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Revue française de science

politique

Phénomènes de Path Dependence et réformes des systèmes de


protection sociale
Monsieur Bruno Palier, Monsieur Giuliano Bonoli

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Palier Bruno, Bonoli Giuliano. Phénomènes de Path Dependence et réformes des systèmes de protection sociale. In: Revue
française de science politique, 49ᵉ année, n°3, 1999. pp. 399-420;

http://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1999_num_49_3_395383

Document généré le 18/12/2017


Résumé
Dans cette discussion critique du concept de path dependence, et plus particulièrement de son
application à l'étude des réformes des systèmes de protection sociale, il apparaît que les analyses des
changements de politiques sociales en termes de path dependence exagèrent les phénomènes de
stabilité politique et de persistance des arrangements institutionnels d'après guerre. Ces analyses ne
prennent pas en compte la possibilité de réformes innovatrices (ou path shifting). Celles-ci sont
caractérisées par des changements affectant les traits institutionnels qui déterminent un chemin de
dépendance, notamment les enjeux et les positions de pouvoir propres à un programme social
particulier. Plusieurs exemples français de changements de ce type sont analysés (développement de
la CSG, mise en place du RMI, dimension institutionnelle du plan Juppé). L'article se termine en
identifiant les différentes stratégies qui permettent de mettre en place ce type de réformes innovatrices.

Abstract
Path dependence phenomena and reforms of social protection systems
In this critical discussion of the concept of path dependence, and particularly of its applica-tion to the
study of welfare reforms, it appears that path dependence-based accounts of cur-rent social policy
change overemphasise policy stability and the persistence of post-war wel-fare arrangements, by
failing to appreciate the possibility of path shifting, innovative reforms. These occur when policy change
affects those institutional features which generate path dependence, especially the stakes and power
positions concerning particular social pro- grammes. Several French examples of such instances are
analysed (development of the CSG, implementation of the RMI, institutional dimensions of the Juppé
plan). The article concludes by identifying the various strategies that can be used to achieve such
innovative welfare reforms.
PHENOMENES DE PATHDEPENDENCE
ET RÉFORMES DES SYSTÈMES
DE PROTECTION SOCIALE

BRUNO PALIER, GIULIANO BONOLI

La plupart des analyses les plus récentes du changement en matière de politique


sociale mettent en évidence la persistance des structures héritées des Trente
Glorieuses. Les deux dernières décennies, marquées par des politiques de
réformes dans le domaine de la protection sociale n'auraient pas touché les
fondements des systèmes de protection sociale, qui restent dans une très large mesure
intacts, les réformes adoptées ne constituant que des ajustements '. Une version plus
sophistiquée de cette thèse met en évidence les phénomènes de path dependence dans
les changements de politiques publiques : les décisions prises au début d'une politique
canalisent les développements ultérieurs dans une certaine direction. Les réformes
sont toujours limitées et s'inscrivent dans les logiques établies. Ceci expliquerait la
persistance des systèmes de protection sociale dans les pays industrialisés.
La théorie de la path dependence semble très utile pour rendre compte de la
stabilité des États-providence. Cependant, il nous semble qu'en mettant l'accent sur cette
stabilité, elle tend à sous-estimer la portée de quelques changements qui ont été
adoptés à partir du début des années quatre- vingt dans la plupart des pays occidentaux.
Ces changements, bien que d'un impact immédiat limité, ont contribué à modifier des
éléments fondamentaux propres aux différents « chemins de dépendance » des
différents États providence. En particulier, certaines réformes peuvent être qualifiées de
path shifting, dans la mesure où elles ouvrent de nouvelles perspectives de réforme,
qui n'étaient pas disponibles auparavant.
Nous essayons de montrer que la théorie de la. path dependence est d'une utilité
limitée pour comprendre les changements structurels (ou changements de troisième
ordre, pour reprendre la notion de Peter Hall 2) en matière de politique sociale, et pro-

1. Cf. Rudolf Klein, « O'Goffe's Taie », dans C. Jones (éd.), New Perspectives on the
Welfare State in Europe, Londres, Routledge, 1993, p. 7-17 ; Ramesh Mishra, « Social Policy in the
Postmodern World », dans C. Jones (éd.), op. cit., p. 18-40 ; Paul Pierson, Dismantling the
Welfare State ? Reagan, Thatcher and The Politics of Retrenchment, Cambridge, Cambridge
University Press, 1994 ; Martin Rhodes, « Globalization and West European Welfare States »,
Journal of European Social Policy, 6 (4), 1996, p. 305-327.
2. Grâce à ses études de l'évolution des politiques économiques britanniques des années
soixante-dix et quatre-vingt, Peter Hall a récemment distingué trois formes de changement de
politiques publiques (cf. Peter A. Hall, Governing the Economy, New York, Oxford University
Press, 1986 ; Peter A. Hall, « Policy Paradigm, Social Learning and the State, the Case of
Economic Policy in Britain », Comparative Politics, avril 1993, p. 275-296). Pour lui, les politiques
publiques sont caractérisées par des buts, des instruments de politiques publiques et le niveau
ou le mode d'utilisation (settings) de ces instruments. Les changements de premier ordre que
Peter Hall distingue correspondent à la seule modification du niveau d'utilisation des
instruments (changement du taux de change, par exemple) ; les changements de deuxième ordre sont
marqués par l'introduction de nouveaux instruments de politiques publiques (nouveau système
de contrôle des dépenses publiques, par exemple) ; les changements de troisième ordre sont
caractérisés par un changement simultané des trois composantes des politiques publiques, leurs
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Revue française de science politique, vol. 49, n° 3, juin 1999, p. 399-420.
© 1999 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.
Bruno Palier, Giuliano Bonoli

bablement dans d'autres domaines aussi. Nous ne nions pas l'existence de contraintes
liées au chemin de dépendance, mais nous estimons que des gouvernements
réformateurs ont souvent été capables d'inventer des stratégies visant à contourner les
obstacles posés par les phénomènes de path dependence. Ce que ces stratégies ont en
commun, c'est qu'elles produisent leurs effets dans le moyen ou même le long terme,
ce qui les rend parfois peu visibles au départ. Cependant, après deux décennies de
réformes, l'implication de ces mesures devient de plus en plus claire.

LA NOTION DE PATH DEPENDENCE

La notion de path dependence vient de l'économie. Certains économistes partent


du constat que même si l'on connaît une solution plus efficace que la solution
actuellement retenue par une firme (en matière de technologie, de nouveau produit ou de
localisation par exemple), cette solution plus efficace n'est pas forcément adoptée.
Toutes les firmes d'un même secteur de production, toutes les économies ne
convergent pas. L'analyse du maintien du clavier de machine à écrire ou d'ordinateur
QWERTY dans le monde anglo-saxon, malgré l'élaboration d'un clavier mieux
adapté aux besoins, a permis de détailler les processus à l'origine de la. path
dependence.
En suivant Paul Pierson ', on peut identifier quatre mécanismes
d'auto-renforcement qui caractérisent les processus économiques générateurs de rendements
croissants {increasing returns) :
• Des coûts d'investissement ou d'installation importants (large set up or fixed
costs). Une innovation technologique ou institutionnelle nécessite souvent des
coûts d'investissement importants au départ, qui se trouvent rentabilisés à moyen
terme. Si ce sont les coûts initiaux qui constituent la proportion des dépenses la
plus importante, il y a de fortes chances de générer des rendements plus
importants en investissant toujours dans la même technologie plutôt que dans une
solution alternative, qui nécessiterait de nouvelles sommes d'investissement de départ
importantes. Ces processus incitent les firmes à n'identifier et ne retenir qu'une
seule solution ;
• Des effets d'apprentissage (learning effects). Le savoir et les savoir-faire acquis
dans des processus de production complexes conduisent aussi à des rendements
croissants si l'on garde la même solution pendant longtemps. Avec la répétition,
les individus apprennent à utiliser les mêmes produits plus efficacement, et leur
expérience va plutôt les inciter à introduire des innovations dans le même produit
qu'à en changer ;

buts, leurs instruments ou recettes et leurs usages (passage des politiques macroéconomiques key-
nésiennes aux politiques monétaristes). Peter Hall montre que les changements de troisième ordre
correspondent à de véritables changements de paradigme des politiques publiques, qu'il est
possible d'analyser à la façon dont Thomas Kuhn a étudié les révolutions scientifiques. Nous savons
qu'en France, François-Xavier Merrien et Yves Surel, notamment, proposent eux aussi d'analyser
les changements de politiques publiques sur le modèle des changements de paradigmes
scientifiques (cf. François-Xavier Merrien, « État et politiques sociales : contribution à une théorie "néo-
institutionnaliste" », Sociologie du travail, 3,1990 ; et Yves Surel, L'État et le livre. Les politiques
publiques du livre en France (1957-1993), Paris, L'Harmattan, 1997).
1. Paul Pierson, « Increasing Returns, Path Dependence and the Study of Politics », Jean
Monnet Chair Paper n° 44. Florence, Institut universitaire européen, Centre Robert-Schuman,
1997.
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Path dependence et protection sociale

• Des effets de coordination (coordination effects). Certains tirent des bénéfices


d'une technologie si d'autres adoptent les mêmes options. Une technologie
devient d'autant plus attractive que plus de personnes l'adoptent, ce qui attire
toujours plus d'usagers, et renforce encore l'avantage existant. Ces effets peuvent
encourager l'adoption d'une seule solution commune. Peu à peu, les personnes
souhaitant adopter une technologie alternative se trouvent amenées à adopter la
même que les autres, par effets des contraintes de coordination, pour rester
« compatible » ;
• Des comportements d'adaptation par anticipation (adaptative expectations).
Les firmes doivent savoir « choisir le bon cheval » ; investir dans une technologie
qui ne sera pas retenue par les autres risque d'être très coûteux à l'usage, du fait
des contraintes de coordination, notamment. Les projections à propos des usages
communs futurs incitent les individus à s'adapter par anticipation et ainsi à rendre
ces adaptations auto-réalisatrices. Là encore, ces processus conduisent à choisir
et à garder une même option.
Douglass C. North a montré l'importance de ces analyses pour comprendre les
'

processus d'émergence et de changement des institutions. Pour cet auteur, ce


phénomène de « dépendance au sentier 2 » tient moins aux technologies elles-mêmes qu'au
comportement des individus au sein des institutions. Ces analyses expliquent pourquoi
les institutions sont stables, résistent au changement. Changer signifierait perdre
l'amortissement et les rendements croissants des investissements de départ, et devoir
investir à nouveau ; il faudrait aussi reprendre les processus d'apprentissage ; ce serait
risquer de ne plus être coordonné avec les autres institutions : il faudrait enfin changer
d'anticipation, être capable de prévoir les nouveaux comportements adaptés.
Paul Pierson reprend ces analyses pour montrer que « les choix initiaux en
matière de design institutionnel ont des implications de long terme en matière de
performance économique et politique. 3 » L'intérêt de ses travaux est, d'une part, de
montrer que ces mécanismes sont peut-être encore plus courants en politique que dans les
domaines économiques, et, d'autre part, de tenter une synthèse systématique des effets
de policy feedback sur lesquels les approches néo-institutionnalistes ont toujours mis
l'accent depuis James March et Hugh Heclo. L'analyse de ces phénomènes est
particulièrement importante pour comprendre les enjeux politiques des réformes du
système français de Sécurité sociale.
Pierson 4 rappelle que trois processus politiques principaux sont caractérisés par
des phénomènes de « rendements croissants » - increasing returns. Nous rappellerons
comment ces trois processus peuvent se concrétiser dans le cas français.
Les processus d'action collective, qui sont structurés par les « problèmes de l'action
collective » analysés par Oison 5. La mobilisation d'un individu dépend beaucoup de
l'action des autres. La coordination de l'activité de nombreuses personnes est un des
enjeux principaux de la vie politique. Dès lors, Pierson conclut à l'importance des
contraintes de coordination et d'anticipation adaptative en matière d'action collective.
1 Douglass C. North, Institutions, Institutional Change and Economie Performance ,
.

Cambridge, Cambridge University Press, 1990.


2. Il s'agit de la traduction de path dependence par certains économistes en France.
3. Paul Pierson, « When Effects Become Cause. Policy Feedback and Political Change »,
World Politics, 45 (4), juillet 1993, p. 608. C'est nous qui traduisons.
4. Paul Pierson, « Increasing Returns, Path Dependence and the Study of Politics », art.
cité, p. 24-30.
5. Mancur Olson, The Rise and Decline of Nations, New Haven, Yale University Press,
1981.
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Bruno Palier, Giuliano Bonoli

Ces mécanismes de « rendement croissant » en matière d' action collective sont


très importants dans le domaine de la Sécurité sociale en France. Il suffit pour s'en
rendre compte de comparer le nombre et la fréquence des mobilisations de défense de
la Sécurité sociale déclenchées par les syndicats de salariés ou de médecins, dont les
manifestations sont devenues des réactions quasiment institutionnalisées aux
propositions de réformes, et les difficultés à mobiliser pour défendre de nouveaux
arrangements de la part de partis politiques ou de syndicats proposant des réformes ' .
Les processus cognitifs d'interprétation et de légitimation collective des enjeux et
de la vie politique, qui sont sujet à des effets d'auto-renforcement. Le développement
et la diffusion d'interprétations sociales et politiques communes impliquent des coûts
d'investissement et d'apprentissage élevés. Les représentations sont partagées avec
les autres acteurs sociaux d'une façon qui engendre des effets de coordination
(nécessité de partager des analyses et un langage communs) et d' adaptation par anticipation
au point de vue des autres. Une fois établies, les conceptions politiques de base sont
généralement tenaces et favorisent la continuité contre les changements 2. Cet aspect
des processus politiques ne concerne pas que les représentations des élites et des
experts, il touche aussi l'ensemble de la population. Il implique que les
gouvernements doivent d'abord chercher à changer les points de vue avant de changer de
politiques publiques ou d'institutions de protection sociale 3.
Les processus de développement institutionnels, qui subissent les contraintes posées
par les règles choisies précédemment. Les politiques publiques passées et les institutions
structurent les incitations et les ressources présentes. Avec le temps, il devient de plus en
plus coûteux (voire impossible) de ne pas respecter les règles et les normes posées par les
choix politiques précédents {exit option), de chercher à revenir sur les options
institutionnelles passées. Créer de nouvelles institutions alternatives engendrerait des coûts élevés
en matière d'investissement (d'attention et de capital politique) de départ,
d'apprentissage, de coordination et d'anticipation. C'est pourquoi il semble le plus souvent
préférable d'adapter les institutions existantes plutôt que de les remplacer par de nouvelles.
Nous pouvons ici reprendre un exemple donné par P. Pierson, qui correspond
aussi au cas français. Le système de retraite par répartition 4 semble inadapté dans une
situation de chômage massif et de baisse de la natalité, d'une part (deux facteurs
impliquant une baisse des rentrées de cotisations sociales), d'allongement de la durée de vie
et de départ en retraite de la génération du baby boom, d'autre part (facteurs
d'augmentation des dépenses de retraite). L'alternative qui consisterait à remplacer le
système par répartition par un système de retraite par capitalisation semble aujourd'hui
impossible, notamment parce qu'elle obligerait la population active actuelle à cotiser
deux fois, l'une pour payer les pensions des retraités actuels, l'autre pour épargner les
fonds de sa propre retraite future. Dès lors, les systèmes de retraite par répartition ne
sont pas remplacés par un autre système, mais peu à peu adaptés par des changements
successifs du mode de calcul des cotisations et du montant des pensions ; et ceci même
aux États-Unis, où Ronald Reagan fut l'un des plus fervents partisans du système par
capitalisation, sans parvenir à le mettre en place 5. En France, l'idée de remplacer inté-
1. Cf., par exemple, Bruno Palier, « La baleine et les sages », cité ; et Patrick Hassenteufel,
Les médecins face à l'État, Paris, Presses de Sciences Po, 1997.
2. Paul Pierson, « Increasing Returns, Path Dependence and the Study of Politics », art.
cité, p. 29.
3. Cf. Bruno Palier, « La baleine et les sages », mémoire cité.
4. Les actifs d'aujourd'hui paient pour financer les pensions des retraités actuels.
5. Paul Pierson, « When Effects Become Cause. . . », art. cité, p. 609.

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Path dependence et protection sociale

gralement le système par répartition par un système par capitalisation a été


définitivement abandonnée au milieu des années quatre-vingt.
L'ensemble de ces mécanismes favorise donc les effets d" auto-renforcement et de
« rendements croissants » qui impliquent une grande continuité linéaire des processus
politiques et institutionnels ainsi que d'importants obstacles aux changements. Nous
avons rappelé certains indices qui montrent que, comme pour les autres pays, le cas
français est marqué par ces mécanismes politiques et institutionnels qui contraignent
l'évolution du système de protection sociale à rester dans le chemin emprunté depuis
plus d'un siècle et surtout depuis 1945. Le domaine de la protection sociale combine
les trois types de processus politiques « à rendements croissants » : il suscite
désormais facilement d'importantes mobilisations collectives pour sa défense, ses
mécanismes sont forts d'une très grande légitimité et de représentations collectives
positives et bien implantées ', et ses institutions engagent des transferts financiers et des
intérêts catégoriels d'une ampleur difficile à remettre en cause.
En outre, deux autres facteurs politiques bien connus viennent renforcer ces
tendances à la pérennité. P. Pierson rappelle d'une part que les institutions sont souvent
configurées de manière à être difficiles à changer, notamment afin de résister aux
alternances politiques, aux incertitudes politiques de l'avenir. Un des facteurs de la
continuité des voies empruntées est la rigidité des institutions elles-mêmes, leur
stickiness 2. D'autre part. Pierson rappelle que l'horizon politique d'un élu est le plus
souvent de court terme, structuré par l'agenda électoral, ce qui lui fera quasiment
toujours choisir la solution la moins coûteuse politiquement dans l'immédiat. Dans la
mesure où une solution nouvelle présente le plus souvent des coûts immédiats (de
mise en place et d'apprentissage) pour des bénéfices à long terme, elle sera repoussée
par un homme politique.
L'accumulation de ces phénomènes explique la clôture des chemins de
dépendance. « Les politiques publiques créent des incitations qui encouragent les individus
à agir de telles façons que les politiques suivantes se trouvent par la suite enfermées
sur une voie particulière de développement » \ Ces effets de policy lock-in sont
particulièrement importants dans le domaine de la protection sociale. Ils rendent
principalement compte de la permanence des arrangements institutionnels élaborés à la fin du
19e siècle et après-guerre, ainsi que des difficultés actuelles à les remettre en cause 4.

1. Les Français sont très « attachés » à leur sécurité sociale, cf. Daniel Gaxie (dir.). Le
« social » transfiguré, Paris. PUF/CURAPP, 1990 ; et Jean-Daniel Reynaud, Antoinette
Catrice-Lorey, Les assurés et la sécurité sociale, Étude sur les assurés du régime général en
195S, Paris, Association pour l'histoire de la sécurité sociale, 1998.
2. Il faut ici entendre rigidité institutionnelle au sens où le droit constitutionnel différencie
entre constitution souple (que l'on peut réviser par une loi ordinaire) et rigide (dont la
modification nécessite une procédure spécifique et complexe, visant à décourager de trop nombreuses
révisions).
3. Paul Pierson, « When Effects Become Cause... », art. cité, p. 606. C'est nous qui
traduisons.
4. Paul Pierson. Dismantling the Welfare Stare ? Reagan, Thatcher and The Politics of
Retrenchment, Cambridge, Cambridge University Press. 1994.
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LA PATH DEPENDENCE
DANS LE DOMAINE DES POLITIQUES SOCIALES

Les analyses qui mettent en évidence les phénomènes de path dependence nous
incitent à reconnaître la primauté des variables politico-institutionnelles, le poids de la
policy legacy dans l'explication des évolutions des politiques et des institutions de
protection sociale. Après un siècle d'accumulation de politiques sociales, tout
problème social se trouve aujourd'hui enchâssé dans un ensemble complexe
d'institutions et de politiques publiques héritées du passé. Dès lors, le schéma de l'action
publique dans le domaine de la protection sociale correspondra moins à un schéma
séquentiel classique de l'analyse des politiques publiques, où le problème social
émerge d'abord au niveau societal avant d'être pris en charge au niveau politique, qu'à
celui de l'adaptation incrémentale des politiques publiques, à leur modification à la
marge, le tout dans un environnement marqué par la problématique (et la rhétorique)
de la réforme.
Aujourd'hui, toute politique sociale « nouvelle » se définit en référence (positive
ou négative) à un ensemble de politiques passées ; les problèmes sociaux sont
immédiatement interprétés en termes de politiques inadaptées qu'il convient de réformer,
alors même que le poids des institutions et des politiques passées contraint les
réorientations présentes des politiques publiques. Nous touchons ici l'aporie des politiques
récentes de protection sociale et de leur analyse : il s'agit de changer un système
institutionnel dont l'ancrage historique et les caractéristiques héritées semblent empêcher
le changement. Comment penser les transformations des systèmes de protection
sociale si les mécanismes d'auto-renforcement et de path dependence impliquent
continuité et permanence ?
La seule explication possible du changement paraît alors venir de l'impact des
chocs exogènes, ce qui nous ramène à des variables économiques et/ou sociétales
mises en avant par deux approches plus anciennes dans les modèles d'explication des
évolutions des systèmes de protection sociale '. Les enjeux actuels des réformes du
système de protection sociale français ne peuvent être compris sans faire référence aux
1. Nous faisons ici référence aux premiers travaux comparatifs où l'analyse se concentrait
sur l'augmentation des dépenses sociales et les expliquaient par les phénomènes
d'industrialisation et de modernisation (cf. Harold L. Wilensky, The Welfare State and Equality. Structural
and Ideological Roots of Public Expenditure, Berkeley, University of California Press, 1975 ;
Peter Flora, Arnold J. Heidenheimer (eds), The Development of Welfare States in Europe and
in America, Londres, New Brunswick, Transaction Book, 1981 ; Peter Flora (dir.), Growth to
Limits. The European Welfare States since World War II, Berlin-New York, De Gruyter, 4 vol.,
1986-1993) et aux travaux (surtout Scandinaves) qui insistent sur le rôle des formes sociétales
et des luttes du mouvement ouvrier pour expliquer le développement des politiques sociales (cf.
Walter Korpi, The Democratic Class Struggle, Londres, Routledge, 1983 ; Walter Korpi,
« Power Resources Approach Versus Action and Conflict. On Causal and Intentional
Explanations in the Study of Power. », Sociological Theory, 3 (2), 1985, p. 31-45 ; Walter Korpi,
« Power, Politics and State Autonomy in the Development of Social Citizenship. Social Rights
During Sickness in Eighteen OECD Countries since 1930 », American Sociological Review, 54
(3), juin 1989, p. 309-328 ; Walter Korpi, « Un État-providence fragmenté et contesté. Le
développement de la citoyenneté sociale en France », Revue française de science politique, « La
protection sociale en perspective », 45 (4), août 1995, p. 632-667 ; John Myles, Old Age in the
Welfare State. The Political Economy of Pensions, Boston, Little Brown, 1984 ; G0sta Esping-
Andersen, Politics Against Markets. The Social Democratic Road to Power, Princeton,
Princeton University Press, 1985 ; G0sta Esping- Andersen, The Three Worlds of Welfare
Capitalism, Cambridge, Polity Press, 1990).
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Path dependence et protection sociale

transformations de l'environnement économique et social de celui-ci (ouverture des


économies, période de récession prolongée, chômage de masse ; intégration
européenne ; modification des structures démographiques : allongement de la durée
de vie, modification des structures familiales). Les enjeux politiques de ces réformes
ne peuvent pas être saisis sans références aux forces sociétales enjeux (transformation
de la stratification sociale, faiblesse ou force des divers groupes d'intérêts et des
organisations sociales et politiques). Afin de tester l'influence de ces diverses variables
susceptibles d'expliquer les évolutions (variables socio-économiques, sociopolitiques
ou institutionnelles), nous allons passer en revue les principaux changements
intervenus dans les différents systèmes de protection sociale européens.

DE LA PATH DEPENDENCE AUX PATH DEPENDENT CHANGES

Si les difficultés générales (économiques, démographiques) rencontrées par les


différents systèmes de protection sociale sont similaires, les traductions
institutionnelles des problèmes sont souvent liées aux spécificités institutionnelles des différents
régimes de protection sociale. Les configurations institutionnelles « jouent un rôle
dans la formation des problèmes et dans la recherche de solutions aux crises des
politiques publiques » '. Ainsi, les enjeux des réformes à mettre en œuvre et les problèmes
inscrits sur les agendas des politiques publiques varient selon les régimes. Les
comparaisons confirment que, face aux difficultés relativement similaires que rencontrent les
différents pays européens, la construction des problèmes et les solutions apportées
varient considérablement d'un pays à l'autre.
Ainsi, à côté des politiques de retrenchment communes aux différents pays
européens :. d'autres politiques ont été mises en œuvre, qui sont spécifiques à chacun des
différents régimes de protection sociale : on y retrouve les techniques propres aux
différents systèmes, ainsi que les principes sur lesquels ils reposent \ Nous reprendrons ici les
trajectoires suivies par les trois principaux régimes de protection sociale européens.
En Grande Bretagne, pour les gouvernements conservateurs de Margaret
Thatcher et de John Major, les enjeux principaux ont été doubles : réduire les coûts du
Welfare State pour réduire les déficits publics, accroître l'efficacité du système,
notamment réduire les files d'attente dans le service national de santé et diminuer les
désincitations au travail engendrées par les prestations sociales. Les politiques mises
en œuvre visaient à se conformer aux pressions engendrées par l'internationalisation
de l'économie en développant le rôle du marché dans la protection sociale, les
politiques de ciblage des prestations pour les plus démunis et les plus méritants, et une flexi-
bilisation croissante du marché du travail. L'ensemble de ces politiques n'a fait que
renforcer la dimension libérale et résiduelle du système de protection sociale 4.
l.Maurizio Ferrera, «Modèles de solidarité, divergences, convergences : perspectives
pour l'Europe », Revue suisse de science politique, 2(1). 1996. p. 58.
2. Cf. Vie George, Peter Taylor-Gooby, European Welfare Policy. Squaring the Welfare
Circle, Londres, Macmillan, 1996.
3. Cf. Bruno Palier, « Les transformations des systèmes de protection sociale en Europe,
une perspective institutionnelle comparée », Pouvoirs, 82, 1997, p. 147-166.
4. Cf . . par exemple, MIRE, Comparer les systèmes de protection sociale en Europe, vol. 1 .
Rencontres franco-britanniques, Rencontres d'Oxford, Paris, Mire, 1995 : Francis G. Castles,
Chistopher Pierson, « A New Convergence ? Recent Policy Developments in the United
Kingdom, Australia and New Zealand », Policy and Politics, 24 (3), 1996, p. 233-245.
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Bruno Palier, Giuliano Bonoli

Les pays Scandinaves, petits pays qui se sont très tôt ouverts à la concurrence
économique, ont été particulièrement touchés par les changements de l'environnement
économique international. Ils ont connu dans les années quatre- vingt à quatre-vingt-
dix de fortes hausses du chômage et des taux d'intérêt. Les enjeux pour ces pays
étaient formulés en termes de maintien du plein emploi, puis de réduction des
dépenses de l'État providence. Dans ces pays ont d'abord été mises en place des
politiques qui visaient à maintenir le plein emploi avec des politiques actives où l'État
intervenait comme employeur de premier ressort : extension des congés sabbatiques,
développement des services publics, augmentation des impôts. Mais plus récemment,
au cours des années quatre-vingt-dix, devant les coûts engendrés par
l'internationalisation de leur économie et par les politiques sociales de plein emploi, de nouvelles
politiques ont été envisagées, visant à privatiser, décentraliser et « débureaucratiser »
certains services, notamment en Suède. Ces nouvelles politiques accompagnaient des
politiques de retrait comme la restriction des critères d'éligibilité pour l'accès aux
prestations ou la réduction du niveau des prestations et des services. Au total
cependant, nombre d'analystes tablent sur une certaine stabilité du régime Scandinave, en
particulier du fait de la légitimité politique de ce modèle, fortement ancrée dans les
populations qui le soutiennent et ne souhaitent pas le voir changer '.
Dans les régimes continentaux de protection sociale (Europe du Sud comprise), les
deux problèmes principaux touchent, d'une part, le poids supposé des cotisations sociales
sur le coût du travail (illustré par l'expression française de « charges sociales », qui
semblent grever la compétitivité des entreprises et empêcher les embauches), et, d'autre
part, les limites de la couverture sociale restreintes aux assurés sociaux, qui renforcent les
processus d'exclusion : dans un système d'assurances sociales fondées sur le travail,
l'exclusion du marché du travail se trouve redoublée par une exclusion du système de protection
sociale 2. Ces deux types de problèmes sont induits par les caractéristiques institutionnelles
du régime de protection sociale « conservateur-corporatiste 3 ». Les changements qui ont
été introduits semblent eux aussi être dépendants de cette « empreinte des origines » 4.
Les changements principaux restent en effet inscrits dans les logiques du système.
Les réformes des retraites, en France comme en Allemagne, ont impliqué un
changement du mode de calcul des pensions mais pas un changement de structure du
système 5. De même, les mesures de maîtrise des dépenses de santé sont restées ins-
1. Cf. MIRE, Comparer les systèmes de protection sociale en Europe du Nord et en
France, vol. 4. Rencontres de Copenhague, Paris, Mire (1999, à paraître) ; John D. Stephens,
« The Scandinavian Welfare States : Achievements, Crisis and Prospects », dans G0sta Esping-
Andersen (éd.), Welfare States in Transition, National Adaptations in Global Economies,
Londres, Sage, 1996, p. 32-65 ; et Jochen Clasen, Arthur Gould, « Stability and Change in
Welfare States : Germany and Sweden in the 1990's », Policy and Politics, 23 (3), 1995, p. 189-201.
2. Cf. MIRE, Comparer les systèmes de protection sociale en Europe, vol. 2. Rencontres
franco-allemandes, Rencontres de Berlin, Paris, Mire, 1996 ; et MIRE, Comparaison des
systèmes de protection sociale en Europe du Sud, vol. 3. Rencontres de Florence, Paris, Mire,
1997.
3. Cf. G0sta Esping- Andersen, The Three Worlds of Welfare Capitalism, op. cit.
4. François-Xavier Merrien, « États-providence : l'empreinte des origines », Revue
française des affaires sociales, 3, juillet-septembrel990, p. 43-56.
5. Allongement de l'âge de départ à la retraite en Allemagne, augmentation du nombre
d'années de cotisation nécessaires pour obtenir une pension complète et allongement des années
de référence pour calculer le revenu de remplacement dans les deux pays (cf. Giuliano Bonoli,
« Pension Politics in France : Patterns of Cooperation And Conflict in Two Recent Reforms »,
West European Politics, 20 (4), 1997, p. 160-181 et Giuliano Bonoli, The Politics of Pension
Reform in Western Europe, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, à paraître).
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Path dependence et protection sociale

crites dans le cadre des institutions de l'assurance maladie, en France comme en


Allemagne '. Enfin. l'Allemagne a fait la preuve de la confiance qu'elle place dans sa
façon de faire de la protection sociale en créant une nouvelle assurance sociale pour
les soins de longue durée qui fonctionne selon des modalités proches de celles des
autres branches de son système.

RIEN NE CHANGE ?

Les recherches comparatives disponibles montrent donc qu'il est difficile


aujourd'hui de parler de changements profonds des différents systèmes de protection
sociale : chacun a continué de suivre son propre chemin. Dans leur ensemble, les
conclusions des différentes recherches comparatives menées jusqu'à présent depuis le
début des années quatre-vingt-dix se recoupent sur deux points : d'une part la crise et
les changements économiques, la mondialisation ont in fine entraîné une expansion
des États-providence bien plus que leur réduction, par un effet de nécessaire
compensation des difficultés engendrées par les adaptations des systèmes de production
nationaux ; d'autre part, les réformes des États-providence introduites dans les années
quatre-vingt-dix n'ont été que marginales 2.
Il n'y a pas eu de diminution massive des dépenses sociales, aucun système n'a
apparemment vu ses principes, sa logique de fonctionnement radicalement
transformée. Les changements, qui, somme toute, n'auraient pas été si importants, se sont
en tout cas inscrits dans la continuité de chacun des différents régimes de protection
sociale. Les chercheurs néo-institutionnalistes sont les premiers à nous assurer que
malgré les années de crise et de remise en cause, et malgré la tourmente libérale, les
États-providence ont tenu bon, maintenus en place par la solidité de leurs racines :
Douglas E. Ashford affirme ainsi « Qu'on admire ou qu'on méprise la complexité
des Etats-providence, un de leurs traits les plus troublants paraît être leur
incapacité à changer de direction, de priorité ou de procédure. . . La structure
fondamentale des systèmes de protection sociale de chaque pays est solidement implantée
et ne semble pas devoir disparaître. Au contraire, même les plus fervents critiques
d'une générosité excessive et des fraudes auxquelles donnent lieu les
programmes sociaux. Ronald Reagan et Margaret Thatcher, n'ont guère eu d'autre
choix que de maintenir les principaux programmes sociaux. 3 »
À propos de la Grande-Bretagne et des États-Unis, P. Pierson montre que : « Le
succès des attaques directes contre les programmes sociaux a généralement été
limité. Malgré des fluctuations qui faisaient largement écho aux cycles
économiques, les dépenses sociales ont conservé leur pourcentage de la production éco-
1. Patrick Hassenteufel, « Les réformes des systèmes de protection maladie entre
libéralisation et étatisation : une comparaison européenne (Allemagne, France, Grande-Bretagne) ».
Revue internationale de politique comparée, 5 (2), été 1998, p. 315-341 .
2. Cf. Rudolf Klein. « 0"Goffe's taie », dans C. Jones (éd.), New Perspectives on the
Welfare State in Europe, op. cit., p. 7-17 ; Ramesh Mishra, «Social Policy in the Postmodern
World », dans C. Jones (éd.). ibid., p. 18-40 ; Paul Pierson, Dismantling the Welfare State ?
Reagan, Thatcher and The Politics of Retrenchment, Cambridge, Cambridge University Press,
1994 ; Martin Rhodes, « Globalization and West European Welfare States », Journal of
European Social Policy, 6 (4), 1996, p. 305-327 ; et G0sta Esping-Andersen (éd.), Welfare States in
Transition. . . . op. cit.
3. Douglas E. Ashford, « L' État-providence à travers l'étude comparative des
institutions ». Revue française de science politique, 39 (3), 1989. p. 286 et 289.
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Bruno Palier, Giuliano Bonoli

nomique dans les deux pays... Les changements des États-providence eux-
mêmes ont dans la plupart des cas été moins significatifs que les importantes
continuités dans les politiques publiques... Comparés aux réformes mises en
œuvre dans d'autres domaines (politiques macroéconomiques, relations
professionnelles, politiques réglementaires et industrielles par exemple), les États
providence apparaissent comme des îlots de stabilité... Toute tentative de
compréhension politique des politiques de réduction de l' État-providence doit partir du
constat que les politiques sociales demeurent la composante la plus résistante de
l'ordre de l'après-guerre. ' »
François-Xavier Merrien en conclut que « les dirigeants politiques et les élites
sociales continuent à sélectionner les problèmes et à adopter des stratégies en
continuité avec leur héritage et leur culture institutionnalisés... Dans les
différents pays, il est inimaginable de remettre en cause certaines institutions ou
certaines pratiques sociales qui touchent au cœur de la culture nationale. . . Dans un
pays comme la France, on ne peut davantage toucher aux droits des travailleurs
que remettre en cause l'idée de solidarité universelle ; seule une adaptation
financière est immédiatement possible. 2 »
Cependant, une analyse précise des évolutions dans plusieurs pays européens,
notamment la France et le Royaume-Uni, nous semble contredire ces affirmations.
Souvent, derrière une stabilité de surface, des changements fondamentaux ont été
adoptés 3. Souvent ce type de changement ne comporte pas des modifications directes
des paramètres qui définissent un programme de protection sociale, mais a pour effet
un changement des rapports de pouvoir entre les différents acteurs et groupes d'intérêt
qui gravitent autour d'un programme donné. Le volet « assurance-maladie » du plan
Juppé, par exemple, en réduisant l'influence que les partenaires sociaux peuvent
exercer dans la gestion du système, constitue un exemple de réforme ayant un impact
sur les équilibres de pouvoir autour d'un programme donné 4. Même si sur le plan
pratique cela n'affecte pas la distribution de biens et services réalisée par ce programme,
cette réforme ouvre des nouvelles opportunités de changement pour l'avenir.
En général, cependant, la plupart des efforts visant à théoriser le changement en
matière de politique sociale, a tendance à mettre en évidence la stabilité et la
persistance des arrangements en place. Nous touchons ici les limites d'approches qui
aujourd'hui cherchent peut-être plus à prouver leur validité qu'à analyser les
évolutions concrètes. Les travaux qui dominent actuellement les recherches comparatives
sur les évolutions récentes des systèmes de protection sociale combinent
comparaisons institutionnelles, approches en termes de régimes de protection sociale et
approches néo-institutionnelles.
Les recherches qui analysent les évolutions des systèmes de protection sociale
dans le cadre défini par les typologies des régimes de protection sociale 5 sont souvent
incapables d'analyser les changements de logiques, les recompositions introduites par
1. Paul Pierson, Dismantling the Welfare State ?..., op. cit., p. 4-5. C'est nous qui
traduisons.
2. François-Xavier Merrien, L' État-providence, Paris, PUF, 1997 (coll. « Que sais-je ? »),
p. 126.
3. Giuliano Bonoli, Bruno Palier, « Changing the Politics of Social Programmes.
Innovative Change in British and French Welfare Reforms », Journal of European Social Policy, 8 (4),
novembre 1998, p. 317-330.
4. Patrick Hassenteufel, « Le "plan Juppé" : fin ou renouveau d'une régulation paritaire
de l'assurance maladie ? », Revue de VIRES, « Le paritarisme, institutions et acteurs », numéro
spécial, printemps-été 1997, p. 175-189.
5. Cf., par exemple, G0sta Esping- Andersen (éd.), Welfare States in Transition..., op. cit.

Path dependence et protection sociale

certaines réformes '. Ceci peut être lié aux caractéristiques des approches
typologiques, qui constituent plus une photographie à un moment donné qu'une tentative de
retracer les dynamiques d'évolutions. Cette photographie commence en outre à être
datée, dans la mesure où la plupart des typologies dont nous disposons aujourd'hui
tirent leurs données des années cinquante à quatre- vingt, période de « l'âge d'or » de
la protection sociale 2. Les typologies, en mettant en exergue les caractéristiques de
chaque régime, soulignent les facteurs de stabilité, de reproduction des systèmes bien
plus que de leur dynamique. Ces travaux se soucient bien plus de savoir comment
évolue un régime de protection sociale per se, si les critères de différenciation qui
fondent les typologies sont toujours valides, que de connaître les évolutions concrètes des
systèmes eux-mêmes.
Ainsi, G. Esping- Andersen pose que la situation présente de tous les systèmes de
protection sociale continentaux sont similaires, et qu'ils sont marqués par un
« fordisme figé » (frozen fordism). Il lui semble que le régime continental de
protection sociale est celui qui est le moins capable de s'adapter aux conditions nouvelles
entraînées par la globalisation économique, le vieillissement de la population et
l'instabilité des structures familiales. Ce sont les caractéristiques du régime conservateur-
corporatiste de protection sociale qui expliquent leur situation. Les pays continentaux
ont fait le choix du chômage, de l'exclusion des jeunes et des plus âgés du marché du
travail pour protéger les formes traditionnelles d'emploi et les niveaux relativement
hauts de salaire et de protection qui leur sont associés 3. Dès lors, les réformes et les
adaptations s'avèrent très difficiles dans ces pays, voir même impossibles.
Si le diagnostic des problèmes actuels est convaincant 4, l'analyse des évolutions
concrètes qui « indifférencie » les cas de la France, de l'Italie ou de l'Allemagne est
plus problématique. Divers travaux récents, fondés sur la comparaison de
monographies détaillées, soulignent la divergence des évolutions récentes des systèmes
nationaux de protection sociale allemands, français et italiens. Les travaux dirigés par
Bruno Jobert 5 suggèrent ainsi que la France et l'Allemagne connaissent des
évolutions contrastées. Les réformes françaises introduisent peu à peu de nouvelles logiques
dans le système 6 alors que les Allemands réaffirment et cherchent à reproduire leur
modèle de protection sociale 7. Ces différences d'évolution ont largement été
soulignées au cours de rencontres franco-allemandes portant sur la comparaison des deux
systèmes de protection sociale 8. Dans sa présentation des travaux comparatifs portant
1. Pour une première argumentation en ce sens, cf. Peter Taylor-Gooby, « Eurosclerosis in
European Welfare States. Regime Theory and the Dynamics of Change », Policy and Politics,
24 (2), 1996, p. 109-123.
2. La plupart des données de The Three Worlds of Welfare Capitalism de G. Esping-
Andersen ne dépassent pas 1981.
3. Cf. G0sta Esping- Andersen, « Welfare States without Work. The Impasses of Labour
Shedding and Familialism in Continental European Social Policy », dans G0sta Esping-
Andersen (éd.), Welfare States in Transition..., op. cit., p. 66-87. Ce texte est paru en français
dans MIRE, Comparaison des systèmes de protection sociale en Europe du Sud, vol. 3.
Rencontres de Florence, op. cit, p. 429-458.
4. Cf. G0sta Esping- Andersen (éd.), Welfare States in Transition..., op. cit., p. 440-445.
5. Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, Paris, L'Harmattan, 1994.
6. Cf. « Les avatars de la solidarité », dans Bruno Jobert, Bruno Théret, « La consécration
républicaine du néo-libéralisme », dans Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe,
op. cit., p. 55-80.
7. Cf. Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, op. cit., p. 216-219.
8. MIRE, Comparer les systèmes de protection sociale en Europe, vol. 2. Rencontres
franco-allemandes, Rencontres de Berlin, op. cit.
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Bruno Palier, Giuliano Bonoli

sur les pays d'Europe du Sud et de la France, on peut voir combien Maurizio Ferrera
conteste l'idée que la France fasse partie de l'Europe du Sud, tant il lui semble que les
évolutions italiennes et françaises sont dissemblables ' .
En analysant les évolutions récentes, les théories des régimes cherchent surtout à
confirmer que les régimes existent et perdurent. Dès lors, les approches typologiques
ont tendance à insister sur la persistance des caractéristiques de chaque régime, plutôt
qu'à analyser les changements structurels. Elles sont peut-être plus préoccupées de
montrer la robustesse de leurs catégories d'analyse que de la réalité qu'elles sont
censées décrire 2. Ces analyses vont dans le sens de la logique de l'approche en terme de
path dependence, telle qu'elle s'est développée pour les États-providence, qui finit par
poser qu'un changement structurel est impossible 3.
Cette tendance à souligner que rien de fondamental ne change est sans doute aussi
liée à un effet de concurrence entre théories explicatives alternatives. Afin de valider
leurs hypothèses, les travaux qui insistent sur les phénomènes de path dependence vont
surtout insister sur les éléments de policy legacy, de contraintes politiques liées (et
liantes) au passé au détriment des variables économiques ou sociétales. Nous avons vu
que les éléments politico-institutionnels sont le plus souvent facteurs de résistance au
changement. Montrer que les systèmes ne changent pas permet donc de prouver la
validité des thèses néo-institutionnelles dans le domaine de la protection sociale : ils ne
changent pas car les variables importantes sont les variables liées aux passés, facteurs de
résistance ; les variables économiques ou sociétales ont beau avoir changé depuis vingt
ans, la stabilité des systèmes de protection sociale souligne que celles-ci pèsent peu au
regard du poids des politiques passées. Dès lors, ces approches cherchent parfois surtout
à vérifier leurs hypothèses, en minimisant l'importance d'évolutions marginales ou de
faible ampleur financière, qui pourtant peuvent se révéler fondamentales.

ANALYSER LES TRANSFORMATIONS DE SYSTEMES


DE PROTECTION SOCIALE : L'INTRODUCTION
DE NOUVELLES LOGIQUES

Pour réintroduire la possibilité d'analyser les changements des systèmes de


protection sociale, il nous semble nécessaire de souligner que la mise en place de
certaines mesures, qui peuvent apparaître marginales de prime abord, est parfois
susceptible d'introduire une logique nouvelle qui pourra se développer par la suite. Des
travaux comparatifs récents commencent à souligner ce type de processus. John Myles
et Paul Pierson, comparant les réformes des États -providence libéraux américains et
canadiens, ont été amenés à souligner ces processus de changement progressif de
logiques. John Myles montre qu'au Canada, l'introduction de plafonds dans les
systèmes de prestations universelles a d'abord été marginale, puisque les plafonds étaient
très hauts (seuls les revenus les plus aisés étaient exclus des prestations). Mais ces pla-
1. MIRE, Comparaison des systèmes de protection sociale en Europe du Sud, vol. 3.
Rencontres de Florence, op. cit., p. 21-22.
2. L'introduction, la conclusion et la construction de l'ouvrage de G. Esping- Andersen
(éd.) {Welfare States in Transition..., op. cit.) nous semblent particulièrement représentatives
de ce souci d'auto-confirmation.
3. Cf. Douglas E. Ashford, « L' État-providence à travers l'étude comparative des
institutions », art. cité ; Paul Pierson, Dismantling the Welfare State ?..., op. cit. ; François-
Xavier Merrien, U État-providence, op. cit.
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Path dependence et protection sociale

fonds ont peu à peu été abaissés, jusqu'à transformer le système social en système
fondé sur l'impôt négatif '.
Dans un article analysant les récentes réformes des retraites dans les pays de
l'OCDE 2, John Myles et Gill Quadagno ont montré qu'un changement peut être path
dependent et pourtant être aussi à l'origine d'une transformation des instruments d'un
système de retraite 3. Dans les systèmes d'inspiration bismarckienne (prestations
contributives dont le niveau est fonction des revenus à remplacer), le calcul des
pensions de retraite a peu à peu été changé en affermissant le lien entre les contributions
effectivement versées et les prestations reçues. Les prestations, au lieu d'être
exprimées comme une proportion d'un salaire de référence (le montant de la retraite
représente X % des Y meilleures années), sont de plus en plus calculées en fonction du
montant réel de cotisations sociales versées au cours de la vie active 4. On passe ainsi
d'un système à prestation définie à un système à cotisation définie. « La
compréhension habituelle des retraites comme un salaire différé a été remplacée par un modèle
d'épargne. 5 » Pour les systèmes d'inspiration beveridgienne (qui versent des
prestations forfaitaires financées par des impôts), les réformes ont introduit des conditions
de ressource mettant fin au principe d'universalité. « Le besoin remplace la
citoyenneté comme critère d'éligibilité 6. » Les réformes introduites sont donc déterminées
par les configurations institutionnelles mais débouchent sur des techniques nouvelles.
Ces travaux récents montrent ainsi que chaque régime de protection sociale est en
train d'évoluer en adoptant de nouveaux instruments, au moins pour ce qui concerne
les systèmes de retraite. Certains régimes libéraux de protection sociale évoluent vers
des systèmes d'impôts négatifs (Negative Income Tax). Les systèmes Scandinaves
(mais aussi le système britannique) quittent le principe universel pour revenir à la
sélectivité et au ciblage. Les systèmes bismarckiens quittent l'acquisition statutaire de
droits sociaux par le travail pour revenir à un principe assurantiel plus strict, en
renforçant le lien actuariel entre cotisation et prestation. Les auteurs qui soulignent ces
transformations montrent qu'elles ne sont pas convergentes. Ces changements de
logiques restent path dependent, chaque évolution est propre à chaque régime de
protection sociale.
Pour ce qui concerne le cas de la France, certaines mesures semblent s'inscrire
dans ces schémas (réforme des allocations chômages en 1992 et réforme des retraites
en 1993, maîtrise médicalisée des dépenses de santé), d'autres semblent moins
conformes à ces visions qui restent linéaires : introduction de nouvelles politiques
sociales ciblées (RMI notamment), avec le développement de la contribution sociale
1. John Myles, Paul Pierson, « Friedman's Revenge : the Reform of "Liberal" Welfare
States in Canada and the United States », EUI Working Paper RSC N° 97/30, Florence, Institut
universitaire européen, 1997.
2. John Myles, Gill Quadagno, « Recent Trends in Public Pension Reforms », contribution
présentée à la conférence sur les réformes des systèmes de retraite, Kingston (Ontario), Queen's
University, 1-2 février 1996.
3. Il s'agit là d'un changement de deuxième ordre, selon les catégories de Peter Hall
citées à la note 1, p. 399.
4. C'est le cas pour la réforme française de 1993, avec laquelle le passage à la référence
aux 25 meilleures années (au lieu des 10 meilleures) équivaut à rapprocher le montant de la
retraite du montant des cotisations effectivement versées. Cf. Giuliano Bonoli, « Pension Poli-
tics in France... », art. cité, p. 160-181 ; et Giuliano Bonoli, The Politics of Pension Reform in
Western Europe. . . , op. cit.
5. John Myles, Gill Quadagno, « Recent Trends in Public Pension Reforms », art. cité,
c'est nous qui traduisons.
6. John Myles, Gill Quadagno, ibid., c'est nous qui traduisons.
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Bruno Palier, Giuliano Bonoli

généralisée (CSG), fiscalisation du financement de la protection sociale,


accroissement du rôle de l'État dans le système. . . Ces derniers changements nous semblent
susceptibles de faire passer le système français d'un chemin de dépendance, d'un rail
historique vers un autre.
L'enjeu est donc de savoir quels types de changement marquent actuellement les
évolutions des systèmes de protection sociale. Ne s'agit-il que de réductions, de
coupes dans les prestations {retrenchment) ? Y a-t-il introduction de nouveaux
instruments, sans changement de logique d'ensemble (path dependent change) ? Ou bien les
changements en cours sont-ils significatifs d'un changement de logique, d'une
transformation structurelle (path shifting change) ?

DIMENSION INSTITUTIONNELLE DES REFORMES INNOVATRICES :


LES CHANGEMENTS DE TROISIÈME ORDRE

C'est en analysant le contenu institutionnel et idéologique des mesures prises par


les différents gouvernements français au cours des années quatre-vingt et quatre-
vingt-dix que nous pourrons dire s'il y a changement de logique et changement de
sentier de dépendance ou non. Dans une contribution précédente ', nous avons cherché à
distinguer les réformes innovatrices (innovative or path-shifting change) des réformes
qui ne font que dépendre et renforcer des configurations institutionnelles existantes
(path dependent change). Parmi les réformes des systèmes de protection sociale,
certaines sont susceptibles de modifier les représentations communes, de changer
l'allocation des ressources, la distribution des rôles et des positions de pouvoir. Ce sont ces
modifications qui, à terme, peuvent impliquer des transformations profondes des
systèmes de protection sociale. La conséquence principale d'une réforme innovatrice,
c'est qu'elle modifie la structure des opportunités des changements à venir : certaines
solutions deviennent de plus en plus difficiles à mettre en œuvre, d'autres créent des
opportunités jusque-là inimaginables 2.
C'est pourquoi même des changements mineurs peuvent être fondamentaux pour
l'avenir, pour autant qu'ils ouvrent de nouveaux chemins de dépendance.
L'introduction de logiques nouvelles implique de nouveaux principes, de nouvelles valeurs et de
nouveaux objectifs. Ces nouvelles mesures peuvent aussi entraîner l'apparition de
nouvelles coalitions d'intérêts (constituencies) et des engagements financiers et
institutionnels sur lesquels il sera difficile de revenir à l' avenir (policy lock in). C'est
pourquoi il nous semble important, pour comprendre les transformations d'un système de
protection sociale, d'insister sur les changements (même mineurs) de variables
impliqués par les mesures mises en œuvre.
Trois ensembles de réformes structurelles ont été introduits dans les années
quatre-vingt-dix en France : nouveau mode de financement du système de protection
sociale (fiscalisation, introduction puis développement de la CSG), nouvelles
politiques sociales (introduction du ciblage dans les années soixante-dix, développement
des politiques de discrimination positive dans les années quatre-vingt, mise en place
du RMI en 1988) et transformation du système de décision et de gestion du système
1. Giuliano Bonoli, Bruno Palier, « Changing the Politics of Social Programmes... », art.
cité, p. 317-330.
2. Cf., par exemple, l'introduction d'une condition de ressource dans un programme
universel, d'abord très marginale, puis qui se trouve considérablement alourdie par la suite (cf.
John Myles, Paul Pierson, « Friedman's Revenge... », cité).

JÏ2
Path dependence et protection sociale

(importance croissante du rôle de l'État dans un système censé être géré « par les
intéressés »).

DE NOUVEAUX MODES DE FINANCEMENT

En 1990, une nouvelle forme de financement de la protection sociale a été


adoptée : la Contribution sociale généralisée. À l'origine, celle-ci vise à se substituer
à une partie des cotisations patronales existantes (familiales et vieillesse) pour
financer des prestations non contributives, relevant de la « solidarité nationale » et non
de la solidarité professionnelle. Adoptée avec de grandes difficultés ', la CSG
représente une forme nouvelle de prélèvement obligatoire en France. À la différence des
cotisations sociales, elle porte sur la quasi-totalité des revenus (du travail, mais aussi
les revenus de remplacement — prestations sociales -, les revenus du "patrimoine et de
placement). À la différence des impôts sur le revenu, la CSG est proportionnelle,
prélevée à la source (elle touche ainsi les revenus exonérés de l'impôt sur le revenu) et
elle est affectée. Ces caractéristiques la rapprochent des prélèvements obligatoires en
vigueur en Grande-Bretagne. Afin de montrer le processus de montée en puissance des
réformes d'abord marginales, on pourra rappeler que la CSG a été votée lors de sa
création pour prélever 1.1 cb de tous les revenus. Ce taux a ensuite été porté à 2.4 %
en 1993 (à compter du 1 'juillet 1993), puis à 3,4 Te à compter du lcrjanvier 1997 et
enfin à 7.5 % à compter du 1 "janvier 1998 2. . . Aujourd'hui, la CSG rapporte plus que
l'impôt sur le revenu.
Cette mesure, qui est venue s'ajouter à la mise en place de taxes affectées sur
l'alcool et le tabac, régulièrement augmentées, a initié un processus de fiscalisation du
financement du système français de protection sociale. À l'origine, étant
principalement fondé sur les assurances sociales, celui-ci était principalement financé par des
cotisations sociales.

DE NOUVELLES POLITIQUES SOCIALES

Le système d'assurance sociale français, fortement marqué par une logique


professionnelle, redouble les phénomènes d'exclusion sociale si un chômage structurel se
développe de façon très importante. Pour prendre en charge les citoyens mal ou non
couverts par les assurances sociales, et pour les réintégrer dans le marché du travail, il est
apparu nécessaire de mettre en place de nouvelles politiques sociales, situées à la
périphérie du système principal 3. Dans ces nouvelles politiques sociales, on compte bien
évidemment le RMI, mais aussi un ensemble plus vaste de politiques d'insertion comme
les politiques de la ville, les politiques de formation et d'insertion professionnelle des
jeunes et des chômeurs de longue durée, les Zones d'éducation prioritaires, etc.

1. Il n'a manqué, pour faire tomber le gouvernement Rocard, que trois voix à la motion de
censure déposée par l'opposition face au recours à l' article 49.3 sur le projet de CSG.
2. Cette dernière augmentation de la CSG vise à remplacer les cotisations maladie payées
par les salariés.
3. Bruno Palier, « La référence aux territoires dans les nouvelles politiques sociales ».
Politiques et management public. 16 (3), septembre 1998. p. 13-41.
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Bruno Palier, Giuliano Bonoli

À la lecture des différentes évaluations qui ont été faites lors de leur mise en
œuvre ', nous savons que ces politiques sociales d'insertion se rapprochent du modèle
anglo-saxon de traitement de la pauvreté plus que du modèle « bismarckien » d'
assurance sociale 2. Comme les politiques sociales « résiduelles » d'outre- Atlantique et
d' outre-Manche, les nouvelles politiques sociales sont ciblées, elles reposent sur le
partenariat entre les différents acteurs administratifs, économiques et sociaux (on
rejoint ici la notion de mixed economy of welfare), avec cependant un rôle direct de
l'État, notamment parce que les minima sociaux sont financés par l'impôt. Ces
prestations sont sous condition de ressources et non pas contributives ni proportionnelles
aux revenus. En France, la référence n'est pas explicitement la pauvreté, mais
l'exclusion sociale. Les droits reposent sur la citoyenneté ou le besoin.
Cependant, les nouvelles politiques sociales destinées aux citoyens ne remplacent
pas le système précédent. Elles viendraient plutôt le compléter, dans un processus de
dualisation de laf protection sociale, typique du régime libéral de protection sociale.
D'un côté la grande majorité de la population continue d'être couverte par des
dispositifs d'assurance sociale (de plus en plus individualisés), de l'autre, une frange de la
population, de plus en plus nombreuse, voit ses revenus et sa protection dépendre
principalement des prestations minimales délivrées par l'État.

VERS UNE NOUVELLE REPARTITION DU POUVOIR ?

L'introduction progressive de ressources fiscales dans le système et l'émergence


de nouvelles sphères d'intervention sociale mise en œuvre directement par les
pouvoirs publics (nationaux et locaux) semblent impliquer et passer par un
réaménagement des compétences et des responsabilités des différents acteurs de la protection
sociale. Un débat s'est instauré en France sur la nécessité de clarifier les
responsabilités entre le gouvernement (et le Parlement) et les partenaires sociaux. Ce besoin de
clarification nous semble recouvrir un conflit de pouvoir 3. Les différents syndicats
gestionnaires de la sécurité sociale souhaitent conserver leur position respective au
sein du système, qui leur confère ressources matérielles et légitimité. Les
gouvernements souhaitent obtenir les moyens de la mise en œuvre des changements
nécessaires. On peut faire l'hypothèse que les mesures les plus récentes visent au
renforcement de l'implication et du pouvoir d'intervention et de sanction de l'État dans la
sécurité sociale, soit directement (renforcement du rôle des administrations étatiques,
implication du Parlement), soit indirectement (arrivée aux positions stratégiques
1. Sur les politiques de la ville, cf. notamment Jacques Donzelot, Philippe Estèbe, L'État
animateur, Paris, Éditions Esprit, 1994, ainsi que la Revue française de science politique, 45
(1), février 1995. Sur le RMI, cf. Pierre Vanlerenberghe, RMI, le pari de l'insertion. Rapport de
la commission nationale d' évaluation du RMI, Paris, La Documentation française, 1992 ; et les
évaluations sur sites coordonnées par la MIRE, TEN, Le RMI à l'épreuve des faits, Paris, Syros,
1991. Sur les politiques d'emploi, cf. MIRE, « La mise en œuvre des stages de réinsertion en
alternance ». Rapports d'évaluation sur sites, miméo, 1989 ; Simon Wuhl, Du chômage à
l'exclusion ? L'Etat des politiques, l'apport des expériences, Paris, Syros alternatives, 1990 ; et
« Politiques d'emploi et territoire ». Actes des rencontres du 13 janvier 1995, ministère du
Travail et des Affaires sociales, Paris, La Documentation française (coll. « Bilans et rapports »).
2. Bruno Palier, « La référence aux territoires dans les nouvelles politiques sociales », art.
cité, p. 13-41.
3. Bruno Palier, Giuliano Bonoli, « Entre Bismarck et Beveridge, "Crises" de la sécurité
sociale et politique(s) », Revue française de science politique, 45 (4), août 1995, p. 668-699.
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Path dependence et protection sociale

d'acteurs alliés : la CFDT remplace FO à la CNAM, changement de la composition


des conseils d'administration des caisses).
Le plan Juppé de 1995, notamment, a introduit de nombreux changements orga-
nisationnels qui sont autant de remises en cause de la « démocratie sociale >■> et
marquent le début d'une graduelle étatisation du système (vote du budget de la
sécurité sociale par le Parlement, changement des règles pour les conventions dans le
secteur de la santé, changement de composition des conseils d'administration des caisses
de sécurité sociale, nouvelles règles de nomination des directeurs des caisses).

STRATÉGIES DE CHANGEMENT EN POLITIQUES PUBLIQUES

LA DIMENSION POLITIQUE DES RÉFORMES INNOVATRICES

Création et ciblage de nouvelles prestations sociales, fiscalisation du financement


et étatisation de la gestion du système de protection sociale, il est donc possible de
dégager un certain nombre de réformes impliquant de véritables changements de
logiques au sein des systèmes de protection sociale. Dès lors, il paraît nécessaire de
savoir dans quelles conditions ces réformes ont été mises en œuvre, dans la mesure où
nous avons vu que les conceptualisations actuelles des changements dans le domaine
de la protection sociale paraissent exclure la possibilité même de tels changements. Si
l'on veut comprendre les conditions de possibilité et la nature de ces réformes, il
convient aussi d'en étudier les implications politiques (les politics). En effet, les
réformes ne sont pas de simples adaptations des systèmes aux contraintes
(économiques, démographiques ou technologiques), ce sont aussi le fruit de débats et de
luttes entre différents groupes sociaux, aux intérêts souvent contradictoires. Pour
comprendre la mise en place (ou le blocage) d'une réforme, la forme particulière qu'elle
prendra, il convient d'une part d'analyser en détail les argumentations et les
représentations utilisées pour et contre celle-ci (les idées), et d'autre part les intérêts engagés
par ces réformes. Les développements des systèmes de protection sociale dépendront
de l'évolution de l'environnement économique national et mondial, des formes
institutionnelles prises par la protection sociale dans le pays, mais aussi de l'évolution de
la formulation et de la prise en charge des enjeux au niveau politique.
Il nous faut ici souligner une particularité des conditions politiques des réformes
actuelles des systèmes de protection sociale qui n'a pas été analysée par P. Pierson. En
périodes de réduction (retrenchment), les décisions politiques et les mesures engagées
relèvent d'un jeu à somme nulle qui implique un « retour tâtonnant de l'État », un
'

« retour du politique » dans la définition des politiques publiques z. Pour B. Jobert, ce


retour du politique est à rapporter au contexte de ralentissement de la croissance
économique et de rigueur monétaire qui oblige le politique à trancher dans des jeux à
somme nulle (où il y a forcément des gagnants et des perdants) alors qu'une période
de croissance permet des jeux à somme positive (où tout le monde gagne) plus propice
aux négociations conventionnelles. Les évolutions constatées se font sous l'impulsion
1. Bruno Jobert, «Le retour tâtonnant de l'État», dans François d'Arcy, Luc Rouban
(dir.), De la Ve République à l'Europe, Hommage à Jean-Louis Quermonne . Paris, Presses de
Sciences Po, 1996.
2. Bruno Jobert (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, op. cit.
_
Bruno Palier, Giuliano Bonoli

de politiques publiques et non selon la dynamique propre aux institutions. Laissées à


leur « pente naturelle », comme le montrent les analyses de P. Pierson, les institutions
de protection sociale accumulent les effets d'auto-renforcement, tendent à croître et se
développer, les dépenses sociales augmentent. Ce sont des politiques publiques qui
introduisent les changements de chemin de dépendance.
C'est au niveau politique, lors de l'élaboration de ces politiques publiques, que se
nouent et éventuellement se résolvent les tensions nées de la contradiction entre
évolutions économiques et sociétales, les tensions entre groupes sociaux, les tensions
entre pression socio-économique et dynamique historique des institutions de
protection sociale. C'est à partir de la mise en place de nouvelles politiques publiques que se
prennent de nouveaux chemins institutionnels. Dès lors, comprendre les évolutions
récentes nécessite d'abord de comprendre les changements de politiques publiques,
avant de déduire les possibles changements du système de protection sociale. Il faut
pour ce faire analyser en détail les différentes stratégies politiques de changement qui
peuvent être mobilisées (et combinées).

LA CONFRONTATION

Ce type de stratégie est peut-être le plus naturel pour faire passer une réforme
radicale. Il consiste à imposer une réforme sans prendre en compte les préférences des
autres acteurs concernés. Un exemple de ce type de stratégie est fourni par le Plan
Juppé de 1995. À cette occasion, il était clair que l'intention du gouvernement était de
mettre en œuvre une série de réformes qui allaient contre les intérêts d'une partie du
mouvement syndical (fiscalisation, remise en cause des régimes spéciaux de retraite).
L'attitude du gouvernement, ouvertement conflictuelle, laisse penser que la réaction
qui s'est finalement produite était attendue, et que, sur la base d'un calcul politique
pas très heureux, le gouvernement estimait que la confrontation pouvait se résoudre
en sa faveur.
L'adoption de réformes innovatrices par la confrontation présente l'avantage, du
point de vue du gouvernement, d'être rapide et de ne pas comporter de compromis.
Cependant, cette stratégie porte le risque de l'échec, et de sanctions électorales,
comme l'ont montré les résultats aux élections législatives de juin 1997. En général,
cette approche est plus fréquente dans des contextes politico-institutionnels
caractérisés par une forte concentration de pouvoir : absence de cohabitation, forte majorité
au Parlement, prochaines élections lointaines. Ce type de stratégie a aussi été employé
par le gouvernement de Margaret Thatcher, notamment pour réformer le système de
retraite en 1986 '.

L'ACTION SUR LE REFERENTIEL

Ce type de stratégie agit sur le deuxième mécanisme de path dependence identifié


par Pierson : le partage de certaines représentations cognitives et normatives en
rapport avec une politique donnée. Le but de l'action est de modifier ces représentations
avant de procéder à des réformes innovatrices. Cette approche a été mise en œuvre
1. Giuliano Bonoli, Bruno Palier, « Changing the Politics of Social Programmes. . . », art.
cité, p. 317-330.
_
Path dependence et protection sociale

dans la plupart des pays européens, comme l'attestent les analyses contenues dans les
analyses du « tournant néolibéral en Europe » '. Dans le cas de la Grande-Bretagne,
les réformes les plus radicales ont très souvent été précédées par la publication de
textes (pamphlets) et de campagnes médiatiques, produits et organisés par des think
tanks proches du gouvernement conservateur et qui apportent des justifications
théoriques en faveur des changements prévus. Nous avons pu montrer par ailleurs qu'en
France, en matière de protection sociale, les années quatre-vingt sont consacrées à
convaincre la population que la sécurité sociale est en crise et qu'il fallait la réformer
pour la sauver 2.

L'ACTION SUR LA STRUCTURE DES INTERETS

Certaines réformes innovatrices permettent de mettre en place de nouvelles


structures d'interaction politique entre les intérêts enjeux. Elles ont pour effet
l'affaiblissement ou le renforcement de l'influence que certains acteurs peuvent exercer sur un
programme donné. En France, la fiscalisation du financement de l'assurance maladie
implique à terme un éloignement des partenaires sociaux de son contrôle : ce sont les
représentants de ceux qui paient (les partenaires sociaux s'il s'agit de cotisations
sociales, mais l'État s'il s'agit d'impôt) qui ont la plus grande légitimité à gérer le
système.
Un autre exemple de ce type de stratégie a pu être observé en Grande-Bretagne,
avec le transfert du secteur public vers le secteur privé d'une large partie du système
de retraite. Cela a été fait en offrant aux salariés l'option de sortir du régime
complémentaire d'État (SERPS), et de « s'acheter » une retraite personnelle privée. Une
stratégie différente, mais aux effets similaires, a été adoptée pour les retraites de base
(basic pension) : à partir de 1980, leur revalorisation ne se fait plus que sur la base de
l'évolution des prix, ce qui comporte un déclin constant du taux de remplacement de
la retraite de base britannique (actuellement environ 17 % du salaire moyen brut, pour
50 % en France...). Par conséquent, de plus en plus d'employés se tournent vers le
secteur privé. Ce type d'intervention a aussi été appelé « privatisation implicite » 3.
Sur le plan politique, le résultat de ce changement a été un affaiblissement de la
coalition d'intérêts (constituency) prête à soutenir l'intervention étatique en matière
d'assurance vieillesse. Plusieurs commentateurs parlent maintenant de la possibilité
d'une abolition pure et simple de la retraite d'État 4.
Ces mesures, même si elles ont un impact immédiat très limité, ont pour effet une
modification des structures d'opportunité en faveur de changements futurs plus
importants. Le renforcement du pouvoir de l'État dans la gestion de l'assurance
maladie en France, ou bien la résidualisation des retraites étatiques en
Grande-Bretagne, sont des stratégies qui agissent sur la structure des intérêts qui caractérisent ces
1. Bruno Jobert, (dir.), Le tournant néo-libéral en Europe, op. cit.
2. Nous remarquerons ainsi que la proposition de mettre en place une nouvelle forme de
contribution sociale généralisée à tous les revenus est proposée dès 1987 lors des états
généraux de la sécurité sociale, de même que la nécessité de rendre le Parlement responsable du
budget de la sécurité sociale ; ces idées sont bien souvent proposées et défendues tout au long
des années quatre-vingt en France (cf. Bruno Palier, « La baleine et les sages », mémoire cité).
3. Paul Pierson, Dismantling the Welfare State ?..., op. cit.
4. Howard Glennerster, British Social Policy Since 1945, Londres, Blackwell, 1994,
p. 182 ; F. Field, Stakeholder Welfare, Londres, Institute of Economie Affairs, 1996.
_
Bruno Palier, Giuliano Bonoli

deux programmes. Le résultat recherché est un affaiblissement de la coalition qui


soutient la situation actuelle, et, de ce fait, la possibilité de réformes plus profondes à
l'avenir.

LA STRATEGIE DU CHANGEMENT PROGRESSIF

Une autre méthode permettant l'introduction de logiques nouvelles malgré


l'existence de fortes oppositions consiste à introduire une nouveauté initialement très
limitée, qui ne va pas d'abord être perçue comme une remise en cause du système en
place, et ensuite à agir de manière incrémentale en développant peu à peu cette
variable nouvelle, de façon à produire des changements plus profonds. Nous avons
déjà signalé que la mise en place puis le développement de la CSG correspondent à ce
type de réforme. Introduite en 1990 avec un taux de 1,1 % sur tous les revenus, cette
nouvelle taxe n'a pas été perçue comme un bouleversement du système français de
sécurité sociale, même si elle a fait l'objet de très fortes oppositions. Cependant, après
plusieurs années, on se rend compte que ce changement est finalement à l'origine
d'une fiscalisation possible de l'assurance maladie : une réforme beaucoup plus
profonde qui, sans le travail préparatoire effectué avec l'introduction de la CSG, aurait pu
être beaucoup plus difficile. De même, l'introduction de conditions de ressources dans
un système de prestations universelles au Canada a conduit, quinze ans plus tard, à la
mise en place généralisée du système d'impôt négatif '.

Nous avons donc cherché à montrer que, s'il existe des mécanismes qui renforcent
les phénomènes de persistance institutionnelle et de changement incrémental de
politiques publiques, des gouvernements souhaitant introduire des changements profonds ont
cependant été à même de développer des stratégies qui permettent l'adoption de
réformes qui sortent des logiques établies. Une approche en termes de path dependence
ne peut rendre compte que de manière très partielle de ces réformes structurelles. Une
conceptualisation en termes de stratégies met l'accent sur le caractère intentionnel de ce
type de manœuvre, ce qui ne va pas sans poser de problèmes 2. Cependant, il nous
semble utile de prendre en compte cette approche en termes de stratégie. En effet, des
effets non intentionnels peuvent être assimilés à une stratégie dès lors qu'ils ne sont pas
corrigés lorsqu'ils se produisent. On peut admettre que lorsque Mme Thatcher décida
d'indexer la revalorisation des retraites sur les prix et non plus sur les salaires, son
objectif était de réaliser des économies, et non pas la résidualisation des retraites de base.
Cependant, lorsque cette évolution est devenue visible, aucun effort n'a été entrepris
pour endiguer le processus de résidualisation, qui, au contraire, a servi de support à la
mise en place des nouveaux régimes de retraites privés. Il est donc important d'analyser,
dès leur mise en place, les effets institutionnels et politiques des réformes proposées, si
minimes soient les effets de leur première modalité d'application 3.
1. John Myles, Paul Pierson, « Friedman's Revenge... », cité.
2. Cf., par exemple, le texte de J. Hayward et R. Klein dans Bruno Jobert (dir.), Le
tournant néo-libéral en Europe, op. cit., sur le degré d'intentionnalité du projet thatchérien.
3. Ce texte a d'abord été présenté aux journées « Restructuration des États
contemporains » (RECO) organisées par Bruno Jobert à Grenoble en juillet 1998 dans le cadre
de l'Association française de science politique, Groupes Politiques publiques.

418
Path dependence et protection sociale

Bruno Palier est chargé de recherches au CNRS (Centre d'étude de la vie


politique française). Il a publié plusieurs articles sur les réformes du système français
de protection sociale et plus généralement sur les évolutions récentes des
États-providence, dont « Les transformations des systèmes de protection sociale en Europe,
une perspective institutionnelle comparée » Pouvoirs, 82, 1997, p. 147-166 ;
« Changing the Politics of Social Programmes. Innovative Change in British and
French Welfare Reforms » (avec G. Bonoli), Journal of European Social Policy, 8
(4), 1998, p. 317-330 ; « La référence aux territoires dans les nouvelles politiques
sociales », Politiques et management public, 3, 1998, p. 13-41. Il travaille sur les
transformations du système français de protection sociale dans une perspective
comparative et néo-institutionnaliste. Entre 1993 et 1998, il a organisé un
programme européen de comparaison des systèmes de protection sociale pour la MIRE
(Mission recherche du ministère des Affaires sociales < bruno. palier® santé,
gouv. fr >).

Giuliano Bonoli est chercheur au Department of Social and Policy Sciences,


université de Bath (Grande-Bretagne). Il a publié plusieurs articles, dont « Pension Poli-
tics in France : Patterns of Co-operation and Conflict in Two Recent Reforms », West
European Politics, 20 (4), 1997, p. 160-181 ; et il vient de terminer un ouvrage : The
Politics of Pension Reform in Western Europe, Cambridge, Cambridge University
Press (à paraître en 2000). Il s'occupe principalement du processus de réforme des
États-providence en Europe. (Department of Social and Policy Sciences, University of
Bath, Bath BA2 7AY, Royaume-Uni <hssgb@bath. ac. uk >).

RESUME/ABSTRACT

PHENOMENES DE PATH DEPENDENCE ET REFORMES DES SYSTEMES DE PROTECTION SOCIALE


Dans cette discussion critique du concept de path dependence, et plus particulièrement de son
application à l'étude des réformes des systèmes de protection sociale, il apparaît que les
analyses des changements de politiques sociales en termes de path dependence exagèrent les
phénomènes de stabilité politique et de persistance des arrangements institutionnels d'après
guerre. Ces analyses ne prennent pas en compte la possibilité de réformes innovatrices (ou path
shifting). Celles-ci sont caractérisées par des changements affectant les traits institutionnels
qui déterminent un chemin de dépendance, notamment les enjeux et les positions de pouvoir
propres à un programme social particulier. Plusieurs exemples français de changements de ce
type sont analysés (développement de la CSG, mise en place du RMI, dimension institutionnelle
du plan Juppé). L'article se termine en identifiant les différentes stratégies qui permettent de
mettre en place ce type de réformes innovatrices.
PATH DEPENDENCE PHENOMENA AND REFORMS OF SOCIAL PROTECTION SYSTEMS
In this critical discussion of the concept of path dependence, and particularly of its
application to the study of welfare reforms, it appears that path dependence-based accounts of
current social policy change overemphasise policy stability and the persistence of post-war
welfare arrangements, by failing to appreciate the possibility of path shifting, innovative
reforms. These occur when policy change affects those institutional features which generate
path dependence, especially the stakes and power positions concerning particular social pro-

7Ï9
Bruno Palier, Giuliano Bonoli

grammes.
implementation
Several
of French
the RMI,examples
institutional
of such
dimensions
instancesofare
theanalysed
Juppé plan).
(development
The articleofconcludes
the CSG,
by identifying the various strategies that can be used to achieve such innovative welfare
reforms.

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