicat et le plus sensible de la distinction et de la qualité de Vesprit. » Sainte-Beuve Cure-toi les dents, je te dirai d’ou tu viens «Cachez cette animalité que je ne saurais voir!» Certaines parties du corps sont valorisées dans les traités de savoir- vivre —les mains, le visage par exemple -, d'autres au contraire sont complétement passées sous silence, gommeées. II] en va ainsi des dents, pergues inconsciemment comme élément agressif ou comme «appendice privé» (l’intérieur de la bouche) — ce qui explique aussi pourquoi il est si mal vu de rire a gorge déployée. Que, de surcroft, une particule alimentaire reste coincée entre deux dents, et c’est le dégofit assuré! Pour déloger l’intrus, nombreux sont ceux qui recourent au cure-dent. Mais s’il est admis chez les Chinois et les Coréens de s’en servir entre deux plats, d’autres pays réprouvent son emploi. Dans son Guide des convenances, Liselotte, célébre figure du savoir-vivre des années 1910-1920, engage les dames 9 a ne pas l’utiliser, trouvant « peu coquette cette maniére de faire sa toilette a la fin du repas». Aujourd’hui, cette opinion s'est généralisée, et il n’y a plus qu’al’apéritif qu’on peut voir le cure-dent dans le réle du pique-olive. &> le savez-vous ? Si vous étes dans un pays ol I’usage du cure-dent est admis, tenez-le d'une main et de l’autre masquez votre bouche, afin de ne montrer ni langue ni dents aux autres. 120 VIMPREVU S'INVITE A TABLE En dépit d’une certaine libéralisation des moours depuis la fin du XX® siécle, tout ce qui reléve d’une activité considérée comme « honteuse » - car elle offense le systéme sensoriel, provoque le dégofit... - est toujours passé sous silence, oserait- on dire « évacué»?! Et pourtant, il arrive que la table soit le théatre de phénomeénes plus ou moins incontrélables. Plat raté et autres déboires Trop salé, pas assez cuit, briilé, trop épicé... Ca ne vous rappelle rien? Si, bien stir! Le cauchemar de toute maitresse de maison: un repas loupé. Le plus simple est de faire bonne figure et de vous en remettre a la bonne éducation de vos invités. Personne ne devrait louvrir... sauf pour ingérer, avec élégance, ce qui aurait di étre I’ceuvre d’un parfait cordon-bleu. Histoire de vous consoler, il peut arriver pire. Les exemples ne manquent pas; 4 commencer par ce grand seigneur francais du XVUI* siécle, qui, invité a Ja table d’un bourgeois de Londres, ingéra un vin «rare» en serrant les dents: imaginez la téte de son héte quand il réalisa que le vin servi n’était autre qu’un produit pharmaceutique, le domestique s’était trompé de flacon. Songez également A tous ces indésirables que vous avez rencontrés chez d’autres et que vous avez délicatement écartés, sans sourciller: cheveu ou autre poil, moucheron, limace ou papillon. On en oublie et des meilleurs... 11 &> le savez-vous ? Bien évidernment, la présence d'un indésirable peut susciter des réactions variées : la plus élégante est de ne rien laisser paraitre de son dégodt; la plus odieuse est 4 l'image de ce vicomte qui, lachant un gros juron, se mit 8 tonitruer : «Casimir, donnez-moi un peigne pour manger le potage 3 la tignasse! » «Qu’un potage soit immangeable, cela ne tient parfois qu’da un cheveu.» Jules Romains 122 A geste incongru, reprise impromptue La politesse commande de transgresser les régles du savoir- vivre. Et depuis des lustres, les anecdotes circulent pour soutenir le propos. Voici l'une des plus connues. Un jour, a la campagne, la comtesse de Paris recut 4 sa table un homme simple (curé ou régisseur) qui, croyant avoir affaire 4 une nouvelle boisson qu’il ignorait, avala le rince-doigts placé devant lui. Que croyez-vous qu'elle fit? Tout simplement la méme chose, par égard pour lui. Les bonnes maniéres consistent ainsi a se conformer celles de sesinvités, etanejamaislesmettreniles laisser dans ’embarras. Cest d’autant plus impératif lorsqu’ils sont étrangers. Nadine de Rothschild whésite pas 4 raconter comment sa tante se plia a celles du maharadjah, a qui l’on avait servi des artichauts 4 Ja vinaigrette: « Le maharadjah, le visage épanoui, détacha la premiére feuille, la regarda, y mordit, la trouva a son gotit et d’un grand geste la jeta derriére son épaule. Ma tante resta sans voix. Puis souriant de son plus exquis sourire, elle imita le geste princier et jeta la feuille qu’elle tenait. Ses amis, d’abord médusés, se pliérent 4 cette nouvelle étiquette, et bient6t on vit voler autour des quatre personnages, trés dignes sur leur chaise, des feuilles et du foin. » De la goutte de vin sur la nappe... Les incidents qui émaillent le cours d’un repas peuvent étre de toutes sortes. Le plus anodin, mais l'un des plus fréquents aussi, est la tache de vin qui affecte aussi bien la nappe... que le vétement du voisin. Dans les deux cas, pas de panique, pas de surenchére non plus: inutile de vous ruer sur la saliére la plus 123 proche sous prétexte que le sel absorbera le vin — au risque, dailleurs, de renverser un autre verre dans la précipitation; pas question, non plus, de demander a votre héte de déboucher une bouteille de vin blanc, censé avoir les mémes effets sur la tache maléfique. En ’occurrence, mieux vaut adopter un profil bas: on s’excuse, on n’insiste pas. Au pire, un peu d’eau chaude aidera 4 la faire disparaitre (en partie). &> le savez-vous? Pour éviter la goutte qui coule le long du goulot dela bouteille, on peut utiliser une collerette, dite collier de Bacchus, ou encore disposer des dessous de bouteille qui protégeront la nappe des cercles disgracieux. «Si la nappe est en étoffe, la récupération est plus délicate et il est certain qu’on en perd. Mais vous pouvez l’éponger avec de la mie de pain. Le pain trempé dans du vin est excellent.» San-Antonio + a celle au bout du nez Que ce soit en hiver, avec son lot de rhumes, ou au printemps, avec ses allergies, il faut - sauf 4 s’enfermer chez soi - oser affronter mondanités et goutte au nez. Une situation d’autant plus délicate 4 gérer que vider son nez doit, en principe, se faire le plus discrétement possible. Du moins, c’est ce qui est préconisé aujourd’hui. Car a Ja Renaissance, l’acte était beaucoup plus naturel, méme s'il n’était «pas de bonne tenue de se moucher dans la nappe ». 125 Un siécle plus tard, Erasme observait simplement que «se moucher dans son bonnet ou sa veste est d’un paysan» et « qu'il rest pas beaucoup plus poli de le faire dans la main». Cest a partir de la fin du XVIT° siécle que se moucher devient un acte a proscrire en société: il provoque le dégofit. A Pépoque de la baronne Staffe, l’attitude est la méme. Tout juste conseille- t-elle de tirer son mouchoir furtivement et de s’en servir sans bruit afin de « n’éveiller chez le voisin aucune idée désagréable et naturaliste ». Aujourd’hui, le geste s’est banalisé. Mais que le bruit soit un peu trop fort, et le sentiment de dégoiit resurgit. ttirer celle des autres. » (Giovanni Della Casa ~ Galatée, 1558) & le savez-vous ? Au Japon, on ne se mouche pas en public. Durant tout le repas, vous risquez donc de subir le reniflement de votre voisin(e) toutes les deux minutes... ce qui, inversement, est inadmissible en France. 126 « A force de péter trop haut, le cul prend la place du cerveau, » Julos Beaucarne Un pet vaut mieux que deux trépas Leurs noms? Haricots blancs, brocoli, choux de Bruxelles, chou vert, chou-fleur, produits laitiers,oignons.Leursurnom? Faiseurs de vent. Leur caractéristique principale? Appartenir a l’élite des aliments les plus actifs question émission anale. Le reméde? Les éviter la veille @'un important rendez-vous ou diner... Achaque époque, ’élaboration des menus a corresponduaune vision de la « diététique » visant A assurer une bonne digestion. Que celle-ci se déroule sans encombre, et tout le monde s’en portera bien. Certains, 4 force de se contenir par politesse, y ont laissé leur vie. Montaigne rapporte ainsi - d’aprés Suétone — que l’empereur Claude, qui régna de 41 a 54, aurait songé.a un décret autorisant a lacher vents et pets a table, pour avoit entendu dire qu'un homme qui s’était retenu par respect des convenances eri était mort. Nul ne sait si le malheureux époux d’Agrippine aurait mis son projet 4 exécution: il mourut dun plat de champignons empoisonnés par cette derniére. Et Montaigne de conclure: « Plfit 4 Dieu que je ne susse que par les histoires combien de fois notre ventre par le refus d’un seul pet nous méne jusqu’aux portes d’une mort trés angoissante. » > le savez-vous? Les régles dela vie mondaine au tournant du xix® siécle préco- nisaient une «visite de digestion » dans les huit jours suivant le diner. Une dénomination pour le moins étrange quand on sait le tabou qui entourait le corps ! 127 Par le bout de la lunette Boyaux et vessie distendus ne cessent d’alimenter les conversa- tions... sous le manteau. Des exemples? On raconte que Sacha Guitry, invité 4 un diner de gala, aurait laché un pet semblable A une siréne d’alarme en plein concert. Alors que les convives plongeaient le nez dans leur assiette, Guitry se pencha vers sa voisine et lui chuchota d’une voix suffisamment audible par Passemblée: « Ne vous en faites pas, Madame, je dirai que c'est moi!» Vhistoire de Tycho Brahé (1546-1601) finit plus tragiquement: 4 un diner que donnait I’empereur Rodolphe II, il aurait beaucoup bu. Or l’ingestion de boisson, c’est bien connu, gonfle la vessie. L’astronome danois aurait donc succombé des suites d’un calcul ou d’une infection généralisée pour avoir voulu respecter l’étiquette en dépit @’une envie pressante. Faut-il y voir un rapport de cause a effet? On ne propose jamais a ses invités de reprendre du potage, une trop grande quantité de liquide prise en début de repas risquant d’alourdir préma- turément l’estomac... De méme, on mange la bouche fermée, ceux qui ingurgitent beaucoup d’air émettant plus de flatu- lences que ceux qui n’en avalent que peu. &> le savez-vous? Un &tre humain lib&re de 0,5 81,5 litre de gaz par jour, endixa quinze « lachers » en moyenne. Les gaz présents dans les pets sont l’oxygéne, I’azote, I'hydragéne, le dioxyde de carbone et le fameux méthane qui contribue 4 l'effet de serre; quant la mauvaise odeur émise, elle est due essentiellernent au sulfure d’hydrogéne. 128 «Qui ne péte ni ne rote est voué a@ Vexplosion. » Lao-Tseu Roter, est-ce bien digérer ? Au panthéon des gestes et habitudes sanctionnés par le savoir-vivre, le rot arrive en bonne place, méme s’il n'est que rarement évoqué dans les ouvrages du genre. Le plus souvent, il survient, bien évidemment quand on ne l'attend pas, quand on mange trop vite ou lorsqu’on absorbe une boisson gazeuse... du champagne, par exemple. Pour masquer sa géne, il n’y a 129 plus qu’a s’en référer 4 San-Antonio. «Si le rot qui vous jaillit n’est pas récupérable, si vraiment on peut le transformer en rien, alors imitez-le trés fort et 4 plusieurs reprises, comme un qui aboierait en somme. Et vous annoncez vos voisins: “Vous entendez ga? Eh bien; c’est le cri du coyote en chaleur. Ah ils m’ont assez empéché de pioncer quand j’étais au Texas, les bougres.” Pour les petits rots de rien du tout, format soupir, est de la broutille. Vous vous en tirez trés bien en le lachant lors d’une phrase telle que “PFff, moi, vous savez” ou “Vous avez déja bouffé au Grand Véffffour”. C’est en somme les mots en “f? qui vous sauvent la mise. Alors, causez de Michel Strogoff, du prunier de Roscoff, d'un fieffé coquin, ou d’un formidable phonographe. » Il n’y a que pour les trés jeunes enfants que le «dégazage» oral rencontre une certaine tolérance, voire un bel attendris- sement. En toute autre circonstance, c’est la consternation qui prend le pas, aussi bien dans les pays de culture occidentale que dans ceux de tradition musulmane. Bien se tenir 4 table impose de manger sans faire de bruit, done sans mastication et sans émission sonore. Le rot comme expression d’une satiété assumée, marque de contentement et de remerciement envers son héte, n’y a connu son heure de gloire... qu’en période de disette. Depuis, il n’est plus admis. &= le savez-vous? Le Britannique Paul Hunn ne risque pas d’étre invité a la table d’Elizabeth Il en dépit de son record du monde: un.rot «royal» de118 décibels. Aussi fort qu'un marteau-piqueur ! 130 LE « TOP TEN» DE L’ INCONVENANCE 2{—= + Vider son verre d’un trait jusqu‘au fond. = S'empiffrer ou, inversement, refuser un mets. + Baver en mangeant. + Parler la bouche pleine. + Bailler. + Mastiquer en ouvrant la bouche et en faisant du bruit. + Postillonner dans la figure de l’autre. = Se gratter les parties intimes. + Se concocter un doggy bag pendant le repas (quand on est invité). jents servis (quand on recoit). Tout diner est une grande aventure Sans fausse note de A a Z! Un diner parfait, c’est le réve. Mais en dépit d’une table bien apprétée, d’un service impeccable et de maniéres trés soignées, nulle maison n’est 4 Pabri du grain de sable qui fait tout dérailler: conversation qui dégénére, affrontement politique, réflexions grivoises ou racistes... sans compter les différences culturelles qui font que ce qui est parfaitement admis la-bas ne T'est pas ici. Morale de Phistoire: quoi qu’on est prévu, ’aventure est au coin de la table. «Le plaisir de la table est de tous les ages, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours: il peut s’associer a tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte. » Brillat-Savarin 731 Bibliographie * Baronne Staffe, Usages du monde : régles du savoir-vivre dans la société moderne, coll. « Texto », éd. Tallandier, 2007. Daninos (Pierre) et Doré Ogrizek, Savoir-vivre international. Code de Ja susceptibilité et des bons usages d travers le mande, éd. Odé, 1950. * Easterbrook Roberts (Patricia), Table Settings. Entertaining, and Etiquette. A History and Guide, Bonanza Books, New York, 1967. © Gandouin (Jacques), Guide du protocole et des usages, Livre de Poche, 1993. © Gourarier (Zeev), Arts et maniéres de table en Occident, éd. 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Une anthologie des mauvaises (uanidresc Tania eng: Index Allemagne 23, 60, 87 Ambigu 57 Amérique du Sud 60 Angleterre 31,33, 34,76, 81, 87, 96, 105 Apéritif74 Argenterie32 Assiette 17-21, 11-112 anglaise21 creuse20 de présentationa1 detable 74 débarrassery2 décorée 20 diamtres 21 disposition 20 formest! volante 21 Baguettes 33, 10-111 Biére service 71 verres 4 40 Bon appétit ! 115 Bougeoirs 48 Bouquets 47, 48 Brunch73 Buffet 57, 80 Célibataire (placement) 62 Cérémonie du thé 84 Champagne 71, 77-78, 129 flte ou coupe 38 fontaine 41 sabler ou sabrer78 Chine 36, 44,55, 74, 84, 13,117,119 Cigare 85-89 allumer 88 Cocktail 74, 79-80 Conversation 3 tabler7-18 Convives nombre 64, 65 placement 61 ponctualité59 Coréeng Coudes 95 Couple (placement) 62 ‘Couteau 27 utilisation 106 ‘Couvert individuel2g mettre le a5 ‘Couverts 24-34 adessert107-108 3 poisson 27, 29 disposition 30-31, 33,34 fin du repas 108 usage anglais 33,34 utilisation 103-108 Cuillareas d'argent 26 et spaghettis 106 petite 26 utilisation 106 Cuilleron26 Cure-dent1g-120 Curer les dents (se) 120 Danemark 60 Débarrasser la table72 Déjeuner 52 Diététique 54 Digestion (visite de) 127 Diner s2, 53 parfait 31 Doigts 97-98, 113 Doublier 12, 42 Drunch73 Espagne 60 Finlande 60 Five o'clock tea 81 Fourchette 28-29 Fourchette (déjeuner 8 la) 52 Fromage 49, 109 Geste incongru423 Hollande 60 Intrus (dans lé plat) 121-122 Italie 60,106 134 Japon33, 44, 60,70, 84, 116, 117, 126 Longiére 42 Mains 96 Maroc 82 Ménaggre de base 32 Menu 4g erreurs a éviter 66 succession des plats 54 Métal argenté 28-29 Milieu detable 48 Moucher (se) 125-126 Nappen-16 blanche1g chute 13, et chiffres1g plis 12-13 tache de vin124 Napperons16 Norvége 60 Notabilités (placement) 64 Oshibori 44 Pain100 Péter 127-129 Plats erreurs 3 éviter 66 intrus 11-722 ratés121 Ponctualité 59-60 Porte-couteau 28 Position 8 table 93-94 Québec 53 Restaurant (apparition) 58 Rince-doigts 190, 123 Riren8-119 Rond de serviette 45 Roter 129-130 Russie39, 75, 82 Savoir-vivre (traités) 92-93 Self-control 96 Service 3 l'anglaise 58 ala francaise 53-57, 58 Ala russe 57-58 Atable 65-66 au guéridons8 Service de la bidre71 le vin68 Service de table (composition) 23 Service de verres (composition) 39 Serviette q2-46 en papier 44 pliages 45 repassage 46 tailles 43 utilisation 101-103 Serviteur muet1o Sets de table16 Smoking 86-87 Souriren8-119 Suisse 60 Tabac 86 Tablero a bonne distance 94 dresser10 maintien 394 s'asseoir 395 volante11 Tasse™, 133 Tehin-tchin 75,197 Thé 81-84 Toast 75, 76-77, 16 Toile cirée16 Trinquer 74 Verres 34-41 cristal 37 composition d'un service 39 disposition 40 formes35, 36 INAO 35,38 vin service 68 tachen23-124 135 numéro d’éditeur : 170509 conception graphique & illustrations: Bigre ! -www.bigre.net relecture : Joyce Weil impression/fagonnage : par GR Presse, Athénes sur Cocoon offset 100 g/m? un papier 100% reeyelé certifié FSC ™ du groupe Arjowiggins. Achevé d’imprimer en Gréce en septembre 2009 IMpRIME DANS L’UNION EUROPEENNE www.editionsalternatives.com 9,90 euros ISBN: 978286227 6168 AR 7210679 Comment dresser une table et y prendre place dans les régles de l'art? Que désigne le fameux service a la francaise ? Comment se servir de baguettes et porter un toast a anglaise ? Ou placer les célibataires lors d’un diner ? Le petit doigt levé est-il vraiment distingué ? Et le «bon appétit » de rigueur ? Pour répondre a ces questions essentielles de savoir-vivre, voici un petit inventaire savant et ludique, émaillé d’anecdotes historiques et de conseils pratiques, qui répertorie coutumes et usages toujours d’actualite ici ou ailleurs. De quoi faire de tout lecteur un hote V —etun convive — parfait.

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