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Helen

Moss

ADventure IslanD
Le Mystère du fantôme de minuit

Traduit de l’anglais par Anouk Journo-Durey


À Amy et Beth
1

un hÔTe
De maRQue

– V ous ne devinerez jamais qui vient en vacances chez nous !


s’exclama joyeusement Emily sans même dire bonjour.
À l’autre bout du fil, un silence s’établit quelques secondes.
– La reine d’Angleterre ? demanda Scott.
– David Beckham ? renchérit Jack.
Emily éclata de rire. Même en se creusant la cervelle, Scott et Jack
Carter, ses nouveaux amis, ne trouveraient pas. Le vieux phare transformé
en chambres d’hôtes par ses parents accueillait parfois des célébrités,
mais là, franchement, il s’agissait vraiment d’une personne pas comme
les autres !
Surexcitée, elle jeta un coup d’œil à sa chambre circulaire dont les
trois fenêtres en forme de hublot dominaient la mer. Ce jour-là, le ciel
était bleu azur, sans un nuage. Une magnifique journée s’annonçait à
Castle Key. Une journée riche en aventures…
– Lady Gaga ? Johnny Depp ? lança Jack, poursuivant à la place de son
frère.
Il avait dû lui arracher le téléphone des mains !
Jack et Scott séjournaient au cottage des Roches, chez leur tante Kate,
écrivain réputé dans la région. Lorsqu’ils étaient arrivés à Castle Key
pour les vacances d’été, ils redoutaient de s’ennuyer à mourir. Mais après
l’opération « trésor disparu », résolue grâce à eux trois et à Drift, le petit
chien bien-aimé d’Emily, les deux garçons avaient découvert qu’il se
passait sur cette île beaucoup plus de choses qu’ils n’auraient pu
l’imaginer1.
– Vous ne devinerez jamais, répéta Emily.
– Winnie l’Ourson ? reprit Jack d’un ton moqueur.
– Oh ! là, là ! si vous cherchez du côté des personnages de dessins
animés, vous êtes mal partis ! Bon, vous donnez votre langue au chat ?
C’est un ex-agent secret de la brigade des S.A.S. !
– S.A.S. comme Special Air Service2 ? fit Scott en reprenant
l’appareil. Et je suppose que James Bond en personne viendra goûter au
délicieux buffet que ta mère prépare pour le déjeuner ?
– Ce n’est pas une blague, rétorqua Emily, qui savait que Scott et Jack
aimaient bien la taquiner. Ce monsieur s’appelle Max Fordham. Il a fait
la guerre du Golfe et a participé à des tas d’opérations…
Drift bondit vers elle, oreilles dressées, prêt à agir. Il avait entendu le
mot « opération » et réagissait aussitôt !
– Mais non, Drift… Bientôt peut-être…
Drift pencha la tête sur le côté, l’air déçu, comme s’il comprenait.
Chien de sauvetage d’origine inconnue, Drift incarnait le parfait mélange
de plusieurs races : il avait le cerveau d’un colley, la vivacité d’un
épagneul et le courage mêlé d’endurance d’un jack russel.
Il accompagnait Emily partout… Et surtout dans ses enquêtes !
– Allô ? Emily ? Tu es toujours là ?
Mais occupée à caresser Drift, Emily avait posé son portable sur son
lit…
Scott et Jack échangèrent un regard perplexe et amusé. Même s’ils ne
la connaissaient pas depuis longtemps, ils s’étaient déjà habitués au
caractère original d’Emily Wild ! Et à son imagination débordante…
Ils se trouvaient dans la cuisine ensoleillée du cottage des Roches, en
train de finir leur petit déjeuner : des œufs garnis de bacon grillé à point.
Merci, tante Kate !
– Elle a bien dit qu’un agent secret était en vacances chez elle ? dit
Jack.
– J’ai compris la même chose. Allô, Emily ? reprit Scott en appuyant
sur la touche du haut-parleur pour que Jack puisse entendre. Il a débarqué
en parachute, revolver au poing, ton ex-agent secret ?
– Très drôle. Il a juste signé notre registre, et là, j’ai remarqué son
tatouage sur le bras, expliqua Emily. Une dague ailée. C’est l’insigne de
la brigade S.A.S.
– Exact. Tu m’impressionnes, ajouta Scott, sincère.
Emily, fine observatrice, n’était peut-être pas en train de leur raconter
une blague…
– Donc je l’ai interrogé… Et il m’a expliqué qui il était, reprit Emily.
Il est très sympa. D’ailleurs, Drift l’aime bien !
– Ah, c’est bon signe ! Mais que ferait un agent secret à Castle Key ?
poursuivit Scott. Il a repéré une bande de terroristes à la crêperie du
coin ?
– N’importe quoi, soupira Emily à l’autre bout de la ligne. Comme je
vous l’ai dit, Max Fordham est un ex-agent secret. Maintenant, il travaille
dans le civil.
– Et il est en vacances, en plus ? Alors il n’est pas intéressant, trancha
Jack.
– Sauf que je ne vous ai pas tout dit ! précisa Emily. Rendez-vous au
port dans dix minutes !
Et elle raccrocha.
– On fonce ! s’écria Jack en se levant aussitôt de table. Emily mijote un
truc génial !
– Attends…
Scott fit exprès de se redresser lentement, rien que pour énerver son
frère. Sa curiosité était piquée, mais il ne voulait pas le montrer. Il aimait
bien paraître cool.
– Attends… quoi ? Allez, rapplique, flemmard !
Jack sortit à toute allure de la cuisine…
Et Scott lui emboîta le pas aussi vite.
Ils descendirent la ruelle de l’Église, empruntèrent la Grand-rue puis
l’allée des Poissonniers et se dirigèrent vers la plage. Maintenant, ils
connaissaient toutes les rues de ce vieux village de pêcheurs. Ils étaient
arrivés quelques semaines auparavant pour passer l’été chez leur tante
Kate pendant que leur père poursuivait des fouilles archéologiques en
Afrique. Après avoir fait la connaissance d’Emily, leurs vacances étaient
devenues palpitantes ! Ils avaient aidé Emily dans ce qu’ils appelaient
désormais l’opération « trésor disparu » : une épée, un casque et un
bouclier de l’époque saxonne, d’une valeur inestimable, avaient été
dérobés au musée de Castle Key. Avec Emily et Drift, ils avaient retrouvé
le trésor. En même temps, ils avaient aussi découvert les grottes du Vent-
Huant, un lieu extraordinaire ! Ensuite, Emily leur avait demandé de
participer à l’opération « espionnage », qu’elle avait commencée avant
de les rencontrer… Sauf qu’il s’était agi de faire le guet à la poste et
d’observer des gens qui achetaient des timbres. Pas très passionnant… Il
était temps que débute une nouvelle et véritable aventure !
Après avoir traversé la plage de galets, Jack et Scott furent accueillis
par Drift qui se mit à sautiller joyeusement autour d’eux. Emily les
attendait un peu plus loin, assise sur le muret qui donnait sur le port, ses
genoux remontés contre sa poitrine, son visage encadré de longues
boucles brunes.
– Alors, raconte ! s’exclama Jack.
Emily sourit d’un air malicieux.
– Vous avez entendu parler des films avec l’agent Diamant ?
– J’adore ! Mission Diamant, c’est le plus top, poursuivit Jack. Maya
Diamant doit découvrir le repaire secret du Dr Zoltan…
– Le meilleur, pour moi, c’est Code Diamant, coupa Emily. Maya est
un agent double en Russie…
– Maya est une super Action Woman, on est d’accord, dit Scott. Mais
quel est le rapport avec nos vacances ?
– Ha, ha ! fit Emily, les yeux pétillants.
Elle garda le silence quelques instants, ménageant son effet.
– Ils vont tourner des scènes du prochain film ici ! Et Max Fordham
sera leur conseiller spécial pour les cascades !
– Cooooool, fit Jack.
– Intéressant, lâcha Scott.
Jack lui lança un coup d’œil moqueur. Il n’était pas dupe. Il savait
pertinemment que son frère faisait semblant de ne pas être aussi
enthousiaste que lui.
– Ils commencent même dans très peu de temps ! ajouta Emily en se
levant.
Et elle s’éloigna rapidement. Drift la suivit aussitôt.
– Où tu vas ? demanda Scott.
– Au château ! Max nous a invités à assister au tournage. Si ça vous
intéresse…
Jack et Scott échangèrent un regard. Si ça les intéressait de voir un vrai
agent des brigades secrètes mettre au point des scènes d’action pour un
film au suspense explosif ?
– On arrive ! répondirent-ils en chœur.

1. Voir Le Mystère des grottes du Vent-Huant.


2. S.A.S. : Special Air Service, unité de force spéciale de l’armée britannique, considérée
comme une référence mondiale dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.
2

Le MoRSe

Q uand ils parvinrent devant le château de Castle Key – une


ancienne forteresse dont une bonne partie était en ruine –, ils découvrirent
un parking absolument bondé. Des camions et des camionnettes
stationnaient un peu partout. Çà et là étaient posées des caisses emplies
d’accessoires : cordes, crochets, harnais… Des caméras étaient
installées, de même que des éclairages et des treuils. Des hommes et des
femmes munis de blocs-notes à clip s’apostrophaient… Quelle agitation !
– Je parie qu’il n’y a pas eu autant d’animation ici depuis la dernière
invasion en 1385 ! s’exclama Scott.
Ils se dirigèrent vers ce qui restait des remparts, non loin du bord de la
falaise. En dessous, en à-pic, se déroulait la paroi rocheuse avec, tout en
bas, la mer. Des barrières de sécurité avaient été installées : l’endroit
était dangereux.
– Voilà Max ! indiqua Emily en désignant une silhouette qui grimpait
sur l’une des deux tours, à un angle de la forteresse.
Bouche bée, Jack aperçut un homme casqué, en short et tee-shirt noirs,
qui escaladait le vieux mur aussi habilement qu’une araignée. Max
attacha une corde au sommet puis descendit en se balançant de droite à
gauche, fixant des crampons, nouant ses cordages, testant en même temps
les points d’appui pour les pieds et les mains… Jack, Scott et Emily se
rapprochèrent discrètement. Une fois à terre, Max enleva son harnais et
commença à discuter avec un caméraman, indiquant différents angles de
vue pour le tournage.
– Trop bien, murmura Jack. C’est carrément plus cool que le mur
d’escalade de l’école !
– Ça ne se compare même pas, répliqua Scott.
Ils observèrent tout ce qui se passait jusqu’à ce que Max demande à
son équipe de s’octroyer une pause. Il ôta son casque, remonta ses
lunettes d’aviateur sur son crâne et jeta un coup d’œil autour de lui. Il
était brun, les cheveux coupés court, et très musclé… forcément. Il avait
les yeux bleus, et le regard perçant de ceux qui ont l’habitude de scruter
l’horizon, en plein désert, à travers le viseur d’un fusil-mitrailleur,
songea Jack, impressionné. Reconnaissant Emily, Max lui sourit et
s’approcha.
– Voici mes amis, Scott et Jack, dit-elle.
– Salut, dit Max en serrant la main aux deux garçons.
À son tour, Jack remarqua la petite dague ailée tatouée sur son bras.
– C’était drôlement intéressant de vous voir grimper là-haut…
– Merci. Tu aimes l’escalade ? demanda Max.
– Oui, beaucoup.
– Tant mieux ! Moi, j’ai commencé à ton âge. Ensuite, évidemment, j’ai
appris sur le terrain, et dans l’armée, précisa Max.
– Vous avez déjà escaladé un 9a ?
– Oui, quelques-uns. El Capitan en Californie, des parois dans les
Alpes, en Nouvelle-Zélande…
Jack lâcha une exclamation admirative. La cotation 9a signifiait
« extrêmement difficile ». Il avait déjà visionné des documentaires
montrant des grimpeurs de l’extrême… Là, il en rencontrait un pour de
bon.
– Si ça vous tente, je vous emmènerai faire un peu d’escalade à la fin
de la semaine, quand j’aurai terminé ici, ajouta Max.
Jack, Scott et Emily échangèrent un grand sourire avant d’accepter
avec enthousiasme. Max adressa alors un signe amical à une jeune femme
qui poussait un petit chariot transportant une glacière.
– Daisy, s’il te plaît, on meurt de soif…
Quelques instants plus tard, il leur offrit des canettes de soda bien
frais, puis il demanda de l’eau pour Drift qui, comprenant le mot, remua
joyeusement la queue. Lui aussi avait envie de boire, et Max l’avait bien
remarqué. Qu’est-ce qu’il était sympa !
– Merci de nous laisser regarder le tournage, dit Scott. Que se passe-t-
il dans la prochaine séquence ? Vous pouvez nous en parler ?
Max but plusieurs gorgées de soda avant de répondre.
– Maya Diamant descendra en rappel du château pour s’échapper. Elle
utilisera les cordes que les complices du Dr Zoltan auront utilisées pour
la ligoter. Elle terminera en faisant un saut arrière, longera le rebord,
sautera dans le vide… Et attrapera l’un des patins d’atterrissage d’un
hélicoptère qui volera dans les parages à ce moment-là. On peut réaliser
beaucoup de trucages et d’effets spéciaux sur ordinateur mais, pour
l’agent Diamant, on essaie de garder le plus de scènes véritables, précisa
Max en jetant un coup d’œil à sa montre. Bon, je dois filer. Il faut qu’on
prépare le tournage de demain.
– Et… Savannah Shaw sera là ? demanda Scott.
C’était l’actrice, aussi ravissante que célèbre, qui jouait Maya
Diamant. Une fois, il avait avoué qu’il la trouvait jolie et, depuis, Jack se
moquait de lui à ce sujet.
– Non, Savannah ne fait pas de cascades, répondit Max en écrasant sa
canette avant de la jeter dans une poubelle. Ce sera sa doublure : Lauren
O’Brien.
Jack ne put s’empêcher d’éprouver une pointe de déception. Il avait
toujours considéré Savannah Shaw comme une super-woman, une Lara
Croft…
– Elle a peur ? demanda-t-il.
– Non, elle serait même prête à courir tous les risques… Mais son
agent et la maison de production ne sont pas d’accord. Savannah
représente beaucoup trop d’argent pour eux. Elle est devenue précieuse
comme du cristal, ajouta Max.
Son visage se rembrunit quand il précisa :
– Trop précieuse, même… Je ne suis pas sûr qu’elle apprécie d’être
couvée à ce point.
– Je n’aurais peut-être pas dû vous poser cette question, dit Jack en
remarquant la gêne qu’exprimait Max.
– Non, ne t’inquiète pas. J’ai juste du mal à m’habituer à certains
aspects de l’industrie du cinéma, répliqua Max en souriant de nouveau.
Comme ceci, d’ailleurs…
Et il désigna une Ferrari noire, immatriculée GOLD-1, en train de se
garer sur le parking. Un homme plutôt petit et corpulent – il ressemblait à
un morse ! – s’en extirpa difficilement.
– Que quelqu’un m’apporte un café ! Tout de suite ! aboya-t-il avant
même d’avoir mis le pied par terre.
– Sid Golding, marmonna Max d’un air irrité. C’est l’agent de
Savannah Shaw. Elle n’avait que dix-sept ans quand elle a été
sélectionnée pour le rôle. Depuis, Golding veille à sa carrière… Il y tient
comme à la prunelle de ses yeux !
Sid le Morse s’avança à grands pas vers eux. Il portait un luxueux
costume gris, sans doute une marque de haute couture italienne.
– Qu’est-ce que vous fabriquez ? Tout sur ce tournage doit être prêt
pour… hier !
Max le regarda froidement.
– Pas de problème. On contrôle la situation.
– J’espère bien ! répliqua l’homme d’un ton sec en contemplant Scott,
Jack et Emily. Et on n’a pas besoin de spectateurs qui nous empêchent de
travailler.
– Mes jeunes amis sont ici parce que je les ai invités, rétorqua Max.
Ce sont des fans de l’agent Diamant. Je suis certain que vous aurez envie
de les accueillir comme il faut.
Sid Golding poussa un soupir qui ressemblait à un ronflement, puis il
s’empara du gobelet de café qu’une assistante intimidée lui tendait et
s’éloigna à grands pas.
Max leva les yeux au ciel.
– Golding est complètement paranoïaque… Il a peur que des fans ne
s’approchent trop près de Savannah, et que des paparazzis ne la
photographient en pantoufles et robe de chambre !
– Est-ce qu’on ressemble à des paparazzis ? se moqua Scott.
– Ou à des fans en folie ? renchérit Emily.
– Ah, peut-être que moi, je le suis ! s’exclama Jack.
Et, esquissant une grimace horrible, il se mit à se dandiner, dos voûté,
comme Quasimodo.
Max se mit à rire.
– Si tu es un fan de Savannah, tu pourras peut-être la voir au manoir de
Pendragon. Ils filment aussi quelques scènes là-bas, cette semaine.
Essayez seulement d’éviter Golding… Et ne dites pas que c’est moi qui
vous envoie.
– Le manoir de Pendragon ? répéta Emily. Mais c’est juste à côté !
Incroyable ! Savannah Shaw, alias l’agent Maya Diamant, l’espionne la
plus célèbre au monde, se trouvait à Castle Key !
3

uN MaNoIR
HaNTÉ

L e manoir de Pendragon se situant à environ six kilomètres du


centre du village, ils décidèrent de s’y rendre à vélo dès le lendemain.
Jack et Scott avaient apporté leurs bicyclettes depuis Londres, dans le
coffre de la voiture de leur père… Sauf que Jack s’aperçut que la roue
arrière de son VTT était tordue. La poisse ! Il avait dû l’abîmer en tentant
des slaloms ultra-rapides quelques jours auparavant… Il téléphona
aussitôt au magasin de cycles de Carrickstowe. On lui répondit que oui,
on pourrait lui commander une nouvelle roue, mais il faudrait qu’il
patiente quelques jours. Double poisse !
– Ce n’est pas grave, mon chéri, il y a un vieux vélo dans l’abri de
jardin, lui apprit tante Kate. Ton père l’utilisait quand il était jeune, il
allait partout à toute allure ! Bon, et si je vous préparais un délicieux
pique-nique ?
Scott et Jack la remercièrent chaleureusement. Chaque jour, tante Kate
leur concoctait de succulents repas. Un autre très bon côté de leurs
vacances !
La bicyclette en question était noire, poussiéreuse… et aussi lourde
qu’un tank. Une antiquité ! Jack se hissa sur la selle, attrapa le guidon,
très haut, pédala un peu… Et bascula aussitôt dans une plate-bande
emplie de fleurs.
– Trop fort ! s’esclaffa Scott en le prenant en photo avec son portable.
Le champion du VTT incapable de tenir sur un vélo de grand-mère !
– Arrête de jouer au paparazzi ! s’énerva Jack en se relevant.
Il ôta les épines de rose plantées dans son short. Il avait intérêt à
récupérer le téléphone de Scott et à effacer la photo avant que son frère
l’envoie à ses copains ou la mette sur Internet ! Il en serait capable, le
filou…
Ils retrouvèrent bientôt Emily, dont le beau tout-terrain était équipé
d’un panier sur le porte-bagages pour accueillir Drift. Son chien adorait
les promenades en bicyclette ! Quand ils dévalèrent la ruelle de l’Église
quelques instants plus tard, il resta fièrement assis à l’intérieur, haletant
de contentement, les oreilles au vent.
– J’espère qu’on ne va pas rencontrer Sid le Morse, dit Jack tandis
qu’ils sortaient du village.
Ils tournèrent dans une étroite allée bordée de haies si hautes que leurs
sommets se rejoignaient pour former pratiquement un tunnel, et filèrent à
l’ouest de l’île.
– Pourvu que non… Mais si on le voit, on lui expliquera qu’on pique-
nique dans les bois, voilà, dit Emily.
– On pique-nique, oui… Et pas très loin du manoir, ajouta Scott. Par
hasard, on aurait alors aperçu Savannah Shaw, mais comme ce serait par
hasard, ce ne serait pas notre faute !
– Après tout, on vit dans un pays libre ! renchérit Jack.
Pour ponctuer ses paroles, il tenta un rapide zigzag qu’il regretta
aussitôt. Son immense vélo n’était pas du tout conçu pour ça. Il redressa
le guidon de justesse, manquant de tomber une fois de plus.
– Et tout à fait par hasard, j’ai emporté mes jumelles ! continua Emily
en tapotant son sac à dos.
– Seulement pour contempler les petits oiseaux, pas vrai ? compléta
Jack en s’obligeant à pédaler plus lentement.
Dur, dur !
Ils grimpèrent une route à flanc de colline et, au bout d’un moment,
s’arrêtèrent pour retrouver leur souffle et admirer le paysage en
contrebas : la lande qui descendait, verdoyante, jusqu’à l’océan, la côte
déchiquetée, les forêts çà et là… Non loin, au milieu des hauts arbres, on
apercevait une toiture hérissée de vieilles cheminées tarabiscotées. Le
vent bruissait dans les branchages et, tout à coup, Jack eut l’impression
d’entendre des voix.
– C’est quoi, ça ?
Emily se mit à rire.
– Je vous préviens, le manoir peut faire un peu peur.
– Pourquoi ? demanda Jack.
– Il est hanté !
– Waouh… Cool ! fit Jack en se redressant sur ses pédales. Hanté par
quoi ?
– À ton avis ? se moqua Scott. Par un fantôme, forcément.
Jack se rassit sur sa selle et jeta un coup d’œil irrité à son frère.
– Sans blague, monsieur Einstein ? Je n’imaginais pas le spectre d’un
sandwich au jambon ! Je m’interroge juste sur le genre de fantôme. Un
poltergeist, par exemple, c’est comme une tornade, et ça te rend
complètement ouf. C’est ce que j’aimerais devenir si jamais je me
réincarne en…
– En quoi ? l’interrompit Scott. Parce que je te signale que tu es déjà
comme ça !
Il éclata de rire… Et Emily aussi.
– Le fantôme du manoir de Pendragon est beaucoup plus classe qu’un
poltergeist. En fait, c’est une sorcière, leur apprit-elle.
– Sérieusement ? Le fantôme d’une sorcière ? Tu rigoles, dit Scott en
s’accoudant sur son guidon.
Emily ébaucha un sourire énigmatique.
– Même pas. Ici, tout le monde connaît la légende du fantôme de
minuit. D’ailleurs, la plupart des gens refusent d’aller au manoir la nuit.
– Quelle légende ? s’enquit Jack.
Emily ferma les yeux et, se balançant de droite à gauche comme si elle
entrait en transe, elle déclara :
– Imaginez que nous sommes au xvie siècle… Dans le manoir, il se
passe de drôles de choses. Après minuit, les filles ou les jeunes femmes
qui y résident disparaissent mystérieusement. Le pire, c’est que ça arrive
plus d’une fois… Souvent, très souvent… On finit par accuser la vieille
gouvernante, Sarah Goodwell… On raconte que c’est une sorcière et
qu’elle jette une malédiction à celles qui dorment sur place ! On fouille le
manoir de fond en comble, et on découvre, dans une pièce secrète du
grenier, de nombreux livres de sortilèges ainsi que des potions
magiques… Sarah Goodwell est chassée, puis pendue ! Mais la légende
raconte qu’elle a utilisé l’un de ses sortilèges pour garder son esprit en
vie et se venger… Son fantôme hante le grenier et il paraît que toutes
celles qui pénètrent les lieux après minuit disparaîtront pour toujours…
Emily rouvrit les paupières et contempla ses amis. Un long silence
s’établit.
– Waouh. Pas mal… Oui, pas mal, répéta Jack. Un vrai fantôme vivant.
Enfin, un vrai fantôme mort, évidemment… Il va falloir qu’on trouve de
l’ail et une croix !
– Ça, c’est pour les vampires ! s’exclama Scott.
– Vampires ou fantômes, moi, ça me fiche la trouille, avoua Emily.
Cette histoire m’a fait faire plein de cauchemars quand j’étais petite !
Bon, on est ici pour voir Savannah Shaw, vous vous rappelez ?
poursuivit-elle. Une légende en chair et en os ! C’est beaucoup plus
passionnant qu’un vieux spectre… Vous venez ?
Et elle se dirigea vers le bois qui jouxtait le manoir, empruntant une
route étroite et ombragée, bordée de chênes et de hêtres centenaires. Les
trois amis pédalèrent silencieusement, décidés à rester le plus discrets
possible, mais ils se rendirent vite compte qu’ils auraient pu arriver en
faisant des claquettes : personne ne les aurait remarqués. Entre les
camions et les remorques garés un peu partout, les plateformes
mécaniques et le nombre incroyable de gens qui s’affairaient, le manoir
de Pendragon ressemblait à un immense champ de foire.
Impressionnés, Scott, Jack et Emily posèrent leurs vélos et se
cachèrent derrière une haie qui entourait les jardins.
– D’ici, on verra bien, chuchota Emily. En planque ! ajouta-t-elle tout
bas à Drift.
Son chien se lova aussitôt au fond du panier de sa bicyclette et ne
bougea plus. Il connaissait parfaitement cet ordre.
Les trois amis contemplèrent la scène à travers les branchages : une
pelouse de la taille d’un terrain de cricket ; au centre, un labyrinthe géant
taillé dans des buissons d’ifs. L’équipe de tournage était en train de
placer différentes caméras ainsi que des éclairages tout autour. Le manoir
était une imposante bâtisse d’architecture médiévale de l’époque Tudor3,
avec des façades en pierre couleur caramel. Des ailes agrandissant la
demeure originale avaient été ajoutées au fil des années, dans un style
plus moderne, ainsi que des tours et des tourelles. À présent, l’ensemble
ressemblait vraiment à une construction hantée dans un film d’horreur !
– Regardez, c’est elle ! lança Scott à mi-voix.
En effet, une ravissante jeune femme traversait la pelouse, vêtue d’une
combinaison moulante noire façon ninja. Elle portait des lunettes de
soleil très chics ; ses cheveux noirs et lisses étaient ramenés en une
longue queue-de-cheval. Tout en marchant, elle sirotait une bouteille
d’eau… Et portait un énorme fusil-laser sur son épaule. Autour d’elle se
pressaient divers assistants. Le premier brandissait un sèche-cheveux, le
deuxième des pinceaux de maquillage, le troisième, un ventilateur
électrique… Et le quatrième était un garde du corps costaud muni d’une
oreillette à la FBI.
– Trop bien, murmura Emily, fascinée.
– Ça te donne envie de faire comme elle plus tard ? demanda Jack.
– Oui… Sauf que je rêve de devenir un vrai agent secret !
– Bizarre, je ne suis pas étonné, observa Scott.
À ce moment-là, Drift bondit hors de son panier. Emily voulut le
rattraper par le collier… Trop tard, l’animal s’était déjà frayé un passage
à travers la haie. Il partit en courant, tel un missile, vers Savannah
Shaw…
– Oh, non ! gémit Emily, catastrophée.
Le garde du corps et l’homme portant le ventilateur se jetèrent tous
deux à plat ventre pour tenter d’intercepter le chien… Mais ils ne
réussirent qu’à se cogner mutuellement le crâne. Drift s’approcha de
Savannah et sauta sur ses jambes gainées de Lycra noir.
Au même instant, une silhouette corpulente comprimée dans un élégant
costume s’avança. L’homme-morse… Sid Golding ! Son visage était
rouge de colère. C’est tout juste si des jets de vapeur ne lui sortaient pas
des narines.
– Drift ! balbutia Emily.
– Là, on est mal, murmura Jack. Très mal…

3. xve-xvie siècle.
4

RenConTRe aVeC
uNe LÉGeNDe

– Q u’est-ce que c’est que ce bazar ? s’époumona Sid Golding. Un


chien enragé s’attaque à ma précieuse Savannah ? Enlevez-moi ce
monstre ! Bougez-vous, bande d’imbéciles ! ordonna-t-il au garde du
corps et à l’homme au ventilateur, toujours à terre.
Il extirpa un portable de la poche de sa chemise et, du bout de son gros
doigt boudiné, composa un numéro.
– Je préviens mes avocats ! Ça va chauffer ! Appelez une ambulance,
Savannah a peut-être été mordue ! Et bon sang de bonsoir, dégagez ce
corniaud d’ici !
Scott, Jack et Emily échangèrent un coup d’œil catastrophé.
– Je vais sauver Drift, dit Emily.
Mais Jack l’en empêcha :
– Attends… Savannah l’a récupéré !
Ce qui se déroula ensuite les stupéfia… et les émerveilla. Savannah
Shaw, actrice légendaire d’une série tout aussi légendaire, portait Drift
dans ses bras ! C’était extraordinaire… Trop beau pour être vrai !
– Pas de panique, Sid, tout va bien, affirma Savannah d’une voix douce
et rieuse.
Elle semblait nettement plus humaine que Maya Diamant, le
personnage glacial qu’elle incarnait à l’écran.
– Cette petite bête ne me veut aucun mal, ajouta-t-elle en caressant
Drift. Seuls Larry et Kenzo ont besoin d’assistance médicale !
Elle désigna les deux hommes qui se relevaient en se frottant le crâne.
– Comment ça va ? Pauvres de vous, vous vous êtes drôlement cognés !
Mais ignorant la jeune femme, Sid Golding se mit à faire les cent pas,
le visage cramoisi comme s’il était au bord de l’apoplexie.
– Sid, calmez-vous… Pourquoi n’iriez-vous pas vous allonger cinq
minutes ? Ingrid pourrait vous masser les pieds ?
– Oui, c’est vrai, avec tout ce stress, j’ai les chevilles qui enflent.
L’homme se tourna et s’adressa à l’équipe :
– Savannah a besoin d’une pause ! Ingrid ! appela-t-il en tapant dans
les mains. Massage ! Et que quelqu’un m’apporte un café ! Tout de suite !
– J’ai envie de m’asseoir là-bas, à l’ombre, dit alors Savannah.
Elle désigna l’endroit de la haie où Jack, Scott et Emily se cachaient.
– On est cuits, gémit Jack.
– Chut ! firent Scott et Emily en même temps.
Savannah s’installa dans une chaise longue qu’on lui apporta aussitôt,
en même temps qu’une table et un miroir : on ne tarderait pas à retoucher
son maquillage. Elle ôta le fusil de son épaule et posa doucement Drift
dans l’herbe. Puis elle lui versa de l’eau minérale dans une coupelle d’où
elle enleva d’abord des boules de coton. Le petit chien la contemplait
attentivement, les oreilles aplaties. Dans son langage, ça voulait dire
qu’il était content… Et même très content ! Heureux ! En principe, c’était
une expression qu’il ne réservait qu’à Emily !
À l’aide d’un petit foulard de soie bleue qu’elle ôta de son cou,
Savannah nettoya les empreintes de pattes de Drift sur son pantalon. Puis
elle releva ses lunettes de soleil sur son front, révélant ses superbes yeux
verts, et sourit à l’une des assistantes qui tournaient autour d’elle.
– Vous voulez bien m’apporter trois autres chaises ? J’attends des
amis…
Puis elle se retourna et lança un clin d’œil en direction de Scott, Jack
et Emily, toujours dissimulés de l’autre côté de la haie. Tous trois se
regardèrent avec la même stupeur. Et ils crurent rêver lorsque Savannah
ajouta tranquillement :
– Tout va bien, Sid est parti, vous pouvez venir.
– Euh… nous ? répondit Scott d’une voix hésitante.
– Oui, vous ! À moins qu’il n’y ait d’autres personnes cachées derrière
cette haie ?
Un long silence s’établit… Un très long silence qui exprimait ce que
ressentaient Jack, Scott et Emily. De l’étonnement mêlé
d’émerveillement. Ils avaient trop de chance !
– Je suis désolée, mademoiselle Shaw, dit Emily en émergeant la
première de leur cachette. Drift n’a pas l’habitude de se sauver et de
sauter comme ça sur les gens qu’il ne connaît pas…
Scott et Jack lui emboîtèrent le pas, les yeux rivés sur la jeune actrice.
– Ne t’inquiète pas, il est adorable… Et appelle-moi Savannah !
J’aime les chiens. J’ai un labrador dans mon ranch, en Californie…
Savannah ébaucha un sourire un peu triste.
– Malheureusement, je ne le vois pas souvent. J’emploie quelqu’un
pour s’occuper de lui, mais ce n’est pas la même chose. Il me manque
beaucoup.
Drift se précipita vers Emily, tête penchée, en remuant la queue. Il
semblait si penaud que la fillette se sentit incapable de le gronder. Au
contraire, elle le caressa affectueusement, puis elle jeta un coup d’œil à
Scott et à Jack qui continuaient à regarder Savannah d’un air fasciné. À
croire qu’une sirène s’était matérialisée devant eux !
– Mais comment saviez-vous qu’on était là ? demanda Emily en
reportant son attention sur la comédienne.
– Oh, j’ai juste vu d’où venait Drift ! Il y a un trou dans la haie… Et je
me suis souvenue que Max avait sympathisé avec la fille des
propriétaires de son hôtel. Il m’a aussi précisé qu’elle avait un petit chien
et deux copains en vacances dans le coin…
Emily échangea un coup d’œil ravi avec Jack et Scott.
– Eh oui, c’est nous, déclara alors Scott. On est très contents de vous
rencontrer.
– Moi aussi ! Qu’est-ce que vous avez prévu, pour aujourd’hui ? ajouta
gentiment Savannah.
– Un pique-nique dans les bois, récita Jack d’une voix de robot,
comme un soldat se cantonnant à une seule version des faits lors d’un
interrogatoire.
– Un beau programme. Je préfèrerais aller pique-niquer au lieu de
tourner toute la journée. J’ai une scène de combat dans le labyrinthe : il
va falloir que j’affronte une dizaine d’hommes de main du méchant Dr
Zoltan… Ensuite, j’ai une scène d’amour avec Brett DiBlanco,
poursuivit-elle en esquissant une moue dégoûtée.
Une réaction étonnante ! Brett DiBlanco était un acteur superbe qui
faisait rêver toutes les filles ! Mais peut-être n’était-il pas sympa…
– Au fait, vous savez que ce manoir est censé être hanté ? demanda
soudain Savannah. Personnellement, j’aime les histoires de fantômes. Pas
les faux, hein, ceux qu’on crée exprès pour Halloween… Je parle des
incarnations de vraies personnes dans de vieilles demeures historiques !
– Oui, on est au courant, répondit Emily d’un ton surexcité. Si vous
voulez tout savoir…
Et pour la seconde fois ce matin-là, elle raconta la légende du fantôme
de minuit… Sauf qu’elle ne simula pas de transe, gardant sa voix normale
jusqu’à la fin de son récit.
– Le fantôme d’une sorcière ? Comme c’est passionnant ! s’exclama
Savannah en contemplant les fenêtres au dernier étage du manoir. Où
pourrait bien être cette chambre secrète du grenier ?
Emily, Jack et Scott suivirent son regard. Avec son architecture
bizarroïde, ses hautes cheminées, ses vieilles pierres, le manoir de
Pendragon donnait vraiment la chair de poule… Même en plein jour.
– Hé… Il y a quelqu’un ! s’écria Emily en désignant l’une des fenêtres.
Tous regardèrent… Personne ne vit quoi que ce soit.
– Tu as rêvé, dit Scott.
– Non, je vous assure qu’il y avait une ombre, répliqua Emily.
– Ha, ha, ha ! Bien essayé, commenta Jack.
– Et si elle disait la vérité ? rétorqua Savannah.
À ce moment-là, une femme blonde et mince, avec un collier couleur
réglisse, s’approcha de la jeune actrice et commença à lui tamponner le
visage avec une petite éponge.
– Vous avez effacé votre rouge à lèvres en faisant des bisous à ce petit
chien…
Puis, en souriant, elle ajouta :
– Et vous ne pouvez pas jouer la scène d’amour avec Brett en ayant des
poils de chien sur la peau. Il est allergique. Il éternuerait toute la
journée !
Savannah lâcha un léger rire moqueur, comme si cette idée lui plaisait.
– Le tournage reprend dans deux minutes ! Tout le monde en place !
ordonna alors une voix masculine amplifiée par un mégaphone.
– C’est notre réalisateur, soupira Savannah en se levant. Merci, Megan,
il faut que je me dépêche. J’ai été ravie de vous rencontrer, ajouta-t-elle à
l’intention des trois amis. Bon pique-nique !
Alors qu’elle s’apprêtait à s’éloigner, Emily remarqua, dans l’herbe, le
foulard que Savannah avait utilisé pour nettoyer les empreintes de Drift
sur son pantalon. Elle le ramassa et le lui tendit.
– Merci, tu peux le garder, dit Savannah avec un sourire. Ce bleu va
très bien avec tes beaux cheveux bruns !
– Merci…
Une seconde plus tard, la voix du réalisateur retentit de nouveau :
– Savannah Shaw sur le plateau immédiatement ! On tourne !
– Oh ! là, là ! dire que c’est toujours comme ça… murmura Savannah.
Et elle se dirigea vers l’équipe qui l’attendait, suivie par Megan, sa
maquilleuse.
– Peut-être que tout compte fait, être une star de cinéma, ce n’est pas
très drôle, observa Emily dès que l’actrice fut suffisamment loin.
Scott et Jack acquiescèrent en silence, impressionnés…
5

UN PaRfuM
De MYSTÈRe

L e lendemain matin, Scott et Jack retrouvèrent Emily,


évidemment accompagnée de Drift, « Chez Dotty ». Ils commandèrent des
glaces et, comme il faisait de nouveau aussi chaud que beau, ils les
dégustèrent dehors, à l’ombre d’un parasol. Ils étaient en train de parler
du parc aquatique de Carrickstowe, où ils avaient envie d’aller, quand
Emily contempla fixement deux hommes et une femme qui marchaient non
loin.
– Ce ne serait pas Megan ?
Scott et Jack suivirent son regard. Le groupe se dirigeait vers le café à
côté de la crêperie. Scott reconnut le collier noir qui ressemblait à un
assemblage de bonbons en réglisse qu’arborait la femme : il s’agissait
bien de la maquilleuse de Savannah Shaw.
Jack lécha le caramel sur sa cuillère avant de la pointer discrètement
vers l’un des hommes qui accompagnaient Megan :
– Et lui, c’est le porteur de ventilateur…
– Il s’appelle Kenzo, rappela Emily.
– Il a carrément un œil au beurre noir ! ajouta Jack en esquissant une
grimace. Le garde du corps doit avoir la tête dure !
– Larry, indiqua Emily.
Scott sourit. Non seulement Emily était une excellente observatrice
mais, en plus, elle se souvenait parfaitement des noms.
– Attention, ils viennent vers nous, dit Jack. Drift, cache-toi sous la
table ! À mon avis, Kenzo ne sera pas copain avec toi.
– Ne parle pas la bouche pleine, gronda Scott. On voit du chocolat sur
ta langue, c’est dégoûtant.
– Dégoûtant toi-même, répliqua Jack. Si tu ne veux pas…
Mais Emily l’interrompit :
– Pourquoi ils sont là ? Je croyais que le tournage les accaparait tout le
temps !
Les apercevant, Megan leur adressa un signe amical avant de pénétrer
dans l’établissement avec ses collègues. Quelques instants plus tard, ils
ressortirent avec des plateaux chargés de cafés, croissants et pains au
chocolat, puis ils s’installèrent en terrasse.
– Quel bonheur de pouvoir profiter de ce beau temps ! s’exclama
Megan.
– C’était inespéré ! renchérit Kenzo.
– Je dirais même… très inattendu ! ajouta Larry.
Scott sourit à Jack et Emily. Ils parlaient si fort qu’on les entendait
parfaitement malgré le brouhaha des mouettes qui voltigeaient au-dessus
d’eux dans l’espoir de grappiller quelques miettes.
– Grâce à la disparition de Savannah, on s’offre une matinée de congé !
reprit Megan en levant sa tasse comme pour porter un toast.
La disparition de Savannah ? Scott, Emily et Jack échangèrent un
coup d’œil stupéfait. Puis tous trois tendirent l’oreille en espérant que
leurs voisins ne le remarqueraient pas…
– Et Sid Golding qui raconte à tout le monde que Savannah a été
kidnappée par un fan obsédé par Maya Diamant ! poursuivit Megan en
riant.
– C’est ridicule, affirma Kenzo. Savannah est absente ce matin, et il
s’inquiète à ce point… Comme si ce n’était pas déjà arrivé !
– Il a quand même déjà prévenu la police, reprit Megan. Pourtant, elle
n’a disparu que depuis deux heures.
Emily jeta un rapide coup d’œil à Scott et à Jack.
– Il faut qu’on en sache plus ! chuchota-t-elle.
Elle se leva et s’approcha de la table de Megan, Kenzo et Larry.
– Pardon de vous déranger, mais on n’a pas pu s’empêcher d’entendre
ce que vous disiez… Vous croyez qu’il est arrivé quelque chose à
Savannah ?
Megan fit signe que non et eut un geste rassurant.
– Je parie qu’elle a juste eu envie de se reposer, affirma-t-elle en
remuant la crème de son cappuccino. Elle a tellement besoin d’être
tranquille… Elle a dû partir se promener pour profiter de ce magnifique
soleil ! Ce ne serait pas la première fois. Je parie qu’elle est quelque part
par ici, en train de savourer une bonne glace. Golding l’oblige à suivre un
régime draconien, légumes verts et salade, depuis qu’on a vu une photo
d’elle en Bikini dans le journal. Il est persuadé qu’elle a un demi-
millimètre de graisse en trop sur les hanches et, pour lui, c’est
inadmissible !
– Autre possibilité : Savannah s’offre un tête-à-tête en amoureux avec
Brett, renchérit Kenzo en essayant de faire un clin d’œil.
Loupé ! Non seulement il n’y parvint pas mais il grimaça de douleur.
– Ou avec Max, dit Larry. Je les ai déjà vus ensemble.
– Personnellement, ce qu’elle fait m’est égal, avoua Megan. Je suis
juste ravie qu’on puisse s’offrir une pause !
Puis ils se mirent à parler d’autre chose, et Emily s’éloigna.
– En fait, il n’y a rien de spécial, confia-t-elle à Scott et à Jack.
– Trop dommage, fit Jack. Un autre mystère à résoudre, ce serait bien !
– C’est sûr, admit Scott. Tiens, on va avoir la visite de Mme-Manquait-
Plus-Que-Ça !
Ils reportèrent leur attention sur la vieille dame aux cheveux gris et
bouclés qui s’approchait d’eux à vélo, pédalant avec énergie. C’était
Mme Loveday, la gardienne du musée de Castle Key. Une femme
terriblement autoritaire… Et involontairement comique : elle s’emmêlait
les pinceaux en parlant et répétait souvent « Il ne manquait plus que ça »,
d’où ce surnom dont ils l’avaient affublée.
– Bonjour, madame Loveday ! lança Emily.
– Bonjour, ma petite Emily !
Mme Loveday descendit de bicyclette et s’avança vers eux. Elle
adressa un sourire à Scott, à Emily, mais ignora Jack. Pour une raison
mystérieuse, elle semblait l’avoir pris en grippe.
– Ah, les enfants, une bonne tasse de thé me ferait du bien ! Ces
célébrités au château salissent tout ! Je n’arrête pas de nettoyer, de
ranger… En plus, il y a ces pepperoni qui passent leur temps à
photographier les lieux… Il ne manquait plus que ça !
– Vous voulez dire des paparazzis ? répondit poliment Scott.
Jack fit semblant de tousser pour réprimer un fou rire. Comment Scott
et Emily parvenaient-ils à rester sérieux face à Mme Loveday ?
– À cause d’eux, le gravier de la cour devra être ratissé de nouveau, et
ils laissent traîner des canettes vides, des mouchoirs en papier… Voilà ce
que j’ai dit à ce Max Fordham : « Vous autres, stars de cinéma, vous avez
peut-être l’habitude qu’on réponde à tous vos besoins à Hollywood, mais
ici, à Castle Key, on vit avec référence ! » conclut Mme Loveday d’un air
digne.
– Avec élégance ? rectifia gentiment Emily.
Cette fois, Jack ne put se retenir… Et Mme Loveday le contempla avec
froideur.
– En tout cas, Max n’est pas une star, reprit Emily. C’est un expert pour
le tournage. Avant, il était agent secret pour les S.A.S.
– Les S.A.S. ? Alors il est encore moins excusable ! On a quand même
dû leur apprendre à ramasser leurs ordures, dans l’armée ? Chez les
scouts, où était inscrit mon Kevin, la discipline était très stricte ! Mais si
vous voulez mon avis, Max Fordham est surtout intéressé par Suzannah
Shaw…
– Savannah Shaw, corrigea Scott.
– Suzannah, Savannah… Je ne m’habitue pas à tous ces noms
modernes, soupira Mme Loveday.
– Vous avez vu Savannah Shaw au château en compagnie de Max ?
interrogea Emily. Quand ?
Mme Loveday ôta son casque et tapota ses cheveux.
– Oui, vers 19 heures hier. Ils se trouvaient derrière la tour. Mais vous
savez que je déteste les tacots…
– Les ragots…
– Et que je refuse de sauter sur des confusions…
– Vous ne sautez sur aucune conclusion…
Jack remarqua que Megan et Kenzo contemplaient Mme Loveday,
bouche bée. L’équipe de tournage avait visiblement entendu ce que la
gardienne du musée venait de raconter.
– Max et Savannah ? Ensemble ? demanda Megan. Et que faisaient-
ils ?
Mme Loveday croisa les bras sur sa poitrine et sourit.
– Eh bien, ma chère, ne pensez pas qu’ils admiraient le soleil
couchant… Savannah Shaw était dans les bras de cet homme !
6

oPÉRaTIoN
« sTaR PeRDuE »

B
– on, on y va ? s’exclama alors Emily. Il ne faut pas qu’on soit en
retard !
– En retard pour quoi ? s’étonna Jack.
– Tu sais bien ! répliqua Emily d’un air entendu.
Elle dit au revoir à Mme Loveday et s’éloigna rapidement vers la
plage, suivie par Drift.
Jack engloutit une dernière cuillère de glace au chocolat avant de jeter
un coup d’œil à Scott.
– Rapplique !
Et il emboîta le pas à Emily qui avait emprunté l’allée des
Poissonniers. Elle la remonta en courant, fila vers le parc au bout de la
Grand-rue… Et grimpa en haut d’un vieux chêne au tronc énorme.
– Vous me rejoignez ? fit-elle, malicieuse, allongée sur une branche, à
l’ombre des feuillages.
Scott et Jack ne se le firent pas dire deux fois. Drift se coucha
patiemment au pied de l’arbre.
Jack s’installa confortablement et, à travers les feuilles, se rendit
compte que de ce promontoire ils voyaient tout ce qui se passait dans le
parc et dans la rue. Emily connaissait un nombre incroyable de cachettes
dans toute l’île, idéales pour leurs missions…
Sauf que là, de quoi s’agissait-il, exactement ?
– On avait rendez-vous avec une équipe d’écureuils agents secrets ? se
moqua-t-il.
– J’a-vais-jus-te-be-soin-d’une-bo-nne-ex-cu-se, énonça Emily très
lentement, comme si elle expliquait un phénomène de physique quantique
à un hamster. Pour qu’on puisse organiser notre en-quê-te.
– Ah. Et… quelle enquête ?
– À ton avis ? Savannah Shaw a disparu !
Emily sortit son carnet de son sac à dos, l’ouvrit à une nouvelle page,
et écrivit : Opération « star perdue » qu’elle souligna deux fois.
– D’après ses collègues, elle est sans doute juste partie se promener,
dit Scott.
– C’est une des possibilités, répliqua Emily.
En balade ?????? nota-t-elle. Scott et Jack contemplèrent les six
points d’interrogation d’un air perplexe. Emily n’acceptait jamais une
explication simple si on pouvait en trouver une beaucoup plus
compliquée. En même temps, partir à la recherche d’une vedette de
cinéma serait beaucoup plus palpitant que de guetter d’hypothétiques
espions à la poste !
– Peut-être que Sid Golding a raison, suggéra Scott. Si ça se trouve,
elle a été kidnappée par un fan…
– Ou dévorée par un zombie ! renchérit Jack. Non, mieux encore,
enlevée, que dis-je, vaporisée par le fantôme de minuit !
– Vaporisée ? répéta Scott d’un ton moqueur. Les fantômes ne
vaporisent pas les gens !
– Qu’est-ce que tu en sais ? rétorqua Jack. Tu en as rencontré ?
Emily esquissa une grimace.
– N’empêche, je suis presque certaine d’avoir vu une ombre l’autre
fois à la fenêtre du manoir.
– Ah, il y aurait donc un spectre ! s’exclama Jack. Je préfère. C’est
plus drôle.
– Malgré tout, ma théorie est que Savannah s’est enfuie avec Max
Fordham, insista Emily. Mme Loveday les a vus ensemble, hier soir.
– Mme Loveday ? répéta Jack.
Il éclata de rire.
– La reine des ragots ? Ce n’est pas vraiment ce qu’on appelle « une
source sûre »…
– En plus, d’après Kenzo, Savannah sortirait avec Brett DiBlanco, fit
remarquer Scott. C’est logique. Savannah devrait être plus attirée par une
star que par un ex-soldat !
– Sauf que Max Fordham est plus beau et plus cool que Brett machin
chose, affirma Emily.
Puis elle rougit. Scott et Jack échangèrent un coup d’œil et se mirent à
rire.
– Emily est amoureuse de Max, Emily est amoureuse de Max,
chantonna Jack.
– N’importe quoi ! s’écria Emily. Vous êtes débiles !
– Eh, oh, ne te fâche pas comme ça, dit Jack.
– Excuse-nous ! renchérit Scott.
– De toute façon, il suffit de réfléchir, reprit Emily d’un ton
catégorique. Premièrement, Savannah n’aime pas Brett. J’ai remarqué
qu’elle n’était pas contente de jouer une scène d’amour avec lui… Limite
dégoûtée ! Deuxièmement, Max a dit à Savannah qu’il nous avait
rencontrés. Donc ça signifie qu’ils se sont parlé avant. Troisièmement,
Larry a dit qu’il les a déjà vus ensemble.
Emily croisa les bras d’un air déterminé.
– Par conséquent, je pense que la théorie de Mme Loveday est peut-
être juste.
– D’accord, ça se tient, admit Scott. Même si tu as une super-
imagination, tu peux noter cette hypothèse.
Ce que fit aussitôt Emily. Puis elle referma son carnet d’un coup sec.
– Allons-y. On a du travail. Les premières vingt-quatre heures d’une
enquête sont les plus importantes… Surtout si la police n’a pas
commencé à chercher Savannah parce qu’il faut un délai avant de signaler
officiellement une disparition.
– On n’a qu’à retourner au château, suggéra Scott. Si on a raison, Max
se sera également volatilisé.
Emily leva la main, paume ouverte vers lui, et ils échangèrent un
check.
– Tu as lu dans mes pensées…

Ils avaient tellement couru que Jack, en nage, s’arrêta en haut de la côte
pour ôter son tee-shirt et le nouer autour de sa tête façon aventurier dans
le désert. Là, il rêvait de plonger dans une eau bien fraîche… Dommage
qu’ils aient dû abandonner leur projet d’aller au parc aquatique !
Une fois au château, les trois amis se frayèrent discrètement un passage
au milieu des techniciens du tournage et se dirigèrent vers la tour que
Max avait escaladée la veille. Il y avait du monde, des paroles animées
s’échangeaient, on préparait visiblement une scène…
Et Max Fordham était présent, tout de noir vêtu, les yeux dissimulés
par ses lunettes d’aviateur.
– On s’est trompés, dit Scott.
– Carrément trompés, renchérit Jack.
– Doublement trompés, murmura Emily, stupéfaite.
En effet, une mince jeune femme en combinaison de Lycra, les cheveux
noués en queue-de-cheval, un revolver à sa ceinture, discutait avec Max.
Savannah Shaw ! Max était en train de lui enlacer la taille…
– Triplement trompés, ajouta Jack, déçu.
Puisque l’actrice était là, cela signifiait que leur mission s’arrêtait net.
Les apercevant, Max leur adressa un petit signe amical. Savannah
tourna également la tête vers eux mais, bizarrement, elle fit comme si elle
ne les connaissait pas. Elle ne leur sourit pas. Elle se détourna et
commença à grimper le long de la paroi.
– Elle nous snobe, maintenant ? protesta Emily. On dirait une autre
personne…
– Évidemment ! répondit Scott. Cette femme-là est plus petite… C’est
la doublure de Savannah !
– Oui, tu as raison ! s’exclama Emily. C’est Lauren O’Brien…
– Si ça se trouve, hier, Mme Loveday a vu Max avec Lauren. Elle qui
n’aime pas sauter sur des confusions…
– N’importe qui aurait pu croire qu’il s’agissait de Savannah, observa
Emily d’un air soucieux. N’importe qui sauf Drift. Il lui aurait déjà fait la
fête !
Tous trois contemplèrent la doublure de la célèbre actrice qui finissait
son numéro et redescendait souplement à terre. Elle s’avança vers Max,
secoua la tête et enleva sa perruque noire, révélant des cheveux courts,
roux et hérissés.
– Ah, je respire enfin ! C’était bien ?
– Parfait, dit Max. Bravo…
Puis il la prit par le bras et tous deux s’éloignèrent en discutant.
– Savannah n’est pas là… Donc elle a peut-être bel et bien disparu,
conclut Emily. Retournons au manoir au cas où elle y serait…
– Quoi, maintenant ? protesta Jack. On oublie le parc aquatique ?
Emily et Scott échangèrent un coup d’œil. Jack avait raison, il faisait
une telle chaleur…
– Non, allons d’abord nager, ce sera trop bien, dit Emily. Mais si
demain matin Savannah n’est pas revenue, on enquêtera au manoir !
7

De sUrpReNaNTes
RÉVÉLaTioNs

L e lendemain matin, Emily se réveilla de bonne heure.


– Debout ! dit-elle à Drift en le caressant pour le tirer de son sommeil.
J’ai hâte de savoir si Savannah est revenue !
Son petit chien bondit par terre comme s’il avait compris.
Quelques instants plus tard, alors qu’Emily prenait son petit déjeuner
dans la cuisine, sa mère la rejoignit, un tablier blanc au-dessus de sa robe
de coton bariolé. Visiblement pressée, elle versa du lait dans un pot,
disposa des fruits dans une coupelle et posa le tout sur un plateau.
– Ma chérie, s’il te plaît, pourrais-tu le descendre à la salle à manger ?
– Bien sûr, maman !
Emily avait l’habitude de l’escalier en colimaçon du phare : elle en
connaissait chacune des cent vingt marches, et aidait souvent ses parents
à servir ou à desservir. Munie du plateau, elle se dépêcha donc de gagner
la vaste salle circulaire où mangeaient leurs hôtes. Elle traversa la pièce,
gaie et lumineuse avec ses fenêtres-hublots, décorée de peintures
réalisées par sa mère… et aperçut soudain le journal que son père venait
de laisser sur une table. Le gros titre la stupéfia tellement qu’elle en fit
tomber le plateau… Et la vaisselle se brisa en mille morceaux.
– Qu’est-ce qui t’arrive, ma puce ? demanda M. Wild, abasourdi. On
dirait que tu as vu un fantôme !
– Qué lío ! s’exclama Mme Wild en les rejoignant au même instant.
Bien que vivant en Angleterre depuis vingt ans, elle s’exprimait en
espagnol, sa langue maternelle, lorsqu’elle était très heureuse ou très en
colère. Atterrée, elle contempla les morceaux de fruits et le lait répandus
sur l’un de ses tapis préférés, au milieu de fragments de faïence.
– Je veux dire quel bazar ! traduisit-elle, au cas où Emily n’aurait pas
compris.
– Pardon, balbutia Emily sans quitter le journal des yeux.
Et des larmes perlèrent à ses paupières.
– Oh, ma chérie, ce n’est pas si grave que ça ! ajouta aussitôt sa mère
en la prenant dans ses bras.
Mme Wild était capable d’oublier sa mauvaise humeur en une seconde.
– Tu ne vas pas pleurer pour si peu !
M. Wild se mit même à rire.
– Franchement, Emski, si tu avais envie de créer un smoothie, tu
n’avais qu’à mélanger le lait et les fruits dans un mixeur, comme tout le
monde !
Cette plaisanterie fit quand même sourire Emily. Elle aida ses parents
à nettoyer et, lorsqu’elle se retrouva seule, s’empara du Quotidien de
Carrickstowe toujours sur la table. Le cœur battant, elle lut l’article en
première page :
Une star enlevée par le fantôme d’une sorcière !
D’après de surprenantes révélations hier soir, la disparition de la
vedette de cinéma Savannah Shaw, vingt-quatre ans, actuellement en
tournage à Castle Key pour le prochain film de la série mettant en
scène l’agent Diamant, la célèbre espionne, serait liée à la légende
d’un fantôme qui hante le manoir de Pendragon ! Sid Golding
(cinquante-deux ans), l’agent de Mlle Shaw, a déclaré que la jeune
actrice avait disparu depuis mardi matin. Visiblement très tendu, il a
confié aux journalistes que Mlle Shaw était fascinée par l’histoire de
Sarah Goodwell, une sorcière du xvie siècle qui continuerait à hanter le
grenier de la vieille demeure. D’après la légende, toute femme ou fille
se trouvant sur les lieux après minuit risquerait d’être victime d’une
terrible malédiction.
M. Golding a précisé qu’un témoin anonyme avait aperçu Savannah
Shaw près du grenier hanté mardi soir, tard. Brett DiBlanco (vingt-huit
ans), le célèbre acteur qui joue avec Mlle Shaw – et qui serait
également son petit ami –, a avoué être extrêmement inquiet. La police
se refuse à tout commentaire pour l’instant.

L’esprit en ébullition, Emily s’affala sur un canapé. Aussitôt, Drift
sauta sur ses genoux et nicha le bout de son museau sous le menton de la
fillette, pour la consoler. En vain. À cet instant, même Drift ne pouvait la
rassurer… Car un mélange de peur et de culpabilité l’envahissait peu à
peu. Si elle n’avait pas parlé du fantôme à Savannah, rien de tout cela ne
se serait produit !
– Bonjour ! lança une voix grave.
Emily sursauta. Max Fordham venait d’entrer dans la salle pour
prendre son petit déjeuner. Sans un sourire, elle lui montra le journal.
– Que d’histoires ! commenta-t-il après avoir jeté un coup d’œil à
l’article. C’est vraiment ridicule…
– Vous savez où elle est ?
– Non, je l’ignore.
Max alla se servir un café au buffet.
– Mais il ne faut pas croire ce que raconte Sid Golding, ajouta-t-il.
Encore moins lorsqu’il évoque les relations entre Savannah et Brett
DiBlanco…
– D’après le journaliste, Brett est son petit ami, mais moi, je crois
qu’elle ne l’aime pas beaucoup…
Emily regarda attentivement Max. Au fond d’elle-même, et pour une
raison inexplicable, elle avait le pressentiment que Max et Savannah
étaient amoureux l’un de l’autre.
Max secoua la tête et posa un doigt sur sa bouche.
– J’en ai déjà trop dit, se contenta-t-il de répondre.
Puis il s’assit pour boire son café.
Emily eut du mal à contenir sa frustration. Elle aurait aimé continuer à
lui poser des questions mais, s’il avait décidé de ne plus rien dévoiler,
Max, ex-agent secret, garderait forcément le silence.
Elle se leva et regarda par la fenêtre, admirant distraitement la mer
bleue. Peut-être que Max avait raison : le journal n’avait publié que des
racontars. Parce que, franchement, les fantômes existaient-ils pour de
bon ? Non… et non ! L’autre fois, elle avait dû imaginer la silhouette
derrière la fenêtre du grenier. Il y avait forcément une explication logique
à la disparition de Savannah…
Une explication très logique, et plausible, qu’elle trouverait !

Pendant ce temps, au cottage des Roches, Scott et Jack découvraient le


journal que le facteur venait d’apporter.
– Cet article risque d’affoler Emily, observa Scott après avoir lu ce
que le journaliste avait écrit sur la disparition de l’actrice.
– Pourquoi ? Elle ne croit pas aux fantômes, répliqua Jack. Elle
blaguait quand elle nous a raconté cette histoire de sorcière.
Scott secoua la tête.
– Pas sûr. Sa voix tremblait un peu… Moi, je pense qu’elle a la
trouille.
– Elle ?
– Oui, elle ! Mais on doit quand même continuer notre enquête.
Et Scott envoya un message à Emily pour lui demander de les rejoindre
au vieux chêne dès que possible…
Jack et Scott étaient installés sur deux grosses branches depuis une
dizaine de minutes quand Emily et Drift arrivèrent. Comme la dernière
fois, le petit chien resta sagement assis au pied de l’arbre tandis que la
jeune fille grimpait pour les rejoindre.
– Salut…
– Ça va ? demanda Jack.
– Non.
Elle se cala en face d’eux et, sans même sortir son carnet de notes, les
regarda d’un air inquiet. Alors, Scott comprit que c’était à lui de jouer. Il
appuya sur la touche « enregistrement » de son portable et déclara :
– Opération « star perdue », deuxième jour.
Jack le contempla d’un air perplexe. Il se demandait visiblement ce
que son frère allait bien pouvoir raconter.
– Si on pense que la disparition de Savannah n’a rien à voir avec
l’existence d’une quelconque activité paranormale, nous devrons
chercher d’autres causes…
Jack sourit. Chapeau ! Scott n’avait pas prononcé le mot « fantôme »
pour ne pas effrayer Emily.
– Il faudra comprendre pourquoi on nous incite à imaginer que la
disparition de Savannah est liée à… vous savez quoi, poursuivit
habilement Scott.
– Comme dans les vieux dessins animés de Scoubidou ! renchérit Jack.
On fait croire qu’il y a un fantôme et, en vrai, c’est un bonhomme en chair
et en os avec un drap sur la tête !
– Sauf que, dans notre cas, pourquoi créer un climat de peur ? objecta
Scott. Au manoir, il y a un tournage, et le tournage est censé avancer le
plus vite possible, sans provoquer de panique parmi les acteurs ou les
membres de l’équipe. Donc ton commentaire, Jack Carter, n’était pas très
pertinent.
Jack leva les yeux au ciel, et Emily ébaucha un vague sourire.
– Il est essentiel de retrouver le témoin anonyme qui a aperçu
Savannah dans le grenier du manoir ce soir-là, reprit Scott. Qui aurait
envie ou besoin d’être là-bas en pleine nuit ?
– Les agents de ménage, répondit Emily, qui semblait aller un peu
mieux, tout à coup. Retournons sur place, cherchons ce témoin et
vérifions son emploi du temps.
– Bonne idée… Mais si jamais Sid Golding nous surprend, on passera
un sale quart d’heure, prévint Scott.
– C’est sûr, admit Emily. À moins qu’on ne rende visite à quelqu’un
qu’on connaît…
– Quelqu’un qu’on connaît ? répéta Jack. Qui ? À part Savannah, qui a
peut-être été kidnappée par un f…
Scott lui pinça le bras.
– … fichu ravisseur qui ne se préoccupe même pas du film, compléta
Jack.
Emily poussa un soupir, nullement dupe du petit jeu auquel ils se
livraient.
– On connaît Vicky White.
– Vicky ? Victoria White ? fit Jack.
Vicky travaillait au musée du château quand le fameux trésor saxon
avait été dérobé, et on l’avait soupçonnée d’être la coupable du vol.
Grâce à l’enquête menée par Scott, Jack et Emily, elle avait été blanchie
de tout soupçon, et les trois amis avaient prouvé qu’elle avait été victime
d’un coup monté.
– Vicky nous a dit qu’elle serait embauchée au manoir de Pendragon,
en cuisine je crois bien, jusqu’à ce qu’elle reprenne ses études à la fac !
reprit Emily.
– Mais oui, c’est vrai ! lança Jack. En cuisine, en plus ! Comment ai-je
pu oublier ça ?
Puis il échangea un clin d’œil avec Scott. L’agent spécial Emily Wild
était de nouveau en pleine forme et prête à agir !
8

DeS QUeSTioNs…
eT eNCore DeS QueSTions !

S cott, Jack et Emily cachèrent leurs bicyclettes en lisière de


forêt, derrière des mûriers, puis, discrètement, ils se faufilèrent jusqu’à
leur poste d’observation derrière la haie. Bien qu’ils aient une raison tout
à fait valable de se trouver au manoir de Pendragon – Emily avait
téléphoné pour prévenir Vicky –, ils ne voulaient surtout pas tomber sur
Sid Golding ! Drift était attaché en laisse au cas où il aurait eu envie de
recommencer son petit numéro de l’autre fois…
Ce jour-là, le plateau du tournage semblait bien plus calme…
Et même vraiment très calme.
Les caméramans et les techniciens bavardaient ou réglaient leurs
équipements sans conviction. Çà et là, des gens étaient allongés dans
l’herbe, buvant du café ou consultant leurs portables. On avait
l’impression d’une salle d’attente géante ! En réalité, sans l’actrice qui
incarnait Maya Diamant, le film ne pouvait plus être réalisé.
Tout à coup, Scott aperçut un homme qui se précipitait vers les arbres
taillés en labyrinthe. Grand et élancé tel un basketteur, il portait un jean
étroit, une chemise à carreaux, et était muni d’une paire de jumelles.
Alors qu’il jetait subrepticement un regard par-dessus son épaule, Scott
remarqua ses lunettes et sa barbichette peu soignée.
– Tiens, tiens, en voilà un qui pourrait ressembler à un fan de Savannah
plutôt louche…
– Attention, morse à l’horizon ! chuchota Emily.
Effectivement, Sid Golding venait de franchir la grande porte du
manoir. Son portable collé à l’oreille, il dévala la volée de marches
qu’encadraient deux sculptures de lions à l’air féroce, et traversa la
pelouse, aussitôt suivi par une horde de journalistes qui brandissaient
leurs micros comme des baïonnettes. Sid Golding cessa de parler au
téléphone et, élevant la voix, déclara :
– Nous sommes tous très inquiets par la disparition de Savannah
Shaw ! Oui, nous nous faisons beaucoup de souci… Aucun autre
commentaire à faire pour l’instant !
Sur ces mots, il se dirigea vers le parking, s’installa au volant de sa
Ferrari et s’éloigna dans un bruit de moteur tonitruant.
Scott, Emily et Jack regardèrent de nouveau en direction du labyrinthe.
L’homme à la barbichette s’était volatilisé. Ils reportèrent alors leur
attention sur un acteur au teint artificiellement hâlé, vêtu d’un polo chic et
d’un short de tennis si blanc qu’on avait l’impression qu’il s’agissait
d’une pub pour une marque de lessive. Brett DiBlanco… La star
s’installa dans un transat au soleil et feuilleta un magazine. Aussitôt, les
journalistes l’entourèrent comme une mêlée de joueurs de rugby. Brett
leur adressa un sourire radieux – ses dents étaient d’une blancheur
éblouissante – et répondit nonchalamment à leurs questions. Une chose
était sûre : pour quelqu’un ayant confié être « extrêmement inquiet » par
la disparition de sa petite amie, il semblait se porter à merveille !

Vicky White les accueillit sur le seuil d’une porte de service, à


l’arrière du bâtiment. Ses tresses blondes étaient maintenues par une
résille.
– Ça tombe bien que vous soyez là, j’ai besoin d’une pause ! dit-elle
en s’essuyant le front avec le revers de sa manche. Je n’ai pas arrêté de
préparer des sandwichs depuis ce matin. L’équipe de tournage mange
comme une armée d’ogres !
Elle mena les trois amis dans une petite pièce adjacente aux cuisines.
Ils s’installèrent autour d’une table basse jonchée de gobelets de café et
constellée de miettes. Drift s’assit sagement à côté d’Emily, sans même
essayer de manger les restes de gâteaux.
– Il est bien élevé ! observa Vicky, admirative. Ici, c’est la salle du
personnel. La partie du manoir que les guides touristiques ne montrent
pas… d’où le désordre.
– Il y a beaucoup de gens qui travaillent ici ? demanda Emily en
acceptant l’une des canettes de soda que la jeune femme avait sorties du
réfrigérateur.
– Oui, parce qu’on organise des événements comme des mariages, des
conférences… En cuisine, on est une vingtaine.
– Et la nuit ? demanda Jack.
– Il y a les agents de ménage. Pourquoi ces questions ? s’étonna Vicky.
Vous cherchez du travail ? Non, non, je sais bien que vous n’êtes pas ici
pour ça ! continua-t-elle en souriant. Je parie que vous avez envie d’en
savoir plus sur la disparition de Savannah Shaw…
– Gagné, dirent les trois amis en même temps.
Vicky ne put s’empêcher de rire.
– Et en quoi puis-je vous aider ?
– On voudrait connaître l’identité du mystérieux témoin qui a vu
Savannah au manoir l’autre soir, avoua Emily.
– C’est sans doute quelqu’un qui fait partie de l’équipe de nettoyage.
– Vous savez qui était là ? s’enquit Scott.
Vicky secoua la tête.
– Désolée. Ils sont envoyés par une agence de Carrickstowe. Un
chauffeur les amène et les ramène en minibus. La plupart des habitants du
coin sont trop superstitieux pour travailler au manoir la nuit !
Jack, Scott et Emily ne purent cacher leur déception. Leur enquête
risquait de tourner en rond sauf si…
– Vous pourriez nous montrer rapidement la pièce qui est censée être
hantée ? demanda Jack.
Emily écarquilla les yeux d’un air abasourdi.
– Mais c’est impossible ! C’est une scène de crime !
– Pas vraiment, répliqua Vicky. La police n’est même pas montée au
grenier. Ils ne prennent pas du tout cette histoire de fantôme au sérieux !
Emily pâlit légèrement. Scott et Jack devinèrent sans peine ce qu’elle
ressentait. Elle avait peur. Pourtant, en plein jour, ils ne risquaient rien,
pas vrai ?
– Je veux bien vous emmener là-haut, mais il vaut mieux que
Mme Bailey, la gardienne, ne soit pas au courant, précisa Vicky en
baissant la voix. Elle s’énerve facilement, et on nous a demandé de ne
pas laisser entrer de journalistes. Mais vous n’en êtes pas ! Et
quelquefois, les touristes ont le droit d’y aller. Accompagnés, bien sûr…
Après un petit rire, elle ajouta :
– Mais jamais après minuit ! On a intérêt à laisser Drift ici,
recommanda-t-elle en jetant un coup d’œil au petit chien qui venait de
croquer un biscuit que lui avait donné Emily. Les animaux ne sont pas
autorisés à l’intérieur du manoir, et si Mme Bailey le voit, on sera dans le
pétrin.
Emily attacha Drift à un grattoir à chaussures en fer forgé à l’entrée de
la cuisine, puis elle lui laissa une gamelle d’eau et lui donna une caresse
affectueuse en lui promettant de revenir très vite…
9

L’aLeRTe

S cott, Jack et Emily suivirent Vicky à travers le vaste hall du


manoir. Les murs décorés de tapisseries rouges et vertes, les vieilles
poutres au plafond et les rayons de soleil qui filtraient à travers les
croisillons des fenêtres créaient une ambiance mystérieuse. L’air
embaumait la cire d’abeille mêlée au parfum des roses disposées dans
les grands vases qui ornaient chaque table et buffet. Scott adressa un
sourire encourageant à Emily, toujours très crispée. Pourtant, l’endroit
n’était pas inquiétant. Au fond, il ressemblait à n’importe quel vieux
bâtiment qu’ils auraient pu visiter lors d’un voyage scolaire !
– Et voici Sarah Goodwell ! déclara joyeusement Vicky, comme si elle
présentait quelqu’un lors d’une fête.
Emily s’immobilisa… Et Jack se cogna contre elle.
– Sarah Goodwell ? répéta-t-elle d’une voix blanche. Mais c’est
impossible, c’est un fan…
Puis elle se rendit compte que Vicky désignait une vieille peinture à
l’huile dans un cadre doré, accrochée à côté d’autres tableaux
représentant des portraits.
– Elle ne risquerait pas de gagner un concours de beauté ! commenta
Scott en éclatant de rire.
La gorge nouée par l’appréhension, Emily se força à regarder la
fameuse Sarah Goodwell. Des yeux sombres et globuleux croisèrent les
siens… Le visage était pâle, rond ; les lèvres fines, serrées, affichaient
une expression mi-sourire mi-grimace. Elle portait une robe noire au
corsage carré. Une tache de naissance violacée lui couvrait la joue
gauche comme une grosse éclaboussure de jus de raisin… Et sur ses
genoux, presque invisible dans les plis de la robe, se lovait un chat noir
aux yeux couleur d’ambre.
Tandis qu’ils s’éloignaient, Emily ne put s’empêcher de se retourner
pour regarder le portrait une dernière fois. Elle aurait juré que les
regards de Sarah Goodwell et de l’animal la suivaient…
Ils s’apprêtaient à monter l’escalier quand une porte s’ouvrit, laissant
apparaître une femme d’un certain âge, vêtue d’un uniforme bleu pâle.
Ses cheveux gris étaient noués en un chignon strict.
– Vous cherchez quelque chose, Victoria ? Moi, je sors vérifier que
l’équipe de tournage ne piétine pas de nouveau nos fleurs ! ajouta-t-elle
d’un ton hautain.
– Je veux juste faire visiter la galerie ouest à mes amis, madame
Bailey, répondit Vicky.
– Pour un exposé qu’on doit préparer en histoire, renchérit Emily.
– Je vois. Eh bien, vous constaterez que nous possédons quelques
toiles très intéressantes… Mais je vous prie de ne pas les toucher, vous
avez certainement les doigts sales ! affirma Mme Bailey.
– Ne vous inquiétez pas, dit Vicky. À tout à l’heure !
Puis elle commença à grimper les marches en vieux bois ciré. Alors
que Jack et Emily lui emboîtaient le pas, Scott eut soudain une idée.
– Je vous rattrape dans une minute…
Il tapota la poche de son short.
– J’ai dû laisser mon téléphone dans la salle du personnel…
Scott avait raconté n’importe quoi, le premier prétexte venu à son
esprit ! En réalité, il voulait se rendre dans le bureau de Mme Bailey…
Le temps que la gardienne pose des questions à Vicky, il y avait
remarqué un ordinateur affichant un document réalisé avec un tableur.
Bien sûr, il n’avait pas pu en lire le contenu… Mais le titre lui avait sauté
aux yeux comme un panneau de signalisation au néon clignotant : Équipes
de nettoyage/Répartition. Tiens, tiens !
Malgré sa curiosité, il hésita quand même un bref instant. Courir des
risques a priori inutiles, ce n’était pas trop son genre. Mais il imagina
Jack lui lançant un « Allez, froussard, vas-y ! »… Et Mme Bailey n’avait
pas fermé la porte à clé. Il lui suffirait de s’introduire dans la pièce, de
jeter un coup d’œil à l’écran… Et il connaîtrait peut-être l’identité du
témoin qui avait vu Savannah Shaw dans le grenier lundi soir !
Il fallait qu’il le fasse.
Le cœur battant, Scott se faufila à l’intérieur…
Sur le tableau affiché à l’écran, il repéra immédiatement la colonne du
lundi soir… Sauf que la date correspondait à celle de la semaine
suivante. Mme Bailey avait déjà organisé les prochains plannings. Pas de
chance… Et il ne pouvait pas entamer une recherche sur le disque dur.
Pour le coup, ce serait vraiment risqué, Mme Bailey pouvait revenir d’un
instant à l’autre.
Déçu, Scott se détourna, prêt à s’en aller, quand une feuille de papier
épinglée sur un panneau d’affichage capta son regard. Ça ressemblait
aussi à une grille d’emploi du temps…
Waouh, pile celle qu’il cherchait !
Son pouls s’accéléra tandis qu’il parcourait la liste. Alors lundi soir…
C’était une certaine Gabriella Moretti qui était de service. Leur témoin
s’appelait Gabriella Moretti, se répéta-t-il plusieurs fois afin que le nom
reste imprimé dans sa mémoire. Un sentiment de triomphe l’envahit.
Mission réussie ! Jack et Emily seraient impressionnés ! Il n’avait plus
qu’à filer au plus vite et à les retrouver…
Il entrebâilla la porte… et sentit son sang se glacer. Mme Bailey se
tenait au pied de l’escalier ! Elle discutait avec l’inspecteur Hassan, qu’il
avait déjà rencontré pendant l’opération « trésor disparu », et une
policière en uniforme. La gorge sèche, Scott referma aussitôt et s’efforça
de réfléchir. Comment auraient-ils su qu’il était là ? Mais de toute façon,
si par malheur c’était le cas, la police de Carrickstowe ne pouvait pas
être venue au manoir en si peu de temps… Par conséquent, il se passait
autre chose !
Plaqué contre le battant, Scott tendit l’oreille.
– Il faut absolument bloquer l’accès au grenier, déclarait l’inspecteur
Hassan.
– Quelqu’un nous a téléphoné pour nous signaler ce qu’il avait vu. On
doit effectuer un relevé d’empreintes, poursuivit la policière.
– Aucun problème, répondit Mme Bailey du même ton hautain qu’elle
semblait employer avec tout le monde. Suivez-moi, je vous prie.
Entrouvrant de nouveau la porte, Scott les vit emprunter l’escalier.
S’ils montaient, ils tomberaient sur Vicky, Emily et Jack… De pire en
pire ! Comment les prévenir ? Il prit son portable, composa le numéro
d’Emily mais, hélas, elle avait éteint son appareil.
Au bord de la panique, Scott sortit du bureau et jeta un rapide coup
d’œil autour de lui. Il devait vite trouver une solution… Quand il aperçut,
un peu plus loin dans le couloir, le panneau vitré encadré de rouge avec
un petit marteau à l’intérieur, il sut qu’il n’avait pas le choix.
En cas d’urgence, brisez la glace.
Oui, il y avait urgence.
10
La ChaMbRe
HaNTÉe

P endant ce temps, Jack suivait Vicky… qui venait de passer de


l’autre côté du mur.
Ils avaient grimpé quatre étages. Au fur et à mesure, l’escalier s’était
rétréci, et ils se trouvaient à présent dans le grenier qui avait dû loger, à
une époque, les domestiques. C’est au deuxième étage que Vicky avait
récupéré une clé dans le placard réservé aux agents de nettoyage. Ensuite,
ils avaient traversé une petite pièce basse de plafond. Au fond, il y avait
un panneau lambrissé orné de sculptures d’animaux mythiques, dont un
griffon aux ailes déployées. Vicky avait tiré sur l’extrémité de l’une
d’elles…
Et en grinçant, le bois avait coulissé, révélant une petite porte que
Vicky avait franchie à l’instant.
– On devrait attendre Scott, suggéra Emily d’une voix nerveuse.
– Mais non, dit Jack. De toute façon, il en met du temps pour retrouver
son téléphone !
Emboîtant le pas à Vicky, il s’avança dans ce qui était visiblement une
chambre secrète. Parquet dépourvu de tapis, murs en plâtre, quelques
placards… Les rayons de soleil s’infiltrant à travers la lucarne faisaient
luire des particules de poussière dans l’air.
Perplexe, Jack jeta un coup d’œil autour de lui. C’était censé être
hanté, ici ? Pas d’étoiles à cinq branches dessinées sur le sol, pas de
manches à balai, pas de chaudrons, pas de fioles emplies de globes
oculaires arrachés à des tritons, pas de crânes… Tout était normal, limite
banal. Des placards avec des vitrines contenaient des flacons anciens,
des espèces de marmites et quelques livres à l’aspect poussiéreux. Jack
s’approcha et remarqua que le mot « grimoire » était écrit sur les
étiquettes. Ah, enfin quelque chose d’intéressant…
Se dirigeant vers la lucarne, il regarda dehors. En contrebas, dans le
jardin, il aperçut Brett DiBlanco qui, une fois de plus, discutait avec un
groupe de journalistes. Il reconnut également l’homme à la barbichette
qui, l’autre fois, semblait se cacher dans le labyrinthe. Là, il était sur le
parking… Où une voiture de police stationnait au milieu des camionnettes
et des remorques. Curieux ! Le véhicule ne s’y trouvait pas tout à l’heure.
Il reporta alors son attention sur Emily. Crispée, pâle, elle était restée
sur le seuil. Il ne l’avait encore jamais vue réagir ainsi ! Emily n’était pas
le genre de fille à avoir peur pour rien. Elle n’aurait même pas crié si
elle avait découvert une araignée noire dans sa boîte de pique-nique…
– Viens ! l’encouragea-t-il tandis que Vicky ouvrait une grande armoire
à la porte ornée d’un miroir.
Elle en examina l’intérieur mais n’y découvrit rien du tout. Même pas
un faux chapeau de sorcière !
– Emily, tu vois bien que c’est une chambre comme une autre, insista
Jack. Allez !
Emily hocha la tête et, à contrecœur, entra. Son regard se fixa aussitôt
sur l’armoire.
– Qu’est-ce que c’est que ça ?
– Ça s’appelle un reflet, plaisanta Jack. Ton propre reflet, Emily…
Décidément, sa phobie des fantômes empirait !
– Non, ça !
D’un doigt tremblant, Emily désigna le bas du meuble. Jack et Emily
remarquèrent alors qu’un bout de papier avait été glissé entre le miroir et
son cadre. Une sorte de parchemin sur lequel des mots avaient été rédigés
à l’encre noire. L’écriture semblait très ancienne.
– C’est quoi ?
Jack s’apprêta à le prendre.
– N’y touche pas ! s’écria Emily. C’est peut-être maudit… Enfin,
empoisonné ou quelque chose comme ça !
– Empoisonné ? Je parie que c’est seulement une liste de courses !
s’esclaffa Jack.
Mais, prudent malgré tout, il écarta sa main. Toute cette histoire de
sorcellerie commençait à lui taper sur les nerfs. À ce moment-là, il crut
entendre des voix dans la pièce adjacente. Hallucination ? Il tendit
l’oreille… Non, quelqu’un marchait bel et bien de l’autre côté du faux
mur. Et si c’était le fantôme ? Ses bras se couvrirent de chair de poule,
puis il se ressaisit. Ce n’était évidemment pas un fantôme. Plutôt Scott qui
revenait enfin de sa si longue quête pour retrouver son téléphone…
Il s’apprêtait à appeler son frère quand Emily lui plaqua une main sur
la bouche. Bon sang ! Il essaya de se dégager quand il perçut nettement
des paroles :
– La personne qui est venue ici pour la dernière fois a laissé la porte
ouverte !
Jack reconnut l’intonation snob de Mme Bailey, la gardienne… Aïe, ils
allaient se prendre un de ces savons…
– C’est sans doute M. Golding, répondit un homme.
C’était la voix de l’inspecteur Hassan ! Pourquoi était-il là, lui aussi ?
La situation devenait critique.
– Sid Golding nous a téléphoné pour nous signaler qu’il avait trouvé un
message dans cette chambre, poursuivit l’inspecteur. C’est peut-être une
mauvaise plaisanterie, mais comme la sécurité de Savannah Shaw est en
jeu, nous devons réagir !
À ce moment-là, Jack fut brutalement poussé à l’intérieur de
l’armoire…
Il se retrouva écrasé entre Vicky et Emily, le nez contre la paroi. À
mesure que sa panique se dissipait, il se rappela l’histoire de Narnia…
Les héros n’avaient-ils pas découvert, dans une armoire, une porte
magique ouvrant sur un monde enneigé et merveilleux ? Peut-être qu’un
tel phénomène existait pour de bon ? Il tâta le bois derrière lui. Hélas, il
était solide… Très solide… Sans la moindre brèche.
– Ah, voici le fameux message dont nous a parlé M. Golding, déclara
l’inspecteur à quelques millimètres, de l’autre côté.
Jack se crispa. L’air confiné sentait l’antimite. Ça piquait le nez et les
poumons. Ça chatouillait de plus en plus… Tellement qu’il ne put se
retenir…
– Aaaaaaatchoum !
11
Le PaSSaGe
MYSTÉRIeuX

L’ éternuement fut tonitruant…


En une fraction de seconde, Emily imagina l’inspecteur Hassan ouvrant
la porte de l’armoire à la volée, les interrogeant, les accusant, les
emmenant au poste de police…
Mais exactement au même instant, un autre bruit retentit. Perçant,
vraiment très fort, presque assourdissant… L’alarme à incendie !
– Vous aviez prévu un exercice d’évacuation, ce matin, madame
Bailey ? interrogea l’inspecteur Hassan, une pointe d’agacement dans la
voix.
– Absolument pas. Mais dépêchons-nous de sortir du bâtiment en
suivant la procédure exacte !
– Je parie que c’est juste quelqu’un qui a fait brûler des toasts en
cuisine, grommela l’inspecteur. Emportons la pièce à conviction, il serait
dommage qu’elle soit réduite en cendres…
Vicky ouvrit l’armoire dès que Mme Bailey et l’inspecteur se furent
éloignés.
– Quelle chance on a eue ! Je n’avais aucune envie de me retrouver de
nouveau au commissariat, je me remets à peine de ma dernière
arrestation ! Allez, on file !
Emily et Jack la suivirent, aussi soulagés l’un que l’autre.
Heureusement, dans sa précipitation, Mme Bailey avait oublié de
refermer le panneau coulissant ! Ils s’élancèrent dans l’escalier et, tandis
qu’ils dévalaient les marches, Emily ne cessa de penser à Drift, qui
devait beaucoup s’inquiéter.
Elle l’appela sitôt parvenue au rez-de-chaussée…
En vain.
Son petit chien avait disparu. Il y avait toujours le bol d’eau, le grattoir
à chaussures… Mais plus de Drift. Même la laisse s’était volatilisée.
– Oh, non ! Où il est ? se lamenta Emily, des sanglots dans la voix.
Le regard pétillant, Jack lui désigna la fenêtre de la cuisine. De l’autre
côté, il y avait Scott… Et dans ses bras, Drift ! Poussant un cri joyeux,
Emily se précipita dehors… Si elle s’était écoutée, elle aurait embrassé
Scott et Jack ! Mais non, ça, c’était impossible. À la place, elle prit Drift
et le serra fort contre elle…

Les trois amis repartirent au cottage des Roches à vélo, pédalant à


toute allure. Ils arrivèrent en nage, essoufflés, et s’affalèrent dans l’herbe,
à l’arrière du jardin. Là, ils engloutirent, tels des lions affamés, les
sandwichs et la limonade fraîche que tante Kate leur avait apportés. Ce
ne fut qu’après avoir dévoré son deuxième tomate-fromage que Jack se
sentit de nouveau d’attaque…
– Tu as vraiment raté quelque chose ! affirma-t-il à Scott d’un ton
malicieux. La chambre hantée, je ne te raconte pas… On a eu trop peur.
En plus, la police est arrivée…
– Ah oui ? Et qui a prévenu les policiers, à ton avis ? répliqua Scott en
haussant les épaules.
– Non… C’est toi ? s’exclama Emily.
Elle cessa de donner des morceaux de jambon à Drift et l’observa d’un
air stupéfait.
– C’est toi qui as déclenché l’alarme ?
– Je plaide coupable, avoua Scott en riant.
– Donc ton histoire de téléphone, c’était du pipeau ! dit Emily.
– Eh oui, enquête oblige…
Puis Scott raconta sa discrète intrusion dans le bureau de Mme Bailey.
– C’est une certaine Gabriella Moretti qui était de service lundi soir,
conclut-il en s’allongeant, bras croisés sous la nuque, l’air fier, très fier
de lui.
– Tu es trop fort !
Emily prit des notes dans son carnet.
– Maintenant qu’on a son nom, on pourra remonter la piste, ajouta-t-
elle.
– Chapeau, renchérit Jack, admiratif et un peu jaloux quand même de
ne pas être l’auteur de l’exploit que son frère avait réalisé.
En général, Scott n’était pas aussi téméraire !
– Nous, on a trouvé un message, sans doute une demande de rançon…
– C’est vrai ? répliqua Scott en se redressant. Faites voir…
– Le problème, c’est que l’inspecteur Hassan est arrivé avant qu’on ait
pu le récupérer… Et il l’a emporté.
– Alors à quoi ça sert d’en parler puisqu’on ne sait pas ce qui était
écrit, marmonna Scott.
– Mais si ! s’écria Emily en brandissant son téléphone. J’ai eu le temps
de prendre une photo…
Scott et Jack examinèrent le cliché sur l’écran… et éclatèrent de rire.
– Tu as photographié Jack dans le miroir, s’esclaffa Scott. Il a les
cheveux hirsutes, ça lui fait une de ces têtes de clown ! Je vais te la
piquer pour la mettre en ligne sur…
Jack l’interrompit en lui donnant un coup de coude.
– Tu n’as pas intérêt !
– Regardez, on voit quand même l’espèce de parchemin coincé au bas
de l’armoire, insista Emily.
– C’est trop petit et trop flou, observa Jack. Il faudrait qu’on puisse
agrandir l’image…
– Sur un écran plus grand, compléta Scott. Et ça, c’est possible !
Il se leva d’un bond et courut dans la maison, suivi par Jack et Emily.
Comme tante Kate préparait une tarte aux pommes, ils pouvaient utiliser
son ordinateur. Scott activa la souris et la dernière page que tante Kate
avait consultée s’afficha : « L’essentiel pour forcer la serrure d’un coffre-
fort ». Tiens ? Menait-elle une vie secrète de cambrioleuse ?
Emily sourit.
– Ce sera peut-être notre prochaine enquête…
Scott téléchargea la photo à partir du téléphone d’Emily, zooma sur le
message et régla la luminosité ainsi que les contrastes afin que l’écriture
soit plus lisible. Du moins avait-il espéré qu’elle serait plus lisible.
Même si les mots apparaissaient, ils demeuraient incompréhensibles.
– C’est peut-être de l’arabe ou du néerlandais, soupira Jack. En plus,
on dirait que c’est à l’envers.
– À l’envers ? Oui, exactement ! s’exclama Emily. Tu es génial !
– C’est vrai, j’ai quelques talents naturels, plaisanta Jack, flatté malgré
tout.
– J’ai besoin d’un miroir ! l’interrompit Emily en penchant la tête sur
le côté. Tout de suite !
Un miroir ? « Là, tout de suite ? Elle veut vérifier sa coiffure ou
quoi ? » s’interrogea Jack en allant en chercher un dans la salle de bains.
Après que Jack le lui eut tendu, Emily le maintint devant l’écran en
l’inclinant de manière à ce qu’il reflète le message. L’écriture restait
difficile à déchiffrer car son style était ancien, ornementé, avec des
enjolivures, des cursives, des lettrines… Mais Scott put lire à voix
haute :
Celle qui pénétrera dans ma chambre après
– «
minuit restera emprisonnée dans l’obscurité. Seul
l’homme qui l’aime vraiment pourra lever la
malédiction. S. G. »
La main d’Emily tremblait tellement qu’elle faillit laisser tomber le
miroir.
– Ce sont les initiales de Sarah Goodwell…
– Allons donc, vous vous intéressez à l’écriture-miroir ?
Tante Kate, qui venait de les rejoindre, se pencha par-dessus l’épaule
d’Emily pour examiner le reflet. Essuyant ses mains couvertes de farine
sur son tablier, elle ajouta :
– Comme c’est passionnant ! Léonard de Vinci a été célèbre, entre
autres, pour son utilisation de l’écriture-miroir…
– Intéressant, dit poliment Scott. En fait, Emily nous a raconté une
légende locale à propos d’une certaine Sarah Goodwell.
– Sarah Goodwell ? répéta sa tante.
Ses yeux brillèrent.
– J’ai effectué quelques recherches sur cette histoire de fantôme de
minuit pour un livre que j’écrivais il y a quelques années. Avant qu’on
l’accuse d’être une sorcière, tout le monde allait la voir pour lui
demander des remèdes à base de plantes et des philtres d’amour ! C’était
une entremetteuse extraordinaire… Tant de mariages ont pu avoir lieu
grâce à elle ! Puis la population s’est liguée contre elle, et les gens ont
commencé à raconter que sa tache de naissance était la « marque du
diable », que son chat était son seul et unique compagnon…
– Un peu comme Emily avec Drift ! plaisanta Jack.
Mais Emily était tellement perturbée par ce qu’ils venaient de
découvrir qu’elle ne répondit pas.
Tante Kate chaussa ses lunettes et contempla plus attentivement le
message reflété dans le miroir.
– Mais ce message ne peut pas avoir été écrit par Sarah Goodwell, ni
par quelqu’un du xvie siècle ! C’est une bonne imitation de l’alphabet de
l’époque des Tudor, et on a simplement utilisé l’écriture-miroir pour
rendre l’ensemble plus mystérieux… Sauf qu’il y a des erreurs.
Autrefois, le « s » était allongé et ressemblait presque à un « f »… Quant
au vocabulaire employé, il est beaucoup trop moderne ! Désolée de vous
décevoir…
Emily ébaucha un grand sourire. Alors là, c’était la meilleure nouvelle
de la journée ! Adieu, les histoires de fantômes et de sorcières… Il
s’agissait seulement de quelques lignes rédigées par un vrai criminel en
chair et en os… Quoi de plus ordinaire, en somme ? Pour le coup, c’était
exactement le genre de mystère qu’elle aimait résoudre !
12
À La ReCherChe D’iNDiCeS

D urant le restant de l’après-midi, puis pendant pratiquement


toute la journée du lendemain, Scott, Jack et Emily se concentrèrent sur un
seul et unique objectif : retrouver Gabriella Moretti. Si elle avait
remarqué Savannah au grenier lundi soir, peut-être avait-elle également
aperçu le kidnappeur sans le savoir ! Il fallait impérativement qu’ils la
rencontrent ! Ils cherchèrent donc, dans l’annuaire, tous les dénommés
« Moretti » vivant dans la région, les appelèrent les uns après les
autres… En vain. Pas de Gabriella Moretti. Ils téléphonèrent également à
toutes les agences de nettoyage de Carrickstowe, racontèrent que
Gabriella avait gagné un concours et qu’ils devaient la prévenir…
Heureusement, on ne les questionna pas au sujet de ce prétendu
concours ! Hélas, ce fut encore une fausse piste. Personne ne connaissait
Gabriella Moretti.
Ils commençaient à se décourager quand la secrétaire de la sixième
agence contactée reconnut le nom et confirma que Gabriella avait
travaillé pour eux. Elle donna un numéro de téléphone qui se révéla être
celui d’une auberge de jeunesse… Gabriella en était partie depuis
plusieurs semaines.
« Finalement, ce que j’ai trouvé dans le bureau de Mme Bailey ne sert
à rien », pensa Scott, découragé. Leur enquête n’avançait pas.

Le lendemain, les trois amis décidèrent de bâtir un plan d’action.


Rendez-vous au vieux chêne… Et une fois qu’ils furent installés sur les
branches, Emily sortit son carnet.
– Établissons la liste des suspects. D’abord, il y a Sid Golding. Il
aurait trouvé le message et en aurait parlé à la police… Mais c’est peut-
être lui qui l’a déposé dans la chambre du grenier !
– Pourquoi il ferait une chose pareille ? Il n’a aucun intérêt à
kidnapper Savannah, répliqua Scott. Il n’arrête pas de s’inquiéter pour
elle, de la surveiller, de la chouchouter…
Emily mordilla son crayon.
– C’est vrai. Il faudrait imaginer un sérieux motif…
– Peut-être que quelqu’un essaie de le piéger, intervint Jack. Quelqu’un
qui lui en veut beaucoup…
– Comme Max Fordham ? suggéra Scott.
Emily et Jack le dévisagèrent avec stupeur.
– Une minute, je n’ai pas dit que je le croyais coupable ! précisa
aussitôt Scott. Il est sympa… Mais il n’apprécie pas vraiment Sid
Golding. Je me souviens très bien de sa mine dépitée la première fois
qu’il a mentionné son nom !
– Tu n’as pas tort… On le met sur la liste, ajouta Emily à contrecœur
en écrivant en même temps. Et Lauren O’Brien ? Elle doit réaliser toutes
les cascades dangereuses mais c’est Savannah qui connaît la gloire et le
succès. Elle est peut-être jalouse ?
– C’est possible, dit Scott. Et Brett DiBlanco ? Hier, il est sorti du
manoir juste après Golding. Il a très bien pu monter au grenier et placer
le faux parchemin. Mais… pourquoi enlèverait-il sa petite amie ?
– En fait, tout le monde est suspect, résuma Jack. Chaque membre de
l’équipe : les techniciens, les acteurs… Ça peut aussi être quelqu’un qui
travaille au manoir. La cheftaine Bailey, par exemple… « Nous devons
kidnapper Savannah Shaw en suivant la procédure exacte ! » poursuivit-il
en imitant le ton hautain de la gardienne. Et ce type bizarre à la
barbichette, hein ? Fan prêt à tout ou simple admirateur ? Et Sarah
Goodwell ? Bon, d’accord, elle est morte depuis quatre cents ans, donc
ça lui fournit un alibi en béton, mais on ne sait jamais…
Scott et Emily ne purent s’empêcher de rire.
– Conclusion, on n’a aucun indice, soupira Emily. Sauf ça…
Et elle brandit la photocopie du message en écriture-miroir remis à
l’endroit : Scott en avait photographié le reflet dans la glace. Jack
contempla longuement le document… Si longuement que Scott
s’exclama :
– Tu as remarqué quelque chose d’extraordinairement extraordinaire ?
– Quelque chose de simplement bizarre. Vous avez vu que les points
au-dessus des « i » sont comme de petits cercles ?
Emily jeta un coup d’œil.
– Ah oui ! C’était peut-être à la mode au xvie siècle ?
– J’en doute. Hier soir, après ce que tante Kate nous a dit, j’ai regardé
des modèles d’écriture de l’époque Tudor sur Internet. Ce genre de détail
n’apparaît nulle part.
– Dans ce cas, ça signifierait que l’auteur du message écrit tout le
temps comme ça ! renchérit Emily d’un ton surexcité.
Scott leva un pouce victorieux.
– Bingo ! On a un indice !
– Et encore une fois, j’ai été un… génial génie ! ajouta Jack. Je vais
bientôt m’inscrire à la fac des surdoués !
– Euh… Tes chevilles, ça va ? rétorqua Scott. Ne te la joue pas trop,
petit frère… Même si on tient une bonne piste, comment on poursuit ?
Emily referma son carnet de notes.
– On doit se débrouiller pour que tous les suspects nous écrivent
quelque chose… Comme ça, on examinera leur écriture et on verra s’il y
a des « i » avec un cercle au-dessus.
– Et quelle raison on donne ? répliqua Scott. On débarque devant eux
et on dit : « Excusez-nous, vous pourriez écrire quelques mots, de
préférence avec plein de i ? »
– Ouistiti, c’est pas mal. Il y en a trois, précisa Jack d’un ton amusé.
Petit ouistiti, guili-guili…
Emily se laissa glisser de sa branche et sauta au sol.
– Je propose qu’on aille acheter de jolis carnets à la papeterie, et
qu’on aille voir tout le monde en demandant un autographe.
– Et si jamais, dans ce qu’ils écrivent, il n’y a aucun mot avec un
« i » ? répliqua Jack.
Scott et Emily réfléchirent.
– On n’a qu’à expliquer qu’on rassemble des autographes dans un
carnet pour l’anniversaire d’Emily ! proposa soudain Scott. S’ils écrivent
« Joyeux anniversaire Emily », ça fait trois « i ».
Emily sourit.
– Pas mal… Même si ce n’est pas vraiment mon cadeau idéal ! Mais
ça devrait marcher…

Pour gagner du temps, ils décidèrent de se séparer.


Jack, Emily et Drift se rendirent au château et demandèrent des
autographes à Max Fordham et à Lauren O’Brien, harnachés ensemble
pour une nouvelle cascade. Tous deux s’exécutèrent de bon cœur… Mais
ni l’un ni l’autre ne forma de cercle au-dessus du « i ».
– Si vous voulez, vous pouvez rester et regarder le numéro avec
l’hélicoptère, proposa Max.
Lauren et lui se dirigèrent vers le bord de la falaise.
– Seule consigne : ne dépassez pas la barrière de sécurité et… Ah,
justement, le voilà ! ajouta-t-il.
En effet, l’appareil s’approchait avec un vacarme assourdissant. Jack
jeta un coup d’œil à Emily. Ils auraient dû retourner au manoir de
Pendragon et aider Scott… Mais quand même, regarder des cascadeurs
sauter dans le vide et se rattraper à un hélicoptère, ça n’arrivait pas tous
les jours !
Emily sourit : elle avait deviné ses pensées.
– Je suis sûre que Scott pourra se débrouiller sans nous… Et
franchement, ce ne serait pas poli de refuser l’invitation de Max !

De son côté, muni d’un carnet terriblement rose à ses yeux, Scott alla
voir tous les membres de l’équipe de tournage présente au manoir.
Chaque fois, il raconta patiemment qu’il rassemblait le plus
d’autographes possible pour offrir un cadeau d’anniversaire original à
Emily : elle était une vraie fan de l’agent Diamant !
Tout le monde consentit à signer sans hésitation. Tout le monde sauf…
Brett DiBlanco.
– Désolé, jeune homme, je ne signe plus d’autographes depuis
longtemps… Tu comprends, j’y passerais ma vie ! poursuivit-il en
ébauchant son sourire de charmeur. Mais envoie ta demande à partir de
mon site Web, et mon agent te répondra.
Scott faillit lui répliquer que ça lui aurait pris moins de temps
d’apposer sa signature que de lui expliquer pourquoi il s’y refusait…
Mais à ce moment-là, il aperçut l’homme à la barbichette, celui qu’il
avait repéré dans le labyrinthe ! Là, il était discrètement campé derrière
la buvette. Après avoir salué Brett DiBlanco, il se précipita vers le
mystérieux inconnu en brandissant son carnet à autographes. Jusqu’à
présent, il n’avait pas eu de chance : tous les « i » avaient été formés
normalement par tout le monde…
– J’aurais accepté avec plaisir, mais je ne fais pas partie de l’équipe !
lui apprit l’homme. Je suis en mission…
Il lui montra une carte plastifiée avec sa photo.
– Je suis Neil Denton, journaliste au Quotidien de Carrickstowe.
– Vous êtes journaliste ? Je pensais que vous étiez un fan complètement
obnubilé par Savannah Shaw…
– Je suis juste obnubilé par mon enquête, répondit Neil Denton. Il
paraît que Sid Golding a investi des millions dans une affaire très
louche… Tu peux imaginer qu’il n’aime pas me voir rôder dans les
parages.
– C’est pour ça que l’autre jour vous étiez caché dans le labyrinthe ?
– Exact. Golding m’a menacé de me poursuivre en justice s’il
m’apercevait de nouveau par ici !
– Et quand on parle du loup…
Sid Golding venait de garer sa Ferrari sur le parking.
– Au revoir, monsieur Den… commença Scott.
Mais le journaliste s’était déjà volatilisé. Scott attrapa alors une tasse
de café sur le comptoir et fonça vers Sid Golding.
– Un expresso, monsieur ? proposa-t-il avant que l’agent de Savannah
soit sorti de son véhicule.
Sauf qu’au moment où Golding voulut saisir la tasse, Scott l’éloigna et,
à la place, il lui glissa un stylo dans la main.
– S’il vous plaît, un autographe !
Pris par surprise, Golding griffonna son nom sur la page blanche que
Scott lui avait présentée. Puis il se ressaisit et, s’extirpant de la voiture,
repoussa le carnet d’un geste sec.
– Qui es-tu ? aboya-t-il en claquant la portière. Tu n’as pas le droit
d’être ici !
– Pardon, monsieur… Tenez…
Scott lui tendit le café et s’éloigna rapidement, impatient de découvrir
la signature de Sid Golding.
Enfin, il put y jeter un coup d’œil… Les deux « i » étaient surmontés…
de simples points.
13
MiNuIT
aU MaNoIR

C e soir-là était prévu un événement qui rivaliserait avec le


tournage de l’agent Diamant : une pluie d’étoiles filantes serait visible à
partir de 22 heures, et les résidents de Castle Key avaient organisé une
fête sur la plage du Couchant, à l’extrémité ouest de l’île, pour admirer le
spectacle. M. et Mme Wild durent toutefois rester au phare pour
s’occuper de leurs hôtes, et tante Kate expliqua qu’elle avait tellement de
travail qu’elle ne pourrait pas les accompagner… Mais elle les autorisa à
camper sur la plage : ils seraient en sécurité vu le nombre de villageois et
d’amis qui se trouveraient sur place !
Jack, Scott et Emily partirent en début de soirée avec leur tente
attachée sur le porte-bagages de leurs vélos : en grosse toile lourde pour
les garçons, un modèle tellement ancien que Scott se demanda s’il n’avait
pas été utilisé par des explorateurs du xixe siècle pour découvrir la
source du fleuve Zambèze, en Afrique australe… Ultra-légère et
autodépliante pour Emily et Drift. Ils avaient également emporté, dans
leurs sacs à dos, de quoi pique-niquer et prendre un copieux petit
déjeuner le lendemain matin. Il faisait bon, le ciel était sans nuages, et les
trois amis – avec Drif installé dans son panier – pédalèrent joyeusement
sur la petite route qui longeait la lande.
Une chose était sûre : cette pause dans leur enquête serait bénéfique !
Leurs investigations n’avaient, jusque-là, rien donné. Il faudrait qu’ils
trouvent une nouvelle piste au plus vite… En attendant, ils allaient se
changer les idées et s’amuser !
Ils découvrirent l’endroit idéal pour installer leurs tentes, à l’abri
d’une dune de sable. Ils nagèrent et firent du bodysurf dans les vagues
avant de pique-niquer. Non loin, il y avait du monde. On allumait des
barbecues, on jouait au volley… ou de la musique. Un groupe de reggae
s’en donnait à cœur joie et, après avoir participé à un match de foot très
animé, Scott emprunta une guitare et joua avec les musiciens.
– Waouh, c’est trop, trop bien ! soupira Jack, allongé sur le dos pour
admirer le ciel.
Pour l’instant, on voyait simplement une superbe voûte céleste étoilée.
– Allez-y, lancez le spectacle !
– Regardez ! s’écria Scott au même instant.
Une étoile filait à toute allure vers la mer. Une autre suivit, puis encore
une autre…
Emily formula un vœu à chaque nouvelle étoile filante, mais il y en eut
vite tellement qu’elle n’eut bientôt plus de souhait ! Elle commença à en
faire pour Drift… Sauf que son plus grand rêve semblait s’être déjà
réalisé : il grignotait avec gourmandise une côtelette de porc…
– J’ai une idée, dit Scott alors que la pluie d’étoiles commençait à
faiblir, se transformant peu à peu en lumières scintillantes. On n’est qu’à
cinq minutes du manoir. Et si on allait y faire un tour ? On verrait si des
gens font le ménage, si quelqu’un connaît Gabriella…
– Je suis partant, s’exclama Jack en se levant d’un bond. Une petite
balade à vélo à minuit, ça me tente bien.
Emily, elle, resta silencieuse, hésitante. Scott et Jack devinèrent
aussitôt pourquoi… Mais avant qu’ils aient pu la rassurer – ils étaient
ensemble et, de toute façon, un fantôme, ça n’existait pas, n’est-ce pas ?
–, elle se mit debout.
– D’ac’, on y va ! Drift, en route !
Il sauta dans son panier, et Emily enfourcha sa bicyclette. Tous trois
allumèrent leurs lumières et s’éloignèrent de la plage.
Le trajet fut plutôt agréable sur la petite route éclairée par la lune.
Mais lorsqu’ils parvinrent aux abords du manoir, entouré de bois,
l’ambiance devint soudain très différente. Des chouettes ululaient çà et là,
au milieu d’un silence lourd, menaçant…
Une camionnette blanche portant l’inscription Nettoitout était garée
devant l’imposant portail. Le conducteur s’était endormi à l’intérieur, les
pieds sur le tableau de bord.
– On ne sera pas venus pour rien ! chuchota Scott tandis qu’ils
cachaient leurs vélos dans des fourrés.
Ils franchirent le seuil de la propriété et traversèrent la pelouse,
passant non loin du labyrinthe. À mi-chemin, ils jetèrent un coup d’œil
vers l’imposant bâtiment. L’une des ailes était éclairée, là où se
trouvaient les cuisines, au rez-de-chaussée : on devait être en train d’y
faire du nettoyage. La pénombre régnait partout ailleurs, sauf par endroits
le long de la toiture décorée de gargouilles et de sculptures d’animaux
bizarroïdes : l’éclairage de sécurité créait des ombres inquiétantes.
– Ce monstre, là-haut, me fait penser à Scott ! plaisanta Jack à mi-voix.
Puis il poussa un cri en agitant sa main devant lui.
– C’est quoi, ça ?
Des bestioles noires volaient autour de lui…
– Seulement des chauves-souris ! répondit Emily en riant.
– Seulement ? répéta Jack, pas très rassuré. Tu es drôle, toi. Tu as la
trouille des fan…
Mais au même instant, Emily tendit un doigt vers une lucarne au niveau
du grenier :
– Là… Vous avez vu ?
– Quoi ? firent Scott et Jack en même temps.
Tous les trois se figèrent.
– Une lampe… Il y a une lampe… Quelqu’un agite une lampe !
balbutia Emily. Vous voyez ?
Une faible lueur apparaissait et disparaissait derrière la vitre.
– C’est peut-être quelqu’un qui fait le ménage ? lança Scott d’un ton
peu convaincu. De toute façon, il est à peine plus de 11 h 30, ça ne peut
donc pas être le fantôme… Si jamais il existait, bien sûr, ce qui est
impossible.
– Parce que tu crois qu’un fantôme, c’est ponctuel ? répliqua Jack.
Enfin, un fantôme qui existerait…
– Peut-être que c’est Savannah qui est emprisonnée là-haut, murmura
Emily d’une voix sourde.
– À moins que ce ne soit le kidnappeur qui est là-haut pour mettre un
nouveau message, renchérit Scott. Allons voir !
– Euh… Moi, je… Enfin, je ne sais pas, bredouilla Emily. Le fantôme
ne s’attaquerait qu’aux filles…
– Il ne s’attaquerait qu’aux filles ? C’est de la discrimination ! observa
Jack.
Il éclata de rire et ajouta :
– L’égalité, il ne connaît pas ?
– Ça ne me fait pas rire, répliqua Emily.
– Alors attends-nous ici avec Drift, suggéra Scott.
Emily poussa un grand soupir. Il n’était pas question qu’à ce stade de
l’enquête elle fasse demi-tour…
Même si elle mourait de peur.
– Non, je viens !

Les agents de ménage avaient laissé la porte ouverte. Une chance…


Lorsqu’ils entrèrent dans le manoir, un lourd silence les enveloppa. De
l’eau tombait, goutte à goutte, dans un évier. Au loin, une radio
fonctionnait…
– Allons d’abord au grenier, proposa Scott. Si on ne trouve rien, on
passera par la cuisine quand on repartira, peut-être que Gabriella y
sera…
Jack et Emily acquiescèrent.
Ils traversèrent le hall sur la pointe des pieds. Le visage de Sarah
Goodwell était auréolé d’une lumière verdâtre, fantomatique, à cause du
néon « Exit » au-dessus de la porte principale. Ses yeux sombres, et les
prunelles ambre du chat peint sur ses genoux, semblaient les suivre…
Illusion ! se répéta bravement Emily. Sauf que, sentant sa frayeur, Drift
vint se blottir contre elle, les oreilles plaquées en arrière, la queue entre
les pattes. Emily s’obligea à avancer, à grimper l’escalier. Maintenant,
surtout, il ne fallait pas qu’elle laisse Scott et Jack trop s’éloigner…
Le second étage était plongé dans le noir. Emily sortit une petite lampe
électrique de son sac et, éclairant le placard réservé aux agents de
nettoyage, elle trouva la clé de la pièce hantée là où Vicky White l’avait
récupérée l’autre fois.
À leur grande surprise, ils découvrirent que la porte donnant sur le
grenier n’était pas fermée. Scott franchit le seuil en premier, et ils lui
emboîtèrent le pas avant de s’immobiliser, aux aguets. Personne n’était
là…
Mais le fameux panneau coulissant était également ouvert.
Bizarre…
Le cœur battant, Emily suivit Scott et Jack dans la chambre, de l’autre
côté. Une bouffée de panique l’envahit quand elle constata, à la lueur de
sa torche, qu’une des armoires vitrées était entrebâillée, et qu’un
volumineux grimoire relié de cuir gisait sur le sol. Pire encore, des
cercles blancs et des étoiles à cinq branches – des pentagrammes –
avaient été peints sur les murs !
– C’est quoi, tout ça ? murmura Jack d’une voix blanche.
Terrifiée, Emily contempla les symboles de sorcellerie : des signes
évidents de l’existence de Sarah Goodwell la maléfique. Ce n’était donc
pas une légende. Elle existait. Après avoir fait disparaître Savannah, elle
guettait sa prochaine victime…
Et il était presque minuit !
« Il faut que je parte d’ici au plus vite ! » se dit-elle. Au même instant,
Drift dressa ses oreilles. Le plancher de la pièce adjacente grinça.
Quelqu’un venait.
Emily sentit ses genoux flageoler. Et voilà, à mon tour ! Une main
glaciale l’attrapa par les épaules. Emily eut juste le temps d’agripper le
collier de Drift…
Quelque part dans le manoir, une horloge sonna les douze coups de
minuit.
14
uNe DÉCoUVerTe sUrpReNaNTe

E mily rouvrit les yeux.


Autour d’elle, tout était noir.
Une odeur de renfermé et d’antimite lui chatouilla le nez. Mais cette
odeur, elle la connaissait… Elle se trouvait dans l’armoire ! Et pas seule.
Le cœur battant, elle scruta la pénombre, redoutant le pire… Un pâle
rayon de lumière brilla, elle distingua le tee-shirt clair, des cheveux
blonds…
Jack et Scott !
– Vous… ?
Les deux garçons avaient un doigt sur la bouche pour éviter qu’Emily
ne parle. Scott lui désigna sa lampe torche et son amie comprit. Elle
l’éteignit.
Emily se sentait tellement soulagée qu’elle faillit éclater de rire et
pleurer en même temps. Puis, se ressaisissant aussitôt – au fond, tout
allait bien… très bien, même ! –, elle colla un œil contre l’interstice
entre les gonds de la vieille porte de l’armoire.
Il y avait quelqu’un dans la chambre. Une silhouette vêtue d’une sorte
de houppelande dotée d’une capuche. Munie d’une torche, elle
s’agenouilla et disposa une feuille de papier dans le livre de sortilèges
posé par terre. Son visage était caché, seule sa main restait visible…
Drift grogna alors sourdement. Paniquée, Emily le prit dans ses bras
pour tenter de le calmer. Il ne fallait surtout pas qu’on l’entende ! Le cœur
battant, elle jeta un nouveau regard à travers l’étroite fente. La silhouette
s’éloignait… Ouf ! Non, fausse alerte, elle se retournait, fixait
l’armoire… Horreur, ils allaient être maudits !
Sauf que brusquement, quelque chose d’extraordinaire se produisit. Il y
eut comme une oscillation, et Emily, puis Scott et Jack, basculèrent en
arrière ! La paroi du fond de l’armoire venait de disparaître !
Et voilà qu’ils se retrouvaient dans une autre pièce du grenier… Une
mansarde secrète. Abasourdis, ils se relevèrent aussitôt. Scott alluma sa
torche et ils découvrirent que Drift tenait, dans sa gueule, une sorte de
levier en bois relié à l’armoire. Il avait actionné un mystérieux
mécanisme !
– C’est trop, trop dingue… dit Jack à mi-voix. Regardez, il y a une
porte !
Une trappe, plutôt… L’ouverture se découpait en dessous de la
soupente. Scott se précipita pour l’ouvrir et, ô miracle, il ne rencontra
aucune résistance. Il rampa à l’intérieur, suivi par Emily, Jack et Drift.
Risquant un coup d’œil par-dessus son épaule, Emily eut juste le temps
d’apercevoir la silhouette vêtue de noir s’engouffrer dans la chambre…
Ils foncèrent droit devant eux, longeant la corniche du toit aussi vite
que possible. Il n’y avait aucun bruit autour d’eux, sauf le léger
grignotement produit par des rongeurs. La personne en noir – s’il
s’agissait d’une vraie personne… – ne se lança pas à leurs trousses. Peut-
être ne les avait-elle pas vus…
À quatre pattes, ils filèrent à travers un dédale d’étroits passages
jusqu’à ce qu’ils parviennent à une porte. Scott poussa le battant… qui
s’ouvrit sans difficulté.
– Je sais où on est, chuchota Emily. C’est le placard des gens qui font
le ménage !
Ils se frayèrent un passage au milieu des balais, brosses et seaux, et se
retrouvèrent sur le palier ; désert.
En silence, les trois amis et Drift dévalèrent l’escalier, sortirent par la
porte de service et traversèrent la pelouse en courant. Ils récupérèrent
leurs vélos et pédalèrent à toute allure jusqu’à la plage…
Quand Jack se réveilla, il se demanda où il était. Il sentait quelque
chose de doux contre sa peau – la toile de son sac de couchage ! –, et la
caresse du soleil…
Quel rêve étrange il avait fait ! Ils étaient partis au manoir, s’étaient
retrouvés enfermés dans l’armoire, avaient glissé dans une antichambre
secrète… Il se redressa. Oh ! là, là ! il avait mal partout ! Aux genoux, au
dos…
Parce qu’il n’avait pas rêvé. Tout lui revint brusquement à la mémoire.
Leur aventure nocturne avait failli tourner au désastre… Mais ils s’en
étaient bien sortis ! Oui, très bien, songea Jack en laissant le sommeil le
gagner de nouveau. Il se tourna sur le côté, essayant d’ignorer le léger
ronflement de Scott, profondément endormi à côté de lui. En vain.
Énervé, il s’apprêtait à lui donner un coup de pied pour le faire taire
quand il perçut des voix non loin…
– « Bonjour, il est 8 heures ! »
C’étaient les nouvelles. Sur la plage, leurs voisins venaient d’allumer
la radio. Jack se boucha les oreilles. Il avait encore envie de dormir, lui !
Mais des bribes lui parvinrent malgré lui :
– « … un nouveau revirement dans l’affaire de la disparition de
l’actrice Savannah Shaw sur la petite île de Castle Key, au large de la
côte de Cornouailles… »
Quoi ? Jack se redressa sur un coude et écouta.
– « Son agent, Sid Golding, affirme avoir trouvé un nouveau message
dans la chambre hantée du manoir de Pendragon où, dit-on, Savannah
Shaw aurait été enlevée par le fantôme d’une sorcière du xvie siècle… »
À ce moment-là, Scott s’étira.
– Il est quelle heure ?
– Chut !
– « … le dernier message aurait été écrit par Savannah Shaw elle-
même. La jeune femme confirmerait être emprisonnée dans la chambre
hantée, et déclare que seul son véritable amour pourra la délivrer ! »
Le présentateur laissa échapper un petit rire, prouvant ainsi qu’il ne
prenait pas l’histoire très au sérieux.
– Allons vite retrouver Emily, dit Jack, l’esprit en ébullition.
Et sans attendre son frère, il sortit de la tente.

Drift accueillit joyeusement Jack et Scott. À moitié endormie, Emily se


redressa et enfila un chandail en essayant de comprendre ce que ses amis
lui racontaient. Quelque chose à propos de nouvelles à la radio, de Sid
Golding, d’un message signé Savannah Shaw…
– Vous me laissez me réveiller, oui ?
Puis elle éclata de rire. À sa grande surprise, elle se sentait en super
forme, ce matin. C’était d’autant plus étonnant que, la veille au soir, elle
avait failli mourir de peur… pour rien ! Elle venait de prouver que la
légende était complètement fausse puisqu’elle s’était rendue dans le
grenier après minuit, et qu’elle en était revenue saine et sauve. La sinistre
silhouette vêtue de noir qu’ils avaient vue n’était pas le fantôme de Sarah
Goodwell… Ni de personne, d’ailleurs.
C’était un véritable humain en chair et en os… Et prêt à tout.
Mais de qui s’agissait-il ? Telle était la question. Compte tenu de la
haute stature, ce n’était pas Sid Golding. Savannah était grande, bien sûr,
mais pas à ce point. Emily aurait parié que la houppelande dissimulait un
homme. À moins que…
– Est-ce que vous avez noté quelque chose d’inhabituel au sujet des
pieds de Savannah lorsqu’on l’a rencontrée ?
Jack et Scott échangèrent un coup d’œil interloqué. Ils devaient se
demander si leur mésaventure nocturne au manoir ne lui avait pas fait
perdre la tête !
– Genre des pieds palmés ou six orteils ? demanda Jack.
Scott ébaucha un sourire.
– Moi, j’ai remarqué qu’elle portait des bottines noires, à talons, plutôt
chouettes…
– Pas de très grands pieds, je veux dire ?
Les garçons secouèrent la tête.
– La personne en noir d’hier soir chaussait du 46-47, peut-être plus, et
elle était en baskets ! J’en ai eu un aperçu sous l’ourlet de son espèce de
cape, quand je regardais à travers la fente de l’armoire… Donc
impossible que ce soit Sarah Goodwell !
Jack éclata de rire.
– Pourquoi, les baskets n’étaient pas à la mode au xvie siècle ? Mais si
notre fantôme de minuit n’est ni Sarah Goodwell, ni Sid Golding, ni
Savannah Shaw, qui est-ce ?
– Brett DiBlanco ? suggéra Scott. Il a refusé de signer un autographe :
c’est le seul dont on n’a pas vu l’écriture. Il est plutôt grand…
– Et pas sympa, compléta Jack.
– Si ça se trouve, Sid Golding et Brett DiBlanco sont complices ! dit
alors Emily. DiBlanco dépose les messages et Golding les découvre.
C’est peut-être une mise en scène pour créer un maximum de pub autour
du tournage et de l’agent Diamant !
– Justement, vous vous souvenez de ce que m’a révélé le journaliste
Neil Denton ? reprit Scott. Golding fait des affaires louches. Il essaie
peut-être de focaliser l’attention du public sur un autre problème, pour
créer une diversion…
– Oui, ça se tiendrait drôlement bien, admit Emily.
Pendant qu’ils prenaient leur petit déjeuner – après avoir allumé un
petit feu de camp, ils firent cuire des œufs et griller du bacon –, Emily ne
cessa de penser à Savannah. Si Golding et DiBlanco avaient simulé un
kidnapping, ils devaient la séquestrer quelque part… Où ? L’actrice avait
déjà disparu depuis trois jours !
– On doit dire à la police ce qu’on a découvert hier soir, déclara-t-
elle.
– Oui… Même si on risque d’être punis jusqu’à la fin de nos jours
pour avoir osé aller dans le manoir en pleine nuit, ajouta Jack.
Emily saisit son portable et composa le numéro du commissariat de
Carrickstowe.
– Bonjour, je voudrais parler à l’inspecteur Hassan, s’il vous plaît.
– Désolée, il vient d’être convié à une conférence de presse de
dernière minute, répondit la standardiste.
– Ce ne serait pas au manoir de Pendragon, par hasard ? demanda
poliment Emily.
– Je ne peux malheureusement pas en dire davantage.
Mais Emily avait perçu une légère hésitation dans la voix de son
interlocutrice. Elle avait vu juste. Il avait dû y avoir un rebondissement…
Quelque chose de suffisamment grave pour convoquer les journalistes et
la police !
– Vite, on plie nos tentes et on fonce au manoir ! dit-elle après avoir
raccroché. Sid Golding a des révélations à faire !
15
La CoNfÉRenCe
De PReSSe

U ne incroyable agitation régnait au manoir, plus importante


encore que la première fois où les trois amis s’étaient rendus sur place.
Trois véhicules de police étaient garés sur le parking, ainsi que de
nombreuses camionnettes appartenant à différentes chaînes de télévision
ou de radio.
Jack, Scott et Emily empruntèrent un raccourci à travers le verger. Ils
avaient l’intention de passer discrètement par la porte de service
permettant d’accéder aux cuisines. Mais alors qu’ils longeaient une
rangée d’arbres fruitiers, Drift s’immobilisa quelques secondes avant de
filer vers un massif de groseilles ! Les trois amis le suivirent aussitôt…
Et découvrirent une jeune femme assise par terre. Le dos voûté, ses
longs cheveux bruns dans les yeux, elle sanglotait doucement. Drift
trottina vers elle et posa gentiment sa tête sur ses genoux.
Stupéfaite, Emily s’approcha. S’agissait-il vraiment de…
– Savannah ? souffla Jack.
Non. Les yeux qui se levèrent vers eux n’étaient pas verts mais marron,
rougis de larmes et cernés. Emily prit un mouchoir en papier dans son sac
et le tendit à l’inconnue qui l’accepta et se moucha.
– On peut vous aider ? proposa Scott.
– Oh… Si seulement… Mais j’ai fait quelque chose de très mal !
Elle parlait un anglais hésitant, avec un fort accent italien. Scott
l’observa fixement.
– Gabriella ? Vous ne seriez pas Gabriella Moretti, par hasard ?
La méfiance se refléta aussitôt sur le visage de la jeune femme.
– Comment le sais-tu ? Tu travailles pour la police ?
– Non, pas du tout ! On sait juste que vous avez été embauchée ici pour
faire le ménage…
– Et que vous avez aperçu Savannah Shaw lundi soir juste avant
qu’elle disparaisse, compléta Emily.
– Sauf que j’ai menti !
Gabriella enfouit brièvement son visage dans ses mains.
– Un homme m’a payée pour que je raconte cette histoire. J’avais
besoin d’argent… Je suis venue en Angleterre pour être jeune fille au
pair, mais la famille chez qui je travaillais, à Bristol, n’était pas sympa.
Alors je suis partie et j’ai cherché un autre emploi…
– Comment s’appelle l’homme qui vous a demandé ça ? s’enquit Scott.
– Je ne sais pas.
– À quoi il ressemble ?
Gabriella réfléchit, sourcils froncés, cherchant ses mots.
– Il est, euh… rond.
– Rond ? Vous voulez dire gros ? Comme un morse ? ajouta Jack.
– Un morse ? Qu’est-ce que c’est ?
Jack gonfla ses joues et se mit à se dandiner en claquant la langue et en
grognant.
– Là, tu ressembles à une otarie ! se moqua Scott.
Mais Gabriella semblait avoir compris. Pour la première fois, elle
sourit.
– Oh, oui ! Un morse, comme un gros, très gros phoque !
– Sid Golding ! s’exclamèrent Scott et Emily en même temps.
– Hier soir, j’ai encore travaillé ici, reprit Gabriella en caressant
Drift. Mais ce matin, en arrivant, j’ai aperçu la police et j’ai cru qu’elle
venait me chercher. Elle pense peut-être que l’actrice est morte… Et c’est
ma faute !
– Non, Savannah ne peut pas être morte, répliqua Emily. Et ce n’est pas
votre faute. Restez ici, nous, on va se renseigner.
En les remerciant, Gabriella se remit à pleurer… De soulagement cette
fois.

Il ne leur fut pas difficile de trouver l’endroit où se tenait la conférence


de presse. Un brouhaha surexcité les conduisit jusqu’à une vaste salle de
réception aux murs lambrissés de chêne, à l’entrée du manoir. La pièce
était bondée. Les journalistes s’agglutinaient sur les rangées de chaises
mais également sur le côté et contre les murs. Tous les regards étaient
braqués sur une longue table placée devant l’assemblée. L’inspecteur
Hassan et deux autres officiers de police s’y tenaient ; des micros avaient
été installés. Trois autres sièges étaient vides.
Scott, Jack et Emily se frayèrent un passage, Drift à leurs pieds. Dans
la cohue, personne ne remarqua le petit chien. Scott se heurta soudain à
un homme qui portait une barbichette. Neil Denton !
– Salut, dit le journaliste qui l’avait également reconnu. Bienvenue au
spectacle…
– Vous savez ce qui se passe ?
Neil haussa les épaules.
– Ce n’est pas officiel mais il paraît qu’on a retrouvé Savannah Shaw.
On ignore si elle a été transformée en zombie ou en vampire mais,
apparemment, elle est en vie ! conclut-il d’un ton légèrement moqueur.
Sid Golding sait mener sa barque…
Tout à coup, les flashs crépitèrent aux quatre coins de la pièce. Sid
Golding venait de prendre place à côté de l’inspecteur Hassan. Tous deux
échangèrent une poignée de main, puis Sid Golding but une gorgée d’eau
et tapota son micro. Un bruit de larsen retentit aussitôt.
– Que quelqu’un me donne un autre micro ! aboya-t-il. Tout de suite !
Un assistant le rejoignit en hâte et régla simplement le volume.
Un lourd silence régna tandis que Sid Golding, ses larges paumes
appuyées sur la table, paraissait réfléchir. Il transpirait.
– Comme vous le savez tous, ces derniers jours ont été terriblement
éprouvants pour nous tous, déclara-t-il finalement. Nous sommes si
proches de Savannah Shaw, nous tenons tellement à elle… Mais grâce
aux efforts de la police, nous avons…
Et il complimenta abondamment l’inspecteur et ses collègues. Jack,
Scott et Emily en profitèrent pour examiner les personnes autour d’eux.
Ils reconnurent Megan, Kenzo, le garde du corps Larry, Lauren O’Brien…
Seuls Max Fordham et Brett DiBlanco demeuraient invisibles.
– … et maintenant, je suis heureux de vous annoncer que ce matin, à
9 heures précises, Savannah Shaw a été retrouvée ! déclara Sid Golding.
Jack, Scott et Emily se regardèrent, médusés. Des murmures et
exclamations étouffés s’élevaient parmi l’assemblée.
– Elle a été découverte ici même, au manoir de Pendragon ! Elle a dû
être victime du fantôme de Sarah Goodwell…
Jack remarqua que, sous son épaisse moustache, l’inspecteur Hassan
réprimait un sourire. Il leva la main comme pour demander à Sid Golding
de se taire, mais ce dernier l’ignora et poursuivit :
– Je me doute que vous devez avoir du mal à me croire, mais il s’est
bel et bien produit un phénomène… surnaturel. Et Savannah Shaw a
effectivement été sauvée par son véritable amour… D’ailleurs, je vais
plutôt donner la parole aux deux tourtereaux !
L’excitation dans la salle était à son comble. Les journalistes prenaient
fébrilement des notes et enregistraient. Caméras et portables étaient
brandis, prêts pour les photos…
– Son véritable amour, c’est sûrement Max Fordham ! chuchota Emily.
C’est pour ça qu’il n’est pas ici. Il est en coulisses avec Savannah. Je
savais bien que tous les deux étaient amoureux !
– Mais DiBlanco n’est pas là non plus, fit remarquer Scott. C’est peut-
être lui !
À ce moment-là, Neil Denton les rejoignit, l’air hilare.
– J’espère que vous ne croyez pas à ce tissu de mensonges ! Des
sorcières, des fantômes… Pourquoi pas les sept nains, tant qu’on y est ?
– Et voici… Brett DiBlanco ! tonitrua Sid Golding, avec le même
panache qu’un commentateur de match de boxe annonçant l’arrivée d’un
super-champion.
Emily ne put dissimuler sa déception. Brett DiBlanco ? Savannah ne
l’aimait pas ! Pourtant, ce fut bien lui qui s’avança fièrement devant tout
le monde, vêtu d’un costume bleu très chic. Se tenant entre Sid Golding et
l’inspecteur Hassan, il dévoila son sourire d’une blancheur éblouissante,
encourageant l’assemblée à l’applaudir.
– Et maintenant, voici… Savannah Shaw ! s’exclama Sid Golding.
La foule retint sa respiration. Quelques instants s’écoulèrent… Mais
l’actrice ne parut pas. Sid Golding l’appela de nouveau :
– Savannah ? Savannah Shaw ! Mais où est-elle, à la fin ?
– Elle était là il y a une minute, répondit DiBlanco en haussant les
épaules.
– Savannah !
Le nom de la jeune femme résonna bizarrement dans la salle. Comme
elle ne se manifestait toujours pas, Sid Golding ouvrit et referma la
bouche d’un air ahuri, puis il vociféra :
– Que quelqu’un me dise ce qui se passe ! Tout de suite !
Savannah Shaw avait disparu une seconde fois.
16
uNe aUTRe
DIsPaRITioN

U n mélange d’agitation et de confusion gagna rapidement


l’assemblée, et ce fut le branle-bas de combat. Des membres de l’équipe
de tournage se précipitèrent en coulisses, d’autres coururent dehors. Les
journalistes enregistraient, les questions fusaient… S’emparant du micro,
Mme Bailey s’efforça, d’une voix autoritaire, de ramener le calme, mais
personne ne l’écouta.
– Partons vite avant qu’il y ait une émeute, déclara Scott en attrapant
Jack et Emily par le bras.
Emily porta Drift et ils se ruèrent vers le hall.
– Qu’est-ce qui se passe, à votre avis ? demanda Jack.
– Aucune idée, dit Scott. Mais j’imagine que si Golding et DiBlanco
ont mis en scène le premier enlèvement supposé de Savannah pour faire
un coup de pub, cette fois, ils n’y sont pour rien ! Ils avaient vraiment
l’air en état de choc… Ça se voyait parfaitement sur le visage de Brett…
– Qui n’est donc pas si bon acteur que ça ! compléta Emily.
Ils s’apprêtaient à s’engouffrer dans un couloir quand ils aperçurent,
non loin, Sid Golding. Il fonçait vers un homme musclé… Larry, le garde
du corps.
– Comment avez-vous pu perdre sa trace ? rugit Sid Golding.
– Elle avait besoin d’aller aux toilettes ! répondit Larry d’une voix
tremblante. Je ne pouvais quand même pas l’accompagner !
– Imbécile ! Vous êtes renvoyé !
Puis Sid Golding ouvrit la porte d’entrée à la volée et regarda dehors
d’un air furieux. Tout le monde recula comme s’il tenait une grenade prête
à exploser. Soudain il hurla en pointant son index en direction du jardin :
– Là-bas ! Elle est là-bas ! Que quelqu’un l’arrête tout de suite !
Et la foule chargea dans la direction qu’il indiquait…
Scott, Jack et Emily se mêlèrent à la cohue. Ils repérèrent rapidement
la fine silhouette d’une jeune femme, vêtue d’une robe rose légère, qui
piquait un sprint le long du labyrinthe. Ses longs cheveux bruns étaient
coiffés en queue-de-cheval et lorsqu’elle jeta un rapide coup d’œil par-
dessus son épaule, ils virent qu’elle portait de luxueuses lunettes de
soleil.
« C’est Savannah ! » Le cri des gens lancés à ses trousses s’amplifia.
On avait l’impression d’une meute de chiens poursuivant un renard !
Les trois amis se hâtèrent de retrouver Gabriella dans le verger. Elle
avait l’air encore affolée.
– Qu’est-ce qui se passe ?
– Vous n’avez vraiment plus à vous inquiéter à propos de Savannah…
Elle est là-bas ! dit Emily en désignant la jeune femme qui continuait à
courir, distançant tout le monde. Si elle en a assez du cinéma, elle
pourrait se reconvertir dans la course de vitesse !
Savannah venait de parvenir sur le parking, et elle s’engouffra dans un
taxi qui s’éloigna aussitôt à vive allure. Un instant plus tard, une dizaine
de véhicules le prirent en chasse… Dont la Ferrari noire que conduisait
Sid Golding qui essayait de doubler une Porsche rouge et une camionnette
de la BBC4. Une vraie scène de film !
– Et pourquoi, toi, tu n’as pas essayé de la rattraper ? demanda Jack en
regardant Drift, qui s’était assis à côté d’Emily. Je croyais que, comme
Scott, tu adooooooores Savannah !
Scott voulut lui donner un coup de pied dans le tibia… Sauf qu’il eut
un déclic.
– Parce que ce n’était pas Savannah !
– Alors qui c’était ? Léonard de Vinci ? se moqua Jack.
– Sa doublure, affirma Scott. Lauren n’est pas aussi grande que
Savannah… En la regardant tout à l’heure, je me disais bien que quelque
chose clochait.
– Bien vu. Sinon, Drift lui aurait couru après, renchérit Emily. C’était
Lauren O’Brien habillée en Savannah Shaw ! Perruque, lunettes…
Comme elle est payée pour se faire passer pour Savannah, tout le monde
a été dupe… sauf Drift.
– Mais dans ce cas, où est la vraie Savannah Shaw ? demanda
Gabriella.
– Ça, c’est une question à un million de dollars, répondit Scott.
– Et pourquoi là, tout de suite, Lauren O’Brien a voulu qu’on croie
qu’elle est Savannah ?
– Ça, c’est la question à un milliard de dollars ! renchérit Jack. Est-ce
que ça ferait partie d’un autre plan secret de Sid Golding ? Moi, je sèche.
– Franchement, je crois que Sid Golding n’y est pour rien, observa
Emily. Tout à l’heure, il avait les yeux écarquillés comme des soucoupes,
genre qu’est-ce que c’est que ce délire, au secours, je n’y comprends
rien… Et si c’était Savannah qui avait tout organisé ? Elle demande à
Lauren de servir d’appât et, pendant ce temps, elle se sauve
tranquillement.
– Pourquoi elle ferait une chose pareille ? s’étonna Jack.
– Hum… À cause d’un homme, très probablement, intervint alors
Gabriella.
– Oui, bien sûr ! s’exclama Emily. Max ! Savannah est amoureuse de
Max, pas de Brett. Elle a froncé le nez d’un air dégoûté l’autre fois, en
parlant de lui ! Je parie que Savannah s’est enfuie pour retrouver Max
Fordham !
4. BBC (British Broadcasting Corporation) : importante société britannique de diffusion et de
production de programmes télévisés.
17
PaS D’eRReuR
PouR DRIfT

P eu à peu, le calme revint dans les jardins du manoir. Des gens


déambulaient çà et là, d’autres s’installaient sur des bancs ou des
pelouses. Reconnaissant Megan et Kenzo parmi eux, Emily se précipita
vers eux.
– Je n’en peux plus ! se lamentait Kenzo. Il me faudra des années pour
me remettre de tout ça !
– Salut, toi ! Qu’est-ce que tu veux ? demanda Megan à Emily.
– Est-ce que par hasard vous sauriez où se trouve Max Fordham ?
s’enquit Emily.
Megan réfléchit un court instant.
– Tu parles du spécialiste des cascades ? Il était là tout à l’heure.
– Il a reçu un appel sur son portable, juste avant que Golding nous joue
son grand numéro, précisa Kenzo. Ensuite, Action Man est parti comme
une fusée. Megan, on va boire quelque chose ?
Et tous deux se dirigèrent vers la buvette. Emily rejoignit ses amis en
courant. Gabriella les remercia une fois de plus pour leur aide et, après
avoir caressé Drift une dernière fois, s’éloigna.
– Il faut que je téléphone à mes parents, dit Emily en sortant son
portable. On va vite savoir… Allô, maman ? Est-ce que Max Fordham est
parti ?
– Oui, il y a quelques minutes, confirma sa mère. Il a fait ses bagages à
toute allure et réglé sa chambre en m’expliquant qu’il devait s’en aller
immédiatement. Un imprévu… Dommage, un homme charmant ! Sinon,
vous avez passé une bonne soirée au bord de la plage ?
– Super ! Je te raconterai…
« Mais pas tout », songea Emily. Elle omettrait certains détails comme,
par exemple, leur excursion nocturne au manoir, dans le grenier hanté…
– Résumons la situation. Si Savannah est partie rejoindre Max parce
qu’ils sont amoureux, c’est cool… Mais… Et si ce n’était pas ça ?
demanda-t-elle.
– Tu veux dire qu’elle a peut-être été enlevée ? Possible. Il y a plein
de choses bizarres, dans cette histoire, dit Jack. Bon, moi, j’ai faim… Il
reste peut-être des gâteaux en cuisine ?
– On sait que Savannah s’est enfuie d’une salle de bains, poursuivit
Emily. Comme personne ne l’a vue, on peut imaginer que c’est une salle
de bains à l’arrière du manoir. On va voir ? Il doit y avoir des
empreintes !
– À mon avis, Max est déjà en train de l’attendre au volant de sa Jeep,
observa Scott tandis qu’ils contournaient le bâtiment au pas de course.
– Ou dans un bateau : on est au bord de la mer ! répliqua Emily.
– Ils pourraient aussi partir en hélicoptère, suggéra Jack.
– Ben voyons ! s’esclaffa Scott. On est dans la vraie vie, là, pas dans
un film avec l’agent Diamant !

Ils ne tardèrent pas à découvrir, au rez-de-chaussée, une petite fenêtre


aux vitres dépolies faisant penser à celle d’une salle de bains. Elle était
ouverte, et suffisamment large pour laisser passer une personne mince.
Hélas, en dessous, le sol était pavé. Des centaines de gens avaient dû
marcher à cet endroit. Impossible de trouver la moindre empreinte !
– Ce genre de choses n’arrive jamais aux vrais espions ! se lamenta
Jack. Et si on allait en cuisine pour voir s’il reste des gâteaux ?
L’ignorant, Emily examina les alentours. Les jardins, le potager et les
vergers, à l’arrière du manoir, étaient entourés de bois touffus. Savannah
pouvait très bien avoir franchi le muret qui délimitait la propriété et filé
sous les arbres. Comment retrouver sa trace ? Il suffirait d’un indice ou…
Mais oui, bien sûr ! La pister, c’était possible !
Emily fouilla dans son sac et en extirpa le foulard de soie bleue que
Savannah lui avait donné. Elle avait décidé de le garder avec elle,
comme porte-bonheur.
– Et voilà ! s’exclama-t-elle joyeusement. C’était à Savannah et je vais
le donner à Drift !
Jack et Scott la dévisagèrent comme si elle avait perdu la tête.
– Il va sentir le tissu et nous conduire jusqu’à elle ! précisa Emily.
Mon chien a un flair génial, vous allez voir.
Et elle s’agenouilla auprès de Drift.
– Cherche ! Cherche Savannah ! Cherche !
Le petit chien renifla longuement le foulard, puis il se leva, dressa son
oreille gauche, huma l’air et redressa son oreille droite.
– Cherche Savannah ! répéta Emily.
Drift s’élança, truffe au sol, fonçant à travers les jardins. Il emprunta
une allée pavée et, une fois parvenu devant le muret, se mit à couiner
jusqu’à ce qu’Emily le porte pour le lui faire franchir. Il repartit en
courant en agitant la queue comme un drapeau, galopant à travers les
arbres. Emily, Jack et Scott eurent du mal à ne pas le perdre de vue…
Le chemin déboucha sur une clairière. Là, Drift s’arrêta. Il s’assit
devant des mûriers sauvages, haletant d’un air satisfait comme pour dire
« mission accomplie ».
– C’est par là qu’on a laissé nos vélos ce matin, dit Jack. Drift a
seulement suivi notre trace !
Quelques secondes plus tard, il dénicha sa bicyclette dans un fourré.
Emily retrouva la sienne… Mais Scott la chercha vainement.
– On me l’a piquée ! protesta-t-il. En plus, je transportais la tente qui
appartient à tante Kate…
Au même instant, Emily remarqua un morceau de papier plié sous le
câble de son frein. Elle le prit, le déplia… Et s’aperçut qu’il s’agissait
de deux billets de cinquante livres, accompagnés d’un mot : « Pour votre
vélo, avec toutes mes excuses ! »
– Et voilà pour toi, dit-elle en tendant l’argent à Scott.
– Pourquoi ils n’ont pas volé le mien ? marmonna Jack en désignant le
vieux modèle que tante Kate lui avait prêté. J’aurais été content d’en
avoir cinq livres…
– Le voleur a pris le mien parce qu’il était en meilleur état ! Et je te
signale que je l’avais acheté avec mon argent de poche, ajouta Scott en
fourrant les billets dans sa poche. Je n’aurai plus qu’à m’en trouver un
autre d’occasion… Et à rembourser tante Kate puisqu’on reviendra sans
sa…
– Drift ne s’est pas trompé ! l’interrompit Emily. Savannah est venue
ici, et elle est partie avec le vélo de Scott !
Elle se baissa pour caresser affectueusement son chien.
– Bravo ! Bien joué !
Puis elle jeta un coup d’œil circulaire à la clairière. Plusieurs chemins
en partaient, en étoile.
– Dans quelle direction est allée Savannah ? Cherchons des indices
comme des branches cassées, des feuilles écrasées…
– Des branches cassées ? répéta Jack. Dans un bois de cette taille ?
– Ou des marques de pneus ! poursuivit Emily. Regardez, j’en repère
trois là-bas… Sauf que ce sont les nôtres, quand on est venus de la plage
du Couchant ce matin.
Jack traversa la clairière, choisit un chemin au hasard, s’agenouilla et
colla son oreille contre le sol.
– Ah, ah ! Chef sioux dit : « Actrice passe par ici sur cheval de fer à
deux roues ! » déclara-t-il en prenant une voix grave.
Puis il contempla plus attentivement la terre.
– Je rigole, mais en fait, il y a une seule empreinte !
– Super ! s’exclama Emily en le rejoignant. Jack est un gé…
– Non, ne le dis plus, je vais finir par le croire, coupa Jack.
– C’est ça, fais semblant d’être modeste, se moqua Scott.
À son tour, il examina les marques de pneus.
– Bon, et maintenant ?
– On tient une piste ! affirma Emily. Ce chemin rejoint la route qui
traverse la lande et conduit au château. C’est sûrement là-bas qu’ils
avaient rendez-vous ! On y va !
– Sauf que moi, je n’ai plus de vélo, rappela Scott.
Emily avait déjà enfourché sa bicyclette.
– Demande au grand chef sioux de t’emmener !
18
DaNS Le VIDE

L orsqu’ils arrivèrent au château, Scott n’en pouvait plus. Ils


s’étaient relayés avec Jack, l’un pédalant pendant que l’autre se calait
tant bien que mal sur le porte-bagages mais, comme Emily filait à toute
vitesse et que ça grimpait dur jusqu’au haut de la colline, le trajet avait
été… éprouvant. Du coup, Jack et lui s’étaient disputés, se traitant de tous
les noms ! Heureusement, il faisait moins chaud. Le ciel s’assombrissait
et une brume épaisse s’élevait de la mer. Un orage s’annonçait-il ?
Le lieu était désert. Tout le monde avait dû se rendre à la conférence
de presse dans l’espoir de savoir ce qui était arrivé à leur actrice
fétiche ! Les camionnettes, les mobile-homes, les plateformes servant au
tournage, les éclairages… Tout semblait abandonné au milieu des ruines
que le brouillard enveloppait peu à peu. Scott frissonna. On avait
l’impression d’un château fantomatique après une invasion d’aliens ou
une épidémie de peste.
Ils contournèrent le bâtiment en appelant Max et Savannah… Mais seul
le silence leur répondit.
– Je me suis trompée, dit finalement Emily. Il n’y a personne, ici.
– Vraiment personne, renchérit Jack.
Ils s’apprêtaient à faire demi-tour quand ils remarquèrent une roue de
vélo qui saillait de l’arrière d’un rocher, près de la tour où Max et Lauren
avaient réalisé leurs cascades. Ils s’approchèrent… C’était la bicyclette
de Scott !
– En fait, j’avais raison, rectifia Emily.
– Sauf qu’on les a ratés, dit Scott. C’est bête.
– Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? dit Jack en lançant un coup de pied
impatient dans des cailloux. On ne va pas rester ici, il commence à faire
froid… Et si on allait boire un chocolat chaud à la crêperie ? Je parie que
Dotty m’en a déjà préparé un…
Il mit une main en éventail derrière son oreille et fit semblant
d’écouter.
– « Jack, ton chocolat refroidit ! » me dit-elle. Ouh, ouh !
Drift s’immobilisa aussitôt, à l’affût. Emily éclata de rire.
– Mais non, Drift, il n’y a rien… C’est juste Jack qui fait le clown !
– Comme d’habitude, renchérit Scott.
Mais Drift garda les oreilles pointées en avant.
– Ah, il a vraiment remarqué quelque chose, dit Emily. Chut !
Dans le silence, on distinguait clairement le bruit des vagues qui
s’écrasaient sur les rochers en contrebas, le cri des mouettes, la
respiration de Drift… Le petit chien commença à s’avancer vers le
rebord de la falaise. Au même instant, une bourrasque de vent s’éleva, et
ils crurent percevoir un gémissement au loin…
– Drift, reviens ! ordonna Emily.
L’animal hésita, continuant à contempler fixement le bord de la falaise.
Soudain, un « au secours ! » retentit. Jack, Scott et Emily échangèrent un
bref coup d’œil. Ils n’avaient pas rêvé.
– Quelqu’un appelle à l’aide… Quelqu’un qui a dû tomber dans le
vide ! ajouta Emily d’une voix tendue. Allons-y !
– C’est trop dangereux ! protesta Scott. Tante Kate nous a prévenus que
la terre est friable et…
– Mais on ne peut quand même pas rester sans rien faire ! protesta
Jack.
Et, déterminé, il s’approcha du bord.
– Sauf que si toi tu tombes aussi, imagine les conséquences, répliqua
Scott.
– Scott a raison, dit Emily. Recule, Jack !
Drift aboya, comme pour approuver.
Jack remarqua les endroits où la roche était érodée. On avait
l’impression que des dents géantes avaient croqué le pourtour de la
falaise. Même s’il aimait l’escalade, il n’avait pas envie de basculer…
– On est là ! cria-t-il en esquissant quelques pas en arrière.
– Aidez-moi ! répondit une femme, désespérée.
Jack sentit son souffle se bloquer. C’était la voix de Savannah Shaw !
– Tenez bon ! On appelle les secours !
– Je téléphone aux garde-côtes, dit Scott en prenant son portable. Ils
vont envoyer une équipe…
Mais au même instant, Savannah poussa un cri perçant. Elle était en
train de glisser…
Alors Jack n’hésita pas.
– On va trouver des cordes ! Il doit bien y en avoir quelque part ! Max
en avait pour ses cascades, il a dû les ranger dans le coin…
Et sans attendre de réponse, il sprinta jusqu’à la tour du château. Emily
et Scott coururent derrière lui.
– Il nous faut aussi des harnais et des mousquetons !
– Peut-être que tout le matériel est là, dit Emily en ouvrant une grande
malle métallique. Waouh, gagné !
Jack fouilla et dénicha un harnais à sa taille. Une chance !
– J’ai besoin de quelque chose de solide pour ma corde de sécurité…
Il scruta les abords de la falaise, cherchant un rocher qui pourrait
servir de point d’amarre. Scott, lui, était toujours au téléphone avec les
garde-côtes :
– Quinze minutes ? Pas avant ? OK…
Il coupa la communication et fila jusqu’à une plateforme que les
techniciens du tournage avait attachée contre la paroi de la tour. Il montra
l’un des montants métalliques qui servaient à maintenir l’échafaudage en
place.
– Jack, ça ira ?
– C’est trop éloigné ! Les cordes ne sont pas assez longues !
– Dans ce cas, on n’a qu’à les assembler…
Emily attrapa deux des cordes que Jack avait ramassées.
– Un nœud de pêcheur double, c’est super-efficace, dit-elle en
manipulant rapidement les cordages. Le vieux Bob m’a montré ce truc il y
a un an…
Elle leva les bouts et tira.
– Impossible à défaire, affirma-t-elle en recommençant l’opération
avec la seconde corde.
Puis elle enroula l’extrémité autour du montant métallique en formant
un autre nœud marin, celui qu’elle utilisait régulièrement pour amarrer
son bateau.
Maintenant, c’était à Jack de jouer. Il pouvait tenter un rappel jusqu’à
Savannah et l’attacher pour l’aider à remonter… Mais il savait que Scott
et Emily ne lui laisseraient pas courir un tel risque. Il opta donc pour la
seconde solution : il fixa une autre corde autour de celle qu’Emily venait
d’assembler en formant l’un des nœuds coulissants d’assurage qu’on lui
avait appris en cours d’escalade. Il l’avait réalisé des dizaines de fois
mais, à cet instant, ses doigts tremblaient tellement qu’il perdit de
précieuses minutes.
– Jack, n’y pense même pas ! cria Scott. Tu ne descends pas !
Comme si j’allais le faire…
– T’inquiète, je vais juste balancer cette corde-là… Savannah pourra
attraper la boucle et s’y agripper jusqu’à ce que les secours arrivent.
– Viiiiiite ! hurla Savannah au même instant. Je vais tomber !
Harnaché, Jack lança à Scott et Emily sa corde de sécurité et se
précipita vers le bord de la falaise, rampant sur les derniers mètres pour
ne pas risquer d’éboulements. Sous lui, la terre semblait trembler.
L’espace d’une seconde, il ne vit plus rien d’autre qu’une espèce de
brouillard blanc… Puis il distingua quelques rochers sombres en
dessous. Rassuré par la tension de sa corde d’assurage, il s’obligea à se
concentrer – surtout, ne pas penser au précipice – et scruta la paroi
rocheuse en contrebas.
Savannah ne se trouvait que trois mètres plus bas… De la main droite,
elle agrippait une fine arête rocheuse. Son bras gauche était plaqué contre
la falaise… Aucune prise pour garder l’équilibre autrement ! Ses pieds
reposaient sur une sorte d’étroite corniche… Très étroite. Elle tremblait
d’épuisement. C’était un miracle qu’elle ait pu tenir ainsi jusque-là.
– Savannah, je vais laisser tomber cette corde jusqu’à votre main
gauche. Quand je vous le dirai, vous l’attraperez par le nœud, OK ?
– Oui… Fais vite…
Le cœur battant, Jack approcha la corde du bord. Il ne devrait pas la
faire glisser trop rapidement, le frottement risquerait d’émietter la roche,
de perturber encore plus le fragile équilibre de Savannah… Se pencher
plus en avant était également exclu : il provoquerait un éboulis. Tout
doucement, la corde fila entre ses doigts, se rapprocha de ceux de
Savannah, l’effleurant presque.
– Ne bougez pas… Je vous dirai quand vous pourrez la prendre.
– OK !
– Scott ! Emily ! Maintenez bien ma corde, il va y avoir le poids de
Savannah en plus ! prévint Jack.
– On est prêts !
Jack inspira profondément. Il n’avait jamais eu aussi peur de sa vie. Il
fallait que ça marche… Aucune autre chance ne serait possible.
– Maintenant !
Savannah tendit les doigts pour attraper la corde mais, au même
instant, elle poussa un cri strident… et tomba.
19
BaTmaN eT RobiN

J ack ferma les yeux. Il n’osait pas regarder.


– Qu’est-ce qui s’est passé ? cria Scott. Jack, ça va ? Savannah ?
Lentement, très lentement, Jack se força à rouvrir les paupières.
Savannah était suspendue dans le vide, accrochée à la corde d’une
main. L’espace d’un éclair, Jack crut qu’il allait s’évanouir de
soulagement.
– Oui ! Elle a ses poignets dans le nœud coulissant !
– Génial ! s’écrièrent Scott et Emily en chœur. On tient bon, la corde
d’assurage est super-solide…
Au même instant, Jack entendit un bruit de moteur. Un véhicule
arrivait… se garait… Les secours ! Enfin ! Puis une voix d’homme
retentit :
– Savannah, où es-tu ?
Stupéfait, Jack reconnut Max Fordham… qui le rejoignit quelques
minutes plus tard, muni d’un équipement professionnel : mousquetons,
cordages, pitons, harnais qu’il enfila à toute allure. Puis, sans perdre une
seconde, il se balança loin de la paroi de la falaise et, lorsqu’il revint
vers Savannah, l’attrapa entre ses bras tout en attachant un mousqueton de
sécurité à la corde qu’elle tenait. Ensuite, lentement mais sûrement, il
remonta le long de la falaise en prenant appui sur des zones que Jack ne
voyait pas. Ses mouvements étaient calmes, rapides et précis. Lorsqu’il
se hissa par-dessus le rebord friable en propulsant en même temps
Savannah pour la mettre hors de danger, Jack se retint d’applaudir. À son
tour, il se recula, et Max l’aida à se relever.
– Bravo, Jack ! Tu as été un vrai héros ! dit-il tandis que Savannah
ôtait ses poignets du nœud coulissant.
Elle se dirigea d’une démarche incertaine vers Scott et Emily qui
venaient à sa rencontre, suivis par Drift… qui bondit tout à coup vers la
jeune femme en remuant joyeusement la queue.
– Coucou, toi, dit-elle en le caressant affectueusement.
Puis elle se blottit contre Max.
– Où étais-tu ? J’ai cru que tu ne viendrais jamais…
Max l’étreignit tendrement.
– Tout va bien, je suis là maintenant. Des journalistes me suivaient, j’ai
dû traverser toute l’île pour les semer.
– Je te cherchais partout… Il y avait tellement de brouillard… Je ne
me suis pas rendu compte que j’étais si près du bord de la falaise…
Jack détourna le regard. Les situations à l’eau de rose, ce n’était pas
son truc ! Emily croisa les bras et le fixa d’un air triomphant.
– Je te l’avais dit ! Ils s’aiment !
Savannah se libéra de son harnais. Une partie de son visage présentait
un vilain hématome. Elle ressemblait à Maya Diamant après une bagarre
contre les complices du Dr Zoltan… sauf que dans le film sa figure
redeviendrait parfaite à la scène suivante.
– Tu es bien romantique !
– Pourquoi ? demanda Emily.
– Parce que j’aime Max, oui… Mais on est juste très amis. On s’adore,
c’est tout.
– C’est tout ? répéta Emily, stupéfaite.
Savannah éclata de rire.
– Oui… Mais c’est beaucoup ! Max est la seule personne qui m’ait
traitée respectueusement et gentiment pendant les tournages. Et même si je
ne suis pas autorisée à réaliser mes cascades, il me les a apprises.
Max sourit.
– Heureusement ! Sinon, tu n’aurais jamais pu tenir aussi longtemps
suspendue à la paroi de la falaise.
– C’est vrai ! Autre chose, Emily : je suis censée manger uniquement
des légumes verts et du poisson cuit à l’eau… Mais Max m’a souvent
acheté, en cachette, des frites et des hamburgers ! poursuivit Savannah.
Alors, oui, je l’adore !
– Vous entendez ça, les gars ? lança Max à Scott et à Jack. Si vous
voulez conquérir une femme, offrez-lui de bonnes choses à manger !
Savannah se mit à rire.
– Mais on n’est pas comme Roméo et Juliette, précisa-t-elle. Désolée
de te décevoir, Emily.
– On est plutôt comme Batman et Robin ! renchérit Max.
Mais Emily n’était pas déçue du tout. Savannah et Max étaient les
meilleurs amis du monde, et c’était super… Un peu comme Jack, Scott et
elle ! Au fond, les situations périlleuses qu’ils vivaient ensemble étaient
beaucoup plus palpitantes qu’une histoire d’amour !
Max glissa un bras sous celui de Savannah, et ils se dirigèrent vers le
château. Savannah boitait légèrement. Tout à coup, elle s’immobilisa.
– Mais où ai-je la tête ? Je ne vous ai même pas remerciés de m’avoir
sauvé la vie !
Elle étreignit affectueusement Jack, puis Scott, puis Emily.
– Un immense merci à vous trois… À vous quatre ! ajouta-t-elle en
caressant Drift.
– Au fait, les garde-côtes vont arriver, rappela Scott. Je leur ai
téléphoné…
– Tu as bien fait, assura Max.
Mais Savannah hocha la tête d’un air ennuyé.
– L’ennui, c’est que les journalistes vont rappliquer avec eux…
– Exact. Je les préviens qu’on n’a plus besoin d’eux, déclara Max.
Il composa un numéro sur son portable, expliqua qui il était et affirma
que la situation était maîtrisée. Jack, Scott et Emily échangèrent un regard
impressionné…
Quelques instants plus tard, installés sur l’un des grands matelas
absorbeurs de chocs que Max et Savannah avaient utilisés pendant leurs
cascades, ils soufflèrent quelques instants.
– Et si vous nous expliquiez la vérité sur votre disparition ? demanda
Scott à Savannah. Vous n’avez pas vraiment vu de fantôme, pas vrai ?
– Oh, non, répondit Savannah en riant presque. La réalité est très
simple : tout ce ramdam n’a été qu’un vaste coup médiatique orchestré
par Sid Golding… Même si la série de l’agent Diamant a du succès, il en
veut plus, toujours plus ! Il a aussi imaginé que si je faisais semblant de
sortir avec mon partenaire Brett DiBlanco, ce serait également bénéfique
pour notre publicité. Quand Brett et Sid ont entendu parler de la légende
du fantôme de minuit, ils ont décidé de l’exploiter à fond. En plus, tout ce
tapage médiatique arrangeait bien Sid : ces derniers temps, il a fait des
affaires pas très claires.
– On y avait pensé ! confia Emily.
– Vous vous doutiez du fin mot de l’histoire ? s’étonna Savannah.
– Disons qu’on avait de forts soupçons… Et Gabriella les a confirmés,
expliqua Jack.
– Qui est Gabriella ?
– Le témoin censé vous avoir remarquée au grenier juste avant votre
première disparition. Gabriella était employée de ménage au manoir.
Mais elle nous a avoué que Sid Golding l’avait payée pour qu’elle
raconte ce mensonge, ajouta Scott.
– À tout hasard, est-ce que DiBlanco forme de petits ronds autour des
points de ses « i » ? demanda alors Jack.
Cette fois, Savannah rit de bon cœur.
– En effet. Il trouve que c’est plus artistique ou original. Pourquoi ?
– Le premier message qu’on a trouvé comportait plein de « i » comme
ça, lui apprit Jack. On a fait écrire tous les suspects en demandant des
autographes, et seul Brett a refusé.
Après avoir échangé un coup d’œil avec Max, Savannah émit un
sifflement admiratif.
– Sincèrement, les jeunes, vous me bluffez. Vous avez vraiment mené
l’enquête ?
– Oui… Sauf qu’on n’a pas découvert où vous étiez cachée pendant
tout ce temps ! avoua Scott.
Savannah sourit.
– J’étais dans un petit cottage que Sid a loué pour moi près de Truro.
C’est la seule raison qui m’a incitée à accepter de participer à cette
mascarade. J’ai pu me reposer, lire, regarder la télé, me promener
incognito… Quel bonheur !
– Mais pourquoi avez-vous disparu de nouveau après la conférence de
presse ? interrogea Emily.
– Brett m’a exaspérée, confia Savannah. Je devais revenir et faire
semblant d’être raide dingue de lui… Mais en coulisses, il m’a dit que la
couleur de ma robe n’allait pas avec celle de son costume, qu’il fallait
que je me change… Quel homme insupportable ! Et il aurait fallu que
j’aie l’air passionnément amoureuse de ce type qui doit embrasser son
propre reflet dans le miroir chaque matin ? Non merci ! En plus, j’en ai
assez de jouer l’agent Diamant. J’ai déjà tourné dans six films, ça me
suffit. J’ai envie de passer à autre chose. Alors quand j’ai vu Lauren aller
aux toilettes, je l’ai suivie, je lui ai demandé de m’aider… Et elle a
accepté. On a appelé le taxi qui est venu la chercher, on a échangé nos
vêtements…
Savannah montra son jean.
– Il est trop petit pour moi ! Heureusement, Lauren avait sa perruque de
Maya Diamant dans son sac. Elle l’a mise… Et ensuite, tout s’est
enchaîné.
– Pendant ce temps, vous êtes sortie par la fenêtre des toilettes ?
s’enquit Emily.
– Exactement. Puis j’ai téléphoné à Max. Il devait me retrouver au
château. Je pensais que j’aurais à courir le plus vite possible jusque là,
mais j’ai trouvé un vélo… Génial !
– Oui, génial, marmonna Scott.
Il était encore endolori après le trajet sur le porte-bagages de la
bicyclette de Jack mais ne souffla mot à ce sujet.
– Et maintenant, qu’est-ce que vous avez prévu ?
– On s’enfuit ensemble, pas vrai ? fit Savannah en regardant Max d’un
air malicieux.
Max éclata de rire.
– On s’est promis, il y a quelques années, de partir faire le tour du
monde si jamais l’un de nous en avait assez du cinéma.
– Mais un tour du monde… plein d’aventures ! précisa Savannah.
Plongée aux Antilles…
– Héliski dans les Alpes, renchérit Max. Escalade au Népal, delta en
Nouvelle-Zélande…
– Waouh… Je peux venir ? demanda Jack.
À ce moment-là, ils entendirent des moteurs : un convoi de véhicules
grimpait vers le château.
– C’est la police… dit Max. Ou les journalistes qui nous traquent… Ou
les deux. Ils ont dû se rendre compte qu’ils pourchassaient Lauren !
– Comment partir d’ici ? s’affola soudain Savannah. On ne peut pas
prendre la route sans qu’ils nous voient… Et je refuse de descendre la
falaise en rappel ! Vous connaissez un autre moyen de s’échapper ?
20
La DeRNIÈRe
DISPaRiTioN

– O ui ! Max et Savannah peuvent emprunter le passage secret !


s’écria Jack.
Emily fit signe que non, même si, elle aussi, avait pensé à cette
solution. Ses amis et elle avaient découvert le tunnel qui menait du
château aux grottes du Vent-Huant pendant l’opération « trésor disparu ».
Sauf que l’entrée, située dans le bureau du conservateur, serait fermée à
double tour. Elle avait toutefois une autre idée…
– Vous pourriez partir de là-bas, suggéra-t-elle en désignant le cap
rocheux qui s’élevait plus loin.
Savannah écarquilla les yeux.
– Et comment on y va ?
– Par un chemin connu de très peu de gens, sauf ceux qui vivent ici
depuis toujours… Il coupe à travers la lande et arrive à la crique des
Pirates. Comme Max conduit un 4 x 4, ça ira !
– Et ensuite ? Il faut traverser la mer pour gagner la côte ! s’inquiéta
Jack.
– Je vais appeler Bob, notre ami pêcheur ! Il les emmènera en bateau,
et personne ne les repérera sur la route.
Emily savait qu’elle pouvait faire confiance au vieil homme. Il ne
parlerait à personne de cette mission ultra-secrète.
Les yeux brillants, Savannah se tourna vers Max :
– On y va ?
– On y va, dit Max.
Ils se levèrent d’un bond. Savannah extirpa une enveloppe de sa poche
et la tendit à Scott.
– J’ai écrit un mot pour expliquer à la police que je m’en vais de mon
plein gré. Je ne veux pas qu’ils perdent leur temps à me chercher de
nouveau. Mais… vous nous laissez une bonne marge d’avance avant de
les prévenir ?
– Aucun problème. Après tout, nous, on est des jeunes en vacances…
À mon avis, on ne donnera pas ce message à l’inspecteur Hassan avant
demain ! assura Scott en souriant d’un air entendu.
– Mais si vous partez, ça veut dire qu’il n’y aura plus de films avec
l’agent Diamant ! réalisa subitement Jack.
Savannah se mit à rire.
– Bien sûr que si. Notre Maya Diamant survivra à cette crise ! Elle est
hyper-forte ! Ils trouveront une autre actrice pour l’incarner, voilà…
Après tout, il y a bien eu sept James Bond différents. À moins que je n’en
tourne un de plus une fois que je me serai bien reposée !
– Il faut qu’on y aille, pressa Max.
Des voitures se garaient sur le parking non loin.
– Les jeunes, encore une fois, merci et bravo, ajouta-t-il. La brigade
des S.A.S. serait fière de vous…
Drift aboya.
– Et de toi aussi ! renchérit Savannah.
Max prit la jeune femme par le bras et l’emmena vers sa Jeep.
– Aïe ! s’écria-t-elle. C’est avec ce bras que je me suis accrochée à la
paroi…
– Oh, vous autres, les stars, qu’est-ce que vous êtes exigeants !
s’exclama Max sur le ton de la plaisanterie.
Et, en riant, ils s’engouffrèrent dans son véhicule tout-terrain. Max mit
le moteur en marche et ils firent de grands signes par la fenêtre pour leur
dire au revoir. Puis, évitant la route, ils se dirigèrent à vive allure vers la
lande sauvage. La Jeep semblait bondir sur les dénivelés et les talus
d’herbes sauvages.
– C’est le début de leur tour du monde plein d’aventures ! dit Jack,
rêveur.
– Eh oui… En tout cas, Bob les retrouvera au promontoire dans une
demi-heure, confirma Emily, qui venait d’appeler le vieux pêcheur.
– Tout est bien qui finit bien… commenta Scott.
– Presque ! Planquons-nous avant que les journalistes nous
aperçoivent, lança Emily. Suivez-moi !
Ils filèrent à travers un dédale de ruines, franchirent une voûte puis une
cavité dans l’épaisse muraille qui donnait sur une petite salle au pied de
la tour du château : leur quartier général secret pendant l’opération
« trésor disparu ». Emily s’affala par terre, sortit son carnet et commença
à écrire.
– Je déclare l’opération « star perdue » officiellement classée !
– Je me demande si on n’a pas résolu en même temps le mystère du
fantôme de minuit, dit Scott. Sid Golding a joué aux entremetteurs avec
Savannah et Brett DiBlanco… Il aurait aimé qu’ils forment un vrai
couple, mais ça n’a pas marché. Or tante Kate nous a raconté que Sarah
Goodwell était plus une marieuse qu’une sorcière, vous vous souvenez ?
À l’époque, beaucoup de mariages étaient arrangés à cause d’histoires
d’héritages, de terres et d’argent… Peut-être que Sarah Goodwell
organisait des rendez-vous secrets pour les filles qui devaient épouser
quelqu’un qu’elles n’aimaient pas, et qui se sauvaient avec leur vrai
amoureux ? Et ce sont les familles qui ont créé la légende du fantôme
pour expliquer la disparition mystérieuse de leurs filles !
Jack et Emily échangèrent un regard.
– Je ne sais pas si c’est la bonne explication, mais, en tout cas, ça se
tient, admit Emily.
– Bon, si on passait aux choses sérieuses ? intervint Jack. Moi, je
meurs de faim ! Un fish and chips chez Dotty, ça vous tente ?
– À mort ! s’exclama Scott.
Emily se précipita aussitôt vers l’ouverture dans le mur et la franchit
allègrement.
– Le dernier arrivé paie l’addition !
Puis elle partit en courant vers l’endroit où ils avaient laissé leurs
vélos…

Jack s’apprêtait à prendre sa bicyclette quand il se rendit compte que


Scott n’essayait pas de le rattraper. Bizarre !
– Tu ne fais pas la course ?
– En fait, je viens de me rappeler…
Et Scott sortit les deux billets de cinquante livres de sa poche ; ceux
que Savannah lui avait laissés.
– On ne peut pas les rendre à Savannah… À cette heure, elle doit être
loin, et bientôt, elle fera du saut à l’élastique du haut de l’Everest ! De
toute façon, je crois qu’elle serait contente qu’on dépense cet argent pour
se régaler. Mais pas que de frites…
Jack éclata de rire.
– Non, tu crois ? On peut aussi s’offrir des gaufres chocolat-
chantilly… et plein d’autres choses !
Scott jeta un coup d’œil en direction d’Emily qui descendait la colline
en pédalant à toute allure.
– On la prévient qu’on ne fait plus la course ?
– Il faudrait réussir à la rejoindre… Ou on l’appelle ?
– OK.
Tout en enfourchant son VTT, Scott tâta ses poches.
– Mais… où est mon téléphone ?
Malicieux, Jack le lui montra.
– Ah, ah, je te l’ai emprunté… Juste pour effacer les horribles photos
que tu as prises de moi. Hors de question que tu les envoies aux
copains…
– Rends-moi mon portable !
Scott bondit vers son frère pour récupérer l’appareil, mais il perdit
l’équilibre et tomba. En un éclair, Jack le photographia alors qu’il
mordait la poussière, sa roue de bicyclette contre la joue.
– Rends-le-moi !
– Attrape-moi d’abord !
Jack sauta sur son vélo et s’élança derrière Emily et Drift…
Table des matières
Le Mystère du fantôme de minuit
L'île de Castle Key - carte
Un hôte de marque
Le morse
Un manoir hanté
Rencontre avec une légende
Un parfum de mystère
Opération « star perdue »
De surprenantes révélations
Des questions… et encore des questions !
L’alerte
La chambre hantée
Le passage mystérieux
À la recherche d’indices
Minuit au manoir
une découverte surprenante
La conférence de presse
une autre disparition
Pas d’erreur pour Drift
Dans le vide
Batman et Robin
La dernière disparition
Table des matières

Page de copyright
Le Mystère de l'or disparu (extrait)
Un secret dans la cave

Dans la même collection


Helen Moss

ADVEnTURe iSlAnD
Le Mystère de l'or disparu

(Extrait)
Découvrez le chapitre 1
1

Un seCret DanS
La CavE

« Trouver une cachette, vite ! »


Jack dévala trois par trois les marches de l’escalier en colimaçon.
Le phare offrait plein d’endroits super pour se cacher. La dernière fois,
Emily s’était glissée au milieu d’un amas de grosses cordes, au septième
étage. Quant à Scott, il avait presque fallu appeler les pompiers pour le
retrouver derrière le mécanisme de la vieille horloge, située dans le
salon du phare. La cachette parfaite, il fallait bien l’admettre… Sauf que
Scott n’arrêtait pas de s’en vanter depuis ! Pour gagner, Jack devait
absolument trouver une meilleure idée.
Il s’arrêta au cinquième étage et jeta un coup d’œil à travers le hublot.
Un large faisceau de lumière déchira le ciel noir, balayant le paysage
comme un rayon laser. Des vagues grosses comme des camions venaient
s’abattre contre les falaises et le vent faisait frémir les carreaux. L’orage
grondait si fort que le père d’Emily avait dû allumer la lanterne du phare
en plein milieu de l’après-midi.
Mais Jack avait mieux à faire que de s’occuper du temps. Scott ne
tarderait plus à venir le chercher. Le connaissant, il ne s’était même pas
embêté à compter jusqu’à 100 ! Il avait dû attendre quelques secondes
avant de crier « 99 et 100 ! J’arrive… »
Mais où se cacher ?
Jack reprit sa course à travers les escaliers. Il passa les trois étages
qui abritaient les chambres, puis la cuisine au premier, et se retrouva
dans la salle commune au rez-de-chaussée. Les parents d’Emily Wild
avaient transformé la vieille bâtisse en maison d’hôtes, qu’ils avaient tout
naturellement baptisée Le Phare. Plusieurs clients étaient assis au salon,
en train de lire ou de s’amuser à des jeux de société. L’orage avait fait
sauter les plombs. M. Wild avait allumé des bougies et le vieux poêle à
bois pour éclairer la grande pièce circulaire. Les flammes vacillantes
venaient se refléter sur les tapis et les tentures. Dans un coin, des jumeaux
de six ans jouaient au Kapla avec leurs parents. Soudain, les planchettes
de bois s’écroulèrent et l’un des enfants se mit à hurler.
– C’est pas juste !
– Il a triché ! s’écria le second.
« Sauve qui peut ! » se dit Jack.
Les escaliers descendaient encore d’un étage jusqu’à la cave : une
sorte de grotte taillée profondément dans la roche. Jack s’était déjà caché
là-bas une fois, derrière un tas de vieux gilets de sauvetage. Mais cela
valait le coup d’essayer de nouveau ! Il prit la lampe de poche qui était
accrochée sur la porte et s’enfonça dans l’obscurité.
Il faisait frais en bas. L’odeur d’humidité lui rappela l’épisode des
Grottes du Vent-Huant, lorsqu’il avait dû nager sous l’eau pour échapper
à la marée montante. Un souvenir qu’il n’était pas prêt d’oublier ! C’était
peu de temps après que Scott et lui étaient arrivés chez tante Kate. Leur
père était parti en Afrique pour déterrer de vieilles poteries au beau
milieu d’une zone de guerre. Les deux frères avaient rencontré Emily
Wild dès leur premier jour à Castle Key. Ensemble, ils avaient découvert
un trésor saxon dissimulé dans les grottes et un passage secret menant au
château. Depuis, ils s’étaient aussi échappés d’un lieu hanté et avaient
secouru une star de cinéma en fuite. Ces vacances d’été n’avaient
décidément rien d’ordinaire ! Il faut dire que Castle Key n’était pas une
île comme les autres…
Jack promena la lumière de la lampe à travers la pièce. La cave était
remplie d’objets de toutes sortes : des caisses de vin, des grandes toiles
blanches pour les peintures de Mme Wild, un ensemble de clubs de golf
et une multitude de bibelots qui avaient l’air de sortir de la préhistoire.
« Papa pourrait faire des fouilles archéologiques ici ! se dit Jack. Si
seulement j’arrivais à pousser cette vieille malle, je pourrais me cacher
derrière. »
Mais la malle en question était étonnamment lourde.
« Je me demande ce qu’il y a à l’intérieur… Une collection
d’encyclopédies peut-être, ou des balles de bowling ! »
Il poussa plus fort et le coffre finit par bouger. Soudain, son orteil
heurta quelque chose de dur. Jack étouffa un juron et éclaira aussitôt le
sol ; le coupable n’était autre qu’un vieil anneau de fer rouillé. Intrigué, il
tira dessus d’un geste vif. Une trappe, ensevelie sous un tapis de
poussière, émergea du sol en pierre.
Bingo !
Scott et Emily ne le trouveraient jamais ici !
– Tu as gagné, on abandonne ! cria Emily.
Elle regarda Scott d’un œil inquiet.
– Tu ne crois pas qu’il serait assez fou pour se cacher dehors ?
– C’est possible ! répondit Scott avec un sourire. Tu connais Jack, il
serait capable de surfer au milieu d’un tsunami !
– C’est bien ce que je craignais… Et s’il avait été emporté par une
vague !
Emily se précipita vers la porte d’entrée et l’ouvrit.
– Jack, reviens !
– Fermez la porte ! s’écrièrent les clients en chœur, tandis qu’une
violente rafale de vent s’engouffrait dans le salon.
– Personne n’est sorti, affirma la mère d’Emily.
Elle jouait au Monopoly avec l’un de ses hôtes, un vendeur japonais du
nom de Tanaka. Le vent avait éparpillé tous les billets sur le tapis.
Emily soupira. Où Jack pouvait-il bien être ? Drift, son chien et fidèle
compagnon dans de nombreuses enquêtes, frotta son museau contre ses
genoux. Puis il tendit son oreille noire, et remua l’autre de haut en bas,
comme pour lui faire un signe. Emily comprit aussitôt qu’il lui désignait
la cave. Mais ils avaient déjà cherché là-bas une centaine de fois !
Bizarre, d’habitude Drift ne manquait pas de flair. L’électricité ambiante
avait peut-être court-circuité son instinct de chasseur. Dans le doute, elle
décida néanmoins de le suivre…
– C’est à toi de le dire, décréta Emily tandis qu’ils arpentaient de
nouveau la cave.
– Dire quoi ? demanda Scott.
– Que tu abandonnes, bien sûr ! Jack s’en fiche complètement que je le
retrouve, il veut gagner contre toi !
Scott grogna. Emily avait raison. Mais admettre la défaite face à son
petit frère était aussi humiliant que d’arriver au collège en chaussons ! Il
avala sa salive et se racla la gorge.
– C’est bon, j’abandonne… marmonna-t-il, les dents serrées. Tu peux
sortir maintenant.
– Quoi ? Je n’ai pas bien entendu ?
Scott se retourna d’un coup. La voix étouffée de Jack semblait toute
proche, mais où était-il ?
– J’abandonne ! répéta Scott, en prononçant légèrement plus fort cette
phrase tant redoutée.
Le visage souriant de Jack apparut comme par magie derrière le coffre.
Ses cheveux blonds étaient constellés de toiles d’araignée et la poussière
grise recouvrait ses joues.
– On avait pourtant regardé là-bas ! dit Emily, le souffle coupé.
– J’étais dans le trou juste en dessous, répondit Jack en s’étirant. Pas
très confortable !
– Quel trou ? demanda Emily.
– Celui qui est sous la trappe.
– Quelle trappe ?
Jack regarda son amie, les yeux ronds.
– Tu ne l’as jamais remarquée ?
Emily secoua la tête.
Jack se mit à sauter de joie à travers la pièce. C’était encore mieux que
ce qu’il imaginait. Non seulement il avait gagné la partie de cache-cache,
mais il avait découvert un endroit secret que même Emily ne connaissait
pas ! À eux trois, ils parvinrent à dégager le coffre du chemin.
– Incroyable ! s’exclama Emily.
Elle s’apprêtait à faire une inspection complète de la cachette, quand
elle remarqua un rouleau de papier dans la main de Jack.
– Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle.
– Aucune idée. Ça traînait par terre, au fond du trou.
Jack se dirigea vers une vieille table cassée et déroula la feuille.
– L’écriture a l’air ancienne…
Scott et Emily approchèrent leurs torches. Le papier jauni était
constellé de taches brunes, l’encre était à peine visible.
– C’est une lettre ! s’exclama Emily.
Elle glissa ses cheveux bouclés derrière les oreilles et se pencha sur
l’écriture à moitié effacée. Elle parvint à déchiffrer une date, en haut de
la page : 5 août 1902. Un frisson d’excitation la parcourut. La lettre avait
plus de cent ans !
La lampe à quelques centimètres du manuscrit, Emily se mit à lire :
« Cher capitaine John Macy,
Durant ces trois semaines où vous m’avez accueilli chez vous, après
m’avoir sauvé des griffes d’une mer déchaînée, j’ai appris à vous
considérer comme un ami loyal et sincère.
C’est pour cela que je vais vous révéler ici un secret d’une grande
importance. Avant tout, je dois vous avouer que je ne vous ai pas tout
dit à propos de cette nuit terrible, où L’Impératrice a sombré dans la
baie de Castle Key.
Ce soir-là, je suis parvenu à grimper dans un canot de sauvetage
avec mon second, Tommy Spring, et une certaine marchandise de
valeur. Pris au cœur de la tempête, nous dérivâmes vers les abords
rocheux d’un îlot désert. Incapable de prévoir le sort qui nous était
réservé, nous avons caché… »
– Caché quoi ? s’écria Jack d’un air désespéré. Il ne peut pas s’arrêter
en plein milieu d’une phrase. C’est trop cruel !
Les yeux marron d’Emily se mirent à briller.
– Je parie que c’était de la marchandise volée ! Du whisky ou des
armes…
Scott et Jack se regardèrent en riant. Emily voyait des contrebandiers
partout ! Si la lettre avait été une liste de courses, elle serait
probablement partie en quête d’un trafic de boîtes de conserve. Mais
cette fois-ci, leur amie pouvait bien avoir raison…
Page de copyright

ADVENTURE ISLAND
Le Mystère du fantôme de minuit

Titre original
The Mystery of the Midnight Ghost
© Helen Moss 2011
Carte, © Leo Hartas 2011
Publié pour la première fois en 2011
par Orion Children’s Books
Une division de Orion Publishing Group Ltd
(Orion House, 5 Upper St Martin’s Lane, London WC2H 9EA)

Illustration de couverture : Yann Tisseron


Direction : Guillaume Arnaud
Direction éditoriale : Sarah Malherbe
Édition : Raphaële Glaux, assistée d’Astrid d’Aviau de Ternay
Direction artistique : Élisabeth Hebert
Réalisation numérique : andaollenn, Gwenael Dage
© Fleurus, Paris, 2014.
Site : www.fleurus-numerique.com
ISBN papier : 9782215126041
ISBN numérique : 9782215129530
Dépôt légal : septembre 2014
Tous droits réservés pour tous pays.
« Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à
la jeunesse. »
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