pierre macherey
avec Spinoza
études sur la doctrine
et [histoire du spmozisme
(pefl
lilosophie jonniPour sone airie de te
Tharie» 1966)
in titraire (Maspero, col
Hagel on Spineca (Masper, call, « Théori » 19795 2
1 Désouveree, 199)
Comte Ls philosophic scenes (Pr, el « Philosophies»
‘8
A qu pos la linéranure (ou, coll « Patiquesthéoriques»
Thon)
En callaborstion
(ave L. Althusser, E,Balibar,R, Establet tJ. Rance)
Live Le Capital (Masporo, cal. «tl
(vee J.P Lefebure)
Heel et a soc (PU, coll. « Philosophies
ren 165),
SPINOZA AU PRESENT
En hommage a la mémoire
AEmilia Giancott, qui a tant fait
‘pour le développement des dudes
Sub spocie aeternitatis
Puss qwavcune autre la pilosophie de Spinoza pata i
| moment, enfoneée dans un lew et dans un temps: cette Hottands
| 18 seconde moitié du XVII sitele qui a &é une sorte de Laboratoire
économique, politique et cultucel pour la formation d'une Europe
ce était-elle
nouvelle, Sans doute la position que Spinoza y a occu,
marginale: mais le parcours singulier qu'il s'y est tracé, en raison deSPINOZA AU PRESENT
sa singularité méme, V'a amen¢ & en exprimer avec une extréme acuité
Particulier cette extraordinaire combinaison
les confit internes,
( Cantisipatgn e& de retard dans laquello-s¢ projetaient toutes les
al
(( 2 présent ? C'est dabord sins doute le fat d
contradictions d'une épogie, Er, étre moderne, c'est peut-dtre cela,
Mais I'étonnamt, c'est que Spinoza n’ait pas été moderne seulemem
a son époque, et qu'il le soit encore & la nétre : de toutes les pensdes
historiques, la sienne nous parait l'une des plus présentes, veaiseme
blablement parce que nous y projetons nos propresfantasmes d-actua
Hud tit ceci dans tous les domaines : ceux de la théorie et ceux dy
Pratique. Car cette pensée ne produit pas seulement, sur un mode com
{mémoratf, des elfets doctrinaux identifiables ct autonomes’ ale
dlétient Fétrange pouvoir d'entrer en résonance avec beaucoup de ce
que nous faisons, de se méler 3 ce que nous lisons, comme si elle sons
Uituaitsub specie aeternitais, une structure intcllectuelle dont la per.
manence, bien loin d’étre imtemporelle, se définirait par une faculté
inaltérable d'adaptation ou d'adhésion aux formes les plus determi
nées du présent et dé Ta présence. Le contrare donc d'une philosphia
perennis d'une philosophic pour toujours: mais une philosophic qui
Se comprend et agit au présent, ici et aujourd'hui, sans pourtant se
renfermer dans les limites de telle ou tel
Mais qu’est-ce pour une philosophie qu’et
cctualté finie
présente et se penser
re réfléchie et repro-
dite, dinspirer des études et des travaus, d'tre éditde, traduite, le,
Gommencée jt aussi détre un objet d'intérex ct une source dinspra,
‘ion pour d'autres formes de spéculation, eaborées dans d'autres temps
que celui qui Pa produite et qui trouvent en elle un élan, ou des mare,
(Fars Pour eur développement, Son en reste il aut admetre
all
(/ méme ceux qui le «connsisent » au sens dn savor li
ue Spinoza n'est pas plus actuel que ne le somt Descartes ou Kant,
voire Platon et Aristote, qui n’ont pas non plus cessé de nows stim
ler théoriquement. Mais peut-ttre y ail dans la notion d’aetualitg
Philosophique encore quelque chose de plus Pidée d'une pensée'on
traval qui, sans méme que s'en apergoivent ceux qui en exploitent
Soutient, la manitre d'un imipensé, des operations théor!
ues et des projets pratiques, conduisant& [a transformation de tout
un monde historique. Aujourd hui, ne sone pas néessairement les plas
/ Proches de Spinoza des philosophes professionnels qui le citent, i
al et en
/ Principe objectif, car ce savoir a précisément besoin de tenie son
et» & distance pour pouvoir se Vapproprier, sans s'y intdéreaser
oa s'y impliquer trop directement. On peut bien penser « dans »
Spinoza, comme s'il sagissat d'une sorte d'élément spéculatit, sane
'" avoir besoin pour cela de penser « 3 » Spinoza, au sere dune siren
tion slective, et done exclusive. Risquons cette hypothése: Spinara
nous obséde et nous hante 3 la maniére d'un inconscient théorique
ui conditionne et oriente une grande partie de tios chad Tirelee
tuels et de nos engagements effectfs, dans la mesure of il permet de
/f reformuler une grande partie des problémes que nous nous posons,
{{___méme indépendamment du fait de prescrite explicitement les loner
de leur résolution.
My ali quelque chose de surprenant et d'asser mystérieux. Et
Pour comprendre ce phénoméne il faudrait d’abord prendre en con
sidération, en dehors du systme doctrinal et de sacliture manifesta,
7 swore da spinozisme. Depuisle moment ob Femenibledeay ee
ext devenu public, Pannée qui a suivi la mort de son « auteurs, la
Bhilosophie de Spinoza n'a ces d'étre, roujours au present um abjee
ff & [assinaion et de rumination, en ce ens que chaque scl de a
Pa en quelque sort réinvemtée? pour
ve modeler luiméme d’aprés image quillen laborat. Ces il gu’
yeu le Spinoza matrialiste et athée du XVIIFsigcl, dans lequel
le rationalisme des lumigres s'est reconnu en s'y opposant, comme
s'il constituait pour lui un double & la fois conforme et inverse Il
¥ au ensuite le Spinoza intuitf et mystique des panthéismes du XIX
Tice womanigue: snk Sa oe acme XI
{{ devenie absotu, Fofin ily a eu le Spinoza théoricien et politique de
| Vhistoire dX: siete, cartelé entre les tendances de Ubéclnsre
et de la révolution, révélant par cette contra iction Ce GWT y a de
profondément énigmatique dans les Evolutions de notre temps. Ainsi
«est come si, sans interruption depuis trois sigcle, Spinara avait
ccompagné, & chacun de ses tournants, Chistoire de la pensée et
| celle dela soci, cn sincarmant dans les figures ls pls conerasiées,
‘ee par lieméme exemplaires
Alors, nous commengons peuttre mieux comprendre ee qui
{ait continuellement se penser au présent la philosophic de Spinos
“est cette dynamique historique qu'elle porte avec elle, sa puissance
fob
culture européenne modern
o__ qu'elle vest développée dans le context
SPINOZA AU PRISER
apparemment inépuisable de renouvellement, qui lui permet, aula
des bornes d'un savoir shéorigie prétendiment achevé, dont le
contenu serait définitivement inserit dans la forme de son discours,
ide répondre aux sollicitations d'une actualité nouvelle, c'est-tire de
se produire, ou de se reproduire, non eominie une seule philosophic
mais comme plusieurs, et peut-étre comme une infinité de philoso-
phies, Dans cette perspective il apparait que Spinoza n'a pas seule
nent donné son nom & une forme historique de pensée, une fois pour
toutes reperable t « assable : mais, comme Hegel Pa suggéré, i eepré=
senterait ce qu'il y a dinauguralement philosophique dans toutes les
philosophies, ce travail eflectif de la pensée qui conditionne son devenir
féel, Pour nous, Spinoza serait comme le nom séme de la philoso-
phic, son nom « propre ». Au nom de Spinoza : nous reviendrons sur
ce que suggire, Kégitimement ou non, cette formule
‘On n'auait sans doute pas tort de diagnostiquer & travers les ides
qui viennent d'étre esquissées la constitution dune fable, avec son
river Spinoza
devenir de la
corrdlat: une insupportable naiveté théorique. Pré
comme ce penscur d'exception qui s'identifie 4 tout
pensde moderne, est-ce autre chose que proclamer Vadhésion par-
culigre 4 une option philosophique, se caractérisant par sa préten
tion, finalement commune 4 tous les philosophes sans exception,
occuper la totalité du champ spéculatif, oi ces philosophes s'oppo-
sent comme sur un Kampfplatz parce qu'ils revendiquent chacun le
droit de Poceuper exclusivement ? Et si 'on renonce &s‘installer dans
Ia fiction eéconciliatrice d'une idéale république des esprits, ou: tous
communiqueraient et communieraient dans le partage de valeurs iden-
siques, il faut bien admettre que, pas plus aujourd'hui qu’hier, nul
n'est fatalement spinozise,
Jvdire ne doit eeconnaitre dans la phi
losophie signée du nom de Spinoza la figure obligée d'une réflexion
pphilosophique : mais elle n’en représente au plus qu'une des orien
tions possibles, qu'il n'est jamais interdit de dénoncer comme périmée
Tn paifant de Spinoza au présent, il ne sagit dane pas de rassem-
bler sur'son nom, et en son nom, tous les philosophes passés et & venir,
comme sil désignait leur plus petit commun dénominateur. Car si
Ia pen
de Spinoza n'a cessé d'etre vivante, c'est précisément parce
dune permanente contesta:
fare celui
tion : de tous les philosophes modernes, Spinoza est pe
, sont signifi
quia éé le plus comtredit et, comme on dit, réfuté. Pour s'en
convainere, il suffit d’évoquer exemple de Hi
se confronter 3 lui comme 3 un frére ennemi, d'autant plus oppose
qu'il lui était aussi semblable, diviseur de sa propre démarche sp
lative, dont il rendait ainsi manifest les orientations speeifiques, et
les limites. L’urgence actuelle de la pensée de Spinoza tient d'abord
sa puissance dinterrogation et de provocation, 4 cette inguiétude
qu'elle éveille quant 3 la valeur de tel ou tel discours théorique, voire
de Pidéal de théoricité, alors méme qu’el
ci un absolu ; elle tient également au soupgon qu'elle enteetient au
sujet du désir d'intemporalité qui est au coeur du mythe de « la»
science, auquel elle oppose sa paradoxale et difficile conception dune
‘nied temporelle, qui consiste d'abord dans une maniére nouvelle
de voir et de vivre le temps, seh specie aeternitatis, sous Vangle de
Peternieé.
Si Spinoza est « éternel », selon une eatégorie centrale pour sa
propre pensée, ce n'est done pas au sens d'un état indéliniment pro-
cl, qui n’a cessé de
e semble avoir fait de celui
Tongé ct immuable, celui d'un systéme parvenu & Péquilbre et & la
stabilité, et par isméme fermé 3 toute perspective d'innovation ; mais
Test plutde A celui d'une dynamique active, procédant du jew de ses
irrégulartés, de ses Iacunes, et des perturbations que cellesi indai
sent, En dénaturant le concept de « substance » qui lui sert de base,
‘on a trop souvent donné dela philosophie de Spinoza, pour se défen-
dre du trouble qu'elle provoque, une représentation arrétée, massive,
comme vl Sagisait d'un bloc impénétrable de vértés,& prendre ou
3 lsisser comme telles : une « philosophie de choses », disit Renou
Vier, Il est vrai que dans IEthique, ob les occurrences du terme res
ivement fréquentes, il ne cesse d’étre question de cho-
ses: choses désirantes, choses aiénées, mais aussi choses libres, cho-
ses Gterneles.., ct la fonction du raisonnement démonsteatf y est de
faire « voir », comme avec des yeux, Ia « nature des choses», rerum
natura, dans son effectivité, dirait-on en usant d'un langage qui n’est
‘dgja plus tout 3 fait celui de Spinoza. Mais quelle ext cette chose, la
“chose méme », autour de laquelle tourne toute la réflexion philoso-
phique de Spinoza ? Celle-ci n'est certainement pas « homme », ni
Is raison », ni méme « la vie », ou encore « la nature », constitue
Comme une entité abstraite, et done enclose dans les limites que luiSPINOZA AU PRESENT
} fixerait cette constitution. Gette « chose», Spinoza luianéme I's ape
| le « Dieu », d'un nom qui justement ne s'applique & aucune chose
cen particulier, bien qu'il les concerne toutes singuligrement : il est ce
qui, du fond de leur réalité, méme fini exprime leur commune appa
tenance 4 une toralité infinie, qui n’est pas elle-méme donnée, de
maniére ferme, comme une grande chose 3 cbté et at-deli de toutes
les autres petites choses, puisqu, dans son mouvement productf, cau
saly lest ce qui s'exprime en se reproduisant 4 travers chacune sans
‘exception, et la marque, da
15 P'Eihique est tout sauf une Somme onto-théotogique
La « chose » dont parle Spinova, ce n’est pas un objet spéculatif
particulier, cst
Ja pensée, mais cest ce qui permet Ala pensée de déterminer ses objets
quels quils soient, et ceci nécessairement tels qu'il sont en réalvé
En représentant le rationalisme de Spinoza sur le modéle d'un ordre
abstraic et figé, dont le réseau retient toutes les idées en leur assignant
leur place, on en donne une présentation faussée, fixant arbitraire
‘ment le processus par lequel, selon la conception qu'en développe Spi-
nnoza, a pensce s'autoeffectue, suivant une nécessité qui est rout sau
forme, puisqu’elle ne lui appartient pas en propre de manitre exclu
sive, mais se retrouve identiquement dans tous kes genres d'etre qui,
dans son unité interne et son infinie diversité, constituent la chose
méme nommée « Dieu », vers laquelle s‘orientent les démarches de
la réflexion philosophique: cette chose qui, étant Dieu meme, est tout
sauf «une » chose, ou « un » Di
Plutdt qu'elle ne se dirige vers cette chose en suivant de manitre
linéaire une progression univoque, la pensée de Spinoza rourne autour
delle, en décrivant des mouvements concentriques qui len rappro-
chent vertigineusement, dans la perspective d'une totale identification
Ace qu'elle et et A ce qu'elle peut. Or cette identification ne se limite
pas 3 la réalisation d’une représentation conforme qui comme une
peinture muette sur un tableau, maintiendrait & distance la « chose »
qu'elle imite pour mieux lui ressembler, en la redoublant, Mais, sui
‘vant un principe qui évoque celui de l'indiscernabilité des identiques,
/ lle consiste en une fusion intime et complete, dont Spinoza a dit,
d'une maniére qui parait obscure ou nigmatique, qu'elle reléve d’une
connaissance « inuitve », parce que le Few ot rendanciellement elle
.1 finitude méme, de son infinité. Par
lire une détermination entre autres du réel ou de
SPINOZA AU PRESENT
s'effectue se situe & Ia limite des formes identifiables du discours ration
nel, qu’elle porte & leur maximum dintensité et de puissance. Et Ia
fascination que la philosophie de Spinoza n’a cessé d'exercer, méme
sur ccux qui se présentent comme ses adversares les plus déclarés,
tient 3 cette décision de maintenir en permanence, de la fagon la plus
pressante, la confrontation entre la plus extréme rigueur rationnelle
et un mystere essentiel qui, du coeur de ce qui est, se communique
3 la pensée, en Ia portant jusquau point ott la chose et Pid
confondent, qui est aussi celui od le clair et abscur, indiscernable
ment, se mélent. Car dans Pabsolu, tel que Spinoza le congoit, la trans
If parence ne cesse de se conjuguer a lopacité,
Sila pensie de Spinoza est reste féconde, productive depuis plus
de trois scles quelle est connue, ce n'est done pas parce qu'elle serait,
par une sorte délection native, pleine de vérités toutes faites, qi
n'y aurat plus qu’a resasir sans chercher 3 les modifier: mais c'est
plutot en raison des interrogations qu’ évcillnt les ficultés de son
texte. Toutes les philosophies Szxposent Gre rEimteprétés de manié
res différentes: le cas de Spinora, pourtant, ne rentre pas tout 3 fait
dhans Phorizon defini par cette régle général, dont la généralié juste
ment est trompeuse. De la philosophic de Descartes, ou de celle de
Kant, peuvent tre données des présentations décalées, gui mettent
plus ou moins d'accent sur wn aspect de la doctrine au détriment des
futres; ces préscntationss'accordent néanmoins sur un contenu spe
cultifqu es eur base théorique commune, 3 partir de laquelle elles
j commencent & dverger. Or Spinoza ext celui des philosophes quia
{ prété occasion aux legons les plus extrémes et les plus opposes: t
14] Geel sans doute, parce que Vopposiion est au carur de sa pense, Ces
porque « systéme » de Spinoza et histoire du spinoriame ne vont
pusV'un sans Pautre, mais procédent d'une essentele continue; celle
[corespond au déploiement d'un espace de libres erations, dont
Vnuverture était déja donnge dans ls thémesiniiauxsau mon
‘doctrine s'est pout la premire fois élaborée, dans la perspective
dire
historique assignée & son auteur, qui s'est rendu éternel, c'est
{ sui libre, en se prétant le plus étoitement & ce conditionnement
sangulier
1a singularité cu spinozisme tiendrait alors Ja constitution para-
Jixale de son discours, qui le démultiple en li-méme, en engageantSPINOZA AU PRESENT
4 la fois sur plusieurs lignes divergentes, sans en privilégier definitive
ment aucune : le contraire done d’un bloc achevé, fini, de certitudes 5
mais une libre recherche, dont le earactére causal abolit toute cons
dération de fins, car sa tension relance sans reliche l'élan, la produc:
tivité, de la réflexion, et ne permet pas i celleci de se reposer dans
Ja satisfaction, illusion, d’un but enfin atteint et conquis. Mais appa-
raissont aussitdt les difficultés que suscite une telle manitre de lite,
ct elles ne peuvent étre dludées. Insalier la différence au cceur d'un
systéme de pensée,n’est-ce pas prendre le risque de déchainer une pres
sion interprétative qui, & terme, doit le faire éclater ? N'est-ce pas aussi
le soustraire & V'exigence de rigueur qui distingue et démarque dune
libre et suggestive évocation la nécessité démonstrative dont Spinoza
a expressément voula que la forme s‘inserivit dans le texte de IE
que? Nrest-ce pas, enfin et surtout, autoriser Marbieraire de lectures
indécises, hors-cexte on quelque sorte, qui, en privilégiant absolument
celle-ci
le sens par rapport la lett, feraient tendancillement dire 3
Car il faut bien que, pour parler
es ou de criteres permettant de savoir
n'importe quoi et son contra
de Spinoza, l'on dispose de
que c'est bien de lui qu'authentiquement il agit, et non d'un philo-
sophe imaginaire dont la figure se dessinerait sur le fond d'un quek
conque monde possible, selon un concept qui, pré
place dans sa pensée. Nul ne saurait peétendre se substituer & Spinoza,
‘Sexprimer & sa place et en son nom. Qu'est-ce qui autorise alors 3
cen accepter des lectures différentes, que leur différence semble dis:
‘qualifier ? Ex que reste--il d’un texte, lorsque la surcharge des inter:
prétations paratt en dissimuler la structure objective et littérale?
La lettre
Vinverprésation
Restituer une véritable présence & la pense de Spinora, ce serait
Pinterpréter, au sens presque musical du terme, et par la rendre effec:
tive la charge eréative qui est en elle, errfui donnant les moyens de
se communiquer. En ce sens 'interpréte est tout le contraire en appa
rence d’un commentatcur. Les séparent, dans es termes qui les dés-
gent, ce qui distingue le cum du commentateur et l'inter de
Pinterprite. Le premier offre, dans des marges réputées vierges, un
SPINOZA AU PRESENT
produit d'accompagnement, quelque chose qui, dirait-on vulgairement,
«va avec » : ce supplément d'information ow explication qui, & la
lisidre du texte, sur ses bords, s'y adjoint sans y toucher, sans réele
ment se méler 3 lui ni le pénétrer, & plus forte raison sans le transfor
mer ou Faltérer. Le second, son nom méme l'indique, se tent au cceur
d'un échange vivant, passant en pleine page, qui travaille le texte, texte
pour texte, ou texte sur texte, et en propose une forme de substitu
tion : il le déchiffre, Vexécute, le réalise, V'actuatise, en donne cette
« présentation » qui ne seffectue qu’au présent. On dirait encore que
le commentateur revient au texte, quill prétend laisser subsister tel
quel ; alors que I'interpréte en part et le pousse, ou le porte, en avant
de ce qu'il peut, fasant de sa lecture, plus qu'une manipulation ou
tune reproduction réputée conforme, un acte novateur, libre par rap-
port 3 des contraintes qui ne lui seraient qu’extérieures.
‘A premire vue, ces deux démarches s‘opposent 3 la manire dont
se démarque une lettre, tele qu’ellesinscrit dans la composition obli
gée d'une organisation préalable, qu'on ne peut modifier 3 son gré
Cc un sens, libre floteant, inventif, qu'emporte la pression eréattice
de son contenu, dont Ix dynamique transcende les limites arrét
Hane forme. Toutefois, il n’est pas tellement evident de rattache
Yun ou autre des termes de ce rapport contrasté le commentateur
et Pinterpréte: car si l'on y fait attention, cest peutetre au sens, et
3 ses mythes, qu'il convient plutét de préter une statique opacié pour
reconnaitre & inverse la dynamique transparente de la letere. Plutdt
aquiattaché & une scrupule littéral interdisant d’aller au-deld de ce que
preserit une disposition fixée, parce qu’inscrte, une fois pour toutes,
le commientateur ne serait-il pas le plus lié par le respect de normes
iéales, dotant pour toujours le discours qu'il étudie d'une significa:
tion inébranlable et pleine, dont il ne resterait plus qu’a épouser le
mouvement déa tout tracé? Alors qu’a Pinverse interpréte serait
celui qui découvre, non dans la réserve spirituelle du sens, mais en
tuivant la ligne différencige du texte, avec ses aspérités, ses irrégulari
1, ses difficultés, voire ses obscurités et ses lacunes, incitation qui
le presse
rnente, dont la puissance ne saurait étre définitivement délimitée. Aux
‘ontraintes ritualisées du commentaire, et des mornes mesures que
tllesci imposent, et & Pespéce de maiveté théorique que requiert leur
'en refaire la lecture, selon une nécessité objective, imma:Parler de Spinoza, dice quelque chose 3 son sujet, c'est en fait
Sengager dans le processus historique de Pinterprétation qui nese déve-
loppe pas sclon une ligne de progression univoque, parce que ses
conditions, surdéterminées et éventuellement divergentes, sont fon-
damentalement obscures, et ne se laissent pas ramener dans les lim
tes bien dessinées d'une figure rationnelle : c'est finalement faire
référence & Spinora, et tien d'aute ; oF cei suppose V'appartenanee
A une communauté, qui existe de fait et non de droit, rassemblant
‘ous ceux qui, dés Porigine ont parlé de Spinoza ; cette communauté,
par une série d'intermédiaires dont il n’a pas nécessairement connais-
sance et qu'il n’a pas besoin de maiteiser en totalité, relie celui qui
rmentionne cet référence au terme réel que celle