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Kohler Eugène. Le sens large du vocabulaire espagnol. In: Romania, tome 75 n°300, 1954. pp. 498-511;
doi : https://doi.org/10.3406/roma.1954.3431
https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1954_num_75_300_3431
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Les euphémismes comme les péj orations ont souvent aussi donné
lieu à des métasémies. Toutes les langues ont des euphémismes
pour mourir; le français « décéder» et «trépasser», l'espagnol
fallecer et liar el petate « sein Bündel packen, plier bagage ». De
même la locution bendito sea en est venue à signifier juste le
contraire de ce qu'elle dit proprement : « qu'il soit maudit. » Un
bendito c'est comme le fr. benêt de même origine « un ser
sencillo y de pocos alcances ». Quand Cervantes écrit (dans Rin-
conete y Cortadillo) : « vuesa merced los ve (los naipes) tan
astrosos y maltratados » il veut dire : « vous voyez ces cartes si
sales, si crasseuses et malmenées, fripées » et astroso prend ainsi
le sens de desastrado : car, originairement astroso signifie «
brillant comme un astre ». Berceo l'employait déjà dans le même
sens que Cervantes.
C'est aussi un euphémisme que duendo, duende « fantôme,
revenant ». Meyer-Lübke jadis rejetait l'étymologie de
dorn i tu sous prétexte que « steht begrifflich fern ». Mais non !
Phonétiquement inattaquable, cette étymologie se justifie : on
LE SENS LARGE DU VOCABULAIRE ESPAGNOL 509
appelle « domestiqué, familier » celui dont on a peur, qu'on
veut conjurer en quelque sorte. (Cf. le « cap de
Bonne-Espérance » ou le « pontos euxeinos » des Grecs.) L'étymologie
« dueño de casa » proposée récemment est une fantaisie
d'humaniste espagnol du xvie siècle et ressemble à celles d'Isidore
de Seville ou de Fray Luis de León; on ne comprend pas que
dans une contraction supposée des trois termes l'élément
essentiel — casa — eût été supprimé purement et simplement.
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