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CONDITION FÉMININE

Luttes féministes en Haïti

Denyse CÔTÉ

L’importance du mouvement féministe haïtien est mal connue au Qué- mellement créée, initiant dès lors
bec1. Les images sensationnalistes des média de masse qui envahissent une série d’activités: éducation
l’imaginaire québécois masquent, entre autres, un mouvement féminis- civique des femmes, cours du soir
te au cœur des luttes politiques et sociales contemporaines. Cet article pour les ouvrières, caisse coopé-
prétend lever le voile sur quelques éléments de cette histoire afin d’ai- rative populaire, conférences à tra-
der le lectorat québécois à mieux en comprendre la nature, la force vers le pays, création de bibliothè-
ainsi que l’ancrage. Il abordera aussi les obstacles qu’ont dressé à ce ques, ouverture d’un foyer ouvrier;
mouvement les interventions internationales suite au séisme, en particu- pétitions aux instances concernées
lier les retombées dé-structurantes du stéréotype misérabiliste importé pour l’ouverture d’écoles pour fil-
par les contingents d’aide. les, réclamation d’un salaire égal
pour un travail égal. Pendant plus
de 25 ans, ses militantes réclame-
ront des libertés démocratiques
dont l’émancipation des femmes.
Pour ce faire, elles s’associeront à
d’autres organisations comme le
Comité d’Action féminine, et n’hé-
siteront pas à gagner les rues et à
défier les matraques policières.
Elles feront tant et si bien qu’elles
obtiendront, en 1950, le droit de
vote pour les femmes qui, ironique-
ment, sera exercé pour la première
18/10/1933 ː Rencontre entre Sténio Vincent et Rafael Leónidas Truijillo, président d'Haïti et de
la République Dominicaine, dans la ville frontalière de Belladère
fois en 1957 lors de l’élection du
dictateur François Duvalier. Celui-
ci les fit rapidement arrêter, dispa-
Une riche histoire de lutte pour cience féministe de la violence qui raître et torturer, réduisant ainsi la
l’égalité et la démocratie a été nourrie à son tour par ses liens Ligue au silence. L’une des premiè-
transnationaux (Charles, 1995), ses res victimes du régime était mem-

L’ histoire des luttes féministes


en Haïti est aussi celle de la
lutte pour la démocratie et contre
interventions-terrain et son génie
stratégique.
bre de la Ligue2.

les ingérences étrangères. La vio- Ainsi, dès 1926, à la demande de sa


section haïtienne, la Ligue interna- L’histoire des luttes
lence de l’État (Basu, 1995) et celle
tionale des femmes pour la paix féministes en Haïti est
des forces étrangères ont catalysé
dépêchera un comité d’enquête sur aussi celle de la lutte pour la
le mouvement féministe haïtien tout
l’occupation militaire des États- démocratie et contre les ingé-
autant que la violence domestique et
Unis (1915-34). Par la suite, en rences étrangères
personnelle. L’alternance de pério-
des plus ouvertes et plus répressi- 1934, malgré les blocages du gou-
ves a suscité cette prise de cons- vernement de l’époque, la Ligue
féminine d’action sociale fut for-

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Fort de l’esprit indépendant des
Haïtiennes, le mouvement fémi-
niste reprendra le devant de la
scène à la chute de Duvalier en
1986, porté par une nouvelle
génération et par certaines leaders
revenues de l’exil, nourries des
mouvements nord-américain et
européen et inspirées par un
contexte international modelé par la
Décennie des Nations-Unies pour
les femmes (1976-85). Ainsi, par
exemple, plusieurs leaders de deux
organisations au cœur de ce
renouveau, Solidarite Fanm Ayisyèn
- SOFA) et Kay Fanm, revenaient de
l’extérieur (Burton, 2004) où elles 21/2/1934 ː Anastasio Somoza García, général et chef de la Garde Nationale créée par l'armée
avaient milité dans des groupes étasunienne au Nicaragua, ordonne, avec l'approbation de l'ambassadeur Arthur Bliss Lane,
féministes. Le coup d’envoi de ce l'assassinat de Augusto Cesar Sandino. Somoza assumera la présidence deux ans plus tard.
renouveau sera sans contredit
l’appel à manifester pour la
démocratie et les droits des femmes les du pays. La plupart des ce tabou sur la violence intime
lancé deux mois après l’exil de militantes féministes prirent alors le contre les femmes (Fuller, 1999).
Jean-Claude Duvalier (Baby Doc) chemin du marronnage et les abus Pendant cette période, elles conti-
par des militantes et qui réunit aux droits humains, en particulier nueront aussi à travailler d’arrache-
dans une marche à Port-au-Prince le viol comme méthode de répres- pied à conscientiser et à former
plus de 30 000 femmes le 3 avril sion, augmentèrent de façon des femmes, analphabètes, appau-
1986. De plus, durant cette période, dramatique (HRW, 1995). Les vries ou encore de classe moyenne
de nombreuses organisations de organisations féministes haïtiennes, (Charles, 1995 ; Bell, 2001).
base virent le jour: le premier
à l’intérieur comme à l’extérieur
refuge pour femmes victimes de À la demande des États-Unis, la fin
du pays, firent circuler des du régime militaire de Cédras et le
violence (Kay Fanm). On dénom-
brait déjà un an plus tard 400 informations sur ces abus du régime retour à la présidence constitution-
groupes locaux de femmes de même que sur l’inertie des nelle d’Aristide furent accompa-
paysannes en plus d’importants agences internationales à ce sujet. gnés, en 1994, du débarquement
groupes nationaux tels EnfoFanm, Au risque souvent de leur propre d’une force militaire multinatio-
les sections femmes du Mouvement vie, les féministes continuèrent à nale. Les groupes de femmes
paysan de Papaye (MPP) et de la offrir refuge et assistance directe profitèrent de ce nouvel espace
Confédération nationale des aux victimes. démocratique pour obtenir la
éducateurs et éducatrices d’Haïti création du ministère de la
(CNEH), le Centre de promotion des De plus, toujours sous le régime Condition féminine et aux Droits
femmes ouvrières (CPFO). Ce militaire, elles dénoncèrent publi- des femmes (MCFDF), sa première
foisonnement d’organisations ne se quement en mars 1993, lors de la titulaire étant choisie parmi une des
limitait pas au mouvement première Rencontre nationale sur leurs5. Sous l’instigation du mou-
féministe; il mena au « déluge » la violence faite aux femmes, le vement féministe, le gouvernement
populiste du mouvement Lavalas4 nombre croissant de viols et haïtien ratifiera aussi la Convention
et à la première élection d’Aristide, d’autres violations de nature interaméricaine Belem do Para
contre les préférences des États- politique commis par les forces de pour l’éradication de la violence
Unis (Burton, 2004). sécurité sur les femmes et sur les faite aux femmes (1994) et
participera à la Conférence de
Cependant, huit mois après son leaders féministes. Elles incitèrent
Beijing en 1995. Sur la scène
élection, le général Cédras chassa le ainsi les organisations internationa- nationale, la Commission nationale
président Aristide du pouvoir, les à documenter le viol en Haïti de Vérité et de Justice (1994-96) se
marquant le rejet de ce dernier par comme arme de répression et forcè- penchera aussi sur les crimes
les élites économiques traditionnel- rent par la même occasion la fin de commis contre les femmes pendant

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Fédérées au sein de la
CONAP, les organisa-
tions féministes s’activeront
mieux dans leurs actions de
dénonciation, de plaidoyer et
de formation, avec plus de
concertation et de cohérence
dans les interventions

Parallèlement, la CONAP dénonce les


viols individuels et collectifs perpé-
trés par des soldats de la Mission
des Nations Unies pour la stabili-
sation en Haïti (MINUSTAH). Elle
réussira ainsi à faire reconnaître les
1934 : Création de la Ligue Féminine d’Action Sociale (LFAS). faits par l’ONU dans certains cas,
entre autres celui de soldats sri-
lankais et uruguayens. La CONAP
le coup d’État militaire. Mais le nation nationale de plaidoyer pour initiera aussi la mise en place d’une
gouvernement haïtien ne mettra les droits des femmes), elles structure mixte regroupant les repré-
pas en pratique les recommanda- dénonceront aussi en octobre 2003 sentantes de l’État, des institutions
tions de cette Commission. Le les chimères responsables de internationales, des ONGI (Organi-
mouvement féministe organisera violences politiques spécifiques aux
sations non gouvernementales
donc la riposte en 1997 avec un femmes et du meurtre d’une
Tribunal international symbolique militante (CONAP 2004). Le départ internationales) et des associations
contre la violence à l’égard des forcé du Président Aristide en féministes: la Concertation natio-
femmes en Haïti ( Fuller, 1999; février 2004 sous les auspices des nale contre les violences faites aux
Côté, 1997) qui entendra des grandes puissances, représentera femmes. L’objectif est ici de réunir
témoignages de femmes victimes pour plusieurs une certaine victoire en un seul lieu les différents
de violences politiques et en matière de droits des femmes, partenaires travaillant contre ces
domestiques. Son panel de juges, mais symbolisera aussi, par la violences, d’harmoniser les outils
d’expertes internationales et de même occasion, une ingérence d’intervention disponibles (fiche
représentantes d’associations de la américaine inadmissible (Burton, unique pour documenter cas de
société civile haïtienne recom- 2004). Sous les auspices du
violence de genre, certificat médi-
mandera des modifications fonda- MCFDF, le mouvement féministe
mentales au système judiciaire, aux réactivera alors certains dossiers cal) et de s’assurer de la cohérence
pratiques policières, ainsi qu’aux suspendus: projets de lois sur les des interventions dans une perspec-
services socio-sanitaires nationaux. agressions sexuelles sur les tra- tive de prise en charge et d’accom-
Il recommandera également au vailleurs et travailleuses domesti- pagnement efficace des victimes.
gouvernement de préparer, de ques et sur la paternité responsable. Suite au séisme, les organisations
concert avec la coalition d’orga- Le décret-loi criminalisant le viol, de la CONAP ont réalisé des inter-
nisations féministes, une loi sur officialisé en août 2005, harmonise ventions préventives dans les
l’élimination de toute forme de certaines lois nationales avec les quartiers populaires et dans les
violence faite aux femmes (Fuller, conventions internationales rati- camps de personnes déplacées.
1999). fiées par Haïti. Un colloque
Outre sa traditionnelle campagne
international sur la citoyenneté des
Malgré les obstacles croissants annuelle nationale de sensibilisa-
femmes haïtiennes se tient en 2005
rencontrés sous le deuxième tion, la Concertation nationale a
et le principe d’un quota d’au moins
mandat d’Aristide (2000-2004), les organisé un ensemble de forma-
30% est établi dans la loi électorale
organisations féministes s’active- tions et a élaboré le second Plan
de 2006.
ront à la mise en œuvre de ces
national 2012-2016 de lutte contre
recommandations. Désormais fédé-
rées au sein de la CONAP (Coordi- les violences faites aux femmes

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(MCFDF, 2011). Elle a aussi orga-
nisé un colloque pour les interve-
nantes/intervenants et décideurs/
décideuses politiques, en janvier
2012, en vue d’une politique publi-
que contre les violences faites aux
femmes et aux filles en Haïti
(CNVF et al., 2012). Enfin, les
féministes ont participé activement
aux travaux du MCFDF sur l’avant-
projet de loi-cadre sur les violences
faites aux femmes (Joachim, 2012).

Intervention humanitaire et théra-


peutisation des femmes haïtiennes
La communauté internationale,
diaspora, ONGI et contingents
internationaux font partie depuis
longtemps du paysage politique
haïtien et constituent une réalité 1934 : Création du Parti Communiste Haïtien avec la participation de membres comme Jacques
incontournable pour le mouvement Roumain
féministe en Haïti. Celui-ci avait su
tirer profit, avant le séisme, des
omniprésents; ONGI partout visibles Ce sont des contingents américains
liens forgés dans l’exil et sur le sol
avec leurs 4x4 neufs; nouveaux armés qui, dès le 13 janvier 2010,
haïtien avec différents acteurs inter-
locataires et consommateurs à fort prennent le contrôle des opérations
nationaux faisant appel aussi aux
pouvoir d’achat; flambée des prix; d’aide à Port-au-Prince. Les déci-
instruments internationaux pour
pénurie de logements. sions importantes seront désormais
légitimer leur action auprès des
prises en dehors du pays et la com-
autorités nationales. Cependant Les contingents de la MINUSTAH
munauté internationale continuera
l’arrivée massive de contingents ont aussi introduit accidentellement
à regarder Haïti de loin, à s’intéres-
internationaux, suite au séisme, le choléra, provoquant plus de
ser aux chiffres, aux bilans, aux
transformera radicalement l’échi- 8 000 décès, plus de 60 000 mala-
statistiques plutôt qu’aux dynami-
quier politique. des et un danger permanent d’in-
ques nationales. Après le séisme,
fection dans ce pays aux installa-
L’aide concrète des contingents pour cause d’urgence et d’effica-
tions sanitaires déficientes. Les
humanitaires et des ONGI (eau, la- cité, les Haïtiens et Haïtiennes
agressions et transactions sexuelles
trines, nourriture, soins médicaux, n’auront donc plus grand chose à
des contingents étrangers se sont
etc.) a certes été providentielle dire. Le Président Préval fera même
multipliées, souvent camouflées par
pour une population habituée à voter une loi d’urgence lui accor-
des autorités internationales para-
moins de considération de la part dant de grands pouvoirs. L’ex-
doxalement engagées dans une
des autorités nationales. Elle a président des États-Unis, Bill
lutte contre les violences sexuelles.
également été généreuse, les ONGI Clinton, siègera à la Commission
En bout de ligne, l’intervention
offrant aussi un emploi à des cen- intérimaire pour la reconstruction
humanitaire augmentera non seule-
taines d’Haïtiens et Haïtiennes. d’Haïti (CIRH) à travers laquelle
ment la dépendance de la popula-
Mais elle a cependant produit passeront les milliards d’aide pro-
tion haïtienne envers l’aide inter-
d’importants effets secondaires. mise. Selon tous les observateurs,
nationale mais sabotera aussi de
Ainsi, la capitale a une fois de plus son influence sera prépondérante.
larges pans de l’économie locale et
semblé envahie par des forces d’oc- De plus, l’esprit technocratique des
du tissu social.
cupation: véhicules de l’ONU contingents étrangers imposera son

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(Peck, 2013). Les femmes haïtien-
nes seront aussi perçues et décrites
comme d’impuissantes victimes du
séisme et de la pauvreté et non pas
comme des survivantes ou des
citoyennes de plein droit (Horton,
2012).
L’aide humanitaire se structurera
autour de cette image centrale au
financement et à l’intervention des
ONGI, tant pour ses levées de fonds
en Occident que pour le finance-
ment de ses programmes. Dans
cette économie politique du trauma
(Caple James, 2010) les femmes
15/1/1934 ː, Ultimatum de l'ambassadeur étasunien à La Havane au gouvernement de Grau San
Martín qui est obligé de démissionner en faveur du colonel Carlos Mendieta, qui signe le traité récipiendaires de l’aide seront donc
qui cède l'occupation indéfinie de l'enclave militaire à Guantánamo aux États-Unis. « extracted, transformed, and modi-
fied through humanitarian interven-
tion and (will) become a source of
leadership à plusieurs niveaux. Par Les contingents inter- profit and power for intervening or-
ailleurs, sans compter les milliers de nationaux véhiculeront ganizations » (Caple James, 2004 :
blessés et de morts qu’il a entraî- une perception des femmes 135).
nés, le séisme exacerbera plusieurs haïtiennes comme des victi-
des problèmes déjà présents. Com- mes, ignorant tout du riche Par la même occasion, cette concep-
me dans toute mobilisation humani- parcours des organisations tion qui présente les femmes haï-
taire, on assistera aussi, par la féministes, de leur combativité tiennes comme des récipiendaires
même occasion, à un emballement et de leurs acquis d’aide, les présente également
médiatique, au sensationnalisme, à comme des garantes du tissu social
la simplification des messages, à la local ainsi que de la continuité sui-
culture de l’urgence ainsi qu’à une Les contingents internationaux te au séisme et au déplacement.
désorganisation de l’aide humani- véhiculeront donc cette perception Elles permettront aux familles et
taire des femmes haïtiennes comme vic- aux communautés de surmonter
times, ignorant tout du riche par- cette parenthèse temporaire, et de
L’ingérence dans les affaires inter-
cours des organisations féministes, retourner à l’état antérieur. Or,
nes du pays sera légitimée par les
de leur combativité et de leurs d’une part, une catastrophe naturel-
instances internationales dans le
but avoué de mettre fin à la souf- acquis. La perception des humani- le et la présence soutenue de con-
france physique causée par le taires sera plutôt forgée à même les tingents humanitaires sur le sol d’un
séisme et la vulnérabilité de l’État informations véhiculées par les pays ont plutôt des effets durables.
haïtien. Qualifiée de thérapeutique média occidentaux, des horreurs D’autre part, ces femmes sont
par McFalls (2010), cette interven- dont ils ont été témoins : l’extrême transformées par le discours des
tion est construite autour d’un dis- pauvreté de la population ainsi ONGI et des contingents humanitai-
cours sur le trauma qui produit à res en symbole du soutien à l’hu-
que la désorganisation des institu-
son tour de nouvelles pratiques manité toute entière, de l’abnéga-
militaires et bureaucratiques, justi- tions et des infrastructures haïtien-
nes. Elle prendra ancrage égale- tion, de la famille et de l’éducation
fiant l’action étrangère sur le sol
ment dans une représentation (Corbet, 2011), substituant ici la
national et produisant, à la limite,
une nouvelle subjectivité de victi- angélique des actions humanitaires représentation de la victime à celle
mes au sein de la population haï- et dans cette image stéréotypée d’actrice sociale. Cette représenta-
tienne. des populations haïtiennes comme tion objectifie et subjugue les fem-
des victimes (Corbet, 2011), inca- mes haïtiennes qui apprendront par
pables de se sauver elles-mêmes la suite à faire usage des ressources

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offertes par l’humanitaire avec
détermination et créativité, adoptant
souvent cette image de victime pour
se qualifier à recevoir l’aide.
Toutefois, de telles représentations
victimisantes ont eu pour effet de
reléguer le mouvement féministe
haïtien dans l’ombre, alors qu’il
avait réussi, au cours des périodes
précédentes, à imposer chez ses
compatriotes et auprès des partenai-
res internationaux l’image de fem-
mes résistantes et citoyennes. De
plus, ces représentations ont créé
de nouveaux obstacles pour le
mouvement et ses militantes déjà
lourdement hypothéqués par le
séisme. Ainsi, plusieurs ONGI hu- 5/7/1934 : Visite en Haïti de Franklin D. Roosevelt, récemment élu président des États-Unis, en
manitaires, média ou contingents route vers le canal de Panama.
onusiens ne se sont-ils pas mis en
lien avec le mouvement féministe.
Ils l’ont même souvent ignoré ou attaques à l’acide sont rares en Haïti. et avaient clairement exprimé leur
instrumentalisé à leurs propres fins: Cette femme a été accompagnée et désaccord ; ils ont donc été forcés
celles de promouvoir une activité; soutenue par les intervenantes d’une de dénoncer publiquement cet état
d’obtenir des fonds; de vendre des organisation féministe pendant de de fait dans un journal national
copies de journaux; de légitimer longs mois. À la demande de la jour- (Magloire et Joachim, 2011).
une intervention auprès de bailleurs naliste, elles ont même fait le pont
de fonds ou de capitales étrangères. avec la victime. Enfin, signalons
que ces intervenantes haïtiennes en Un seul coup médiatique
À titre d ’ illustration, voici certains
mécanismes utilisés dans la cons- violences sont même citées dans aura réussi à rayer dans
l’article que les chefs de pupitre ne l’imaginaire occidental toutes
truction de cette image déformée du
mouvement féministe haïtien. semblent pas avoir lu attentivement. les interventions des féministes
Le deuxième cas illustre une for- haïtiennes, renforçant l’idée, à
Le premier est celui d’un grand la limite du racisme, d’une so-
média montréalais qui, à l’automne me particulière de tentative d’utili-
sation des groupes féministes haï- ciété s’adonnant impunément
2010, a publié à la une l’horrible aux pires violences envers ses
histoire d’une agression conjugale à tiens par certaines organisations
étrangères. Il s’agit d’une ONGI femmes
l’acide. Il offre une photo en gros
plan de la femme défigurée, et ce, désireuse de participer activement à
en dépit des mises en garde de l’élan humanitaire pour Haïti, mais
sans lien antérieur avec le pays. Le troisième cas est encore plus
l’organisation féministe qui avait
Celle-ci annonce la tenue à Port-au- invraisemblable. Ses retombées se
facilité le contact. Suite aux criti-
Prince d’un événement public sur la font toujours sentir puisqu’il a
ques de lecteurs québécois, dégou-
violence faite aux femmes et diffu- profondément marqué l’imaginaire
tés par le sensationnalisme de cette
se, par la même occasion, les noms occidental. Un éditorial publié
mise en page, l’équipe éditoriale
de partenaires parmi lesquels figure dans un quotidien américain
justifie sa décision le lendemain en
celui de groupes féministes haïtiens influent allègue l’apparition d’une
alléguant l’absence de soutien dis-
bien établis et à réputation impecca- épidémie de viols dans les camps
ponible aux femmes haïtiennes
ble. Le problème réside dans le fait de déplacés de Port-au-Prince
ainsi que leur extrême vulnérabilité.
que ces groupes féministes n’ont (New York Times, 2011). Bien que
Or ceci est complètement faux. Les
jamais consenti à un tel partenariat n’étant fondée sur aucune enquête

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coup médiatique aura ainsi réussi à
rayer dans l’imaginaire occidental
toutes les interventions des féminis-
tes haïtiennes et à renforcer l’idée,
à la limite du racisme, d’une société
haïtienne s’adonnant impunément
aux pires violences envers ses fem-
mes (Magloire et Joachim, 2011).

Le mouvement féministe
haïtien porte le dossier
de la violence à bout de bras
1/8/1934 : Le colonel Calixte remplace le général Vogel comme chef de la Garde.
depuis plus de 35 ans

journalistique ou donnée vérifiée, nistes haïtiens intervenant en Dans son rapport de 2011 sur Haïti,
la nouvelle a pourtant fait la une à violence à l’intérieur et à l’exté- Amnistie internationale recomman-
travers le globe, reprise intégrale- rieur des camps , ceux qui partici- dera même au gouvernement haï-
ment par l’ONU (2011) et par des pent depuis plusieurs années à tien « d’encourager la participation
organisations internationales de l’effort de cueillette de données sur élargie et efficace des femmes dans
défense des droits réputées (HRW, la violence faite aux femmes en la conception et la mise en œuvre
2011). Or, elle ne correspondait e n Haïti, il y aurait bel et bien eu une de stratégies de luttes contre la
aucune façon aux rapports des augmentation de la violence suite violence faite aux femmes » (AI,
intervenantes en violence présentes au séisme mais elle ne serait pas 2011). Cette recommandation
dans les camps de déplacés, ni aux concentrée, encore moins limitée, souligne à elle seule l’ignorance de
statistiques officielles disponibles aux camps de déplacés (CNVF, beaucoup d’intervenants étrangers
sur la question. L’ONU ne semble 2011). De surcroît, l’augmentation quant aux dynamiques locales et
même pas connaître l’existence de de la violence conjugale aurait été nationales et son effet dévastateur
ces statistiques (MSPP, 2012) car plus importante que celle des vio- sur le mouvement féministe haïtien
elle affirmait, dans un de ses docu- lences sexuelles, et l’épidémie de qui porte le dossier de la violence à
ments officiels, que : viols dans les camps serait pure bout de bras depuis plus de 35 ans.
fabulation (Magloire et Joachim,
Malgré l’absence de données quan- Pourtant, comme partout au monde
2011). Cette fausse représentation
titatives, il est généralement ac- en de telles circonstances, les diri-
n’a fait que renforcer, auprès des
cepté que la violence sexuelle (…) geantes féministes en Haïti ont
Occidentaux, l’idée, fausse elle
contre les femmes et les filles est développé un système de solidari-
aussi, de l’absence d’intervention
généralisée dans les camps (de dé- tés réciproques, de valeurs commu-
endogène en matière de violence
placés) en Haïti et en augmenta- nes et de stratégies d’intervention.
faite aux femmes en Haïti. Elle jus-
tion (ONU, 2011 : 4). (nos italiques) Suite au séisme, elles ont rebâti ces
tifiera aussi, par la suite, plusieurs
Cette acceptation générale à laquel- solidarités de façon à absorber le
interventions d’OI et d’ONGI, re-
le se réfère ce document de l’ONU choc, reprendre leurs repères, soi-
poussera dans l’ombre les multiples
s’appuie uniquement sur des gner leurs blessures et répondre
autres désastres vécus par des fem-
aux besoins quotidiens des popu-
représentations occidentales non mes et des filles haïtiennes à l’inté-
corroborées, conjuguées à l‘idée lations qu’elles desservent. Elles
rieur et à l’extérieur des camps gé-
générale véhiculée dans la docu- n’ont profité que très marginalement
rés par les ONGI, augmentant d’au-
de l’aide humanitaire, étant destinée
mentation sur la question concer- tant leur vulnérabilité qu’elle con-
nant l’augmentation de la violence aux plus démunis qu’elles. Malgré
centrera l’attention humanitaire
suite à une catastrophe. En fait, des conditions matérielles et
uniquement sur les camps de dépla-
selon les principaux groupes fémi- humaines extrêmement difficiles et
cés gérés par les ONGI. Un seul

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avec les moyens du bord, elles ont
rapidement remédié aux dégâts
matériels de leurs associations
(locaux et archives détruits ou
sérieusement endommagés); repris
leurs activités de soutien, de sensi-
bilisation et de défense des droits
des femmes; réactivé dans la mesu-
re du possible les liens avec les
bailleurs de fonds étrangers; appu-
yé les militantes et employées
associatives plus affectées qu’elles.
Elles ont été sollicitées à l’extrême
à titre de partenaires locaux par des
ONGI, plus souvent qu’autrement,
en tant que chevilles ouvrières d’un
agenda qui n’était pas le leur; elles
ont surmonté de nouveaux obsta-
6/8/1934 : Le drapeau Étasunien est remplacé par le bicolore Haïtien lors d'une cérémonie au
cles dans l’obtention de fonds Cap.
étrangers d’urgence: apparition de
nouvelles règles du jeu, dépôt de
nouveaux projets; nouvelles exi- avons ici une illustration malheu- ment les femmes (Caple James,
gences administratives dépassant reuse. Le mouvement féministe 2004).
leurs capacités logistiques désor- haïtien s’est battu pour transformer
Or, l’esclavage a été aboli par la
mais plus limitées. les conceptions, lois et pratiques
révolte des esclaves et les femmes
patriarcales en cours en Haïti.
Les associations féministes haïtien- doivent leurs propres avancées aux
Mais l’intervention humanitaire a
nes ont rebâti leur aire d’influence luttes qu’elles ont menées. En
radicalement transformé l’échiquier
locale et nationale. Les OI et les situation de catastrophe écologi-
politique et économique. Cette
ONGI du sous-cluster violence ne que, il faut admirer le courage de
intervention massive s’est sédimen-
les ont cependant ni consultées ni ces femmes qui ont tout perdu et
tée à une présence militaire de la
convoquées. Arrivée de nombreux qui ont, malgré tout, affronté de
MINUSTAH, puis le battage médiati-
mois plus tard, une invitation du nouvelles embûches dans un con-
que humanitaire a fixé, dans l’ima-
sous-cluster violence a été refusée texte où la communauté internatio-
ginaire occidental, les femmes haï-
par les militantes féministes haïtien- nale possède un immense pouvoir de
tiennes en victimes et en dépendan-
nes: ce sous-cluster ne traitant pas délégitimation des mouvements
tes de l’aide étrangère. Cette repré-
des priorités haïtiennes en matière sociaux endogènes. L’intervention
sentation thérapeutique a servi de
de violence, les discussions s’y te- humanitaire en Haïti doit ainsi
justification à une incursion étran-
nant en anglais, ce que les militan- être analysée à la lumière d’une
gère sur le territoire haïtien et
tes refusaient par principe. Les grille féministe levant le voile sur
s’est avérée déstructurante pour le
féministes haïtiennes ont notam- l’utilisation de fausses idées de la
mouvement féministe haïtien. La
ment critiqué la non prise en féminité, dans un ordre internatio-
violence sexuelle a été intégrée à
compte du 2ème Plan national de nal en pleine transformation (Enloe,
l’économie politique du trauma
lutte contre les violences de genre, 2001).
entourant l’assistance aux victimes.
constituant la référence nationale, Les programmes de réhabilitation
ainsi que les outils développés par
du réseau humanitaire exacerbent
la Concertation nationale contre les les conflits autour de ce statut de
violences faites aux femmes. victime, dans un contexte de perpé-
Les idées ont toujours des consé- tuation de l’insécurité et d’une
quences (Halimi, 2006): nous en misère qui affectent particulière-

Condition Féminine 163


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3 JOACHIM, Marie-Frantz. (2012). « Quand
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Un cluster est un mécanisme de coordina- CÔTÉ, Denyse. (1997). Tribunal internatio-
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se sont pourtant prolongés en Haïti. nitarian Government », dans Didier Fassin
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164 Rencontre n° 32 – 33 / Septembre 2016


Femmes repères chronologiques

1816: Pétion crée un Pensionnat national de demoiselles dont il confie la direction à Mme Drury, une anglaise parlant
parfaitement le français qu'il fait venir de la Jamaïque. Cette école aura une existence brève, Mme Drury ayant
quitté le pays peu après.
1817: Ouverture du premier pensionnat mixte par M. et Mme Courtois.
1850: Réorganisation du Pensionnat national de demoiselles pour les jeunes filles de toutes les communes et création
du Collège Olive pour les jeunes filles de l'aristocratie impériale.
1860: Création de nouveaux pensionnats de jeunes filles (avec extension dans les principales villes de province) ainsi
que d'une cinquantaine d'écoles publiques de filles.
1864- Arrivée en Haïti des congrégations des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny et des Filles de la Sagesse qui établiront
1865: « des pensionnats pour la formation de l'élite et des écoles primaires pour les petites filles du peuple ».
1880: Mme Argentine Bellegarde-Foureau est nommée directrice du Pensionnat national de demoiselles à qui elle
donne une impulsion nouvelle.
1898, L'École de Médecine ouvre ses portes aux aspirantes au diplôme de sage-femme. Niveau académique requis: le
août: certificat d'Études primaires.
1899 Fondation par les médecins de la Polyclinique Péan de l'École libre d'obstétrique. 15 étudiantes y sont admises la
(nov): même année après avoir subi un examen d'entrée.
1914: Ouverture de l'École normale d'institutrices.
1920, Un règlement de l'École de médecine permet l'accès de la section de pharmacie aux filles.
5 fév:
1929: La Faculté de Droit inscrit ses premières étudiantes.
1930: Les jeunes filles sont admises à l'École d'art dentaire.
1932: Parmi les 190 bacheliers d'écoles déjà prestigieuses à l'époque (Lycée Pétion, Collège Saint-Martial, Saint-Louis
de Gonzague,...), on note la présence d'une jeune fille, Yolande Bénédict, élève de l'Institut Alfred-Viau.
« Événement marquant, car c'est la première fois qu'une jeune fille briguait le bac », épreuve redoutée, qu'elle
subit avec succès.
1934: La Faculté de Médecine reçoit ses premières étudiantes.
1938: La réforme de l'Enseignement donne satisfaction aux féministes sur bien des points: des femmes furent placées à
des postes de direction, le nombre des écoles rurales de filles fut augmenté, introduction des cours d'économie
ménagère, pratique du sport rendue obligatoire dans les écoles.
1943: Ouverture à Port-au-Prince de la première École secondaire des filles sous la direction de Mme René Lerebours
puis d'une américaine, Miss Dorothy Kerby. Cette école deviendra le Lycée des jeunes filles (actuellement à la
rue Capois).
1944, Les filles sont admises à suivre les cours dans les lycées de garçons des autres villes.
oct:

www.haiticulture.ch, 2005
Geneva - Switzerland

Condition Féminine 165


PROBLÉMATIQUE DU SPORT

Jamaïque : le sport au secours de l'économie

Sofia AZZEDINE

La Jamaïque, île qui a vu naître Bob Marley, est connue pour ses mé- La criminalité plombe le tourisme
dailles olympiques et son célèbre sprinteur, Usain Bolt. Les nombreux La Jamaïque est loin d’être un ha-
titres remportés par les athlètes confèrent à l’île un rayonnement inter- vre de paix, son taux de criminalité
national dont elle pourrait tirer parti. compte parmi les plus forts au
monde, avec 40,9 homicides pour
100 000 habitants en 2011 selon
l’Office des Nations Unies contre la
Drogue et le Crime.

La pratique sportive éri-


gée comme une étape
importante de l’essor économi-
que jamaïcain

Cette situation ralentit le dévelop-


pement national et le tourisme, une
des principales sources de revenus
de l’île. Afin de résoudre ce problè-
14/8/1934 : Le drapeau étasunien est officiellement descendu du quartier général. me, de nombreuses personnalités
comme P. J. Patterson, l’ancien
Premier ministre, ont souhaité

L 'État insulaire détient en


athlétisme plus de succès par
habitant que n’importe quel autre
La Jamaïque, indépendante depuis
1962, est une monarchie cons-
titutionnelle, membre du Common-
ériger la pratique sportive comme
une étape importante de l’essor
économique jamaïcain.
pays. Ces réussites pourraient, à wealth, ce qui implique que son
l’avenir, être utilisées comme chef d’État reste la Reine Élisabeth
sources de richesse nationale. II. Cette « Terre d’Eau et de Bois » Une volonté de tirer parti du
Aussi, elles pourraient permettre à comme l’appelaient les indigènes secteur sportif
l’île de se passer des aides des de l’époque précoloniale, est
institutions internationales comme aujourd’hui dépendante des aides Aujourd’hui, le sport contribue à
le FMI (Fonds Monétaire Interna- du FMI. Ces fonds externes visent à plus de 2% du PIB jamaïcain. Le
tional). Cette volonté est confirmée résorber sa dette, laquelle s’élève à sport constitue un trésor enfoui que
par le Premier ministre, Portia 127% du PIB selon le CIA World l’État se doit de développer selon le
Simpson-Miller, qui affiche, depuis Factbook. rapport du Plan de Développement
sa réélection, l’an dernier, une intitulé « Vision 2030 » publié en
volonté d’émancipation économi- 2009 par l’Institut de Planification
que et politique totale. de la Jamaïque.

166 Rencontre n° 32 – 33 / Septembre 2016


Le secteur sportif deviendra à le primaire, les jeunes essaient Le développement des marques de
l’avenir une activité commerciale d’être sélectionnés dans les vêtements et des équipements
rattachée au tourisme. Plusieurs meilleurs lycées. Ces élèves se sportifs, la multiplication de médias
solutions sont proposées par cette mesurent, au cours du Boys and qui pourraient diffuser les Champs
commission pour atteindre cet Girls Athletics Championship moyennant finances, la signature de
objectif : la professionnalisation des (communément appelé « Champs ») partenariats, la construction d’infra-
associations sportives, lier l’in- créé en 1910 et qui a lieu chaque structures et la formation de
dustrie et le sport en créant une année. Cette compétition, suivie par spécialistes du sport (comme des
marque jamaïcaine, etc. 30 000 personnes, réunit les psychologues, des médecins ou des
meilleures équipes d’athlétisme des managers), sont, selon l’ancien
lycées jamaïcains. Premier ministre E. Seaga, « un
L’enseignement sportif moyen de promouvoir le sport
Autrefois, les Champs étaient
est gratuit et développé comme agent de développement de
envahis par des superviseurs
grâce à des compétitions inter- la Jamaïque ».
américains qui venaient dénicher la
scolaires sur toute l’île. perle rare pour les emmener dans
les universités étasuniennes.
Aujourd’hui, les jeunes préfèrent Par le sport, il serait
À l’heure actuelle, les trois sports suivre l’exemple d’Usain Bolt et aussi possible, d’agir sur
les plus populaires en Jamaïque rester en Jamaïque. Favoriser le taux de criminalité des plus
sont le cricket, hérité des colons et l’entraînement des jeunes talents au jeunes
populaire dans l’ensemble de la pays est l’un des objectifs du
société, le football avec l’équipe gouvernement.
nationale des « Reggae Boyz » Par le sport, il serait aussi possible,
révélée au monde lors de la Coupe selon D. Chung, auteur de « Char-
du Monde 1998, et l’athlétisme En quinze ans, le nom- ting Jamaica's economic and social
avec les têtes de file actuelles ou bre d’entraîneurs certi- development: A much needed para-
plus ancienne comme Merlene fiés de la fédération interna- digm shift » d’agir sur le taux de
Ottey, athlète la plus médaillée. tionale d’athlétisme, a doublé criminalité des plus jeunes à travers
l’enseignement de valeurs comme
le fairplay.
La jeunesse, cœur de la stratégie Vers la professionnalisation et le Du cricket colonial au développe-
L’héritage britannique a également développement des infrastruc- ment de l’athlétisme, le sport ap-
laissé à la Jamaïque une culture du tures partient à la culture et l’histoire du
sport à l’école. Dès leur plus jeune pays. D’abord influencée par la
Quant au nombre d’entraîneurs
âge, les enfants jamaïcains prati- puissance britannique, la Jamaïque
certifiés IAAF (la fédération inter-
quent tous les jours des activités forme aujourd’hui de nombreux
nationale d’athlétisme), il a doublé
sportives dans le cadre scolaire. Cet sportifs reconnus dans le monde. À
en quinze ans, passant de cent
enseignement sportif est gratuit et la demande du Premier ministre,
cinquante à trois cents. Ceci a
développé grâce à des compétitions cette discipline fait désormais
permis une professionnalisation des
interscolaires sur toute l’île. Avec l’objet d’un investissement privé
athlètes. En 2002 a été mis en place
plus de 16,5 % de la population dans le but d’en faire une source
un nouveau partenariat public-
vivant sous le seuil de pauvreté en importante de richesse pour l’État.
privé. La marque PUMA est devenue
2009, avoir une bourse sportive est le fournisseur de la JAAA
une chance pour nombre d’enfants (Fédération Jamaïcaine d’Athlé-
d’accéder à l’université et échapper tisme) et sponsorise depuis lors les
à la criminalité. Champs ainsi que des programmes
Avec 81% des enfants scolarisés en d’athlétisme de sept lycées.
2009 selon l’UNICEF, l’école est
assez développée en Jamaïque. Dès

Problématique du Sport 167

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